# 357 – Le militantisme des personnes noires au sein d’actions collectives antiracistes à Québec

Bonsoir, aujourd’hui nous avons le plaisir d’accueillir Vanessa Irakiza qui va nous livrer les résultats de ses recherches de maitrise en Travail social sur le militantisme des personnes noires au sein d’actions collectives antiracistes dans la ville de Québec. À toi la parole Vanessa.

Bonsoir, oui j’ai fait ce travail de mémoire sous la direction de Stéphanie Arseneault, professeure en Travail social. Mon mémoire est disponible sur le site web de l’Université Laval. Cela me fait plaisir de vous présenter ce mémoire dans le cadre communautaire des soirées mensuelles du CAPMO. Ma présentation est divisée en 6 points:

1) Contexte du projet de mémoire

2) Problématique

3) Méthodologie

4) Perspective théorique : Théorie critique de la race

5) Résultats et discussion

6) Période de discussion

Cela correspond au plan de mon mémoire. Je suis consciente que c’est très universitaire comme présentation, donc vous pourrez m’interrompre pour des questions d’éclaircissement si vous en ressentez le besoin. La problématique, c’est là où l’on contextualise pourquoi tu fais cette recherche et à quel enjeu tu t’attaques à travers ton projet? La méthodologie, c’est comment tu effectues la recherche ? Vanessa

Les perspectives théoriques, c’est l’outil qui te permet d’analyser les données que tu vas recueillir. Les résultats, c’est la section où tu mentionnes ce que tu as collecté sur le terrain. La discussion, consiste à utiliser ta théorie en comparant tes résultats avec les constats ou les hypothèses d’autres chercheurs sur le sujet.

Je remercie les participants à la recherche. Ceux-ci et celles-ci sont anonymisés afin de favoriser une plus grande liberté d’expression. Je leur ai demandé de ne pas se révéler et ma responsabilité éthique consiste à ne pas révéler leur identité. Je remercie tous les militant.e.s antiracistes à Québec. Je remercie aussi mes parents, ma sœur, qui m’ont soutenu tout au long de ma scolarité, sans jamais remettre en question mes choix. Je remercie aussi ma directrice Stéphanie Arsenault qui m’a bien épaulée dans ce mémoire, tout en me laissant aller à mon rythme pour le terminer.

  1. Contexte du projet de mémoire

Un long cheminement …

Automne 2018 : début de scolarité en travail social à l’UQAM (2e cycle)

Été 2021 : début de la recherche

Automne 2022: Collecte de données pour obtenir les informations nécessaires pour rédiger mon mémoire.

Août 2024 : dépôt final du mémoire

Cela représente pas mal de temps.

Le choix du sujet

Pertinence : Il y a peu de recherches scientifiques qui traitent de cette question.

Scientifique : Il y a peu d’écrits scientifiques sur ce sujet, le militantisme antiraciste en général. Pour la ville de Québec, il n’y avait rien. Même sur le racisme, il n’y a pas d’étude.

Sociale : Pour ce qui est de la pertinence sociale de cette recherche, je voulais que les participant.e.s se positionnent en tant qu’acteur.trice.s de changement et non pas en tant que simples victimes. Souvent, dans le milieu universitaire, lorsqu’on effectue des recherches qui portent sur des groupes minoritaires, on peut avoir tendance à les victimiser ou pathologiser (Zinn, 1979), sans prendre en compte que ce sont des personnes qui agissent contre les oppressions auxquelles elles peuvent être confrontées.

Disciplinaire : Travail social – discipline qui intègre des principes de justice sociale et de respect des diversités. Ces valeurs font parties de mon domaine.

Question de recherche : Comment le militantisme des personnes noires dans des actions collectives antiracistes au sein de la ville de Québec se manifeste-t-il ?

* C’est quoi pour toi une personne noire ?

Bonne question. Ma directrice m’a demandée de définir ce que j’entendais par « personne noire », et j’ai eu de la difficulté à la faire. J’ai choisi toute personne qui s’identifie comme telle. Je n’ai pas cherché à créer une forme de catégorisation. Dans le cadre de ma recherche, il y avait pas mal de personnes métisses parce qu’ils s’identifient comme des personnes noires.

