Le cancer de la guerre
La Première guerre mondiale eut pour conséquence la fin des empires autrichien et ottoman. Le Proche-Orient que nous connaissons est le résultat du partage que les Britanniques et les Français en ont fait, traçant les frontières selon leurs intérêts, en n’oubliant pas où se situaient les ressources pétrolières. C’est alors que furent créé le Liban, la Syrie, l’Irak, la Jordanie et la Palestine.
Le traité de Versailles de 1918, amena le peuple allemand à vouloir prendre sa revanche. On peut donc dire que, si on n’y prend garde, la fin d’une guerre sème les graines des conflits suivants. À la fin de la Seconde guerre mondiale, après les horreurs de la Shoa et le désir exprimé par les survivants de l’holocauste de se joindre au rêve d’un État juif au Proche-Orient, Israël est créé en 1948, avec les dérangements de population que cela impliquait pour le peuple palestinien. Au cours de cette même période historique, les empires français et britannique succombent sous le poids des volontés d’indépendance de leurs colonies. D’ailleurs la Palestine était une colonie britannique, sauf que dans ce cas particulier, ce sont les colons juifs qui l’exigeaient.
Aujourd’hui, certains craignent que nous soyons à la veille d’une Troisième guerre mondiale qui serait une synthèse de toutes les guerres en quelque sorte; reprenant tous les tords commis depuis un siècle, chacun voulant récupérer le territoire usurpé. Les vieux contentieux refont surface et les rancunes de naguère prospèrent sur les susceptibilités nationalistes, souvent racistes, dans une vision du monde centrée sur son ethnie.
Présentement à Gaza, ce ne sont pas seulement des êtres humains qui meurent, c’est aussi la charte des droits humains qui est dépecée parce que si Israël peut tout se permettre, les autres potentats vont aussi suivre cet exemple envers leurs minorités ethniques. Dans ce drame, c’est notre humanité qu’on assassine.
De plus, la place symbolique qu’occupe Israël pour les croyant.e.s des trois grandes religions monothéistes avec ses lieux saints, transforme ce conflit en scénario d’apocalypse. Il faut dire que grâce aux guerres états-uniennes contre le terrorisme associé à l’Islam, les pays de la région sont en guerre permanente depuis 20 ans. Quoi qu’il advienne, nous sommes entrés dans le règne de la terreur, la diplomatie et la sagesse étant reléguées à de simple vision philosophique sans prise sur les événements.
La demande de l’Afrique du Sud au tribunal international de La Haye représente un signe d’espoir que le droit fondé sur la justice vient au secours des opprimés. Le pays de Nelson Mandela n’a pas oublié les souffrances de l’Apartheid et il se dresse au nom de toute l’humanité pour demander que cesse le massacre des innocents. Pendant ce temps, les gouvernements européens et nord-américains regardent ailleurs, cherchant de nouvelles figures rhétoriques pour s’excuser de ne rien faire devant un autre génocide.
Yves Carrier
2024 METTRA À L’ÉPREUVE LES DÉMOCRATIES
Par Andrea Rizzi* – El País, 2 janvier 2024
L’année qui débute s’avère un défi extraordinaire pour la démocratie dans le monde. Plusieurs facteurs convergent pour déterminer le caractère exceptionnel de 2024. D’entrée de jeu, la simple nature du calendrier électoral implique que la moitié de l’humanité est convoquée aux urnes dans des pays importants aux prises avec des situations internes turbulentes. Ensuite, le contexte où le calendrier se déroule, au sein de panorama géopolitique marqué par une tension inconnue depuis des décennies entre démocraties et régimes autoritaires, avec l’irruption de l’intelligence artificielle générative, de nouvelles ombres sur la liberté d’expression, une économie en phase de décélération et de nombreuses dettes accumulées.
La démocratie arrive à cette épreuve transcendantale affaiblie par des années d’érosion à l’échelle globale. « La démocratie est menacée, l’autoritarisme avance, les inégalités augmentent, de même que les incitations à la haine. Face à ces défis, s’unir est devenu un verbe déprécié », avertit le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans un discours devant l’Assemblée général en septembre 2023.
Les principales études internationales s’entendent à décrire un processus de détérioration qui s’accroit d’année en année. Ainsi, on enregistre une détérioration des conditions démocratiques dans un grand nombre de pays. L’institut V-dem, par exemple, évalue qu’en 2022 la qualité de la démocratie dans le monde a reculé aux niveaux de 1986, avant la chute du Rideau de fer. Freedom House enregistre également une vague de déclin démocratique dans le monde qui dure depuis 17 ans – même si 2022 fut le moins pire de la série. Dans certains pays, il y a eu des coups d’État et des reculs à des situations de pure autocratie – plusieurs cas en Afrique au cours des dernières années, dont le Niger et le Gabon parmi les derniers -. Dans plusieurs autres, la nature démocratique persiste, mais affaiblie dans ses traits caractéristiques, de l’État de droits et la séparation des pouvoirs jusqu’à la liberté d’expression et l’égalité. Ainsi, cela s’est produit selon différents degrés d’intensité en Inde, aux États-Unis, en Israël ou en Hongrie, selon Freedom House.
« 2024 sera marqué par une explosion d’activité électorale partout dans le monde », considère Kevin Casas-Zamora, secrétaire général de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale, ayant son siège en Suède. « Le problème c’est que l’intégrité électorale est sous attaque dans le monde. Plusieurs de ces élections auront lieu dans des conditions où la compétition ne sera pas égale, la désinformation règnera ou l’autorité électorale sera cooptée, entre autres phénomènes. Dans d’autres cas, les élections, loin de constituer une réaffirmation de la démocratie, peuvent accroître des résultats qui favorisent des tendances qui lui sont adverses. »
« Il est très probable que cette vague électorale rendra encore plus visible la tendance à la détérioration de la démocratie, même dans celles qui sont les plus solides », poursuit Casas-Zamora.
