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L’Utopie transformatrice, moteur de nos luttes
– « Pour décoloniser nos esprits, il faut construire, rêver, imaginer, vouloir, un monde nouveau. » Boaventura dos Santos
– « Une société qui ne porte plus un projet utopique, mobilisateur et fédérateur de toutes ses énergies, retombent rapidement dans la mesquinerie de la lutte des intérêts particuliers et du chacun pour soi. » Leonardo Boff
« L’espérance est le produit de l’accumulation des énergies qui contribuent à l’articulation d’un projet collectif susceptible de nous remettre en marche, ancrés dans l’histoire, mais tournés vers l’avenir. Cette énergie se déverse dans le projet matériel ou politique qui en est le produit. Mais pour que le projet politique demeure vivant, stimulant, fédérateur de nos rêves, nous devons sans cesse y réinvestir du rêve, de l’espérance et de l’utopie. » José Mujica
Pour Eduardo Galeano : « L’utopie est l’horizon vers lequel nous marchons. Si j’avance de deux pas, elle recule de deux pas, si j’avance de dix pas, elle recule d’autant. Vous pouvez marcher sans vous arrêter, mais jamais vous ne l’atteindrez. Alors, à quoi sert-elle? Elle nous aide à marcher. » Autrement dit, l’utopie n’est pas une destination, mais une direction.
Pour plusieurs peuples à travers l’histoire, la spiritualité et la religion constituaient cet espace du rêve inaccessible en direction duquel nous marchons, personnellement et collectivement. Longtemps située hors de l’histoire, l’utopie céleste permettait de supporter le poids d’une existence marquée du sceau de la fatalité. Puis les projets révolutionnaires ont cherché à construire le Ciel sur la Terre avec les conséquences que nous savons.
Dans le cadre du 22e anniversaire du soulèvement zapatiste au Chiapas, cette rencontre mensuelle cherche à recueillir les fruits d’une sagesse millénaire, celle des peuples mayas, dans une lutte moderne où les plus pauvres apprennent à résister à la déliquescence d’un État qui ne répond plus à ses obligations morales et sociales envers la préservation du bien commun de la population mexicaine. Un État gangrené par la corruption et la violence qui s’est livré aux forces obscures du marché et du narco-trafique, poursuivant les défenseurs des droits humains, les journalistes et les organisateurs populaires, syndicalistes, environnementalistes et autochtones, sous prétexte de faire la guerre aux trafiquants de drogue. Devant ce déni du droit perpétré par l’État national se concevant désormais comme promoteur des intérêts des multinationales au détriment de la préservation de l’environnement, du patrimoine culturel et des territoires autochtones, le mouvement zapatiste, imité dans plusieurs provinces du pays, a fondé les bases territoriales d’une première communauté autogérée afin que l’utopie ait un endroit où poser les pieds pour construire un monde où tous les mondes demeurent.
Yves Carrier
Histoir d’un concept |
Alternative historique |
La survie de l’espèce |
Les règles de la gouvernance |
Le mouvement zapatiste |
Histoire d’un concept politique
L’utopie, c’est bien d’y rêver, mais il ne faut surtout pas essayer de la réaliser. En fait, l’utopie apparaît dans l’Ancien Testament qui instaure une conception linéaire du temps. C’est ainsi qu’apparaît le concept de l’histoire comme Histoire du Salut. Le mot utopie nous vient de Tomas More, écrivain anglais qui au XVIe siècle écrit un livre qui décrit une société imaginaire, Utopia. C’est le salut qui est ramené sur Terre en posant la question de pourquoi ne réalisons pas le monde idéal, pourquoi cela ne serait pas possible ? Au début, celas n’apparaissait pas tellement possible, topos veut dire lieu et U est un privatif qui placé devant topos veut dire sans lieu. C’est pourquoi l’utopie est situé dans un ailleurs, dans une autre monde et un autre temps. C’est un essai de penser ou de réfléchir à un monde différent, à un autre monde qui permettrait de résoudre les problèmes actuels. Alors le premier auteur de l’utopie, celui qui a créé le genre, c’est Tomas More, un anglais qui s’est opposé à Henry VIII. Il n’était pas d’accord avec les politiques d’Henry VIII qui consistait à éliminer une à une ses épouses pour en marier de nouvelles. Ces critiques lui ont valu la mort. Il fut exécuté et comme c’était un catholique, l’Église de Rome l’a canonisé. C’est Tomas More qui a créé l’utopie.
C’est bizarre, mais l’ile d’Utopia est en forme d’utérus et sa capitale est située au fond de celui-ci à l’intérieur de l’Ile. Certains se sont demandé s’il ne s’agissait pas d’un retour vers le passé, un retour à la mère, à un monde idéal ? Tomas More est un bon bourgeois, chrétien, qui avait peur des désordres suscités par la Renaissance. Le peuple se réveillait et il y avait beaucoup de révoltes ici et là, des guerres de religions, etc. Il a essayé de penser à un monde idéal qu’il ne pouvait situer en Angleterre pour ne pas déplaire au roi, alors il l’a imaginé sur une ile inconnue avec une organisation très rationnelle. C’est vraiment très bien organisé l’Utopie, trop bien organisé. Le problème de l’utopie c’est que c’est penser par un homme ou une poignée d’individus qui décident ce qui est bien pour l’ensemble de la population. Pol pot au Cambodge a tenté de réaliser l’Utopie, Lénine et Staline aussi.
Il y a eu de nombreux romans écrits sur l’utopie dont certains anticipaient le pire, surtout dans le domaine de la science fiction. Élisabeth Vonarburg, une écrivaine de Chicoutimi, a écrit une utopie où se sont les femmes qui sont au pouvoir. En Californie, à partir de l’écologie, il y a un livre célèbre qui s’appelle Écotopie qui est une utopie écologique. Alors, c’est bien de rêver de l’utopie, mais lorsqu’on essaie de la réaliser, c’est toujours selon notre point de vue à nous.
En 1918, Rosa Luxembourg a été la première à critiquer la Révolution russe. Elle dénonçait le fait que cette révolution était décidée par six ou sept personnes au Comité central du Parti communiste, sept hommes qui décidaient ce qui était bien pour les autres sans s’interroger sur les imprévues qui rendaient la théorie inopérante et provoquaient le malheur du peuple. Le but c’est de faire en sorte que les gens soient heureux, alors si l’utopie mène au contraire, elle rate sa cible. Aujourd’hui, nous vivons avec beaucoup d’utopies d’ailleurs: l’utopie néolibérale. Il y a l’utopie des altermondialistes qui a l’air moins pire un peu, mais il ne faudrait pas qu’un Staline prenne le relais là-dedans. C’est ce que j’ai à dire sur l’utopie pour l’instant.
Robert Lapointe
L’utopie zapatiste en tant qu’alternative historique
En Amérique latine, l’utopie possède une autre consonance. L’utopie idéologique dont Robert Lapointe vient de parler relevait davantage d’une pensée dogmatique dont il suffisait d’appliquer en tous points la théorie à la réalité pour que de façon scientifique croyait-on, allait se former le corps social, en faisant fie des sagesses séculaires accumulées, des croyances et des cultures populaires. Déjà en 1928, le penseur péruvien José Mariatégui, écrit sur la nécessité d’adapter chaque révolution à son contexte culturel et historique. Nous pouvons aussi faire référence aux réductions du Paraguay où les missionnaires jésuites dès le XVIIe siècle tentaient de construire des sociétés parfaites avec les populations amérindiennes évangélisées. Plusieurs exemples donc dans l’histoire des Amériques, la fondation de la Nouvelle-Angleterre, puis des États-Unis, de même ici avec le rêve de Samuel de Champlain pour la Nouvelle-France, etc. comme si le Nouveau monde induit une manière nouvelle de concevoir la réalité, un changement de paradigme où l’avenir cherche à occuper le champ du réel.
