Rencontre interculturelle avec les Premières Nations

Carrefour de savoir : Interculturalité et engagement social 

# 5 – Rencontre avec les Premières Nations, 23, 31 mai et 01 juin 2018

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Il existe un mot en Amérique latine pour d’écrire un ensemble de phénomènes qui caractérisent l’identité et les particularités des ensembles nationaux: « idiosyncrasie ». Ce mot réfère aux racines cachées de l’âme des peuples qui influencent leurs comportements et leurs prises de décision. On en trouvent des traces dans leurs valeurs dominantes, leurs préférences ou encore leur abjection envers certains comportements. Ainsi on dira du Québécois qu’il est latin, mais aussi qu’une part mystérieuse de son âme semble attaché à ce territoire immense et à ses hivers interminables, qu’il est un nomade sédentaire, à la fois grégaire et solitaire. Tout autant que l’habitant transforme et construit le pays, la géographie et le climat influencent en bonne partie qui nous sommes. Si la langue semble être le principal véhicule pour se dire à soi-même et se révéler aux autres comme culture, elle apparaît aussi comme l’expression de ce qui nous habite, en quête des mots pour se dire et se comprendre, et par delà ceux-ci, comment apprivoiser ce silence immense qui m’ouvre à moi-même. Faut-il toujours meubler ce vide qui nous envahit alors ?

Certaines valeurs paraissent universelles et c’est heureux, c’est ce qui nous permet de nous relier les uns aux autres comme humanité, tandis que d’autres semblent davantage singulières. Méfions-nous de la massification produite par la société de consommation qui provoque l’effacement des différences et la perte du respect dû à chaque être vivant. La façon qu’ont les autochtone d’habiter le monde passe par le lien avec la Terre-Mère comme force de guérison et d’entendement de soi en tant que membre de l’univers lié au cosmos et tributaire des différents éléments qui conditionnent la vie sur Terre. Appartenir à cette grande fratrie des vivants, transforme le regard sur le monde et cela est offert à tous ceux et celles qui souhaitent en faire l’expérience. À ce propos, l’Interculturalité est la mise en dialogue de deux ou plusieurs identités. Elle n’est jamais négation de soi et pour que cette rencontre se réalise pleinement, il faut débuter par la découverte de sa vérité profonde. Apprendre à se connaitre comme membre d’une culture métissée, héritière de cultures millénaires, pour savoir partager qui nous sommes, c’est à cette seule condition que l’affirmation de soi ne deviendra pas négation de l’autre, mais ouverture à la différence. En tout respect pour les forces qui nous portent et nous engendrent, Yves Carrier.


 

Visite du site traditionnel huron-wendat 

 

Bonjour à tous. Je me nomme : « Celui qui a la rivière dans la bouche ». Je suis en paix. J’habite Wendake et je suis Wendat qui est notre vrai nom. Bien sûr j’ai un nom français : Luc Gros-Louis. Le site traditionnel se nomme : « D’hier à aujourd’hui ». Au cours de la visite, je vais vous expliquer comment nous vivions quand les Français sont arrivés en Amérique. Nous allons parler de notre histoire et de la situation actuelle des Indiens au Québec. Avant de commencer, j’aimerais apporter une précision très importante en ce qui concerne l’apparence physique car si je vous demande si je ressemble à un Indien, pour un membre des Premières Nations, je connais la réponse. Je suis conscient que je n’ai pas tout à fait le physique de l’emploi, (comme plusieurs Wendats, Luc a le teint clair et les yeux bleus). Il y a une explication à tout cela. Nous les Huron-Wendat, nous habitions la région des Grands Lacs de l’Amérique du Nord, près du Lac Huron. En 1650, nous avons dû quitter cette région pour revenir habiter la région de Québec. Lorsque nous sommes arrivés ici, nous n’étions plus que 300 personnes. Vous comprenez qu’il y a eu des mariages avec des Canadiens-Français pour permettre à notre nation de survivre, mais également, dans notre mode de vie, nous adoptions et nous assimilions des gens. Donc, quand nous sommes arrivés, il y avait des orphelins dans la ville de Québec et souvent les religieux nous demandaient d’adopter les enfants. Comme c’était dans nos coutumes, nous acceptions de la faire. Évidemment, cela a eu des effets sur nos traits physiques. Moi par exemple, au cours des dix dernières générations, il y a quatre femmes qui ne sont pas huronnes et vous avez devant vous le résultat de tout cela. Luc Gros-Louis

Quand les Français arrivent dans la région des Grands Lacs vers 1615, ce qu’ils vont voir comme habitation c’est la Maison longue comme celle où nous sommes présentement. Grâce aux fouilles archéologiques, nous savons que c’est vers l’an 500 de notre ère que nous avons commencé à habiter ce type de maisons. Nous les avons abandonnées vers le milieu du XVIIIème siècle. Pour ce qui est des dimensions, la hauteur et la largeur variaient entre six et huit mètres. Pour la longueur, cela pouvait varier de dix à soixante-dix mètres. Vous retrouvez les lits de chaque côté de l’allée centrale au niveau du premier étage. Les matelas étaient fait d’une bonne couche de branches de sapin et on y déposait des nattes tressées avec les feuilles d’épis de maïs, on y déposait des fourrures en guise de couverture. Pour l’étage au-dessus des lits, il s’agissait d’un espace de rangement et le bois de chauffage était entreposé sous les lits, et les deux bouts de la maison servaient de garde-manger. Dans une maison, on va trouver un clan familial et pour savoir combien de familles y vivaient, nous n’avons qu’à compter les feux. La maison ici en a trois, cela signifie qu’il y avait six familles à raison de deux familles par foyer. Cela veut dire qu’ici pouvait vivre de trente à cinquante personnes, mais imaginez une maison qui avait cinquante mètres, il pouvait y avoir une dizaine de feux, une vingtaine de familles et une centaine de personnes pouvaient y vivre. Vous comprenez qu’il fallait quelqu’un pour diriger à l’intérieur. Qui pensez-vous dirigeait à l’intérieur ? LGL

– Une femme !

– Moi, je pensais que les femmes élisaient les chefs ?

Ce sont les mères de clan qui dirigeaient à l’intérieur de la Maison Longue. LGL

C’était une femme qui avait un certain âge, une certaine sagesse et elle devait avoir de bonnes connaissances en agriculture. On portait toujours le nom de clan de sa mère, de la naissance à la mort, jamais on ne changeait de nom de clan, même lorsqu’on se mariait. LGL

De fait, les hommes travaillaient rarement. Ils défichaient la terre, ils aidaient au moment des récoltes, mais la plupart du travail était exécuté par les femmes et comme l’agriculture et la cueillette de fruits sauvages constituaient 80% de notre alimentation, je pense qu’il était normal que les femmes occupent un rôle social aussi important. La chasse et la pêche, pratiquées par les hommes représentaient 15% de notre alimentation. Le rôle premier des hommes était surtout le troc avec les nations qui habitaient autour de notre territoire. Les hommes s’occupaient également de la politique. D’ailleurs les femmes n’avaient pas le droit d’assister aux assemblées, mais ce sont elles qui désignaient le représentant du clan aux assemblées. Si un homme s’acquittait mal de sa tâche, son pouvoir pouvait lui être retiré par celle qui le lui avait donné. Ceci est à l’image de nos mariages parce que chez-nous, c’était les jeunes femmes qui décidaient de se marier. Si les jeunes garçons avaient le droit de courtiser les jeunes filles, c’étaient elles qui choisissaient leur futur mari. Il n’y avait qu’une seule contrainte cependant, elle ne pouvait pas choisir un homme qui appartenait à leur propre clan. Il devait provenir d’un autre clan même s’il habitait un autre village. Quant elle avait choisi, c’est le jeune homme qui venait habiter dans la maison de la famille de la jeune femme et il devait lui offrir des présents, fourrures de castor. Il y avait ensuite la période d’essai. C’est-à-dire que si après deux ou trois semaines, les jeunes s’apercevaient qu’ils étaient incapables de vivre ensembles, le jeune homme retournait vivre dans la maison de la famille de sa mère, mais la jeune femme conservait les cadeaux. Et si les jeunes décidaient d’habiter ensemble, les parents de la jeune femme organisaient un grand festin. LGL

À l’arrivée des Européens, nous avions déjà une société monogame. Mais attention chez-nous les unions n’étaient jamais sellées à jamais, à n’importe quel moment, les séparations étaient permises. Cela devenait plus rare après la naissance des enfants, mais c’était quand même permis. Un point important de notre société, c’est qu’on ne pouvait jamais obliger quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne voulait pas. Selon notre façon de voir le monde, si on oblige quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne veut pas, on a peur de le rendre malheureux et s’il est malheureux, son esprit peut se révolter et le rendre malade. Alors on jouissait d’une grande liberté individuelle dans pratiquement tout ce qu’on voulait faire en autant que cela ne vienne pas à l’encontre du bien commun. On devait respecter les règles sociales et si cela n’allait pas à l’encontre du bien commun, nous étions libres de faire tout ce qu’on voulait. LGL

– En cas de séparation, qu’est-ce qui arrivait des enfants ?

Ils demeuraient toujours dans la maison de leur mère parce qu’on appartient au clan de notre mère. Cela pouvait arriver à l’occasion qu’un jeune garçon demande d’aller vivre dans la maison de son père, mais la décision revenait à la mère de clan. LGL

– Considérez-vous que les habitudes matrimoniales des amérindiens ont influencé la manière d’être de la société québécoise ? Parce que dans le monde, nous sommes la société qui enregistre le plus haut taux d’unions libres et d’enfants nés hors mariage.

Je n’irai peut-être pas jusque là parce que nous aussi avons subi l’influence de la religion catholique qui nous a transformés. Au final, nous ressemblions davantage à la société québécoise qu’à la manière que nos ancêtres voyaient le monde. Je pense que ce n’est pas nécessairement le fait de notre mode de vie, sinon de tous les mélanges qui se sont produits au cours de l’histoire. Vous savez les Québécois et Québécoises sont des socio-démocrates, mais je pense que nous étions des communistes puisque nous avions tout en commun. Rien n’appartenait à personne, tout appartenait à tout le monde; tout le monde était là pour s’entraider; personne ne se sentait plus ou moins important qu’un autre; tout le monde avait un rôle à jouer et cela on en voit le reflet dans la société québécoise. Vous savez le fait d’avoir des garderies pour les enfants, des Centre de la petite enfance, CPE, essayez de trouver ça ailleurs dans le monde ? Je pense que ça n’existe pas, mais je pense que cela provient de cette naissance là et il y a beaucoup de gens qui le disent aussi que cela provient de ce mélange de cultures. Vous savez jusqu’à ce que les Anglais conquièrent la Nouvelle-France, nous ne faisions quasiment qu’un, les Amérindiens et les Canadiens-Français. LGL

– Qu’est qui se passe quand les Anglais prennent le pouvoir ? Pourquoi les Canadiens-Français vont commencer à prendre leurs distances d’avec nous ?

La raison c’est que les Acadiens viennent tout juste d’être déportés parce que les Anglais les accusaient d’être trop près des Amérindiens, d’être trop métissés. Quand les Anglais prennent le pouvoir ici, ils commencent à dire aux Canadiens-Français qu’ils sont trop près des « sauvages ». Alors, ayant peur, ils répondent qu’ils sont des Français et ils commencent à se distancer des autochtones parce qu’ils ne voulaient pas subir le sort des Acadiens. LGL

Alors, oui nous pouvons dire que la façon de penser et de voir le monde s’est refléter sur la population québécoise. Lorsque je dis que nous pouvions faire ce que nous voulions si cela n’allait pas à l’encontre du bien commun, il faut comprendre que si les hommes de mon village décidaient de partir à la guerre et que moi je m’y refusais, personne ne pouvait m’y obliger et personne ne me traitait de lâche parce que je ne voulais pas aller à la guerre. Par contre, si mon village était attaqué, il était de mon devoir de le défendre car cela aurait été à l’encontre du bien commun. Sinon, nous étions libres de faire pratiquement tout ce qu’on voulait. Avant l’arrivée des Européens, les raisons de faire la guerre étaient de refaire la population masculine d’une communauté en kidnappant de jeunes hommes auprès d’une tribu rivale. Le but c’était de les capturer pour les ramener au village. Un homme acquérait beaucoup plus de prestige en capturant un ennemi qu’en le tuant. La plupart du temps, ces hommes étaient adoptés et c’était les femmes qui avaient le pouvoir d’adopter. En arrivant au village, une femme pouvait dire que cet homme lui rappelait un fils décédé, elle pouvait l’adopter et celui-ci prenait le nom du fils. Même chose pour une veuve, mais si l’homme décédé était mon frère, celui qui remplace le défunt devient mon frère. Il se trouve à prendre sa place dans la société. On va donc lui raconter l’histoire du défunt et les grands événements de sa vie. LGL

Par contre, lorsqu’ils arrivaient au village en tant que prisonniers, ils devaient subir des épreuves pour leur faire oublier leur ancienne vie. Certains psychiatres et psychologues, après avoir lu les sévices qu’on leur faisait subir, nous ont dit qu’un être humain ne pouvait pas survivre à de tels traitements. Ils en viennent à la conclusion que le but de tout cela était de détruire la personnalité de l’individu pour qu’après on puisse lui en donner une nouvelle. C’est ce à quoi servait la guerre avant l’arrivée des Européens, mais après, oui, il va y avoir des enjeux économiques pour le commerce des fourrures de castor. Cela va changer la façon et les raisons de faire la guerre. Cela va devenir des guerres d’extermination de masse. LGL

Même si plusieurs vantent nos qualité de diplomates, les Wendats étaient un peuple de guerriers avant tout. Nous passons toujours pour de grands pacifiques dans l’histoire du Canada, mais allez voir les Anglais et vous verrez qu’ils ne nous considéraient pas comme des gens pacifiques. Vous n’avez qu’à regarder le film : « Le denier des Mohicans », ceux qui sont les mauvais dans ce film, ce sont les Huron-Wendats et les Français. Tout dépend de qui est-ce qui raconte l’histoire. Pour les Français, nous étions les bons parce que nous étions leurs alliés alors que pour les Britanniques, c’était le contraire. L’image de l’Iroquois sanguinaire pourrait aussi nous être attribuée. Il n’y avait pas de violence dans les villages, mais lorsque nous sortions à l’extérieur, c’était un monde relativement violent. LGL

