# 362 – Le théâtre de l’opprimé

Bonjour, je m’appelle Yves Carrier et je suis le coordonnateur du CAPMO. Ce soir nous allons expérimenter une méthode d’animation inspiré du Théâtre de l’opprimé d’Augosto Boal, homme de théâtre brésilien et ami de Paulo Freire qui a écrit la Pédagogie de l’opprimé. Cette méthode participative se veut un moyen d’éveillé les participants aux structures d’injustices sociales et économiques qui dominent leur vie, leur permettant ainsi d’accéder à une conscience critique qui les libère de leur sentiment de fatalité.

Ce soir, nous allons choisir au hasard des mises en situations communes vécues par de nombreuses personnes. Nous allons nous diviser en trois équipes qui vont tour à tour jouer le rôle de la victime d’une situation injuste, l’oppresseur qui par indifférence fait subir aux autres une injustice afin d’accroître ses marges de profits. La troisième équipe représentera un groupe communautaire ou de travailleurs impliqués dans cette situation.

Alors nous allons jouer 3 situations, après nous aurons uns discussions plus générales sur la conjoncture économique actuelle. Après avoir formé les équipes, vous aurez une temps de délibération pour faire ressortir les arguments qui reflètent votre position dans le jeu.

Première situation : Transport collectif : L’invisibilité des personnes ainées;

Deuxième situation : Vous recevez un avis d’éviction de votre nouveau propriétaire;

Troisième situation : La fracture numérique: Vous devez obligatoirement passer par la plateforme numérique pour prendre un rendez-vous chez le médecin.

Première situation : Transport collectif

Dans un autobus bondé, des personnes âgées peinent à se tenir debout, les poignées sont inaccessibles et les places assises sont toutes occupées. Personne ne semble disposée à céder sa place alors que le chauffeur ne peut intervenir parce qu’il est occupé à conduire dans le trafic.

Les ainés qui jouent la scène éprouvent de la consternation et ils ont peur de tomber et de se casser quelque chose, voire d’être piétinés par les autres passagers. Ils sont consternés du manque de considération des plus jeunes envers les aînés et autres personnes vulnérables. L’autobus va vide et freine brusquement, les virages sont secs, il est difficile de maintenir son équilibre et ils cherchent à se retenir comme ils le peuvent. De plus, ils reçoivent les sacs à dos remplis de livres en plein visage parce qu’ils sont plus petits que la plupart des autres passagers.

Le groupe des chauffeurs déplorent leurs conditions de travail et ils ne peuvent pas intervenir à chaque fois qu’il se passe quelque chose dans l’autobus. De toute façon lorsque c’est plein, ils  ne voient même pas ce qui se passent à quelques mètres d’eux. De plus, ils conduisent un poids lourd et ils doivent éviter les piétons et les voitures, les cyclistes et les autres véhicules.

Le groupe qui représente les usagers standards du transport en commun se plaignent des arrêts trop fréquents, du temps que cela prend pour faire monter une personne âgé et du retard que cela occasionne pour leurs déplacements vers le travail ou la maison. Ils se demandent pourquoi les aînés ne restent pas chez-eux ou ne prennent pas le transport adapté ou un taxi ?

Il ne semble pas y avoir de solution à cette problématique si ce n’est de construire un tramway qui serait plus confortable ou d’engager des agents de sécurité chargés de mettre un peu d’ordre dans le chaos qui se produit parfois aux heures de pointe ou en fin de soirée, ou bien faire une campagne publicitaire d’éducation au civisme dans les transport en commun.

 

Deuxième situation : L’avis d’éviction

Une dame reçoit un avis d’éviction pour rénovation majeures. Elle apprend que tout l’immeuble sera transformé en condos.

Enjeu : insécurité résidentielle et spéculation immobilière

Les sous-groupes sont formé des locataires à faible revenu, des promoteurs immobiliers et d’un groupe de défense des locataire.

Souligner le décalage entre les discours : « Ce n’est pas personnel » des promoteurs et la détresse humaine des locataires.

Un locataire âgé : « Je vais me retrouver au chemin, sans savoir où aller. À un moment donné, il faut être raisonnable. Les propriétaires ont de l’argent, ça va bien, mais nous avons passé l’âge de nous trouver un emploi pour accroître nos revenus. Les logements ailleurs sont inabordables, c’est trop chers.»

Une autre locataire : « Même quand on travaille, ce n’est pas suffisant pour se payer le prix exigé pour les autres logements. Les logements sont rendus trop chers, et nous avons des dettes aussi. Cela fait longtemps qu’on habite là et on n’a jamais fait de problème, on a toujours payé notre loyer. Comme cela fait longtemps, on avait un bon prix. En plus, nous sommes en plein hiver.

