# 354 – Montée de la droite en France et ailleurs… Comment y faire face ?

Compte-rendu de la rencontre mensuelle du mois de septembre 2024

Je vous présente Pierre Mouterde, auteur et sociologue, qui va nous parler de la montée de la droite en France et ailleurs..

Merci, au CAPMO pour l’invitation, c’est vrai qu’il n’y a plus beaucoup d’endroits où nous avons l’occasion de discuter ensemble de manière présentielle, d’échanger dans des groupes, d’avoir des espaces où on peut partager toute une série d’idées ou d’intuitions. Je ne suis pas un spécialiste de la France, mais j’y ai des attaches et beaucoup d’amis et je suis ce qui s’y passe de près.

Je suis content aujourd’hui de pouvoir vous partager les intuitions que je peux avoir par rapport à cette montée de la droite. Je pense que tous ceux et celles qui ont le cœur à gauche, qui sont proches des idéaux d’égalité, de fraternité, de solidarité, de justice sociale, et c’est le cas ici, ne peuvent que s’interroger face à cette montée de la droite qui développe des valeurs qui vont complètement à l’encontre des valeurs d’égalité et de justice sociale. Quand on voit, au fil des ans, cette forte montée de la droite, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais aux élections législatives française de juin-juillet 2024, on s’est aperçu que cette vague pouvait arriver au gouvernement et avoir les moyens de ses politiques. Ça a été une espèce de coup de fouet pour tous ceux et celles qui partagent les idéaux de justice sociale et d’égalité.

Pour ma part, je m’intéresse beaucoup à l’Amérique latine et au renouveau de la pensée politique de gauche, comment on pourrait arriver à la retravailler, à la refonder d’une autre manière? Je trouve que derrière cette question de la montée de la droite, c’est aussi la question de la gauche qui se pose. Comment faire pour ceux et celles qui partagent des idéaux de gauche, pour empêcher que cette droite continue à prendre de plus en plus de place et de pouvoir dans notre société ? Pour répondre à cette question, un peu vaste, je trouvais intéressant de regarder dans un premier temps, ce qui s’est passé en France et comment la gauche française a réagi à cette montée de la droite ?

La première partie de ma présentation pourrais s’intituler : La peur du danger et l’unité retrouvé in extrémiste, pour résumer cette partie que je vais vous présenter. Après cela, nous pourrions discuter sur les caractéristiques de la conjoncture sociale que nous vivons aujourd’hui. Comment cela se fait-il que les valeurs de droite prennent tant d’importance et que tant de gens se laissent séduire? Qu’est-ce qui se passe dans nos sociétés pour qu’on en arrive à ça ? Cela fait en sorte que la gauche se sent avec beaucoup moins de moyens pour arriver à freiner cette droitisation générale de nos sociétés. Et cette montée en force des mouvements d’extrême-droite et fascisant, de populistes de droite qui gagnent en crédibilité et sont de plus en plus acceptés dans de larges secteurs de la population. Ensuite, dans une troisième partie de ma présentation, nous pourrions essayer de voir ce que la gauche pourrait faire, mais qu’elle n’arrive pas à faire aujourd’hui ? Sauf que je n’ai pas la prétention de répondre à toutes ces questions, ces perspectives que je viens de dessiner devant vous, mais c’est ce que je trouve intéressant dans un groupe comme le vôtre, c’est de pouvoir en discuter et d’échanger le plus librement possible. Alors je mets les cartes sur la table.

Derrière la question de la montée de la droite, il y a celle de la réduction des espaces démocratiques où la voix des gens d’en bas, les voix populaires, puisse s’exprimer et se faire entendre et reconnaître comme telle. Alors pour la première partie, je vais vous brosser un portrait rapide le plus synthétique possible.

En France, l’extrême-droite n’est pas apparue dans les derniers mois. En 1972, Jean-Marie Lepen a fondé le Front National, l’ancêtre du Rassemblement National qui a failli arriver au pouvoir. Dans le sillage des événements de Mai 1968, le Front National se voulait une réponse de la droite à la montée des forces de gauche, pour faire face au danger communiste incarné par les étudiants et les ouvriers français. À l’époque, l’extrême-droite était partagée en deux tendances, l’Ordre nouveau cherchait à développer des actions extra-parlementaires, alors que la stratégie de Lepen était d’organiser les forces de  droites sur la scène électorale. Donc, il semblait plus modéré qu’Ordre nouveau. Le Front national est alors formé de néo-nazis, d’anciens partisans de l’Algérie française et d’anciens collaborateurs du général Pétain. Lepen est entouré de la vieille droite française qui est peu fréquentable. Il est encore très minoritaire et n’obtient pas de grands succès dans les urnes. Il n’atteint même pas les 10%.

Lepen présente son parti comme étant nationaliste conservateur de droite avec une série de thèmes comme la xénophobie, (la peur de l’étranger), peur de l’immigration, antisémite, (Lepen met en doute l’existence des camps d’extermination nazis). Il a un caractère d’opposition envers ce qui fait alors consensus dans la société française. Ceci l’amène à développer cette idée d’une préférence pour la France, avec le droit du sang plus que le droit du sol, ce n’est pas d’être né en France qui fait de vous un Français, mais d’avoir des parents français. Tout ce cadre idéologique, de haine envers les immigrés, antisémite aussi, c’est le fonds de commerce de l’extrême-droite française, cela sans remettre en cause le mode de production capitaliste et plus tard le néolibéralisme. On est pour la France, mais aussi pour le libre marché.

