Des immigrants … et des papillons, ciné-discussion

Compte rendu de la soirée mensuelle du 18 avril 2024

Bonsoir, je m’appelle Carole Babet, je travaille à Engrenage et pour le Comité Femmes immigrantes solidaires et j’agirai comme modératrice.

* Merci À Pierre et à Rodrigo parce que vous avez mis le point sur quelque chose d’extrêmement important, la question de l’identité. La droite et l’extrême-droite se sont emparées de la question de l’identité et cela particulièrement en France. Il faut vraiment se préoccuper de cette question. Merci aussi d’avoir traité du multiculturalisme et de l’inter-culturalisme. Il y a un écrivain Sri-lankais (Michael Odaatje )qui vit à Montréal et qui a écrit « Le patient anglais », qui dénonce le multiculturalisme qui isole les communautés selon lui. Celles-ci y sont comprises comme de l’exotisme. Je m’intéresse à un auteur martiniquais, Édouard Glissant qui a beaucoup écrit sur le colonialisme et la négritude. Il a été inspiré par Albert Memmi et Franz Fanon. Alors la question de l’identité est très importante. Il faut distinguer entre ce qui est identique et ce à quoi l’on s’identifie. Donc, il y a deux aspects à prendre en compte. Nos appartenances font parties de nos identités, mais ce ne sont pas des identités en tant que telles. Il faut faire ces nuances.

On peut prendre plusieurs interventions avant de réagir. Pierre Mouterde

* Félicitations pour la qualité des images et du français, de toute beauté. Je ne sais pas qui a tout ce talent de mettre 2 ou 3 images superposées. L’idée des papillons, au début on se demande à quoi cela va nous amener. On suppose qu’il y a une force tranquille, même si je ne crois pas qu’un papillon puisse déclencher une avalanche dans les Himalaya. Je pense que cela veut dire que même les petits gestes comptent. Je suis émerveillé. Il y a quelques semaines nous avons vu le film Richelieu, et avant cela : « Les Essentiels », sur les travailleurs migrants agricoles. Cette fois-ci cela rentre doucement. Les spécialistes qui interviennent le font avec doigté et c’est bien. M. Jérémie dit : « Ici, on te donne ta chance. » Est-ce bien cela qu’il a voulu dire ? Qu’est-ce qu’il voulait dire ?  Voilà ma question.

Je vais parler de ma propre expérience d’immigration puisque je suis arrivé il y a bien longtemps au Québec, mais c’est quand même quelque chose qu’en tant qu’immigrant, ce qu’on ressent en arrivant c’est un pays accueillant qui vous donne votre chance. Contrairement à la vieille Europe ou la France où on vous juge tout de suite sur vos origines, votre famille, votre façon de parler, etc. Alors qu’au Québec, il y a une sorte de bienveillance. C’est quelque chose qui appartient à ce qu’est le peuple québécois et qui fait que lorsqu’on vient de certaines régions du monde, on apprécie beaucoup se retrouver ici. On vous prend comme vous êtes et si vous répondez à ce qu’on cherche, tant mieux. Cela fait partie de quelque chose qui est propre au Québec et qu’on ne trouve pas en Europe. Pierre

C’est moi qui aie contacté Jérémie et nous avons beaucoup parlé d’immigration. Pour lui, c’est plus simple parce qu’il est originaire de la France et qu’il a vécu plusieurs situations de confrontation avec des immigrants. Alors quand il est arrivé au Québec, il s’attendait à vivre des situations conflictuelles, mais à son grand étonnement, ce n’est presque pas arrivé. C’est pour cela qu’il dit : « Ici, on te laisse ta chance de faire par toi-même, de te prouver. » Rodrigo

* Moi, j’ai envie de répondre que c’est aussi mon expérience. Je suis Chilienne d’origine et je suis arrivée au Québec peu avant le coup d’État du général Pinochet. J’ai été accueillie à bras ouverts. À l’époque, en tant que jeune femme, le Québec m’est apparu comme quelque chose d’extraordinaire. J’ai ouvert la télé, je ne comprenais pas un mot, mais je voyais des femmes qui animaient, qui chantaient. C’était tellement contrastant avec ce que je vivais au Chili. Je voyais les jeunes s’habiller n’importe comment, avec plein de couleurs. Il y avait une grande liberté, les jeunes partaient en voyage autour du monde, ils vivaient en commune dès qu’ils avaient 18 ans. On a l’impression qu’on nous donne la chance d’être qui on est. Ma perception de mes premières impressions au Québec demeure très forte. Imaginez, il y avait Diane Dufresne à la télévision avec ses robes extravagantes.