« Ce que nous voyons partout dans le monde, c’est une prolifération de ce que Guillermo O’Donnell, le grand politologue argentin, appelle des « démocraties de base intensité », avec des inégalités croissantes, des faiblesses notables dans l’État de droit et de graves problèmes pour accéder aux droits de base. »
Le calendrier
L’alignement des étoiles électorales constitue un cycle d’une signification politique inusitée. Il est prévu de tenir des élections présidentielles ou législatives dans près de 70 pays. Parmi elles, plusieurs apparaissent fondamentales pour le présent et le futur mondial du modèle démocratique, comme aux États-Unis – première puissance mondiale -, l’Inde – le pays le plus peuplé et le plus diversifié de la planète, l’Union Européenne – un bloc qui est une référence pour le droit – ou l’Indonésie – plus grande démocratie musulmane du monde. La concurrence pour le pouvoir sera sans doute acharnée, probablement trouble dans de nombreux cas. Les campagnes électorales sont des moments critiques pour les démocraties.
Les États-Unis vont aux urnes divisés par un niveau de polarisation que les experts s’accordent à considérer comme très élevé. Une victoire de Donald Trump, le politicien qui encouragea l’assaut sur le Capitole, est plausible, tout comme l’est un résultat très serré qui accroitrait les tensions. « Qu’importe le résultat, mais particulièrement si Trump est élu, une dysfonction démocratique profonde des États-Unis est l’une des menaces les plus grandes pour la santé démocratique à l’échelle globale », commente Casas-Zamora. « De la même manière que les États-Unis furent un facteur clé dans l’expansion mondiale de la démocratie dans la seconde moitié du 20ème siècle, les signes toujours plus évidents de détérioration de la démocratie nord-américaine rend plus difficile le travail de promotion du modèle démocratique libéral comme option politique attractive. »
L’Inde votera sous l’ombre épaisse d’une détérioration démocratique dénoncée par les instituts internationaux et les opposants. Modi et son projet nationaliste hindou – devant lequel la minorité musulmane, 200 millions de personnes, se sentent marginalisée – ont l’ambition d’obtenir un 3ème mandat consécutif. En dehors des rangs de ses supporteurs, grande est l’inquiétude de ce que cela pourrait signifier en termes d’éloignement de l’Inde de son consensus constitutionnel séculier et inclusif et, en définitive, en termes de qualité démocratique.
Même si de nature différente, les élections européennes seront aussi un test important pour la démocratie, pour ses 450 millions de citoyens et citoyennes, mais aussi pour le reste du monde en raison de sa puissance commerciale et normative en tant que bloc. Le haut représentant de la politique extérieure de l’Union européenne, Josep Borrel, a dit à l’occasion du Grand sommet continental, une conférence annuelle organisée par la Revista homonima : « Les élections européennes seront marquées par ces deux guerres (Ukraine et Gaza) et leurs conséquences. Elles seront une réponse à tout cela. J’ai peur d’une chose. J’ai peur de la peur. Que les Européens votent en suivant leurs peurs.
Les partis qui utilisent la peur comme argument et qui offrent de mauvaises réponses à de bonnes questions, peuvent obtenir l’appui de la population. Nous pouvons voir une augmentation des forces d’extrême droite. Si les forces politiques ne présentent pas une analyse lucide de ce que représentent les dangers, si nous ne sommes pas capables de le faire, je pense que les élections européennes seront aussi périlleuses que les états-uniennes. »
Le contexte géopolitique
Les fortes tensions dans le domaine des relations internationales pèseront sur l’extraordinaire cycle électoral de 2024. Depuis plusieurs années affleurent de nombreuses tentatives, spécialement en Russie, de conditionner l’opinion publique dans d’autres pays, que ce soit en fomentant la discorde et la polarisation au sein des sociétés occidentales ou en encourageant le rejet des pays occidentaux dans les sociétés du sud global. Le contexte actuel de confrontation et de concurrence entre les puissances, fait penser qu’aujourd’hui plus que jamais, sont possibles des efforts perturbateurs des processus électoraux.
La Russie a lancé une guerre totale contre l’Ukraine, qui a l’appui de l’Occident. La Chine se voit impliquée dans un bras de fer avec les États-Unis, rempli de récriminations et d’incompréhensions, qui implique aussi d’influencer en sa faveur les relations avec des pays tiers. Moscou et Pékin, de plus, ont écrit noir sur blanc leur intention de modifier l’ordre international et leur conviction que la démocratie et les droits humains ne sont pas des valeurs absolues, mais des concepts relatifs, susceptibles d’avoir différentes interprétations. Il ne semble pas irrationnel de penser qu’ils tenteront d’influencer les processus électoraux. Par exemple, il existe des symptômes évidents de tentatives par Pékin d’influencer les élections à Taïwan.
L’intelligence artificielle
Quiconque désire interférer dans les processus électoraux, dispose aujourd’hui d’un outil puissant qui n’existait pas auparavant, l’intelligence artificielle générative. Les experts associent les plateformes digitales, et spécialement les réseaux sociaux, à l’augmentation de la polarisation. En partie à cause de ses propres logiques de fonctionnement, avec des algorithmes qui favorisent la polémique et l’exposition à des messages qui renforcent les convictions, et en partie par l’action d’acteurs intéressés. Certains leur en attribuent la cause, d’autres pensent qu’ils sont davantage un écho propagateur. De toute façon, il est difficile de nier que ces médias ont un effet important dans la polarisation.
Maintenant, les nouvelles avancées technologiques multiplient les possibilités de diffusion de messages qui cherchent à désinformer, à confondre, à polariser ou même à encourager la haine. L’Union européenne vient de donner le feu vert à un projet innovateur de régulation des usages de l’intelligence artificielle, pour limiter les risques associés à la technologie. Toutefois le bloc européen est pionnier en la matière.
Le reste du monde ne l’a pas encore réglementée et la majorité des pays auront des difficultés à le faire parce que leurs marchées sont petits et le bras de fer avec les géants technologiques est complexe.
La liberté d’expression
Les campagnes électorales se dérouleront dans un environnement marqué par de nouveaux défis à la liberté d’expression. Les interdictions ou les limitations de manifestation en faveur de la population palestinienne dans des pays comme la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les États-Unis, constituent un épisode extrêmement polémique.