Lorsque nous savions que les Iroquois étaient sur le pied de guerre, nous ne passions pas par le Saint-Laurent, nous passions par le nord, par le Lac Nipissing en Ontario et nous devions payer un droit de passage aux Algonquins. Par contre, les biens matériels vont se promener beaucoup plus que les humains. Officiellement, nous rencontrons les Français vers 1609, avant cela nous ignorons leur existence. Il y a un documentaire qui a été fait qui s’intitule : « Le mystère de la hache amérindienne ». Ils ont découvert, près de Toronto, un site archéologique immense qui date des années 1300 et 1400. Il s’agit d’un village de 5 000 personnes. C’est le plus gros village qu’on ait jamais découvert. En faisant les fouilles archéologiques, ils ont trouvé un morceau de métal. Ils se sont aperçus que c’était une hache qui avait été coupée en deux et qu’elle datait des années 1500. Sauf qu’à l’époque, les premiers contacts n’avaient pas encore eu lieu avec les Européens. Pour que la hache se rende là, elle a dû passer d’une nation à l’autre pour se rendre jusque chez-nous. Les Amérindiens vont diaboliser cette hache parce qu’ils ne savaient pas qu’est-ce que d’était et que cela leur faisait peur. Les archéologues pensent que les Hurons-Wendats ont fait une cérémonie spirituelle pour l’enterrer afin qu’elle ne vienne pas les hanter. Certaines personnes de notre nation disent que nous n’étions pas fous parce que tout ce qui va suivre avec l’arrivée des Européens dans la région des Grands Lacs, ils l’avaient peut-être anticipé à ce moment-là. Au niveau collectif, on ne voulait pas de cet objet annonciateur de malheurs à venir. LGL

Pourquoi est-ce qu’ils avaient construit un si gros village ? À partir de la période post-contact, les plus gros villages ne dépassaient pas 2 000 habitants alors que nous avons ici un village de 5 000 individus. Pour vous donner une idée, cela prenait un champ de mais de 12 km de diamètre pour satisfaire aux besoins alimentaire de toute cette population. Imaginez la distance à parcourir jusqu’à l’autre bout du champ, 24 km aller-retour, c’est toute une journée de marche. Je pense que les femmes qui s’occupaient du champ de mais ne revenaient pas coucher le soir. Les archéologues ont découvert que les années 1200 à 1300 ont été une période très violente dans la région des Grands Lacs. Ce fut sans doute l’époque où les nations se sont formées et où les territoires ont été définis. Cela devenait tellement violent que des gens ont choisi de se réunir pour former un gros village afin de se protéger. Cela tranquillisait le secteur parce que dans ce village, on a découvert des poteries de différentes nations. Tout le monde allait là et participait à cette entreprise commune. Cela devait être assez impressionnant à voir. LGL

Côté organisation sociale, le pouvoir coercitif n’existe pas chez nos nations. Tout le monde avait une opinion et avait le droit de la dire. Cela devait se ressembler quand même pas mal, même si 5000 personnes cela devient gros à gérer. Au-delà de 2000 personnes, cela devenait difficile. C’est difficile pour nous de concevoir comment cela se passait. Les gens vivaient depuis toujours comme cela, pas de propriété privée, rien n’appartient à personne, tout le monde est égal, chacun à un rôle à jouer, tout le monde peut donner son opinion, etc., et on arrive ainsi à vivre avec une certaine harmonie. C’était facile à briser, mais ils en étaient conscients, c’est pourquoi ils respectaient les règles. La base de notre façon de vivre, c’est le respect, de se respecter soi-même et de respecter les autres et de respecter ce qui nous entoure. LGL

Notre langue était endormie depuis le début des années 1900. Plus personne ne la parlait, mais grâce à Marius Barbeau, nous avions de vieux enregistrements sur des rouleaux de cire. Cet anthropologue a fait un travail colossale pour notre nation. Je peux vous dire que nous devons lui rendre hommage. Marius Barbeau pourrait être nommé membre honoraire de notre nation. Il y a aussi les jésuites qui ont écrit des dictionnaires de notre langue. Avec des linguistes, nous avons pu reconstituer la langue à partir des années 1980. Ce processus est très long. Depuis 2010, les jeunes réapprennent la langue à l’école à raison de 30 minutes par jour. Ce sont les traditionnalistes qui sont à la base de tout cela et ils souhaitaient se concentrer sur les enfants. Ce sont ces derniers qui ont demandé à leurs parents d’apprendre la langue. Alors, ils ont organisé des cours pour les adultes. Certains m’ont dit que c’étaient leurs enfants qui les avaient obligés à prendre des cours. La langue huronne est une langue descriptive. Elle décrit les choses au lieu de les nommer. Un crayon se dit : celui qui laisse sa trace. Son apprentissage n’est pas facile. LGL

 La présence d’un totem qui n’appartient pas aux traditions des Amérindiens de l’Est de l’Amérique du Nord est questionnée. La raison de sa présence est de démystifier auprès des visiteurs européens les différents stéréotypes sur les coutumes autochtones. Il existe encore beaucoup de confusion entre les différents modes de vie correspondant aux différents espaces géographiques. LGL

– La question du territoire est quelque chose de délicat. Je participe à des activités interculturelles au Québec et quelque chose me frappe, avant même que l’événement ne débute, les gens vont dire qu’ils se trouvent sur le territoire de telle ou telle nation autochtone.

Les Hurons utilisaient la région de Québec comme territoire de chasse mais je ne souhaite pas ouvrir ce débat présentement. Selon les mots que Jacques Cartier utilise dans ses carnets de voyage, ce sont des mots d’origine huronne-wendate et aujourd’hui nous avons la preuve de cela. Cela se produit bien avant que les jésuites ramènent les survivants de la communauté du Lac Huron à Québec vers 1650. Nous n’avons aucune certitude, mais nous pensons que c’est la vérité. Il y a aussi un prêtre récollet qui est venu dans nos villages en 1615 qui a rédigé un dictionnaire de notre langue. La personne qui l’aidait a écrire le dictionnaire lui disait toujours : « Mon arrière-grand-mère venait de très loin vers l’Est. » Donc, si cela est vrai, elle venait de Stadacona, ancien nom de Québec. C’est ce que nous en déduisons. C’est pourquoi nous revendiquons nos droits sur cette région. LGL

– En même temps, ils n’avaient pas la même notion de territoire que les Européens avec des barrières, des limites, des arpentages. C’était beaucoup plus fluide et ils ne construisaient pas de ville permanente non plus. Quand les terres étaient épuisées ou que le territoire de chasse était épuisé, ils se déplaçaient ailleurs, ils ne connaissaient pas le droit de propriété puisqu’ils disaient appartenir à la Terre et qu’ils ne pouvaient pas vendre leur mère.

Je pense que les Innus venaient chasser ici à une certaine période, mais ils n’y construisaient pas de village. Ils avaient quand même un certain sens de l’occupation du territoire et ils savaient que si un peuple avait occupé un endroit en premier, ils avaient le droit d’y revenir. Quand Champlain fonde Québec en 1608, les Algonquins lui disent : « Tu peux occuper cette terre, mais n’oublie pas qu’elle était occupée avant toi. »LGL

– Donc, elle ne lui appartient pas.

– Les chicanes de territoires, c’est vraiment politiques et c’est apparues après l’arrivée des Européens.

Nous n’avions pas la conception de la propriété, si ce n’est les bijoux personnels. L’endroit pour conserver ses quelques objets personnels, c’est au-dessus du lit dans la maison longue. Tout objet laissé seul est à la disposition de tous. Alors, quand les Européens arrivent, ils vont voir l’attitude des Amérindiens comme étant celle de voleurs puisqu’ils s’approprient ce que les autres laissent sans surveillance. Dans notre langue, le mot voleur n’existait pas. Pour cette raison, il fut une époque, en France, où un voleur était traité de Huron. LGL

– Est-ce que c’était la même chose pour la nourriture ?

Tout appartenait à tout le monde. Si quelqu’un avait faim, il entrait dans la Maison longue et il y avait toujours quelque chose sur le feu. Il pouvait se servir à la condition qu’il mette autre chose dans le chaudron avant de partir. Une autre chose que nous ne comprenions pas lorsque nous allions à Québec, c’est que les voleurs de nourriture étaient enfermés dans des cages. Quand nous voyions cela, c’était un sujet d’étonnement et nous demandions : « Pourquoi est-il enfermé ? » « Parce qu’il a volé. » « Mais c’est parce qu’il avait faim, pourquoi ne lui avez-vous pas donné à manger ? » C’était un véritable choc culturel. LS

La hutte de sudation servait à purifier le corps et l’esprit, ou encore quand on avait une grande décision à prendre. Entrer dans la hutte qui est toujours circulaire, c’est comme revenir dans le ventre de sa mère. On obtient la vapeur en chauffant des pierres que l’on transporte ensuite dans la hutte où l’on verse de l’eau sur les pierres pour purifier le corps avec la vapeur. Mais avant d’entrer dans la hutte, on devait éloigner de soi toutes les énergies négatives et pour ce faire, nous utilisons la sauge que nous brûlons comme de l’encens. À l’aide de nos mains, on ramène la fumée vers soi. À l’époque, quand on avait une grande décision à prendre, on allait chercher ses meilleurs amis et on pouvait se retrouver sept à huit personnes dans une hutte, collés les uns aux autres en position fœtale. Quand la discussion était terminée, les gens quittaient. Si la personne avait trouvé la solution à son problème elle quittait, sinon elle demeurait à l’intérieur dans l’attente d’une vision. C’est celle-ci qui lui permettait de résoudre le problème auquel elle avait à faire face. Avec l’évangélisation, nous avons presque abandonné les tentes de sudation. Les jésuites n’étant pas tout à fait d’accord avec le procédé, comprenez bien que sept à huit hommes nus en même temps dans la hutte, collés les uns sur les autres, et la chaleur qui y régnait, cela n’avait rien pour leur plaire. Les jésuites appelaient cela : « la maison de Satan ». LGL

– Cela me fait penser au témasqual mexicain.

– Il y a beaucoup de point commun avec les traditions autochtones des amérindiens d’Amérique latine.

On se rappelle qu’il n’y a pas de hiérarchie sociale et que personne est plus importante qu’une autre dans le village, ni ne jouit de privilèges. C’est le cas également pour nos hommes-médecines. On pouvait les rétribuer en les invitant à un repas ou en leur donnait du tabac. Donc, ils ne vivaient pas de leurs pratiques de guérisseur. Nous identifions trois types de maladie : naturelle, invisible et celles que l’on dit de l’esprit. Les hommes-médecines étaient là pour poser le diagnostic sur la maladie, mais ils ne participaient jamais au processus de guérison. Ils prescrivaient une plante, il appartenait aux membres de la famille de préparer la concoction et de l’administrer à la personne souffrante. Si vous aviez une maladie invisible, par exemple un mal de tête, comme on ne peut voir les maux de têtes, nous disions que quelque chose de mauvais était entrée à l’intérieur du corps de la personne et on devait exorciser ce mal. Pour ce faire, les hommes-médecines faisaient appel à des sociétés médicinales, comme celles que l’on connait encore le mieux aujourd’hui, la Société de médecine des faux-visages. LGL

Pourquoi les faux, c’est qu’ils ne doivent ressembler à personne. Les masques sont sculptés à même un tronc d’arbre, mais celui-ci devait survivre. Si l’arbre mourrait, on détruisait le masque et l’arbre aussi car on le croyait habiter d’un esprit malveillant. Si l’arbre survivait, on ne coupait pas l’arbre et on détachait le masque du tronc. Lors des rites de guérison, les membres de la société secrète portaient les masques et exécutaient des danses et des chants autour du malade, le but étant de faire intervenir des forces surnaturelles pour exorciser le mal. Mais les maladies les plus importantes étaient celles dites de l’esprit. On croyait que nos esprits étaient habités de désirs secrets et lorsqu’on ne parvenait pas à identifier ces désirs et à les satisfaire, on avait peur que l’esprit se révolte contre notre corps et qu’il nous rende malade. On guérissait ces gens au moyen des rêves. Dans les villages, il y avait des hommes-médecines spécialisés dans l’interprétation des rêves. En interprétant les rêves des malades, on tentait de découvrir le désir insatisfait, et on demandait aux membres de la famille de le satisfaire. Par exemple, si je suis malade et que je me vois dans un rêve en train de faire du canot et que je suis trop malade pour m’en fabriquer un, l’homme-médecine qui interprèterait ce rêve dirait aux gens de ma famille de me confectionner un canot et je serai guéri. LGL

Dans notre cosmovision, tous nos rêves étaient importants, ils étaient prémonitoires et ils se devaient d’être interprétés. D’ailleurs, dès que les enfants savaient parler, lorsqu’ils se réveillaient le matin, la première chose qu’on leur demandait c’est à quoi est-ce qu’ils avaient rêvé ? De la sorte, on les conditionnait à se souvenir de leurs rêves parce que ceux-ci pouvaient avoir une incidence sur leur vie. Les Indiens des Grandes Plaines vont inventer les capteurs de rêves. Les rêves sont captés dans la toile, les bons trouvent leur chemin dans la toile et descendent dans les plumes, les mauvais restent pris dans la toile. La bille dans la toile représente l’araignée qui va venir manger les mauvais rêves pour ne laisser que les bons dans la mémoire du dormeur. Dans l’Est, nous disons que c’est lorsque le jour se lève qu’il va brûler les mauvais rêves, mais dans les Grandes Plaines, c’est l’araignée qui s’acquitte de cette tâche. On peut aussi ajouter de petites plumes quand on se couche et on va trouver des bons rêves prisonniers dans la toile. LGL

