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# 261 – Chercher un sens pour résister aux politiques d’austérité
Un petit et un grand. Deux hommes qui allaient à pied. D’abord le petit, voilà comment il était. Un gros gilet de laine noire sur ses petites épaules. Un grand sac de toile blanche par-dessus. Sur sa tête grise, une petite casquette de marin. Et ses cheveux dépassaient dessous.
Il suivait le poète avec son sac. Le poète marchait le premier et disait : « Prends », et le petit vieux prenait la pensée ou l’image que lui avait montrée le poète et la fourrait dans le sac. À la poste, ils entraient tous les deux, à la chaleur, pour faire le compte de ce qu’ils avaient ramassé et remplir leurs commandes.
Le poète fouillait dans le sac avec son grand crayon et disait : « Celle-là, on va l’envoyer à mon oncle qui est dans les affaires qui l’attend, celle-ci à l’amoureuse qui se meurt à l’hôpital, celle-là au cultivateur qu’on a chassé et la plus jolie au fils de X qui est en prison. » Parfois, ils faisaient de bien mauvaises journées. Rien. Toutes les images étaient gelées ou mortes ou pourries. Alors, ils rentraient bredouilles. Mais certains soirs, le sac était plein à crever.
Or, deux hommes forts, vêtus de cuir et d’étoffes avec des casquettes de chefs, sont venus à eux et ont dit : « Finie la vie que vous menez, il faut faire de l’argent comme tout le monde et rentrer dans l’ordre. »
Au petit vieux, on donna un camion et on lui dit « Roule et travaille ». Et on lui arracha son sac.
Le poète, on le mit dans un bureau du ministère, derrière des fiches et on lui dit : « Rends service, remplis le fiches et gagne ton pain. »
Ce n’était pas un bon calcul.
Ne recevant plu d’idées neuves, d’images ou de pensées (à part quelque rognures usées, des redites fades et contrôlée), l’amoureuse est morte, le cultivateur chassé est mort, le fils en prison est mort, l’oncle dans les affaires est mort, le petit vieux s’est jeté en bas d’un précipice avec le camion du gouvernement. Le poète remplit des fiches dans le bureau du ministère et les deux brutes sillonnent les routes, revolver au poing, surveillant ceux qui pensent ou qui flânent.
C’est un pays muet, aux villes tristes, où le monde claque des dents de froid et de peur et fait semblant d’être heureux.
Félix Leclerc, Le calepin d’un flâneur, 1961
Attentes des participantEs |
La question du sens |
Qu’est-ce qui vous blesse ? |
Quel idéal de société … |
Comment résister au non-sens ? |
Animation : Emilie Frémont-Cloutier et Yves Carrier
Nous sommes ici pour essayer de donner un sens au tsunami de coupures qui affecte toute la société. J’ai trois questions que je ferai circuler afin de nous aider à creuser le sujet ensemble. Pour le moment, j’aimerais connaître vos attentes envers le sujet de la soirée.
– Pour moi, résister à l’austérité, c’est participer aux prochaines manifestations qui sont organisées par les organismes communautaire en défense des droits.
– Nous avons fait de l’analyse conjoncturelle, économique, sociale et politique, mais c’est lorsque je m’engage dans mon quartier que je sens que j’ai une prise sur le réel. Le sens, je le trouve quand je retrouve un certain pouvoir d’agir.
– Je continue toujours le combat en me disant que si l’on veut changer quelque chose, il faut d’abord se changer soi-même et travailler au changement, c’est une manière de changer le monde. Pour cela, il faut adhérer à des causes qui correspondent à nos valeurs.
– Je pense que lorsque nous sommes confrontés à l’austérité, on doit se remettre en question au niveau des valeurs. Souvent, nous croyons que c’est une question de pouvoir qui va nous permettre de sortir ce pattern-là, qu’est l’austérité. J’en suis venu à croire que ce n’est pas tant une question de pouvoir que de remise en question et de savoir-vivre ensemble, de trouver les moyens de créer des alliances en permettant aux gens de s’exprimer et de vivre avec le groupe. Je pense que si l’on favorise davantage cette relation-là vers le groupe, l’austérité va s’estomper tranquillement pour faire place à une force qui vient du groupe et nous permettra d’avancer tout le monde ensemble.
– Nos engagements proviennent de nos valeurs. Des valeurs qui nous prennent aux tripes comme des convictions pour l’action. Devant l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés, on peut avoir le sentiment que ça nous dépasse tellement on se sent impuissant. Pour dépasser cela, il faut trouver le point d’insertion de notre engagement qui va être une action forcément partielle et limitée, mais qui produit son effet lorsqu’elle s’insère dans un mouvement où il y a plein de monde engagé, souvent sur des aspects complémentaires. Cela peut aller du service direct à une personne dans le besoin, jusqu’à une action politique. Le défi par rapport à l’austérité, comme pour tous les enjeux sociaux, c’est de définir le créneau où s’insère notre action à l’étape de vie où l’on se trouve.
– Moi, je suis venu chercher un peu d’espoir. J’essaie de vivre mes valeurs avec mes proches et je n’ai pas de temps pour me mobiliser davantage.
– Moi, c’est le mot sens qui m’a accroché. J’écris actuellement une thèse doctorale sur l’espérance, la conviction, la quête de sens. Je suis très perplexe par rapport à ce qui circule comme discours sur l’austérité qui est présentée comme une fatalité qui nous tombe dessus. Je n’ai pas de moyens personnels pour résister à l’austérité et je ne situe pas dans l’esprit de résistance sinon dans celui de construire des alternatives avec d’autres. Il y a un paradoxe entre résister à court terme aux effets de ce qui se produit à travers le monde, mais je crois aussi qu’il faut déjà préparer l’avenir en nous efforçant de construire des alternatives. Évidemment, on sent de la mauvaise foi de la part de nos dirigeants qui ont la volonté de détruire l’État pour nous livrer aux forces du marché.
