Chronique du temps perdu
Pendant que les oligarques se prélassent sur leur yacht de luxe ou se baladent dans leur jet privé en rêvant d’aller faire un tour dans l’espace avec Spacex, la planète brûle, les records de chaleur sont battus à chaque année, les guerres pour les dernières ressources se préparent et nous assistons impuissant à l’extermination d’un peuple pour des motifs religieux qui remontent à l’Antiquité. Cela dans le silence assourdissant de nos gouvernements « démocratiques », tant que cela n’entrave pas la marche des affaires évidemment.
De plus, nous recevons de façon permanente l’injonction de se taire, de regarder ailleurs, ou de faire semblant que tout est normal. Les gens vivent de plus en plus seuls, isolés avec Internet comme seul ami, occupant leur temps libre à ne rien faire. Bientôt l’Intelligence artificielle nous dira quoi faire, et surtout quoi penser. Alors que les pays occidentaux, drapés dans leur supériorité morale, voient le monde s’effondrer sous leurs pieds, la propagande continue de déverser ses semi-vérités en promettant d’éliminer ceux ou celles qui oseraient prétendre le contraire.
Il existe un pessimiste de la raison qui n’est pas forcément un désespoir du courage de vivre, un combat pour la liberté qui se mène même lorsqu’on sait que les chances de l’emporter sont fort minces vu les forces en présence et notre apparente faiblesse. Mais il s’agit d’un géant aux pieds d’argile et nul ne sait l’heure de son effondrement et ce qu’il restera de nous. Sincèrement, je crois que nous devons demeurer éveillés, unis et en mouvement.
Bien sûr la vie est plus simple si nous la traversons les yeux fermés, (dixit Strawberry Fields forever) en ignorant le sort des autres peuples, mais sur quoi alors fonder notre éthos ? Est-ce que le sens de la vie s’épuise dans l’accumulation de biens matériels ou d’expériences euphorisantes demandant à être sans cesse renouvelées pour que nous ayons l’impression de vivre?
Si la valeur de nos vies ne s’évaluent pas en nombre d’années, sur quoi se fonde sa qualité réelle, (de quel bois sommes-nous fait) ? Non pas la valeur que je pourrais attribuer aux autres, aux différents de soi, mais celle qui s’élabore en moi en fonction des choix déterminant que j’effectue ou pas à chaque jour. Quelques instants de vérité dans un océan de vide dicté par les injonctions de la publicité qui m’invite à suivre le chemin des bonheurs faciles, sans me risquer dans une solidarité périlleuse pour les miens ou ma carrière.
Bien sûr, il y a aussi la nature à laquelle nous devons nous attacher de toutes nos forces pour ne pas céder au désespoir qu’engendre la conscience du monde cruel dans lequel nous vivons. Pour les croyants, il y a la foi qui n’est pas une panacée, mais qui permet de relativiser l’importance que nous avons, celle d’un roseau pensant, et aimant je l’espère, qui continue malgré tout de rêver à un monde meilleur où la paix ne sera plus une utopie.
Yves Carrier
Le monde est-il en train de s’otaniser ?
Par José Miguel Amiune – y-ahora-que.blog
Le 21e siècle a commencé de manière traumatisante. Le pays le plus puissant du monde a subi un attentat le 11/09/2001, avec ses propres avions et sur son territoire, qui a visé le plexus de son pouvoir financier, militaire et politique : Wall Street, le Pentagone et le Capitole. Avant la fin de la première décennie, la crise financière de 2008 (comparable à celle de 1929), qui éclata à Wall Street. Non seulement elle a ébranlé les fondations de son système financier, mais elle s’est rapidement étendue aux marchés européens, asiatiques et autres. Fin 2019, la première pandémie mondiale, la COVID19, a dévasté le monde, enregistrant un nombre record de victimes et une chute de l’économie mondiale que même les pays les plus développés n’ont pu éviter. Au début de la troisième décennie, la guerre qui a éclaté en février 2022 entre la Russie et l’Ukraine s’est rapidement transformée en un conflit mondial entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie ; dans lequel sont impliquées 4 puissances atomiques qui sont, en même temps, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, l’organisme chargé de préserver la paix et la sécurité internationales.