Sous-objectifs de la recherche:

J’ai divisé ma question de recherche en trois sous-objectif.

1) Décrire le profil d’acteurs et actrices noir·e·s engagé·e·s dans ce militantisme.

2) Explorer les expériences de militantisme de personnes noires au sein d’actions collectives antiracistes dans le contexte social contemporain de la ville de Québec.

3 ) Comprendre la perception qu’ont les militant·e·s antiracistes noir·e·s de l’antiracisme tel qu’il se manifeste à Québec au sein d’actions collectives.

 

  1. Problématique

Ville de Québec – terrain de recherche

Territoire autochtone non cédé

Nionwentsïo: territoire traditionnel de la nation Wendat.

Territoire approprié et colonisé par les colons d’origine française à partir de 1608

Territoire approprié et colonisé par les britanniques à partir de 1763.

C’est toujours un territoire colonisé dont on espère la décolonisation un jour.

La Ville de Québec n’est pas un lieu de prédilection pour les populations noires.

Il y a 4,1% de la population qui est noire (21 955 personnes) et 9,4% de personnes racisées dans la région de Québec. La proportion est en augmentation rapide. C’est moins que la moyenne canadienne qui est d’environ 4.3%. Généralement, les populations issues de l’immigration se retrouvent surtout dans les grandes métropoles comme Toronto, Montréal et Vancouver. À Montréal, cette proportion est peut-être à 10%. Ces données proviennent du recensement de Statistique Canada de 2021 et ce sont les personnes elles-mêmes qui déterminent à quel groupe elles s’identifient.

 

Une présence historique des personnes noires depuis le début de l’époque coloniale

Olivier Le Jeune est arrivé en 1629 avec les Frères Kirk lors de leur occupation de Québec qui durera trois ans. Comme ce n’était qu’un enfant, il a été confié à Guillaume Couillard à leur départ.

Bourreau de Québec : Mathieu Léveillé au 18e siècle

Esclavage des personnes noires au Canada : ce n’est pas un vecteur économique important par rapport au reste des Amériques par ex. (source Webster, 2020)

Je vous conseille de faire le tour guidé de Webster qui est offert pendant la période estivale pour mieux comprendre la présence des noires dans la ville de Québec.

 

Le racisme anti-noir dans les politiques migratoires canadiennes

Je me réfère à la situation canadienne parce que malheureusement on manque de données par rapport à la situation au Québec et à Québec. Lorsque j’ai accès à des données qui proviennent de Québec ou du Québec, je les mentionne et parfois je ne mentionne que la situation canadienne.

Donc, le racisme anti-noir vise les personnes noires dans les politiques migratoires, dans les pratiques de profilages raciale de la police  et le système pénitentiaire.

Maynard a écrit un livre qui s’intitule : « Noirs sous surveillance ». Je m’y réfère souvent dans ce travail de recherche. Je vous conseille de le lire si vous vous intéressez à la question du racisme anti-noir.

Dans les politiques migratoires du Canada au 20ème siècle, on remarque des biais pour interdire l’entrée des gens de couleur au pays. Ces restrictions ne seront levées qu’en 1967. À noter que des restrictions demeurent surtout exprimées en termes économiques comme nouvelle forme de discrimination envers les populations du Sud global. Par exemple, en 1911, un décret ministériel interdit explicitement aux personnes noires d’immigrer au Canada sous prétexte que le climat leur serait préjudiciable. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, les politiques racistes sont levées. Actuellement, les politiques migratoires favorisent toujours les pays d’origine européenne ou à prédominance blanche.

 

Arrêté du 27 sept. 2024 Gouvernement du Québec

Un arrêté qui cible l’immigration permanente en provenance du Cameroun.

Le système de points que le gouvernement utilise généralement va favoriser l’immigration européenne et des pays à majorité blanche.