L’utopie serait donc un horizon de sens, un idéal qui nous pousse à avancer vers des territoires inconnus et lorsque l’horizon se referme devant nous, à imaginer qu’un autre monde est possible car les peuples n’ont pas dit leur dernier mot. L’utopie nous projette aussi sur une autre échelle de temps comme perspective qui se déploie devant nous. Devant des situations historiques opaques de crise économique ou de dictature, les gens, comme le fait remarquer Ernst Bloch, ont besoin d’espérance pour continuer à vivre et à militer, et l’utopie, en ce sens, est aussi un rêve qui fait vivre.
La question du pouvoir apparaît fondamentale chez les zapatistes. Le grade de sous-commandant illustre à la perfection l’idéal du mouvement qui refuse l’imposition d’un guide éclairé imposant ses vues à l’ensemble du groupe. Par ce titre, Marcos se met en position d’écoute des gens avec qui il travaille. Sans connaitre son identité, nous savons qu’il serait allé vivre parmi les autochtones pendant dix ans avant que ne se produise le soulèvement zapatiste du 01 janvier 1994. Il s’est mis à l’écoute de la réalité vécue par les indigènes, de leurs besoins, de leurs préoccupations et des solutions qui émergeaient de la base. Il s’agit d’un processus démocratique inversé au sens où ce n’est pas une démocratie représentative où des élus décident pour l’ensemble de la population, du haut vers le bas. C’est plutôt les bases de la population qui délibèrent des questions qui les concernent, qui essaient des choses et qui évaluent les résultats obtenus avant de se prononcer définitivement sur un enjeu. Le mouvement zapatiste est une idéologie qui déconstruit l’idéologie des partis politiques mexicains parce qu’ils considèrent que la pluralité nationale est desservie par le système actuel, le gouvernement, les partis politiques. Les zapatistes considèrent qu’avec le néolibéralisme, les partis au pouvoir sont en train de déconstruire l’État. C’est pourquoi leur ambition n’est pas de s’emparer du pouvoir qui est en train de se dissoudre, mais de construire d’autres façons de se gouverner, à partir de la base et de manière autogérée. Ils se disent, l’enjeu n’est pas de se battre pour s’emparer d’un pouvoir pourri de la racine à la tête, mais de construire autre chose. Selon Gilberto Lopez y Rivas :
« Lorsque le zapatisme et le mouvement indigène pensèrent ignorer l’actuel système des partis, il était nécessaire de savoir si ces partis politiques contribuaient ou non à la construction autonomiste ou s’ils avaient plutôt une tendance intrinsèque à la formation d’une citoyenneté et d’une démocratie hétérogène recevant ses lois de l’extérieur. Ces lois qui régissent sa conduite portaient le germe du clientélisme et du corporatisme, obstacles infranchissables à l’autonomie. La proposition de l’EZLN, ejercito zapatista de liberación nacional, et du mouvement indigène autonome, conduit à l’intégration d’une entité politique anticapitaliste assumant les intérêts populaires d’où elle tire son origine, les dépossédés et les exploités. Elle ne délègue pas sa représentation à des personnes étrangères à « elles-mêmes ». Cette entité politique se régit selon ses propres normes et non selon celles d’un système politique qui ne représente pas les intérêts du peuple ou de la nation. » (Una mirada a las izquierdas desde la experiencia mexicana, dans Pensar desde la resistencia anticapitalista y la autonomía, p. 155.)
Les zapatistes construisent une société nouvelle, sur des bases nouvelles fondées sur leurs valeurs communautaires, enracinées dans l’esprit maya car ce sont pour l’essentiel des autochtones qui participent à ce processus. La civilisation maya bimillénaire, elle a environ 2 000 d’histoire et lorsque les conquistadors arrivent au Mexique dans les années 1520, les cités mayas sont désertes depuis cinq siècles. Contrairement à l’esprit occidental enclin à admirer les grands monuments comme symbole d’un haut degré de civilisation, certains historiens s’entendent à dire que les pyramides représentent en fait des structures d’oppression des élites sur un peuple soumis en esclavage. Lorsque les Espagnol arrivent au Mexique, les Mayas vivent dans de petites communautés rurales où le pouvoir est réparti entre tous, c’est ça être civilisé. Toutefois, comme les autres peuples du Mexique, ils subissent l’agression permanente et la domination des Aztèques. Lorsque Cortès apparaît, les peuples soumis en esclavage le perçoivent comme un libérateur et ils vont se joindre à lui pour écraser l’empire Aztèque.
Cela faisait déjà cinq siècles que les Mayas avaient abandonné ces cités-états pour vivre d’une façon beaucoup plus harmonieuse et communautaire. Les Espagnols ont vu dans ce fait une décadence de la civilisation maya. Selon les zapatistes, ce n’étaient pas du tout le cas. Ce n’était pas une décadence, mais une évolution où l’on dépassait les anciens modèles de domination avec des rois, des prêtres qui accomplissaient des sacrifices humains et les esclaves qui servaient toute cette structure; versus une structure communautaire beaucoup plus souple où chacun pouvait être élu chef, mais où être chef c’était devenir responsable de toute la communauté.
« Le zapatisme considère le facteur éthique comme un élément essentiel de la lutte anticapitaliste, il privilégie la congruence avec les principes devant les intérêts de tout ordre. (Parce que) : Le seul capital politique que possède la gauche, c’est l’éthique et la défense de l’intérêt général. Dans ce contexte exigeant, le principe : « Tout pour tous et rien pour nous » doit être observé en ayant une conduite qui n’admet pas la double morale, étant donné qu’il ne doit pas exister d’intérêt personnel ou de groupe qui motive l’action politique. » (…) « Le EZLN, tout comme le mouvement indigène national, ont été la référence morale, la conscience critique du pays pendant toutes ces années. C’est pourquoi ils possèdent tous les deux une réserve morale qui n’est pas mis en doute.»
« La perspective de construire le pouvoir à partir d’en bas, fondé sur la participation de tous et de toutes, a été une inspiration pour la résistance au Mexique et dans le monde. Les thèmes de « diriger en obéissant, la possible révocation, en tout temps, du mandat des délégués, la conception du gouvernement comme un service, la transcendance de l’éthique dans la politique, le divorce avec l’étatisme, ainsi que l’exemple du processus autonome, ont constitué un apport très opportun et significatif dans des moments où disparaissaient les références idéologiques et politiques qui avaient maintenu vivantes les utopies. Le zapatisme et le processus autonomiste ont questionné les partis politiques, indiquant une direction au mouvement souvent atomisé et fragmenté, de la société civile. »
À partir du 01 janvier 1994, « Le zapatisme impose la problématique autochtone dans le débat national et il oblige l’État à négocier les Accords de San Andrés, lesquels, indépendamment du fait qu’ils aient été attaqués par le gouvernement et la classe politique, constituent une plateforme programmatique de développement durable pour les peuples indigènes du pays. Ces derniers, comme secteur national, sont les rares à proposer un chemin de libération nationale parce qu’ils ont conscience du type de nation et de la société pluriethnique et pluriculturelles souhaitable pour le Mexique. Le EZLN et les peuples indigènes comptent sur une stratégie: l’autonomie, pour résister aux embûches des politiques néolibérales, défendre les ressources naturelles et stratégiques de la nation, ainsi qu’un projet de civilisation distinct de celui offert par le capitalisme mondial. »
« La survie de l’espèce humaine dépend du fait qu’elle redécouvre l’espérance comme force sociale. »
Ivan Illich
Le refus de la domination et les pratiques autonomistes zapatistes impliquent d’apprendre à se dominer soi-même en refusant de dominer les autres, qu’il s’agisse du pouvoir des hommes sur les femmes, des adultes sur les enfants, de l’être humain sur la nature. À l’intérieur de cette démarche éthique, chacun devient responsable de lui-même et des autres autour de lui jusqu’à la communauté toute entière. Le développement n’y est pas pensé en terme économique, mais de bien-être et de croissance humaine des membres de la communauté. Pour Gustavo Esteva :
« Foucault, Illich et plusieurs autres penseurs, ont signalé à partir de bases solides que nous pourrions être arrivés à la fin de la société économique (capitaliste et socialiste) et de l’ère moderne. En accords avec ce que ces deux penseurs affirment: Les fondements philosophiques et épistémologique de l’Illustration ont été sapés. Nous sommes entrés dans une période de chaos et d’incertitudes qui caractérise le passage à une ère nouvelle, lorsque les rationalités anciennes ne peuvent plus être utilisées pour comprendre ce qui se produit et encore moins pour construire une autre réalité qui ne peut être une simple projection de l’antérieur. » (Gustavo Esteva, « Nuevas formas de revolución », p. 165-222, Pensar desde la resistencia anticapitalista y la autonomía).