La légende de l’origine du capteur de rêves raconte qu’un jour une femme avait une jeune fille qui faisait beaucoup de cauchemars. Un vieil homme médecine lui aurait dit d’aller voir la femme-araignée pour qu’elle lui donne un truc pour soigner sa fille. Cette histoire nous vient des Navajos au Nouveau-Mexique. On attribuait des pouvoirs spirituels particuliers aux gens qui souffraient de troubles mentaux ou d’épilepsie. La maladie mentale n’entrainait pas l’exclusion sociale, même les gens blessés ou estropiés ne l’étaient pas, et on trouvait toujours une tache pour eux. Sauf que lorsque les maladies européennes arrivèrent, nous étions complètement démunis. Tout ceci a amené un grand discrédit envers les hommes-médecines et la Société des sans-visages. Ce qui a été perdu et qui est une grande perte pour toutes les nations, c’est l’interprétation des rêves. Comment est-ce qu’on interprète un rêve ? C’est quelque chose que j’aimerais retrouver. Quels étaient les messages que les rêves nous envoyaient? LGL

C’est la plupart du temps par les rêves qu’un nouveau membre de la société des sans-visages était recruté. Lorsque quelqu’un rêvait à un masque par exemple, c’était à la fois un appel et un signe. Si le rêve revenait plusieurs fois le hanté, cela devenait une injonction à laquelle il fallait obéir. Les hommes-médecines avaient le pouvoir de les appeler pour qu’ils puissent se réunir. Aujourd’hui, dans la communauté, cette société est réapparue, mais elle n’a pas nécessairement un rôle curatif de personnes malades, ses membres travaillent davantage à la question de guérir notre mère la Terre parce qu’elle a beaucoup souffert. Il y a un endroit, une ile au Lac Nipissing en Ontario, où il s’est produit un massacre de Hurons-Wendats en 1649. Les Ojibwés qui habitent cette région, disent qu’il ressentent des énergies étranges à cet endroit. Lorsqu’ils ont appris que la Société des sans-visages de Wendake était réapparue, ils ont demandé qu’une cérémonie ait lieu à cet endroit pour apaiser les lieux. Après notre visite, ils disent que les choses se sont un peu améliorées sur l’Ile aux chrétiens. La Société est réapparue pour s’occuper de choses comme celles-là. LGL

La Roue de Médecine est toujours fabriquée dans un cercle parce qu’il symbolise l’éternel recommencement sur notre mère la Terre. On nait, on vit, on meurt, nous allons renaitre, revivre et re-mourir. Quand nous naissons, nous sommes enfants, nous avons besoin des autres pour faire nos premiers pas sur notre mère la Terre; puis, nous devenons assez grand pour prendre nous-mêmes nos propres décisions; ensuite nous devenons assez grand pour avoir nos propres enfants et les aider à faire leurs premiers pas sur notre mère la Terre; après nous allons atteindre l’âge de la sagesse et à la fin de notre cycle, ce sera peut-être à nouveau à notre tour d’avoir besoin de quelqu’un pour compléter notre séjour sur notre mère la Terre. C’est le cercle de la vie. La Roue de Médecine provient aussi des Grandes Plaines nord-américaines. La croix à l’intérieur relie les quatre directions, les quatre éléments, les quatre forces, et les quatre étapes de notre vie. Certains y ajoutent les quatre couleurs qui représentent les quatre peuples, noir, jaune, blanc et rouge, mais cela est un ajout postcolonial évidemment. Le Nord représente le courage de recommencer notre vie sur notre mère la Terre et le courage de la finir aussi. À l’Est, c’est la sagesse parce que c’est du côté du soleil levant que nous vient la connaissance, mais aussi c’est la naissance et la renaissance. Au Sud, c’est la générosité, parce que l’été notre mère la Terre nous donne tout ce dont nous avons besoin pour vivre, ainsi que la loyauté que nous devons avoir les uns envers les autres pour passer notre vie sur notre mère la Terre. À l’Ouest, c’est la force de compléter notre cycle sur notre mère la Terre, sa couleur le noir qui représente l’introspection pour pouvoir être en paix avec soi, avec ceux et celles qui nous entourent, pour accomplir notre dernière étape puisque nous ignorons le moment de notre mort. C’est aussi la capacité de mourir à chaque instant. Quand les hommes partaient au combat, ils mettaient du noir sur leur visage pour signifier qu’ils étaient prêts à donner leur vie et qu’ils étaient en paix avec eux-mêmes. C’est un peu ce que signifie la Roue de la Médecine. C’est un symbole qui permet aux individus de grandir au cours de leur vie. LGL

 

Chez les peuples amérindiens, on croyait à la réincarnation en raison des similitudes qu’on retrouvait d’une génération à l’autre chez certaines gens. Lorsqu’un personne mourait, on préservait son nom et si quelques années plus tard un enfant ressemblait au défunt, on lui donnait son nom. Alors, on lui racontait toute l’histoire du défunt qui avez eu ce nom avant lui et il devait porter le nom et lui faire honneur. LGL

Wendats signifie les habitant de l’ile. Autrefois, nous cultivions les trois sœurs, maïs, courge haricot, ainsi que le tournesol et le tabac. À noter que les femmes refusaient de cultiver le tabac parce que ce n’est pas une plante qui nourrit, c’était les hommes qui devaient le cultiver. Avec les surplus de toutes les récoltes, les hommes allaient faire du troc avec les nations qui habitaient autour de notre territoire. Vous comprendrez que les nombreux lacs et rivières nous permettaient de nous déplacer facilement pour aller à la rencontre des autres nations pour commercer avec elles. Nous étions la nation qui habitait le plus au nord à pouvoir cultiver le maïs et la farine de maïs nous donnait un bon contrôle sur le commerce. À leur arrivée en Amérique, les Français nous appelèrent Huron en raison de la coiffure que nous avions avec les cheveux au centre et rasés sur les côtés parce que cela leur rappelait la hure du sanglier. Ils s’aperçurent rapidement que nous exercions un bon contrôle sur le commerce, alors des liens se créèrent entre nos deux peuples. Quand les Anglais débarquent en Amérique, ils s’établissent au sud et ils entrent en contact avec les Haudenosaunees, les Iroquois, et cela va amplifier la guerre qui existait entre nos deux nations. Cela devient une guerre pour le contrôle du commerce des fourrures dans la région des Grands Lacs. On parlera même d’une guerre d’extermination. LGL

Avant cette guerre, les jésuites étaient venus habiter dans nos villages, mais cela avait causé beaucoup de dissensions. Ce n’est pas tout le monde qui était d’accord avec leur présence. Sans le savoir, les Européens amènent avec eux des maladies comme la variole. Lorsque cette maladie arrive dans nos villages, nous allons dire que nos aînés et nos enfants tombent comme les feuilles en automne. Notre population passera alors, de 1615 à 1650, de 25 000 à 30 000 personnes, à 300 personnes qui quitteront les Grands Lacs pour venir s’établir dans la région de Québec. Les deux tiers de la population avait été décimée par les maladies, d’autres par la guerre, et d’autres encore ont marché vers l’Ouest pour se joindre à d’autres nations autochtones. Ceux et celles qui viennent s’établir à Québec sont ceux et celles qui avaient subi l’évangélisation. LGL

Pourquoi est-ce que nous déplacions nos villages ? Nous disions que si notre mère la Terre avait voulu que nos villages soient fixes, elle aurait fait le monde immobile. Le monde étant en éternel mouvement, c’est pourquoi lorsqu’elle ne pouvait plus subvenir à nos besoins, nous devions déménager nos villages et aller nous établir ailleurs. Nous nous installons où nous sommes présentement en 1697, mais nous allons abandonner l’agriculture pour devenir chasseurs-trappeurs jusqu’au début des années 1900 où nous réalisons que les Canadiens appréciaient énormément les mocassins, les raquettes à neige et les canots. Nous devenons alors fabricants de ces produits en petites industries. C’est ce qui nous a permis de connaitre un bon développement économique. LGL

Les mariages mixtes entre Canadiens et Hurons-Wendats vont peu à peu mener à l’abandon de l’agriculture puisque chez ces derniers, ce sont les femmes qui cultivaient la terre alors que chez les Canadiens, c’était le contraire. À partir de ce moment, la chasse va devenir plus importante chez les Wendats. (La Loi sur les Indiens fera en sorte que les femme huronnes-wendates mariant des Canadiens perdent leur droit d’habiter dans leur communauté.)

Au début des années 1900, nous allons de moins en moins en forêt. Nous abandonnons la chasse parce que les Irlandais vont s’établir à Shannon et Stoneham, au nord de Wendake. Ensuite, il y a eu l’apparition du chemin de fer qui de Québec va monter jusqu’au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les terres de chaque coté de la voie ferrée sont vendues à des Canadien anglais qui vont y établir, avec des Américains fortunés, des clubs de chasse et de pêche privées. Ensuite, l’instauration de la Réserve faunique des Laurentides a été le coup de grâce du mode de vie chasseur-pêcheur. À partir de là, plusieurs des membres de notre nation vont devenir des gardiens de parc et des guides de chasse. LGL

La population des Premières Nations au Québec est d’environ de 104 000 personnes. Au Canada, la loi sur les Indiens date de 1876. Elle est toujours en vigueur. C’est ce qui explique que les terres ne nous appartiennent pas, qu’elles sont la propriété du gouvernement du Canada. Nous avons le droit d’habiter nos terres, mais nous n’en serons jamais propriétaires. Le gouvernement canadien a à un droit de véto sur les décisions prises par les communautés. Cette loi a fait de nous des personnes non émancipées, notre tuteur étant le gouvernement canadien. La loi nous donne des droits lorsque nous sommes dans nos communautés, nous sommes non-imposables et non-taxables, ni n’imposons des taxes aux visiteurs lorsqu’ils achètent des biens produits et vendus dans nos communautés. Si je travaille hors de la réserve, je dois payer mes impôts. Si j’achète des biens hors réserve, je vais aussi payer les taxes. La grande question qu’on nous pose souvent : « Pourquoi est-ce que nous sommes non imposables ? » Jusqu’en 1961, nous n’avions pas le droit de vote au Canada et jusqu’en 1969 au Québec. Comme le principe d’une démocratie, c’est qu’on impose les gens qui ont le droit de vote et comme nous ne l’avions pas, nous étions non imposables. Quand on nous a accordé le droit de vote, on a considéré le fait que nous ne payions pas d’impôts comme un droit acquis à l’intérieur de nos communautés. LGL

Remerciements à Luc Gros-Louis pour sa patience et cette visite guidée du site traditionnel huron-wendat avec moult détails.

 

 


 

Discussions suites à la visite

 La discussion débute par une remémoration des événements de la Crise d’Oka de 1990 où la société québécoise n’est pas apparue sous son plus beau jour, de nombreux actes racistes ayant eu lieu à l’encontre de la communauté de Kanawaga et Kanesatake. Cet événement constitue un point de rupture dans les relations entre les sociétés blanches et autochtones du Canada, mais aussi un point de départ dans la prise de conscience par de nombreux citoyens et citoyennes de la nécessité que nous avons de nous parler et de nous connaitre. Le soulèvement mohawk contre une tentative d’appropriation injuste d’un lieu symbolique tel que la pinède d’Oka illustre à la fois la méconnaissance et le mépris envers les droits des Premières Nations et la dignité de ceux qui osent se tenir debout. Le décès du lieutenant Lemay est la conséquence d’un mauvaise usage de la force, avant même d’avoir recours aux pourparlers. D’ailleurs le médecin légiste n’a jamais pu établir de quelle arme provenait la balle qui lui a enlevé la vie. Une participante souligne les souffrances endurées par les habitants des deux communautés qui ont été privés de ravitaillement pendant près de deux mois.

– C’est une folie d’avoir utilisé notre armée contre notre population.

– Surtout quand tu dis que le Canada est reconnu comme un grand défenseur des droits humains.

– Le Canada a été blâmé dans cette crise par les Nations Unies.

Pour introduire la discussion, il s’agit de commenter l’expérience vécue cet après-midi au site traditionnel Huron-Wendat. Les participants sont au nombre de quinze, hommes et femmes, dont deux personnes issues de l’immigration, l’une du Pakistan et l’autre du Mexique, et de deux membres des Premières Nations. La question de départ énoncée par Marie-Émilie Lacroix étant : « Qu’est-ce que cela veut dire pour vous connaitre un autochtone ? »

– C’est toujours selon l’idée que l’on se fait d’eux. Pour ma part, j’ai une impression positive de la dignité et de l’honorabilité de ces gens de parole et de cœur qui ont été si souvent trahis par la civilisation occidentale.

– Pour moi, connaître un Amérindien, c’est comme connaître son voisin. C’est une personne avec qui je n’établis pas de distinction par rapport à une autre.

– Tu peux avoir un voisin autochtone et ne jamais lui avoir parlé parce qu’il est autochtone.

– Mais si c’est un enfant, tu vas lui parler. Au-dessus de chez-nous vit une famille innue de Mingan sur la Côte-Nord. Ils sont en pleine transition dans la modernité. C’est un jeune grand-père qui habite avec sa fille et sa petite-fille. Un jour, cela frappe à la porte, une enfant de six ans nous demande si elle peut entrer chez-nous. Elle nous demande s’il y a des enfants ici. On l’a accueillie comme ça. Jocelyne, ma femme, a travaillé déjà avec une communauté autochtone. Donc, elle vient régulièrement et quand nous avons la visite de nos petits-enfants, elle s’installe avec eux sur le divan. À l’autre extrême, étant enfants, nous étions totalement ignorant de la réalité autochtone, si ce n’est qu’ils n’avaient pas le vertige dans les hauteurs.

– Moi, je ne connais pas vraiment ça le vertige. Quand j’étais sur la ferme avec mon père, c’est nous qui allions installer les silos chez les autres cultivateurs.

– Les femmes aussi nous n’avons pas le vertige quand nous grimpons.

– Il y a une rue à Brooklyn habitée par des familles iroquoises qui ont construit les gratte-ciels de New York. Plusieurs sont mort d’ailleurs lors de la construction du Pont de Québec.

