#356 – L’aventure fraternelle des Capucins dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste

Un christianisme social tout terrain

Bonsoir, je m’appelle Yves Carrier, coordonnateur au CAPMO, le Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert, connu autrefois sous l’acronyme CAPMO, Carrefour d’animation pastorale en monde ouvrier. Depuis 1975 que le CAPMO roule sa bosse, dans toutes sortes d’activités et de comités, il semble ne pas y avoir de limite à notre imagination comme vous savez. Dans le cadre du 50ème anniversaire de fondation qui approche, nous avons décidé de célébrer cela pendant une année et nous souhaitions souligner l’importance des fondateurs et de tout ce qui s’est fait au CAPMO.

Paul-Yvon Blanchette a exhumé un manuscrit, non pas de la Mer morte, mais de l’auteur et historien Claude Auger, et il nous a invité Gérald Doré et moi, à former un comité d’édition. En gros le manuscrit était écrit, nous avons mis l’emballage autour et le CAPMO s’est transformé en maison d’édition pour ce court moment.

Successivement nous allons avoir deux tablées de personnes qui vont venir s’entretenir avec vous. Nous avons Luc Bertrand, Paul-Yvon Blanchette, Jean Piché et Claude Auger pour ce qui est de la première vague, ensuite nous auront Robert Lapointe, Rachel Genest, Louis Cinq-Mars. Je cède la parole à Paul-Yvon.

– C’est à mon tour de vous souhaiter la bienvenue. On m’a demandé d’écrire l’avant-propos. Je vais vous le résumer. Le frère Luc Dion du Monastère des Capucins à Limoilou nous a téléphoné à l’automne 2019 pour nous informer que sa communauté aimerait résumer l’expérience qui a été vécue par les frères dans le quartier Saint-Jean-Baptiste de 1971 à 1988. Cela s’inspire d’un écrit qui a été fait par l’auteur Claude Auger sur une expérience des Capucins dans la région de Hull, de 1967 à 2014. Alors, Claude débute sa rechercher et sa rédaction et il remet environ la moitié du livre aux Capucins.

En même temps, il y a trois projets de livre à Québec qui concerne la mémoire du christianisme social, celui de Jacques Archibald et celui des Chrétiens engagés pour le changement social dans la Basse-Ville de Québec. Toujours est-il que cela a pris 5 ans entre un souhait exprimé par Luc Dion et la parution de ce livre à l’automne 2024. Entre temps, quelques personnes ont été contactées par le Centre Justice et Foi de Montréal, pour un projet de recherche sur le christianisme social. Puis, arrive la pandémie, Dieu merci, nous avons eu le temps d’écrire.

En juin 2022, je croise Gérald Doré au brunch du CAPMO. Il me demande ce qu’il advient de cette histoire des Capucins que nous avions commencée en fournissant des archives ? « Sais-tu où c’est rendu ? » Alors j’appelle les Capucins à Limoilou, à la Maison provinciale à Pointe-aux-Trembles, pour m’informer. Moi, mon domaine d’expertise, c’est la construction, alors les liens sont un peu différents. Puis, avec Gérald, nous avons rencontré Louis Cinq-Mars qui nous a dit que la communauté des capucins avait renoncé au projet de publier ce récit. « On est passé à autre chose. Mais si vous êtes intéressés, on peut parler avec les responsables de la communauté. Puis, si vous avez l’autorisation, vous pourrez vous rendre jusqu’à l’édition. » C’est ce que nous avons fait. La surprise, c’est quand Claude Auger nous a envoyé un manuscrit complet de 167 pages, fait par un historien avec toutes les notes de bas de page et la bibliographie. On était content, le plus gros du travail était fait.

On le remercie parce qu’il a traduit cinq belles facettes de la vie des Capucins dans Saint-Jean-Baptiste. La première relate comment les petites communautés ont pu se créer, comment elles ont vécu, et les défis qu’elles ont rencontrées; le deuxième récit s’attarde au jeûne du Pavillon Saint-Dominique. Pour certains, cela fut un traumatisme, pour d’autres, ce fut le début d’une vie engagée; le troisième s’intéresse aux aventures de Benoit Fortin avec Jean-Paul Asselin et d’autres, dans la syndicalisation du Québec Hilton, dont Robert Lapointe fut l’un des témoins. Ne pas oublier l’histoire de la dinde, juger en Cour suprême du Canada par le juge Pigeon. – L’humour piquant de Benoit Fortin à son meilleur. –  La quatrième expérience traite de la Maison d’Entre-aide l’Arc-en-ciel qui vient en aide aux hommes dépendants de l’alcool et des drogues. C’est situé à un coin de rue du Carrefour Cardijn sur la rue du roi. Le capucin Claude Lavoie est l’un des fondateurs. La dernière expérience, que j’ai moins connue, c’est celle du Café chrétien. Après cela on parle encore des petites fraternités, le tout se termine par un article de la revue Relations écrit par le père Jacques Bélanger et l’un de ses confrères : « Que reste-il de nos solidarités ? » Il faut au moins lire ça. C’est de toute beauté.

En lisant le livre, vous vous direz sûrement qu’il manque des choses, mais pour paraphraser l’évangéliste saint Jean : « Il y a encore beaucoup d’autres chose qu’ont fait les Capucins, et si on les mettait par écrit, tous les livres de la Terre n’y suffiraient pas. » Vous voyez, si on rallonge un livre, il va être plus long, il va être plus coûteux, il va être plus long à produire et lorsqu’il sortira, on aura peut-être plus la santé ou la vie pour le lire. Il y a deux et ans et demi, nous lancions ici le livre : « Foi chrétienne et engagement social, solidarité et espérance à Québec ». Mon épouse a alors dit : « Si vous pensez qu’il manque quelque chose, c’est à vous de prendre le relais. » Je passe la parole à Jean Piché.

– Qu’est-ce que je pourrais dire de plus après que Paul-Yvon ait dit tout cela ?  D’ailleurs, je me suis demandé pourquoi il fallait faire une préface après un avant-propos ? Mais j’étais très content quand on m’a demandé d’écrire la préface du livre parce que je trouvais que les contacts que j’avais eus avec les Capucins au cours de ces années, avaient été inspirants et marquants. Je vous fais deux ou trois petites remarques au fond. La première chose, c’est qu’il est important de se dire que l’arrivée des Capucins dans Saint-Jean-Baptiste faisait partie de ce grand mouvement, à partir des années 1960, de religieux et davantage de religieuses, qui ont quitté leurs grands couvents et qui sont allés vivre la vie des gens des quartiers populaires, des quartiers ouvriers de nos villes. D’abord, nous avons entendu parler de Jacques Couture, le jésuite à Montréal, il y a eu les Fils de la Charité, Robert Sylvain et Évariste Lessard dans Saint-Malo, etc.