Quels sont les enjeux derrière ces événements ? Il ne s’agit pas d’une simple période de changement, mais plutôt d’un changement d’ère, de transformation du système international. L’étape qui s’étend approximativement du XVIe au XXe siècle, que l’on peut appeler « l’ère de l’occidentalisation du monde», commence à décliner. Il s’agissait, outre les conquêtes militaires brutales et le pillage des richesses des peuples colonisés par les puissances européennes, de la constitution d’un vaste ordre de toutes choses : politique, économie, sociétés et culture de la périphérie colonisée. Cet ordre imposé était soutenu par des récits sur la configuration, la hiérarchie et l’organisation du monde, d’où découlaient les connaissances et les modes de connaissance théologiques, politiques, économiques, scientifiques et philosophiques. Bref, la constitution d’un ordre colonial confondu avec la réalité, et avec les critères de vérité liés à une idée établie de la réalité. Or, pour construire l’idée de réalité qu’a réalisée l’occidentalisation du monde, il a fallu « discréditer » tous les autres ordres de connaissances, croyances, philosophies et modes de vie. Un tel processus de mise en accusation a commencé en 1492 avec la découverte de l’Amérique et a duré jusqu’au XXe siècle.
Mais les choses ont commencé à changer et ces changements ont été générés par la constitution même de l’ordre occidental du monde, car le renversement de l’ordre précédent a généré des conflits. De tels affrontements sont devenus difficiles à contenir au début du XXIe siècle. J’insiste sur le verbe contenir car c’est précisément le verbe que l’Atlantique Nord (dans des acteurs tels que l’OTAN, les États-Unis et l’Union européenne) utilise à l’égard de la Russie et de la Chine. L’argument pour les contenir est qu’ils représentent une « menace » pour l’ordre établi. Et en vérité, il en est ainsi. Mais non pas parce qu’ils attaquent l’ordre établi mais, au contraire, parce que la Russie, la Chine, l’Inde et d’autres pays émergents sont dans un processus de reconstitution de ce que la colonisation occidentale a supprimé.
C’est le point de non-retour dans la confrontation OTAN-Russie en Ukraine. La reconstitution des démunis implique la désobéissance à l’ordre occidentalisant. Deux piliers de l’ordre occidental sont « l’universalité » du savoir et, par conséquent, des critères de vérité et « l’unipolarité » de l’ordre planétaire inter étatique. La désoccidentalisation remet en question ces deux piliers. Il prône la «multipolarité » dans l’ordre inter étatique et la «pluriversalité » dans le savoir et dans les formes du savoir. La réponse à la désoccidentalisation et à la pluriversalité est la ré-occidentalisation ou otanisation du monde, consistant à maintenir à tout prix les privilèges acquis au cours de cinq siècles d’occidentalisation. Les mots «contenir» et «menace» sont révélateurs : il faut contenir quelque chose qui est devenu incontrôlable, mais que l’occidentalisation elle-même a généré, comme l’émergence rapide de la Chine, de la Russie, de l’Inde et d’autres pays de la périphérie.
Le déclin de l’Europe et l’eurocentrisme
Selon la mythologie grecque, Europe était une princesse phénicienne kidnappée par Zeus et emmenée en Crète. Même dans le mythe, on observe le lien qui a toujours existé entre l’Europe et l’Asie. Un lien qui va au-delà de la géographie puisque, géographiquement parlant, l’Europe n’est pas un continent, mais une partie, une péninsule de l’Asie. Il est donc clair que la différenciation de l’Europe en tant que continent est due davantage à des éléments culturels que géographiques. Cependant, même cette différenciation comporte ses faiblesses puisque, tout au long de l’histoire, diverses réalités culturelles ont coexisté et se sont influencées les unes les autres. Pourquoi considérer l’Europe comme l’axe central de tout le processus historique ? Pour le triomphe et l’imposition de «l’eurocentrisme» dans la guerre culturelle menée du XVIe au XXe siècle.