À cette époque, Lepen commence à inquiéter, mais jusqu’en 2002, il n’obtient que des scores marginaux en bas de 10%. À part le fait que c’est un grand baratineur qui a l’art de la controverse pour se faire entendre et reconnaître, il n’a pas une influence véritable dans la société française. Les choses commencent à changer en 2002 où il va obtenir 17% des votes au premier tour des élections présidentielles et arrivé second, ce qui le qualifie automatiquement pour le second tour.

Avec le néolibéralisme et la mondialisation des marchés, il s’est produit une désindustrialisation des pays dits développés, et une montée des inégalités sociales qui a frappée plus durement les classes ouvrières. De ce fait, le marché néolibéral devenait la règle indépassable, l’ordre de la concurrence s’imposait partout, avec tout ce que cela implique pour les gens qui ont moins de moyens pour se défendre. D’autre part, avec la chute du socialisme réel dans les pays de l’Europe de l’Est et de l’URSS, on assistait à la remise en cause de tous les modèles alternatifs à l’économie capitaliste, les social-démocraties, le communisme et les nationalismes populaires dans les pays du Sud global. Tous ces modèles qui jusqu’à présent laissaient penser à beaucoup de gens qu’il était possible d’imaginer une autre réalité que l’univers capitaliste néolibéral, disparaissent. Donc, on assiste à une perte de leur force d’attraction. C’est dans ce contexte, en 2002 qu’arrive l’élection présidentielle en France.

Je dois préciser que la France à un régime semi-présidentiel avec une assemblée nationale et un premier ministre issu de la majorité. Le président a un pouvoir plus grand, il décide des politiques étrangères, de la politique militaire et des grandes axes de la politique économique, tandis que le premier ministre représente le pouvoir au sein de l’assemblée législatives. Ce régime tente d’établir un équilibre entre le pouvoir exécutif incarné par le président et un pouvoir législatif incarné par le premier ministre.

Les élections ont lieu à deux moments, les législatives et la présidentielle, elles se déroulent en deux tours, le premier où tout le monde peut se présenter et le second tour où on départage les deux meneurs du premier tour. Le second tour était entre la gauche et la droite. Habituellement, c’était les partis conservateurs qui l’emportaient, jusqu’à l’élection du premier président socialiste, François Mitterrand en 1980. En 2002, coup de tonnerre, Jean-Marie Lepen arrive deuxième, dépassant le socialiste Lionel Jospin. Évidemment, au second tour, tout le monde a fait barrage au Front National en élisant Jacques Chirac à la présidence, Lepen ne faisant pas mieux qu’au premier tour, c’est-à-dire 17%.

Tout d’un coup, on s’aperçoit qu’un candidat d’extrême-droite a une certaine influence puisqu’il a gagné presque 17% des voix. Mais vous savez, cette montée de la droite on la retrouve partout dans les pays occidentaux et même ailleurs.

Le deuxième coup de semonce, c’est en 2017, là c’est la fille de Lepen, Marine, avec le Rassemblement National, le nouveau nom du Front National, qui arrive au second tour des élections présidentielles. Elle obtient 21% au premier tour, faisant mieux que son père. Il faut dire que Marine Lepen a beaucoup travaillé pour dé-diaboliser l’image du Front National, cherchant à le normaliser dans le paysage médiatique. Elle a cherché à lui donner une allure plus modérée, ce qui a permis par ailleurs l’émergence de nouveaux partis sur sa droite comme Éric Seymour ou Marion Lepen, sa nièce. Marine Lepen fait la critique d’un État bureaucratique, pour plaire à des secteurs plus larges de la société française, et en dénonçant la mondialisation des marchés, ce qui paradoxalement, rejoint les discours de la gauche. La mondialisation qui empêche le développement de la France et qui interdit cette fameuse préférence nationale. En 2017, on réalise que la montée de l’extrême-droite se poursuit et qu’elle rejoint de plus en plus de larges secteurs de la population. En 2022, le même scénario se répète lors des élections présidentielles. Marine Lepen arrive au second tour, avec 41% des voix. Macron arrive à la battre en faisant appel à tous les autres partis politiques du centre droit à l’extrême-gauche.

Quand je suis allé en France l’été dernier, mes amis me disaient : « Pierre, n’oublie pas que c’est une vague qui vient de loin et qui est forte. Même si on arrive à l’arrêter cette fois, ils vont finir par y arriver.»

En 2024, élections européennes, on doit élire 80 représentants français dans un parlement qui en compte 700, le 9 juin, l’extrême-droite obtient 31% des voix, elle devance Macron et son parti Renaissance qui n’obtient que 14% des voix et la gauche n’étant pas parvenue à s’unir, obtient 10%, mais séparé en plein de petits groupes. Donc, elle perd toute sa force. On s’aperçoit que l’extrême-droite est en avance sur Macron. Alors que fait-il ? Le président décide de dissoudre l’Assemblée nationale et appelle de nouvelles élections législatives. Il a décidé cela seul avec quelques conseillers, croyant pouvoir profiter de la division de la gauche et forcer la population à élire majoritairement les représentants de son parti. Les élections sont convoquées par surprise et très rapidement, premier tour à la fin du mois de juin et le second tour début juillet, qui est aussi le départ en vacances pour la moitié de la population. Mais Macron a perdu son pari.

Il s’est produit un sursaut de la gauche qui en 48 heures, avec les écologistes, est parvenue à s’unir derrière un programme commun. Notamment François Ruffin a été l’un des artisans de cette alliance. C’est lui qui a lancé l’idée de faire un nouveau Front Populaire. Ce nom fait référence au Front Populaire de Léo Bloum qui se fait élire en 1936 pour contrer la montée des forces fascistes en France et les dangers de la guerre qui s’exacerbaient. Des conditions qui ressemblent quelque peu à ce que nous vivons aujourd’hui. C’est le Front Populaire qui a obtenu les fameux congés payés, une première mondiale, pour la classe ouvrière.  Ce gain a été obtenu grâce à un mouvement de grève générale extrêmement fort.