Groupe de défense des droits : Ils ne veulent pas respecter le bail jusqu’au 01 juillet ?

Locataires : Non! Ils doivent respecter le bail, c’est un minimum. C’est notre situation de locataires.

Les promoteurs : « Nous, on ne veut pas nuire à personne. Les pauvres, on respecte ça. Sauf que dans l’évolution normale d’une ville, il faut construire des gros édifices en hauteur pour loger beaucoup de monde.  Du monde capable de payer le prix que cela vaut. On ne peut pas acheter tous les logements parce que certains propriétaires veulent les garder, mais ils nuisent au marché. Ils demandent trop cher pour leurs logements, alors à un moment donné ils n’auront plus de locataires et nous allons acheter leurs blocs pour une bouchée de pain. Nous allons construire des édifices en hauteur parce que cela rapporte. En plus, nous sommes du côté des bonnes gens qui sont contre l’étalement urbain. C’est pourquoi nous voulons que les constructions soient au centre-ville, en hauteur.

Autre promoteur : Qui plus est, les gens en banlieue vieillissent et ils ne pourront plus entretenir leur maison, alors ils vont venir habiter nos édifices en hauteur avec des stationnements souterrains. Qu’est-ce que vous voulez, on ne peut rien contre le progrès. Si on veut que la société progresse, il faut faire de l’argent. Après cela, l’argent va ruisseler sur les autres qui sont moins riches.

Rire général !

Promoteur : S’il y a des gens qui ne trouvent pas de logement, ce n’est pas notre problème, mais il y a des organismes qui s’occupent de ces gens et qui peuvent les aider.

Locataire : Au début, quand je suis arrivé là j’étais capable de payer, mais quand j’ai perdu mon travail, c’est devenu beaucoup plus difficile. Si je me ramasse à la rue, je vais être un problème pour la société.

Promoteurs : Il y a des organismes pour aider les personnes en situation de pauvreté.

Groupe d’aide aux locataires : Vous savez qu’il existe une loi pour la protection des locataires et un tribunal auquel vous pouvez faire appel en cas de litige avec votre propriétaire. Vous n’êtes pas obligés d’accepter une hausse abusive du prix de votre logement si c’est au-delà de l’inflation. Cela s’appelle la Régie du logement.

C’est la peur qu’on transmet aux locataires qui fait qu’ils refusent de se défendre.

Mais pour vous défendre efficacement contre un avis d’éviction, vous devez être unis et faire front commun pour vous battre ensemble et faire valoir vos droits. Individuellement, c’est certain qu’ils vont vous manger.

Sortez de votre individualisme.

Promoteurs : C’est des taudis, il faut faire le ménage. C’est sûr que ce n’est pas bien de voir des mendiants quand les touristes arrivent. Il faut faire de quoi, il faut les sortir du quartier. Il y a des endroits pour cela, il faut qu’ils s’en aillent ailleurs. Le gouvernement devrait s’en occuper.

En plus cela va créer de l’emploi.

Groupe de défense des droits : C’est ça, vous garder les profits et vous pelletez le problème sur le gouvernement et la société. Ce ne sera pas vous parce que vous avez des crédits d’impôt qui font que vous n’en payez pas.

On s’aperçoit qu’il y a une concentration de la propriété des logements à Québec et au Québec. On ne parle plus de la dame qui a un ou deux logements au-dessus de chez elle. Ce sont de véritables conglomérats qui possèdent des milliers d’appartements. Ils font même des annonces à la télévision où ils se vantent de posséder d’immenses parcs immobiliers de plusieurs milliers d’appartements. On ne parle plus de la même chose, et surtout du même rapport de force entre propriétaires et locataires. Comment veux-tu te défendre contre cela ? Ils ont des firmes d’avocats dédiées à cela.

Locataires : On n’est plus que des numéros, c’est complètement dépersonnalisé. Comme disait Staline : « Un chômeur, c’est une tragédie, mille chômeurs, c’est une statistique. »

Rire général !

Promoteurs : Faire obstacle aux affaires, c’est faire obstacle à l’économie et à la survie du pays. Les affaires, c’est ce qui nous fait vivre.

À part cela, on fait travailler un paquet de monde, c’est de l’argent qui tourne. Le capitalisme, c’est le progrès.

Organisme de défense des locataires : C’est important pour nous de comprendre quel est le discours dominant des élites économiques. Réno-viction, diviser les locataires, concentration de la propriété, avez-vous des choses à ajouter si on sort de nos rôles ?

Moi, je suis membre du BAIL, un organisme qui vient en aide aux locataires. Nous avons eu une réunion hier. Nous arrivons au constat où il va falloir que les gens se tiennent debout. Il y a de nombreux organismes qui ont les pieds sur terre avec des lois, qui sont bien organisés. Au BAIL, on reçoit à tous les jours énormément de téléphones. Ce sont des gens qui sont pris dans des situations comme celle que nous venons d’expérimenter.