L’eurocentrisme peut être défini comme la position qui place le continent européen et sa culture comme le centre de la civilisation humaine. Cette perspective se produit à la fois historiquement et économiquement, socialement et culturellement. L’Europe s’impose comme l’axe central à partir duquel tourne le reste du monde.
L’eurocentrisme est une forme d’ethnocentrisme. Et qu’est-ce que l’ethnocentrisme ? C’est la vision d’un groupe ethnique, d’une culture ou d’une société qui se place comme le centre à partir duquel interpréter et juger le reste des cultures, des groupes ethniques et des sociétés. Cette perspective implique généralement une attitude de supériorité envers les autres.
Il est important de noter que, bien que toutes les cultures soient plus ou moins ethnocentriques, l’ethnocentrisme européen a été le seul qui, historiquement, s’est identifié comme une universalité, c’est-à-dire comme une ligne directrice à suivre pour le reste du monde. Dans tout cela, comme nous le verrons, l’établissement et l’expansion du capitalisme à travers la conquête et la colonisation de l’Amérique, de l’Asie et de l’Afrique y sont pour beaucoup. L’eurocentrisme est présenté comme le «modèle universel de développement » et constitue une voie d’universalisation, une voie d’homogénéisation du monde comme le dit Samir Amin dans son livre Eurocentrisme.
Critique d’une idéologie, cette vision ethnocentrique de l’Europe « propose à chacun l’imitation du modèle occidental comme seule solution aux défis du développement historique ». En d’autres termes, selon ce concept, ce n’est qu’en suivant le modèle européen que les sociétés du reste du monde pourront s’adapter, progresser et sortir de la barbarie. Ainsi se construit le mythe d’une Europe «rédemptrice », paternaliste, dont la seule intention est de « sauver » le reste des cultures de leur propre « barbarie » et d’entrer dans le monde civilisé.
Samir Amin, dans le livre déjà évoqué, souligne que les racines de ce concept universaliste européen se trouvent dans la Renaissance du XVe siècle et les Lumières du XVIIIe siècle. Plus tard, au cours du XIXe siècle, le concept fut massivement diffusé. Ces moments historiques coïncident avec les expansions colonialistes européennes, soit vers l’Amérique au XVe siècle, vers l’Asie au XVIe siècle et vers l’Afrique pendant trois siècles : le XVIIIe, le XIXe et une partie du XXe.
L’eurocentrisme affirme sa prétendue supériorité sur plusieurs aspects. La première, l’affirmation selon laquelle le capitalisme est le sommet évolutif des sociétés qui, selon cette théorie, constitue le meilleur moyen de construire une société. Et la seconde, la présomption de continuité historique qui, selon Samir Amin, est inexistante.
Qu’entendons-nous par là ? Simplement, la construction de l’Europe comme axe civilisateur est un mythe né au siècle des Lumières. Cet axe n’existait pas en tant que tel dans l’Antiquité. Le centre culturel de l’Antiquité est passé par l’Égypte et le Moyen-Orient, et non par ce que nous considérons aujourd’hui comme l’Europe. Cependant, le discours historique européen a traditionnellement introduit ces cultures dans sa ligne évolutive, établissant ainsi un axe Mésopotamie-Égypte-Grèce-Rome-Europe absolument artificiel, dans le seul but d’inclure ces civilisations dans l’histoire européenne.
De plus, avant ce discours universaliste européen, il n’existait pas d’« histoire universelle ». Chaque région, chaque réalité géographique avait sa propre histoire et évolution. Nous avons ainsi découvert une multiplicité de réalités culturelles qui coexistaient simplement les unes avec les autres et, oui, s’influençaient les unes les autres. Mais on ne peut en aucun cas parler d’une histoire universelle. On peut donc conclure que c’est le besoin européen de construire une histoire qui a facilité l’émergence de cette « histoire universelle », qui a monopolisé les manuels scolaires pendant des siècles. Une « histoire universelle » qui, en réalité, n’a que très peu d’universalité
Qu’est-ce que tout cela signifie ? Cette uniformité culturelle européenne, limitée à l’aire géographique que nous connaissons actuellement et qui coïnciderait plus ou moins avec l’Union européenne, est une idée qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. Ainsi, et à la suite d’Enrique Dussel, auteur de Europe, modernité et eurocentrisme, ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle, avec les Lumières et surtout avec le romantisme allemand, que la culture hellénistique est considérée comme exclusivement européenne. Nous avons déjà vu que ce n’est pas le cas, puisque des mondes éloignés de ce que nous appelons aujourd’hui l’Europe, comme le monde arabe et le monde byzantin, se sont également abreuvés de la culture grecque.