Le ralentissement économique
Tout cela a lieu dans un contexte économique global qui, même s’il n’est pas aussi catastrophique que certains l’envisageaient après la montée inflationniste subséquente à la guerre en Ukraine, n’est pas non plus idyllique. La dette des pays est en hausse et depuis la pandémie, la hausse des taux d’intérêt la rend moins supportable, l’inflation affecte le pouvoir acquisitif qui dans la plus grande partie des cas n’a pas été récupéré et ne le sera pas. Cela produit à la fois un mal-être social et limite les marges de manœuvre gouvernementales de plusieurs pays.
Au fond, demeurent les déséquilibres structuraux qui menacent d’alimenter les secousses déstabilisatrices. La politologue Lea Ypi rappela lors de la conférence européenne la leçon de Machiavel, celle selon laquelle la stabilité des systèmes dépend d’un bon équilibre entre les élites et le peuple. Ypi considère, dans un débat sur l’Europe, que cet équilibre n’est pas obtenu. La longue saison électorale en Europe et dans le reste du monde peut allumer la mèche de manifestations de mécontentement déstabilisateur.
« Il n’y a pas de solutions faciles à rien de cela », souligne Casas-Zamora. « La mobilisation civique pour défendre les droits, continue d’être vigoureuse partout dans le monde. C’est aujourd’hui l’unique source d’espoir de rénovation du projet démocratique. Il faut protéger cet espace d’action civique. Mais cela ne sera pas suffisant si nous ne réformons pas les systèmes démocratiques pour qu’ils soient davantage capables de recevoir et de faire avancer les demandes sociales. Si la démocratie n’offre pas de solutions tangible aux demandes sociales, les gens chercheront ces solutions dans d’autres modèles politiques ».
Au cours des dernières années, malgré une dynamique négative, la démocratie a démontré d’importants signes de résilience. Le Brésil et la Pologne, par exemple, sont parvenus à passer à travers des périodes de présidence d’extrême-droite ayant des instincts et des pratiques douteux. Il n’est pas impossible de surmonter les défis, mais il convient de ne pas sous-estimer les risques.
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Andrea Rizzi est coresponsable des enjeux globaux au journal El Pais à Madrid et auteur d’une colonne dédiée aux questions européennes publié les samedis.
Traduit de l’espagnol
par Yves Carrier
Iximulew: rébellion des peuples
Contexte : Au Guatemala, le président élu à la majorité ne peut assumer ses fonctions en raison de dispositifs juridiques imposés par le gouvernement sortant. Depuis 20 jours, les communautés indigènes occupent pacifiquement le centre des villes en appui au président élu.
Par Kajkoj Máximo Ba
Guatemala, Publicogt,
9 janvier 2024,
Sources: https://publicogt.com/iximulew-rebelion-de-los-pueblos/
L’appel à la résistance lancé par les autorités des Premiers peuples du Guatemala pour limiter les prétentions d’un groupe criminel qui dirige un coup d’État, a suscité l’intérêt des spécialistes et des analystes. Confirmant qu’après plus de 20 jours de résistance et de mobilisation, ils ne comprennent pas encore avec objectivité ce qui se passe actuellement.
« Un mouvement dirigé » par des hommes et des femmes qui ont appris, non seulement la langue du colonisateur, mais qui sont aussi parvenu à faire entendre leur message dans la sphère politique et sociale jusqu’à maintenant occupée par le pouvoir blanc-métisse. Ces autorités dont la fonction est de veiller aux intérêts de la population qu’elles représentent, agissent selon des principes et des valeurs apprises, appréhendées et transmisses depuis des siècles. Des valeurs et des principes fondamentales pour que les autorités et les communautés travaillent de façon complémentaire et articulée.
Premièrement, l’autorité indigène est choisie et non élue. La différence, c’est que lors d’une élection on décide entre plusieurs options, comme cela se produit lors des élections générales. Par contre, la sélection implique de choisir une personne parmi un groupe d’options. Dans la vie politique-sociale des communautés indigènes, l’autorité est choisie antre plusieurs personnes qui ont atteint l’âge pour assumer ces fonctions.
Pour être sélectionné comme autorité, on doit d’abord avoir démontré qu’on est issu d’une famille qui conserve les valeurs et les principes acceptés par la communauté. Ensuite, avoir démontré dans sa vie des attitudes de transparence, d’honnêteté et de responsabilité. Troisième critère, avoir participé aux travaux et aux activités de la communauté.
Quatrièmement, si vous êtes un professionnel, comme cela se produit dans de nombreuses communautés, il ne faut pas avoir fait preuve d’arrogance et d’esprit de domination à l’endroit de la communauté, de plus, on exige que selon sa profession, le candidat ait démontré son appui à la communauté et qu’il n’ait pas fuit ses responsabilité en tant que membre.
Actuellement, on appelle l’autorité communautaire : « autorité ancestrale », parce que son origine est séculaire. Elle n’est pas élue par aucune organisation en dehors de la communauté. Ce ne sont pas toutes les personnes qui sont jugées aptes à porter le bâton de commandement, s’autoproclamant autorité ou représentant du peuple, en profitant des circonstances.
Le bâton n’est qu’un « symbole visible ». L’autorité doit avoir la capacité de soutenir son “loq’olaj ch’ami’y”. Ce n’est pas un « simple bâton d’apparat », ni simplement un symbole d’autorité et de pouvoir. C’est le bâton de commandement et d’obéissance.
L’autorité soutient les actions demandées par la communauté dans ce bâton. L’avoir dans ses mains, ce n’est pas seulement pour le soulever, mais pour se soutenir et soutenir sa lutte et la lutte collective. En le voyant, il rappelle l’engagement, la douleur et la souffrance qui vient avec son « autorité ». C’est ici que se manifeste la parole faite action.
Il y a de nombreuses années, un ancien disait qu’avec le “ch’ami’y”, on supporte la faim, la soif, la fatigue et les maladies. C’est une grande responsabilité, parce qu’on ne peut trahir le mandat de la communauté. C’est elle qui le concède, le légitime et c’est une part fondamentale pour la gouvernance communale que certains s’efforcent d’appeler la « démocratie communautaire ». De là, d’autres représentations comme catéchètes ou présidents de n’importe quel type d’association sociale, ne peuvent être comptés parmi les autorités communautaires, même s’ils se promènent avec de l’encens ou une réplique du bâton de commandement.