Ce fut donc un grand mouvement où pendant plusieurs années, les membres des communautés religieuses se sont dits : « Si on veut que cela soit vrai, notre vocation de partager la vie des personnes plus démunies, ou de celles qui essaient de vivre la solidarité, que leur dignité soit respectée et tout ça, on ne se contentera pas d’en parler, on va aller partager cette vie là en habitant avec eux dans les quartiers. » Le chapitre n’est pas terminé, mais il faut se dire que le nombre de ceux et de celles qui continuent à l’écrire est pas mal moins nombreux. Mais il y a encore une petite communauté de religieuses de Marie dans Saint-Roch, et sans doute d’autres ailleurs à Québec et dans la province. C’est certains qu’avec la diminution des effectifs religieux et le vieillissement, c’est devenu plus difficile. Ça a été une période qui a apporté un témoignage très important de ce que c’est la vie religieuse et de ce que signifie la solidarité avec les gens des quartiers populaires. C’est pour cela que les Capucins sont venus chez-nous.

Naturellement, cela coïncide avec la fondation du CAPMO où des personnes d’horizons un peu différents, avaient comme dénominateur commun de vouloir vivre la solidarité dans les quartiers populaires et avec les ouvriers. Il y avait des gens qui travaillaient en Action catholique ouvrière, nous avons nommé Jacques Archibald, qui a été l’un des initiateurs du CAPMO. Il y avait des prêtres en quartier, sans être des prêtres ouvriers. Il y avait quelques prêtres de paroisse, et des gens engagés dans l’Action catholique. Ces gens se réunissaient assez régulièrement pour se partager ce qu’ils vivaient, se stimuler et se questionner les uns les autres.

À l’époque, j’étais à la paroisse Saint-Malo et quand on se réunissait, nous les prêtres de paroisse, on essayait de dire qu’on vivait en solidarité avec les travailleurs et les travailleuses, mais on se faisait pas mal questionner par les capucins. Tout de même, ils étaient compréhensifs. Ils voyaient que nous faisions notre possible, mais leur façon de vivre et de s’engager nous invitait à nous questionner. Parce qu’au fond, en tant que prêtre de paroisse, j’ai une place plus valorisée dans le quartier ouvrier où j’habite, mais est-ce que je me sers de cette mission pour essayer de susciter des solidarités et une amélioration des conditions de vie ouvrières ?

Les prêtres ouvriers nous amenaient à nous laisser questionner et déranger dans certaines de nos façons de faire. Naturellement, ceux dont je me souviens le plus, c’est Benoit Fortin, Bernard Lemelin et Jacques Bélanger. En lisant le livre, j’ai découvert ce grand nombre de frères qui sont passés dans le quartier, certains pour peu de temps, d’autres plus longtemps. Ils se questionnaient sur leur place au sein de leur communauté religieuse et dans la société. Tout cela faisait une vie où cela bougeait et où ils essayaient d’aller de l’avant ensemble. C’est très intéressant de voir toute cette vitalité qui est racontée dans le livre. Dans tout ce qui a été suscité ou encouragé par les Capucins, il y a encore des réalités qui sont bien vivantes. Entre autre, la syndicalisation dans les milieux ouvriers, dans l’hôtellerie, et la Maison l’Arc-en-ciel; d’autres qui ne sont plus vivantes sous leur nom d’origine, comme le Centre Encuentro, la Bâtarde ou autres, mais qui ont laissé des traces dans la vie de nombreuses personnes.

Je conclurais avec la question : Dans les années à venir, pour ceux et celles qui s’identifient comme chrétiens et chrétiennes, comment allons nous garder vivant ce soucis dans les quartiers où nous vivons de maintenir le lien entre foi chrétienne et engagement pour la justice? Comment s’assurer que ce souci se transmettre aux autres générations ? Cela reste une question ouverte, mais cela n’enlève en rien l’importance et la beauté de ce que les Capucins ont vécu. Merci.

– C’est au tour de Claude Auger de prendre la parole.

– Comme auteur, cela fait toujours plaisir d’avoir le résultat de son travail entre les mains. J’ai eu ce grand bonheur de voir le manuscrit ressuscité. Plusieurs choses ont été dites par rapport à cela, mais il est vrai que tout cela est parti d’une commande bien précise qui était de faire l’histoire de la fraternité des Capucins à Hull. C’était spécial parce qu’ils étaient venus à la demande de l’évêque du diocèse de Hull, fondé en 1963 au moment où le Concile Vatican II s’ouvrait. Alors Mgr Charbonneau avait décidé que ce nouveau diocèse ferait les choses autrement. Il avait demandé aux Capucins et aux Petites Sœurs de l’Assomption de venir. Ils sont allés dans deux quartiers différents pour être près des gens. Les Capucins, contrairement à la plupart de leurs implantations précédentes, ne faisaient pas d’abord de la pastorale, mais pour vivre au milieu des gens. Une fois que l’aventure du livre de Hull s’est terminée, on s’est dit que ce serait bien d’en écrire un autre sur une aventure similaire, mais différente, celle du Faubourg Saint-Jean-Baptiste à Québec où les Capucins ont voulu s’établir. Cette fois, ce sont eux qui ont décidé de s’établir au milieu des gens pour partager leur vie de quartier. Ce qui est intéressant, c’est que cela a évolué parce qu’à un moment donné, c’est devenu également un lieu de formation des jeunes capucins.

Alors les jeunes qui rentraient comme novices, passaient du temps dans la fraternité du faubourg, et c’est comme cela que j’ai connu des jeunes capucins dont Denis Gilbert, l’un de ceux qui est passé par là. Denis qui nous a quittés trop rapidement en 2016. Étant originaire de Québec, j’ai aussi fréquenté dans ma jeunesse le Café chrétien, alors j’avais déjà une sensibilité avec le sujet. Pour moi, c’était significatif de pouvoir reprendre cette histoire qui me touchait personnellement dans certains points et qui m’a ouvert à bien des réalités.