Avant de changer quoi que ce soit, il faut que je change et il faut que je m’aime. J’ai l’impression de revivre une situation que j’ai vécue étant plus jeune lorsque j’étais au Mexique. J’ai choisi de prendre comme repère les valeurs de l’être humain et je vis dans une simplicité volontaire. Cela fait des années que je n’ai pas de télévision et je viens de me débrancher d’internet. Je fréquente toutes sortes de gens dans le communautaire et chez les marginaux que j’écoute et qui m’apprennent des choses que je considère très importantes pour moi. Quelles sont les valeurs présentes chez la jeunesse ? Je suis souvent désolé de constater un vide au niveau des valeurs et d’observer à quel point certains sont matérialistes. C’est important pour moi de partager mes valeurs avec des gens qui vibrent à la même fréquence. J’essaie de changer mon quotidien et je me considère comme un pauvre dans cette société même s’il m’arrive de reconnaître en moi des attitudes de petit-bourgeois. Cette société est comme un crabe qui marche par en arrière sans regarder où il va. Depuis que je suis arrivé au Canada, je n’ai pas vu d’amélioration sinon tout le contraire.
– Aujourd’hui, tout ce qu’on entend, les difficultés dans les cégeps, les écoles, les élèves, les prêts et bourses, les tarifs de garderies et les frais de santé qui augmentent. Ce sont les craintes que j’ai par rapport à l’austérité et je me dis qu’il faut s’allier les uns aux autres avec les étudiants, les syndiqués, le mouvement communautaire, les écologistes, pour lutter ensemble. C’est important parce que nous avons tous et toutes besoin les uns des autres. Oui, nous avons des valeurs, des aspirations et des désirs, mais je crois qu’en se mettant ensemble cela peut finir par rejoindre des gens qui sont peu ou pas sensibilisés. Moi je crois que plus ça va et plus on s’en va vers un rassemblement de communautés, mais pas juste une petite gagne toute seule. Ensemble avec nos frères et sœurs autochtones, ensemble avec les immigrants, ensemble avec les personnes en situation de pauvreté, pour dire au gouvernement que nous sommes tannés de subir, que ce n’est pas cela que nous voulons.
– Je retiens deux mots dans tout ce qui a été dit : résistance et espérance. Le mot résistance a été mis de l’avant par les Zapatistes et le mot espérance provient de la vie spirituelle qu’on doit développer. Il faut avoir de l’espérance pour résister. Cela tourne autour de la question du pouvoir que l’on est capable d’exercer. Celle-ci est également une question spirituelle. Ce n’est pas seulement une question matérielle, le pouvoir ne sert pas juste à corrompre. La manière spirituelle de traiter le pouvoir c’est de le partager entre nous. Le pouvoir doit être le plus partagé possible. La démocratie est possible, mais le pouvoir doit être partagé.
– Il y a trois choses qui me viennent à l’esprit. D’abord, il y a les quartiers où les gens s’organisent pour pallier aux manques suscités par le retrait de l’État de ses différents champs d’intervention. En Argentine, en Island, en Grèce, à plusieurs endroits dans le monde, l’histoire récente nous a démontré que les populations s’organisent pour répondre à leurs nécessités de base lorsque l’État faillit à sa mission de veiller au bien commun. Quand l’austérité arrive, il faut faire quelque chose et ce que les gens font c’est de s’organiser dans leur quartier pour remplacer tout ce qui est perdu : l’éducation, la santé de base, l’alimentation, le logement, la sécurité, la démocratie… Quand la Caisse Desjardins cesse d’être un mouvement coopératif, les gens vont chercher à recréer ce qui disparait. Les gens créent de cercles d’entraide, des trucs comme l’Accorderie par exemple. C’est normal que cela arrive quand le gouvernement se retire de ses responsabilités sociales. L’austérité est une démarche qui porte principalement sur la fiscalité de l’État. L’austérité est nuisible à l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est évident, parce que dans plusieurs pays du monde, le secteur public de l’économie est celui qui emploie une majorité de femmes, c’est le secteur le plus équitable, tandis que le secteur privée est le moins équitable. Alors réduire la part du secteur public c’est porter atteinte à l’égalité hommes-femmes. L’austérité crée de la pauvreté principalement chez les femmes.
– Les grandes institutions internationales ne sont pas assujetties à la volonté des États-nations, mais au contraire, elles dictent à ces dernières ce qu’elles peuvent faire ou ne pas faire. C’est comme si les différentes démocraties nationales demeuraient captives à l’intérieur de leurs frontières pendant que le marché financier et le commerce avec la mondialisation et les accords de libre-échange échappent aux différentes législations et il n’existe aucune législation internationale pour les contrôler.
« Être engagé dans son travail, c’est arriver à y trouver du sens. » Jean-Baptiste de Foucauld
Il existe trois façons d’aborder la question du sens :
*Considérer que ce sens préexiste ou qu’il a été révélé et qu’il suffit d’y adhérer.
*Considérer que ce sens est à trouver et fait l’objet d’une quête à caractère philosophique.
*Considérer que ce sens n’existe pas à priori et que seuls les acteurs peuvent en définir un, donner du sens.
Chacun peut choisir l’une de ces voies, mais ce qu’il faut absolument c’est refuser le non-sens, construire une culture de résistance face au non-sens quand il se présente. (…) Les choix politiques portent trop souvent sur des choix de moyens, et trop rarement sur des choix de finalités (des principes).
Jean-Baptiste de Foucauld,
Toulouse, janvier 2011
1 – Qu’est-ce qui vous blesse dans les politiques d’austérité ?
– Ce qui me blesse, c’est l’inégalité. Les mesures d’austérité ne toucheront pas tout le monde. Les moins fortunés vont davantage les ressentir alors que les mieux nantis ne seront pas affectés.
– C’est le sentiment d’injustice qui me vient quand j’entends parler d’austérité. C’est une injustice systématique.