De nombreuses conquêtes sociales ont alors été obtenues qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Donc, lorsqu’on parle d’un nouveau Front Populaire, vous comprenez tout ce que cela évoque dans l’esprit des Français. Les quatre partis de gauche qui vont former ce nouveau Front Populaire, le parti socialiste, la France insoumise, des républicains de gauche, des communistes et des écologistes. Ils vont se mettre ensemble et être appuyés par la société civile, par les mouvements sociaux, les syndicats, les communautés culturelles, etc., et ils vont appeler à faire barrage à la montée de l’extrême-droite. C’est un mouvement qui transcendent les lignes partisanes des partis politiques en raison de la peur collective suscitée par la possibilité de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite.

Au premier tour, le Rassemblement National arrive en premier avec 33%. Sauf qu’aux élections législatives, si vous avez obtenu 20% des voix, vous avez le droit de vous présenter au second tour, ce qui fait beaucoup de luttes à trois candidats pouvant permettre à celui de l’extrême-droite de l’emporter en passant entre les deux autres. Cette perspective entraine un appel au désistement de tous les candidats arrivés en troisième place au premier tour afin d’éviter cela. Cet appel est entendu par les candidats de gauche, mais ce ne sont pas tous les candidats de Ensemble, (Macron), qui acceptent de se retirer pour éviter l’élection du Rassemblement National. Au premier tour, le Front populaire a obtenu 28% des voix et Ensemble est arrivé troisième dans la plupart des circonscriptions. Donc, pour le second tour des législative, ça a été le branle-combat à gauche, tous les intellectuels, les artistes et les sportifs, sont sortis pour exprimer leur préférence pour el Front Populaire. En une semaine, ça a été un marathon de meeting et de porte-à-porte pour distribuer des tracts dans toute la France, pour empêcher l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite.

Le 7 juillet, j’étais chez un ami à Paris, et nous étions certains que l’extrême-droite allait l’emporter et que le Front populaire formerait le premier parti d’opposition. C’est en arrivant sur la Place de la République que nous avons appris les résultats et que d’une façon inespérée, le Front Populaire arrivait premier, grâce à ce travail de mobilisation populaire qui a soulevé la France au cours des jours précédents l’élection législative, sans toutefois obtenir la majorité des sièges. Sur 577 députés, les résultats finaux sont 178 sièges pour le Front Populaire, Ensemble de Macron, 150 députés, le Rassemblement National de Marine Lepen, 142 députés et, les Républicains de droite obtiennent 39 députés d’où est issu le premier ministre choisi par le président après plus de deux mois d’attente. Normalement, le premier ministre doit être choisi dans le premier groupe de députés, mais Macron ayant décidé de diaboliser la France insoumise, il refuse de nommer un premier ministre issu des rangs du Front Populaire.

Michel Barnier, nouveau premier ministre, va tenter de faire une alliance entre les républicains et le parti d’Emmanuel Macron et tous ceux qui voudront lui emboîter le pas, dont le Rassemblement National. C’est comme cela qu’il peut arriver à gouverner sans être renversé. Sauf que l’Assemblée nationale est tellement divisée en trois groupes à peu près de force égale, qu’on ne voit pas bien comment un premier ministre va pouvoir se maintenir très longtemps au gouvernement.

Si vous voulez, c’est une victoire partielle de la gauche qui est parvenue à freiner cette vague de l’extrême-droite, mais elle n’a fait que la freiner. Cela pourrait être la conclusion de cette première partie.

 

2. Dans quel contexte on se trouve pour que soit possible une montée des forces d’extrême-droite ?

Je vous propose quelques idées à partager comme cela parce qu’il ne s’agit pas de quelques petits groupes d’extrême-droite qui sont soudain devenus racistes ou conservateurs et développent des valeurs qui nous paraissent anachroniques. Ce phénomène de la montée de la droite populiste et de l’extrême-droite fascisante touche de larges secteurs de la population. Il vaut la peine d’y réfléchir et de se demander pourquoi ? Voici quelques pistes de réflexion autour de cette question.

La première piste, je dirais que cela provient d’une peur collective grandissante que les sociétés affrontent de plus en plus. Pour vous faire comprendre l’ampleur de ces peurs, j’ai choisi trois dates. La première c’est le 6 août et le 9 août 1945 avec l’explosion atomique d’Hiroshima. Selon Jean-Paul Sartre, « pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, c’est l’humanité qui devient responsable de sa propre survie ». C’est une responsabilité très lourde puisque si l’on veut que l’humanité perdure et que la vie sur Terre continue, il nous faut contrôler de très près les conflits guerriers que nous pouvons avoir les uns avec les autres. À cette époque, en 1945, l’esprit est à l’espoir puisque la Seconde guerre mondiale se termine. Elle a fait plus de 70 millions de morts, mais on espère qu’on va enfin se sortir de ces guerres terribles et qu’on va construire un autre monde. Règne alors un esprit assez optimiste, même si on vient d’apprendre l’existence de l’Holocauste des juifs, et de la bombe nucléaire.

Seconde date importante, c’est Tchernobyl, en 1986, l’explosion d’une centrale atomique. Cette fois, ce n’est pas un conflit nucléaire, mais nos sources d’énergies installées dans notre quotidien et notre mode de vie qui peuvent causer des pertes considérables si nous ne sommes pas capables d’en contrôler les défectuosités. C’est un danger qui est moins brutal, mais plus subtil.