Les deux livres, comme bien d’autres qui ont été publié depuis quelques années, permettent de découvrir cette facette moins explorée, moins connue, de notre histoire qui est l’apport social des religieux et religieuses. On parlait de la formation, il est intéressant de voir que même dans des congrégations qui n’avaient pas nécessairement pour but de se faire proches des gens, elles ont décidé de sortir de leurs murs et de se former ailleurs. J’ai un exemple devant les yeux, sœur Suzanne Allard, des Sœurs de l’Assomption de la Sainte Vierge, qui pendant huit ans a été responsable de leur communauté de formation des postulantes et novices, ici dans le quartier Limoilou. C’est un autre exemple qui démontre comment les religieux et les religieuses s’inséraient dans la vie de notre société, de notre Église, sans faire de bruit, mais avec des résultats qui dans certains cas ont duré.

Je tiens d’abord à remercier les Capucins qui m’ont invité à écrire ces deux livres. Particulièrement le frère Luc Dion qui malheureusement ne peut pas se joindre à nous, ainsi que le frère Louis et le frère Benny son successeur et les différents provinciaux qui m’ont tous appuyé avec leur équipe tout au long de la recherche et de l’écriture. Également, tous les Capucins, ex-capucins et amis des capucins, qui ont témoigné, dont certains vont parler à ma suite. Ça a été un très riche apport de pouvoir faire de l’histoire non pas seulement à partir de documents, mais également du vécu des gens, de ce qu’ils ont retenu, certains ont même couché par écrit leurs souvenirs. Pour un historien, c’est extrêmement précieux.

On a mentionné tout à l’heure, le nom du père Jean-Paul Asselin, un religieux de Sainte-Croix qui est maintenant à la maison de retraite à Montréal. Il possède une archive unique au Québec sur les prêtres ouvriers. C’est une ressource à laquelle j’ai eu accès. J’espère que lorsqu’il nous quittera, on pourra faire quelque chose avec ces archives parce qu’il y a vraiment des trésors là-dedans. On remonte dans l’histoire jusqu’aux premiers religieux ouvriers qui étaient des religieuses. Ce sont les Petites Sœurs du Père de Foucault qui sont arrivés à Montréal au début de la décennie 1950. Alors, il y a tout un pan de l’histoire qui reste encore à explorer.

Je tiens aussi à remercier le trio : Gérald Doré, Paul-Yvon Blanchette et Yves Carrier. Sans votre travail, le manuscrit serait encore sur les tablettes. Pour un auteur, c’est vraiment un beau cadeau. Félicitation et longue vie au CAPMO pour un monde de plus en plus ouvert.

* Nous allons y aller avec notre second panel composé de Rachel Genest, Robert Lapointe, Louis Cinq-Mars et Luc Bertrand. Paul-Yvon va vous les présenter tour à tour.

* Comme adeptes de l’éducation populaire, nous profitons de l’occasion du lancement de ce livre, pour vous faire entendre des témoins directs. Nous allons commencer par Luc Bertrand qui à l’époque était novice chez les Capucins. Avec la JOC de Québec, ils ont entrepris un jeûne pour soutenir les jeunes hommes et femmes qui voulaient se syndiquer au Pavillon Saint-Dominique, une résidence de religieuses retraitées administrées par les Dominicaines. Luc que peux-tu nous raconter de cette expérience?

– Bonjour tout le monde, je suis associé au jeûne de soutien aux travailleurs et travailleuses du Pavillon Saint-Dominique. C’est une vraie torture de parler de choses aussi fondamentales en cinq minutes. Pour commencer, je suis allé visiter Jacques Bélanger et Luc Dion qui étaient présents à cette époque à Québec. Jacques est quelqu’un qui a mis beaucoup de spiritualité, qui a appris aux gens à lire le quotidien et à identifier comment le Dieu vivant pouvait leur parler. Vous savez qu’il a été victime d’un AVC, il ne peut pas beaucoup parler, il ne lit plus, il n’écrit plus, il parle doucement. Je lui ai demandé : « Est-ce que tu fais quelque chose ? Est-ce que tu chantes au moins ? » Il m’a dit oui et il m’a chanté une petite chanson. J’étais allé le voir pour le saluer parce que cela faisait longtemps que je ne l’avait vu. Je voulais aussi prendre son immense câlin et vous l’apporter à tous les gens qui sont ici aujourd’hui.

Si vous lisez le livre, vous aller voir que c’était vraiment une personne qui avait le souci d’ouvrir les autres à la dimension spirituelle. C’est avec lui, André Doyon et Auguste Fortin, que nous avons démarré la fraternité de Saint-Olivier. Il en était le cœur chaud et je voulais que, même si Jacques n’est pas physiquement présent, il soit là avec vous et je vous livre son accolade chaleureuse.

Ensuite, j’en ai profité pour saluer Luc Dion qui vit dans la même résidence et il vous félicite pour le CAPMO auquel il a été associé à une certaine époque. C’est lui qui a aidé à collecter la pille d’archives pour que Claude puisse avoir de la matière sur laquelle travailler. Claude en a fait de la musique, un document formidable qui m’a plongé dans cette époque avec tellement de détails et de choses intéressantes. Il a aussi réussi à ramasser le sentiment d’une explosion à la fin de l’expérience. Nous étions à l’origine d’une petite fraternité, mais nous nous sommes aperçus que cela a fini par devenir un mouvement assez important que nous n’avions pas imaginé. On se voyait comme les Récollets qui sont venus faire quelque chose et qu’après un certain temps, les gens allaient nous oublier. Ça c’était mon premier point.

Deuxième point, j’ai beaucoup aimé le livre. Ça m’a permis de me retrouver. Quand je l’ai lu, j’ai réalisé qu’il manquait du monde parce que nous avons fait quelque chose en appui aux gens de Saint-Dominique. Dans les vingt pages qui étaient consacrées au jeûne, l’essentiel pour moi était de pouvoir retrouver ces gens là. Où est-ce qu’ils sont aujourd’hui ? Que sont-ils devenus ? Quel a été leur vécu après ? Malheureusement, pour nous, ce jeûne a été un échec. On souhaitait que ces gens puissent rentrer au travail et vivre leur vie de travailleur dans la dignité. Mais nous avons frappé un mur dont je tairai le nom. Par contre, après ça, nous avons continué à travailler dans le quartier Saint-Jean-Baptiste et nous avons créé avec d’autres personnes, la Bâtarde. Cette maison de campagne pour les jeunes de la ville était animée par des gens formidables.

