Silence, on tue
Depuis le commencement de la guerre en Israël et à Gaza, j’éprouve de la difficulté à trouver le sommeil en me demandant ce que je pourrais bien écrire à ce propos, mais les événements tragiques se succèdent à un rythme plus rapide que mon esprit est capable de les traiter. Ayant grandi dans une société non violente, j’avoue être désemparé devant autant de crimes commis pour une terre qui suscite depuis des siècles plus de larmes qu’autres chose, au nom d’un Dieu qui, s’il existe, doit avoir honte de sa création.
Aux yeux d’Enrique Dussel qui nous a quitté récemment, la vie est le bien supérieur que nous devons défendre devant tout autre absolu. C’est le critère indépassable de son Éthique de la libération inspirée en droite ligne du Code d’Hammourabi. « J’étais nu et tu m’as vêtu, j’avais faim, et tu m’as nourri, j’avais soif et tu m’as donné à boire, j’étais un étranger dans ton pays, et tu m’as accueilli. » Dois-je continuer ? Ainsi Jésus ne citait qu’une morale universelle inscrite depuis des temps immémoriaux dans le cœur des hommes et des femmes.
La montée de l’extrême droite en Occident et les faiblesses du parti démocrate états-uniens qui pavent le retour de Trump à la présidence n’augure rien de bon pour l’avenir de l’humanité. La haine et l’égoïsme semblent devenus les nouveaux paradigmes qui nous gouvernent, avec l’intelligence artificielle qui épit nos propos et forge nos opinions. Un délice pour tous les dictateurs en herbe, même plus le droit de penser par soi-même. Dorénavant, il faut se plier aux dictats d’une propagande guerrière qui cache mal le jupon de l’industrie de l’armement.
Ceci amène Boaventura de Sousa Santos à s’interroger sur une question posée par ses lecteurs, au sens où elle présume une position privilégiée dans l’histoire, nous rappelant que 7 milliards d’humains sur huit, n’appartiennent pas à cette catégorie. Partant de l’événement qui remplit les pages de l’actualité, il élargit son champ d’analyse à l’histoire et à la Terre entière, victime de la colonisation européenne et de l’impérialisme occidental. Comme d’autres penseurs avant lui, il établit le fait que le nationalisme sous la forme de l’État-nation homogène, est dépassé et mortifère puisqu’il conduit à la haine de l’autre et au racisme en plus de constituer une perte d’humanité pour ceux et celles qui y adhèrent en se croyant meilleurs que les autres.
À ce propos, j’ai toujours été reconnaissant en observant la sagesse québécoise qui a refusé l’option de la violence pour acquérir son indépendance, plaçant ainsi chaque vie humaine au-dessus du rêve de la souveraineté. Il faut dire que nous ne subissons plus les outrages des autres peuples colonisés, ou pire encore des Premières Nations qui continuent d’être assassinés comme c’est toujours le cas au Brésil notamment.
Yves Carrier
Enrique Dussel, philosophe et théologien de la libération
Par Juan José Tamayo, El Pais, Madrid, 8 novembre 2023
Le 5 novembre, Enrique Dussel, est décédé à Mexico, à l’âge de 89 ans. C’était l’un des intellectuels les plus créatifs de notre temps dans les différentes disciplines qu’il cultiva : philosophie, théologie, éthique, histoire et science politique. Figure clé de la théologie et de la philosophie de la libération en Amérique latine et l’un des principaux penseurs du tournant décolonial, et dans le champ politique, de la gauche latino-américaine.
Né à Mendoza en Argentine en 1934, il obtient son doctorat en philosophie de l’Université Complutense de Madrid, puis une maitrise en Théologie à l’Institut catholique de Paris et un doctorat en histoire à la Sorbonne. Il vécut deux ans à Nazareth, le village où Jésus grandit, où il adopta la spiritualité de la pauvreté et du détachement de Charles de Foucault et de Paul Gauthier. Il y travailla comme charpentier dans une coopérative arabe.
« 1959-1960, furent les deux années les plus pleines de sa vie. Travail manuel 10 heures par jour et prière intense, une franche camaraderie comme au temps du fondateur du christianisme. J’étudiais l’hébreu vivant et j’ai appris à lire dans la langue de Jésus. À chaque semaine, je me rendais à la synagogue où Jésus déroula le rouleau et dit : « Ruaj Adonai alay! » (L’Esprit du Seigneur est sur moi et il m’a oint pour donner la bonne nouvelle aux pauvres! Tout ce que la théologie de la libération exprimera théoriquement, je l’ai vécu de manière anticipée avec Paul de Nazareth. Tout le reste de ma vie, les derniers 60 ans, ont leurs racines à Nazareth », racontait-il. Merveilleux souvenir fondateur de la vie d’Enrique Dussel.
De retour en Argentine, il exerça l’enseignement universitaire plusieurs années et assuma des engagements ecclésiaux et politique qui le confrontèrent à la dictature militaire en Argentine. Lui et sa famille subirent un attentat commis par un commando d’extrême droite, avec l’explosion d’une bombe dans leur maison. Puis il fut démis de ses fonctions, avec d’autres compagnons, de l’Université national de Cuyo où il exerçait à titre de professeur d’éthique. En 1975, il s’exila au Mexique où il enseigna dans plusieurs universités et obtint la reconnaissance intellectuelle méritée non seulement au niveau national et latino-américain, mais mondial.