« La personne (homme ou femme) qui est nommé par le peuple et assume son k’axk’ol”, c’est-à-dire, la souffrance, la douleur et l’engagement qui vient avec son autorité, ne s’exhibe pas légèrement, parce qu’il sait comment, quand et où le faire. Ses paroles doivent être constructives et non destructives. Il ne permet pas qu’on folklorise la connaissance, ni ne vend l’organisation, ni la force de la communauté. Il est héritier ou héritière et responsable de maintenir l’organisation qui se construit depuis de nombreux siècles. Si l’autorité trahit ces préceptes, la même communauté le répudiera comme c’est arrivé à plusieurs qui, d’autorité communautaire, sont devenus fonctionnaires du gouvernement, des ONG, de l’Église ou de parti politique.
L’autorité indigène a davantage autorité que le président, un député ou un maire. Dans notre histoire, il y a de nombreux récits d’autorités qui ont défié le pouvoir du pape, de la couronne espagnole, des présidents, etc. « L’autorité indigène, revêtue du pouvoir de la communauté et de la dignité du peuple, défend toujours la communauté et doit répondre selon les principes des ancêtres lorsqu’ils disaient : « Nous sommes autant rois que celui d’Espagne ».
L’autorité indigène doit respecter le peuple, le peuple les respecte et ils se respectent mutuellement .
Ils « n’ordonnent pas », mais se respectent, dialoguent, recherchent le consensus. Le « respect mutuel », est une composante fondamentale de la convivialité et du bon gouvernement. C’est là que trouve sens la valeur de la parole, le travail, l’aide mutuelle et la complémentarité, entre autres. Mais jamais on ne doit oublier que l’autorité veille au respect des principes fondamentaux du communautarisme indigène : « l’harmonie et l’équilibre ». Le respect se gagne et se construit » jour après jour. C’est ici que trouve son sens premier l’appel lancé par l’autorité des Premiers peuples, pour ces jours de résistance, pour exiger la démission des « chiens » du pacte criminel. Pour prendre cette décision, ils ont dialogué jusqu’à faire consensus. Cela n’est pas apparu spontanément. Ils ont leur propre processus, comme l’est le temps cyclique. C’est ce que ne comprennent pas ceux qui s’opposent de manière raciste à la présence libératrice des peuples autochtones dans les centres urbains blancs-métisses du Guatemala.
Mais cela ne fait que commencer ! Pour qu’il y a une aube nouvelle, un “saq chahim”, “aq’ lah q’iij ”, il est nécessaire plusieurs “Nuk’uj” (essais). Il y a toujours un commencement, mais il n’y a pas de fin, nous enseigne la sagesse maya. Il n’y a pas de fin, seulement des débuts, des continuités. De là l’exemple de conjoncture et d’articulation comme le symbole du “aj”, la canne de roseau, la canne à sucre. Tout est vie, la mort est la vie, la vie est la mort. Le zéro est le commencement et la fin. Le temps est cyclique et dialectique.
Tout se construit en dialogue, en discussions, en analyses, en réflexions. C’est pourquoi tout n’est pas terminé, parce qu’il y aura sa continuité et ses continuateurs. « Qui va suivre mon exemple, disent les aînés. La répétition du nom, des lieux, des espaces dans les anciens livres des premiers peuples paressait rhétorique, mais ce n’est pas le cas, c’est la manière de raconter les idées et le temps. Ils se rappellent et se souviennent des ancêtres, du premier qui est venu sur ces terres et on nomme les lieux qu’il a parcouru. On mentionne les coteaux, les vallées et les montagnes.
Plus de 50 jours de résistance au système, c’est un essai politique des peuples. Cela ne peut être compris à partir des narratives occidentales, il faut le lire et l’entendre depuis la perspective des Premières nations. Et pour cela, on doit être là, vivant là, marchant là. C’est quelque chose comme le « daseins » de Heidegger, avec l’idée d’être là, comme existence, non pas individuelle, mais collective.
Plusieurs se demandent, « a-t-il eut une révolution? » Qu’ont obtenu les Premiers peuples avec ce soulèvement, quels changements structurels ? Il n’y a pas eu une révolution selon le point de vue marxiste qui signifie changement de système, changements de structures, mais si nous observons, il y a eu un changement dans l’acceptation des Premiers peuples. Dorénavant, même les criminels guatémaltèques savent que les Premiers peuples ont de nombreux siècles de vie ici et maintenant, sans reconnaître leur ancestralité, ils disent : « les Premiers peuples ». Des peuples avec un corps d’autorités bien définies qui se constituent en accord avec des valeurs et des principes communautaires.
Quelle est la racine de la peur qui nait dans la bourgeoisie oligarque créole, quand les Premiers peuples assument leur droit à se rebeller? Parce que c’est ici qu’on démystifie l’idée libérale du « problème indien », une stratégie forgée par l’indigénisme en 1940. L’indigénisme propose comme idée principale que le problème est celui de l’autochtone, alors on lui suggère de s’intégrer, de s’assimiler, de s’occuper de lui-même.
Le moment de mobilisation actuel pose sur l’échiquier politique que le problème ce n’est pas l’autochtone. Le problème c’est l’État et, en tout cas, le problème de l’État et des élites qui le contrôlent contre « l’indien », pour s’emparer de ses terres et de ses territoires. Mariatégui dans son temps disait : « Le problème c’est le système économique et social ». C’est le modèle de l’ambition démesurée de la bourgeoisie créole oligarque narcotrafiquante, pour se maintenir et spolier les biens présents dans les territoires des Premiers peuples, c’est ce qu’ils refusent d’abandonner et de là provient leur peur.