« Pour les zapatistes, la question n’est pas qui est au pouvoir, ni de quelle façon une personne, un groupe ou un parti obtient une position de pouvoir (au moyen d’élections ou quelque autre moyen), mais la nature même du système de pouvoir dans l’État-nation, comme structure de domination et de contrôle. En se distanciant de la tradition des guérillas, les zapatistes signifièrent qu’ils laisseraient toujours disponible la place des gens. » Ils refusaient d’usurper la parole et la représentation citoyenne.
« C’est un pouvoir oppresseur qui décide à partir d’en haut pour la société, et un groupe d’illuminés qui décident de conduire le pays vers le bon chemin en remplaçant un autre groupe au pouvoir. Ils prennent le pouvoir et ils décident eux aussi pour la société. Pour nous, il s’agit d’une lutte d’hégémonie… Nous ne pouvons pas reconstruire le monde, ni la société, ni reconstruire les états nationaux aujourd’hui détruits sur une dispute qui consiste à savoir qui va imposer son hégémonie dans la société (sous-commandant Marcos 2001, en Lopez R. (2004)). »
Les zapatistes ont libéré un territoire, la Sierra Lacandona, où ils vivent. Ils possèdent leur propre système éducatif avec leur propre contenu pédagogique, de même que des cliniques de santé incluant la médecine naturelle par les plantes médicinales et des sages-femmes, des cliniques dentaires, des ambulances, des magasins coopératifs, leur propre radio et journal communautaire, etc. Ils pratiquent une agriculture biologique qui n’endommage pas la terre tout en préservant les forêts naturelles et les sources d’eau. Ils refusent d’utiliser les OGM ou des fertilisants chimiques. Chaque famille reçoit un lopin pour cultiver et certaines plantations appartiennent à toute la communauté. Chacun possède sa maison que tous aident à construire. Les zapatistes refusent toute aide gouvernementale dans la construction de leur communauté.
La possession des terres communales provient d’un droit concédé aux populations autochtones par la couronne espagnole après la conquête. L’indépendance a préservé ce droit et la Révolution mexicaine des années 1910 l’a confirmé. Le 01 janvier 1994, les accords de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, entrent en vigueur. Dans les mois précédents, à la demande des États-Unis et du Canada, le droit à la propriété commune pour les communautés autochtones est rayé de la constitution mexicaine. Le Mexique compte 120 millions d’habitants dont 7% d’autochtones. 10 millions d’indigènes en colère disposés à mourir pour défendre leurs terres communales, c’est plus que l’armée peut contrôler.
L’État mexicain, à travers l’histoire et aussi en raison d’un géographie très montagneuse, a été obligé de concéder des droits aux minorités autochtones qui ont toujours lutté pour préserver l’intégrité de leurs territoires ancestraux, fortement liés à leur culture, leur identité et leur spiritualité. Pour eux, le territoire est quelque chose de sacré qui ne peut se vendre ou s’acheter et encore moins être détruit par l’industrie agricole, minière ou forestière. Intuitivement, ils savent que leur mode de vie en communauté et leur survie alimentaire dépend de cet attachement à leur territoire. Avec la destruction environnementale provoquée par le grand capital, leur conscience d’être les gardiens de l’intégrité de la Terre-Mère est encore plus grand. Ceci a aussi à voir avec un mode de vie et de consommation qu’ils refusent comme fossoyeur de leur identité et de leurs liens sociaux. De toute manière, en tant qu’exclus du système économique, les populations autochtones sont les plus pauvres du Mexique. Leur principale richesse, et ils le savent bien, c’est leur identité collective et leurs traditions d’où ils tirent fierté et sentiment d’appartenance.
L’armée mexicaine a comme principale tâche de réprimer sa population au service des intérêts du grand capital. Plusieurs communautés ont été chassées de leurs terres ou se sont fait voler des parties de leur territoire. Le soulèvement zapatiste était aussi une affirmation de souveraineté sur un territoire où il ne serait plus permis aux grands propriétaires de venir couper du bois et de s’approprier les terres. N’eut été de la réaction massive de la société civile mexicaine et internationale en janvier 1994, l’histoire aurait fini dans un bain de sang, l’armée mexicaine possédant les moyens d’écraser quiconque se met en travers de sa route. Mais cela aurait été un génocide commis à la face du monde qui aurait déclenché des violences dans tout le Mexique. Grâce à la médiation de l’évêque de San Cristobal de Las Casas, Samuel Ruiz, des négociations ont été entamées entre l’EZLN et le gouvernement mexicain dans la cathédrale de cette ville. Pour ceux qui s’en souviennent, des milliers d’accompagnateurs de la société civile avaient encerclé le bâtiment ou avait lieu les négociations pour éviter toute intervention violente de l’armée. Ces négociations, en plus d’un cessez-le-feu et du retrait pacifique des zapatistes dans la Sierra Lacandona, offraient des garanties de négociations constitutionnelles pour l’ensemble des peuples autochtones du Mexique, les fameux Accords de San Andres, signés entre les deux partis, mais jamais réalisés par le gouvernement du Mexique.
Une autre raison qui explique ce soulèvement armé du 01 janvier 1994, c’est le déni et le mépris des autorités mexicaines envers les populations indigènes. Privées d’assistance médicale et de l’ensemble des droits reconnus aux autres citoyens, les communautés vivaient une lente agonie ou entre la faim, les maladies et la misère, s’éteignaient peu à peu la quasi-totalité des enfants de moins de sept ans. À cause de la malnutrition, les enfants mouraient en grand nombre de maladies bénignes comme la rougeole dans l’indifférence totale des autorités. En plus, lorsque des leaders étaient envoyés comme émissaires pour discuter avec les autorités locales afin d’améliorer les conditions de vie des communautés indigènes ou pour réclamer une terre volée par les grands propriétaires, on ne les revoyait jamais. C’est de guerre lasse et après mûres réflexions que les communautés ont fondé l’EZLN et qu’elles se sont soulevées un beau matin, pas pour renverser un gouvernement, mais pour exiger le respect et être traité comme des êtres humains.