En tenant compte sa formation et de ses recherches interdisciplinaires, nombreux furent les champs dans lesquels il brilla de sa propre lumière. Je soulignerai ici quatre disciplines qui exercèrent une importante influence sur la théologie mondiale et européenne et sur ma propre théologie : l’histoire de l’Église latino-américaine, la théologie de la libération, le tournant décolonial et la philosophie de la libération.
Dussel est considéré, avec raison, comme l’une des principaux inspirateurs de la nouvelle histoire du christianisme latino-américain, dont la première œuvre fut : Hypothèses pour une histoire de l’Église en Amérique latine, écrit à l’université de Münster, pendant qu’il suivait les cours de Joseph Ratzinger, publiée en 1967 aux éditions Nova Terra et augmenté dans une seconde édition quelques années plus tard sous le titre : Histoire de l’Église en Amérique latine. Colonialisme et libération 1492-1973.
Postérieurement, il participa à la fondation de la Commission d’histoire de l’Église en Amérique latine (CEHILA), de laquelle il fut président de 1973 à 1993 et pour laquelle il écrivit : « Introduction générale à l’Histoire de l’Église d’Amérique latine, tome 1, CEHILA ». Le projet compte plusieurs volumes auxquels collaborèrent de prestigieux historiens latino-américains et caribéens. C’est une histoire compète qui récupère les faits les plus marquants du christianisme libérateur latino-américain et ses figures prophétiques les plus emblématiques, de Bartolomé de Las Casas à l’archevêque martyre de San Salvador, monseigneur Romero, ainsi que la praxis des chrétiens et des chrétiennes dans les mouvements de libération. Cette histoire est écrite à partir des pauvres comme lieu social et herméneutique et comme critère de jugement éthique à partir duquel juger les colonisateurs.
Dussel appartient à la première génération des théologiens latino-américains de la libération, qu’il cultiva, sans interruption pendant 60 ans. Il part de ce que la réalité montre et révèle : d’une part, le fait généralisé de l’oppression des majorités populaires, et d’autre part, la défense des droits des personnes et des collectifs à qui ils sont niés systématiquement. C’est une théologie qui surgit de la praxis de la libération, une théologie éthique, pensée à partir de la périphérie et d’une critique de la présomption de la théologie européenne qui croit posséder « une universalité univoque » et qui refuse d’entendre les autres, ceux qu’elle considère « barbares ».
Dussel considérait que n’était plus soutenable l’épistémologie de la libération de la décennie des années 1960. C’est pourquoi il dédia vingt ans de sa vie à recréer, à partir de la réalité latino-américaine périphérique, plus misérable et exploitée encore qu’au cours de ces années, rénovant ses hypothèses philosophiques et sociales en travaillant à une nouvelle fondation éthique- épistémologique.
Dussel fut le théologien latino-américain avec la plus grande rigueur qui de manière systématique a réfléchi, sous l’impulsion de Marx et du marxisme, au discours théologique. Il considère la critique de Marx à la religion comme une critique du fétichisme qui récupère les traditions anti-idolâtriques de l’ancien Israël qui peut être assumée par un christianisme prophétique et libérateur. D’après lui, Marx soutient objectivement un discours théologique implicite et métaphorique, mais non pour cela moins pertinent. Métaphores théologiques de Marx est son œuvre la plus emblématique sur ce thème.
Le principal apport de Dussel au tournant décolonial est sa proposition de transmodernité en opposition à la postmodernité de certains intellectuels du Nord. Dussel ne croit pas possible d’appliquer, d’imiter ou de développer la Modernité dans d’autres cultures, puisque cela est inséparable du colonialisme qui se constitue par la domination des cultures périphériques et coloniales. Il croit nécessaire de dépasser radicalement la Modernité et de converger vers un Âge nouveau de l’humanité où les cultures devront se respecter comme égales dans une culture mondiale pluriverselle qui pourra articuler toutes les cultures existantes dans leur ressemblance. Pour cela, il propose un dialogue philosophique des cultures du Sud, Sud-Sud et Sud-Nord. Le résultat est la décolonisation de la culture, de l’épistémologie et de la technologie. Il plaide aussi pour la décolonisation épistémologique de la théologie.
Mais, sans doute, l’apport le plus important et créatif de Dussel a été sa contribution à la philosophie de la libération dans laquelle le philosophe mexicain Leopoldo Zea eut une influence fondamentale. Dussel l’identifiait comme étant « le grand maitre de la pensée latino-américaine ». Ce fut lui, selon Jorge Zuniga, qui « éveilla Dussel du rêve euro-centrique, faisant de la pensée du philosophe mexicain une part intégrale de sa philosophie de la libération, l’amenant sur des chemins de plus grande complexité conceptuelle et réflexive. »
La philosophie latino-américaine de la libération est, selon les mots du propre Dussel : « La première philosophie réellement postmoderne qui dépasse l’européanité (…), une philosophie de la libération de la misère de l’homme latino-américain », qui est, en même temps, « athéisme du Dieu bourgeois et possibilité de penser un Dieu créateur source de toute libération ». Heureusement, nous disposons de son œuvre complète de philosophie de la libération dans le livre édité par Akal, Filosofia de la liberacion. Antologia.