Quand nous parlons de Premiers peuples, cela ne signifie pas seulement parler d’éducation, de culture, de développement, d’amour et du ciel. La revendication fondamentale des Premiers peuples, c’est la terre et le territoire. C’est ce dont ont peur les grands propriétaires narcotrafiquants réunis autour de la Chambre du commerce agricole. Résoudre le problème de la terre et du territoire serait la voie, ce serait résoudre le problème du latifundio et du minifundio et avec ça, celui de la migration, de la colonisation des terres et de l’esclavage. Les grands propriétaires terriens les narco-propriétaires, etc. se retrouveraient sans beaucoup de terre et sans main d’œuvre à exploitée, et tomberait le commerce des Torrebiarte qui ont créé l’Association de défense de la propriété privée, les narratives promues par les journaux électroniques la Republica et Siglo XXI.
Alors, si le projet des Premiers peuples est la terre et le territoire, pourquoi se soulève-t-ils pour défendre la démocratie bourgeoise ? Pourquoi ne font-ils pas une révolution issue des luttes de classes? Les peuples se sont mobilisés pour défendre la démocratie, non seulement pour rendre la stabilité au pays, mais pour dépasser cette démocratie, pour construire un nouveau modèle de pays, de république. Avec un modèle d’État plurinational qui ait pour axe fondamental, la proposition politique-économique des Premiers peuples, comme élément fondamental de son paradigme, beaucoup plus profond que le « buen vivir ».
C’est de cela qu’ont peur les bourgeois oligarques guatémaltèques. Si cela se produit, alors oui nous serons dans une révolution.
Traduit de l’espagnol
par Yves Carrier
Troisième guerre mondiale, les Brics et le Salut de la planète
Par Boaventura de Sousa Santos* – Diario 16, España
Voir article complet en espagnol à https://www.other-news.info/noticias/tercera-guerra-mundial-los-brics-y-la-salvacion-del-planeta/
Je me pose la même question que le grand intellectuel communiste portugais, Bento Jesus Caraça, se fit en 1932 et je souscris à son pronostic. Après avoir affirmé qu’à mesure que s’approchait la Première Guerre mondiale, « les intellectuels, au lieu de mettre tout leur poids de leur prestige dans la balance pour tenter d’empêcher qu’éclate la catastrophe et mettre de l’ordre dans un chaos de folie, attisèrent les flammes et augmentèrent le désordre. Où ils devaient s’élever, ils se dégradèrent, au lieu d’accomplir une noble mission, ils préférèrent la trahison. »
Les questions sont : Qu’est-ce qui a changé depuis ? Voyons-nous des signes claires et précis d’une intention de racheter ce passé obscur? La réponse de Caraça est non équivoque : « La vérité est non! Il y a sans doute des groupes importants d’hommes et de femmes de bonne volonté qui mettent le meilleur de leur intelligence et de leur activité dans la lutte contre la guerre, mais malheureusement l’immense majorité des intellectuels se préparent à un nouveau renoncement de l’esprit. Si une guerre éclate, et jamais nous n’en avons été aussi proche, de partout dans le monde, nous verrons surgir à nouveau des milliers de héros d’officine, déversant les mêmes torrents de mensonges qui en conduiront d’autres sur les champs de bataille… et leur assureront d’être à l’aise à l’arrière du front. »
Le rôle de l’intellectuel est de s’unir aux citoyens actifs pour la paix, aux partis politiques et aux mouvements sociaux qui désirent réellement la paix et dénoncent les forces mondiales qui promeuvent la guerre comme moyen de perpétuer leur pouvoir. Mais l’expérience nous démontre que cette lutte, pour être efficace, doit avoir une dimension organisationnelle. C’est ce dont je vais parler dans ce texte.
Depuis 100 ans, l’Europe est au bord de la guerre pendant qu’elle soigne les blessures de la guerre précédente. Chaque fois, les motifs sont différents, mais elles ont en commun le fait que, même si elles débutèrent en Europe, elles se sont répandues à la grandeur du monde. Ainsi, nous avons vécu entre guerres. (…)
Si nous analysons les débats internes aux États-Unis avant leur intervention lors des deux premières guerres mondiales, nous observons qu’ils commencèrent par se déclarer neutres. Leur intervention postérieure en faveur des Alliés fut faite avec réticence en contradiction avec leur idéologie isolationniste qui avait été si populaire jusqu’au milieu du 20ème siècle. Contrairement à cela, la 3ème guerre mondiale qui se prépare, sera un projet états-unien. L’Europe n’y est qu’une alliée mineure. Pourquoi?
Les deux premières guerres mondiales ne servirent qu’à consolider leur position dominante à l’échelle planétaire. Les États-Unis sortirent renforcis de chaque guerre. Il suffit de rappeler qu’en 1948, le PIB états-unien représentait presque la moitié du PIB mondial (en 2019 c’était 24%). Présentement, les États-Unis sont en déclin et la guerre a été l’option privilégiée depuis l’époque du président Clinton pour freiner ce processus, parce que c’est dans le complexe militaro-industriel que se trouve leur supériorité la plus déterminante sur les autres puissances mondiales.
Il suffit de penser au plus de 800 bases militaires américaines réparties à la grandeur de la planète. De fait, les États-Unis ont été en guerre permanente depuis leur fondation, mais les guerres ne sont jamais les mêmes, et elles n’ont en commun que d’avoir eu lieu loin de leurs frontières.
Aujourd’hui c’est une guerre d’hégémonie; si jusqu’il y a peu, l’option nucléaire était radicalement exclue, aujourd’hui elle est devenue l’un des scénarios possibles. La gravité de la situation provient du fait que le déclin des États-Unis est non seulement évident dans la politique et l’économie mondiale. Maintenant il est ouvertement visible en son sein. Dans le pays le plus riche du monde, un enfant sur six ne sait pas d’où viendra son prochain repas. Parmi les jeunes délinquants (entre 10 et 17 ans) en détention, 42% sont noirs alors qu’ils ne représentent que 15% de la population adolescente du pays. En 2023, 630 massacres ont eu lieu (des fusillades produisant plus de 4 victimes). En 2021, près de 50 000 personnes sont mortes par armes à feu, desquelles, la moitié était des suicides. En 2023, il y avait 653 000 personnes sans logis, 12% de plus qu’en 2022. Les élections de 2024 seront sans doute libres, mais seront-elles justes, étant donné la présence d’argent salle dans le financement des campagnes, et il se peut qu’elles ne soient pas pacifiques.