– Le centenaire vient tout juste d’être commémoré à l’automne 2017. Près d’une centaine d’hommes sont morts dans les deux accidents.

– En enseignant en travail social, j’ai eu des étudiantes qui étaient en processus de redécouverte de leur identité. L’une d’elle poursuivait les démarches pour retrouver son statut de Wendat. Elle a fait son stage avec l’Institut de culture autochtone, et elle a travaillé ensuite dans l’administration publique. Une autre qui avait été adoptée et qui était originaire d’une nation de l’Ouest canadien, a découvert ses origines très tardivement. Plus tard, je l’ai croisée sur la rue, elle avait marié un Wendat et elle vivait son identité. Il y a eu aussi le journaliste qui nous couvrait dans Saint-Roch, dans nos grosses batailles sur la rénovation urbaine, Bernard Clairé, dont j’ignorais les origines jusqu’à ce qu’un jour j’apprenne qu’il était médiateur entre les Premières Nations et le gouvernement du Québec. En plus qu’ils devenaient des professionnels, ils pouvaient transférer leurs habilités du côté autochtone parce qu’auparavant, jusque dans les années 1960, si un autochtone entrait à l’université, il perdait son statut automatiquement. Cela n’existait pas un avocat des Premières Nations.

– C’était une façon d’éliminer les autochtones par le haut en estimant que ceux et celles qui accédaient aux études supérieures devenaient des sujets émancipés. Je suis allé à Ottawa, il y a trois ans, pour assister à une rencontre de professionnels autochtones. Nous étions 350 personnes. Il y avait des post-doctorants et certains avaient plusieurs maîtrises. Nous avons passé trois à quatre jours ensemble et j’était vraiment fière. Je me suis dit : « C’est ça qu’il faut que les gens voient. » C’est comme si les gens pensaient que parce que nous sommes autochtones, nous ne pouvons pas être aussi intelligents ou professionnels que les autres. Ça a été longtemps comme ça, mais aujourd’hui c’est terminé.

– Il y a aussi une double appartenance, celle du métissé qui est invisible, alors que les populations plus au Nord sont davantage reconnaissables comme autochtones et ils vont davantage être victimes de racisme. Ce problème demeure d’actualité, comme l’émission Enquête de Radio-Canada nous l’a révélé l’an dernier, à Val-D’or, sur la Côte-Nord, à Schefferville. On nous disait que pour les premiers emplois cela demeure laborieux, ou encore pour se louer un appartement en ville, c’était difficile parce qu’ils avaient un nom autochtone. C’est la part d’ombre de la société québécoise qui se croit parfaite et on découvre que non finalement, on ne l’est pas.

– Nous avons cru cela longtemps.

– Par rapport à la question de l’amitié avec une personne autochtone, je trouvait que c’était une bonne question. Pour moi, l’amitié c’est un chemin, ce n’est pas du jour au lendemain que tu connais une personne. Il y a comme un mystère qui se révèle avec le temps, et lorsque je vais à la rencontre de personnes autochtones, c’est encore plus fort. J’ai participé à la Mission de paix en canot sur le fleuve Saint-Laurent à quelques reprises. J’essaie d’entrer en relation, mais plus je vais à leur rencontre, plus je constate à quel point je ne les connais pas. À travers l’histoire, il y a comme une distance qui s’est créé. Cela prend un grand respect et une grande écoute pour se découvrir et tisser des liens sincères et authentiques.

– On connait quelqu’un quand on a vécu quelque chose avec lui. Chez-nous, nous disons : « Tu ne peux pas juger une personne sans avoir passé quinze jour dans ses mocassins. » La philosophie que j’aime répéter partout c’est : « Observe, écoute, agis ! » Là, tu connais quelqu’un.

– Ce que je disais, c’est que je me sens toujours en chemin par rapport à ça.

– C’est comme ça avec n’importe qui. C’est le fossé entre les allochtones et les autochtones qui n’est pas évident.
C’est aussi l’éducation que nous avons eue qui a fait en sorte que le chemin de la coexistence a été brisé. C’est ce que je trouve dommage parce que chaque culture et chaque individu a quelque chose à apporter à la société. Je trouve cela triste que lorsque nous étions jeunes, on nous a appris à nous méfier des autochtones. Ils ne sont pas si dangereux que cela s’ils sont capables de nous enseigner des choses telles que la chasse, la pêche, la médecine, la survie en forêt. Cela démontre qu’ils sont les héritiers de quelque chose.

– En partie, c’est que l’histoire qui a été enseignée à leur propos était fausse.

– Dans « Le peuple rieur » de Serge Bouchard, il raconte comment un processus a été enclenché par le colonialisme britannique pour détacher les Canadiens-Français des Premières Nations. Ce processus s’est poursuivi de la fin des années 1 700 jusqu’à l’époque moderne. C’est un livre remarquable que je vous conseille de lire.

– C’est ce que le guide nous a raconté aujourd’hui en parlant des Acadiens que les Britanniques trouvaient trop autochtones à leurs goûts. Il y avait une menace de déportation des Canadien-Français s’ils se montraient trop proches des autochtones.

– On peut aussi parler d’un apartheid social assez fort qui a été vécu pendant deux siècles par les peuples autochtones du Canada. La pauvreté aussi, nous en avons peu parler, mais les chiffres étaient affichés dans la dernière cabane que nous avons visitée. On y parlait du chômage, de l’espérance de vie, du taux de décrochage scolaire, de la mortalité infantile, du taux d’incarcération par rapport à la population blanche, des logements surpeuplés, du taux de suicide plus élevé, etc. Ce sont des données que nous aurions dû lire. Il y a une question sociale derrière tout cela. Ce ne sont pas que des cultures différentes qui se côtoient peu, l’une des deux est discriminée et elle en souffre, par rapport à l’autre culture qui la domine et l’ignore.

– Lorsqu’on nous reproche des privilèges que nous aurions par rapport aux non-autochtones, par exemple, les exemptions de taxes et d’impôts, la gratuité des services pour les personnes à l’aide sociale, etc., on oublie que de l’autre côté, l’importance de la pauvreté chez les Premières Nations, pauvreté qui est entretenue par le système. Je pense que c’est une responsabilité qu’ils se sont donnés en instaurant la « Loi des Indiens ». C’est une responsabilité qui ne leur coûte pas cher. Observez combien d’autochtones fréquentent l’université malgré le fait que ce soit gratuit pour nous ? Il n’y en a pas beaucoup et en plus, ils sont assez invisibles.

– N’oublions pas que le Canada a reçu toutes les ressources naturelles gratuitement des Premières Nations.

– Oui, cela continue et nous avons les maladies qui vont avec ça. Qu’est-ce que cela implique pour un autochtone de fréquenter l’université ? Tu es coupé de ta famille et de ta culture alors que nous vivons de façons très communautaire. Cela implique que tu ne pourras pas aller à la chasse à l’outarde à l’automne, parce que tu es en ville pour étudier. Je le vis présentement, je suis étudiante à l’université et nous sommes obligés de remplir des conditions. Je suis obligée de me soumettre à leur système pour réussir à avoir le fichu diplôme parce que sinon tu n’es pas crédible. Je m’aperçois que depuis que je suis inscrite à la maîtrise, j’ai pris du gallon de manière incroyable. J’essaie de faire entrer à l’université des savoirs autochtones. J’aurais voulu faire ma recherche sur cette question. On m’a demandé d’écrire un texte à partir de l’Exercice des couvertures que j’ai souvent animé. La question de recherche est : « Dans quelle mesure, l’Exercice des couverture a un impact sur la sensibilisation des futurs intervenants en service social pour leur faire prendre conscience des effets et des conséquences de la colonisation ? » Ce qu’on me dit, c’est de sensibiliser les futurs intervenants qui vont aller coloniser les autochtones. C’est le mot décolonisation qui va être ton concept de base. Depuis que je travaille avec ce concept, je me sens mal. Je ne souhaite plus employer ce mot-là. Parce que décolonisation, surtout dans le contexte du féminisme radical chez les femmes autochtones, cela veut dire que nous nous approprions le modèle universitaire pour en arriver à des universités séparées. Je ne crois pas que cela soit la solution. Il faut faire attention aux débats, cela peut nous conduire à des impasses.

– C’est une très bonne initiative cette visite et ce n’est pas toujours évident. Il faut toujours que la personne fasse l’effort de comprendre l’autre. Je vais dire à mes amis musulmans d’aller faire cette visite parce que c’est très intéressant. Je viens de Saskatchewan et il y a plus de membres des Premières Nations là-bas. Ils sont très stigmatisés. Ils sont comme un peuple rejeté par la société. Ils vivent de très haut niveaux de pauvreté. Là-bas, on les côtoie et la pauvreté apparaît beaucoup plus évidente qu’ici. Ils fréquentent les mêmes établissements scolaires que les autres et le rejet commence dès l’école primaire. C’est un travail de sensibilisation qui doit débuter par les enfants pour qu’ils apprennent que tout le monde est égal et a le droit au respect.

– Est-ce qu’en Saskatchewan, il y a des communautés autochtones près des villes comme Wendake ?

– Les communautés sont isolées, mais dans les villes c’est comme si les Amérindiens n’étaient pas acceptés par la société.

– À Winnipeg, il y a une grande concentration et ils sont très mal vus. Pourtant, à Winnipeg, vous avez le Musée des droits humains et il y a deux étages consacrés aux autochtones. Mais à Winnipeg, à tous les jours, dans les médias, on parle des autochtones. Ils ne sont pas plus acceptés pour cela.

– Par rapport à la visite que nous avons faite aujourd’hui, il y a une différence importante. C’est comme si les Hurons n’étaient pas une Première Nation comme les autres. Depuis si longtemps, ils sont imbriqués dans la ville de Québec et engagés dans le commerce. Ils sont très présents dans la vie de la communauté de Québec. Max Gros-Louis ou Conrad Sioui sont connus à Québec. Ce que j’ai aimé dans la visite d’aujourd’hui, c’est le témoignage qui a été apporté par le guide sur la redécouverte de leur identité, de leur culture, de leur langue, à partir des années 1980 et j’ai été touché par l’authenticité de son témoignage. Ce n’était pas un show pour les touristes, ni un radicalisme traditionaliste qui est parfois détaché de la réalité de la communauté.

– Mais il y avait la différence entre les traditionalistes et les autres.

– Cela me donne un témoignage important sur une communauté qui porte son identité tout en vivant en interaction avec la réalité québécoise.

– Il nous a aussi dit que les Wendats étaient des diplomates qui faisaient les liens avec les autres communautés. Quand tu occupes cette fonction, tu dois l’être au sens littéral du mot aussi.

– Comme il a dit : « Ils sont arrivés ici en 1650 et ils n’étaient que 300. » Avec un nombre si petit, tu te fais vite intégrer et ensuite ils ont dû survivre dans un monde qui était différent du leur. Mais à la base, c’était des hommes d’affaire. Avant de prendre une pause, j’aimerais insister sur le fait que je n’aime pas la vision misérabiliste que nous avons des Premières Nations et je ne veux pas que nous ayons une image qui fasse pitié.

– II y a tout de même une injustice qu’il faut reconnaître derrière la réalité autochtone. Quand Hydro-Québec refuse de leur donner de l’électricité alors qu’ils habitent à côté d’un mini-barrage, cela relève d’un agir impérialiste.

– Le conseil de bande a demandé à Hydro-Québec s’il pouvait installer une turbine pour produire de l’électivité pour le village. Ils ont répondu non parce que cela allait faire concurrence à Hydro-Québec.

– C’est de la mauvaise foi.

– Dans cette communauté, il y a aussi un grand terrain clôturé et inutilisé qui appartient à Hydro et un organisateur communautaire en a demandé l’accès pour organiser du sport pour les jeunes. Ils ont refusé sous prétexte qu’ils l’avaient loué pour 100 ans.

– J’ai aimé l’expérience d’aujourd’hui. J’ai trouvé intéressant d’apprendre et de comprendre ce qui se passe. Pourquoi on fait les choses comme ça, et dans quel but est-ce qu’on le fait ? Je suis déjà allée auparavant à Wendake, avec l’ADDS-QM, mais nous n’étions pas allé au même endroit. Nous avons visité une église et autre chose. J’ai une soif d’apprendre.

– Vous êtes allés au musée.

– Qui est déjà entré dans une communauté autochtone ? En passant, le mot réserve, je l’élimine.
Avec le Comité consultatif sur la pauvreté, je suis allée en Abitibi.

– Le mot réserve met une barrière entre nous. Au début, ces endroits étaient clôturés, maintenant, c’est ouvert. J’ai travaillé avec une fille qui venait de Roberval. Je lui ai demandée si elle était déjà allée à Mashteuiatsh ? « Jamais !» : elle m’a répondu. « Pourquoi ? », lui ai-je demandée. « Parce que lorsque nous étions enfants et que nous passions devant en voiture, mon père faisait le tour pour ne pas traverser cet endroit. Ma mère croyait que c’était un endroit dangereux. » Je lui ai dit : « À ton âge es-tu capable d’y aller seule ? » Alors, l’été d’après elle y est allée. Le mot « réserve » est porteur d’une connotation négative.

– Cela me fait penser à un ghetto, un endroit où nous ne pouvions pas aller parce que cela leur était réservé.
Pendant les premières années, il y avait un agent fédéral qui les surveillait et ils devaient demander la permission pour sortir.

– Cela me fait penser quand je suis allé à Kwei (Bonjour), l’année dernière, il y avait une activité sur les roches.

– De plus en plus, sur chacune des communautés, nous avons des musées. Ce sont les meilleurs endroits pour apprendre l’histoire où vous pouvez poser toutes les questions que vous voulez. C’est aussi un bon endroit pour établir un premier contact avec des gens d’une autre culture. Il y a onze nations au Québec et ce sont toutes des cultures différentes. Même moi qui est Innue du Lac-Saint-Jean, si je prends une Innue de Schefferville ou de La Romaine, nous sommes différentes parce que nous n’avons pas vécu dans le même environnement. Au niveau de la langue, il y a des différences de prononciation d’une communauté à l’autre.