L’éthique et la politique sont les deux thèmes majeurs de la réflexion philosophique d’Enrique Dussel en dialogue critique et symétrique avec certains des penseurs les plus importants de notre temps : Lévinas, Ricoeur, Appel, Vattimo, Taylor, etc. C’est sans doute l’un de ses plus importants lègue qu’il nous laisse et que nous pouvons lire dans des œuvres comme Ética de la liberacion en la edad de la globalizacion et Politica de la libération, éditées par Trotta.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
À un an des élections présidentielles aux États-Unis, la lutte entre les gérontes Trump et Baden
Par Mirko C. Trudeau
16 novembre 2023, publié dans Other News, Voz en contra del corriente
À un an des élections, divers indicateurs sonnent l’alarme à savoir si le président Joe Biden pourrait perdre la réélection, ouvrant la porte, encore une fois, à l’extrême droite étatsunienne, et plus précisément au retour de Donald Trump à la Maison Blanche, ce qui supposerait une vengeance politique, des plans d’utilisation des forces armées pour supprimer les manifestations et la dissidence, et qualifier d’ennemis du peuple les opposants.
Il n’y a rien de nouveau dans la politique étatsunienne, souligne l’analyste Joseph Malden : la lutte est entre un président qui veut renouveler son mandat à 81 ans et un qui croit à son retour à Washington à 78 ans.
Au moins dix démocrates pourraient prétendre à la présidence, mais Biden ne cède pas sa place. Le danger pour Biden n’est pas que sa base vote pour Trump ou un autre républicain, mais qu’ils ne soient pas animés à voter, certains en raison des doutes sur l’âge du président (il aura 81 ans en 2024), ses capacités mentales ou sur le coût de la vie. Le désenchantement envers certaines politiques promues par Biden, come la guerre d’Israël en Palestine et sa gestion de l’immigration, nourrissent aussi l’apathie électorale, surtout parmi les jeunes.
La campagne pour la réélection de Biden est en difficulté au moment de lancer l’année électorale qui culminera en novembre 2024. Dans cinq des six États qui plus probablement détermineront le résultat final de l’élection présidentielle, Donald Trump est au-dessus de Biden dans les préférences de vote, dans une grande mesure à cause des préoccupations sur l’économie et l’âge du mandataire, selon une récente enquête du New York Times.
D’autres enquêtes – CBS News, ABS News/Ipsos et Morning Consult Bloomberg, confirment cette tendance. Les enquêtes indiquent que dans presque tous les principaux thèmes électoraux – économie, immigration, guerre d’Israël, sécurité nationale, par plus de 10 points (22 dans le cas de l’économie), les gens font davantage confiance à Trump qu’à Biden.
Le New York Times conclut que la diminution de l’appui à Biden est importante dans presque tous les groupes démographiques, mais particulièrement parmi les jeunes électeurs, les hispanophones et les afro-descendants, tandis que Trump obtient des niveaux d’appui auparavant inimaginables parmi ceux-ci.
Biden a encore l’appui de la majorité des afro-descendants et des latinos, mais cette enquête révèle une réduction significative et alarmante. Au lieu de consolider l’appui écrasant chez deux groupes démographiques, l’enquête du Time indique qu’aujourd’hui 42% des latinos et 22% des afro-descendants favorisent Trump.
Le défi de Biden est de trouver la manière de convaincre les travailleurs des États-Unis qu’il vaut la peine d’aller voter et offrir les raisons pour voter pour les démocrates, qui, il y a peu, se présentaient comme le parti des travailleurs.
La dispute Biden Trump sera entre un président qui a réduit le coût des médicaments prescrits, implanté un programme massif d’infrastructure qui est en train de construire des routes, des écoles et des transports publics, et qui a investi davantage que quiconque, au cours des trois dernières décennies, dans des initiatives pour faire face au changement climatique.
L’autre candidat, Trump, fait face à des procès portant sur quatre différentes accusations criminelles pour fraude, tentatives de renverser un résultat électoral et manipulation illégale de secrets d’État, et de plus, menace de déportations massives, de guerres religieuses et même de bombarder le Mexique.
Trump a du succès, en partie, parce qu’il parvient à être perçu comme un outsider d’un système corrompu dysfonctionnel qui ne peut approuver les 12 projets de loi nécessaires pour financer le budget fédéral, ne peut freiner l’invasion d’étrangers à la frontière, et qui ne désire que prélever davantage d’impôts pour le donner à des gens qui ne veulent pas travailler. L’attraction de Trump est du au fait qu’il se fait la voix d’une colère collective contre les élites du pays.
Le retour de Trump
Le retour de Trump promet une attaque frontale contre les ennemis politiques à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, incluant plusieurs qui sont qualifiés de collaborateurs dans les différents procès et autres attaques contre l’ex-président. Le retour du magnat au pouvoir mettra en jeu la fameuse démocratie étatsunienne.
La réactivation de Trump est la tête d’une offensive des forces de droits à tous les niveaux. Ses compétiteurs à la nomination républicaine et ses alliés à l’intérieur du Congrès et dans les gouvernements des États ont adopté plusieurs de ses positions, de son rejet des libertés et des droits civils, aux mesures anti-immigrants, à la promotion d’une éducation conservatrice, à la prohibition de certains livres.
Plusieurs pré-candidats proposent de seller la frontière et d’employer les forces armées contre les cartels au Mexique, euphémisme pour ne pas parler des migrants.
« Nous nous engageons envers vous à sortir les communistes, les marxistes, les fascistes et gangsters de gauche qui vivent comme de la vermine aux confins de notre pays et qui mentent, volent et trichent aux élections, » dit l’ex-mandataire, qui ajouta que : « Notre menace provient de l’intérieur. »
Attire l’attention l’emploi du terme : « vermine », employé fréquemment par Adolf Hitler et Beniro Mussolini. Hitler fut d’abord élu avant d’installer son régime fasciste.