Désoccidentalisation ou otanisation du monde ?
Au cours de ce siècle, le déclin du système libéral de relations internationales, établi lors de la Conférence de Versailles (1919) qui a créé la Société des Nations et de la Conférence de San Francisco (1945) qui a créé l’Organisation des Nations Unies, s’accentue. La crise de l’ONU, illustrée par : 1) la prolifération de groupes qui ne font pas partie de son système : le G-7, le G-20, les BRICS ; 2) dans son incapacité à prévenir, éviter ou mettre fin aux guerres et à maintenir et renforcer la sécurité internationale ; 3) dans l’existence de différents schémas d’intégration ou blocs régionaux ; 4) la crise du multilatéralisme et 5) le retour de la géopolitique et les avancées de la géo-économie. Tous sont des expressions du démantèlement du système créé à Versailles et reformulé à San Francisco.
Ses conséquences deviennent évidentes dans un conflit apparemment bilatéral et limité, au début, qui se transforme rapidement en conflit mondial. Je fais référence au conflit entre la Russie et l’Ukraine, qui se transforme en une guerre entre les États-Unis et l’Union européenne (à travers l’expansion de l’OTAN) contre la Russie. À proprement parler, il s’agit d’une confrontation entre les États-Unis et la Russie qui se déroule en Ukraine. Il s’agit d’une guerre d’usure menée par l’Occident contre la Russie, qui vise à affaiblir le principal adversaire des États-Unis, la Chine. Car ce qui est en litige ne concerne pas seulement la région du Donbass, mais aussi la création d’un précédent pour internationaliser le conflit entre la Chine et Taiwan. Cela explique l’expansion de l’OTAN qui, à la hâte, a érigé une cordon de sécurité autour de la Russie et envisage de s’étendre à l’Asie-Pacifique, à travers le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, pour faire de même avec la Chine.
En réponse à ce déploiement géopolitique de l’OTAN, les pays émergents d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, regroupés au sein des BRICS, élargissent leur adhésion en intégrant cinq nouveaux membres : l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran. Avant cette intégration, les BRICS dépassaient largement le G7, l’expression économique de l’OTAN, en termes de population et d’extension territoriale. Après ces ajouts, ils égaleront (ou peut-être dépasseront) le PIB du G-7. En outre, ils ont une longue liste d’attente de pays émergents prêts à rejoindre les BRICS.
En bref, le destin du XXIe siècle se décidera à mesure que le rapport de forces entre les États-Unis et la Chine évoluera. Pour la première fois, après cinq siècles, l’Europe ne sera ni le théâtre ni l’acteur principal de l’Histoire. Aujourd’hui, l’Europe est devenue un acteur secondaire de l’atlantisme nord, au service des intérêts géopolitiques mondiaux des États-Unis. Cette puissance s’étend en mettant en œuvre l’otanisation du monde, tandis que la Chine le fait à travers les pays émergents d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Non pas à travers un organisme militaire de sécurité collective comme l’OTAN, mais à travers une coopération en matière d’infrastructures, économiques, commerciales, de crédit et technologiques, établie avec les BRICS et le reste des pays émergents. L’otanisation tente de maintenir l’unipolarité occidentale, les BRICS tentent de construire un monde multipolaire. Les premiers s’appuient sur leur nette supériorité militaire, avec des bases dans presque le monde entier et le contrôle de tous les océans.