La philosophique zapatiste ou son utopie en marche, représente une nouvelle conception du pouvoir qui n’est plus confié à un élu, mais où l’autonomie du sujet collectif passe par l’autonomie de chacun. Ceci signifie que tous les habitants du lieu sont concernés par les enjeux locaux, réfléchis dans une perspective globale, et réalisés par les mêmes participants au dialogue. Les décisions s’y prennent par consensus et les discussions durent aussi longtemps que cela s’avère nécessaire. Lorsqu’un point ne reçoit pas l’accord unanime des membres, il est reporté à une prochain assemblée qui peuvent avoir lieu à chaque semaine. Tous sont tenus d’y participer, les absences conduisant à des travaux d’intérêt général pour la communauté. Dans la coutume maya, la parole est mesurée, jamais déversée à torrent, chaque mot impliquant la responsabilité sacré de celui qui l’énonce, le meilleur orateur pouvant être nommé chef, ce que personne ne recherche parce qu’il s’agit d’une lourde responsabilité.
Les règles de la gouvernance zapatiste
Quelques règles zapatistes que les membres des communautés se sont données comme attitudes à adopter envers l’exercice du pouvoir conçu comme service aux autres.
1—Servir, au lieu de se servir. (Cela fait allusion à la corruption des dirigeants politiques.)
2— Représenter et ne pas supplanter la volonté et les intérêts de la communauté. (C’est la stratégie que Gabriel Nadeau-Dubois utilisait en 2012 lors de la grande grève étudiante. Il disait bien qu’il ne décidait pas à la place de ses membres à la table de négociation, mais qu’il devait toujours retourner les consulter. Cette stratégie du retour incessant aux bases pour confirmer les propositions et les ententes a énervé le gouvernement mexicain au plus haut point.)
3— Construire au lieu de détruire. (Cela se vit dans une relation esthétique avec la Terre-Mère dont il s’agit de ne pas altérer l’harmonie.)
4—Obéir au lieu de commander. (Au sens d’une soumission mutuelle au bien de la communauté).
5—Proposer au lieu d’imposer. (Il s’agit d’une attitude très démocratique qui demeure empreinte de respect.)
6—Convaincre au lieu de vaincre.
7—Rester humble, ne pas devenir orgueilleux.
« Les zapatistes défient, en paroles et en actes, chaque aspect de la société contemporaine. Ils révèlent la cause principale des crises actuelles et contribuent à démanteler le discours dominant. Ils sapent le capitalisme, l’État-nation, la démocratie formelle et toutes les institutions modernes, en mettant en doute les concepts sur lesquels ces derniers se basent. Ils rendent obsolètes les formes et les pratiques conventionnelles de plusieurs initiatives et mouvements politiques et sociaux. Ils s’engagent à réorganiser le monde de bas en haut, à partir des gens ordinaires, ils rendent évidente la nature illusoire et contre productive des changements conçus et mis en place, du haut vers le bas. Leur engagement stimule partout la résistance à la globalisation et au néolibéralisme. Elle inspire les luttes de libération. Les zapatistes contribuent aussi à articuler ces luttes. Mais il n’y a rien de plus important en ce qui a trait aux zapatistes que leur contribution à l’espoir. Lorsqu’est détruit l’espoir qui est l’ancre de chaque être humain et se situe au commencement des temps, dit le Mahabharata, est créée une peine presque aussi grande que la mort.
Pour Ivan Illich, « L’être prométhéen (la volonté de puissance) a éclipsé l’espoir. La survie de la race humaine dépend du fait que nous redécouvrions l’espoir comme force sociale.» Et c’est exactement ce que sont parvenus à faire les zapatistes. Pandore a refermé le couvercle de son amphore avant que ne s’échappe l’espoir. C’est l’heure de la redécouvrir, à l’époque où l’entreprise prométhéenne menace d’exterminer le monde et que se voient frustrer l’une après l’autre les attentes qu’elle avait engendrées.
En délivrant l’espoir de sa prison intellectuelle et politique, les zapatistes ont créé la possibilité d’une renaissance qui se répand désormais dans le réseau pluriel qu’ils ont contribué à créer. Ils sont encore une source d’inspiration pour ceux et celles qui passent par ces chemins, mais ils ne prétendent pas administrer ni contrôler ce réseau pluriel qui répond à ses propres impulsions, forces et orientations. Nous sommes tous et toutes, ou nous pouvons être, zapatistes. » (Gustavo Esteva, « Nuevas formas de revolución », p. 165-222, Pensar desde la resistencia anticapitalista y la autonomía).
Évidemment cette conscience amérindienne procède d’un fort sentiment d’appartenance au collectif duquel l’individu n’est, en fin de compte, qu’une émanation. Le fameux accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, représentait la fin de la propriété collective des terres.
De plus, les territoires autochtones représentent les derniers territoires libres pour couper les forêts vierges, construire des barrages, prospecter des minerais rares, effectuer une agriculture extensive, etc. Les communautés indigènes vivent en harmonie avec l’environnement qu’elles respectent et protègent alors que les grandes entreprises capitalistes chassent les populations locales pour réaliser leurs œuvres de destruction massive. Les amérindiens opposent à cela un sentiment de vénération religieuse envers la Terre-Mère qu’ils sont prêts à défendre au prix de leur vie. La sagesse autochtone en ce qui a trait au respect de la nature est d’une grande profondeur, souvent corroborée par la sciences des années plus tard.
L’utopie zapatiste, après vingt ans d’organisation et d’application, n’est plus une utopie puisqu’elle possède désormais un lieu. Nous devrions plutôt parler d’une expérience originale avec leur propre système d’éducation, de lois, de santé, décisionnel, sa propre organisation économique avec ses ateliers de production, la richesse de créativité et la qualité des êtres humains qui y naissent et y grandissent hors du racisme, du machisme et de l’oppression. Les femmes possèdent autant de pouvoir que les hommes dans les assemblées et occupent les mêmes postes qu’eux dans les instances organisationnels. À titre d’exemple, leurs cliniques de santé offrent des soins de meilleure qualité que celles du gouvernement, leur système de justice est recherché par les communautés voisines en cas de litige. Leur tribunal et les règles qui s’y appliquent, décidées avec l’accord de tous, fonctionnent tellement bien que la violence conjugale a presque disparu des communauté et la sanction suprême qui est le bannissement, n’a jamais été appliquée. À la première offense tu as un avertissement, à la seconde tu reçois des travaux pour la communauté en plus de l’avertissement. En cas de récidive, la charge de travail exigée augmente. La parole des femmes est beaucoup respectée et elles ont exigé, pour des motifs de violence conjugale, que l’alcool soit banni de leur communauté. Qu’il soit interdit d’en vendre, d’en apporter, d’en consommer, ou de rentrer dans la communauté sous les effets de la boisson. Étant présent dans une communauté maya au Guatemala lors d’une assemblée où cette question a été soulevée par le comité des femmes, aucun homme n’a eu les mots pour s’objecter à leurs arguments et défendre le droit de s’enivrer. Toute décision est fondée sur le bien commun. Ils ne délibèrent pas comme nous où souvent le meilleur orateur emporte le débat et impose ses idées aux autres. L’assentiment de tous s’obtient par l’accord unanime en fonction des intérêts supérieurs de la collectivité.