Ce qui déclenche les alarmes des analystes étasuniens c’est l’autoritarisme qui s’ajoute à plusieurs déclarations de Trump, incluant son message répété que la prochaine élection sera la bataille finale pour le pays, et qu’il affirme être : « la rétribution, le vengeur du peuple. »
Les républicains font déjà des plans et prétendent utiliser le Département de la Justice pour se venger des leurs opposants et leur détracteurs, ainsi que des ex-fonctionnaires qui ont collaboré dans les procès à leur encontre, de plus, ils promettent d’invoquer une loi dès les premiers jours de leur prise du pouvoir, qui leur permettrait de déployer les forces armées pour supprimer de possibles manifestations et contestations, rapporte le Washington Post.
Trump est parvenu à convaincre ses sympathisants que les accusations criminelles à son encontre prouvent que l’État profond, contrôlé par des « marxistes… des communistes… et des anarchistes », cherche à freiner ce héros du peuple dans sa mission de sauver les États-Unis. Mais ce sont les alliées de Trump au Congrès qui font obstacles à l’approbation du budget fédéral.
De même, ses stratèges comme Steve Bannon – leader du Réseau Atlas de financement des candidats d’extrême-droite dans le monde – a été accusé de fraude à l’encontre de ses propres bases dans la collecte de fonds pour construire le mur à la frontière mexicaine. Aussi, c’est sous le mandat à la présidence de Trump que furent adoptées des lois qui transféraient des milliards de dollars au 1% le plus riche du pays.
Trump et ses conseillers sont en train d’élaborer des plans pour épurer le gouvernement à travers des mises à pieds massives – des dizaines de milliers – de la fonction publique pour détruire ce qu’ils appellent l’État profond. Les conseillers de Trump se concentrent sur les bureaucrates qui contribuèrent à utiliser le système de justice à son encontre, qu’ils qualifient d’acteurs corrompus à l’intérieur de l’appareil de sécurité nationale et d’intelligence qu’il a toujours détestés parce qu’ils se sont risqués à enquêter sur lui. Également, il souhaite mettre en place de nouvelles mesures pour punir tous ceux qui ont laissé filtrer des informations dans les médias, rapporte l’agence Associated Press.
Trump menace d’effectuer des raids et des déportations massives des sans-papiers et d’imposer une autre interdiction de voyage à des citoyens de plusieurs pays musulmans. De même, il tentera d’imposer de nouveaux droits de douane, avec le nom de son choix, contre n’importe quel pays.
L’ex-mandataire – qui semble avoir appris des talibans – prétend éradiquer le Département d’Éducation, faciliter le licenciement des enseignants, imposer une formation patriotique qui enseigne aux étudiants à aimer leur pays, et à ne pas le haïr comme ils le font présentement, à punir n’importe quelle école qui impose des mesures obligatoires pour l’emploi des masques ou des vaccins, permettre que les enseignants soient armés et faire la promotion de la prière à l’école.
Tout cela est accompagné d’une rhétorique religieuse qui provient des mouvements de chrétiens nationalistes, desquels participent des suprémacistes blancs et d’autres qui nourrissent un racisme à peine déguisé qui ont toujours accompagnés Trump. Son allié, le député Mike Johnson – chrétien fondamentaliste, féroce opposant à l’avortement et anti-immigrant – représente déjà le pouvoir de cette faction comme le président de la Chambre des représentants récemment élu, le second dans la ligne de succession à la présidence.
Johnson appartient à la cause inspirée des évangéliques de droite pour convoquer une nouvelle convention constitutionnelle pour modifier des grandes parties de la Constitution, afin de refléter leur idéologie ultraconservatrice. Leurs proposants affirment que c’est uniquement à travers une telle convention que pourra être sauvé les États-Unis des griffes d’une gauche athée et rendre le pays à ses racines chrétiennes fondamentalistes.
Pour convoquer une convention constitutionnelle, il faut avoir l’approbation des gouvernements de 34 États, et ce mouvement est parvenu à ce jour à obtenir le soutien de 19. C’est-à-dire, plus de la moitié du nombre nécessaire. Il y a quatre décennies, le rocker Frank Zappa disait que les États-Unis étaient menacés de se convertir en une théocratie fasciste.
Certains républicains modérés s’allient au cri d’alarme devant l’avancé de Trump et de ses alliés, incluant ses ex-collaborateurs comme son ex-procureur, le général William Barr et son ex chef d’État major, Mark Milley. L’ex-président du parti républicain, Michael Steele a déclaré que Trump représente un danger clair et imminent, qu’il est une menace à la nation, déclara-t-il à The Guardian.
Un des facteurs clés pour le retour de Trump sera la classe ouvrière qui, en ce moment, abandonne Joe Biden, malgré le fait que l’économie étatsunienne s’accroit robustement au cour des derniers mois. Des sondages récents signalent que Trump est à égalité ou qu’il va l’emporter sur Joe Biden. Plusieurs experts avertissent qu’une seconde présidence de Trump non seulement sera le triomphe d’une droite dangereuse, mais qu’elle pourrait mettre en échec la démocratie étatsunienne.
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Mirko C. Trudeau est politologue et un analyste étatsunien, associé au centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE)
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Milei et la colère qu’implique le national populisme global
Andrea Rizzi – El País, Madrid
21 novembre 2024
Publié dans Other News, Voz en contra de la corriente.