– Tout me blesse. Les groupes communautaires sont menacés, comme trésorier je sais que notre existence est précaire et qu’elle se précarise de plus en plus. On ne sait même pas si on va passer l’hiver. Mais il ne faut pas être surpris, l’austérité qui s’est abattue sur la Grèce, on nous prépare au même type d’austérité qui va nous atteindre aussi au Québec à un moment donné. Les traités de libre-échange qui vont être signés au mois de décembre, c’est pire que l’AMIE, c’est pire que l’ALENA, c’est pire que tout. C’est d’ailleurs dans la revue Manière de voir, numéro 141. Des exemples de ce qui nous attend, il n’y a plus rien qui se fera hors de l’économie de marché. Avec les accords de libre-échanges, ce sont les multinationales, avec les banques internationales qui mettent la main sur tous les secteurs de l’économie. Il sera désormais interdit de faire des référendum qui vont à l’encontre des intérêts des grandes corporations internationales. Même si Syriza a réalisé un référendum, nous avons vu ce que cela a donné. Il ne faut pas voir cela comme une défaite, mais comme une tentative de résistance. Le peuple grec va résister même si le parti Syriza tremble sur ses assises. Je pense qu’il faut être au courant de ces choses-là ici au Québec parce que ce sont les mêmes choses qui nous attendent. Surtout le Québec avec toutes ses mesures sociales avec toute ses protections, avec son syndicalisme, est un mauvais exemple en Amérique du Nord qui doit absolument être liquidé. Cela fait des années que le grand capital se prépare à cela. Cela fait 45 ans qu’ils ont le désir d’ouvrir au commerce privé toutes les sphères de l’activité humaine, la santé, l’éducation, le sexe, n’importe quoi pour satisfaire au néolibéralisme. Certains pays ont déjà accepté de faire de la prostitution un commerce comme les autres. À partir du moment où plus rien n’a de la valeur, c’est fini. Il va falloir résister et avoir beaucoup d’espérance.
– Moi ce qui me blesse le plus, c’est de voir le pouvoir et le sentiment de puissance que les dirigeants politiques se donnent. Face à l’austérité, ils sont en train d’écraser les plus vulnérables et les plus pauvres. Moi, c’est ce qui me blesse le plus. Le fait que les dirigeants ne prennent pas le temps de nous écouter et de voir ce qu’on pourrait faire pour améliorer la société. Au lieu de nous dire: « Moi je sais ce qui est bon pour toi. » « Toi, retourne sur le marché du travail, ou encore ne vieillis pas trop vite parce qu’il n’y a pas de place en CHSLD. » Je ne suis pas capable d’entendre des affaires de même. Au lieu d’essayer de comprendre et de savoir ce que les gens ont besoin, ils essaient toujours de nous écraser. C’est ça qui me blesse.
– Moi, ce qui me blesse c’est le manque d’ouverture du Canada envers les réfugiés syriens. Il me semble que nous avons de la place pour les accueillir. Est-ce que les considérations économiques ne sont pas en train de nous faire perdre de vue notre devoir essentiel de solidarité envers le reste de l’humanité ?
Moi, je ressens de la frustration vis-à-vis des élus qui sont là pour administrer le bien commun et qui choisissent de fonctionner en huit-clos en passant par-dessus le consensus et la négociation avec la population. Il y a peu d’années, le Canada était considéré comme le meilleur endroit pour vivre au monde. Son économie a bien résister à la crise financière de 2008. Mais pour les plus pauvres qui subissent l’austérité, ce n’est pas le cas. Pendant ce temps, les plus riches continuent d’améliorer leur sort et de concentrer une part toujours plus grande de la richesse. Dans le commerce, on observe la disparition des petits dépanneurs et tout se concentre dans les grands supermarchés. J’observe que nous allons vers l’arrière et non vers l’avant. L’ignorance des populations est ce qui me désole le plus. Les gens sont souvent derrière le libre-marché et l’idéologie de droite qui prône l’individualisme et le repli sur soi, quand ce n’est pas directement le racisme.
Ce qui me blesse ici, c’est que je ressens une certaine révolte vis-à-vis de la trahison de nos élites envers la population du Québec, une certaine classe sociale de parvenus qui sont arrivés là en bénéficiant des conditions qui étaient en place en raison de l’État providence et qui aujourd’hui chient sur le bacul, crachent dans la soupe et veulent déconstruire ce qui a été pour l’ensemble des QuébécoisEs une approche de développement solidaire. CertainEs en ont profité plus que d’autres au point d’être capables aujourd’hui de pouvoir se comporter comme une classe sociale de nantis ayant comme projet politique de déconstruire l’État. L’austérité pour moi ce n’est pas cela le problème. C’est un symptôme planifié. Le problème c’est de déconstruire l’État avec ses programmes en agissant subtilement, à la graine, en allongeant les listes d’attente par exemple. Donc, moi c’est la révolte face à cette espèce de trahison qui produit des effets désespérant dans le fond, d’une classe sociale de nantis qui tape sur l’outil qui était bon pour tout le monde. Mon autre sentiment, c’est de la déception concernant la classe moyenne qui s’est adaptée à un niveau d’exigences et de consommation, ce qui a fait du peuple québécois des gens ultra-conformistes. Particulièrement pour les gens de la classe moyenne qui est devenue une classe sourde et aveugle à mon avis, qui entend rien, qui est difficile à mobiliser, qui va bouger quand l’austérité aura fait assez mal. Mais je pense que cela va être assez long parce que l’idéologie de la consommation qui vient avec, qui est venue aussi avec la prospérité et l’État providence, est sans cesse renforcée par les vendeurs du temple, les vendeurs de toutes natures, à tel point que les gens se sont endettés d’une façon extraordinaire. Ceci provoque une dépendance envers l’économie et provoque parfois des malheurs. Une déception donc par rapport au ressort éthique de la classe moyenne et il y a des réseaux d’intérêts et de propagande qui alimentent cette mentalité de citoyens-consommateurs.