Dans la conscience de nombreux autochtones qui défendent leur territoire, la mort d’un représentant fait mal, mais elle ne fait jamais reculer leur détermination et les leaders sont aussitôt remplacés par plusieurs personnes qui prennent la relève. Aujourd’hui, il y a plusieurs communes au Mexique qui ont pris en main leur sécurité et la défense de leur territoire en raison de la violence qui sévit dans le pays. Il y a une dizaine d’année, le Parti social démocrate en la personne de Cuantemoc Cardenal a failli remporter les élections présidentielles. À partir de ce moment, où les élites mexicaines ont eut peur de perdre le pouvoir, une guerre au narcotrafiquants a été déclenchée qui a fait à ce jour 121 000 morts. Profitant de cette couverture, les autorités en ont profité pour éteindre tout germe de contestation sociale en s’attaquant aux militants des droits humains, aux environnementalistes, aux journalistes, aux syndicalistes, aux membres de la société civile, au mouvement étudiant et aux communautés autochtones. En s’inspirant des zapatistes, les communes rurales ont commencé à organiser des territoires libérés où n’entre pas qui veut. Il y a des barrages avec des hommes en armes et il faut montrer patte blanche. Les trafiquants de drogue n’ont plus accès à ces endroits. C’est ce qui fait dire à certains que le territoire zapatiste est le plus sécuritaire au Mexique. Le mouvement zapatiste est emblématique à la grandeur du Mexique et même au-delà de ces frontières. L’idéal zapatiste rejoint pour une bonne part le rêve anarchiste qui est de se gouverner soi-même, non pas de manière individualiste, mais collective. L’autorité est en nous, et chacun est capable de se gouverner lui-même.
Il s’agit d’un modèle rural et agraire. Ils sont autosuffisants au niveau alimentaire, de l’éducation et de la santé. Ils produisent des choses aussi incroyables que des prothèses dentaires. Les mayas sont d’habiles artisans.
Présentation d’Yves Carrier
Le mouvement zapatiste selon Roert Lapointe
Il faut voir cela comme quelque chose d’extrêmement intéressant sur le plan politique et social parce que c’est l’union de trois choses. D’abord le sous-commandant Marcos appartenait au mouvement maoïste-léniniste, il a quitté la capitale pour aller vivre dans la jungle du Chiapas vers 1984 avec les indiens mayas. Le mot d’ordre de ces mouvements c’est de s’intégrer à la base comme travailleur, comme paysans, etc. C’est ce que le sous-commandant Marcos a fait. Il est sous-commandant pour signifier que le pouvoir ne lui appartient pas. Ce sont des indigènes et souvent des femmes qui occupent le rang de commandant.
Deuxième élément, l’évêque Samuel Ruiz a travaillé pendant longtemps à construire des communautés de base dans le Chiapas, au sein même des communautés autochtones. Inspiré par la Théologie de la libération, il y a ce mouvement de base chrétien qui apporte sa vision du monde en lien avec la soif de libération présente chez ces peuples.
Troisième élément et non le moindre, c’est l’élément indigéniste. Cela a pris des années avant que le sous-commandant Marcos ne soit accepté par les communautés indigènes comme l’un des leurs et dans des cadres très précis. Commander en obéissant serait aussi une façon de traduire cette vision de l’exercice du pouvoir chez les mayas parce que Marcos devait obéir aux bases du mouvement zapatiste et non l’inverse. S’ils ont investi les municipalités et les hôtels de ville en 1994, cette décision provenait de la base. Les critères étaient les suivants : on intervient, on fait une démonstration de force en causant le moins de perte de vie possible. Il y a eu des morts, en partie provoquée par les réactions de l’armée mexicaine.
Ils ont aussi travaillé sur une conception du temps qui est vraiment intéressante. Jérôme Baschet un intellectuel français installé au Mexique, a écrit un livre qui s’intitule : « L’étincelle zapatiste, Insurrection indienne et résistance planétaire ». Il y a une conception circulaire du temps, celle des récoltes et des saisons, et une conception linéaire du temps, celle de l’histoire. C’est un peu ce que la Bible, à travers les communautés ecclésiales de base leur a apporté. Il existe aussi une conception du temps fondée sur l’instant présent et il y a aussi celle de la société de consommation que l’on pourrait appeler le « présent perpétuel », sans mémoire et sans avenir. Il consiste à vivre dans l’hédonisme en dépensant tout sans penser au lendemain. Donc, la conception du temps, à la fois circulaire et linéaire, apportée par les zapatistes est vraiment intéressante. Il y a aussi cet appel à la résistance au néolibéralisme lancé au monde entier. À partir du moment où l’on résiste à l’ordre établi, on est zapatiste. Donc les luttes des femmes, la lutte contre le patriarcat, la lutte des anarchistes, des peuples autochtones partout dans le monde, des communautés de base, tout cela est zapatiste en un certain sens puisqu’on résiste à l’autorité qui veut nous imposer son point de vue.
Notre époque est très dure et la société civile peut représenter une alternative par rapport aux difficultés que nous vivons. Réfléchissez à cela, c’est toujours la société civile qui est attaquée. Nous devons construire la fraternité parce que c’est elle qui nous permet d’unir l’égalité et la liberté.
On peut dire que le sous-commandant Marcos s’est rempli d’une bonne part de sagesse autochtone avec le temps. Souvent, admet-il, il a été désarçonné par la sagesse des anciens. RL
J’ajouterais à ce propos que les communautés de base n’étaient pas situées à côté des communauté indigènes. Elles étaient à l’intérieur de ces dernières et cela de manière massive. Il s’y est produit un effet d’osmose où les deux dimensions ne formaient plus qu’une seule et même chose. Cela fait une société très enracinée dans ses racines plurimillénaires et qui adopte collectivement une mystique qui les conduits à la libération des structures d’oppression. Je ne sais pas pour l’élément marxiste si cela a eu une grande influence dans ce cas parce que pour eux vivre ensemble, travailler ensemble et tout partager, c’est naturel. YC
Le marxisme leur a sans doute apporté la pensée politique pour comprendre le fonctionnement de l’adversaire pour pouvoir lutter à force égale avec le gouvernement. Le besoin d’une théorie politique apparaît nécessaire au cours du processus révolutionnaire, mais il faut aussi avoir un enracinement profond. RL
Pour ce qui est de l’aspect cyclique du temps, n’oublions pas que les indigènes ont vu l’empire espagnol tombé après avoir assisté à la chute de l’empire aztèque. Lorsque les conquistadors sont arrivés au Mexique, la plupart des peuples vivaient sous la coupe des aztèques qu’ils n’aimaient pas particulièrement. Voyant l’opportunité de renverser leurs bourreaux, les peuples dominés se sont joints à Cortes pour abattre l’empire aztèque. Alors pour eux, voir l’empire capitaliste s’effondrer est quelque chose qui arrivera un jour. Ils ont cette tranquillité pérenne de dire, nous allons être encore là après. D’une façon mystérieuse, cette croyance semble préservée leur unité et même si certains quittent leur communauté pour aller vivre en ville, elles demeurent vivantes depuis 500 ans de présence européenne. Cette survie est en lien avec la possession d’un territoire comme lieu de vie et d’appartenance. YC
Au fond, on pourrait dire que la Bible est venue réactiver quelque chose de très profond qui demeurait présent dans cette culture. Est-ce que ce modèle communautaire n’a pas besoin pour fonctionner de s’appuyer sur une culture qui est forte déjà?
Cela prend une très forte cohésion sociale que l’individualisme ne permet pas d’avoir comme collectivité.
Selon moi, si l’on parvient à accorder une autonomie territoriale minimale aux communautés autochtones du Canada, celles-ci pourraient nous surprendre dans la reconquête de leurs forces vives. S’ils peuvent en tirer leur subsistance, ils pourraient y retrouver leur enracinement culturel et spirituel et aussi leur dignité humaine comprise comme acte de reconnaissance. YC
Il parait que lorsque la télévision est entrée dans les communautés nordiques, cela a marqué la fin de leur culture. Ils avaient résisté à toutes les tentatives d’assimilation, mais comme la TV c’est sans arrêt, toute la vie de la communauté s’est centrée sur la télévision. Pour d’autres plus résistants, c’est internet qui est venu dissoudre leur culture en imposant la société de consommation. En Alaska, il y a eu une entente avec le gouvernement américain de gestion de leurs propres terres, mais c’est chapeauté par une corporation. La pensée managériale est entrée dans la communauté avec une logique corporative.