 

Le racisme anti-noir : profilage racial policier et système pénitentiaire

Profilage racial policier comme un outil qui sert à entraver la libre circulation des personnes noires, notamment dans l’espace public (Maynard, 2018). En 2020-2021, alors que la population noire représentait autour de 4 % de la population canadienne, elle représentait 9 % des personnes en situation de délinquance placées sous la juridiction du système pénitentiaire canadien (Ministère de la Justice du Canada, 2022).

Il y a quelques jours le Globe and Mail a publié un article incluant des statistiques pour la Ville de Québec concernant les interpellations aléatoires des voitures par le service de police. (Statistique qu’ils ont obtenues en ayant recours à la loi sur l’accès à l’information.) Quand tu es dans une voiture, tu peux te faire interpeler sans raison par la police. Alors que les personnes blanches représentent 90% de la population de la ville de Québec, elles n’ont été interpelées de manière aléatoire que 83% des fois. Ceci tend à confirmer l’existence d’un profilage raciale dans les interpellations effectuées par le service de police. Donc, quand tu es une personne noire, tu as 2 fois plus de chance d’être interpelée. Cette information n’a pas été reprise par les médias québécois francophones. Ce sont des organisations qui luttent contre le racisme qui ont partagé cette information du Globe and Mail et écrit un communiqué qui demande au maire Bruno Marchand de reconnaître l’existence du profilage raciale dans la ville de Québec, de documenter les interpellations policières selon l’origine ethnique et de commander une recherche indépendante sur les actions du SPVQ.

Racisme anti-noir dans le système éducatif et les services de protection de la jeunesse

Commission des droits de la personne et de la Jeunesse (2011) : une surveillance ciblée au sein du milieu scolaire, particulièrement des jeunes noir·e·s et des jeunes latino·e·s, qui mène à une surreprésentation des mesures disciplinaires chez les jeunes ciblé·e·s.

C’est le même lien que l’on peut faire avec les interpellations policières lorsqu’on conduit. Les enfants noirs et les jeunes noirs, ou bien latinos, sont plus surveillés dans les écoles, donc ils reçoivent davantage de mesures disciplinaires et aussi on les croit moins.

« Préjugés raciaux qui nient le droit à l’innocence des enfants noir.e.s » (Maynard, 2018).

Quand tu es un enfant noir, tu es perçu plus vieux que ton âge réel et, à cause de cela, on te croit responsable de tes actions. C’est comme si on t’enlevait le droit à l’innocence.

Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (2021): surreprésentation d’enfant.e.s noir.e.s au sein du système québécois de la DPJ (Direction de la protection de la jeunesse).

On observe le même phénomène pour les populations autochtones.

En ce moment, il y a une mobilisation pour lutter contre les préjugés racistes anti-noirs dans les écoles primaires et secondaires. Cette revendication est portée par le Service de référence en périnatalité pour les femmes immigrantes de Québec.

Mobilisation actuelle à Québec : comité de mobilisation pour des milieux scolaires sans racisme

Cette revendication vise à contrer l’intimidation fondée sur le racisme. Les écoles ont de la difficulté à reconnaitre la présence du racisme dans les milieux scolaires. Les militants antiracistes interpellent, à travers leurs différentes organisations, le protecteur national de l’élève qui fait défaut dans la prise en compte des plaintes en lien avec le racisme.

  1. MÉTHODOLOGIE

C’est ici que je vous explique comment j’ai collecté mes données.

* Recherche qualitative (Il existe deux types de recherche: La qualitative et la quantitative. Cette dernière s’appuie sur des chiffres, des sondages, etc., la seconde s’appuie davantage sur des entrevues, des corrélations d’événements, des chronologies.)

* Entretiens semi-dirigés avec 10 personnes noires adultes ayant participé, soit en tant que personne organisatrice ou simple participante, à des actions collectives antiracistes dans la ville de Québec de 2017 à 2022. (Entretiens semi-dirigés signifie réalisés à partir d’un questionnaire, même si à l’occasion je pouvais dévier de cette grille pour obtenir plus d’information détaillée sur un sujet précis.)