Ces derniers s’appuient sur leur compétitivité économique, l’expansion rapide de leurs économies et la conquête de nouveaux marchés. Nous pouvons résumer que le conflit d’hégémonie entre les États-Unis et la Chine se dispute dans sept domaines : 1) la guerre commerciale ; 2) les questions de défense et d’équilibre militaire et géopolitique ; 3) Concurrence dans la génération et le contrôle de la technologie qui assure la primauté dans la quatrième révolution industrielle ; 4) la guerre monétaire qui remet en cause la suprématie du dollar comme monnaie de réserve et monnaie d’échange internationale ; 5) le conflit entre unipolarité et multipolarité ; 6) la primauté entre mondialisation ou souveraineté et 7) la course à l’espace.
Que signifie la désoccidentalisation ?
La désoccidentalisation est une catégorie analytique créée par le diplomate et historien singapourien Kishore Mahbubani dans son livre The New Asian Hemisphere. Le déplacement irrésistible de la puissance mondiale vers l’Est (2014). Outre Mahbubani, des auteurs déjà mentionnés tels que Samir Amín et Enrique Dussel ont abordé ce sujet, ainsi que le remarquable sociologue péruvien Aníbal Quijano, auteur de « Colonialité du pouvoir, eurocentrisme et Amérique latine ». Dans cet ouvrage, il soutient que la mondialisation est un processus qui commence avec la consommation du pillage de l’Amérique, dont les richesses en or, argent, minéraux, fourrures et autres biens permettent l’accumulation primitive qui donne naissance au capitalisme colonial/moderne et euro-centrique, comme nouveau modèle de puissance mondiale.
Un autre auteur important qui aborde les thèmes de ce courant intellectuel est le politologue germano-brésilien Oliver Stuenkel, auteur de Post-Western World: How Emerging Powers Are Remaking the Global Order (2016), The BRICS and the Future of the Global Order (2016). 2015), entre autres.
La désoccidentalisation est la voie vers la multipolarité. Il ne s’agit plus d’une nouvelle guerre froide. C’était une guerre entre deux idéologies occidentales modernes (le libéralisme économique ou le marxisme). Aujourd’hui, l’économie d’accumulation, de dépossession, d’exploitation et d’investissement des excédents du capitalisme est mondiale. Ce sont tous des capitalistes, pour certains le processus est guidé par le marché et pour d’autres par l’État. Le conflit qui surgit doit être résolu entre le déclin de l’occidentalisation unipolaire de la planète ou la montée vers une ère multipolaire. L’ordre multipolaire semble irréversible. C’est devant nous. L’Occident ne peut plus décider seul, unilatéralement, du sort de la planète. Le dilemme est alors de déterminer si un ordre mondial multipolaire favorise davantage le bien-être mondial qu’un ordre unipolaire ou la fin de l’histoire. Ce qui est évident, c’est qu’un ordre unipolaire tend à concentrer le pouvoir dans une hégémonie universelle, contrairement à la multipolarité qui assure la redistribution et l’équilibre des pouvoirs dans le système international. L’Ukraine est un baromètre qui nous dira si la balance penche vers une ré-occidentalisation unipolaire ou si elle constitue un pas de plus vers la désoccidentalisation et la multipolarité.
Passages obligés à une société bio-centrée
Par Leonardo Boff,
Amerindia, 9 septembre 2024
Il y a une perception plus ou moins généralisée que la vie humaine sur la planète Terre, telle qu’elle est présentement, ne peut continuer de la même manière. À dire vrai, elle se trouve à la croisée des chemins : ou elle change ou nous courrons le danger d’aller à la rencontre d’une incommensurable tragédie écologique et social. Il existe des indicateurs indéniables. Le plus sensible est celui du réchauffement global accéléré. Seulement en 2023, plus de 40 millions de tonnes de CO2 ont été relâchées dans l’atmosphère et elles y demeureront un siècle. La projection de l’augmentation de 1,5 degré Celsius projetée pour l’an 2030 a été devancée.