Je vais nommer trois personnes qui sont dans la salle et qui ont été extraordinaires: Denis Fraser, un travailleur acharné, un homme qui connait la forêt, il y a aussi Pierre et Hélène qui étaient  aussi des animateurs.

L’histoire de Saint-Dominique, c’est une gang, c’est à la fois un groupe de travailleurs qui étaient sur le trottoir et des gens de la JOC qui se disaient : « Si on veut être sérieux, il faut qu’on fasse quelque chose. Pour Saint-Dominique, il faudrait faire quelque chose de spécial parce qu’on se dit de l’Action catholique, mais les patrons c’est l’Église. Il faudrait qu’on fasse bouger ça. » L’idée du jeûne est venue des idées de la Théologie de la libération de l’Amérique latine, il y avait des gens qui disaient que là-bas ils se servaient des jeûnes comme outil de revendication et de conscientisation très pertinent et que nous devrions l’essayer ici à Québec.» Il y avait des prêtres comme Jean-Louis Laflamme qui appuyait des travailleurs dans la Beauce. Il y avait aussi Jean-Paul Asselin et d’autres. Alors nous avons décidé de faire un jeûne. Nous sommes partis un soir et nous avons planté notre tente sur le terrain du Pavillon Saint-Dominique. Après ça la police est venue nous évincer parce que les sœurs n’aimaient pas ça. Nous sommes allés planter notre tente ailleurs. Finalement, les Jésuites nous ont offert d’aller chez-eux. J’étais peut-être celui qui a été là pendant les 22 jours, mais il y avait tout un monde autour. Je suis très heureux que beaucoup de gens soient présents ici ce soir.

Une dernière chose, je suis aussi allé visiter la Fraternité de la paix de l’au-delà dans laquelle il y a Benoit Fortin, Bernard Lemelin, Auguste Fortin, Jean-Guy Gauthier, plein de monde que j’ai vu dans le livre avec des petites croix à côté. Je me suis dit : « Ah non, ce n’est pas vrai, ils sont décédés. » Alors, j’ai pris du temps pour compléter la boucle. Il y a eu cette explosion des fraternités, mais il y a celle-là qui ne cesse de croître, la fraternité de ceux qui sont passés de l’autre côté, mais qui sont toujours là. On pense à eux régulièrement.

Bernard Lemelin m’a tellement appris de choses. Quand on faisait le jeûne, il me disait : « Moi, j’ai vécu en Inde, voici ce que le Mahatma Gandhi dit par rapport au jeûne. » Nous avons partagé beaucoup de choses en vivant ensemble cette expérience. Donc, j’ai été très heureux de recevoir l’appel de Paul-Yvon pour participer à ce lancement. J’espère que vous allez avoir autant de plaisir que moi à lire ce livre. J’ai aussi lu l’autre livre sur les Capucins de Hull écrit par Claude Auger et j’étais tellement intéressé que j’ai manqué mon arrêt d’autobus pour me rendre au travail. Tout cela pour dire que ce qui est dans ce livre, c’est un témoignage, mais en réalité, vous êtes de tous ceux et celles qui ont soutenu cette expérience. Vous êtes ceux et celles qui permettez de vivre cette solidarité et j’espère qu’on sera capable de trouver les mots pour partager cela avec les autres générations. Marie-Claire Nadeau qui était à la JOC à l’époque, travaille à la réalisation d’un documentaire pour partager aux autres générations ces expériences de solidarité que nous avons partagées. Je vous remercie.

Deuxième témoin, c’est Robert Lapointe qui a l’avantage d’avoir connu Benoit et Jean-Paul au Québec Hilton. Toi aussi tu as cinq minutes et tu nous donnes l’essentiel de ce que tu as vécu. Paul-Yvon

– « Hilton sur la ville comme il tonne dans mon cœur !

Quelle est cette lourdeur triste et monotone ?

Les lourds sanglots du Hilton berce mon cœur d’une lourdeur monotone. »

C’est un poème qui traduit un peu ce que je ressentais quand j’étais au Hilton.

D’abord, je n’avais pas envie d’aller travailler. « La paresse, c’est la plus belle de mes qualités », c’est ce que j’ai dit à mes patrons. Ils ne me croyaient pas, mais ce n’est pas grave. Alors, quand le chômage m’envoie un ordre de me présenter à certains endroits pour me trouver du travail, je me suis dit que j’allais faire le tour des hôtels. Le premier où j’arrête, c’est au Hilton. Ils m’engagent tout de suite et ils veulent que je débute dans une demi-heure. J’ai refusé et j’ai commencé le lendemain. On m’engageait pour laver des chaudrons. J’en aie tu lavé des chaudrons ?

Parmi mes tâches, il fallait que j’aille chercher les commandes au magasin. Là, il y avait une cave à vin dont Benoit Fortin avait la responsabilité et Jean-Paul Asselin, un autre numéro. Tout de suite, Benoit a vu qui j’étais, et il m’a demandé d’entrer dans le syndicat. Ils savaient que je venais du Parti communiste, que j’avais fait des séjours en prison pour avoir participé à des manifestations. Il ne me manquait que le couteau entre les dents.

Finalement, ça ne me tentait pas. Je voulais être tranquille pour un bout de temps. Le Parti communiste me harcelait, la GRC voulait que je devienne leur indicateur, alors cela ne me tentait pas. Hélas, je suis tombé amoureux d’une Marocaine qui m’a invité à une assemblée syndicale. Là, elle lève la main et me propose comme secrétaire du syndicat. Ça a duré 10 ans. Après cela, j’en voulais davantage, alors je me suis retrouvé au Conseil central de Québec avec Emilia Castro, à la solidarité internationale et à l’action régionale. Pendant ce temps, j’étais tombé amoureux d’une autre femme, une ancienne du MIR, la gauche révolutionnaire au Chili. Alors elle m’a invité à une soirée où il y avait beaucoup de Chiliens. Je suis sorti de là président du Comité d’action Chili-Québec.