* Processus de recrutement : base volontaire, échantillonnage non probabiliste (n’utilise pas une liste exhaustive de personnes mobilisées dans ces actions à Québec desquelles j’aurais choisi au hasard 10 témoins).

* Analyse thématique ( Recherche les croisements entre les différentes entrevues qui révèlent des tendances, convergences, divergences, ou termes récurrents).

 

  1. PERSPECTIVE THÉORIQUE : THÉORIE CRITIQUE DE LA RACE

– Théorie qui est née aux États-Unis dans les années 1970 (Constance- Huggins, 2012 ; Delgado et

Stefancic, 2017)

* Figure précurseur : Derrick Bell, juriste afro-américain

* A ses fondements dans les Critical Legal Studies

* La loi n’est pas neutre ni objective : influence du patriarcat, capitalisme, racisme…

* Existence de rapports de pouvoir et d’oppression au sein des institutions légales et judiciaires.

C’est le cadre théorique que j’ai utilisé pour analyser les éléments que j’ai relevés dans les entrevues. La Théorie critique de la race est une théorie qui apparait aux États-Unis dans les années 1970. Je me réfère beaucoup à ces deux chercheurs lorsque j’aborde cette théorie dans mon mémoire. Je me réfère aussi à l’un des précurseurs de la théorie de la race, Derrick Bell, un juriste afro-américain.

Devant un juge, dépendamment qui tu es, cela va avoir une influence sur le verdict. Alors la loi n’est jamais neutre. Il faut remettre en question cette prétendue neutralité de la loi.

* Suprématie blanche/racisme (contexte nord-américain) comme système de domination qui traverse différentes institutions de la société́.

Par exemple, le patriarcat et le sexisme. Le premier est le grand système d’oppression d’où découle le sexisme. Pour la question de la racisation, l’idéologie de la suprématie blanche serait l’équivalent du patriarcat et le racisme qui en découle.

* Cadre théorique avec des méthodologies et des doctrines hétéroclites

Il n’y a pas une seule manière de faire la recherche ou de l’utiliser dans d’autres cadres en-dehors de la recherche. Cela va vraiment dépendre de ce qu’on décide de faire, mais j’ai relevé six principes qui guident l’utilisation de ces théories.

Six principes de la théorie critique de la race (Constance-Huggins, 2012 et Delgado et Stefancic, 2017)

* 1– Le racisme n’est pas un phénomène anormal, mais plutôt un phénomène ordinaire enraciné à l’intérieur même des structures de la société.

* 2 – Convergence des intérêts – Derrick Bell: C’est seulement lorsque les intérêts du groupe dominant convergent avec ceux des groupes dominés, en permettant de conserver les avantages matériels et psychiques du groupe dominant, que le groupe dominant est prêt à accepter des changements.

* 3 – La race n’est pas une réalité biologique ou génétique fixe, mais bien une construction sociale.

* 4 – Differential racialization / racialisation différenciée : L’appartenance à un groupe racialisé considéré comme dominant ou dominé évolue et change selon l’époque ou le contexte sociohistorique.

* 5 – Intersectionnalité (Crenshaw, 1991) : La TCR reconnait l’existence de plusieurs systèmes d’oppression, leur impact et leur enchevêtrement.

* 6 – Reconnaissance de la voix unique des personnes racisées : l’expérience de racisation et d’oppression place les personnes racialement marginalisées comme étant les mieux placées pour articuler la race et le racisme.

 

  1. RÉSULTATS ET DISCUSSION

Trois parties :

* Partie 1: Description du profil d’acteur·trice·s militant·e·s antiracistes dans la ville de Québec

* Partie 2: Exploration de la pratique militante antiraciste

* Partie 3 : Perception de l’impact du militantisme antiraciste dans la ville de Québec

 

Partie 1: Description du profil d’acteur·trice·s militant·e·s antiracistes dans la ville de Québec

Profil : « les couches les plus stabilisées » (Talpin et al., 2021, p.225) de leur communauté.