– Moi, ce serait la tristesse de voir comment cela divise la population et exclut des personnes qui sont déjà exclues. Comment cela marginalise et stigmatise encore plus les personnes dans le besoin, comme si le fossé s’agrandissait entre ceux et celles qui peuvent et ceux et celles qui ne peuvent pas. Puis, avec mes valeurs d’égalité, de fraternité et de solidarité, je vois de plus en plus du monde qui vont avoir des propos racistes, des gens qui dramatisent la réalité parce qu’ils ne voient pas la richesse que nous avons d’être ensemble.
– Moi, c’est la déception de constater la destruction graduelle d’un système de solidarité qui s’est construit à partir d’un mouvement social de longue durée. Celui-ci a commencé à prendre forme avec la naissance du syndicalisme et des coopératives au Québec, puis il a émergé politiquement, très curieusement, avec un parti qui s’appelait libéral, mais qui à l’époque était davantage social-démocrate que libéral. Aujourd’hui, ce parti déconstruit ce que leurs prédécesseurs avaient bâti en faisant porter sur la population leurs propres erreurs de gestion. Entre autre, au moment de la création de l’Assurance maladie du Québec, il est évident qu’il n’aurait pas fallu introduire le système des médecins en pratique privée. Si à ce moment-là, il y avait eu un contrôle du salaire des médecins, mieux payés que les autres citoyens compte-tenu des heures de travail et de leurs années de formation, mais pas au niveau actuel de 240 000$ pour un généraliste. Ce n’est pas nécessaire d’avoir un train de vie si élevé puisé à même le trésor public. Cela me choque puisque nous avons un contexte de finances publiques qui pose problème, mais ce sont eux qui l’ont créé et ils continuent à s’en mettre plein les poches en prétendant le résoudre sur le dos des gens ordinaires. C’est ma révolte.
– Moi ce qui me blesse, c’est que j’ai l’impression qu’on cherche à m’insulter, qu’on me prend pour un imbécile. L’austérité est un phénomène qui se produit par lui-même, mais qu’on en soit rendu à créer de l’austérité en nous faisant croire que cela répondrait à un besoin alors qu’il est prouvé que les politiques d’austérité ne fonctionnent pas. Ce n’est pas vrai qu’on va sauver l’économie en agissant de la sorte. L’économie n’a pas besoin d’être sauvée, mais on cherche à nous entrer par la peur dans notre tête que c’est cela qu’il faut faire. C’est un concept difficile à comprendre qui est vraiment abstrait, qui nous amène à dire que les experts doivent savoir ce qu’ils font puisqu’ils sont payés pour le faire. Les gens ne vont pas chercher plus loin quel type de raisonnement se cache derrière les politiques d’austérité. Nos élites sont corrompues puisqu’ils se font de l’argent avec ces politiques-là. Ces gens-là ne considèrent pas que la richesse appartient à tout le monde, ils se l’approprient comme si cela leur était dû au simple fait qu’ils ont gagné au jeu des élections. Ça m’insulte, on me prend pour un imbécile, puis j’ai hâte qu’on trouve le moyen de contourner ce système-là et qu’on dise ça suffit !
– Avec l’histoire des réfugiés en Europe, où est-ce qu’on s’en va ? Ces gens-là quittent leur pays pour sauver leur peau. Cela démontre la nature du système qui s’installe partout sur la planète. C’est la domination des plus forts sur les peuples et les gouvernements. Ils décident qui aura accès à quoi, où et quand. C’est peut-être extrême comme vision, mais les gens ne sont pas parvenus à s’unir, ils ont du fuir leur pays à cause de la guerre. Ce n’est pas une solution si tout le monde s’en va en Europe. 500 000 personnes qui fuient leur pays en un court laps de temps, cela crée un problème économique assez considérable. Ces problèmes vont être gérés et manipulés par la liberté des puissants. Les solutions qu’ils ont imposées avec les politiques d’austérité se répercutent également sur les réfugiés qui arrivent massivement en Europe. Les problèmes financiers actuels des gouvernements vont permettre à ceux qui exercent le pouvoir financier d’imposer leurs dictats. Cette situation devrait nous faire réfléchir parce qu’il va devenir impossible d’absorber un tel flux d’immigration en si peu de temps sans rompre l’équilibre social à l’intérieur des sociétés d’accueil. Les puissants de certains pays en sont rendus à dire à leur population : « Si vous n’êtes pas contents, allez vivre ailleurs. » Mon émotion est que de plus en plus nous devons nous unir pour nous donner une pensée commune pour résister à cette ingérence du pouvoir des riches et des puissants dans la vie des différentes sociétés. Par exemple, l’association des banques prônent le libre-échange en passant par-dessus les volontés démocratiques des peuples. Il faut absolument commencer à informer les gens de la classe moyenne en descendant, qu’il faut s’unir comme les riches et les puissants l’ont déjà fait à notre insu. Même si nous sommes sur le chemin de l’appauvrissement, nous allons nous unir pour conquérir notre propre espace territorial.
– Moi, je dirais que son émotion c’est la détermination.
L’unité dans la réflexion des pauvres pour imposer nos choix et nos valeurs à ceux qui cherchent à nous exploiter.
– Toute cette crise à propos des réfugiés est une crise de guerre, l’immigration massive n’étant que la conséquence de la guerre en Syrie, en Irak, et en Libye. Si je reviens au Québec, ce que je ressens c’est la trahison des clercs, une minorité poursuivant son intérêt qui est de se hisser au niveau de la plus petite minorité des riches et des puissants, sous prétexte d’austérité, parce qu’ils veulent baisser les impôts de leurs amis fortunés. L’austérité est une invention. J’abonde aussi dans le sens de Denis, c’est la trahison qui est mon sentiment. Les radios plus belles nous servent un discours de droite qui va à l’encontre des intérêts des travailleurs et des salariés.