Un troisième danger, 1992, avec le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, où l’on prend conscience que l’empreinte écologique des êtres humains sur la planète est telle que c’est notre mode de vie en général qui est remis en cause la survie de l’espèce humaine, pas pour les 50 ou 100 prochaines années, mais pour toujours. Cette fois, il ne s’agit pas de quelques illuminés, mais d’un constat scientifique généralisé qui parle désormais de l’anthropocène. Depuis la Seconde guerre mondiale, nous sommes devant un monde qui est de plus en plus fragile où nous sommes de plus en plus responsables de ce qui se passe, sans qu’on ait véritablement les moyens de faire quelque chose de décisif vis-à-vis de ces problèmes.

Donc, il y a une sorte d’angoisse généralisée et collective qui se répand. C’est un bon indice pour comprendre comment nos sociétés sont très fragiles.

En même temps que sur cet arrière-fond historique où les angoisses s’accumulent, vous avez une série de crises qui se combinent les unes aux autres et à une crise politique qui devient de plus en plus difficile à gérer. Vous avez la crise économique de 2008, la crise de la COVID19 de 2020-2021, les crises sociales avec la montée des inégalités. Alors, vous avez une multiplicité de crises que nous n’arrivons pas à résoudre, elles s’alimentent les unes les autres et installent un primat de dis-fonctionnalités, faisant en sorte que tous les grands espoirs qui étaient nés après la Seconde guerre mondiale, toute cette idée de pouvoir construire un monde différent, aujourd’hui, nous ne sommes plus habités par ces espoirs. Au contraire, nous sommes sur la défensive, on cherche à se protéger du mal par tous les moyens possibles, plutôt que de penser qu’on pourrait faire le bien. Dans les années 1960-1970, au Québec, on pensait qu’on pouvait créer un nouveau pays et construire de nouvelles valeurs positives. Aujourd’hui, nous sommes dans un état d’esprit complètement différent. Nous vivons dans la peur.

Pourquoi est-ce que j’insiste sur cela ? Quand on se demande comment on peut arriver aujourd’hui à contrecarrer le discours de la droite ? Parce que le discours de la droite, c’est ce qu’elle fait, elle utilise notre peur, c’est la cristallisation politique du désespoir. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que lorsqu’on pointe du doigt les immigrants, c’est ce qu’on fait dans tous les pays aujourd’hui, on cherche un bouc-émissaire. Ce mécanisme on le connait, on le comprend assez bien aujourd’hui. Quand vous avez un petit groupe de gens qui ne sont pas sûrs d’eux-mêmes, qui ont peur, si vous trouvez un ennemi contre lequel vous pouvez vous liguer, tout d’un coup, vous avez l’impression que vous devenez fort, que vous retrouvez cette force qui vous manque et dont vous avez besoin, ce besoin d’affirmation que vous avez. Alors, vous trouvez quelqu’un qui est responsable de tous vos problèmes et qui va expier vos fautes. C’est ce que fait la droite, elle utilise de façon ultra démagogique la peur qui rode dans nos sociétés pour en faire une arme lui permettant de rassembler des gens et gagner des élections.

N’oubliez pas que la droite utilise ce mécanisme en jouant sur deux tableaux, elle continue à soutenir mordicus le néolibéralisme, le système de libre-marché capitaliste, jamais elle ne le remet en cause. D’autre part, elle a tendance à revenir à du conservatisme moral, toujours à cause de la peur. Bien sûr les gens ont peur puisque tout change et se transforme, etc., le mariage n’est plus comme avant, tout ce que vous pouvez imaginer. Alors ils disent qu’ils sont des gens d’ordre qui vont mettre de l’ordre dans la société et hiérarchiser à nouveau, qu’ils vont être des hommes à poigne. Mais pourquoi est-ce que cela plait ? À cause de cette peur et de ces angoisses qui nous hantent comme société.

Alors si la gauche veut s’opposer à la droite de manière efficace, il faut qu’elle réfléchisse à cela. Donc, il faut qu’elle soit capable de rassembler parce que c’est lorsqu’on est rassemblé qu’on est fort, que l’on retrouve notre force. Donc, les discours de la gauche dite radicale, c’est très bien, il faut déconstruire les rapports d’oppression et en être conscient, mais c’est hors contexte quelque part. Ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est que collectivement on puisse retrouver une force pour imposer un autre cour au monde.

Quand on regarde ce qui s’est passé en 2012 au Québec, au moment du Printemps Érable,  tout d’un coup il s’est créé un mouvement et une force. Les gens qui ont participé à ces manifestations sentaient que parce qu’ils étaient ensemble, parce qu’ils partageaient les mêmes idéaux, ou aversion contre le premier ministre de l’époque, ils sentaient qu’ils partageaient quelque chose et que cela leur donnait une force qui les rendaient capables d’imaginer autre chose. Quand ils ont fait reculer le gouvernement sur sa loi spéciale, quelle joie ont-ils ressentie. Donc, c’est possible d’imaginer qu’on retrouve une force qui au lieu d’être orientée en direction d’un bouc émissaire, le soit vers la construction d’une autre société.

Il y a deux choses que la gauche devrait faire. D’abord avoir un discours global. Il ne suffit pas d’accuser l’extrême-droite d’être fasciste. Ce n’est pas comme cela que nous allons les désarmer. Puis avoir un projet politique cohérent.