Devant ce déclin multidimensionnel, les États-Unis consacrent toujours plus d’énergie dans la guerre hégémonique dont l’objectif est de concentrer et de maintenir le pouvoir dans l’État hégémonique sur lequel est fondé l’ordre international, un ordre unipolaire par nature. La dualité des critères dans « l’ordre basé sur des normes » (il suffit de comparer le traitement de l’Ukraine versus la Palestine) est la principale caractéristique de l’ordre hégémonique. Avec la chute de l’Union Soviétique et la fin du Pacte de Varsovie (1991), la guerre pour l’hégémonie paraissait gagnée pour toujours. Mais comme le développement du capitalisme mondial est inégal et combiné, de nouveaux défis à l’hégémonie états-unienne ont surgi, en grande partie en provenance du développement accéléré de la Chine.
En 1949, la Chine communiste commença à se préparer pour un siècle de renforcement qui lui rendrait sa position au sommet du système mondial qu’elle occupa jusqu’en 1830, même si depuis le 16ème siècle elle partageait une certaine multipolarité avec l’Europe impérial.
Comme l’affirme Xulio Rios dans son livre « La métamorphose du communisme en Chine », Mao Zedong a mis la Chine sur pied, Deng Xiaoping l’a développée et Xi Jinping personnifie la poussée finale qui en fera un pays puissant ayant une position centrale dans le système mondial, qui culminera en 2049. Tandis que Mao laissa de côté la culture chinoise traditionnelle de Confucius et Deng priorisa le développement sur le marxisme, Xi cherche une synthèse des trois idéologies fondatrices avec l’idée d’un « socialisme avec des particularités chinoise dans l’ère nouvelle. »
À l’époque de la mondialisation, la Chine fut le partenaire économique qui aida à dissimuler le déclin économique des États-Unis, les alarmes de la guerre hégémonique ne commencèrent à résonner qu’au temps de Bill Clinton. Rapidement, les néoconservateurs (un groupe idéologique qui va d’Hilary Clinton à Victoria Nuland et son mari, pour qui on ne négocie pas avec les rivaux de l’hégémonie états-unienne, il faut les détruire) prirent le contrôle de la politique extérieure. Les rivaux ont des maillons faibles et c’est là qu’il faut les attaquer.
La Chine en a deux : son principal allié, la Russie et Taiwan. La guerre d’Ukraine a été depuis le début une stratégie de changement de régime en Russie. L’objectif était d’épuiser les leaders politiques russes (spécialement Putin), comme ont fit dans les années 1980, jusqu’à ce qu’arrive au pouvoir un double de Gorbatchev et qu’il convertisse la Russie en un ami des États-Unis, et donc, en ennemie de la Chine, ce qui amènerait cette dernière à demeurer confiner à l’Asie. Comme cela apparait évident aujourd’hui, l’objectif fracassa, la Russie est devenue plus forte et sa présence multiséculaire en Eurasie s’est étendue encore davantage.
Le peuple martyr d’Ukraine et les peuple d’Europe, manipulés par une guerre de propagande sans précédent, paient un prix élevé pour cette stratégie. Comme Vlodomyr Zelenski connait peu l’histoire des relations internationale, il ne connaissait pas la phrase de Lord Palmerston en parlant des États-Unis : « Les nations n’ont pas d’amis ni d’alliés permanents, seulement des intérêts permanents. » Si Zelenski ne peut être remplacé, il pourrait lui arriver un accident fatal dans un proche avenir.
L’autre maillon faible de la Chine c’est Taiwan, et c’est là où la guerre d’hégémonie pourrait se livrer avec une plus grande violence. Ce sera une nouvelle Ukraine, mais où les États-Unis auront appris des erreurs commises en Europe.
La guerre d’Israël contre la Palestine est qualitativement différente de la guerre de la Russie contre l’Ukraine pour trois raisons. D’un côté, la première est une guerre coloniale d’extermination, la seconde est une guerre de contention. Ensuite, la guerre d’Israël, loin d’être une perversion du monde occidental, est son miroir le plus cruel : une civilisation qui depuis le 16ème siècle a créé et célébré l’humanité tandis qu’elle déshumanisait la plus grande partie d’entre elle. De l’autre côté, se trouvent les perdants historiques de l’expansionnisme européen, le monde islamique. La possibilité d’une escalade mondiale de la guerre est qualitativement plus grande en ce cas. De là, l’immédiate perte d’intérêt et la baisse de l’aide à Ukraine. Au Proche-Orient, les néoconservateurs cherchent aussi le maillon faible des alliances chinoises. Ce maillon est sans doute l’Iran qui sera probablement le prochain objectif.
La résistance à la Troisième guerre mondiale
L’Histoire est toujours contingente, même si plusieurs facteurs semblent la déterminée. La 3ème guerre mondiale n’est pas inévitable. Les forces de la résistance et de la paix ne sont pas en Europe, le continent le plus violent du monde. Il est certain qu’à l’époque qui a suivi la Seconde guerre mondiale, a surgi en Europe un puissant mouvement pacifiste, dont la plus grande et la dernière manifestation ont été les rassemblements contre la guerre d’Irak en 2003. Ce mouvement a été spécialement fort en Allemagne, qui, toutefois, depuis la guerre d’Ukraine est revenue à ses dangereuses pulsions bellicistes. La résistance se trouve aujourd’hui dans le Sud Global.
Il est possible que cette dénomination soit transitoire et qu’elle ne dure pas longtemps, puisqu’elle est subsidiaire de la phase la plus récente de la mondialisation coloniale-capitaliste qui, comme nous le savons, a perdu du terrain. L’autre problème de cette dénomination et de la dichotomie qu’elle comporte c’est qu’elle homogénéise les différentes réalités socio-historiques incluses dans chacun des pôles de la dichotomie.