Des neuf limites planétaires (Planetary boudaries : des changements climatiques en passant par les micro-plastiques) six ont été dépassées. Plusieurs scientifiques affirment que si nous rompons la septième et la huitième, il peut se produire un désastre systémique capable de menacer la civilisation. La dispute pour la domination géopolitique du monde entre les États-Unis, la Russie et la Chine, peut culminer en une hécatombe nucléaire, laissant le ciel obscurci par les particules atomiques, initiant une nouvelle ère glaciaire qui exterminerait une grande partie de l’humanité et de la biosphère, rendant misérable la vie des survivants. Et d’autres problèmes encore, comme la grave pénurie d’eau potable.
Si nous voulons survivre sur la planète Terre, nous devons effectuer plusieurs passages inévitables.
De la terre considérée comme un moyen de production et entrepôt de ressources dédiées au projet d’une croissance illimitée, à la Terre comme un super organisme vivant, Gaïa, Pachamama ou Terre-Mère, avec des biens et des services limités, dont plusieurs sont non renouvelables.
Du paradigme de puissance/domination avec des ambitions de conquête du monde, au paradigme du soin de la Terre vivante et de la communauté de la vie.
D’une société centrée sur l’être humain, séparé de la nature, à une société bio-centrée qui sent qu’elle fait partie de la nature et cherche à adapter son comportement à la logique de la nature et du processus cosmo-génique, qui se caractérise par la synergie, par l’interdépendance de tous avec tous, par la coopération et par être plus avec moins.
D’une société industrialisée, mercantiliste et consumériste qui saccage les biens naturels et déstructure les relations sociales en accroissant les écarts de richesses au détriment des plus vulnérables à une société qui soutient toute la vie et garantit les moyens de subsistance à tous les êtres humains.
De la logique de la compétition, qui est régi par des gagnants et des perdants (toujours plus nombreux), à la logique de la coopération gagnant-gagnant qui rassemble et renforce la solidarité entre tous et toutes.
De l’ère technozoïque qui, malgré les bénéfices reconnus qu’elle nous a apportés, a dévasté en grande partie les écosystèmes, à l’ère écozoïque dans laquelle tous les savoirs et activités s’écologisent et coopèrent à la sauvegarde du futur de la vie.
De l’anthropocène, qui fait de l’être humain la grande menace à la biodiversité, à l’écocène dans lequel l’écologie sera la grande préoccupation et tous les êtres seront reconnus comme ayant une valeur intrinsèque, détenteurs de droits et devant être respectés.
Des réseaux sociaux orientés vers la désinformation, les divisions sociales et les menaces aux institutions démocratiques, à des réseaux conçus comme des espaces de communication sociale civilisée et de nouvelles connaissances.
Du capital matériel toujours limité et épuisable, au capital humain-spirituel illimité, fait d’amour, de solidarité, de respect, de compassion, de vénération et de con-fraternisation avec tous les êtres de la communauté de la vie.
Des États-nations, à la Terre comme l’unique Maison commune devant être protégée par une gouvernance plurale pour résoudre les problèmes globaux de toute l’humanité et du système-vie.
Du projet: « un seul monde et un seul empire », mantra de la politique extérieure états-unienne, à « un seul monde et un seul projet collectif de coexistence et de survie », assumé par tous les peuples.
C’est la grande conversion écologique globale exigée par le Pape François dans son encyclique Sur le soin de la Maison commune (2015, no 5). Ailleurs il dit : « Nous sommes sur le même navire, ou bien nous nous sauvons tous ou personne ne se sauvera. »
Pour garantir le futur de l’humanité et la propre biosphère, doit triompher un consensus minimum de nature éthique : l’ensemble des visions, des valeurs et des principes qui rassemblent plusieurs personnes et projettent un horizon de vie et d’espoir pour tous.
Il s’agit de la dénommée bio-civilisation ou de la Terre de la Bonne espérance qui correspond à la Noosphère rêvée en 1933 dans le désert de Gobi par Pierre Teilhard de Chardin. C’est-à-dire, une sphère nouvelle dans laquelle les esprits et les cœurs convergent dans une conscience collective de l’espèce, habitant l’unique Terre que nous avons.