– Quand j’entends les propos du premier ministre du Québec et de son ministre de la solidarité sociale qui disent aux jeunes : « Allez travailler», alors qu’ils ferment les centres de locaux de développement, cela ne fait pas de sens. C’est enrageant de voir comment ils coupent l’aide aux familles, aux écoles, aux étudiants, aux chômeurs, à l’emploi, à la jeunesse, etc. Comment veux-tu qu’un jeune s’en sorte ? Les agents d’aide social sont une espèce en voie de disparition. Tu vas pour demander de l’aide au bureau d’aide sociale et tu te retrouves devant une télévision et un bouton pour répondre à tes questions. Comment les plus démunis peuvent arriver à s’en sortir lorsque toutes les formes d’aide sont coupées ? Moi, je ressens de la colère. Au fond, le message qui est envoyé aux jeunes, c’est qu’il n’y aura pas d’aide pour eux. Depuis le début de l’année, la police a retrouvé les corps de 20 jeunes qui se sont suicidés dans la région de Québec, des jeunes de 17 à 20 ans. Ils occupaient de petits emplois et lorsqu’ils ont perdu leur travail, ils ont sombré dans le désespoir. Si le gouvernement poursuit sur cette voie, il va avoir d’autres suicides sur la conscience. Lorsque quelqu’un a besoin d’aide, ce n’est pas normal qu’il n’y ait plus de services pour lui répondre.
– L’austérité, ça fait aussi des morts, il ne ment pas.
Ce qui me blesse là-dedans ? J’éprouve de la colère lorsque je vois l’effet que la société de consommation et l’austérité ont sur les gens. On formate les gens pour faire en sorte qu’ils demeurent dans l’avoir. J’ai de plus en plus le sentiment de ne pas me retrouver devant des êtres humains ou des gens auxquels on ne donne pas la possibilité d’être des êtres humains, d’être dans l’être. En fait, le fond du problème, c’est qu’on ne nous encourage même plus à avoir un horizon et un projet de société. On est dans l’avoir. C’est bien beau de couper, pourquoi fait-on cela? Dans quel but ? On est en train de construire plein d’ilots d’individus qui sont dans l’avoir et qui ne sont pas dans l’être dans leurs relations. Ce que j’espère dans tout cela, c’est que l’amour continue a mené le monde malgré tout cela. Je pense que c’est la force de la vie elle-même.
J’éprouve aussi un certain sentiment de trahison parce que je suis jeune et j’ai l’impression qu’on m’a mentie et qu’on m’a niaisée en tant que jeune lorsqu’on nous disait : « Tu vas aimer ton emploi, on va te respecter dans ton emploi, tu vas avoir un emploi stable. » Alors que c’est tout le contraire qui est devant nous. La vie, l’avenir des jeunes, on va nous traiter de paresseux lorsqu’on va vouloir prendre notre retraite. C’est comme si une élite d’une certaine génération s’était appropriée tous les acquis que la société avait mis en place, c’est comme si on cherchait à désagréger toutes les valeurs. Je ne sais pas si les gens s’en foutent ou pas, moi ce qui me mets en colère et dans l’incompréhension c’est que parfois j’ai l’impression que les Québécois n’ont aucune fierté. Je ne sais pas où elle est passée? Juste la simple suggestion de redonner la gestion de nos impôts au gouvernement fédéral, c’est quoi ça? Comment ça on accepte ça en tant que peuple ? D’abord, nous n’avons même plus une identité de peuple. On dirait que nous nous vidons de notre substance et ce n’est pas simplement une question matérielle, c’est un problème culturel. Il y a toujours un retour de balancier où l’on se fait écraser, on nous a appris à ne pas réagir, à ne pas être fiers de ce que nous sommes. On dirait qu’on se fout de tout ce que nous avons construit ensemble. Cela me met en colère de voir à quel point nous sommes mous lorsqu’il est temps de nous défendre collective ment. Pourquoi on est fait comme ça ? J’ai honte de voir qu’on ne se tient pas plus que ça.
– Moi, les mesures d’austérité, cela me déprime et je pense que pour ceux et celles qui ont une vision sociale, une vision globale de la société, c’est tout le projet commun, c’est le projet historique qui tombe à l’eau, qui est mis de côté au profit du chacun pour soi. Mais cela ne construit jamais l’histoire. L’histoire, par définition, est un projet collectif qui exprime une volonté commune d’avancer dans une direction en tant que collectivité. Qu’est-ce que je trouvais sous-jacent à cette souffrance-là c’est qu’on abandonne plein de monde en les laissant tomber dans l’indigence et le désespoir. Ma question c’est : Quel idéal de société les politiques d’austérité mettent-elles en doute ? Il y a comme une utopie qu’on porte de ce que le Québec pourrait ou devrait être qui est niée par la classe politique actuelle.
2 – Quel idéal de société les politiques d’austérité mettent-elles en doute ?
– Elles mettent en danger la société tout simplement.
– Selon moi, c’est la constatation de la force que devrait avoir le peuple. Nous élisons des gens qui ne vont pas suivre les idées du peuple. Comme disaient les Zapatistes : « Gouverner en obéissant au peuple. » La démocratie participative est la remise en question des dirigeants par la population qui se reconnait comme sujet de droit. Lorsque le peuple n’a pas conscience du pouvoir qu’il a, il se laisse conduire à l’abattoir sans en avoir conscience. Ils ne sont pas « coupables » parce qu’ils ne sont pas conscients de cela. D’autres sont bien conscients de ce qui se passe, mais ils s’en foutent, ils manipulent le peuple.