Cela pourrait arriver à n’importe qui. Mais le processus lui-même de défense du locataire doit être pris sérieusement en considération par les locataires eux-mêmes, parce que toutes les lois sont là.

C’est délicat parce que cela concerne beaucoup de monde.

* Ça m’est arrivé. Ils ont vendu l’immeuble où je demeurais dans Saint-Roch. J’ai reçu un avis d’éviction parce qu’ils voulaient louer mon appartement à leur neveu. Je payais 635$ par mois pour un 4 et demi. Maintenant je paie le double à Limoilou pour la même grandeur. Un an plus tard, je suis passé et c’est devenu un Airbnb. Ils m’ont fait une passe, ils n’avaient pas le droit de faire cela. Vous avez 3 ans pour reveni contre ça, mais je n’ai pas envie.

* Le BAIL organise une tournée d’autobus le 8 octobre au matin. C’est une tournée du quartier pour relever les injustices commises par les propriétaires. Vous pouvez encore vous inscrire sur leur site. Ce sera aussi une activité d’éducation populaire pour la défense collective des droits des locataires.

 

Accès numérique obligatoire, mais inaccessible

Résumé : Une personne ne parvient pas à s’inscrire à un rendez-vous médical car le service est uniquement en ligne.

Enjeu : Fracture numérique, isolement, dépendance.

À faciliter : Souligner le rôle des technologies dans l’exclusion des personnes.

Sous groupes : Personnes sans accès à Internet, les employés qui répondent au téléphone, les cadres qui rendent l’accès au service en ligne obligatoire.

 

* Dring, dring !

* Clinique médicale du CAPMO, bonjour !

* Oui, je voudrais prendre rendez-vous pour des prises de sang.

* Vous devez aller sur la plateforme numérique en ligne pour vous inscrire en ligne.

* Oui, je veux bien, mais je n’ai pas Internet et je suis non-voyant.

* Je vais vous mettre en attente et je vais demander si on peut faire une exception.

* Patron, on a quelqu’un au téléphone qui n’a pas internet et qui est non-voyant. Il demande si on peut l’inscrire pour une prise de sang ?

* Il faut qu’il s’organise, il faut qu’il trouve quelqu’un pour l’aider, quelqu’un qui a Internet. Il faut qu’il s’informe. Nous, on ne peut plus, ça coûte trop cher des services personnels. Il faut que cela soit ligne parce que c’est beaucoup plus facile à contrôler.

* La personne que vous avez au téléphone, c’est probablement quelqu’un d’assez âgé. Vous savez, ils ont des enfants ces gens là.

* Je vais lui dire. Merci!

* Bonjour monsieur, vous pouvez demander de l’aide à vos enfants, vos amis, vos voisins.

* Je n’ai pas d’enfants malheureusement.

* Vous connaissez sûrement un enfant.

* Il n’y a pas d’enfants dans mon bloc.

* Vous savez, les services personnalisés au téléphone coûtent trop chers, vous devez aller en ligne.

* Qu’est-ce que vous faites de l’accessibilité pour les personnes handicapées ?

* On s’excuse, vous rappellerez.

* De toute façon, il faut qu’il passe par le portail client. C’est un sous-traitant qu’on a. On les paie pour ce service.

* Il peut se faire aider par un membre de sa famille. Sinon, qu’il aille à la bibliothèque.

* C’est important que tous les gens deviennent capables de se débrouiller avec Internet le plus tôt possible.

* Nous, ça prenait tout notre temps de prendre des rendez-vous téléphoniques.

* Pourquoi, en 2025, vous n’êtes pas encore numérisés ?

 

Les débranchés : Première des choses, l’accès à Internet devrait être gratuit. C’est devenu un service essentiel. Un autre nous a dit qu’il n’avait pas de téléphone cellulaire. Quelqu’un nous a rapporté que c’est sa belle-mère qui prend rendez-vous pour lui. Un autre a dit, comment on fait pour prendre rendez-vous chez le médecin ? C’est comme un mystère. Il y en a un que c’est la secrétaire du médecin qui l’appelle. Un autre trouve que la plateforme en ligne est trop compliqué.

Il a oublié de mentionner le gars qui refuse Internet parce qu’il y a de la fraude en ligne.

* Là, t’es arriéré, t’exagère.

* Parfois, je parviens à m’inscrire, mais à la fin, ils demandent une carte de crédit. Or, je n’en ai pas.

* Tu veux que ce soit gratuit. Tu veux avoir l’autobus gratuit, qu’est-ce que tu veux encore ? Qui va payer pour ça ?