* C’est la deuxième fois que je vois le film et j’ai encore trouvé cela excellent. Ce qu’on voit dans le film, pour résumer, c’est l’évolution des dernières décennies de l’identité québécoise. Mais ce qu’il n’y a pas dans le film, depuis mon arrivée au Québec en 1998, j’ai trouvé que cette société post-référendaire n’avait plus de projet collectif. Depuis 2008, je constate l’affaiblissement de la démocratie et l’accroissement des inégalités. Je pose la question, pour un nouvel arrivant qui vient s’installer ici, qui constate que la classe moyenne est pauvre, tandis qu’une poignée de gens s’enrichissent sur le dos des autres. Ces riches ne sont plus des anglophones, ce sont des Québécois francophones maintenant. Pour une raison que j’ignore, les Québécois acceptent de plus en plus l’absence de démocratie. Maintenant les politiciens gèrent la société comme une entreprise privée. Même le premier ministre est un homme d’affaire qui appartient à cette toute petite élite de personnes. Donc, pour un nouvel arrivant qui cherche à améliorer son sort, il ne s’identifie pas à la majorité des perdants, il veut faire partie des gagnants. Vous n’avez pas parlé de cette élite économique. Au lieu de cela vous avez parlé de toutes sortes de tendances, mais pas de la perte de la démocratie et des inégalités croissantes.

Au point de départ, avec Ricardo, on a commencé par interviewer des immigrants et à écouter leurs témoignages. Un jour, juste après la pandémie, nous étions trois ou quatre immigrés assis dans un café en train de discuter de notre projet, puis une dame assise plus loin nous écoutait. Elle s’est levée et elle est venue s’assoir avec nous pour exprimer son opinion, ce qu’elle pensait comme Québécoise de l’immigration. Vous l’avez vu dans le film, elle s’appelle Nicole Demers. Ça nous a allumés et on s’est dit que nous devions aussi parler du Québec. Petit à petit, nous avons réalisé que dans le discours public qui s’est imposé, on parle de la question de l’immigration d’une façon extrêmement réductrice, simplement à travers des chiffres et toujours de façon négative. Comme d’habitude, ce sont les immigrants qui sont les boucs-émissaires responsables de tout. Au contraire, l’immigration touche toute une série de dimensions. Tu as raison de dire que derrière la question des droits, il y a la question de la pauvreté,  la question de l’organisation sociale et de la démocratie. Plus nous serons capables d’améliorer nos processus démocratiques, plus nous pourrons faire de la place aux nouveaux arrivants, et surtout, leur donner la place qui leur revient. Stéphanie, la professeure d’université, le dit très bien : « Ils doivent avoir les mêmes droits que nous, les droits dont nous avons besoin et que nous revendiquons pour nous-mêmes. » La lutte pour accueillir les immigrants, c’est aussi une lutte pour transformer notre société. On s’en est rendu compte au fur et à mesure qu’on s’est mis à interviewer tous ces gens. Au début, nous n’avions pas nécessairement les idées claires sur ce qu’on cherchait à communiquer. C’est en creusant de plus en plus que nous en sommes arrivés à ces conclusions. Pierre

* Premièrement, j’aimerais vous dire bravo parce que j’ai trouvé le documentaire très enrichissant. Les descriptions de ce que peuvent vivre les immigrants et du vivre ensemble m’ont beaucoup touchée. Pour moi, le vivre ensemble consiste à faire avec l’autre, de vivre avec, d’apprendre leur culture, les traditions, etc., c’est important. J’ai aussi aimé à la fin la métaphore des papillons. C’est un peu comme un immigrant qui essaie de se trouver une place à quelque part en papillonnant à gauche et à droite. Les immigrants cherchent à se poser pour prendre un peu de temps pour eux et partager leurs valeurs et leur culture.