Établi.e.s depuis longtemps à Québec : deux personnes vivent à Québec depuis plus de 20 ans, cinq depuis plus de 10 ans et deux depuis moins de cinq ans.

9 /10 avec un diplôme d’études supérieures obtenu en Occident.

Stabilité professionnelle

8/10 des organisteur.trice.s

 

Le choix de s’engager :

* Expérience de racisme : « En ayant vécu ici plus de 20 ans, c’est des choses [expériences de racisme] que… j’ai déjà vécues. Donc, soit que je l’ai déjà vu, soit j’ai des ami·e·s qui ont vécu du racisme. C’est ce qui me pousse en fait à militer pour cette cause. » (Padouk) (Mémoire, p. 48)

* Pour les prochaines générations – pour que Québec « devienne une ville dans laquelle tous peuvent se sentir en sécurité […], parce que ce n’est pas le cas en ce moment. » (Tsuga) « […] créer un genre de monde meilleur pour les gens qui vont suivre. » (Bilimbi) (Mémoire, p. 49)

* Responsabilité d’agir en raison de leur identité en tant que personne noire: « […] quand tu es Noir, tu n’as pas le choix de t’impliquer » (Ebana). (Mémoire, p. 49)

* Padouk va même jusqu’à spécifier que « […] si on [personnes noires] ne le fait pas, personne ne le fera. » (Padouk). (Mémoire, p. 49)

* Contexte social – événements tragiques qui mobilisent : Assassinat de George Floyd en 2020.

D’autres facilitateurs à l’engagement

* Soutien de son réseau social : ami.e.s et famille

* un caractère fort

* ne pas craindre les répercussions négatives sur sa vie professionnelle

* « […] le privilège [rire] de ne pas avoir peur de représailles. Je peux m’exprimer librement. Donc, je le fais en fait. » (Mémoire, p. 50)

Obstacles à l’engagement militant antiraciste :

* La peur de représailles

* Une « charge mentale énorme » : charge de travail militant lourde à Québec« […] je pense que c’est difficile mentalement parce qu’on aide… en fait la lutte contre le racisme, elle ne peut pas déjà se résorber comme ça. C’est une lutte qui prend du temps et comme ça prend du temps, c’est fatigant» (Saule) (Mémoire, p. 55)

* Des organisations pas toujours accueillantes pour les femmes noires et les personnes queers

* Répartition genrée des tâches , prise de parole déséquilibrée et vécu de micro-agression

Discussion

* Lien entre l’expérience de discrimination et l’engagement : Szymanski et Lewis, 2014 ; Tambashe Kattako, 2022 ; Talpin et al., 2021 ; Gibson et Williams, 2019 ; Krueger et al., 2021 ; Szymanski, 2011, Ross et al., 2022.

* Processus de catégorisation raciale (Haney-López, 1994) : reconnaissance de l’expérience de racisme, non pas en tant que réalité́ individuelle et anodine, mais bien en tant qu’expérience collective et endémique.

 

Partie 2: Exploration de la pratique militante antiraciste

Action collective :

* « […] un agir-ensemble intentionnel, marqué par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert. Cet agir-ensemble se développe dans une logique de revendication, de défense d’un intérêt matériel ou d’une “cause” » (Neveu, 2019, p.9). (Mémoire,p.33)

* Un militantisme organisé par des organisations incorporées comme étant des organismes à but non

lucratif [OBNL] ou par des comités de travail dont les membres font partie de ces OBNL.

* Organisation mentionnée par les participant.e.s : le Collectif 1629, le Collectif de lutte et d’action contre le racisme [CLAR], la Ligue des droits et libertés section Québec, la Table du Mois de l’histoire des Noir·e·s, et la communauté burundaise de Québec.

Trois registres d’action :

* Registre d’actions socioculturelles qui visent la visibilité́ et la reconnaissance

* Registre d’actions de sensibilisation sur le racisme et la discrimination raciale

* Registre d’actions de protestation contre le racisme, la brutalité́ policière et le profilage racial.