J’observais ce que Benoit faisait. Je trouvais que cela s’apparentait beaucoup à des activités de camarades communistes. Unir les gens de différentes nationalités, qui est-ce qui a construit le syndicat? Des prêtres et une religieuse ouvrière, dont je n’ai jamais connu l’identité; ensuite, il y avait des enfants de Duplessis qui se sont impliqués dans le syndicat et qui ont travaillé très fort; il y avait aussi des immigrantes, chiliennes et marocaines – C’est pour accueillir les réfugiés chiliens qu’avait été fondé le Centre Encuentro par Benoit Fortin -; et un ou deux intellectuels pour compléter le tout et mettre des beaux mots là-dessus.

Le travail réalisé par ce syndicat a abouti à quelque chose d’extraordinaire. En 1970-1975, s’il y avait un secteur qui était mal syndiqué, c’était la restauration et les hôtels. C’était terrible. Les conditions de travail étaient complètement folles. Ça n’avait pas de sens. Tu rentrais le matin sans savoir à quelle heure tu terminais. C’était l’un des meilleurs syndicats à l’époque et peut-être encore aujourd’hui. Tout le secteur de l’hôtellerie au Québec a été syndiqué à partir de ce modèle et sa façon à travailler ensemble, tous les syndicats travaillent ensemble pour avoir de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires, etc. Ça a marché. Ici, on peut dire qu’il y a eu une victoire et elle se poursuit. Ils demeurent très actifs, même si les patrons de l’hôtel Pur ne veulent rien comprendre ici dans le quartier Saint-Roch. Nous aussi avons connu cela, nous sommes restés neuf mois en lock out. Alors, le travail qu’on fait ces prêtres ouvriers, des vrais communistes, je vous le jure, a été un très grand succès et mérite le respect de tout le monde. Merci

– Maintenant nous allons entendre Mme Rachel Genest, directrice générale de la Maison l’Arc-en-ciel, située sur la rue du Parvis dans le quartier Saint-Roch. PY

– Bonjour, ça va super bien à l’Arc-en-ciel, pour ceux et celles qui écoutent les informations, nous étions à la radio et à la télévision hier. Cela fait dix ans que je travaille à l’Arc-en-ciel. J’ai l’air toute jeune, mais j’ai 33 ans, je suis arrivée à l’Arc-en-ciel à 23 ans. Je travaille avec une gang d’alcooliques et de toxicomanes, mais ça toujours été mon monde. Notre mission est d’accueillir les gens chaleureusement et il faut vraiment les accompagner. Ça a toujours été comme ça. C’est tout petit, c’est situé au cœur du quartier, et nous pouvons accueillir un maximum de 10 hommes à la fois. On veut que cela reste comme ça.

J’ai lu dans le livre que le père Lavoie, qui a fondé l’Arc-en-ciel, est arrivé d’Inde en 1979 et il a vu qu’il y avait un gros manque dans Saint-Roch en ce qui concerne les personnes alcooliques et toxicomanes les plus démunis. Il a réussi à fonder une maison de thérapie avec tout ce que cela implique. Il parle des plans pour la maison de Charlesbourg, je les ai encore dans mon bureau. J’ai tous ses croquis à la main, nous avons gardé beaucoup de choses. Il a fini par acheter une maison qui est encore là, que nous sommes en train de rénover, qui est super populaire et qui aide entre 80 à 100 hommes par année. En 1979, il a établi des valeurs, il voulait que la maison ait comme valeurs d’avoir un accueil chaleureux, d’être respectueuse, de propager l’écoute et le partage. Nous portons toujours ces valeurs.

J’en parlais à la radio et à la télé hier, ce ne sont pas des valeurs qui sont super communes. Comment on fait ça l’accueil chaleureux quand la certification nous dit que nous pourrions accueillir le double de personnes à la fois ? Pourquoi ne pas avoir 20 gars au lieu d’en avoir 10 ? Parce que ce n’est pas ce que le père Lavoie offrait. Il voulait qu’on dise à chaque personne qui entre : « Allo, on va s’occuper de toi. » Dans les meetings on dit toujours : « Je vais t’aimer jusqu’à ce que tu changes. » On veut prendre le temps de s’occuper de la maman qui pleure. On veut les connaître, on veut qu’ils aient leur chambre à eux, on veut vraiment un accueil familial. Les enfants viennent régulièrement à la maison de thérapie. Mon chien est là, c’est une famille et on veut garder ça comme c’est.

Le respect, évidemment avec les gars en consommation, cela prend énormément de respect pour prendre une personne. Ce ne sont plus les ivrognes d’autrefois, ce sont des jeunes à la rue, démunis, en train de mourir du cristalmet, il faut les respecter. Plusieurs maisons de thérapie disent qu’ils ne peuvent pas s’occuper d’eux, qu’il faut les envoyer ailleurs, que ce n’est pas leur problème. Non, c’est notre problème, c’est notre mission. Le père Lavoie disait : « On veut offrir de l’aide aux plus démunis. » C’est pour cela que nos tarifs demeurent incroyablement bas. On va se le dire, la personne qui entre en thérapie, ce n’est pas elle qui paie pour son traitement, ce sont ses proches : sa mère, ses parents, quelqu’un qui veut les aider. Donc, on ne veut pas exploiter ces gens là, au contraire, on veut les accompagner, cela fait partie de notre mission. Donc, il faut respecter chaque personne qui va là.

Notre troisième valeur, c’est l’écoute. On veut écouter ce que tu as à dire. On veut écouter ta vie. Je ne serai pas capable de comprendre, de te soutenir, si je ne t’écoute pas. Encore une fois, si nous n’avons que dix hommes à la fois, nous avons plus de temps pour les entendre nous raconter leur histoire. C’est certain que tout cela entraine des enjeux administratifs. Moi, je suis thérapeute de formation, je ne suis vraiment pas une directrice générale administrative. Le monde me demande pourquoi je fais ce travail ? Parce que je n’ai pas le choix, c’est ma mission, c’est une vocation. Oui, je pourrais faire le double de salaire ailleurs, mais cela me donnerait quoi ? Je l’aime ma mission, je suis là pour ça.

Je me promène dans Saint-Roch et j’ai des gens qui me parlent. Ils sont là, ils sont mal en point, et il faut que quelqu’un propage ça. Le père Lavoie l’a fait, et je suis contente qu’il parle des femmes aussi, même si j’ai été la première engagée en 2014. Il voulait des femmes en raison de la qualité de leur présence auprès des hommes, pour leur chaleur, leur compréhension et leur rigueur aussi parfois pour cadrer les hommes.