* Pendant longtemps, on a laissé à la droite le monopole de la question d’identité. Cela nous a amenés beaucoup de problèmes de racisme, de choses comme cela. Donc, il faut faire attention. J’ai aussi l’impression qu’il ne faut pas emprunter à la droite ses méthodes. La gauche ne doit pas tomber dans les discours populistes. Il ne faut pas avoir peur de débattre avec la droite sur certains points extrêmement importants comme la question de l’identité.

* Pour s’attaquer à la droite, ne devrions-nous pas énoncer ses paradoxes et ses contradictions pour les révéler au grand jour ? Par exemple, le déni du conservateur qui la plupart du temps ne fait que chialer sans proposer de solutions réelles. Il se plaint, mais n’agit pas. C’est ça le paradoxe.

* D’abord, les immigrés sont là, en France, ici, au Canada, partout il y en a et ils arrivent et ils vont continuer d’arriver. Pourquoi ? Parce que là où ils vivent, ce n’est plus viable. Combien de pays l’Occident a-t-il déstabilisés ? Combien de guerres avons-nous propagées dans le Sud global ? Ces gens ne peuvent pas rester chez-eux. Les Syriens ne peuvent plus rester en Syrie parce que nous y avons mis la guerre. Les Palestiniens ne peuvent plus rester en Palestine parce qu’on y a mis la guerre. Nous sommes dans un monde injuste où il y a des gens qui ont le pouvoir de manipuler les faits, les réalités et de faire en sous-main un tas de choses. Tout cela fait en sorte que les gens ne peuvent pas rester chez-eux et s’ils viennent massivement ici, c’est pour trouver un avenir. Ils votent avec leurs pieds et ils partent vivre ailleurs où les conditions sont meilleures pour leurs enfants. C’est ça la réalité. Il y a des gens qui, pour leurs intérêts, les multinationales et les gros ramasseurs d’argent, font en sorte que c’est déstabilisé partout dans le monde. Les seuls pays stables où l’on peut vraiment construire une vie, c’est l’Australie, le Canada, les États-Unis, l’Europe. Cette réalité et c’est cela que dénonce Mélenchon avec virulence, avec intelligence et vérité. C’est pour cela qu’il est détesté, qu’on le diabolise pour qu’il n’ait pas voix au chapitre. Pour le faire taire, on l’accuse de n’importe quoi, d’être antisémite. Rien de vrai, tout cela parce qu’il dénonce les agissements du gouvernement israélien. Il n’est pas aussi bête, il connait l’histoire, il l’a vécue. La réalité c’est que nous sommes dans un monde qui est profondément injuste où il y a des gens qui ont la capacité de manipuler la réalité et faire en sorte qu’on ne sait plus quoi croire.

* Parfois, j’aurai envie d’aller faire ma vie ailleurs, mais là-bas c’est toujours le même système capitaliste et néolibéral qui se déploie de plus en plus en jouant sur nos peurs. Mais il y a quelque chose de très important, le capitaliste est parvenu à faire de nous des individualistes. Nous n’avons plus de grandes collectivités comme autrefois. Cet individualisme fait en sorte de nous empêcher de nous unir. Pour pouvoir lutter ensemble, il doit y avoir des éléments qui nous fédèrent. Un autre élément que la capitalisme est en train de gagner, c’est l’oubli de l’histoire. Comment on veut construire le sens si on oublie l’histoire ? Je suis Chilienne et j’ai vécu la dictature. Si on ne garde pas cette mémoire vivante, on ne peut pas construire le futur. Pour construire, il faut aussi briser la peur. Et pour cela, il faut être capable de discuter et de débattre. Il faut aller au-delà des parcelles des petites discussions qu’on peut avoir entre individu. Par exemple, je suis féministe, mais un féminisme qui ne fait pas l’analyse du système capitaliste où nous sommes pour critiquer le patriarcat, cela ne donne rien. Je suis écologiste aussi, mais si on ne met pas en question le système économique dans lequel nous vivons, on n’ira nulle part. Je suis aussi pour le mouvement décolonial, mais si on ne remet pas en cause le système économique on ne va nulle part.  Je pense que le plus grand problème, c’est cet oubli de l’histoire si on veut aller de l’avant.

* D’après moi, la gauche n’a pas d’idées fédératrices, chacun mène son combat, écologiste, socialiste, féministe, syndicaliste, nationaliste, etc., mais il ne semble pas y avoir quelque chose qui fédère le projet de la gauche.

Québec solidaire a été une avancée super importante au Québec. Qu’un parti de gauche puisse perdurer et avoir une représentation de députés et se faire entendre haut et fort, de façon professionnelle, c’est-à-dire de tenir tête au gouvernement en place ou aux représentants du grand capital économique, c’est quelque chose. Je me souviens quand je suis arrivé au Québec, il y avait Michel Chartrand qui était là, mais il était seul. Il n’y avait pas de force politique organisée. C’est donc une avancée importante. Maintenant, il est très difficile pour Québec solidaire de garder ce rôle fédérateur. Au Québec, ce qui est à la fois une force et une faiblesse, c’est la question nationale. La question de l’indépendance du Québec, de l’affirmation d’un peuple qui est colonisé et qui cherche encore à devenir politiquement souverain. Cette question rend difficile pour les partis de gauche, de ne pas en tenir compte. Il ne se fera rien au Québec si on ne considère pas cette question. Il faut la prendre en compte, tout en étant capable de fédérer toute une série de questions comme celle de l’immigration aujourd’hui. On ne peut pas penser l’indépendance aujourd’hui sans une part active et déterminante des immigrants et surtout pas contre eux. Ce qui nous manque, c’est un projet collectif global qui soit fédérateur, parce que la droite elle en a un. Il faut quelque chose qui nous apaise, qui nous rassemble autour de valeurs qui sont les nôtres: l’égalité, la solidarité, et avec l’écologie, la sobriété. Bâtir un projet comme ça qui permettrait de résoudre ce problème de l’angoisse dans lequel on est, parce que si on est capable de se regrouper ensemble et de faire force à travers un projet qui nous unit et nous permet de dépasser toutes les peurs que nous avons, pour les orienter vers un projet positif. PM

Un projet positif pour le Québec, c’est construire une société qui soit la nôtre et dans laquelle on peut être souverain.