Actions socioculturelles : est-ce du militantisme antiraciste ou pas?

* Ces actions « […] contribuent définitivement à la lutte.

* Moi je le vois comme des actions antiracistes. Je pense qu’il y a peut-être une vision politique qui est différente que dans les milieux qui se disent précisément antiracistes. » (Tsuga) (Mémoire, p. 59)

* Ebana : Pas vraiment, mais c’est à cause des orientations du financement gouvernemental.

 

Actions socioculturelles : compatibles avec le maintien d’un système qui perpétue le racisme

Derrick Bell : principe de la convergence des intérêts

Les actions du registre socioculturel semblent compatibles avec le « mythe national canadien de tolérance raciale » (Maynard, 2018) parce qu’elles participent au maintien d’une image positive d’ouverture et d’accueil à la diversité que des actions plus conflictuelles s’attaquant directement aux pratiques racistes (Mémoire, p. 80) .

 

Registre d’actions de sensibilisation sur le racisme et la discrimination raciale

—Objectif de visibilité, mais en abordant explicitement des enjeux liés au vécu de discrimination raciale.

—Communiqué de presse sur le profilage racial

—Fresque La vie des Noir-e-s comptent

—Participation à des comités d’équité diversité et inclusion [EDI]

 

Actions du registre de protestation (rassemblements, manifestations dans l’espace public)

Auto-imposition d’un certain décorum

Donc, on a commencé la marche et on cherchait déjà à calmer les gens. Je pense que… c’est important de montrer ses émotions, même si c’est des émotions de violence, mais c’est important de faire comprendre en fait les vraies émotions puis le ressenti…De parler d’émotions de colère, de haine, de désespoir tout en restant… comme… mais de… parler d’émotions… de désespoir, de colère… Et puis… de vouloir insister sur le fait de rester calme, de faire attention, de ne pas piller sur le gazon du voisin… de ça… au final, c’est comme si on ne fait pas de bruit. (Aralia) (Mémoire, p. 61)

* La littérature scientifique montre que la mobilisation des stéréotypes négatifs dans les médias à l’encontre des manifestant·e·s noir·e·s permet de délégitimiser les revendications visant à contrer le racisme et maintenir le système de domination racial (Leopold et Bell, 2017 ; Capurri, 2021 ; Banks, 2018).(Mémoire, p. 80).

* Davenport et al. (2011) et Peay et Camarillo (2021) : tactiques de répressions policières violentes de la part des services policiers à l’égard des manifestant.e.s noir.e.s.

 

Partie 3: Perception de l’impact du militantisme antiraciste dans la ville de Québec

Perception d’un militantisme qui a peu d’impacts :

Difficile de se faire entendre:

* Politique : « […] ils s’en fichent complètement. La ville de Québec s’en fiche complètement. » (Ebana)(Mémoire, p. 64)

* Sociétale : « […] la société québécoise ne veut pas se faire dire qu’elle a un défaut. Ils ne veulent pas vraiment accepter le racisme systémique. » (Bilimbi)

* Médiatique : Difficile d’avoir une couverture médiatique des actions par des personnes noires

* Nature endémique du racisme (Constance-Huggins, 2012): puisque le racisme est dans toutes les structures de la société, il peut paraitre comme étant invisible, particulièrement pour les personnes qui possèdent des privilèges raciaux, soit les personnes qui font partie du groupe racial dominant dans la société. Dans le contexte de la ville de Québec, la très grande majorité du racisme vécu par les personnes racisées reste difficile à reconnaitre par la population blanche, étant enraciné à l’intérieur même des pratiques sociales et institutionnelles. (Mémoire, p.79)

* Citation d’un.e participant.e à la la recherche : la Mairie de la ville adore le mot “diversité” adore le mot “vivre-ensemble”, mais est toujours un peu frileuse quand on veut parler directement de racisme ou bien quand il faut adresser des problèmes. (Mémoire, p.80).