Dernière valeur, le partage, celle qui me tient le plus à cœur. Juste les repas, est-ce que vous connaissez la chanson ? : « Maitre des cieux et de la maison, bénis ce paix et donnes-en à tous ceux qui ont froid et faim. Donne la maison et le pain.» On la chante encore avant chaque repas. Parfois les jeunes viennent les yeux ronds. Quand c’est ton premier repas à l’Arc-en-ciel, tu entends ça et tu te dis ok, j’ai mal choisi ma maison de thérapie. On leur explique que nous ne faisons que prendre le temps de dire merci pour ce repas que nous partageons ensemble. Il y a quelqu’un qui a cuisiné pour nous, donc nous chantons encore cette chanson. Les gens qui ont fait la thérapie se souviennent tous de la chanson par cœur. C’est comme un moment précieux de la thérapie, comme dans chaque famille.

Nous partageons aussi notre expérience. Mouvement des alcooliques anonymes, Mouvement des narcotiques anonymes, cela fait partie de notre vie. Tous les intervenants que nous avons en ce moment à l’Arc-en-ciel, y compris moi-même, ont un vécu de consommation. C’est super important pour nous de le partager, de le donner, et de suivre les valeurs du père Lavoie. Merci

* J’inviterais maintenant Louis Cinq-Mars à faire son intervention. PY

Je prends la parole au nom des Capucins. C’est impressionnant d’entendre parler de nous finalement et d’un livre qui prend naissance parce qu’on y a contribué, mais aussi parce qu’à un moment donné, on s’y était moins intéressé, pour toutes sortes de raisons. Je suis très heureux de voir que l’entêtement à porter du fruit que nous récoltons ce soir. Alors, L’Aventure fraternelle des Capucins dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste, je n’en suis pas un témoin direct. C’est l’époque où j’ai connu les Capucins, la Fraternité Saint-Olivier, située sur la rue du même nom. Cette aventure se déroule depuis 800 ans, la communauté existe depuis 500 ans, elle remonte à saint François d’Assise puisque les Capucins sont une branche de la famille franciscaine.

Génération après génération, contexte après contexte, milieu après milieu, les frères essaient de se rendre utiles, d’écouter ce que l’Esprit Saint nous demande, de répondre aux besoins, de se replacer, tout en gardant un ensemble central de valeurs qui sont les nôtres et constituent le projet de vie que François et ses compagnons ont reçues et qu’ils ont développées ensemble. Le premier livre présente un peu ce projet de vie des Franciscains et des Capucins, dont nous sommes aussi les frères.

Cette expérience que les Capucins ont vécue dans Saint-Jean-Baptiste, nous ne sommes pas les seuls. C’est une expérience qui a été vécue par beaucoup d’hommes et de femmes de la vie religieuse, se voulant une réponse à un grand mouvement lancé par le Concile Vatican II qui disait aux communautés religieuses : « Vous, vous êtes ankylosées dans toutes sortes de pratiques et toutes sortes de règlements qui vous étouffent et votre charisme est en train de mourir. Retrouvez votre souffle, retrouvez votre charisme, sortez de ces carcans. » Beaucoup de communautés religieuses ont répondu avec élan, comme les Capucins, les sœurs aussi ont répondu. Retrouvez notre charisme en nous reconnectant avec la vie du monde, en retrouvant au fond notre destinée commune. On avait fait de nous, les religieux et les religieuses, des citoyens qui vivaient déjà sur un vaisseau spatial, pour renouer nos liens et notre commune appartenance à la famille humaine, notre complicité et  notre participation aux défis que le monde rencontre. Donc, les frères se sont inscrits dans ce mouvement.

Je ne suis pas un témoin direct, mais c’est à ce moment que j’ai connu les Capucins, à l’époque où j’étais étudiant en Travail social à l’Université Laval. D’ailleurs, l’un de mes anciens professeurs se trouve ici dans cette salle, Gérald Doré, qui plus qu’un professeur était un maitre. Alors, à cette époque je fréquentais la fraternité Saint-Olivier et ce fut très déterminant dans ma vie, – j’étais un étudiant, un intellectuel, rempli d’idéal, – de pouvoir prier, parce que j’étais aussi croyant, dans cette petite chapelle qu’avaient les frères. On s’assoyait à six dans une toute petite pièce qui était grande comme une armoire. Ce qui a été déterminant dans ma vie, c’est qu’il y avait une toute petite fenêtre où on apercevait le Complexe G tout illuminé le soir. On commençait par une demi-heure de silence et je regardais le Complexe G en me disant que j’étais en train de prier pendant que les gens rentraient chez-eux après le travail. Et je me disais : « Ces deux dimensions sont liées, c’est le même monde, dans le même monde. » Pour moi, ça a été déterminant. Nos vies sont liées. Qu’on rentre au Complexe G pour y travailler ou qu’on en sorte, qu’on soit assis dans la chapelle pour prier, nous sommes reliés les uns aux autres. Et tout ce qu’on fait, tout ce qu’on décide de faire, est relié et a un impact. Ça a été très déterminant dans ma vie.

Je suis heureux d’entendre les témoins qui prennent la parole ce soir et qui ont été touchés par le témoignage des frères, dont nous avons évoqué plusieurs noms. La plupart sont décédés, mais leur vie, leur témoignage, leur engagement, a été fécond. Ça c’est réconfortant pour nous. Le frère André Chicoine est avec moi ce soir, c’est aussi un témoin direct de cette époque, et le frère Alain Aquim, qui est parmi les plus jeunes dans cette salle. Pour lui, toute cette expérience est complètement inédite, le frère Alain nous vient de Madagascar et il est avec nous depuis 10 ans comme missionnaire au Québec. Il absorbe cet héritage des Capucins et il en fait le sien. Merci pour ce témoignage que vous rendez à la vie des frères qui nous ont précédés et qui ont vécu des expériences semblable à Montréal et à Hull.