Cette bio-civilisation est viable et elle se situe à l’intérieur des possibilités humaines de la construire si nous observons l’éthique de la Terre faite de soins, de responsabilité universelle, d’accueil de toutes les différences et du sentiment d’habiter une Maison commune, ensemble avec toute la communauté terrestre et la communauté de vie.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Une femme présidente des États-Unis : un nouveau féminisme?
Par Leonardo Boff
24 août 2024, Amerindia
La possibilité réelle qu’une femme, Kamala Harris, devienne présidente de la puissance impériale, les États-Unis d’Amérique, représenterait un novum dans l’histoire de ce pays et un pas en avant dans les relations entre les genres.
Les États-Unis, indépendants depuis 1976, ont eu 44 présidents, tous des hommes et aucune femme. Comme l’ont déjà mentionné d’autres commentateurs, plusieurs voient le président exclusivement comme le chef des forces armées, celui qui peut décrocher le téléphone rouge et appuyer sur le bouton pour déclencher une guerre nucléaire. Peu le considèrent comme le promoteur du bien commun, qui est laissé à la société, de tendance privatisante, mais ayant un sens communautaire très fort.
Pour cette raison, les États-Unis font des guerres partout. Pratiquement tous les présidents, incluant Obama, se croient investis de “la destinée manifeste”, la croyance (imaginaire) que les États-Unis ont été désigné comme “le nouveau peuple élu de Dieu avec la mission d’apporter la démocratie (bourgeoise), les droits humains (individuels) et la liberté (de marché) au monde”.
Depuis le triomphe du patriarcat au néolithique, il y a 10 000 ans, avec la formation des villages et de l’agriculture, les femmes ont toujours été reléguées à la sphère privée. Et cela même quand on sait, qu’auparavant, il y a 20 000 ans, le matriarcat existait, formant des sociétés égalitaires, intégrées avec la nature et profondément spirituelles.
Le patriarcat, la prédominance du mâle (machisme) a été l’une des plus grandes erreur de l’histoire humaine. On attribue au patriarcat le type d’État que nous avons, la création de la bureaucratie et des impôts, l’introduction de la guerre, de la violence comme façon de régler les problèmes, de l’appropriation privée des terres, de la génération d’inégalités et de toutes sortes de discrimination. Il acquit sa configuration plus expressive avec le capitalisme, sous ses distinctes formes, avec l’immense taux d’iniquité sociale qu’il implique.
Au cours de tout ce processus, les principales victimes ont été les femmes avec les dépossédés de force et de pouvoir. Depuis lors, le destin de la femme, en termes socio-historiques, a été défini à partir de l’homme qui occupe tout l’espace public.
Mais peu à peu, à partir du 19ème siècle aux États-Unis, les femmes ont pris conscience de leur identité et de leur autonomie. Le mouvement féministe a grandi, devenant actif dans pratiquement tous les pays et il occupa les espaces publics. Elles entrèrent à l’université et, une fois diplômées, les femmes ont intégrées sur le marché du travail leurs valeurs singulières (non exclusives) : davantage tournées vers la collaboration que la compétition, plus soigneuse, flexible, en ayant davantage de capacité à gérer la complexité, avec davantage de sensibilité humaine, plus de cœur, et plus d’ouverture au dialogue, posant les limites à l’autoritarisme machiste et patriarcal.
En un mot, elles apportèrent plus d’humanité au monde rationnel, rigide, compétitif, efficient, marqué par la volonté de puissance comme de domination au monde des hommes. Elles représentent davantage le désir de vivre, de prendre soin et d’entrer en relation. Dans un langage de Karl Gustav Jung, avec leur anima, elles ont enrichi le monde de l’animus.
Malgré tout cela, la lutte en faveur de l’égalité de genre est loin d’avoir été complétée. Ce n’est qu’en 1920 que les femmes obtiennent le droit de vote aux États-Unis. Au Brésil en 1932, représentant alors 52% de l’électorat. Dans les 500 plus grandes entreprises nord-américaines, seulement 3 femmes occupent la fonction de présidente (CEO).