 

Perception d’un militantisme qui a peu d’impacts :

* Un militantisme qui mobilise peu de personnes

* Pas beaucoup d’appuis

* Toujours les mêmes personnes impliquées

* Des moyens financiers et matériels insuffisants

* Financement : dons individuels ou/et subventions gouvernementales

* Manque d’espaces physiques communautaire dans la ville de Québec dédiés aux personnes noires (nuit à la capacité organisationnelle).

* Organisation antiraciste noire confinée à « une communauté́ virtuelle » selon Ebana

* Au moins on en parle :

* « […] au moins, je me dis aujourd’hui, on en [racisme] parle publiquement. C’est ça, peut-être, le changement que je vois » (Ebana) (Mémoire, p.68)

* Parfois il y a une couverture médiatique (éphémère)

 

Création d’une communauté solidaire

* Espace militant permettant de créer des liens

* Réappropriation d’une identité raciale noire

* Le militantisme antiraciste permet aussi « […] de briser l’isolement et permet la création d’espaces où on peut partager des stratégies de résistance et de guérison, mais également avoir du plaisir» (Tsuga). Consolide l’entraide communautaire : « […] je sais que ces personnes-là, si un jour j’ai un problème, je sais que je peux compter sur elle. » (Saule) Présence d’organisations antiracistes à Québec comme contribuant au sentiment de sécurité.

 

LIMITES DE LA RECHERCHE

* Généralisation des résultats est impossible et leur transférabilité est limitée (espace géographiquerestreint à la ville de Québec)

* Processus de recrutement : critères restrictifs

* Participant.e.s qui se censurent?

 

Pour lire la version intégrale de la recherche

Irakiza, V.(2024). Militantisme des personnes noires au sein d’actions collectives antiracistes dans la ville de Québec [Mémoire]. Université Laval.

 

Échanges avec le public :

* Il y a une quarantaine d’années environ, quand j’étais jeune adulte, j’avais un ami qui était noir et je l’ai amené visiter ma famille à Trois-Pistoles. Là je me suis aperçu qu’il y avait beaucoup de racisme. Il faut dire que les gens n’avaient jamais vu une personne noire. Il y avait aussi une famille qui était venue s’installer près de la maison où j’habitais à Montréal, mais ils ne sont pas restés longtemps parce que les gens ne les ont pas vraiment acceptés. Moi je les ai toujours acceptés. C’est intéressant de voir que la société a grandement évolué par rapport à cela. C’est heureux de voir qu’il y a de plus en plus de diversité.

Il y a aussi de plus en plus de personnes noires qui habitent en région. Cet été, j’ai fait le tour de la Gaspésie et j’ai été étonnée par la quantité de personnes noires qui y résident. Plusieurs sont installés à Rimouski à cause de l’université. Souvent, ils viennent en région pour les études, mais après ils quittent vers les grands centres parce que c’est trop difficile. Vanessa

* Depuis cinq ans environ, j’observe qu’il y a de plus en plus de diversité dans les petites villes et villages de Chaudière-Appalaches. Mon épouse a une collègue haïtienne qui couvre avec elle l’ensemble du territoire pour un organisme communautaire et après 3 ou 4 ans, elle dit qu’elle se sent bien accueillie partout où elle va. Bon ce n’est pas une donnée statistique évidemment. J’ai l’impression qu’il y a une corrélation entre le niveau d’éducation et d’ouverture aux autres cultures. Est-ce que je me trompe ?

Je ne pense pas. Si on observe la scène politique, les membres du gouvernements, ce sont des gens instruits, et pourtant, ils font preuve d’un racisme systémique en exprimant des préjugés envers les étrangers ou en prétendant que le manque de places en garderie, de logement ou les listes d’attente dans le systèmes de santé, seraient de la faute des immigrants. Souvent, on n’a tendance à percevoir que le racisme frontal, des insultes adressées à des personnes en raison de la couleur de leur peau, mais, selon mon expérience, le racisme implicite qui est perpétué par des personnes en situation de pouvoir, en contexte de travail, administratif ou de politiques, c’est beaucoup plus violent. Vanessa

* Comment peut-on améliorer les conditions du militantisme noir à Québec, considérant les coupures du gouvernement dans l’aide à la francisation, la délivrance des Certificats de sélection du Québec, ou l’obtention de la résidence permanente?