* Je questionne les effets de cliquets des processus politiques qui nous conduisent sur des avenues sans retour possible en arrière. Ce sentiment que nous vivons dans une situation complètement sans issu où l’on cherche à se protéger, implique un effet de cliquet dans certaines décisions comme les accords de libre-échange. Si on perd des acquis, comme la gestion de l’offre dans le domaine agricole, c’est perdu à tout jamais. Certaines lois, adoptées par des gouvernements majoritaires comme la CAQ, avec des lois omnibus pour créer des agences de la santé, des transports, de l’énergie, etc. Il me semble que la gauche tarde à renverser l’effet de ces lois. Par exemple, aux États-Unis, il y a plein d’États qui adoptent des lois, souvent écrites par des lobbyistes, qui consacrent la primauté de la propriété privée sur le bien commun. Une fois la gauche au pouvoir, ils ne défont pas ces lois. Ils commencent à penser à ce qu’ils peuvent faire une fois qu’ils sont au pouvoir au lieu de dire : Nous allons casser ces lois omnibus et défaire les agences. C’est comme si, par hasard, en arrivant au pouvoir, ils changeaient d’idées, ils reculent pour ne pas créer de l’instabilité économique. Alors, ils laissent en place ces choses qui sont antidémocratiques, hiérarchiques, qui favorisent le commerce international. De temps en temps, les gens disent que c’est la réalité du monde capitaliste auquel nous devons nous conformer. On ne peut rien faire. Est-ce que j’ai raison de dire que la gauche tarde à agir lorsqu’ils accèdent au pouvoir?

Dans plusieurs pays, c’est ce qu’on réalise quand la gauche accède au gouvernement. On pense à la Grèce avec Syriza ou Podemos en Espagne, tous ses partis ont eu tendance à céder devant les pressions des grands lobbys économiques, des forces qui ont le pouvoir actuellement. C’est ce qui rend les choses difficiles, parce qu’aujourd’hui, quelque part, avec l’état du monde dans lequel on se trouve, avec une espèce de dysfonctionnalité, cet ensemble de crises qui s’installent partout, il faut pouvoir imaginer les transformations majeures. Il faut pouvoir changer le cour que le monde est en train de prendre. Cela exige des transformations très importantes. Pour les faire, il faut avoir une force politique pour le faire. Donc, il y a une sorte d’hégémonie à gagner pour pouvoir avoir suffisamment de gens derrière soi quand on arrive au gouvernement en disant : « Cette fois-ci, il faut de manière radicale, arrêter un certain nombre de choses. » Mais pour pouvoir faire cela, il faut avoir des gens derrière soi. À ce niveau, il y a une sorte de conception de la révolution d’autrefois qui a complètement changée. Dans les années 1960 et 1970, on imaginait que la révolution socialiste allait nous ouvrir la porte vers un avenir meilleure. Il s’agissait de continuer le cour de l’histoire, mais en lui donnant une perspective plus égalitaire. Aujourd’hui, si on peut imaginer une révolution, c’est-à-dire des transformations radicales et collectives qui puissent s’effectuer, il faudrait plutôt les imaginer comme étant un frein d’urgence qu’on tire brutalement dans un train qui court vers le précipice. Vous comprenez que nous sommes dans une logique complètement différente en raison de toutes les crises qui s’accumulent et s’autoalimentent, nous aurions besoin comme humanité de changements radicaux qu’on pourrait peut-être arriver à prendre si on ralliait derrière nous suffisamment de forces. C’est l’enjeu dans lequel on se trouve aujourd’hui. PM

* Il y a quelqu’un qui disait que c’était plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Je pense que lorsqu’on dit la gauche, cela ne fait pas de sens parce qu’il y a plusieurs factions pour toutes sortes de raisons. Il y a des gauchistes qui sont encore dans l’idéologie du capitalisme, et plusieurs autres ne pensent pas que les changements vont arriver par le mode électoral. Plusieurs se disent que Québec solidaire ne va pas sauver quoi que ce soit. Il y en a beaucoup qui ne veulent même pas prendre le pouvoir, pour eux cela ne fait pas de sens. Je vous invite à réfléchir en-dehors de la politique partisane et de voir comment on peut résister dans notre vie au capitalisme, comment on peut vive une vie de lutte contre le racisme, contre l’État répressif, contre les abus des forces de l’ordre. Il faut vivre cela dans notre vie, il ne faut pas attendre que quelqu’un prenne le pouvoir. On peut refuser le pouvoir, on peut refuser le capitalisme, même si c’est difficile. Le vrai pouvoir, c’est celui que nous pouvons exercer au quotidien, sur ce que nous pouvons agir. N’attendons pas que quelqu’un nous donne la permission parce que peu importe qui va être assis sur le siège du pouvoir, c’est la main invisible du marché qui va le contrôler. C’est mon opinion. Je ne parle pas pour ma génération parce qu’il y a encore beaucoup de jeunes qui ne pensent pas comme moi, ils veulent avoir plus d’argent pour avoir plus de biens matériels.