– Sur la Côte-Nord, ils ont été sédentarisés beaucoup plus tard.

– Cet été, j’ai eu la chance de pouvoir visiter le musée de Mashteuiatsh et c’est très intéressant. Cela m’avait marqué comment le fait d’aller à la chasse ce n’est pas une simple question de survie, mais aussi un exercice de réappropriation culturelle d’un mode de vie ancestral et qu’il est fondamental pour eux d’avoir accès à cette activité pour la transmission de la culture aux autres générations. C’est beaucoup plus profond que ce qu’on peut en penser extérieurement.

– C’est pour cela que nous parlons de guérison. Que nous soyons traditionalistes ou pas, la guérison passe par le retour à la tradition. Je connais plusieurs communautés à l’heure actuelle où nous avons des personnes qui vont aider à la guérison de l’autre en les amenant dans le bois. Tu peux prendre un autochtone qui est itinérant à Montréal, qui est drogué et alcoolique, mais qui veut s’en sortir, ils vont l’amener dans le bois un mois, un mois et demi ou deux mois. Quand il arrive en forêt, il n’a pas de matériel de survie, même pas une tente, il doit couper le bois et se construire un abri. Il doit apprendre à trapper et à chasser, il vit de manière traditionnelle et il se désintoxique assez vite puisqu’il n’y a rien à consommer.

– Je trouve qu’au point de départ, c’est une culture qui est très spirituelle.

– Avant que les colonisateurs n’arrivent, nous avions rencontré notre Créateur, nous l’appelions le Grand Manitou.

– Je voudrais introduire une réflexion par une question : Les Canadiens-Français qui sont devenus des Québécois au cours des années 1960, ont vécu une sorte de re-saisi d’eux-mêmes dans leur identité, ils l’ont inventée et réinventée en bonne partie. Je me souviens de tout ce folklore qui est réapparu à cette époque. Ils ont réalisé un schéma de transformation qui ressemble à ce que les Premières Nations font actuellement. Qu’est-ce qui est arrivé aux Canadiens-Français devenus Québécois ayant vécu cette re-saisi dans les années 1970 pour qu’aujourd’hui nous éprouvions cette impression de lassitude qui s’exprime par un manque de conviction ? C’est comme si on ne se souvenait pas que nous avons essayé de nous re-saisir nationalement. Le nationalisme du temps a été très bénéfique et guérisseur par rapport aux séquelles de la colonisation que nous avions subie. J’entends très bien que c’est guérisseur le nationalisme autochtone parce qu’il a des effets émancipateurs. Ce qui m’inquiète pour eux, c’est que cela ne les conduise au même cul-de-sac que cela a créé chez la société québécoise.

– Il y a aussi les Afro-Américains et les Afro-Brésiliens qui se réapproprient leur culture et leur identité, leur fierté d’être ce qu’ils sont. Cela passe par les chants, la danse, les vêtements, la cuisine, etc. La principale différence selon moi, c’est que chez nous au Québec, les idées républicaines et marxistes ont pénétrées notre société au même moment que nous redécouvrions et affirmions notre identité, alors que pour ces différents mouvements de retour aux sources, la spiritualité apparaît comme un facteur prépondérant. En voulant nous libérer de la mainmise de l’Église catholique, nous nous sommes ramassés sans spiritualité, en grosse panne sèche sur le bord de l’autoroute. Nous n’avions pas prévu un sens à la vie, des raisons de vivre et d’espérer au cœur de notre projet de souveraineté. Si nous gagnions le référendum, le Ciel allait venir sur Terre, nous n’aurions plus de problème. Nous avons vécu un espèce de messianisme avec le Parti Québécois. Chez les autochtones, ce n’est pas du même ordre parce qu’il y a aussi le combat écologiste qui entre en ligne de compte alors tout en redécouvrant leur fierté et leur besoin d’enracinement avec la nature, ils s’engagent dans un combat. Se lever, se battre et être fier, c’est comme une trilogie. Ce que je vois quand je les vois manifester avec leurs chants et leurs tambours pour la Terre-Mère et pour leurs droits, il y a un sacré qui revient. Alors que les Québécois ont rejeté le sacré, plus rien n’est sacré à nos yeux, à moins de sombrer dans un nationalisme ethnique. Mais si tout peut être profané, sauf la propriété privée évidemment, il devient impossible de construire quoi que ce soit. En perdant le respect de toute chose, nous avons perdu le respect de nous-mêmes.

– Oui, sauf que la différence, c’est que maintenant nous les autochtones avons de l’éducation. L’éducation nous fait du bien, c’est le plus grand profit que nous avons eu de notre rencontre avec les Européens. Pour certains sages autochtones, l’éducation nous a aussi détruits comme nation, mais c’est grâce à elle que nous allons nous en sortir. Elle n’est plus le même outil d’assimilation qu’elle était à ce moment. Je regarde les jeunes Amérindiens avec qui je suis à l’université et nous les encourageons tellement dans le sens que ce sont eux qui vont commencer à nous sortir du ghetto dans lequel nous étions. Parce que les gens qui ont vécu les séquelles des pensionnats sont presque tous et toutes disparues. Ce sont les dernières générations tandis que les nouvelles générations vont pouvoir bénéficier des partenariats avec les non-autochtones. Chez les parents, comme chez les jeunes, les nouvelles technologies ont ouvert de nombreux horizons. Je compare beaucoup les générations, ma génération n’a pas eu de parents qui ont pu nous aimer et nous éduquer parce qu’ils avaient été dans les pensionnats et qu’ils vivaient les séquelles de cela. Alors nous n’avons pas pu être de bons parents, parce qu’on a rien eu, ni modèle, ni affection. Tandis que nos enfants et nos petits-enfants, c’est déjà changé. Parce que les futurs parents qui vivent dans nos communautés présentement, c’est ce qui se produit actuellement. Le changement va arriver avec l’éducation et la relation parent-enfant parce que maintenant comme parent, on peut donner à nos enfants ce que nous sommes. Pendant un siècle ou sept générations, on nous a appris que ce que nous donnions à nos enfants, langue, les coutumes et la culture, était mauvais et devait être rejeté. C’est un grand pas.

– Pour revenir sur la question amenée par Denis, c’est qu’un des facteurs qui a fait en sorte qu’il y a eu une perte du dynamisme de l’identité québécoise, ça a été l’élimination de l’enseignement de l’histoire. Alors je me dis que chez les Premières Nations, ce qui peut faire que l’entrée dans l’éducation n’aliène pas mais promeuve l’identité, c’est la place de l’histoire. Il faut que cette dimension soit maintenue, autrement les générations suivantes n’assimilent pas ce qui l’a été par leurs ainés depuis les années 1960. Si la transmission entre les gens des Premières Nations qui sont scolarisées, si cela n’est pas transmis aux générations suivantes, ils vont être des Québécois ou des Canadiens, un peu assis entre deux chaises.

– Sauf que l’histoire a toujours été transmise chez-nous en raison des traditions orales. Nous avons aussi de plus en plus d’auteurs autochtones qui réécrivent l’histoire du Québec et du Canada, en lien avec la transmission orale et le projet. J’ai des livres qui ont été écrits par des femmes Cris de la Baie-James. Ce que j’aime dans nos livres d’histoire, c’est qu’on relate les faits. Il n’y a jamais de commentaires du genre : « Lorsque nous étions sous le régime anglais, nous avons subi ceci ou cela. » Il n’y a pas de tels commentaires dans nos livres d’histoire. Le danger qui nous guette maintenant, c’est la séparation du Québec. Peu d’autochtones sont en faveur de la séparation et ceux ou celles qui le sont, c’est parce qu’ils ne connaissent pas les enjeux.

– C’est un faible risque par les temps qui courent.

– La question de la souveraineté chez les autochtones, chez les Québécois et les Canadiens, je trouve que c’est un piège malsain pour notre développement. Que signifie la souveraineté ? Comme Québécois ou Canadien, il semble qu’aucun peuple n’est souverain. Comme adulte, chacun a un devoir de souveraineté comme aller voter, respecter les lois, payer ses impôts. Nous n’avons plus le droit de parler de souveraineté sans se faire traiter de séparatistes.

– Moi, j’observe le Canada à l’échelle internationale, à l’OEA, l’organisation des États Américains, et je vais vous apprendre que le Canada demeure encore et toujours une colonie de la finance internationale et surtout du gouvernement des États-Unis parce que nous n’avons pas de politique étrangère digne de ce nom, indépendante de la ligne tracée par Washington.

Je pense que la réappropriation culturelle des Premières Nations, c’est important pour tout le monde parce que les peuples qui habitent sur ce territoire depuis des milliers d’années ont des connaissances ancestrales. C’est l’une des clés importantes pour résoudre la question de l’identité québécoise et canadienne et vivre à nouveau en harmonie avec la nature. L’état de notre planète est vraiment un enjeu fondamental en ce moment. En ce sens, j’ai l’impression que la sagesse des savoirs autochtones est déterminante et c’est pour cette raison qu’elle doit être introduite dans notre système d’éducation comme schéma de valeurs référentielles.

– Quand nous parlons de colonisation, tout la Terre est colonisée présentement. Avec la mondialisation, tout le monde est colonisé.

– Pour ce qui est de la souveraineté, lorsque cela a commencé, il s’agissait d’une identité ethnique des descendants des colons français venus s’établir sur les rives du fleuve Saint-Laurent. Il y a eu par la suite une ouverture, une revendication de souveraineté citoyenne pour tous les habitants du territoire. Maintenant, je pense que la conscience est très présente que cela ne peut se faire sans un partenariat avec les Premières Nations du Québec qui étaient complètement en-dehors du tableau au début du mouvement souverainiste parce qu’ils étaient sous la tutelle du fédéral et que personne ne pensait à les intégrer dans le projet. Il faut dire qu’avec René Lévesque, il y a eu le commencement de quelque chose avec le Secrétariat aux affaires indiennes et un début de prise de conscience d’engagement du Québec. C’est certain qu’aujourd’hui, les immigrants récents et les autochtones, si jamais le mouvement souverainiste reprend de l’ampleur au Québec, toutes ces dimensions devraient être intégrées au projet. C’est une problématique complètement différente de celle où j’ai commencé comme souverainiste à l’âge de quinze ans.

– C’est aussi la dynamique canadienne qui a évolué.

– Quand je regarde le Québec, je suis frappé de voir des gens comme nous sensibiliser à des approches citoyennes, aux autres cultures, ayant une sensibilité très vive. En même temps, si je regarde autour de moi, beaucoup de gens ne sont pas dans ce créneau, ils ne retiennent des Premières Nations que les problématiques sociales. Quand nous parlons de guérison, j’aime beaucoup ce mot qui possède la puissance de réunir les deux mondes, c’est-à-dire que malgré les pensionnats, les enlèvements pour adoption, etc., nous pouvons malgré cela faire route ensemble. Mais en même temps, si on ne veut pas écœurer le monde et pour le bénéfice des Premières Nations, il faut travailler sur ces deux aspects : la créativité et le sursaut. Tout en admettant les tords de la société colonisatrice, il faut que nous parlions et accompagnons les Premières Nations dans leur sursaut. J’ai été très marqué par le film Nitanish. C’est un anthropologue qui est venu nous parler de l’aventure qu’il a vécue avec des Innues de la Côte-Nord près de Sept-Iles. À force de créer des contacts avec la communauté, il s’est fait demander par un jeune dans la trentaine: « Qu’est-ce que tu penses de nous autres ? » Il n’a pas voulu répondre. Trois fois le jeune est revenu à la charge. L’anthropologue savait que de ne pas dire du mal de quelqu’un d’autres cela fait partie de la culture amérindienne. À la quatrième reprise, il a répondu : « Tu veux que je te dise ce que je pense de vous autres ? Je suis triste de voir qu’il n’y a pas quelqu’un qui tente quelque chose pour s’en sortir.» Ça a jeté le gars par terre. Un an plus tard, lorsque l’anthropologue revient voir la communauté, le jeune lui dit: « J’ai fait un rêve. J’ai entendu qu’il faut qu’on fasse une expédition de chasse pour retrouver nos racines et se retrouver entre-nous. » Le film est en deux parties, la première est une randonnée en motoneige vers le site de chasse et la deuxième est consacrée à la parole des femmes. Particulièrement intéressant, je vous encourage à aller voir ça. Cela m’a aidé à imaginer que collectivement autant qu’individuellement, nous avons le même défi à refaire sans cesse, à savoir si nous voulons continuer d’être des victimes ou créateur de la suite de notre vie ? Il me semble que nous sommes à la veille de réunir les deux problématiques et de voir comment elles avancent ensemble. D’une part, avoir la vérité avec la Commission Vérité et réconciliation, mais il faut en même temps que nous colportions les bons coups, les sursauts des Premières Nations, toutes les bonnes nouvelles et les pousses vertes.

– J’aurais une question pour Marie-Émilie sur les communautés autochtones : Quel est le problème de la souveraineté du Québec pour les Premières Nations ? J’aimerais entendre le point de vue d’une personne des Premières Nations à ce propos.

– Jusqu’à un certain point la Loi des Indiens nous protège, alors si nous ne sommes plus sous la protection du fédéral, nous ne sommes plus protégés. Et au niveau des territoires, qu’est-ce qui va se passer ?

– Cela créé de l’incertitude pour les droits ancestraux.
– C’est une bonne question.

– Je pense que la conception de la souveraineté est complètement différente. Chez les autochtone, lorsqu’ils revendiquent une souveraineté, ils ne revendiquent pas un territoire, mais l’autodétermination. Pour les Québécois moyens, il s’agit de s’accaparer un territoire.

– C’est toujours dans une logique coloniale.

– Pourtant nous entendons parler régulièrement des revendications territoriales autochtones. Alors la souveraineté du Québec ne serait possible que dans un contexte de négociation avec les Premières Nations pour qu’elles aient accès à des territoires que le fédéral leur refuse actuellement. Et si le mouvement souverainiste n’est pas capable de faire cela, il va y avoir un problème.