Une immense frustration citoyenne a donné des ailes au candidat argentin, de même qu’à Trump, Bolsonaro, Meloni ou aux promoteurs du Brexit, mais il existe des différences dans les causes de cette colère et dans les propositions des leaders.
Comme un écho, le rugissement de la colère qui donne aux porte-étendards de projets politiques national-populistes apparait similaire à différents endroits de la planète. Javier Milei est le énième cas d’une vaste vague – dans lequel les épisodes du Brexit, Trump, Bolsonaro et Meloni – qui est une modification totale au système politique comme rejet populaire de toutes les options traditionnelles. L’effet écho réside dans les nombreuses similitudes entre différents éléments de l’international réactionnaire. Mais cela n’exclut pas que, parfois, il y ait certaines différences significatives dans les causes de leur succès et leurs propositions.
Par certaines caractéristiques personnelles et ses approches politiques, Milei est une figure hyperbolique, même dans le cadre radical de l’international réactionnaire, et sa victoire provoque un effroi particulier et de l’incrédulité dans les rangs progressistes et libéraux modérés. Ce n’est pas peu dire. Ses propositions sont d’un extrémisme exceptionnel, clairement dépourvues de solides fondements intellectuels, dangereusement rétrogrades dans son conservatisme et, qui plus est, promues par un leader dont les manières ne révèlent pas le calme souhaité chez un mandataire.
Toutefois, l’hyperbole de la tronçonneuse de Milei s’imbrique dans l’esprit de rejet de ce qui est établi, caractéristique de l’International national populiste. Avec le Royaume-Uni qui a voté le Brexit à l’encontre des positions des principaux partis politiques, du patronat, des syndicats et où prédomine ce qui est convenu d’appeler : « le rejet des experts »; avec les États-Unis conquises par Trump et son mantra : « drainer le marais »; avec l’Italie gouvernée aujourd’hui par le seul parti de l’hémicycle qui n’ait pas appuyé le gouvernement d’unité nationale pendant la pandémie, qui dans cette législature avait seulement 4% des votes, qui profita de cette position solitaire pour critiquer tous les autres partis et se convertir ensuite en la première force politique du pays; avec le Brésil qui opta pour Bolsonaro qui n’était le représentant d’aucun des principaux partis du pays.
C’est l’esprit populaire du changement radical du système politique fondé sur la colère des citoyens qui sentent que les différents gouvernements ne les servent pas, ne les protègent pas, ne fonctionnent pas, et qu’ils sont biaisés et pourris. Cette frustration profonde alimente la volonté de changement radical et recourt à des outsiders qui prêchent un mélange populiste de diabolisation de la caste supérieur, de nationalisme, de conservatisme, de révisionnisme historique, de nostalgie d’un passé présumé meilleur – « Rendre l’Amérique grande à nouveau; récupéré le contrôle supposément perdu du Royaume-Uni; le désert qui commença avec la démocratie en Argentine, etc. » –
Des leaders très habiles pour jeter de l’huile sur ce feu en profitant des possibilités offertes par les technologies actuelles, les réseaux sociaux, et demain sans doute, il faudra craindre l’intelligence artificielle. La politique est entrée sur le terrain émotionnel, et une fois là, la rationalité s’impose difficilement.
Mais cette racine commune ne doit pas masquer les différences. Cette frustration s’alimente, selon les cas, de ressentiments pour des causes nationales ou globales selon des proportions différentes. Dans certains pays prédominent les causes nationales, ailleurs, l’élément global semble prédominant.
Dans le cas de l’Argentine, il apparaît évident que la victoire de Milei est un rejet total de la gestion péroniste kichnériste (du nom du président Kirchner). De la même manière, le succès de Bolsonaro s’aliment d’un anti-pétisme (Parti des travailleurs des présidents Lula et Roussef) très enraciné. Dans ces cas, les propositions progressistes perdirent en grande mesure en raison de leurs propres erreurs de gestions économiques aux résultats néfastes, ou bien en raison de soupçons de corruption qui planaient sur eux, davantage qu’à cause d’une aspiration nationale de fermeture à un monde responsable des problèmes vécus.
Dans d’autres cas, la montée du national populisme répond en grande mesure à des phénomènes globaux, à un instinct protectionniste devant les vicissitudes globales, les développements d’un monde interconnecté, les dommages des effets collatéraux de certains types de libre-échange, les mouvements migratoires, les technologies dont certaines bénéficient à certains au détriment d’autres secteurs de la population, le changement climatique et ses défis, etc. En cela, il y a aussi le fait que la social-démocratie paie pour ses erreurs du passé, son adhésion pendant une longue période aux valeurs libérales qui l’ont rendue peu différenciable de la droite modérée. Mais en ce cas, semble influé davantage le devenir général du monde qui n’est pas non plus la responsabilité directe de la gauche. Trump, Orban ou le Brexit correspondent beaucoup à ce schéma où le rejet de ce qui vient du dehors a un poids énorme et avalise des propositions protectionnistes, nationalistes, conservatrices, d’aspiration de retour au passé.
Selon le cas, la principale force motrice, par exemple, des positions en matière de libre-échange, d’immigration ou de politique extérieure, peuvent être différentes, ou en tout cas avoir un plus ou moins grand poids dans les approches.
D’autres différences intrinsèques à la montée du national populisme concernent la provenance du porte-étendard. Dans certains cas – comme Milei ou Bolsonaro – il s’agit d’outsiders complets qui atteignent le pouvoir. Dans d’autres, il s’agit de partis traditionnels qui s’alignent sur ce type d’idéologie – les républicains aux États-Unis et les conservateurs au Royaume-Uni – .