C’est intéressant, mais le problème de la position que tu défends, c’est que pour que cela fonctionne, il faut qu’elle soit partagée par beaucoup de personnes. Et pour cela, il faut aussi imaginer des formes d’actions collectives, parce qu’on ne peut pas faire les choses tout seul. Même avec le plus de radicalisme possible, ce n’est qu’ensemble que l’on représente une force collective dans la société dans laquelle on se trouve, qu’on peut faire bouger les choses. C’est pour cela que je trouve important d’imaginer des formes collectives comme des partis politiques qui nous permettent de nous remettre ensemble. PM

* Mais cela demeure une idée. Il ne s’agit pas de dire ce que moi je peux faire dans ma vie, ce que je peux faire pour mener une existence qui correspond à mes valeurs, cela a de l’impact sur moi. Évidemment, cela passe à travers la relation à l’autre. Je ne pense pas que c’est vraiment une contradiction de penser au pouvoir que nous avons sur nos vies. Cela ne signifie pas que nous ne voulons pas nous mettre ensemble.

Il y a quand même une question qui mérite d’être approfondie ou discutée. Si on veut changer les choses en termes écologiques, on peut bien, par exemple, faire attention à sa consommation dans sa propre maison, à être le plus écologique et le plus sobre possible dans sa vie individuelle. C’est bien et il faut essayer de le faire, mais cela ne résout pas le problème de l’environnement. Au contraire, le système a tout intérêt à ce que beaucoup de gens se sentent coupables de ne pas le faire. PM

* Je suis 100% d’accord, il ne s’agit pas de dire je fais mon compost et je lutte contre les changements climatiques. Nous n’en sommes plus là. Il faut critiquer les grandes multinationales, arrêter les milliardaires qui nous conduisent à notre perte pour faire encore plus de profits.

* Quelqu’un demandait tout à l’heure: « Il faudrait avoir une projet commun, » mais nous l’avons. Nous avons la protection de la Maison commune, le monde est en train de subir toutes sortes de transformations, on parle maintenant d’Anthropocène. C’est-à-dire que l’humanité est capable de modifier géologiquement la Terre sur laquelle nous vivons avec le risque même de ne plus pouvoir y vivre. Il y a des faits scientifiques qui l’établissent. Donc, nous avons un projet commun, il existe. Sauf que toutes les dispositions qu’on essaie de prendre ici et là dans le monde, les lois qu’on cherche à passer sont torpillées. Vous avez parlé tout à l’heure des lobbyistes qui sont dans tous les grands parlements, occidentaux notamment, où on peut prendre des décisions qui auraient le pouvoir de changer le cour du monde, mais rien ne se passe à cause de cela. Si on revient à la politique française, Macron était au parti socialiste de François Holland. Avec qui il trafique aujourd’hui ? Avec l’extrême-droite de Marine Lepen. Les puissances économiques sont capables d’implanter leurs gens jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir politique. Ils entrent dans les partis progressistes pour les déstabiliser, les déstructurer. Le parti socialiste n’existe plus en France. La gauche a été explosée parce que des gens comme Macron ont fait de l’entrisme en devenant ministre socialiste de l’économie et des finances. Aujourd’hui, il travaille avec qui ? Tout est en train d’être fait pour que Marine Lepen arrive au pouvoir lors des prochaines élections présidentielles. Tous ces éléments font en sorte que la gauche  a du mal à s’organiser tandis que les capitalistes sont puissants et ils ont un projet cohérent: « Faire de l’argent ». Ils progressent, ils avancent, ils ont les ressources pour atteindre leurs objectifs. La gauche est démunie. Les gens riches ne sont pas à gauche. Ce sont eux qui ont les moyens pour mobiliser la population en faveur d’une cause ou d’une autre. Ils peuvent se payer les meilleurs lobbyistes pour qu’ils influencent l’opinion publique dans le sens de leurs intérêts, voire écrire des discours pour les parlementaires afin d’arriver à leurs fins. Malheureusement, nous sommes dans cette dynamique.

Ce que tu décris, c’est un rapport de force social. PM

* Pour le moment, ce rapport de force n’est pas en faveur des gens qui se disent de gauche. Le projet commun existe.

D’après moi, il n’existe pas, il est peut-être là en germe, on a peut-être tous les éléments qui sont là, dans nos têtes, chacun individuellement, mais pour qu’un projet politique existe, il faut qu’il s’enracine politiquement dans quelque chose, dans un groupe.

* Ce projet dont je vous parle, est porté par les Nations Unies, celui de la protection de notre planète. Ils ont de très belles idées, mais pour les mettre en œuvre concrètement, ce sont les gouvernements qui ont le pouvoir de le faire, mais ceux-ci sont manipulés. Le projet existe, il est décrit, on sait ce qu’il faut faire, les 17 objectifs du développement durable avec les 69 cibles. C’est quand même un projet mondial, sur lequel on peut s’aligner, que les Nations Unies portent. Mais c’est torpillé de toute part pour que ce genre de chose ne soit pas mis en place. Il a un volet social, un volet écologique, un volet économique, afin de gérer nos affaires comme une seule humanité.

* Pour le moment, les forces dominantes s’y opposent, elles sont en désaccord avec le projet et le combattent à l’aide des marchands du doute.