– Il semble y avoir une convergence de gens, aux différents paliers de nos gouvernements, qui semblent ne plus croire au commun, à quelque chose que nous aurions tous en commun. Ils ne croient pas que ceux qui ont quelque chose en commun puissent avoir du pouvoir dessus. Ils ne croient qu’en une société d’individus et je dirais en une société de castes où il y a une caste qui dirige, la caste financière en particulier. C’est le commun, compris à la fois comme quelque chose qui existe, s’il y a eu l’État providence c’est parce qu’il y a des choses qui ont été mises en commun. Avant ça, avec l’Église, il y avait des choses en commun de partager, des propriétés communes, le sens commun aussi. Avec l’État providence, on a placé dans toutes sortes d’institutions les manières de participer de tout le monde. Il y avait une croyance dans le fait que les gens qui avaient un intérêt dans le commun, avaient du pouvoir dessus. C’est ça qui est en train de se déconstruire. On assiste au ratatinage du commun qui est renvoyé aux individus, les médecins entrepreneurs par exemple. Ceux qui avaient un intérêt au commun ne deviennent que des clients-consommateurs. Ils perdent leur statut de citoyen à toutes fins pratique.
– Moi je dis, ce qu’il mette en doute, c’est la réalité devant eux. Autrement dit, la réalité que vivent les personnes qui vont les voir pour dénoncer ce qu’elles vivent. Les décideurs ne croient pas ce que les gens leur disent sur leurs conditions de vie. Au lieu d’aller vérifier, ils nous remettent toujours en question et en doute.
– Le triomphe du capitalisme a commencé dans les campagnes anglaises par le mouvement des enclosures où on a détourné le bien communal des villages, des paysans. C’est là qu’il faut commencer. Et l’effort d’appropriation et de destruction du bien commun se poursuit. Pour faire cela, il faut détruire la société civile et réaliser le projet de Thatcher : « Il n’y a pas de société, il n’y a que des individus. » C’est l’essence même du capitalisme.
– Ce qui est mis en doute, c’est la nécessité de rêver à un monde meilleur. Parfois les gens me pose la question : « Pourquoi voter pour un parti idéaliste? » Parce que j’ai besoin de ces idées, tandis que les autres partis politiques n’ont pas vraiment d’idées, de projets rassembleurs, ce n’est qu’un choix entre le pire et le moins pire. Au moins j’ai le droit d’imaginer que les choses peuvent s’améliorer. La mondialisation et l’austérité proviennent de la même idéologie néolibérale. Ils veulent faire croire aux gens qu’il est inutile d’analyser la situation actuelle avec l’objectif d’améliorer les choses. C’est une pensée unique qui réduit l’imagination à de nouveaux moyens pour faire de l’argent. Nous sommes aux prises avec un manque d’imagination qui semble imposer d’en-haut. Il y a plein de gens en autorité qui nous disent, dans toutes les sphères d’activités : « Ce n’est pas votre affaire, laissez ces questions aux experts. »
– Qu’est-ce que ça met en doute? C’est l’existence même de la démocratie. Quand des choses comme cela se produisent sans consulter le peuple, il est clair que la démocratie n’est pas à l’œuvre. C’est éclairant sur le fait que la structure où nous sommes actuellement n’est pas démocratique. Si on prend l’exemple des sénateurs à Ottawa, ce ne sont pas des élus, ils sont nommés. La constitution qui nous régit tout le monde n’a même pas été rédigée par le peuple. Nous avons une reine, nous vivons dans une monarchie. Une telle structure ne nous met pas à l’abri des choix arbitraires que nous voyons en ce moment. Cela met en évidence que ce système n’est pas là pour la démocratie.
– Cela met en doute que : « Chaque personne vaut plus que tout l’or du monde. » Joseph Cardijn
– Je trouve intéressant ce que tu dis à propos de la reine. Au Canada, ce n’est pas Elizabeth II la reine. C’est personne. C’est un déni de la réalité. On nous fait croire qu’il faut que ce déni soit géré par une créature mystérieuse qu’on appelle la reine. On nous fait douter de notre capacité à gérer le déni. On nous fait croire que c’est un problème incommensurable et que cela prend une personne qui nous est supérieure pour pouvoir gérer ce déni. Pourtant, un enfant de cinq ans passe ses journées à gérer des dénis, il a le sourire au visage et il trouve cela amusant. On nous fait croire que c’est gros, que c’est dure, que c’est difficile, pourtant c’est tellement simple. Il suffirait de prendre cette foutue liste de règles pour faire le ménage puis de régler le problème du déni. Quand l’élu est passé à travers le long processus d’assumer ses idéaux, de les porter devant la population et de se faire élire, il se trouve dans une situation où il est obligé de prêter allégeance à la reine. Pourtant tout l’effort qu’il y a derrière lui pour le porter jusqu’en haut, lui dit : « C’est toi qui a le droit de parler et c’est toi le chef, c’est toi qui a raison. » Systématiquement on brise ces personnes-là, parce que nous sommes plus faciles à gérer si on nous fait croire que nous ne sommes pas capables de gérer le déni. Pourquoi est-ce qu’on ne le fait pas ? Parce qu’on veut nous faire croire que nous ne sommes pas capables de gérer le déni.
– On est des peureux. Regardes aux référendums, les gens ont eu peur de perdre leurs pensions de vieillesse. On va vider vos comptes de banques. On nous fait peur et ça marche avec les Québécois.
– Moi, je n’y crois pas que nous sommes peureux. On nous faire croire que c’est trop difficile et que nous avons besoin d’un être supérieur qu’on ne peut pas toucher, auquel on voudrais croire, mais on ne sait pas c’est quoi. Ce n’est pas un idéal, il n’y a rien de constructif derrière ça, il n’y a pas de valeurs. Ce n’est pas tant de nous faire peur que de nous faire croire que nous ne sommes pas capables parce que nous sommes plus malléables dans ce temps-là. Si on avait réellement peur, nous serions difficile à gérer. C’est encore pire que si on avait peur parce qu’ainsi on se sent impuissant.