Les deux scénarios ont des implications différentes – les freins qui, malgré un virage, peuvent continuer à s’appliquer au sein d’un parti traditionnel, ayant un long parcours, où continuent de militer des modérés, et la situation déchaînée de ceux qui ne sont pas refreinés au sein de leur parti -, cela dépend aussi de la force politique dont ils disposent dans les parlements – une majorité absolues ou bien la nécessité de négocier – et de la qualité démocratique des pays où ils obtiennent le pouvoir.
La vague nationale populiste n’en est pas moins invincible et elle souffre de revers, comme récemment, en Pologne ou en Espagne. Émerge un scénario où en raison de leurs piètres résultats de gestion, ils sont sanctionnés dans les urnes, empêchant le renouvellement de mandats là où la démocratie continue d’avoir une certaine vigueur, comme aux États-Unis (défaite de Trump); au Brésil (défaire de Bolsonaro) ou la Pologne (défaite du PiS). Le cas de la Hongrie démontre les risques des circonstances dans lesquelles la proposition nationale populiste parvient à éroder la qualité démocratique, suffisamment pour pratiquement suffoquer les réelles options de changement (l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OCSE) considère que les dernières élections en Hongrie furent libres, mais non justes).
Malheureusement, selon ce que s’entendent à souligner les études internationales les plus respectées en la matière, la qualité de la démocratie est en régression en de nombreux endroits du monde.
Les droites conservatrices traditionnelles, en pleine crise de panique en raison de la montée des propositions nationales populistes radicales qui les éliminent (France, Italie) ou réduit leur espace de manière à rendre impossible leurs possibilités de gouverner sans eux, choisissent de plus en plus de collaborer avec les radicaux ou achètent leurs arguments. L’histoire les jugera pour cela.
Les gauches sociales démocrates et les libéraux, pour leur part, doivent raisonner à fond. Non plus seulement aux problèmes globaux qui donnent des ailes aux ultras et offrir des réponses sous formes de protection sociale (« L’Europe qui protège », préconise Macron; « fournir une sécurité », souligne Sanchez dans son discours d’investiture). C’est correct et essentiel, mais il est nécessaire d’analyser plus à fond tout le spectre des actions et des manques qui, depuis les cercles de la modération et du progressisme, ont favorisé le phénomène de la vague nationale populiste dans l’hémisphère occidentale, un grave danger pour le maintien des droits fondamentaux et, dans certains cas, des valeurs démocratiques les plus fondamentales. Le cas de Milei, probablement le plus radical de tous, démontre que son développement peut conduire à des endroits inimaginables et explosifs.
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Andrea Rizzi est responsable des enjeux globaux pour El Pais et auteur d’une colonne dédiée aux questions européennes. Antérieurement, il a été rédacteur en chef et sous-directeur d’Opinion du journal. Il est diplômé en droit (La Sapienza, Roma) maitrise en journalisme (UAM/EL Pais, Madrid) et en droit de la l’Union Européenne (IEE/UBL, Bruxelles).
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Le futur de nos petits-enfants ?
Par Boaventura de Sousa Santo
Diario 16, Espagne
Depuis le commencement de la guerre en Ukraine, j’ai consacré plusieurs écrits au thème de la guerre. Avec l’éclosion de la phase la plus récente de la guerre coloniale d’Israël contre la Palestine, j’ai exprimé avec plus d’intensité ma répulsion pour la destruction massive de vies humaines, pour l’horreur de l’impunité, pour la duplicité des critères basés sur la hiérarchie entre les vies reconnues (et pour cela, protégées) et les vies non reconnues (et pour cela, jetables), pour l’indifférence arrogante, pour l’aveuglement malveillant, pour l’accablante banalisation de la continuité de la solution finale que les colons européens imposèrent aux peuples colonisés.
Devant ce panorama, certaines personnes qui me lisent m’ont demandé, avec une certaine anxiété : Quel est le futur de nos petits-enfants? La question présuppose un « nous » dont les petits-enfants sont les « nôtres ». Qui est ce « nous » ? La question implique une dramatisation personnelle de quelqu’un qui ne s’était jamais posé une telle question, ni même n’avait pensé qu’il devrait se la poser un jour. Ce quelqu’un n’est pas l’humanité dans son ensemble, mais un petit coin du monde (répandu à travers le monde) que nous pouvons appeler l’Europe et sa descendance blanche. Le « reste » du monde, c’est-à-dire, le monde qui a été envahi par les Européens à partir du 15ème siècle et qui à la fin du 19ème siècle constituait approximativement 90% du territoire de la planète, se pose cette question depuis fort longtemps et bien d’autres encore. Cette question renferme une multitude de présupposées.
Temps et qualité de vie. En vous centrant sur vos petits-enfants, vous assumez que le sort de vos enfants est aussi problématiques (ou non) que le vôtre. Cela est uniquement vrai dans les pays où l’espérance de vie est assez haute, comme cela se produit dans le petit coin de la planète qu’on nomme Europe et ailleurs où s’est répandu sa descendance blanche.
Dans les pays où l’espérance de vie est considérablement plus basse (par exemple, dans les pays africains), le futur des enfants est beaucoup plus pressant que le futur des petits-enfants, sauf quand les parents meurent très jeunes à cause du sida et que ce sont les grands-parents qui prennent soin des petits-enfants. Assumant que l’Europe et sa descendance blanche ne sont pas génétiquement supérieurs, vous devrez vous demander pourquoi il y a une si grande différence entre l’espérance de vie et, surtout, pourquoi elle est si mal répartie sur la planète Terre.