Il faut comprendre que les autochtones en Amérique latine ont été soumis en servage pendant des siècles. Il n’y a pas eu de pensionnats autochtones comme ici au Canada et comme le climat est plus favorable, les communautés situées dans les montagnes ou les jungles impénétrables ont pu se maintenir avec une certaine autonomie. Le fait qu’ils étaient des peuples agriculteurs a aussi contribué à leur survivance quasi autarcique. YC
En ce moment, il y a comme une émergence d’un désir de faire communauté un peu partout dans le monde, dans les villes essentiellement. C’est comme si nous assistions à la naissance de nouvelles solidarités, un peu comme il y avait dans les villages autrefois, mais c’est différent. Que peuvent nous enseigner les zapatistes pour voir ce que nous pouvons faire ici.
C’est ce qu’on tente de construire chez Missinak. Elles ont acheté une terre à bois pour réapprendre à communier avec elles-mêmes et la nature. Elles s’efforcent de remettre leur culture en marche en réactivant d’anciens savoir comme l’artisanat, la nourriture, leurs coutumes.
Je sais que cela passe beaucoup par le niveau rituel dans ce cas-ci. Le contact avec la nature est une reprise de contact avec leur dimension spirituelle. YC
Le problème, c’est la méconnaissance de soi. On veut vivre en communauté, on se promet un paquet de choses, mais on ne se connait pas soi-même. Comment peut-on être fidèle à ce à quoi on s’engage? Il y a comme un nouveau cycle présentement. On parle d’éco-village, tant que cela ne devient pas un égo-village, ça va.
La transition énergétique risque d’influencer nos modes de vie en fonction d’un plus grand partage des transports et des espaces disponibles, voire d’une certaine mise en commun. Nous allons voir l’émergence d’une sorte d’auto organisation. On aperçoit les prémisses de ces formes nouvelles de communautés, mais cela demeure encore trop sectoriel. Ce sont des communautés d’affinités et non de proximité.
Le mot expérience suppose que l’on se place à l’extérieur pour observer le phénomène sans s’y impliquer ni intervenir dans son processus. Lorsque je suis arrivé à Québec, je me suis positionné comme observateur des groupes communautaires parce que je trouvais cela intéressant et que je cherchais comment m’impliquer. Je me suis rendu compte que le fait de me positionner de la sorte m’empêchait de m’impliquer dans le groupe. Il a fallu que je traverse cette ligne qui représente en fait un malaise. Je m’implique personnellement, il faut que je franchisse le pas. En même temps on vit un lâcher-prise. Ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin de contrôler l’ensemble du phénomène. J’ai juste besoin de m’y investir et de voir ce que cela donne. L’autre chose qui devient très difficile, c’est lorsqu’on se fixe des objectifs. Oui, cela prend une ligne de conduite pour savoir où l’on s’en va, mais si on se fixe un objectif souvent on vit des déceptions qui donne l’impression de vivre un échec. On perçoit une fin au phénomène et on se dit que l’expérience est terminée. On risque alors de retomber dans un état de lassitude où nous avons l’impression de n’avoir aucune prise. Il faut donc faire attention de la façon que l’on fixe ces objectifs. Et surtout il faut appréhender le moment où l’on va atteindre l’objectif. Comment est-ce qu’on va le vivre au niveau des émotions ? Souvent, cela peut faire la différence entre la fin d’un mouvement et l’atteinte de nos objectifs. Mais le simple fait d’en parler quand on est au cœur de la crise cela peut changer totalement le mouvement.
C’est intéressant ce que tu amènes parce que c’est justement ce que fait l’utopie. Elle se fixe des objectifs et cela produit le découragement si on ne les atteint pas. Ce qu’il faut considérer c’est que notre royaume n’est pas de ce monde. Autrement dit on ne réalisera jamais entièrement l’utopie, en partie à cause des visions divergentes qui nous habitent. La vie en société nous impose une certaine adaptation à la pluralité des points de vue, ce que les utopies historiques ont souvent niée en imposant des régimes totalitaires. Comme nous sommes très rationnels et intelligents, nous savons ce qui est bien pour les autres. Il faut admettre que nous ne pouvons pas réaliser tous nos objectifs. C’est pour cela que le maudit pouvoir que tout le monde veut avoir sur les autres pour réaliser sa propre utopie, il faut apprendre à le partager. La véritable spiritualité du pouvoir, c’est de partager ce pouvoir avec le plus de monde possible pour construire un monde autrement qui ne sera pas exactement comme je le pense, mais qui correspondra à ce qu’une bonne moyenne de gens pensent. RL
En campagne, dans leurs communautés, les mayas possèdent une éthique originale et puissante antérieure à la colonisation. Si nous prenons l’exemple de la liberté sexuelle. Il n’y a pas de liberté sexuelle chez les mayas. Les mariages ont lieu très tôt dans la vie, les époux se choisissent librement, mais avec la bénédiction de leurs parents. Lorsque deux adolescent s’éprennent l’un de l’autre, le garçon va demander la main de sa future au père de la fille. Si celui-ci accepte, il peut refuser pour des raisons d’âge, le jeune homme vient travailler gratuitement chez son futur beau-père pendant une année entière, sans avoir de relations pré-maritales. Le travail dans les champ de la belle-famille a pour but de démontrer que le jeune homme est vaillant et qu’il maîtrise assez bien les techniques agricoles pour nourrir son épouse et les enfants qu’ils auront ensemble. Ceci fait qu’il n’y a pas d’enfants qui naissent hors mariage, de grossesses d’adolescentes, ou d’enfants abandonnés. Même pendant la guerre civile au Guatemala où 200 000 autochtones ont été massacrés par les militaires au commencement des année 1980, il n’y avait pas d’orphelins à adopter. La communauté prenait à charge tous les enfants mayas comme si c’étaient leurs propres enfants. Cela leur procure une grande cohésion sociale. On observe aussi qu’il y a très peu de divorce, sauf en cas d’alcoolisme et de violence conjugale. J’ai appris que nous ne devons pas juger les autres civilisations à partir de nos critères individualiste, matérialiste et hédoniste. C’est cette éthique millénaire, qui n’est plus autant respectée qu’avant j’en conviens, qui permet aux mayas de nous observer en étant fort conscients des faiblesses de notre civilisation. Ils peuvent regarder l’histoire sur une très longue échelle de temps et s’apercevoir qu’en détruisant tout comme nous le faisons, notre société de consommation est déjà en train de s’éteindre. YC
Oui, mais tu admets qu’en ville leur mode de vie disparaît. Cela serait intéressant de voir comment, dans nos villes, nous pourrions former des communautés sur nos propres bases.
Au Québec, 50% des autochtones vivent en ville. Dans des petites localités comme à Val D’or, ils réussissent à recréer un sentiment d’appartenance pour donner corps à un esprit communautaire parce qu’ils sont moins nombreux.
Pourquoi est-ce que cela va si mal en ville? C’est parce que c’est une utopie qui a réussi. Si l’on se met à la place d’un paysan qui n’a jamais vu une ville, cela représente une utopie extraordinaire. Évidemment lorsque l’utopie est réalisée, tous les péchés de la ville apparaissent. Alors comment réapprendre à vivre en ville ? Au Québec, justement, lorsque s’est produit la révolution industrielle et que les gens sont venus vivre en ville, qu’est-ce qu’a fait le clergé qui dominait alors l’organisation sociale ? Il a créé des paroisses sous la forme des villages, regroupées autour des églises. Ils ont fait cela pour préserver les catholiques des tentations de la ville. RL
Pour la société, les communautés autonomes sont perçues comme quelque chose d’inacceptable. Elles représentent une critique et une menace de l’ensemble de la société et comme un refus de faire cause commune. Une morale sexuelle du type de celle que vive les mayas seraient inacceptables à l’aulne de la morale québécoise. La société québécoise se protège et se conforte à travers les discours d’intolérance de ces élites envers la formation d’autres corps sociaux qui lui échappent. Cette question m’apparaît troublante.