– C’est le projet de solidarité que nous avons au Québec que les politiques d’austérité mettent en doute. Il est significatif que le seul parti politique qui est encore porteur d’un projet solidaire se nomme Québec solidaire. Il représente ce qu’il reste du souci de faire porter ce projet de solidarité au niveau des rapports politiques au sein de l’État. Il y a des valeurs, des idées, pour concrétiser ces valeurs-là. C’est une bataille qui va toujours continuer. Des politiciens, il y en a qui s’en sacrent à fond, mais il y a aussi des gens qui sont en politique avec le projet de faire avancer le Québec, et habituellement, ils choisissent un parti politique où ils ont plus de chances de faire avancer leurs idées. D’autres, au contraire, sont prêts à se vendre à n’importe quel parti politique pour se faire élire. Mais il y a aussi ceux et celles qui portent un projet, qui ont une cause qui leur tient à cœur. Moi, maintenant, je vote pour des valeurs, je ne vote pas pour gagner mes élections. Quand on s’engage, on s’attend à voir advenir le Ciel sur la Terre. Quand je me suis engagé pour combattre la pauvreté, je pensais qu’à l’âge où je suis rendu maintenant, les choses seraient beaucoup mieux et qu’il y aurait une meilleure répartition de la richesse pas seulement au Québec, mais aussi entre les différentes nations et à l’intérieur de celles-ci.
(suite) Je sais maintenant que l’engagement cela dure toute une vie et que dans l’histoire il se produit des revirements inattendus. Pendant la crise économique des années 1930, les gens sont descendus beaucoup plus bas que nous. Il y a un homme qui s’appelle John Maynard Keynes qui a dit : « Stop ! » C’est un économiste prestigieux qui a écrit la Théorie générale de l’économie où il dit qu’il faut absolument que l’État soutienne la demande globale. Il faut qu’il y ait des politiques sociales et que l’État soutienne les entreprises dans l’économie pour faire tourner l’économie. Cela a fonctionné jusqu’en 1980, jusqu’à l’arrivée de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Il manque actuellement au mouvement social des économistes capables d’articuler une pensée économique alternative. Il y en a qui le disent, il y a des brides qui sortent. Ça ne se coalise pas encore assez. Il commence aussi a y avoir des médecins qui défendent la médecine publique.
– 1) La grande différence avec la crise des années 1930, c’est que la libéralisation de la finance fait en sorte que la dynamique interne à chaque État est beaucoup plus liée au système globalisé. L’État national n’est plus autant qu’avant l’espace de production du commun. Nous assistons à la remise en question de l’État-nation, donc il faut faire l’analyse des impacts que cela a sur les possibilités de retourner au Keynésianisme.
2) Pourquoi le reine? Suite au visionnement d’un documentaire à Radio-Canada sur les paradis fiscaux, nous apprenions que 60% des paradis fiscaux sont sous contrôle britannique. Ce n’est sans doute pas un hasard si on observe que l’ancien empire britannique perdure à travers les paradis fiscaux. Un empire a été remplacé par la colonisation financière des pays. Ce serait une hypothèse à vérifier.
3) Qu’est-ce qui est remis en question par les politiques d’austérité? À mon avis, ce qui est remis en question, c’est tout ce qui était mobilisateur dans notre imaginaire, tout ce qui est mobilisateur du désir humain, tout ce qui n’est pas la rationalité technocratique, utilitariste, tout ce qui n’appartient pas à la pensée binaire est évacué du champ de la conscience. À moins qu’il ne s’agisse d’un bien produit pour vendre, on ne fait pas grand cas de la dimension esthétique. Le beau, le juste et le vrai, comme disait un ancien philosophe, les trois catégories transcendantes. Cette société est ratatinée à la seule rationalité technique et utilitariste, éventuellement opérationnalisée sous forme de profits.
– J’aimerais ajouter une chose à propos des économistes qui pensent différemment, il y en a quelques-uns. Notamment avec le Club de Rome avec Samir Amin, un économiste franco-égyptien, qui dénonce la para-économie de l’École de Chicago. Il y a aussi Amartya Sen, prix Nobel d’économie, qui travaille sur les rapports entre le développement social et la liberté. Ce sont des économistes très intéressants. Il y aussi les écoles françaises qui sont beaucoup moins connues. Il y a des choses à regarder de ce côté-là.
La théorie du choix social, Amartya Sen, Nobel d’économie 1998. Dès la fin des années 1960, les principales publications de Sen ont porté sur la théorie du choix social, prolongeant les travaux de Kenneth Arrow qui a prouvé que les procédures de choix collectifs (comme le vote ou le marché) ne peuvent satisfaire les critères de démocratie (théorème d’impossibilité d’Arrow). Autrement dit, l’intérêt général ne peut être défini à partir de la simple agrégation des préférences des individus : la décision au niveau collectif doit être imposée ! |
3 – Comment résister au non sens et au cynisme ?
– Je vais répondre tout de suite parce que c’est là-dessus que je travaille depuis 35 ans. C’est une théorie sociale qui se fonde sur des valeurs humaines, citoyennes et spirituelles, les valeurs citoyennes étant encadrées par les valeurs humaines et spirituelles. Dans le cadre de cette théorie de la société civile, j’insiste sur les valeurs fondamentales, pour des valeurs publiques et des valeurs stratégiques. Juste pour vous donner une idée, des valeurs stratégiques il y en a deux qui m’ont été fournies par l’expérience de Solidarnosc en Pologne. C’est-à-dire : la vérité. —Pourquoi tu n’as pas le droit de circuler en Europe alors que la Pologne a signé les accords d’Helsinki qui permet la libre circulation des personnes dans toute l’Europe ? Pourquoi vous vous dites le Parti des travailleurs alors que vous opprimez autant les travailleurs ? – L’autre principe que nous avons appelé l’auto-limitation, consiste à mettre ensemble la liberté et la responsabilité. Savoir jusqu’où ne pas aller trop loin pour éviter la violence : dans le cas de la Pologne cela signifiait éviter l’intervention de l’Union soviétique.