L’Europe et sa descendance blanche vivent plus longtemps parce que « les autres » vivent moins longtemps? Auriez-vous une dette temporelle envers eux ? S’il est certain que l’Europe et sa descendance blanche vivent en moyenne plus longtemps, il n’est pas si évident que sa qualité de vie soit inconditionnellement supérieure à celle de ceux qui vivent moins longtemps.
Une des attractions d’un certain type de tourisme prétendument écologique consiste à visiter des endroits et des communautés qui symbolisent une qualité de vie pour laquelle les touristes ressentent une certaine nostalgie parce qu’ils ne l’ont jamais connue. Ce sont des formes irresponsables ou superficielles de conscientisation. Il suffit de penser à l’empreinte écologique que ces visites supposent pour connaître des lieux et des modes de vie attractifs.
Conditions de vie. En regardant les images bouleversantes de la destruction de Gaza au cours des dernières semaines, du massacre de Wiriyamu au Mozambique en décembre 1972, du massacre de My Lai au Vietnam le 16 mars 1965, ou bien du bombardement de Dresde en Allemagne en février 1945, il devient évident que la question des grands-parents dans ces circonstances ne serait pas la même que celle qu’ils m’ont posée. Le futur des petits-enfants était dans les bras ensanglantés des parents et des grands-parents sans savoir s’ils parviendraient à l’hôpital ou s’il n’avait pas été bombardé. Seule la stabilité relative du présent permet de soulever la question du futur. Les questions incommodes sont toujours soulevées depuis un certain confort pour qu’elles ne soient pas destructives.
Le futur duequi ? Le futur de vos petits-enfants sera leur présent, non le vôtre, et l’opinion qu’ils peuvent avoir sur vôtre présent (leur passé) peut être très différent de celle que vous avez.
Vos petits-enfants se moquent de votre préoccupation pour leur futur, qu’eux seuls vivront comme présent. Ils pourront, au maximum, et avec une certaine condescendance, comprendre votre préoccupation comme le résultat d’une certaine résignation parce que vous ne vous êtes pas rebellés dans votre présent. Vous avez préféré leur transmettre un problème qui est le vôtre et uniquement le vôtre. En assumant que leur futur peut être pire que le vôtre, vous vous séparez de tous les autres habitants de la Terre dont les futurs furent détruits pour garantir le vôtre.
Jusqu’à maintenant! C’est là que se situe la racine de votre angoisse. Pour la première fois dans l’histoire, vous avez senti que nous sommes tous dans le même navire et que les gilets de sauvetages ne sont pas suffisants pour tous et toutes. Toutefois, avez-vous réellement ressentis que nous sommes sur le même bateau, ou seulement sur la même mer?
En vous questionnant pour le futur de vos petits-enfants, vous supposiez que votre présent, s’il est bon, est le meilleur possible ou un moindre mal. Votre prévision est que, d’or et déjà, le futur empirera. Toutefois, nul ne séduit personne avec cette posture qui tient autant de la résignation que de la prudence. Vos petits-enfants savent que le présent est horrible pour la majorité de la population de la planète. Seule votre insatisfaction devant la poursuite de la séparation entre le « nous » (Europe et descendance blanche) et le « nous » (ensemble de l’humanité), peut rendre une certain crédibilité à votre préoccupation.
Vos petits-enfants sont préoccupés, mais leurs préoccupations ont peu à voir avec celles de leurs grands-parents. Les préoccupations des grands-parents sont davantage révélatrices de leurs angoisses que de celles de leurs petits-enfants.
Je crois que certains grands-parents n’acceptent pas cette réalité et choisissent de parler avec leurs petits-enfants. S’ils le font dans l’intention de leur enseigner quelque chose, ce sera un premier faux pas. Parler n’aura de sens que si l’apprentissage est réciproque, mais pour cela vous devrez désapprendre beaucoup de ce qui vous a été enseigné. Vos petits-enfants ont d’autres priorités, ils pensent que ce qu’ils auraient pu vous enseigner est inutile pour vous, même si vous parvenez à le comprendre, et, dans le pire des cas, ils n’imaginent pas que vous puissiez apprendre quelque chose. Même ainsi, ils ont beaucoup à vous enseigner sur votre présent parce qu’en fin de compte, ils sont vos contemporains. Peut-être ne diront-ils rien, et c’est précisément par leur silence, l’isolement, l’orgueil ou les demandes d’aide qu’ils peuvent nous faire penser. C’est un dialogue qui, pour ne pas être un dialogue de sourds, doit être mené avec la même patience que celle avec laquelle grandisse les arbres.
Occasions pour converser. Chez les Premières Nations, il est courant d’écouter les anciens, et particulièrement, les grands-mères, qui sont la source de la sagesse. Au cours des longues nuits d’hiver, lors des fêtes, pendant qu’on travaillait au champ, il y a toujours eu du temps pour se raconter des histoires, apprendre un nouveau poème ou une nouvelle technique. Dans le petit coin du monde appelé l’Europe et sa descendance blanche, les anciens ont cessé de savoir raconter des histoires ou les jeunes de vouloir les entendre.