La question n’est pas d’imiter les autres civilisations, mais de trouver des moyens cohérents et équilibrer de développement pour une culture comme la nôtre en récupérant bien sûr les éléments que nos ancêtres autochtones nous ont légués : respect de la terre, harmonie avec la nature, apprendre à être bien dans son corps, une sexualité épanouie et non décadente, égalité homme-femme, des rapports pacifiques et de solidarité, de bienveillance les uns envers les autres ou comme le dit plus simplement Evo Morales : « Ne pas mentir, ne pas voler, ne pas rester oisif. » YC
Au Québec, dans les années 1950, la propagande anticommuniste du gouvernement canadien était présente jusqu’en Abitibi sur les chars allégoriques lors des festivals. Alors la mise en commun est associé au communisme dans l’inconscient collectif des Québécois, ce qui correspond à être un ennemi de l’État. Qui est-ce qui s’enrichit actuellement et qui profite du système actuel ? Répondre à cette question c’est savoir qui nous dirige réellement.
À l’opposé de cela, il y a aussi la peur des sectes qui sont des communautés à prétention absolue, souvent dirigée par un gourou incontestable qui détient la vérité et les destinées des adhérents entre ses mains. Cela fait penser au messianisme politique à plus petite échelle. Le gourou possède une hégémonie totale sur les membres de sa secte, c’est tout le contraire d’une démocratie. C’est comme une mauvaise imitation de l’utopie communautaire. Chez les mayas, il ne semble pas y avoir ce problème du maître absolu qui décide tout lui-même. Je ne sais pas, est-ce que c’est l’occidental qui a un problème avec le leadership et le pouvoir ? YC
En Occident ce sont développées des technologies qui font en sorte que les humains puissent communiquer entre eux et à de grandes distances, le téléphone, la radio, la presse. Mais les mayas n’avaient pas cela avant dans leurs montagnes. Cela fait partie des différences structurantes des rapports sociaux qui construisent la culture correspondante à cela.
Le téléphone est un outil que nous apprécions, mais il n’abolit pas la distance entre les humains.
Oui, mais il permet à des personnes de se parler sur de grandes distances.
Mais comme être humain, nous avons besoin de vivre la présence réelle. C’est l’effet pervers de la bonne chose qu’était le téléphone.
Les villes sont un mode d’organisation qui rend les gens capables de se parler et de se cordonner, d’échanger par le commerce parce que les gens sont proches, ce qui est moins vrai en campagne. Tous les moyens de transport et de communication sont structurants du social et de la culture, d’un potentiel de communauté pour la créer ou pour la nuire.
Pour permettre aux groupes de perdurer et d’évoluer, il faut accorder le plus d’espaces possibles aux contacts humains. Aujourd’hui, dans les autobus, les gens ne se parlent plus parce qu’ils sont pognés sur leur cellulaire. Les nouvelles technologies enlèvent aux rapports humains.
Il existe de nombreux livres qui parlent de projet de villes utopiques, comme la Jérusalem céleste par exemple. Mais on ne se pose jamais la question quelle sorte d’humains est-ce que cela prend pour préserver la qualité de l’utopie? On parle toujours de la rationalité du projet sans vouloir se changer soi-même. « Les femmes et les hommes éveillés ont un monde commun, les femmes et les hommes endormis ont chacun leur monde. » La société moderne avec ces bidules, télévisions et autres écrans, nous maintient dans un état de somnolence. Aujourd’hui, ce sont les masses médias qui créent la pensée commune. Une idée est transmise à la radio, les gars parlent de cela pendent leur pause à l’usine et cela devient la réalité parce que tout le monde est d’accord. Une autre coupure que cela mène, c’est celle avec notre intériorité. Plus on communique avec l’extérieur, moins on ne s’intériorise. J’ai suivi un cours intitulé : La philosophie de l’écologie. Après deux mois, nous étudions le rapport de l’être humain avec la nature comme quelque chose d’extérieur à nous et nul part on ne s’interrogeait sur ce qu’est la nature de l’homme. Nous sommes absents de nous-mêmes puis la technologie accentue cette coupure et provoque un narcissisme éhonté.
Je vois une clé dans ce que tu viens de dire. Les mayas sont connectés avec leur intériorité et cette connexion intérieure les relie les uns aux autres dans un être collectif. YC
Les mayas ont une profondeur spirituelle évidente qui se ressent en leur présence. C’est un peu comme s’ils communiquaient par leurs racines. YC
La pensée linéaire discriminative a permis à l’humanité de passer d’une psyché collective à l’individuelle. Cela nous a permis de développer le moi, la conscience de soi. Maintenant que ce noyau de conscience a été suffisamment solidifié, il faudrait apprendre à se rebrancher de façon consciente à cette trame de vie qui habite les peuples originels. Nous sommes devenus orphelins de la matrice originelle, alors il nous faut retourner vers la communauté, mais à un autre niveau. Ce véhicule de conscience a besoin d’un passeur pour le véhiculer qui est l’esprit d’une certaine manière. Deux niveaux de conscience vont se rencontrer et la noosphère va devenir présente chez l’être humain (Teilhard De Chardin). C’est en quelque sorte l’avènement de l’être humain cosmique, conscient de lui-même et de l’univers qu’il habite et qui l’habite.
Nous à Ste-Foy, nous vivons une belle expérience avec la St-Vincent-de-Paul qui a été prise en main par les gens. C’est une victoire politique, mais il ne faut pas le dire.
Actuellement nous sommes dans une civilisation de l’image. Il y a beaucoup d’images autour de nous. Cela me fait penser aux contre-utopies qui ont été imaginées comme « 1984 » de Georges Orwell ou « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Un écrivain russe, Ivegueni Zamiatine disait que pour contrôler une population il faut les lobotomiser en leur enlevant l’endroit où il y a l’imagination. Si tu leur enlèves l’imagination, ils sont sous contrôle, ils ne rêvent plus d’utopie. Ils sont contents de ce qui leur arrive et ils sont satisfaits de leur sort. Aujourd’hui, avec les images qu’on nous déverse sans interruption, nous n’avons plus besoin d’imaginer. On imagine à notre place. Une fois notre imagination disparue, c’est comme si nous étions lobotomisés. Finalement les gens n’ont plus besoin de penser et de réfléchir, ils ont besoin de pains et de jeux, de loisirs, de distractions. Alors on leur donne tout ce qu’il faut. RL
On voit nos communautés à l’extérieur, on en fait une bulle, mais n’est-ce pas à nous d’être dans une communauté d’esprit. C’est à moi à me joindre à une trame qui me préexiste. La communauté est déjà là, c’est à moi qu’il appartient de me glisser dedans à nouveau. À ce moment, je perçois l’amour et l’intelligence autour de moi. C’est à nous qu’appartient de travailler tous nos aspects humains pour devenir de meilleurs communautaires. Il faut retrouver notre unité intérieure avant de parvenir à être un avec les autres. Au fond, c’est une question d’état de conscience. Est-ce une utopie que je vois ou bien est-ce qu’il ne s’agit pas plutôt de me laisser aspirer par le mouvement ? Il faut avoir suffisamment d’espace à l’intérieur pour devenir accueillant.
Nous avons appris qu’il y a une approche linéaire et circulaire.