La situation de notre communauté au Québec a beaucoup changé depuis l’époque de l’expérience d’insertion dans Saint-Jean-Baptiste. À l’époque, il y avait à Québec une trentaine de frères et plusieurs fraternités, il y avait aussi une maison dans la paroisse Saint-Charles de Limoilou, aujourd’hui nous sommes trois frères. À l’époque nous avions le grand couvent de Limoilou qui est vendu. Depuis deux ans, nous habitons dans une petite maison, toujours dans Limoilou, dans la paroisse de Saint-Albert Legrand. Nous sommes rattachés à une église qui est elle aussi menacée de fermer, ce qui nous oblige encore une fois à nous demander où nous allons aller?, où est-ce qu’on va continuer notre vie?

À l’époque de l’Aventure dans Saint-Jean-Baptiste, nous étions plus de 200 capucins au Québec, il n’en reste plus que 40, dont la moitié proviennent du Kerala en Inde. Ils n’ont absolument rien connu de cette histoire. Voilà un peu la situation, mais pour nous le défi demeure toujours le même, c’est celui des Capucins depuis 500 ans, qu’est-ce que l’Esprit Saint nous demande maintenant et aujourd’hui? Au fond, on se retrouve au même point que les frères se retrouvaient après le Concile Vatican II. Qu’est-ce que l’Esprit Saint nous demande? Au même point, mais avec des ressources très différentes. Très peu de ressources, en personnel, des ressources institutionnelles qui n’existent presque plus,  nous aussi de plus en plus démunis et petits. En terminant, puisque cinq minutes c’est très court, je veux vraiment remercier ceux et celles qui ont rendu possible la parution de cet ouvrage. Au nom de tous mes confrères, vivants et décédés, ceux qui sont dans la Fraternité de la paix de l’absolu, il y en a beaucoup, plus de 200 frères, alors merci pour votre persévérance jusqu’à ce que ce livre paraisse, votre entêtement contre tous les obstacles que vous avez pu rencontrer. C’est une preuve encore une fois que l’attachement à des convictions porte du fruit, quels que soient les obstacles qu’on rencontre sur le chemin. Merci

– Je remercie du fond du cœur les quatre témoins, Rober, Rachel, Luc et Louis. Maintenant nous allons passer aux échanges avec la salle. PY

– Mon nom est René Boudreau, c’est plutôt un commentaire. Moi j’étais à la JOC pendant toute cette époque, j’étudiais en théologie aussi et je travaillais à faire de l’organisation syndicale. Nous avons vécu une époque, les années 1970, relativement intéressante sur tous les points de vue, de transformations importantes et d’implication d’une certaine faction de l’Église en matière de justice sociale. J’ai vécu l’époque du jeûne de Luc Bertrand, et j’ai jeûné avec lui aussi pendant plusieurs fins de semaine. On n’a pas l’occasion de voir Luc souvent, il se promène pas souvent à Québec, il est surtout dans l’Outaouais. L’assemblée de ce soir est une occasion très spéciale pour lui dire qu’il a été un modèle important de persévérance et de ténacité à défendre le concept de justice sociale qui fait en sorte que la charité vécue sans justice sociale, ça ne vaut pas cher. Luc, j’aimerais te remercier pour cela. Tu as été un modèle pour moi pour le reste de ma vie et pour plusieurs membres de la JOC à l’époque et je t’en remercie.

– Bonjour, je m’appelle Nicol Tremblay. J’ai eu l’honneur et le plaisir d’aller à plusieurs reprises dans les locaux d’Encuentro sur la Côte d’Abraham. Je voulais raconter une anecdote au sujet de Benoit Fortin qui situe bien le personnage. À un moment donné, il arrive à Encuentro et il nous montre un dessin qu’il avait fait. On lui demande s’il l’avait reproduit. Il répond oui et il l’avait mis un peu partout au Hilton sur les babillards. Il écrivait en-dessous du dessin de la dinde : « Étant donné que vous avez de bas salaires, les employeurs du Québec Hilton vont vous donner une dinde à Noël. » Ça n’a pas été long, il s’est fait congédier. Vous voyer le personnage et ça a fait époque. Par la suite nous avons compris qu’il faut aller au bout de ses convictions et Benoit était une personne comme ça. En Cour Suprême, cette histoire de dinde a été jugée par le juge Pigeon.

Rire général

– Il faut dire qu’en droit du travail à l’université Laval, cette histoire a été citée comme exemple de congédiement abusif. C’est l’une des rares causes qui s’est rendue en Cour Suprême du Canada.

– Je m’appelle Emilia Castro. Je ne voulais pas intervenir, mais je me suis forcée parce que quand je suis arrivée ici comme réfugiée politique du Chili, en 1974, c’est au Centre Encuentro que les Chiliens tenaient leurs réunions. Nous avons reçu un appui incroyable des gens d’Encuentro. Ça a été tellement agréable de rencontrer Benoit quand j’ai commencé à militer au niveau syndical. Cette amitié a durée jusqu’à la fin. Avec lui on pouvait partager nos choix politiques. Il y avait des camarades qui étaient marxistes et ils avaient leur place au Centre Encuentro. Il n’y avait pas de distinction dans l’accueil qui était faite. L’important, c’est vraiment la justice sociale, l’humanité et changer le monde. Je pense que nous devons nous préparer à continuer ce travail parce qu’avec tout ce qui arrive partout dans le monde, il faut qu’on s’organise. Nous avons besoin de gens comme vous pour continuer cette lutte. Merci

– Bonjour, mon nom c’est Denis Fraser. J’ai vécu l’époque de la Bâtarde en 1972. J’aimerais rendre hommage à Luc Bertrand. Ça a été l’un de mes grands amis. Il était présent dans une période cruciale de ma vie. Il m’a beaucoup inspiré, il m’a aidé, et il m’a conseillé des affaires que j’ai suivies. Depuis ce temps là, ma vie a beaucoup changé. Je ne pourrai jamais lui remettre ce qu’il m’a transmis. C’est vraiment quelqu’un d’important dans ma vie et c’est le temps de lui dire. Ça a été un tournant dans ma vie que je ne voudrais jamais oublier. Ça m’a transformé, ça m’a aidé à m’enligner sur d’autre chose parce que j’avais un petit problème avec l’alcool. Depuis ce temps, je n’ai jamais repris une goutte. J’ai aussi admiré les Capucins parce qu’ils travaillaient avec le monde ordinaire. C’est leur témoignage qui m’a permis de croire à nouveau. Ils étaient pour moi des exemples de personnes réalistes dans la vie et des bonnes personnes. Cela m’a donné une autre idée de la religion. Merci