Nous avons choisi le concept des papillons pour nous lancer dans le côté poétique de la narration pour que cela ne soit pas seulement dramatique. La première chose qui m’est venue en tête, c’est la diversité des couleurs, l’immigration, le voyage, mais aussi les Québécois qui sont tous différents les uns des autres, plein de couleurs et de diversité.  De plus nous vivons dans une société qui est en pleine transformation et qui vit une métamorphose. C’est pour cela que l’immigration n’est pas qu’une thématique pour les immigrants. C’est un enjeu de société, c’est la  responsabilité de tous et de toutes. Quand je suis arrivé ici, je me suis demandé où j’étais. Je voulais connaître l’histoire du Québec et sa culture, connaître des personnes. Les Québécois sont d’abord des êtres humains comme les autres, mais pour apprendre à les connaître, nous devons avoir le courage de participer à toutes sortes d’activités. C’est pour cela que nous avons choisi l’analogie des papillons pour se voir tout le monde comme des papillons. Rodrigo

* Ce que j’ai apprécié dans le film, c’est que cela place le chemin vers la solidarité qui est importante à construire. Le fait que ce soir nous avons avec nous des militants de longue date pour les droits des personnes assistées sociales. Selon moi, les personnes immigrantes vont subir les mêmes injustices systémiques que les personnes en situation de pauvreté. Par ailleurs, certaines de ces personnes ont peur des personnes immigrantes qu’elles perçoivent comme une menace à la toute petite place qu’elles occupent dans la société. La personne qui exprimait cela était une personne qui se sent écrasée par le système économique et elle projette cette peur sur ce qu’elle ne connait pas. De la même façon, les personnes vivant de l’aide sociale sont pointées du doigt comme étant responsable du déficit de l’État par exemple. Il y a des préjugés sur les uns et sur les autres. Tant qu’on vit les luttes de façon séparée, je pense que chacun, chacune, a besoin d’être reconnu dans son besoin d’avoir des droits, il faut additionner les luttes si on veut avancer ensemble. Aussi, il y a quelque chose à construire dans le regard que l’on porte sur les personnes immigrantes afin de construire ensemble un futur. Je trouve que vous venez de placer la possibilité d’avoir ce dialogue ensemble pour avancer.

* Je vous remercie infiniment pour ce documentaire que j’ai vraiment apprécié. C’est impressionnant. C’est un genre d’initiative qu’on compte sur le bout des doigts. Cela vient clarifier un peu la situation de l’immigration ou de l’immigrant. Cela ne touche pas beaucoup de points, mais c’est normal qu’il faille centrer le propos sur quelques enjeux. J’aimerais ajouter le côté préjugés, stéréotypes, ambigüité sur l’immigrant qui vient ici. Par exemple, ce foulard que je porte sur ma tête, cette image qui n’est pas claire, cependant il ne faut pas négliger le fait, le rôle et la responsabilité, du pays d’accueil. Il a plusieurs facteurs qui jouent là-dessus, y compris le côté médiatique, la façon de traiter du sujet de l’immigration. Il y a beaucoup de volets à assembler pour construire un portrait global en quelque sorte. C’est ce que permet de faire ce documentaire. Par exemple, si je porte le foulard, il y a plein de stéréotypes qui s’adressent à moi comme quoi je suis une femme soumise, oppressée, peu scolarisée, etc. Mais j’ai des diplômes universitaires en finance et j’ai dû écrire un énorme dossier pour être admise au Canada. J’ai apporté de l’argent avec moi et une valeur ajoutée sans vouloir déranger l’autre. Ici, je ne peux pas travailler dans le domaine financier parce que je porte un foulard sur ma tête. Cela fait bientôt 14 ans que je suis là, mais j’ai suivi des formations et je suis devenue travailleuse autonome pour pouvoir m’en sortir. J’ai le projet d’aller vers l’autre pour pouvoir expliquer qui je suis parce que quand j’ai l’occasion de le faire, les gens s’ouvrent à moi. Il y a beaucoup d’ambigüités qui enveloppent les personnes immigrantes et si on y ajoute un symbole religieux, c’est encore pire.