Incluant les limites imposées par le patriarcat dominant dans le monde, plusieurs femmes ont été chef d’État : en Allemagne, en Angleterre, au Brésil, en Argentine, en Inde, au Libéria, au Bangladesh, en Tunisie, en Éthiopie, en Tanzanie, au Chili, au Costa Rica, au Honduras, à Panama, en Corée du Sud, aux Philippines, en Indonésie, en Israël, au Népal, en Slovaquie, en Estonie, en Finlande, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, au Portugal, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres pays.
Maintenant surgit la possibilité qu’une femme métisse, Kamala Harris, parvienne au centre du pouvoir impérial comme présidente. Cela signifierait une remarquable appréciation de l’identité et de l’autonomie relationnelle des femmes.
Dans ce contexte, il n’y a qu’à citer une phrase du Fonds des Nations-Unies pour la population en 2001: “L’espèce humaine saccage la Terre de manière insoutenable. Donner aux femmes un plus grand pouvoir de décision peut sauver la planète de la destruction.” Il ne s’agit pas de simple participation, mais de décision.
Avec sa capacité de décision, on renforce significativement l’émergence d’un nouveau paradigme: celui de la réciprocité, de la mutualité entre l’homme et la femme. Surgit l’androgyne: l’être humain nouveau, l’homme récupérant, avec l’aide de la femme, sa dimension d’anima, c’est-à-dire sa capacité de tendresse, de don de soi sans réserve, de sensibilité cordiale, avec sa dimension d’animus. La femme développant à son tour son animus, c’est-à-dire sa capacité d’initiative, de créativité, d’intelligence opérationnelle, de direction avec son anima qui devient une force historique significative.
De la sorte, on récupérerait la vérité que le mythe ancien cherchait à exprimer: l’être humain androgyne, un être complet, chacun porteur à son degré, d’anima et d’animus. Il se trouve que cet être un et androgène a été coupé en deux par la moitié. Surgirent alors l’homme et la femme, mais séparés. Cependant, dans son inconscient profond, ils se cherchent toujours. Une force d’attraction cherche à les unir et à restaurer l’unité première.
La guerre ancestrale entre les sexes et les politiques oppressives et répressives des genres seraient progressivement surmontées. Politiquement la meilleure forme de caractériser cette avancée civilisationnelle seraient la démocratie participative, socio-écologique, dans laquelle l’homme et la femme de manière coopérative et solidaire construiraient un monde nouveau. Cela répond aux aspirations les plus profondes de la psyché humaine. Le ré-engendrement de l’homme qui seul se réaliserait à partir d’un nouveau féminin, comme force socio-historique.
Le fait probable qu’une femme, Kamala Harris, deviennent la présidente du pays le plus puissant du monde, représenterait un pas décisif vers un nouveau paradigme de coopération entre les genres, incluant aussi la nature, de laquelle les deux font partie. C’est ce qu’on attend du futur dans l’éventualité qu’il puisse toujours advenir.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
Des nouvelles du CAPMO
Assemblée générale du CAPMO
Samedi 28 septembre de 9 h 30 à 16 h
Au 2ème étage du 435 rue du roi à Québec
Appel à la grève général pour le climat, le 27 septembre 2024
Vendredi 15 h au Parc des Braves à Québec
Soirée mensuelle du CAPMO
Jeudi 10 octobre à 18 h 30 avec Vivian Labrie
La rue, la nuit, marchons sans peur
Dimanche 15 septembre , activité non mixte, départ du parvis de l’église St-Roch à 20h
Dans le cadre du 50ème anniversaire du CAPMO
Lancement du livre : L’aventure fraternelle des Capucins au faubourg St-Jean-Baptiste
Jeudi 24 octobre à 17 h, salle 3,
Maison de la coopération et de l’économie solidaire, 155 boul. Charest Est à Québec
Assemblée générale d’automne du Collectif TRAAQ
Lundi 28 octobre 2024 de midi à 16 h
Salle 3, Centre Durocher, 680 rue Raoul-Jobin à Québec