Les téléphonistes : On comprend que c’est difficile pour la clientèle, mais on n’a pas le choix. Il faut qu’on écoute ce que le patron dit, sinon on va perdre nos jobs. Déjà on est très près de se faire remplacer par des ordinateurs. On est juste là pour dire aux gens d’aller sur Internet pour s’inscrire. Ça sent la fin. Nous aussi on est victime de ce système.

* Vous pourriez vous faire remplacer par l’intelligence artificielle.

* Le but de l’informatisation, c’est que cela coûte le moins cher possible. Le service Ça clic !, c’est pour économiser de l’argent.

* On ne peut rien faire contre le progrès.

* Organisez-vous!

 

Maintenant, si on sort de nos rôles, qu’est-ce que vous en pensez ?

* Moi, j’ai l’impression que le gouvernement nous dit : Allez dont au privé! Le sous-texte, le message implicite c’est : Allez au privé! Non seulement pour le système de santé, mais aussi pour l’école publique.

* Je ne suis pas sûre.

* Mon gendre vient du Chili et les hôpitaux privés sont super propres et tu n’attends jamais. Mais c’est pour une partie seulement de la population qui y a accès. Les autres vont dans de vieux hôpitaux délabrés qui ne peuvent pas vraiment les soigner. C’est un système qui est très injuste.

* Ça commence à être comme ça ici. Cet été, il y a une de mes amies qui a été hospitalisée pendant un mois. Lorsqu’elle est sortie, ils lui ont dit : « Madame, si vous aviez été au privé, cela aurait été réglé plus vite. »

* Je trouve quand même bizarre que des employés du système public disent aux gens d’aller se faire soigner au privé.

* C’est rendu grave. C’est pour cela que le revenu de base pour tous ne suffira pas si nous devons payer pour aller nous faire soigner au privé. Déjà, au niveau des groupes de personnes handicapées, la bataille c’est pour avoir accès aux services. Parfois, pour passer un examen, il faut aller au privé. On n’a pas le choix d’aller au privé, parce que c’est rendu inaccessible dans le système public. Je pourrais vous en parler longtemps.

* Moi, ce qui m’écœure beaucoup, c’est le fait que même si tu as un accès et que tu réponds au téléphone, moi je prends les rendez-vous pour mon père, maintenant tu dois répondre à un sondage et un rendez-vous correspond à un seul problème de santé, ce qui nous oblige à nous déplacer plusieurs fois pour répondre à l’ensemble des problématiques de santé qui l’affligent.  Je trouve cela épouvantable. Alors, qu’est-ce qui en ai des gens vulnérables qui sont pris pour retourner de nombreuses fois chez le médecin où à l’hôpital ?

* Parfois, l’informatique me donne l’impression que nous sommes des cobayes. Ils nous font passer de nombreux examens inutiles lorsqu’on est hospitalisé simplement parce qu’on n’a jamais le même médecin et que les médecins ne lisent pas les rapports médicaux.

* Moi, ma blonde est allée à l’hôpital et elle a eu un très bon service.

* On entend les deux. Quand tu es hospitalisé, ils s’occupent de toi.

* Le plus difficile, c’est de rentrer.

* Sauf que parfois, quand tu es rendu à l’hôpital, c’est parfois trop tard.

* Ils sont en train de détruire tous les acquis de la Révolution tranquille.

* C’est épouvantable.

* Ce sont tous et toutes des néolibéraux, peu importe le parti politique.

* Le sociologue Guy Rocher est décédé dernièrement, l’un des pères de la Révolution tranquille.

* J’ai l’exemple de Kattawapiskap, un film d’Alanis Obomsawin. D’abord les journalistes ont critiqué les gens de la communauté parce qu’ils ont décidé de construire un arena plutôt que de s’attaquer au problème du manque de logement. Mais pour eux, c’était un geste d’espoir pour sauver la vie de leurs jeunes qui consommaient et étaient enclin au désespoir et au suicide. Ce documentaire démontre comment la société blanche est prompte à juger sans connaitre les réalités qui affectent les gens de ce communautés isolées.

* On pourrait conclure en partageant notre regard sur la société.

* Ici, ce n’est pas un discours politique ouvertement haineux comme aux États-Unis. C’est plus insidieux.

* J’ai vu que la ministre Rouleau voulait diminuer les prestations d’aide sociale pour les demandeurs d’asile.

* Oui, ils vont diminuer les prestations de 15$ à 30$ par mois.

* Certains politiciens veulent profiter d’un mouvement anti-immigrant, limite exnophobe, qui se répend dans l’ensemble des société occidentales. C’est un discours populiste qui est facile parce qu’il désigne un bouc émissaire à tous les maux qui affligent la société.

 

Propos reportés par Yves Carrier

 

 

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