* J’apprécie beaucoup la franchise des gens qui sont ici ce soir. Le film m’a fait revivre tout un passé. Finalement, ce que je retiens, c’est une fierté. D’abord, il y a des gens qui arrivent ici qui se sentent accueillis, mais en écoutant le dernier témoignage, c’est très relatif. Cela me pèse un peu de voir que nous sommes un peuple qui ne reçoit pas toujours les gens comme des personnes humaines. J’aimerais que nous devenions ce que notre chantre national exprime dans l’une de ses chansons : «Entre mes quatre murs de glace, je mets mon temps et mon espace à préparer le feu et la place pour les humains de l’horizon, car les humains sont de ma race. » Gilles Vigneault, Mon pays. Ce que ce film fait bouger en moi, c’est aussi le nationalisme. Est-ce que le nationalisme québécois peut devenir une tâche qui nous fasse travailler tout le monde ensemble vers un même but ? Est-ce que le Québec pourrait encore aspirer à devenir un pays où l’on accueille, où les gens se sentent bien de venir ici ? Je vois aussi dans ce film toute une tâche à accomplir. Elle n’est pas encore réalisée. Est-ce que cette tâche pourrait être une force qui nous unisse ? Qu’est-ce que vous en pensez?

* Je m’appelle Sacha et je suis enseignant au Cégep de Limoilou. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de choses qui me parlaient. Mon père est Haïtien, ma mère est Québécoise et je suis de la deuxième génération, un peu comme Webster dans le film. Les thèmes abordés réfèrent entre autre à la difficulté de conjuguer des identités multiples. J’appelle cela le syndrome de la patate, noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur. C’est un aspect intéressant parce que c’est le fait des deuxièmes générations qui suivent l’immigration. J’ai trouvé que dans le film il n’y avait pas beaucoup de jeunes. Dans ma pratique d’enseignant au Cégep, j’ai vu de gros changements dans la démographie au cours des derniers dix ans. Pour des raisons de recrutement, le Cégep est allé beaucoup à l’international et maintenant il y a beaucoup plus d’Africains noirs francophones et des Maghrébins : Algérie, Tunisie, Maroc. C’est vraiment intéressant d’observer l’effet que cela produit sur les groupes classes. Plutôt que d’avoir deux ou trois Noirs dans une classe de quarante étudiants, on en est à dix ou douze, en plus des arabes et il n’y a presque plus de majorité blanche. L’effet que cela a sur les discours, sur les idées que les jeunes ont, parce « qu’ils sont pognés pour vivre ensemble », comme dit Maxime Fortin, cela les oblige à trouver des manières pour bien vivre ensemble. Je pense que le film ouvre la porte sur un aspect positif. C’est vrai que les migrations ne vont pas aller en diminuant. Il y aura davantage d’immigrants dans les prochaines années qu’il n’y en a eu avant. Il y a peut-être matière à espoir du fait que cela va nous obliger à trouver des manières de mieux vivre ensemble.

Pour revenir à la question : Est-ce que le projet d’un pays peut devenir un projet rassembleur ? Moi, quand j’ai commencé à faire le documentaire, j’ignorais l’impact que le coup d’État dans mon pays avait eu sur la société québécoise et comment les réfugiés politiques avaient été accueillis ici dans les années 1970. Mais je sens que quelque chose a changé par rapport à cette époque. La discussion sur l’immigration qu’on entend dans les médias ignorent le passé et le futur. Si vous voulez être une nation et gagner un référendum, c’est une action qui concerne la société au complet. Il ne faut pas simplement observer ce qui se passe aujourd’hui, mais envisager l’avenir. Il faut sortir des débats sur le nombre d’immigrants, ceux et celles qui parlent français ou pas, etc. Mais s’il n’y a pas de discussion, comment on va faire ? Est-ce qu’il va y avoir de la place pour une discussion comme aujourd’hui ? Si on passe par la discussion et le partage, on peut arriver à tout. Rodrigo

* J’ai beaucoup aimé le film et je vous remercie. D’abord, ce que j’apprécie, c’est que le film se termine sur une note d’espoir sur ce que nous pouvons construire ensemble. Toutefois, il y a un nœud qui est présenté au début, et tant que nous ne travaillons pas sérieusement là-dessus, nous n’avancerons pas. Je crois que pour construire ensemble, il doit d’abord y avoir une équité entre les gens et une liberté. Je pense qu’il y a des obstacles actuellement qui ne permettent pas cela. En ce qui concerne les permis de travail temporaire, Paul Ouellet a dit : « Il faut sortir de la société esclavagiste. » Je pense qu’il ne pouvait pas avoir des mots aussi justes. Comment peut-on supporter que des gens aient des permis de travail fermé et qu’ils ne jouissent pas des mêmes droits que les autres travailleurs ? Comment peut-on permettre cela ?