J’ai l’impression qu’on est toujours en réaction. Si je m’intéresse au militantisme antiraciste des personnes noires, il y a présentement une mobilisation pour des milieux scolaires sans racisme, une autre contre le profilage racial, et nous allons ajouter une mobilisation contre les politiques racistes qui sont en train d’être promulguées. Je n’ai pas beaucoup d’espoir en ce moment sur notre capacité à pouvoir gérer autant de luttes. C’est pour cela qu’il est important d’avoir des alliées et des personnes différentes de nous qui osent mettre de l’avant des revendications antiracistes parce que si cela ne repose que sur les épaules des personnes noires ou racisées en général, c’est trop. Déjà nous vivons les répercussions négatives du racisme et de l’oppression. Si en plus toute la lutte repose sur nous, cela représente une charge mentale énorme. Mais aussi, il faut que les alliés soient à l’écoute des personnes qui vivent le racisme.  Vanessa

* Cette semaine, j’ai assistée à un spectacle interculturel au Palais Montcalm organisé par R.I.R.E. 2000. La salle était remplie, environ moitié de blancs et moitié métissés. Il y avait des Cubains, des Congolais, des Arabes, c’était une féérie de couleurs, de danses, de chants, c’était envoutant. Je fais la distinction entre le culturel et le politique.

Comment est-ce que cela t’a sensibilisé à la lutte contre le racisme? Vanessa

* Je n’ai pas été sensibilisé, j’étais dedans, je vivais une expérience immersive. Il y avait des gens de tous les âges.

Ces événements sont quand même importants dans la mesure ils s’adressent à tous et à toutes. Ma critique, c’est que c’est le genre d’événements que les gouvernements préfèrent financer. Ce serait bien d’avoir des subventions qui permettent de faire vivre des organisations antiracistes. En fait, la dépendance au financement public des groupes de défense collective des droits peut entraver leurs moyens d’action au sens qu’ils doivent demeurer dans le cadre de la loi pour conserver leur financement. Cela implique aussi de présenter des projets de recherche ou d’intervention qui correspondent aux critères externes du gouvernement et non selon les besoins du groupe. Pourquoi l’action militante est-elle confinée à une certaine manière de faire ? Par exemple, les OBNL doivent avoir une assurance responsabilité civile pour des manifestations. Est-ce qu’on peut organiser notre militantisme autrement en collectivisant ce que nous avons plutôt que de dépendre des financements publics? Nous devrions aussi réfléchir à nos méthodes de militance. Dans certaines actions militantes, on paie un groupe de musique pour jouer au début de la manifestation. Je me suis questionnée : Pourquoi est-ce que c’était nécessaire ? Cela fait en sorte que tu es obligé d’avoir du financement pour organiser une manifestation. Cela nous oblige à cadrer avec un certain nombre d’exigences légales. Si ces personnes ne sont pas prêtes à le faire de manière bénévole pour une cause, ce ne sont peut-être pas les bonnes personnes à inviter. Même chose pour nos rencontres, on n’est pas obligé de le faire dans un local qu’on loue et qu’on paie, on pourrait le faire dans nos appartements. Sauf qu’en même temps, les conditions socio-économiques des personnes noires, souvent ne permettent pas d’avoir des espaces disponibles. J’ai peur que nous commencions à adopter une forme de bureaucratie dans notre militantisme qui deviendrait notre travail. Cela peut reproduire des schémas que l’on retrouve dans nos milieux de travail. Vanessa

* Ce sont les personnes qui vivent l’expérience du racisme qui sont les mieux placées pour nous informer sur ce phénomène. Nous devons entendre ce qu’elles ont à nous dire sur cette réalité qui est une forme grave d’oppression que nous ne vivons pas au quotidien.

 

Propos recueillis par Yves Carrier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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