– Il faut reconnaitre que nous sommes au Nitassinan ici.

– Pour reprendre l’idée de Denis, il s’agit de sortir d’une sorte d’antagonisme qui prend la forme du racisme parfois, pour essayer de voir et d’entendre de quelle manière nous pouvons cheminer parallèlement comme nations. Je pense qu’il faut pouvoir repérer les éléments de base sur lesquels pourrait survenir cette éventualité. Dans le cadre de la visite, j’ai été à nouveau sensibilisé et séduit par le caractère matriarcale de la société autochtone. Moi, je pense que notre société québécoise est fondamentalement matriarcale. Patriarcale dans ses institutions politiques et juridiques, mais en termes socioculturels et anthropologiques, je pense que nous avons hérité des Amérindiens une manière de voir le monde et de vivre notre vie. Donc, notre société serait mixte dans sa dimension anthropologique et cela constitue une bonne base d’opération pour essayer de mieux nous comprendre. Le documentaire l’Empreinte m’a marqué et j’ai reconnu les mêmes éléments aujourd’hui dans le discours de notre guide, quelque chose qui serait de l’ordre d’une « communalité », une « civilitude » fondamentale qui structure nos manières de faire tout comme nos représentations structurent nos désirs et plein d’autres choses. Il faudrait s’emparer de cela d’une certaine manière pour aller à la rencontre de l’autre, mais entre temps, les antagonismes nationaux doivent faire leur chemin.

 Rien n’est absolument pur en ce qui concerne les modes de pensées et la culture des différentes populations. C’est pourquoi il faut aussi prendre garde des fausses identités et de leurs prétentions de représenter un absolu qui n’est trop souvent qu’une simple chimère. Il y a aussi ce que les Québécois et les Canadiens ont en commun qui est le facteur géographique et le rapport à l’espace qui nous donne cette forte impression de liberté. Le climat également fait en sorte que des gens qui habitent ici depuis à peine une génération, se sentent profondément Québécois. Je pense que le territoire nous habite encore davantage que nous ne l’habitons. Pour ce qui est du climat, ce sont des saisons très marquées qui nous permettent de voyager sans même nous déplacer.

– Il y aurait plusieurs points sur lesquels j’aimerais revenir. Il y avait sept prophéties chez les Algonquins. La septième prophétie disait qu’il viendra un temps où les non-autochtones viendront chez les autochtones pour s’enquérir de leurs savoirs pour protéger la Terre. Nous sommes rendus là ! C’est pourquoi je suis très impliquée dans les mouvements écologiques. C’est une occasion extraordinaire que nous avons de nous unir pour avoir un projet commun. Nous sommes tous et toutes concernés, parce que nous sommes tous et toutes menacés. Il y a comme une enveloppe autour du savoir autochtone, un folklore dans l’imaginaire des non-autochtones. Les gens qui ne me connaissent pas et qui savent que je suis une autochtone me racontent leur vie spontanément croyant que j’ai la solution à tous leurs problèmes. C’est comme si la sagesse autochtone nous poussait dans les oreilles en venant au monde. Si vous allez visiter les communautés autochtones, vous allez vous apercevoir que l’environnement ce n’est pas si protégé que cela. Souvent c’est sale et déprimant. C’est sûr qu’il y a des causes à cela et qu’il y a toujours des raisons pour s’excuser. Nous avons-nous aussi un grand chemin à faire et à refaire. Si nous avons cette vocation à l’heure actuelle, et bien tant mieux, qu’on l’a prenne et qu’on s’unisse ensemble pour y arriver. Pour ce qui est des films, je ne sais pas s’il y en a parmi vous qui ont vu : « Cheval indien » ?

– Il vient de commencer au cinéma.

– C’est un des films que je recommande. Hochelaga, j’ai moins aimé. Mais « Cheval indien » ne fait pas trop ressortir les horreurs ou les mettre en évidence. On le voit et on se rend compte de ce qui se passe, mais on insiste pas là-dessus. On y suit la vie d’un jeune Indien de l’âge de six ans jusqu’à trente-cinq ans environ. Il y a le parcours traditionnel qu’on entend sur les autochtones : Il sort du pensionnat, devient un drogué et un alcoolique, il se ramasse dans les fonds de ruelles, puis c’est tout ce qu’il fait de sa vie. Sauf qu’à un moment donné, on découvre que ce garçon a un talent particulier pour le hockey. Au pensionnat, on lui a permis de développer son talent, à un point tel qu’il pourrait devenir une vedette et apporter un grand prestige à son équipe. Jusqu’au jour où il s’aperçoit que son entraineur a beaucoup d’intérêts dans sa réussite. « Plus tu vas aller loin et plus tu vas avoir du succès et de l’argent. » On lui fait miroiter le capitalisme au maximum, mais ce que j’aime dans ce film, c’est que le jeune homme finit par rejeter ce monde d’argent pour retourner vers ses racines. Il se rend compte que son entraineur et en train de décider sa vie à sa place. Il choisit donc de continuer de vivre avec les siens et de cheminer avec eux plutôt que de devenir une vedette du hockey et un millionnaire plein d’argent. C’est un des rares films qui nous fait prendre conscience qu’il faut prendre garde de ne pas laisser écrire sa vie par les autres.

– Je me suis posé une question Marie-Émilie : Arthur Okochi. Te rappelles-tu de ce garçon ? Il jouait au hockey pour Pointe-Bleue et il était vraiment une vedette.

– Ce que je voulais dire c’est qu’aujourd’hui, nos jeunes ou nos gens, sont conscients de la différence qu’il y a entre vivre et choisir sa vie et laisser les autres choisir et décider à leur place.

– Ce que souligne dans le cas de ce jeune joueur qui se fait représenter par un autre qui l’amène en-dehors de sa route, de son identité finalement, c’est la même chose qu’a pu éprouver un fils d’ouvrier comme Fernand Dumont qui a eu de la misère à être reconnu comme un universitaire important, en cherchant toujours à demeurer fidèle à ses origines. Il vivait la décentration d’une identité qui requérait de lui une forme de fidélité. De sorte que ce que tu interprètes comme étant le blanc qui fait se dérouter quelqu’un de son chemin, c’est vrai aussi pour n’importe quelle personne qui se trouve déroutée par rapport à ses racines et à son identité inconsciente.

– Je suis 100% d’accord avec vous. Ce n’est pas dans ce sens que je le disais. J’étais fière de voir qu’en tant qu’autochtone nous sommes capables de prendre notre vie en main.

– Sans entrer dans une vision misérabiliste ou quoi que ce soit, je suis d’accord avec vous deux, mais il existe quand même une notion de couches d’oppression. Dans la société occidentale capitaliste, si tu es blanc et si tu es un homme, tu as accès à des privilèges que d’autres n’ont pas. Même si tout le monde est plus ou moins victimes des oppressions du système capitaliste, cela ne se vit pas au même niveau. À un moment donné, il y a des choses qui font en sorte que tu es davantage opprimé. Au Canada, il existe de nombreuses discriminations envers les membres des Premières Nations. Je ne crois pas qu’ils se posent en victimes par rapport à cela, je crois au contraire qu’il y a de nombreuses personnes qui se tiennent debout.

– Ce que je comprends, c’est qu’il s’agit d’orienter sa vie selon un projet collectif, versus le néolibéralisme où c’est chacun pour soi et peu importe ce qui arrivera à ma communauté.

– Ici on ne parle plus de privilèges, c’est chacun pour soi.

– C’est bien ce que l’idéologie dominante essaie de nous inculquer.

– Je me pose des questions parce que je dis que le monde est tellement fait de préjugés et qu’on associe certains préjugés à certaines choses. Par exemple, tout le mal qu’on dit sur les autochtones, même chose pour les personnes à l’aide sociale. Je me dis que peu importe d’où tu viens, il y a des choses qui arrivent dans ta vie, ou bien il y a des moments dans ta vie qui font que ton cheminement a été interrompu. Exemple si tes parents ont vécu l’enfer, tu vas en vivre les répercussions. L’expérience des pensionnats autochtones et du déracinement identitaire ont causé des turbulences intérieures qui ont mêlé les gens. Ça les a déroutés en quelque sorte. Tu veux que tes enfants aient accès aux valeurs traditionnelles, mais tu ne sais pas comment leur transmettre. C’est ce que je trouve triste dans cette histoire parce que lorsque j’entends ce que Pénélope me raconte, tout ce qu’ils ont enduré. Ce qui me fascine, c’est de voir la force qu’elle a aujourd’hui pour avancer afin que ces petits-enfants soient capables de dire : « Moi je suis autochtone et j’ai des valeurs, les valeurs de ma grand-mère et de ma mère. J’y tiens parce que c’est important, (elles définissent qui je suis).» C’est ce qui m’impressionne par rapport aux orphelinats. Le processus qu’ils sont en train d’entamer avec la Commission royale sur les femmes autochtones, l’exemple des couvertures de réconfort pour aider les femmes qui viennent témoigner à avoir le courage de dénoncer ce qu’elles ont vécu. C’est quelque chose.

– Elles font preuve de beaucoup de résilience.

Ce n’est pas pour rien que l’adolescence arrive avant l’âge adulte. C’est que l’adolescent a besoin de commencer à répondre à la question : « Qui je suis ? » Après ça, il est capable d’aller vers d’autres, des gens différents, parce qu’il a commencé à cheminer dans cette question fondamentale. J’ai l’impression qu’il va y avoir une étape semblable à cela, à savoir que cette prophétie des Algonquins est fabuleuse parce qu’on y retrouve une image du dynamisme de la vie. Il y a déjà un certain nombre d’années, les communautés autochtones ont commencé à parler de leur sagesse ancestrale au monde, mais ils se la redonnent à eux-mêmes en même temps. Je pense que la première souveraineté débute d’abord par soi-même, c’est commencer par croire à nouveau en nous à force d’aller fouiller dans nos racines. Après on pourra créer ensemble du neuf, qui sera ni ce que vous étiez, ni ce que nous étions.

– J’aimerais porter à votre attention, trois choses par rapport au thème que nous discutons et les terrains communs sur lesquels peuvent se faire des alliances, souvent liées à des conjonctures politiques. 1) Le NPD en Colombie-Britannique a besoin des députés du Parti Verts pour avoir sa majorité au parlement, avec un courant écologique à l’intérieur du NPD. Une Première Nation qui rejette le pipeline Kinder-Morgan. Finalement, une dynamique politique qui fait que le Premier ministre de Colombie-Britannique dit qu’il n’en aura pas et qui est déterminé à aller jusqu’en Cour suprême du Canada s’il le faut. 2) Sur les affinités possibles, il y a deux expériences qui m’ont impressionné. J’appartiens à la plus grande Église protestante au Canada, l’Église Unie ou The United Church of Canada. Les francophones y représentent une toute petite minorité et au début des années 1990, il y a eu un modérateur Cri, Stan Mckey. L’Église Unie du Canada est en faveur de la justice sociale et elle se considère comme progressiste, tout ce que vous voulez, à condition que cela se passe en anglais. Ils considèrent que les Québécois forment une minorité ethnique comme toutes les autres minorités au Canada. Ce modérateur est comme l’aumônier de l’Église, ce n’est pas le décideur. C’est le seul qui a compris la dynamique québécoise. Il a lancé une commission : « À l’écoute des Québécois! » Et ils ont fait le tour des différents mouvements sociaux et des syndicats. La minorité anglophone de l’Ouest de l’Ile de Montréal était furieuse. Le rapport a été tabletté. Comment cela se fait-il que ce soit un Cri qui a saisi cette réalité et qui a voulu l’interroger ?

– Il semble qu’un membre d’une minorité comprend mieux une autre minorité, ce qu’elle éprouve dans son quotidien.

– 3) Il y a eu un colloque sur la justice sociale sur le Campus Notre-Dame-de-Foy à Saint-Augustin. En 2013, un groupe d’anglophones du Canada viennent là pour y tenir leur assemblée annuelle. Il me demande de collaborer et je leur réponds : « Vous rendez-vous compte que vous êtes dans une région où il y a seulement 2% de la population qui a l’anglais comme langue principale ? » Non. Ils semblaient vouloir se parler en anglais entre eux sur la justice sociale et ils voulaient entendre Ellen Gabriel, une Mohawk, mais elle ne pouvait pas venir. Je leur ai dit que j’allais leur trouver quelqu’un, mais cela allait être en français. Je leur ai dit: « Vous avez la traduction simultanée, alors utilisez-la! »Pénélope Guay leur parle avec son cœur. Il y avait plein d’autochtones anglophones à ce colloque. Aussitôt qu’elle a fini de parler, ils se sont levés et ils sont allés vers elle pour lui parler. Et même s’ils ne parlaient pas la même langue, ils ont réussi à se comprendre. Tu vois cette dynamique des gens qui ont un enjeu d’affirmation peuvent se retrouver. Ainsi, lorsque j’étais commissaire francophone pour l’Église Unie, j’ai souvent reçu la solidarité des leaders autochtones d’ailleurs au Canada. Cela m’a beaucoup frappé comme expérience même si je ne l’ai pas encore rationalisé dans une théorie.

Je ne veux pas que vous pensiez que nous sommes particulièrement persécutés ou souffrants et que nous avons tous les problèmes du monde sur notre dos. Il y a des femmes et des hommes non-autochtones qui ont souffert bien plus que nous. Tout le monde souffre sur la Terre, nous avons eu notre part de souffrances, sauf que le système en a rajoutées. Il existe des modèles des deux côtés et ces gens sont des exemples de résilience. Je voulais vous suggérer un autre livre de Serge Bouchard : « Elles ont bâti l’Amérique ». Au début, vous avez une autochtone, puis des femmes du Lac-Saint-Jean qui ont construit l’Amérique du Nord jusqu’en Alaska. On dit souvent que derrière chaque grand homme, il y a une femme, mais ces femmes ont fait de gros changements. Nous parlions tout à l’heure de société matriarcale, comme le guide nous l’a expliqué cet après-midi, les femmes prenaient position et elles influençaient les hommes et ceux-ci agissaient en conséquence. Il y a de hommes qui ont changé énormément de choses sur cette Terre, mais il y a des femmes aussi. Je suis dans une pensée égalitaire. Les hommes et les femmes ont contribué et nous ne serions pas rendus ici si nous n’avions pas eu les deux. Nous n’irons nulle part si nous ne marchons pas l’un à côté de l’autre.