  • Il y a des gens d’une certaine génération qui portent en eux une colère, c’est qu’ils ont grandi en voyant leurs parents travailler dans des conditions d’exploitation, qui se sont retrouvés dans des emplois qu’ils n’ont pas choisis parce qu’il y avait une discrimination. C’est le ressenti de la seconde génération issue de l’immigration. À quelque part, humainement, cela se comprend. J’ai l’impression que tant que ces problématiques ne seront pas réglées, le construire ensemble va rencontrer des obstacles. J’ai vraiment été touchée par la complicité entre Webster et son père. Je pense qu’il y a vraiment quelque chose d’inspirant dans la solidarité internationale qu’il y avait dans les années 1970. Aujourd’hui la social-démocratie s’effrite et cela creuse des inégalités qui nuisent au vivre ensemble. J’ai vraiment aimé quand monsieur Cheik racontait que des écrivains africains inspiraient des auteurs québécois comme Gaston Miron qui était lu jusqu’en Afrique. Il faut retrouver quelque chose qui va dans ce sens.

On parle beaucoup de coconstruire ensemble,  mais comment est-ce qu’on arrive à faire cela ? Carole

* Pour faire cela, nous avons besoin de deux types de pouvoir, le pouvoir démocratique et le pouvoir économique. Actuellement, les citoyens perdent ces pouvoirs. Le concept du vivre ensemble devient comme une coquille vide. On veut coconstruire, mais nous n’avons pas les leviers. Si vous n’avez pas d’argent, vous avez toujours le droit de voter au moins. Mais si vous n’avez ni l’un ni l’autre, qu’est-ce que vous pouvez faire ?

* Sauf que le pouvoir démocratique nous ne l’avons pas quand nous sommes immigrants puisque cela prend plusieurs années avant d’avoir le droit de vote. Cela m’a pris 13 ans. On peut voter quand on est citoyen, citoyenne, canadienne. Pourtant, j’étais un membre à part entière de la société, je travaillais et je payais mes impôts, mais en fait ma voix ne comptait pas.

* Dans le film, à un moment on entend ça à propos des travailleurs temporaires. Je comprends qu’il existe différentes catégories de permis de travail. Pour faire de la co-construction avec les immigrants, il faut qu’on aille l’un vers l’autre pour connaitre les besoins de l’autre. Je suis touchée par tous ceux et celles qui voient leurs diplômes acquis à l’étranger non reconnus ici, ce qui les empêche de pratiquer leur profession. Cela me met en colère.

C’est quand même la grande question ces temps-ci. Dans le documentaire, on a mis les chiffres de 2022. 50 000 immigrants permanents avaient été accepté officiellement et il y avait 290 000 en attente d’un statu ou ayant un permis temporaire. En 2023, c’est 500 000. C’est exponentiel, il y a une espèce d’explosion. On leur donne des statu temporaires pour qu’ils puissent venir travailler parce que nous en avons besoin, mais on s’arrange pour qu’ils n’aient pas tous les droits reconnus aux citoyens canadiens. On les engage uniquement en fonction de nos besoins de travail. Pierre

* pendant qu’ils sont des travailleurs temporaires, on abuse d’eux parce qu’ils vivent sous la menace d’être expulsés. Quand est-ce qu’on va se mettre en action pour ces travailleurs temporaires ? Pourquoi cet immobilisme ? C’est la peur qui est la principale cause de notre immobilisme. Ce qui exprime le mieux cette peur, c’est le statu quo. Pour certains, le passé est ce qu’il y avait de mieux, aujourd’hui est un moindre mal, et le futur est proscrit. C’est la mentalité dans laquelle nous vivons, une espèce de peur paralysante, si je dis ce que je pense, d’un coup que cela déplait à d’autres, alors, chacun reste sur ces positions. Nous ne vivons pas non plus une démocratie à travers cela. Pourquoi ? Parce que nous sommes menés par une oligarchie. Ce sont eux qui mènent, tandis que nous nous contentons d’aller voter une fois tous les quatre ans. Le restant du temps, ce sont ceux qui sont autour du pouvoir, qui ont de l’argent en masse et qui poussent pour que tel ou tel projet passe. Si une population se lève et proclame : « Le pouvoir est entre les mains du plus grand nombre et non de l’argent. » Cela me met en colère de considérer que nous sommes tous des individus isolés les uns des autres.