Une analyse historique non euro centrique montrera la grande hétérogénéité tant du Nord que du Sud global. Il suffit de prendre en compte que le Nord global inclut les puissances coloniales européennes et certaines de ses anciennes colonies. Par ailleurs, à l’intérieur de l’Europe il y a toujours eu des asymétries propres au colonialisme interne, de l’Europe du Nord en relation avec l’Europe du Sud, de l’Europe centrale en relation avec l’Europe de l’Est, des villes italiennes et de leurs plantations à Chypre avec une main d’œuvre esclave slave (slaves que Hitler, des siècles plus tard, appellera Untermenschen, des sous-humains), pour ne pas parler des Balkans, dont l’appartenance à l’Europe a été questionnée à plusieurs reprises.
La même ou la plus grande diversité peut s’observer dans ce que nous appelons aujourd’hui le Sud global. Les temporalités, les logiques d’intervention et d’interaction et les économies politiques de l’extractivisme colonial dans l’Atlantique Nord, l’Atlantique Sud, l’Océan Indien et la Mer de Chine, sont très différentes, pour ne pas mentionner le fait qu’il inclut des pays qui ne sont pas soumis au colonialisme européen.
Aujourd’hui, nous n’avons plus l’innocence initiale des débuts du 20ème siècle en Europe, quand toutes les avancées de la société industrielle et les communications étaient considérées comme des facteurs d’homogénéité. Bien entendu, l’homogénéisation et la convergence se sont produites, mais contradictoirement, ont aussi surgi des différents, des désaccords, des réinventions de passés distincts et des vocations éthiques et politiques divergentes. Pour autant, les dichotomies doivent être utilisées avec la plus grande précaution et son utilité est toujours provisoire et limitée.
Avec toutes ses réserves, le Sud global compte aujourd’hui avec un acteur privilégié, la Chine, et avec un dense réseau de coopérations régionales et thématiques entre elles, les BRICS+. Est-ce que la Chine est communiste ? Est-ce que la Chine est impérialiste? Dans quelle direction la Chine, en tant qu’acteur privilégié, amènera le Sud global? Toutes ces questions sont objet de débat. La Chine est gouverné par un Parti communiste très centralisé qui compte 90 millions de militants; en termes économiques, c’est aujourd’hui une économie mixte : une base capitaliste – la grande majorité des entreprises (61%) et de l’emploi (82%) appartiennent au secteur privé qui est régi par les règles du marché – avec un rôle exceptionnellement élevé et actif de l’État dans la direction de l’économie et le contrôle financier. Cette structure, combinée avec les relations extérieures de la Chine (contrats de bénéfice mutuel), semble indiquer un mode de comportement qui ne coïncide pas avec le modèle impérialiste (domination et extraction à travers des contrats inégaux, tutelle militaire ou violence). Indépendamment de cette estimation, ce qu’il faut souligner c’est que la Chine agit conjointement avec d’autres de nombreux autres pays ayant atteint un stade de développement intermédiaire et une forte conscience de leur souveraineté. L’organisation des BRICS+ est aujourd’hui la forme organisatrice la plus dense et opérative du Sud global.
Comme il ne s’agit pas d’une nouvelle version du Mouvement des pays non-alignés qui cherchait des modèles de développement qui n’étaient ni capitalistes occidentales, ni socialistes soviétiques, nous devons nous demander quel est le principe directeur du Sud global et jusqu’à quel point il peut être un facteur de paix et de prévention de la 3ème guerre mondiale.
Selon moi, le Sud global aspire à une alternative peut-être plus radicale que l’alternative entre le capitalisme et le socialisme. Il s’agit de la possibilité d’un capitalisme sans colonialisme. L’idée de Léon Trotski que le développement global du capitalisme est inégal et cumulé se base précisément sur les variations de la combinaison du capitalisme et du colonialisme dans les différentes régions du monde. J’ai argumenté que depuis le 16ème siècle, la domination moderne a consisté en une triade : capitalisme, colonialisme, patriarcat. J’ai aussi défendu le fait que les trois formes de domination agissent en articulation permanente et qu’aucune d’elles n’est soutenable sans les autres. En d’autres mots, on ne peut imaginer une société capitaliste qui ne soit pas colonialiste et patriarcale. Le colonialisme historique (occupation du territoire par un pays étranger) n’est pas encore terminé, comme le démontre l’horreur du génocide du peuple de Gaza, et nous ne pouvons pas oublier le colonialisme auquel est soumis le peuple sahraoui. Mais aujourd’hui, le colonialisme continue sous d’autres formes comme le racisme, la saccage des ressources naturelles, la coupe à blanc et la pollution des cours d’eau, l’accaparement des terres, le déplacement forcé des populations, le nombre croissant de réfugiés climatiques, l’emprisonnement massif des personnes noires dans certains pays, les contrats illégaux, les frontières avec des fils de fer barbelé et des forteresses bétonnées, etc.
La raison de la permanence du colonialisme et du patriarcat c’est que le capitalisme ne peut se maintenir sans une fraction plus ou moins élevée de main-d’œuvre surexploitée ou non rémunérée, ou simplement jetable. Le colonialisme et le patriarcat, en fabriquant des populations racialisées ou sexualisées, sont les dominations qui rendent possible cette surexploitation et ce vol de main-d’œuvre. Et c’est dans le Sud global où ces comportent prévalent avec une plus grande intensité.
Le Sud global est aujourd’hui un vaste et complexe réseau de pratiques et d’idéologies qui exigent la fin de la dualité entre le capitalisme apparemment civilisé des métropoles du Nord et le capitalisme barbare des colonies et des néo-colonies. En d’autres mots, un capitalisme sans colonialisme à l’échelle mondiale. J’imagine que s’il triomphe, ce qui surgira de cette victoire ne sera pas le capitalisme tel que nous le connaissons, mais quelque chose de différent qui, pour l’instant, nous pouvons appeler post-capitalisme. La version belliqueuse de l’impérialisme néoconservateur états-uniens représente un effort désespéré pour empêcher ce résultat. Cependant, le pouvoir économique ostentatoire du Sud global (à la grande différence du mouvement des pays non-aligné), pourrait forcer les États-Unis et leurs alliés du Nord global à négocier. Les BRICS+ représentent maintenant plus de 30% du PIB mondial. La négociation est la seule façon d’éviter la 3ème guerre mondiale. C’est là que réside notre espoir. (…)
J’ai plaidé pour une redéfinition radicale des concepts de progrès, de développement, de nature et de droits humains pour faire face au défi du réchauffement climatique. Comme le grand écologiste Giuseppe di Marzo, je soutien que la libération de l’être humain est impossible sans la libération de la Terre-Mère, à laquelle la culture occidentale appelle de manière erronée la nature. Et comme on ne peut penser au nouveau qu’à partir de ce que nous connaissons déjà, je propose l’idée des droits de la nature comme partie intégrante d’une future déclaration (véritablement) universelle des droits humains, puisque la distinction entre la vie humaine et la vie non humaine n’a plus aucun sens et effet si nous voulons préserver la vie sur la planète Terre.