– Moi, j’ai beaucoup aimé cette visite parce que je n’y avais jamais été et que cela m’a ouvert des possibilités de continuer ma recherche personnelle d’identité autochtone.

– Ton groupe de Sainte-Foy, à la place de la amener à la cabane à sucre, tu pourrais les amener au site traditionnel huron-wendat ?

– C’est vrai que cela pourrait être ça.

– Vous avez beaucoup de personnes immigrantes dans votre groupe ?

– Tous ceux et celles que j’ai amenés là étaient de nouveaux arrivants qui n’y étaient jamais allés. Certains veulent revenir l’année suivante, mais je n’ai pas de place pour eux.

– Moi je suis profondément touchée par la visite. C’était la première fois que j’y allais. Cela me permet de me sentir plus près de mes amies qui sont originaires de cette culture.

– Est-ce qu’Ulisses pourrait nous parler un peu de la réalité autochtone au Mexique ?

– Là-bas, il sont 27 millions, ceux qui parlent toujours leur langue, sur une population de 110 millions de Mexicains.

– C’est le pays où il y a le plus grand nombre d’ethnies. Ma mère était Mixtèque et mon père Zapotèque. Si je fais une analogie entre les peuples autochtones ailleurs dans le monde et ceux du Canada, ce sont des petit-bourgeois en comparaison avec les autres. Des autochtones mexicain ont demandé à Noam Chomsky ce qu’ils pouvaient faire pour résister au néolibéralisme ? Il leur a répondu : « Parlez-vous, discutez entre vous, échangez vos expériences, demeurez unis, pour trouver des solutions communes. »


Échanges suite à la Rencontre des Premières Nations

au Cap-de-la-Madeleine les 31 mai et 01 juin 2018

 Nous sommes quelques personnes réunies après avoir vécue cette expérience extraordinaire de deux jours au Cap-de-la-Madeleine. Il ya Marie-Émilie Lacroix, Kassandra Boivin, Lucie Tardif, Emilie Frémont-Cloutier, Ulisses Nieve, Éric Lapointe, Yves Carrier et Gérald Doré. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, il s’agit de partager nos impressions.

– Il est assez tôt pour dire si cette expérience a changé quelque chose pour moi dans ma vie. C’est très frais encore. Cela m’a permis de me reconnecter avec cette source-là. Cela faisait quelques années que je n’avais pas été vers les autochtones. Cela m’a remémoré des choses.

– Est-ce que l’expérience répondait à tes attentes ? As-tu été surprise ou déçue ?

– Je n’avais pas d’attentes particulières. Je ne m’étais pas fait une image de ce que j’allais vivre. J’arrivais avec une ouverture d’esprit. J’ai déjà vécu des expériences de tentes de sudation et d’enseignement, alors qu’ici il s’agissait davantage d’une introduction à la réalité autochtone. C’était fort enrichissant et intéressant.

– As-tu eu l’occasion de discuter avec des gens des Premières Nations ?

– Pas beaucoup. C’est que lorsque je vis des rencontres comme celle-ci, je deviens très intérieure. J’ai de la misère à sortir de moi-même. Quand j’assistais à des tentes de sudation, on me reprochait de ne pas parler beaucoup, de ne pas me révéler assez. Il faut dire que lorsque je sors de la ville, j’ai besoin de me reconnecter davantage avec la nature qu’avec le monde parce que c’est le contact avec la nature qui me manque. Quand j’allais à Maliotenam, je plaçais ma tente dans le sous-bois, dans les branches d’arbres. Je cherchais davantage la nature que l’échange avec les gens.

– J’ai été impressionné par tous les rites, les coutumes, qui ont été présentés au cours des différentes cérémonies autochtones. J’ai fait la marche au flambeau au complet sans aide technique et j’en suis fier. J’ai beaucoup aimé les chants avec les tambours. Intérieurement, cela m’a reconnecté avec ces peuples qu’on connait si peu.

– Personnellement, j’ai une grande curiosité. Comme je l’ai vécu l’an dernier, je suis conscient que cela a des effets sur plusieurs jours. Je vous avise que vous risquez de vous sentir euphoriques pendant plusieurs jours. Vous allez faire de beaux rêves. C’est particulier, sans doute parce que cela vient chercher notre cœur d’enfant et que nous pouvons relâcher notre rationnel tout en demeurant dans la sobriété. C’est une expérience d’unité intérieure, de communion avec les autres et de réconciliation, que nous venons de vivre. J’ai particulièrement apprécié lorsqu’on nous a parlé des quatre dimensions de la guérison. Dans la médecine occidentale, nous sommes loin de cette conception de la vie et de la santé à quatre étages : physique, psychique, spirituelle et sociale.

– Le corps est un. Nous ne sommes pas des pièces séparées les unes des autres.

– Toute la méthode scientifique et notre mode de vie occidental fonctionne par fractionnement et séparation des différentes fonctions. Après cela, on se surprend que les gens se sentent éclatés à l’intérieur d’eux-mêmes. Cela conduit à des comportements de division et de séparation les uns d’avec les autres parce que nous ne sommes pas unis à l’intérieur de nous-mêmes. Je pense que la sagesse amérindienne nous rapporte cela comme façon d’être au monde plutôt que de vouloir le posséder, le capturer, le vendre, l’acheter, le fractionner et le maîtriser, alors qu’il suffit d’abord de le contempler.

– Il demeure que lorsque quelqu’un fait une dépression, elle est souvent physique, le corps est fatigué, on n’est plus capable de fonctionner; il faut s’interroger sur les causes de cette fatigue chronique, donc cela devient psychologique; ce dernier va t’amener à l’environnement et au spirituel pour tenter de refaire ton unité. L’un ne va pas sans l’autre, lorsque l’un d’eux est atteint, les trois autres le sont aussi. Sauf que les gens ne s’en rendent pas compte et dans le système de santé occidentale, on va chez le médecin comme on va au garage avec son automobile. « Réparez-la et je vais venir le reprendre à 17 h. » On voudrait que le médecin fasse la même chose. « Réparez-le et donnez-moi des pilules. » Sauf que cela ne fonctionne pas comme ça. Ton corps te parle lorsqu’il produit des symptômes. Pourquoi suis-je malade ? Parce que tu ne prends pas soin de toi, parce que tu travailles trop, trop ceci ou pas assez de cela. Il faut qu’il y ait un équilibre dans le corps si l’on veut qu’il continue à nous servir. Réfléchis, prends des décisions et agis. Le spirituel correspond aux grandes questions de la vie. Pourquoi est-ce que je suis sur Terre ? Pourquoi je vis, quel sens a ma vie ? Pourquoi je meurs ? Pourquoi la souffrance ? Pourquoi la guerre ? Pourquoi le monde laisse se détériorer la nature ? C’est tout cela le spirituel. Ensuite, cela te conduit parfois à vivre une rencontre avec le Créateur. Moi, quand j’avais six ans, j’ai rencontré le Créateur dans la création. Personne ne me l’a montré. Quand tu joues dans le bois et que tu observes la beauté de la nature présente dans chaque détail, chaque plante a une fonction, une mission particulière à remplir dans ce grand équilibre de la vie. Si tu prends le corps humain, pourquoi est-ce que nous avons deux jambes et deux bras et que nous sommes si équilibrés ? Il y a des merveilles dans la nature et quand tu te poses ces questions-là, c’est spirituel.

– Comme on dit : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. » Il y a environ 45 ans, au Mexique, nous n’achetions pas de médicaments. On se soignait avec les plantes. Moi, l’eucalyptus m’a sauvé la vie et c’est un médecin qui l’avait prescrit à ma mère. J’étais congestionné. Nous ne prenions pas de médicaments, c’était le savoir-faire ancestral avec lequel on se soignait. Les valeurs, c’est ce qu’il y a de plus important. Si nous n’avons pas la dignité dans cette vie, nous ne sommes rien. Dans l’humilité du savoir-vivre pour le bien-vivre, c’est pour cela que mes ancêtres vivaient. Alors, je partage avec les gens et j’échange, pas pour imposer mon point de vue, mais pour arriver à voir, au sein d’un consensus, une idée qui enrichit la mienne.

– Avec les herbes, nous avons tout ce qu’il faut pour soigner.

– Quand je suis arrivé sur le marché du travail avec mon diplôme d’agronome, j’ai dû tout réapprendre avec les paysans autochtones. C’est par l’échange et le respect que j’ai appris.

– Si nous revenions à notre sujet.

– J’allais faire un pont avec ce qui vient d’être dit. Encore une fois, le rapport au corps et à l’environnement revient à la relation. Cette expérience me touche parce que je pense que c’est un pas concret pour établir une véritable relation en venant toucher à la souffrance de l’autre. C’est fondamental puisque c’est une étape avant de pouvoir construire ensemble. Il faut d’abord apprendre à se connaitre.

– Il faut aussi savoir soigner les relations.

 – En lien avec ça, j’ai été très touchée par le témoignage de nombreuses femmes autochtones qui ont parlé de leur vécu avec une énorme sagesse. Elles avaient un grand sens du pardon dans ce qu’elles disaient, même si elles avaient vécu des choses épouvantables. Elles disaient, même aux prêtres présents, qu’elles aimaient tout le monde ici. J’ai beaucoup appris de leur savoir-être, de leur humanité. Je me suis demandée pourquoi n’y a-t-il pas plus de rencontres dans la société où nous laissons la parole à ces femmes-là ? Moi, je trouve qu’il manque de lieux de paroles pour les personnes des Premières Nations et aussi pour les aînés en général. J’ai réalisé que simplement en écoutant comment j’apprends des choses. Ce sont des gens qui ont du vécu. Je pense que c’est un cœur de mère qui manque parfois à la société.

– Mère Turcot, nous a dit qu’il n’y avait pas assez de maternité dans la société, que nous étions cassant avec nos objectifs et nos atteintes de résultats mesurables. Cela devient presqu’une pathologie sociale qui provoquent des dysfonctionnements.

– Il y a aussi des femmes qui sont très masculines dans leur mode de fonctionnement. Moi, je suis très maternel avec les enfants. Pour ce qui est des deux jours que nous venons de vivre, c’est une session réussie. Bien qu’il s’agisse d’une démarche, quand je suis arrivé, j’étais un peu sur mes gardes. « Pourquoi est-ce qu’on nomme uniquement les bons coups ? Tu ne veux pas voir les contradictions de la réalité ? » Mais en réalité, les bons coups étaient assez convaincants. Quand le provincial des Oblats est venu parler, je me disais : « Va-t-il finir par parler du scandale du père Jovineau ? » Et finalement, tout finissait par arriver. J’ai beaucoup aimé la célébration. En tant que protestant, je n’ai pas du tout aimé la procession au flambeau. C’était entièrement centré sur Notre-Dame-du-Cap.

– Ça m’a surpris que tu fasses la procession, je pensais que tu allais t’abstenir.

– C’est parce que je me disais que cela s’en allait vers le feu sacré amérindien, alors je pensais que cela serait différent. Ce n’est pas grave parce que lorsque tu vas sur le terrain de l’autre, tu ne peux pas toujours retrouver ce que tu cherches. Bien sûr, les ateliers étaient extraordinaires. Étant un nombre plus restreint, on peut aller plus en profondeur. Notre atelier s’appelait : « Spiritualité autochtone et chrétienne. » Certaines interventions étaient très riches. L’évêque qui a passé cinquante ans chez les Atikamekws, nous a parlé de son expérience personnelle d’immersion culturelle. C’était vraiment un homme de Dieu en mission qui accompagnait ces gens dans la forêt. Il y a eu un rituel de guérison pour cette femme qui portait une grande peine. Je l’ai dit à Élise, qui s’est placée devant elle et qui lui a interprété un chant avec son tambour, que j’avais apprécié son calme et sa sérénité. Elle la regardait dans les yeux. C’est une approche très différente de la psychothérapie et c’est efficace. Cela m’a fait penser à comment Jésus pouvait être guérisseur. Il y avait un charisme qui sortait de sa personne que l’autre accueillait. On peut inventer toutes sortes d’affaires, mais c’était incarné dans une expérience humaine. J’ai trouvé ça vraiment très fort. Et aussi, un cercle de paroles ne se déroule pas selon un schéma linéaire prévu d’avance. Alors il y a des femmes autochtones qui prenaient la parole et qui revenaient sur un même thème, mais en racontant une expérience vécue qui au commencement ne semble avoir rien à voir avec ce que la personne précédente vient de dire. L’importance de la forêt dans leurs récits est assez notable.

– Au Québec, c’est la Forêt-Mère qui nous englobe et nous guérit.

– J’ai fait une découverte sur moi-même, sur un côté positif au cours de ma vie. Qu’est-ce qui a fait que je suis parvenu à demeurer sain d’esprit étant donné tous les conflits sociopolitiques dans lesquels j’ai été engagé? C’est le contact avec la nature. Quand j’avais un chalet au bout du chemin, une cabane en bois rond, où je passais trois heures à faire le ménage de mon bois, avant d’écrire un article pour la revue Service social.

– Un vrai cercle de parole comme vous parlez, cela se passe comme cela. Chacun dit ce qu’il a à dire. Lui il parle du beau temps, un autre de son travail, une autre de ses enfants. Un autre a besoin de parler de la maladie qu’il a. Chacun parle de ce qui le touche, mais à quelque part, on finit par se rejoindre parce que nous sommes tous et toutes des humains et nous vivons tous des problèmes. Nous sommes tous en cheminement et personne ne va dire à l’autre quoi faire. Les femmes ramenaient cela à la forêt parce que c’est la guérison. On cherchait tous la guérison dans ce cercle.