* Il y a des gens tellement riches, qu’on ne peut pas l’imaginer, alors que d’autres sont tellement pauvres, qu’ils en meurent. Ce n’est pas toute la population de la planète qui accepte d’être manipulée par l’argent. Le projet de sauver la planète est complètement dévoyé par le projet de faire de l’argent et de concentrer la richesse. Une femme en Afrique qui va puiser de l’eau, n’utilise pas l’argent pour acheter de l’eau. Pour elle, l’argent n’est pas une médiation entre la satisfaction de ses besoins de base et la réponse à ses besoins. Tandis qu’un milliardaire vit complètement déconnecté de la réalité, il ne vit pas sur la même planète que nous. Le capitalisme sauvage à ce point là, ne représente pas une menace incontournable pour le projet de sauver la planète. C’est juste qu’il faut s’habituer à ne pas trop penser en terme d’argent. On peut faire des choix. L’emprise de l’argent sur l’esprit des personnes n’est pas aussi importante qu’on le croit.

* Toujours, la même problématique demeure, c’est que nous n’avons pas le rapport de force pour changer les choses. C’est comme l’indépendance du Québec, tu ne peux pas faire cela tout seul. Il faut qu’il y ait un peuple convaincu qui connaisse son histoire. Pour obtenir sa libération, il faut établir un rapport de force. Même ici, on peut échanger entre nous, mais ce n’est pas suffisant. Un rapport de force cela se créé dans la rue, cela se créé avec les gens, en aidant la conscience à émerger. Parce que les gens aujourd’hui, s’ils n’ont pas à manger, penses-tu qu’ils vont penser à l’indépendance ? Non, ils pensent à se nourrir d’abord. Le système est tellement fort qu’il t’empêche d’être avec l’autre pour penser à créer un rapport de force pour changer les choses. Sans un peuple qui est en marche, on ne pourra rien faire. Même sur la question de l’immigration. Je suis immigrante, je suis arrivée ici en 1973. Pourquoi je suis venu ici ? Parce qu’il y a eu un Coup d’État et une dictature militaire dans mon pays. Les sociétés minières canadiennes ont plus de 100 projets d’exploitations minières au Chili. Il y a aussi des projets hydro-électriques promus pas des sociétés canadiennes. Il y a des populations qui sont déplacées et il y a des gens qui luttent contre tous ces projets qui contaminent l’environnement. Individuellement, je peux bien essayer de dénoncer le Canada et ses entreprises, mais seule, je ne peux rien. Mais avec d’autres, on peut créer un rapport de force pour changer les choses.

J’aimerais terminer ma présentation avec un texte de Roger Martelli qui s’est beaucoup intéressé au communisme, à la France insoumise et à la gauche en général. Il a écrit ce texte dans Le Monde, au début de l’année, au mois de janvier 2024, en pensant à la montée de l’extrême-droite.  PM

« Ce ne fut pas seulement le refus du fascisme qui porta en avant le Front Populaire, mais aussi le pain, la paix, la liberté. Ce ne fut pas seulement la colère contre la droite qui dynamisa l’union de la gauche dans les années 1970, mais le mieux vivre et le « changer la vie ».  Contre les désastres du macronisme et le tsunami de l’extrême-droite au pouvoir, il n’y a pas d’autres façons de faire, que de jouer projet contre projet, en n’oubliant jamais qu’un projet politique a toujours deux faces: Le grand récit rassurant d’une société et la construction politique patiente qui peut seule s’inscrire dans la durée. Ni la gauche ne peut donc s’imaginer comme est tenté de le faire la France insoumise, que lui contredira la dynamique néfaste en se laissant aller au bruit et à la fureur, en se plaisant à la fuite en avant, en risquant la seule radicalité du verbe ou en se réfugiant dans on ne sait quel populisme, fut-il de gauche. Rassurer, donner confiance, rassembler le plus à gauche possible, le plus largement possible, rien ne peut se substituer à cette conjonction heureuse. »

Je trouve que ce texte fait bien voir les défis auxquels la gauche est confrontée. Pour moi, un projet politique installe une force qui prend appui sur beaucoup de gens et peu à peu grandit. Si on prend l’exemple du Québec qui dans les années 1960 et 1970 a développé un projet qu’on a appelé la Révolution tranquille, cela ne dépendait pas d’un seul homme tel que René Lévesque, mais parce qu’il y avait un peuple derrière lui et qu’il y avait partout dans la société des volontés de changements, dans les syndicats, dans les comités de citoyens, dans la santé, dans l’éducation, dans la construction des cégeps et des universités, il y avait un peuple en mouvement et ça a créé un rapport de force qui a permis de nationaliser l’électricité et créé Hydro-Québec. On a pu faire plein de choses parce qu’il y avait une force derrière les hommes politiques qui s’incarnait dans des valeurs et dans le projet politique du Parti Québécois. On peut le trouver pas assez radical, mais un projet politique s’inscrivait dans le réel. C’est de cela dont nous avons besoin, pas d’un rêve.

Il y a une partie de l’histoire que nous avons oubliée. La gauche a une histoire formidable qui a permis des avancés sociales extraordinaires. Il faut qu’on se donne les moyens d’entendre des idées qui nous fatiguent, et de développer des discours qui soient convaincants. C’est quelque chose de nouveau auquel nous ne sommes pas habitués parce que nous sommes dans une situation qui est complètement « désorientante » parce que tous nos points de repère traditionnels ont été bousculés. Il y a eu ce grand basculement du monde des années 1980 qui a changé toutes nos perspectives. Si on veut continuer à préserver ces idéaux d’égalité qui sont au cœur de l’approche de gauche et d’un humanisme d’une très grande richesse, il faut nécessairement se donner les moyens de retisser ce discours de gauche, de le reprendre, de le refaçonner. Pour cela, moi je suis contre les interdits, il faut que la parole se dise et que cela suscite des débats pour que peu à peu les choses changent, pour clarifier les choses en rappelant des éléments de base qui nous permettent peu à peu de reconstruire quelque chose pour aujourd’hui. PM

Je te remercie Pierre pour cette présentation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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