* Ce qui est nouveau avec l’immigration présentement au Québec, c’est qu’ils sont rendus en région. Il y a une structure démographique qui est en train de changer et cela me réjouit parce que le territoire québécois se dépeuplait depuis des décennies alors que présentement la vague d’immigration est sortie de Montréal pour s’étendre à toutes les régions. Dans Saint-Roch, avec les familles africaines qui remplissent l’école primaire, je pense qu’ils sont ici pour rester. Cela me fait plaisir parce que nous avons besoin d’eux. À mon sens, l’avenir de la langue française se trouve dans la francophonie et l’avenir du Québec est en train de naître en Afrique.

* J’ai vu dernièrement le Transport adapté aller chercher quelqu’un en Europe parce qu’il manque de main-d’œuvre. Parfois ce sont les entreprises qui vont recruter à l’étranger. Par rapport à la différence, tout ce qui est différent: handicapé, homosexuel, itinérant, étranger, tout cela dérange, peu importe la différence. Pourtant, nous sommes tous différents et nous vivons des choses différentes, donc il faut apprendre à vivre ensemble.

* Vous avez posé la question : Qu’est-ce qu’on peut faire ? Il y a une dizaine d’année, on célébrait la fête de notre curé, Jean Piché, dans le quartier Saint-Sauveur. Juste avant le dessert, il nous dit qu’il a un souhait à faire: « Est-ce qu’on ne pourrait pas accueillir une famille syrienne ? » Cela a pris une année et demie de démarche avant que la famille arrive. Nous avons créé un comité de parrainage de dix personnes. Nous avons ramassé les sous qu’il fallait. L’engagement privé que nous prenons dans ce partenariat est d’assurer leurs moyens de subsistance pendant un an, le logement, la nourriture et les démarches administratives. Cette dernière étant le nœud du problème. J’aime le documentaire parce qu’on parle du travail. Nous étions dix autour de cette famille et ça a été de l’ouvrage. Notre plus grande satisfaction, c’est qu’il y a un an et demi, ils ont obtenu la citoyenneté canadienne. Ensuite, nous avons aussi accueilli une autre famille qui provenait du Congo qui est passé par l’Afrique du Sud. Cette fois-ci, il n’a pas été nécessaire d’effectuer de parrainage particulier parce que le père parlait français. Le père et la mère travaillent maintenant dans le domaine hospitalier. Ils ont quatre filles, dont trois sont des génies. Je témoigne de cela parce que nous pouvons poser ces gestes de solidarité et j’apprécie les organismes d’aide qui encouragent les personnes migrantes qui viennent chercher les bonnes volontés et le bénévolat des Québécois.

* Les médias jouent un rôle crucial sur cette question parce que quand on parle des immigrants ou de l’immigration sous un certain angle, c’est quelque chose qui vient nous chercher parce que cela ne représente pas qui nous sommes. La bonne foi des gens existe, mais il y a aussi le côté négatif chez d’autres qui vont jusqu’à nous agresser verbalement pour le port du voile.

* L’ignorance peut mener à des préjugés à des stéréotypes à l’égard des immigrants.

* J’ai envie de dire quelque chose à la suite de ce qui a été dit, en cherchant des chemins. Quelqu’un a mentionné le fait que nous sommes isolés, chacun à son affaire. Cheik disait : « Que peut-être l’une des voies pour aller de l’avant, dans un chemin de co-construction, apprendre à se connaître et tout cela, c’est déjà génial. Il y a beaucoup de groupes communautaires à Québec, des groupes qui luttent contre la pauvreté, c’est aussi lutter pour faire reconnaître les droits des citoyens, immigrants et citoyens canadiens. Au sens que s’il y a une convergence des luttes, si on se mettait ensemble pour revendiquer, tout en continuant a avoir des divergences de vue sur certaines choses, c’est déjà un bon chemin pour marcher et aller dans le sens de la co-construction qui est un processus à long terme. Si on veut arriver à faire cela, il faut apprendre à se connaitre, il faut travailler ensemble, il faut revendiquer nos droits pour éventuellement peser dans le politique, le social et l’économique. Ce soir, c’est positif, parce qu’on vient de se parler et on va devenir des partenaires. C’est vrai que la façon que nous sommes organisés dans les groupes communautaires avec des luttes très spécifiques et des enjeux très pointus, puis vous avez les organismes qui travaillent en immigration qui deviennent aussi des ports d’attache pour les personnes immigrantes. Nous avons comme le défi de dépasser les missions spécifiques de chaque organisme pour se dire : « Qu’est-ce que nous pouvons faire ensemble ? » Je pense que c’est normal qu’il puisse parfois y avoir de la méfiance entre organismes. Les gens se demandent s’ils vont se sentir en sécurité s’ils vont dans tel ou tel organisme ? Il y a une méfiance à déconstruire, parfois des pratiques à changer, mais c’est juste en se parlant qu’on peut trouver des chemins. Ce n’est pas magique. On dirait que nous sommes rendus à dépasser tout cela.