– La forêt représente la guérison et c’est vrai. Lorsqu’il parlait de l’expédition de plusieurs jours en canot au Lac Simon avec les jeunes Atikamekws, cela avait une portée thérapeutique. Au lieu de faire des thérapie dans des endroits fermés, tu envoies les jeunes vivre une expérience physique d’immersion totale dans la nature. Cela produit un effet bénéfique sur eux parce qu’ils éprouvent de la fierté.

– Le mot qui revient est guérison. C’est bien pour chaque culture, il y a une perception différente, mais il semble y avoir un consensus autour de la notion de partager et de comprendre. Tout à l’heure vous disiez que nous parlions de cette situation, il faut parler de x, y ou z, mais pas de cette situation. Par contre, chaque être humain a un vécu, une expérience, qui est un atout personnel qu’il va échanger avec son frère ou sa sœur. Donc, chacun possède quelque chose à partager. Sauf que dans le système capitaliste, on perd cette valeur et le sens de la dignité. Chacun devient une marchandise. Cela enlève sa personnalité à l’être humain. C’est facile de parler, mais c’est autre chose de le matérialiser et de le vivre.

– Cela revient à ce que je disais l’autre jour : « Observe, écoute, agis. » Maintenant, il faut agir. Je peux vous dire que beaucoup d’autochtones sont partis d’ici guéris cette année, parce que des messages très importants ont été communiqués. Ne serait-ce que le fait de reconnaitre le mal qui a été fait et que maintenant nous voulons passer à autre chose ensemble. Juste entendre cela, c’est suffisant pour enclencher un processus de guérison. La première étape, c’est ça. Pour moi, c’est de me donner le droit de retourner à ma culture et à mes traditions, le droit de retrouver son identité dans sa propre appartenance autochtone, mais ensuite il s’agit de prendre sa vie en main. C’est ce dont nous avons parlé ici. Nous avons beaucoup parlé de liberté et qu’ensemble nous pouvons construire.

– Moi, je suis quelqu’un qui souffre de troubles anxieux et ce séjour m’a rendu sereine. Les différents rituels surtout, entre-autre les rituels de salutation au soleil, de l’eau, je me sens apaisée. Lorsque vous dites que la nature est la guérison, c’est ce que je ressens présentement. Cela m’a permis de me reconnecter avec les éléments : l’eau, l’air, le feu et la terre. Tous les éléments étaient présents et c’est magnifique. J’ai passé beaucoup de temps au bord du fleuve et tout s’est mis en place pour que j’assiste aux cérémonies. La rencontre entre les deux peuples, j’ai aussi trouvé cela merveilleux. Je n’ai pas parlé parce que je suis intérieure, mais j’ai laissé les gens venir à moi et j’ai rencontré un couple de la Côte-Nord et ça a été cela ma rencontre. Je n’ai pas eu besoin de rencontrer plusieurs personnes pour vivre cela. Dans mon atelier, je suis restée avec les aînées qui priaient en langue Innue et c’est venu me chercher. L’unité entre les femmes, j’ai trouvé cela très beau.

– Tu repars avec une recette, maintenant il faut que tu l’appliques à toi.

– Tantôt, nous parlions des enseignements des sept grand-pères. J’aime beaucoup les partager parce que chez-nous, c’est un défi. On se donne une année pour appliquer dans notre vie les sept grands-pères qui sont des valeurs : l’honnêteté, l’humilité, le courage, la sagesse, l’amour, le respect et la force. Tu recommences jusqu’à ce que tu vives les valeurs dans ta vie. Le but de cela est de devenir la meilleure personne possible et quant tu appliques cela dans ta vie, tu ne peux plus juger personne. Moi ce que j’aime dans la culture autochtone et que je partage avec les autres, c’est que je sens la force d’intériorisation que cela produit. Par exemple, la cérémonie de purification avec de la sauge que nous faisons au début des cercles de parole nous oblige à aller au-dedans de soi. Alors, on oublie de regarder les autres pour entrer à l’intérieur de soi. Quand tu participes à un cercle de parole, tu restes dans cet esprit et tu ressens le calme.

– Moi aussi j’ai un passé d’abus et je suis là-dedans présentement, je suis dans mon cercle de guérison, je vis beaucoup d’anxiété, et cela fait longtemps que je n’ai pas été dans un pareil état de sérénité. Je sais que c’est grâce aux rituels amérindiens que je vis cela. Je suis en reconstruction de mes valeurs, je dois distinguer ce qui me touche et j’ai de la difficulté avec les rites catholiques. Cela a un effet surmoi.

– Leurs rites sont moins cérébraux, ils font davantage appel aux sens, aux éléments, au corps, à notre connexion d’être humain avec la Terre-Mère. Ils ne séparent pas le corps de l’esprit comme les Grecs nous l’ont appris. Ils sont moins conceptuels et ils sont plus simples. Alors qu’un rite catholique ou protestant, c’est une construction mentale au départ.

– Ce n’était pas comme cela à l’origine. Aujourd’hui, il semble que le sens se sépare du geste.

– Il y a aussi le refus de la femme et la négation du corps et de la sensualité. Le corps c’est péché. Peut-être même que certaine distorsions sexuelles proviennent de ce rejet du corps en imposant le célibat aux prêtres par exemple. La culture autochtone n’est pas parfaite, mais elle intègre davantage la part d’animalité que nous portons. Les religions chrétiennes ont sans doute voulu être trop angéliques en jetant le discrédit sur les religions animistes.

– Les Romains accusaient les premiers chrétiens de ne pas être assez intellectuels, d’être trop incarnés, les stoïciens entre autres.

– Comme Nicole Obossawin disait tantôt : « Les prêtres nous ont enlevé nos tambours et nos masques. » Les religions monothéistes ont vu dans les religions traditionnelles de vulgaires superstitions à caractère diaboique et elles ont prétendu avoir l’exclusivité de la vérité. Heureusement, ce que nous avons pu observer dans la cérémonie religieuse d’hier soir, c’est que nous sommes rendus à une autre étape, celle de la rencontre entre les cultures et non plus au dénigrement.

– Il semble y avoir une acceptation assez grande chez les Premières Nations en ce qui a trait aux rites qui diffèrent et il y a même des emprunts d’une nation à une autre parce que certaines en ont conservés plus que d’autres. Dans le christianisme, il y a des différences aussi. L’Église catholique recouvre parfois du même chapeau des affaires très différentes. Ce qu’il y a de commun lorsque le christianisme est centré sur l’essentiel, c’est qu’il y a un ancêtre important, clé, même s’il y en a d’autres, c’est Jésus. Alors on essaie de décoder le plus possible son message, mais il faut y ajouter les éléments de la connaissance puisqu’il s’agit d’une culture très ancienne afin de savoir ce qu’Il disait et ce qu’Il voulait dire ? À partir de cela, tu peux dire : « Qu’est-ce que cela veut dire pour nous aujourd’hui ? » Il y a comme une jonction avec l’idée du rapport aux ancêtres, aux mythes fondateurs, dans les spiritualités autochtones. Mais quand tu es rendu à multiplier les divinités et les dévotions, tu te perds.

– Marie-Émilie, donne-moi une définition de la sagesse.

– La sagesse est constituée par les expériences de vie acquises dont tu sais te servir à travers les valeurs des sept grands-pères parce que tu es sage lorsque tu sais écouter l’autre sans le juger et que tu sais l’amener sur son chemin de vie pour l’aider à avancer. C’est pourquoi, il s’agit simplement d’échanger sur ce que je suis, ce que je vis, et l’autre prend ce qu’il veut dedans et il s’en va avec ça. Il va apprendre d’autre chose avec une autre personne et il va devenir sage parce qu’il va avoir acquis beaucoup de connaissances de vie.

– Chez les autochtones, connaissance est égale à expérience. C’est l’expérience qui se situe à la source de la connaissance.

– Les enseignements peuvent aussi provenir de la nature.

– C’est davantage que l’expérience parce que tu peux l’avoir et ne pas savoir t’en servir avec sagesse.
Il doit y avoir un réflexion faite sur l’expérience vécue.

– C’est une intériorisation je dirais, davantage qu’une analyse mentale.

– Cela pourrait être le lieu de toute une réflexion : La rencontre du savoir traditionnel et du mode de connaissance moderne. Quand un biologiste regarde la nature, il aperçoit des molécules et des cellules. Cela donne lieu à une rencontre de schémas culturels très différents. J’imagine que c’est une question qui doit commencer à se poser chez les autochtones parce qu’il y en a de plus en plus qui possèdent une culture scientifique.

– De véritables excuses ne peuvent pas être des justifications. Cela ne répare pas les tords subis. Si je veux réparer une erreur, je dois poser un geste concret. Cela signifie demander à la personne lésée qu’est-ce que tu veux que je fasse. C’est ce qui se produit actuellement dans nos communautés avec les cercles de guérison et de sentence. Si je prends l’exemple de ce qui s’est passé en Saskatchewan il y a deux ans. Un père alcoolique laisse ses petites jumelles sans surveillance, elles vont jouer dehors et elles meurent gelées. Au lieu de l’envoyer en prison, on a décidé de faire un cercle de sentence autour de lui, avec les ainés, la famille et la mère des enfants. On lui a d’abord demandé ce qu’il voulait. Il a dit qu’il voulait cesser de boire. On lui a fourni les ressources et l’accompagnement pour qu’il arrête. On prend ses problèmes un à un et on l’aide à les régler. Finalement, il y a un esprit communautaire qui s’établit autour de lui. C’est l’esprit communautaire qui nous a sauvé et qui va toujours nous sauver.

– On a souffert ensemble, on a avancé ensemble et on va s’en sortir ensemble. C’est aussi ce qui manque le plus dans la société en général. On est isolé comme cela n’a pas d’allure. On fait chacun nos affaires de notre bord. Finalement, cet homme est guéri. Cela a pris environ une année et demie. Qu’est-ce qu’il fait maintenant ? C’est sûr qu’il va aider les autres dans sa communauté. Il y a trois ou quatre hommes qui sont allés le voir. « Nous aussi voulons arrêter de boire avant qu’il n’arrive un autre drame. » Combien de générations vont être épargnées par cette façon d’agir? C’est le retour à la tradition, mais c’est aussi la gouvernance qui commence par gouverner sa propre vie.

– Si je souhaitais tout résumer cette expérience en un seul mot, ce serait le mot « guérison ». C’est ce que je retiens, toutes les différentes façons de faire qui conduisent à la guérison.

– Je pourrais vous témoigner d’une guérison personnelle que j’ai vécue. Hier soir, je suis allé voir un prêtre du Nigéria, Ali, parce que j’ai entendu parler de lui à l’université, combien cet homme était apprécié. C’est sûr que c’est facile d’accepter un noir dans une communauté autochtone parce qu’ils ont vécu comme nous différentes oppressions. J’étais contente de lui parler. Je lui ai dit : « J’ai un gros malaise avec les prêtres, mais avec vous, je suis capable de le dire. » Il m’a répondu : « Prends ton temps, un pas à la fois, comme vous faites. Cela va arriver un jour ou peut-être jamais, mais il faut l’accepter comme ça.» C’est ça la sagesse, il n’y a pas d’âge pour être sage et il y a des gens de 90 ans qui ne le seront jamais.

– Les autochtones ont une grande force d’accueil et d’hospitalité que je n’ai pas vue souvent ailleurs. Il parait que c’est d’eux que nous l’avons appris.

Ces commentaires ont été recueillis par Yves Carrier


PRIÈRE AMÉRINDIENNE AUX SIX DIRECTIONS

Couleur jaune
Grand-Esprit de Lumière, viens à moi de l’Est avec la puissance du soleil levant. Que mes paroles soient toujours lumière. Éclaire les chemins que je vais parcourir aujourd’hui. Rappelle-moi le don de chaque jour nouveau et ne me laisses jamais à ce point accablé de chagrin que je ne sache plus comment me relever et recommencer.

Couleur rouge
Grand-Esprit de la Création, envoie-moi les vents doux et chauds du Sud
Caresse-moi et soit mon réconfort lorsque je suis mort de fatigue et transi de froid.
Ouvre-moi comme les bourgeons, comme la brise ouvre les feuilles des arbres.
Et comme tu donnes à la terre tes vents chauds et mouvants, garde-moi près de Toi, source de toute chaleur.

Couleur noire
Grand-Esprit, Donneur de Vie, je fais face à l’ouest, la direction du coucher du soleil. Rappelle-moi chaque jour que le moment de la nuit viendra où mon soleil se couchera et s’éteindra. Ne me laisse jamais oublier que je dois me blottir contre Toi. Donne-moi, alors quelques couleurs vives, un ciel d’or éclatant pour mon déclin, de sorte que lorsque viendra le moment de te rencontrer, je puisse resplendir de gloire.

Couleur blanche
Grand-Esprit d’Amour, viens à moi avec la puissance du Nord. Rends-moi courageux lorsque les vents froids me fouettent. Donne-moi la force et le courage devant tout ce qui est dur, tout ce qui me fait mal, tout ce qui me fait tordre de douleur. Fais-moi passer à travers la vie en absorbant tout ce que là vie m’apportera d’épreuves.

Couleur verte
Grand-Esprit de toute Vie, je te prie, bien collé à cette terre et à sa verdure. Aide-moi à me rappeler, lorsque je m’étends sur le sol, que je dois rendre grâce à cette terre et de ne jamais lui faire de mal en la piétinant. Donne-moi des yeux tout pleins d’amour pour tout ce que la Terre, notre Mère, nous fournit, et apprends-moi à aimer tous tes dons et tous les humains.

Couleur bleue
Grand-Esprit des cieux sans fin, élève-moi vers Toi, que mon cœur puisse te vénérer et aller vers Toi dans la gloire. Fais que je n’oublie pas que tu es mon Créateur, plus grand que moi, mais si avide de me voir vivre à plein. Que tout ce qui est dans l’univers élève mon esprit et ma vie vers Toi, afin que je puisse cheminer vers Toi dans la vérité et de tout mon cœur.

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