– Bonsoir tout le monde, je m’appelle Monique Toutant. Je suis militante au CAPMO et au TRAAQ. Je voudrais remercier les personnes qui ont écrit ce livre parce que je sens qu’il y a beaucoup d’amour, de partage et d’inquiétude aussi pour les gens, pour les autres. Vos témoignages m’ont beaucoup touchée. Parfois, il y a des gens qui essaient d’améliorer la situation des personnes et je pense que cela fait partie de ce que vous avez fait. Je veux lever mon chapeau à tout le monde. Merci

– Je suis Vivian Labrie. Je suis frappée par le contraste entre une vie de quartier pendant un certain temps, et 500 ans d’histoire des Capucins. Le fait que cette aventure se rattache à une histoire vieille de 500 ans, comment est-ce qu’on fait pour être partie prenant d’une histoire d’amour qui se transmet sur plus de 500 ans ? Je ne sais pas comment le dire autrement, mais cela fait du bien de vous entendre ce soir. Cela nous rappelle que c’est possible de penser qu’on peut vivre avec de la justice et de l’amour en même temps. Après on repart chacun dans nos existences, mais quand même il y a  des histoires qui se transmettent. Au fond, c’est plus grand que nous tout cela. Merci d’en faire partie, et oui, ça a été un modèle pour bien du monde à Québec tout cet héritage qu’on peut lire dans ce livre. Merci

– Mon nom est Claude Cantin. À cette époque, j’étais aumônier de la CSN à Québec depuis 1966. Je veux témoigner du fait que pendant la grève du Pavillon Saint-Dominique, alors je voyais le problème du côté du syndicat parce que je rencontrais l’exécutif du syndicat et l’assemblée générale, mais surtout les représentants syndicaux, le négociateur et le directeur de grève, etc. En même temps, je faisais aussi le lien avec le clergé. Il y avait des réunions du clergé par région, sur le territoire de la ville. Il y avait aussi, notre évêque, le cardinal Maurice Roy, qui de temps en temps me demandait mon avis. Ce que je ne manquais pas de lui donner. Parfois, cela faisait son affaire, mais pas toujours. De toute façon, il me demandait mon avis et je lui donnais. Ce que je voulais dire c’est que la grève du Pavillon Saint-Dominique a été un déclencheur pour beaucoup de choses. Par exemple, le regroupement des prêtres de la Basse-Ville a pris carrément position en faveur des grévistes, contrairement à d’autres régions qui ont pris position pour les religieuses administratrices du Pavillon, des professeurs d’université, l’abbé Gérard Dion en particulier. Il faut savoir qu’il était le confrère de classe du cardinal Roy et il était son conseillé pour toutes les questions sociales. Il a été consulté par le cardinal sur le conflit au Pavillon Saint-Dominique. Mais, il y a eu un événement un peu malheureux, c’est que le directeur de grève a rencontré l’abbé Dion, et ils se sont chicanés.

Je pense que c’est à partir de ce moment que l’abbé Dion a pris une position très pro patronale. Mais le cardinal qui était un homme sage, il était le président de la Commission internationale Justice et Paix, a voulu avoir d’autres avis. Il avait formé un comité qui était présidé par Jacques Racine, à ce moment le grand supérieur du Grand séminaire de Québec. Le comité s’est réuni une fois en présence de l’abbé Dion qui a pris le plancher en expliquant aux autres qu’ils ne connaissaient pas cela les relations de travail et que lui connaissait ça, donc sa version était la meilleure. Alors, Jacques Racine a fait rapport au cardinal, et celui-ci lui a demandé que le comité se réunisse à nouveau. Il a convoqué le comité et tous les membres ont posé comme condition que l’abbé Dion n’y participe pas. Racine a demandé au cardinal ce qu’il en pensait et il a donné son accord à ce que le comité se réunisse en l’absence de l’abbé Dion.

Je pense que le cardinal n’a pas osé prendre position de façon déterminée en faveur des travailleurs. Je lui avais dit : « Si vous ne faites pas de déclaration publique forte, rien ne va se régler. » Il a toujours soutenu qu’il n’avait pas le pouvoir de le faire parce que les congrégations religieuses relevaient de Rome. Ce que je veux dire, c’est que même dans les journaux, il y avait des débats. Ça a été un coup de réveil pour beaucoup, tant du côté des religieux que des laïcs. C’est malheureux que cela se soit terminé par une défaite des travailleurs. Ce que j’ai su, c’est que le président du syndicat, comme il n’était pas réembauché, s’est acheté une résidence à Beauport où il hébergeait des personnes âgées et malades, payé par le Ministère de la santé, mais je ne sais pas quand il est décédé. Je vous remercie.

– Je suis Marie-Claire Nadeau. C’est juste pour dire que le Pavillon Saint-Dominique, j’ai vécu ça avec mon amoureux Joseph Giguère qui est désormais membre de la Fraternité de la paix de l’absolu. À l’époque, ça nous a beaucoup marqués, mais nous étions partie prenante de ce mouvement. Nous étions avec Luc. C’était tout un mouvement à Québec avec la JOC qui appuyait, qui réfléchissait, qui jeûnait, qui intervenait, et ça nous a tous éclairés. À l’époque, on travaillait à Québec Poultry, un abattoir de poulet,  pour essayer d’organiser un syndicat CSN, et quand on se réunissait, on parlait avec les grévistes du Pavillon, puis on prenait de leur expérience et on essayait de la transmettre aux travailleurs de l’abattoir. C’est juste pour dire qu’il y avait un mouvement de jeunes qui était partie prenante de toute cette action. Nous en gardons un souvenir inoubliable et pour nous, cela a représenté une cassure avec l’Église officielle. Je suis contente que Claude Auger nous ait donné les détails internes. Mais c’était difficile pour nous après  de continuer de penser que notre patron à Québec Poultry avait le même réflexe que les sœurs du Pavillon Saint-Dominique qui refusaient à Gaétane et à Nicole d’avoir le droit d’avoir un travail en étant syndiquées. Merci à Luc pour tout son courage et à Claude de l’avoir écrit. C’est vraiment inspirant.

– Je vous remercie pour votre présence et aussi à tous les panelistes.

Propos recueillis par Yves Carrier

 

 

 

 

 

 

 

 

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