* Je pense juste que parfois l’urgence que vivent les organismes communautaires en immigration sont submergés par la réponse aux besoins de base des nouveaux arrivants fait en sorte que l’élément de défense des droits des personnes est ignoré dans le processus.

* Il y a une réalité que nous sommes tellement débordées. Je siège au conseil d’administration d’un organisme à Beauport qui aide à l’installation des familles immigrantes. Parfois, on doit intervenir auprès des CLSC pour leur demander : Pourquoi lorsqu’une personne est immigrante, elle n’est pas traitée de la même manière qu’une autre ? Tout de suite les CLSC se réfèrent à nous, se disant que c’est l’organisme en immigration qui va régler le problème et soutenir la personne. Sauf qu’en même temps, c’est un peu malsain puisque les CLSC ou d’autres ressources ont une mission pour tout le monde. Pour certains types d’intervention, les ressources en immigration sont nécessaires, mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois on ne comprend pas et il y a quelque chose à travailler par rapport à cela. J’ai aussi et le folklore, ce qui va en surface.

Nous, c’est ça que nous avons un prouvé intéressant le témoignage de madame  Ardouz qui dit que parfois il est difficile de dépasser le multiculturalisme eu pris conscience en écoutant les gens, c’est qu’au Québec, il y a eu une période de 1970 à 1980, où les gens avaient un projet collectif, avec bien sûr plein de variantes et de nuances. Ce projet unifiait les efforts des uns et des autres. Cela donnait une direction. C’est peut-être cela qu’aujourd’hui il faut retrouver, ce vers quoi il faudrait arriver à nouveau à travailler. Cela ne peut pas être le même projet des années 1970, bien entendu, mais un projet qui soit en fonction des défis d’aujourd’hui, qui soit encore un grand projet collectif. À quelque part, on s’en aperçoit de façon très simple.  Les gens aiment discuter et nous sommes vraiment surpris de l’effet que cela produit sur les gens. Discuter de quoi ? De problèmes communs, de questions communes, qui ont à voir avec notre présent et notre avenir. C’est comme si aujourd’hui nous étions tellement séparés les uns des autres, que nous étions tellement fragmentés que nous n’avons même plus de lieu pour, de façon très simple comme on le fait aujourd’hui, échanger, s’entendre, avoir un espace dans lequel on peut le faire. Ne sous-estimons pas le pouvoir de la parole humaine et de l’argumentation humaine. Dans notre documentaire, c’est ce qui nous a beaucoup frappés, la force des interventions de chacune des personnes et quand on les met ensemble, cela donne un effet formidable, cela stimule la discussion. C’est pour cela que nous poussons pour faire connaitre ce documentaire pour aider à faire naitre un pouvoir citoyen. Pierre

* Je trouve vraiment votre approche intéressante et je vous remercie de nous avoir donné cette opportunité. Au fond, nous sommes tous issus d’une immigration plus ou moins lointaine.  Je trouve que c’est assez puissant.  Comme citoyenne, je recherche cela, à la fois la parole des Québécois et celle des immigrants dans un cadre où la parole est libre de critiquer et d’applaudir ce qui doit l’être et on peut le faire sans que cela soit clivant. Et même si c’est parfois clivant, c’est nécessaire de se dire les choses.

* Nous sommes tous des immigrants, nous nos ancêtres viennent de France.

Propos rapportés par Yves Carrier

 

 

 

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