Je le fais à partir d’une position d’arrière-garde de l’ancienne philosophie des Premiers peuples, des paysans et des mouvements écologistes orientés autour de l’idée de l’écologie intégrale. Il n’y a pas de justice sociale sans justice naturelle. Notre corps est une représentation en miniature de la terre-Mère. Pour cette raison, nous ne pouvons pas prétendre avoir une vie saine sur une planète malade, comme nous l’a rappelé le Pape François. (…)
Des alternatives crédibles
Au cours des dernières 100 années, les luttes contre l’inégalité, l’injustice et la discrimination ont été de deux types principaux : les luttes entre la gauche et la droite et les luttes pour la libération et l’autodétermination des colonies européennes. Cela ne fut pas toujours facile à distinguer, et parfois, les luttes pour l’autodétermination anticolonial étaient à la fois des luttes entre la gauche et la droite, comme ce fut le cas en Algérie par exemple.
Dans le cas des démocraties libérales, les luttes entre la gauche et la droite commencèrent en étant des luttes entre des projets de société et d’économie politique (capitalisme face au socialisme ou au communisme); mais après la Seconde guerre mondiale elles se convertirent en luttes entre différentes conceptions du capitalisme (capitalisme libéral, capitalisme, capitalisme social-démocrate selon la théorie de la régulation et de la démocratie (démocratie libérale, social démocratie, démocratie représentative, démocratie participative, démocratie populaire).
Au cours des derniers dix ans, avec le resurgissement politique de l’extrême-droite et du fascisme, la dichotomie entre la gauche et la droite en est venue à désigner la lutte entre la démocratie et la dictature ou une démocratie « mutilée ». Les luttes anticoloniales commencèrent avec l’indépendance politique des colonies et ensuite, elles en sont venues à inclure les luttes antiraciste et anti-patriarcale. Aujourd’hui, spécialement après l’émergence des BRICS+, elles semblent avoir pour objectif une seconde indépendance, l’indépendance économique ou le capitalisme sans colonialisme, comme nous l’avons mentionné plus haut. En ce moment, nous vivons un état de bifurcation dans la vie des luttes sociales pour une société plus juste et aucun des types de lutte que j’ai nommés ne propose une orientation politique adéquate. La bifurcation est entre maintenir ;a distinction entre l’humanité et la nature ou une nouvelle épistémologie et une nouvelle politique qui part de la symbiose entre humanité et nature. Dans le premier cas, ni les luttes entre la gauche et la droite, ni les luttes anticoloniales ou anti-patriarcales n’offrent des alternatives crédibles. La raison fondamentale est celle qui dirige des luttes fragmentées contre la domination moderne, des luttes parfois à caractère économique contre le capitalisme, parfois culturelles et identitaires contre le racisme et le sexisme. Le néolibéralisme, dans ses multiples dimensions politiques-économiques, socio-psychologiques, culturelles et religieuses, est une fabrique incessante de non alternatives et de fausses alternatives. Dans le second cas, la symbiose de la vie humaine et non humaine (la fin de la dichotomie entre l’humanité et la nature), requiert une refondation tant des catégories de gauche et de droite, comme des catégories d’autodétermination et de libération.
Conclusion
La réponse à la question si le fait de négocier avec l’impérialisme états-unien sauvera le monde est non. Dans le meilleur des cas, cela pourrait retarder sa destruction. Toutefois, cette négociation est essentielle pour gagner du temps, pour permettre l’émergence et la consolidation de forces politiques orientées autour de l’idée d’une refondation épistémique-politique qui nous permettra d’entendre la Terre-Mère et de soigner ses blessures qui sont, en fin de compte, nos propres blessures.
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* Boaventura de Sousa Santos est un académicien portugais. Docteur en sociologie, professeur de la Faculté d’Économie et directeur du Centre d’Études sociale de l’Université de Coimbra au Portugal. Professeur distingué de l’université de Wisconsin-Madison aux États-Unis et de divers établissements académiques dans le monde. Il est l’un des scientifiques sociales et chercheurs les plus important dans le domaine de la sociologie juridique et il est l’un des principaux penseurs du Forum social mondial.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Des nouvelles du CAPMO
Bonne et heureuse année 2024
Collectif TRAAQ
Nous aurons des nouvelles ce printemps concernant d’éventuelles améliorations du service ÉquiMobilité.
Femmes immigrantes et solidaires
Les activités reprennent en janvier à raison de 3 par mois jusqu’au mois de juin 2024.
Collectif de luttes et d’actions contre la pauvreté, CLAP-03
Un colloque régional sur la mémoire de nos luttes aura lieu le 20 février à la Maison Mère Mallette à Québec.
Coalition justice sociale, justice climatique
Un colloque régional sur justice climatique et justice sociale aura lieu jeudi le 22 février à Québec.
C’est organisé en collaboration avec le REPAC 0312 et d’autres regroupements.
Mois de l’histoire des Noirs
Nous aurons une conférence en lien avec ce thème le 15 février au 2ème étage du 435 rue du roi.
Le titre vous sera communiqué dans le prochain envoi.
Plan de lutte à la pauvreté
Nous attendons avec impatience ce que le gouvernement proposera dans son prochain plan de lutte à la pauvreté qui doit être présenté ce printemps. Rappelons que la loi sur l’élimination de la pauvreté oblige le gouvernement à présenter un nouveau plan à chaque cinq ans afin de permettre d’évaluer les gains ou les reculs obtenus et de connaitre les moyens mis en œuvre pour y parvenir.