Chez les mayas, les discussions partent toujours de la réalité et s’adressent à des problèmes concrets, puis ils retournent à la réalité par une praxis qui est sans cesse réévaluée. Ils ont des herbes médicinales, des sages-femmes, de cliniques, des soins dentaires, des jardins communautaires, de écoles, une radio communautaire, des tribunaux, des atelier de fabrication de souliers, de vêtements, etc. Donc, ils vivent ce qu’ils disent et ils parlent à partir de leur expérience. YC
En tant qu’occidental, je peux apprendre à m’accompagner du terrain où je suis, le terrain social, amoureux, familial, communautaire, en regardant si je peux m’accompagner des forces vives qui y sont présentes. Est-ce que je peux les mobiliser ou me mobiliser à l’intérieur d’elles pour les faire surgir? Cela appel à la tête et au cœur, au senti et au mental, à l’intelligence du lieu, anciennement lorsqu’on parlait des territoires, nous parlions des génies du lieu. Nous sommes appelés à nous ouvrir dans la communauté qui est déjà là. Eux, ils ont gardé les savoirs traditionnels des plantes médicinales, de l’agriculture, etc. Est-ce que nous sommes capables de passer de savoirs en silos à une transversalité des connaissances? Cela ne nous empêche pas de rationaliser ce que nous avons d’abord perçu intuitivement, mais cela doit se faire en lien avec l’environnement. C’est ce qui sans doute permet que la rationalité fasse ce pourquoi elle est utile, opérationnaliser un enracinement qu’on perçoit et s’accompagner de… Mais la rationalité laissée seule au gouvernail, c’est une réduction du champ du réel.
Je trouve intéressant ce que tu as dit à propos du génie du lieu. Cela date d’avant le Moyen-âge et nous l’avons perdu à partir du moment où nous avons commencé à le nommer. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins présent dans notre culture parce que nous l’avons nommé comme cela et on s’en est dissocié même si cela demeure présent. C’est ce qu’on nomme le sentiment d’appartenance. Je pense qu’il faut miser là-dessus pour être capable de s’enraciner, d’avoir des coutumes et des façons de faire qui vont nous permettre de défendre nos droits, et de vivre les uns avec les autres. Ce dont nous avons parlé ce soir à propos du mouvement zapatiste, je trouve cela intéressant parce que ce sont des gens qui tiennent dur comme fer à leurs façons de vivre, et à cause des influences extérieures, ils ont été confrontés et on leur a dit que ce n’est pas comme cela qu’il faut vivre. Aujourd’hui, nous avons de la difficulté parce que nous nous faisons imposer d’autres modèles qui ne correspondent pas à ce que nous voulons vivre. C’est comme si nous étions dépossédés de nos rêves et qu’on s’en faisait imposer d’autres. On se fait toujours piéger par la rationalité, mais il faut cesser de s’en faire avec les milles et uns détails qu’elle ne cesse de mettre en travers de notre route et nous demander qu’est-ce que nous voulons vraiment ? Ce soir, c’est une victoire d’avoir pris le temps de se rencontrer, de se connaitre et de s’écouter, autrement j’aurai été seul chez-moi à lire.
Il y a un gros travail à faire pour inventer des types de communautés ici qui agiraient comme des composantes de la société civile. Progressivement les anciennes manières de réguler la société et elles sont remplacées par des manières détestables du genre de la privatisation des services publics qui a peu de qualités, mais surtout des défauts. Il faut inventer quelque chose d’autre à l’échelle de la société civile et territoriale des communautés. Je suis intéressé par le génie du lieu, mais j’appellerais plutôt cela la communauté territoriale. Ce que nous vivons actuellement, ce sont des communautés sectorielles d’affinités. Leur convergence vers un territoire de sorte que nous puissions mettre en place un certaine forme d’autogestion n’est pas encore assurée.
Pour citer Régis Debray, l’utopie est exotique, elle est toujours située au loin dans un autre pays. Chez les zapatistes, leur utopie ne consiste pas à prendre le pouvoir, mais à construire des formes d’autonomie communautaire, surtout en ce qui concerne leur pouvoir décisionnel sur leur vie. YC
Ce qui fait du bien aussi c’est de revenir aux sources, d’aller passer plusieurs jours dans le bois sans télévision ou de téléphone. Oui, c’est bien de s’entraider en cas de catastrophe naturelle, mais c’est constamment qu’il faudrait le faire parce que nous en avons de besoin à tous les jours. Des fois, lorsque quelqu’un passe au feu, on se mobilise parce que la télévision nous le demande. Il me semble que cela devrait être automatique. Ton voisin passe au feu, il vient de tout perdre, l’entre-aide doit venir automatiquement. (Il faut peut-être que l’on considère nos voisins comme des proches ?)Autrefois, c’était comme ça à la campagne. On n’attendait pas que les gens demandent de l’aide. Il y a des choses que nous avons oubliées. Il faut rallumer la flamme.
Effectivement, il faut re-territorialiser parce que nous sommes dans un processus où nous avons déterritorialiser le paysan, le citoyen, nous avons perdu nos territoires malgré tous les efforts de l’Église pour faire ressembler nos paroisses à des villages. La Théorie de la société civile consiste à prendre tous les pouvoirs qui nous reviennent et que nous sommes capables d’exercer. Ceux-ci sont immenses parce qu’avant que n’existent les sociétés civiles existaient les sociétés premières, tout était inclus là-dedans : le pouvoir politique, religieux, économique, etc. et cela marchait bien. Il existe encore des communautés comme ça parce que c’est ce qui marche le plus et ce qui a réussi le plus, sauf à certains endroits comme au Pérou avec les Incas ou au Mexique avec les Aztèques ainsi qu’au Moyen-Orient. Il y a quelques endroits où cela a dérapé. Il faut comprendre pourquoi les sociétés premières sont devenues des sociétés avec des classes sociales et des États. Il faut comprendre ce processus. Ce n’est pas écrit, mais il y a un anthropologue qui peut nous aider, c’est Pierre Glass. Il a étudié particulièrement les Tupis Guaranis au Paraguay. Alors prendre tous les pouvoirs qui nous reviennent et que nous sommes en mesure d’exercer, c’est très important. La société civile serait l’organisation politique entre les différents éléments formés des communautés de base. Un exemple de société civile que j’admire est celle du peuple tunisien qui est le seul à avoir réussi sa révolution au Printemps arabe. Différents secteurs de la société qui sont souvent en opposition ont réussi à s’entendre pour réussir à garder l’État de droits, celle-ci est la demande de la société civile car elle est aussi la gardienne de la démocratie. C’est en instituant un État de droits que la société civile a établi un certain contrôle sur l’autorité politique. Ce n’est pas parfait, mais c’est ce que nous avons trouvé de mieux jusqu’ici. Cela peut dériver si la société civile devient réactionnaire. Ce dont les gens ont besoin c’est d’avoir un certain pouvoir décisionnel et de pouvoir débattre de leurs problèmes. Il ne faut surtout pas intervenir de l’extérieur dans un débat qui agite une société parce qu’on fout le bordel. RL
Moi, je suis allé deux fois à San Cristobal de Las casas et j’admire le respect que tu as pour le peuple maya. La base du mouvement zapatiste est indienne. Les mayas sont enracinés et c’est ce qui favorise leur intégration. Ici au Québec, il y a aussi les nations algonquines que nous avons essayé d’assimiler. Je pense que nous devrions nous tourner vers les nations amérindiennes. Moi, je suis un amérindien, je suis abénakis. Nous avons juste à nous brancher sur les amérindiens pour essayer de comprendre ce qui nous arrive.
Il y a le film l’Empreinte que nous pourrions regarder ensemble pour comprendre mieux qui nous sommes comme peuple métisse.
Compte-rendu écrit par Yves Carrier
Animation : Yves Carrier et Robert Lapointe