Ce que vous pouvez enseigner : regarder le futur à partir du passé. Les sociétés contemporaines sont divisées entre ceux qui ne veulent pas se rappeler et ceux qui ne peuvent oublier. La question qu’ils m’ont posée obligent ceux et celles qui l’ont formulée à se demander de quel côté ils sont : du côté de ceux qui ne veulent pas se rappeler ou de celui qui ne peuvent oublier ?
L’Europe et sa descendance blanche ont appartenu au groupe de ceux qui ne veulent pas se rappeler, tandis que les peuples qui furent sujet du colonialisme européen appartiennent au groupe de ceux qui ne peuvent oublier. Dû au fait que cette domination ait duré autant de siècles, cela devint une partie de « notre identité ». Il n’existe pas un « nous » euro centré sans oubli. Mais ce n’est pas une fatalité. Depuis de nombreuses années, je soutiens que les identités sont des identifications en cours. C’est pourquoi la réponse à la question qui m’a été posée requiert que l’on réponde d’abord à une autre question : Êtes-vous disposez à remplacer le « nous » (Europe et descendance blanche) par le « nous » (humanité) ?
Vous pourrez seulement espérer enseigner quelque chose à vos petits-enfants si la réponse est positive et si vous les aidez à se sentir appartenir à ce « nous » plus vaste. La volonté d’élargir le « nous » signifie une position existentielle, un processus de désidentification, de désapprentissage et de réapprentissage, qui n’est pas facile, ni exempt de risques parce qu’il se mène au bord de l’abysse.
Une grande part du nihilisme qui prospère aujourd’hui se base sur une mauvaise solution à la désidentification, en se situant à mi-chemin ou perdu aux carrefours.
Désapprendre le refus de se souvenir et apprendre ce qui ne peut être oublié est un processus personnel et historique, psychologique et politique, corporel et mental, matériel et spirituel, immanent et transcendant. Décoloniser l’histoire est fondamental, mais cela ne suffit pas; il est nécessaire de décoloniser les esprits et les corps, la sociabilité et la politique, les sens et l’imagination.
Ce qui est en question, c’est de nous décentrer du monde euro centré et de mille prétentions de supériorité de sa civilisation qui nous furent inculquées depuis l’enfance et commencer à penser qu’il y a eu et qu’il continue d’avoir d’autres civilisations avec des visions différentes du monde et de la vie, et qu’être disponibles pour l’apprentissage réciproque sera un bon début. Seuls les vainqueurs de l’histoire pensent que le passé est clos parce qu’il ratifie leur victoire. D’où ce proverbe africain qui dit que l’histoire de l’Afrique a toujours été racontée et écrite par le chasseur et non par le lion. Rouvrir le passé, c’est le transformer en dénonciation et en tâche : la dénonciation consiste à savoir que le passé n’est pas terminé, que ce qui était considéré comme irrémédiablement passé (spécialement la partie la plus sinistre de celui-ci) fait partie de notre présent. C’est une tâche difficile parce que, plus qu’une tâche de résistance, c’est une tâche de ré-existence. Si vous pouviez questionner votre passé, vous pourrez questionner votre présent.
Ce que peuvent vous enseigner vos petits-enfants : la nature ne nous appartient pas, nous appartenons à la nature. Spécialement les jeunes d’Europe et leur descendance blanche vivent intensément la crise écologique. Ils ressentent un vif malaise dans votre présumée zone de confort, davantage que vous ne pouvez l’imaginer. Pour eux, ce qui est en jeu, c’est la fin de l’humanité en tant qu’espèce, une espèce parmi les millions d’espèces qui apparurent sur la planète Terre il y a trois cent ou deux cent mille ans à laquelle rien ne garantit qu’elle ne s’éteindra pas. Comme la vie humaine représente 0,01% de la vie totale sur la planète, il est facile d’imaginer que la planète peut continuer de s’épanouir sans la présence des humains. Vos petits-enfants sauront vous expliquer les conséquences de l’imminente catastrophe écologique à laquelle nous sommes parvenus. Et certainement ils concluront par une question qui vous réduira au silence et vous fera honte de la question que vous avez posée (mais qui ne m’a pas offensé) : Pourquoi n’avez-vous rien fait pour empêcher que nous en arrivions là?
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Boaventura de Sousa Santos et un académicien portugais, docteur en sociologie, doyen de la faculté d’économie et directeur du Centre d’études sociales de l’Université de Coimbra au Portugal. Il est un professeur distingué de l’Université de Wisconsin-Madison aux États-Unis et de divers établissements académiques à travers le monde. Il est considéré comme une sommité dans le domaine de la sociologie juridique et il est l’un des principaux inspirateurs du Forum social mondial.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Des nouvelles du CAPMO
Collectif TRAAQ
L’Assemblée générale du Collectif TRAAQ a eu lieu le 24 octobre.
Une vingtaine de personnes issues de plusieurs organismes étaient présentes.
L’assemblée a été suivi d’un 4 à 6 pour célébrer l’obtention
d’une tarification sociale des transports publics à Québec.
Femmes immigrantes et solidaires
Les activités vont bon train au rythme de 3 par mois.
Les animatrices sont Carole Babet, Vanessa Irakiza et Houmou Guiro.
Des immigrants… et des papillons
Projection du film documentaire réalisé par Rodrigo Rodriguez et Pierre Mouterde.
Jeudi 7 décembre 2023 à 19h, salle 2 de la Maison de la coopération et de l’économie solidaire
155 boul. Charest Est à Québec
Assemblée générale du Collectif TRAAQ le 24 octobre 2023