Avec le temps, j’ai ajouté deux autres valeurs stratégiques : la civilité, tout ce qui constitue les rapports que nous avons entre-nous, en faisant une échelle des valeurs militantes. Il existe trois niveaux de valeurs militantes selon moi. Pour les militants, le niveau de militance le plus important c’est la militance politique. J’inverse ce principe en affirmant que le niveau de militance le plus important, c’est le niveau interpersonnel, les proches, la famille. Si nous ne sommes pas capables de s’entendre avec le voisin, il vaut mieux qu’on ne fasse pas de politique car on peut devenir dangereux. Le second niveau, c’est le niveau social, communautaire, populaire, syndical, etc.., après cela, le troisième niveau, c’est le politique. Si tu fais de la militance politique sans avoir satisfait aux deux premier niveaux, t’es un menteur et tu es dangereux, il faut te surveiller.
Une dernière valeur stratégique, c’est la liminalité. J’ai emprunté ça à un militant philippin, Nicanor Perlas qui a participé à la Conférence de Rio sur l’environnement en 1992. Liminalité peut être traduit par marginalité ou encore par résilience sociale. Cela concerne tout l’apport des personnes qui se trouvent aux limites de la société, dans sa marge, la richesse qu’ils peuvent apporter, l’effort pour se reconstruire, souvent à l’aide de la spiritualité si je prends l’exemple des alcooliques, des toxicomanes. Des gens qui reviennent à la société peuvent apporter une grande richesse spirituelle à l’ensemble de la société. Ce sont les quatre valeurs stratégiques : vérité, auto-limitation, civilité et liminalité. Scott Peck a développé ces valeurs dans sa pratique décrites dans son livre : « Ainsi pourrait être le monde ». Au fond, il suffit de se mettre à la place de l’autre.
– Pour moi, cette question est l’équivalent de : « Comment doit-on lutter contre? » La première motivation et la première vision d’une solution consiste à voir quelle chose positive pouvons-nous construire ou réformer? Il faut vouloir un monde meilleur, mais atterri dans des actions concrètes. Il faut débuter par des actions qui atteignent les gens autour de nous. Cela se situe dans la ligne de se donner une communauté de valeurs que nous construisons ensemble par l’action au service de la dignité humaine. Au lieu de penser que la personne humaine doit être punie et opprimée, ou que chacun est plus important que le tout, chacun pour soi, il faut créer un esprit commun, une communauté de pensées et d’actions. Comment y arrive-t-on concrètement ? Sur cette lancée, il faut regarder en avant et non pas en arrière. C’est sûr que nous allons rencontrer des difficultés sur notre chemins, mais il ne faut pas s’imprégner de l’idée qu’il faille démolir pour bâtir. S’il nous faut combattre certaines idées, nous ne le ferons pas en croyant dans la théorie de la table rase qui croit pouvoir créer un monde nouveau à partir de rien. Sortir de l’individualisme en me préoccupant du sort des autres est le meilleur moyen de combattre le non-sens et le cynisme. Cela commence en construisant des rapports avec les autre en les invitant à s’engager sur cette voie.
– On nous parle toujours en termes de baisses d’impôts, mais dans le fond c’est à l’égoïsme de chacun qu’on s’adresse. Il n’y a rien de collectif là-dedans, sinon la satisfaction personnelle d’avoir un coupon rabais sans m’aviser que je devrai payer lorsque j’aurai besoin d’un service de l’État ou encore que je ne recevrai aucune aide si je me retrouve dans le besoin.
– J’avais comme piste une proposition plus concrète sur ce que nous pourrions faire au CAPMO pour sortir de ce cynisme. Dans tout ce que vous avez dit est beaucoup ressorti le constat qu’il faut commencer par travailler sur soi pour changer le monde. Il y en a d’autres qui parlaient du contact avec les autres cultures et que dans le fond le sens était présent ou absent dans notre démocratie. Ce qui nous amené à faire cette présentation, c’est un texte que j’ai lu sur internet d’une association française qui s’appelle : « Démocratie et spiritualité ». Jean Baptiste de Foucauld qui est président de cette association parle de quatre éléments qui sont essentiels dans nos vies qui nous aident à refuser le non-sens pour construire une culture de résistance au non-sens quand il se présente. Il propose quatre étapes, rendez-vous à l’assemblée générale du 26 septembre pour que nous puissions en discuter. Ma proposition c’est que nous expérimentions ces quatre étapes à travers différentes activités ou rencontres du CAPMO au cours de cette année.
« Lutter contre le non-sens c’est une façon de donner du sens à son engagement. Mais cela ne peut se faire seul, la tâche est trop lourde, il faut s’organiser collectivement. Pour ce faire, il existe une quadrature du sens qui repose sur quatre piliers:
1 – Le travail personnel, et du temps à y consacrer. En particulier des lectures, car d’autres ont des choses à nous dire, à nous apprendre.
2 – Des relations avec un petit groupe, de pairs et d’amis, avec lesquels on peut échanger, être authentique et profond.
3—Sortir de la subjectivité et de la sympathie du petit groupe, en se rattachant à une tradition, c’est-à-dire une pensée qui vous précède, vous bouscule, vous interpelle, vous fait sortir de vous-mêmes.
4—S’ouvrir à l’universel, aux autres traditions, à ce qui les distingue et les rassemble. »
Ce sont quatre piliers que Foucauld nous propose pour reconstruire notre démocratie. « Le sens n’est pas qu’une question personnelle, il y a une dimension collective du sens : Délibérer, faire vivre la démocratie, c’est élaborer du sens. »
De manière plus concrète, cet automne, nous avions pensé avoir une rencontre portant sur la Spiritualité et l’identité, à la rencontre de soi et de ses racines. Cela pourrait être une soirée créative de contes, une autre rencontre pourrait porter sur la Spiritualité et la solidarité interculturelle, pour aller à la rencontre de l’autre. Sous une forme assez créative, organiser une soirée où l’on rencontrerait des gens des cultures différentes. Une troisième rencontre porterait sur Spiritualité et démocratie ou le nous de la solidarité. Expérimenter pendant une journée, comme le mouvement Occupé a développé un système de démocratie directe et construire un atelier pour expérimenter qu’est-ce que c’est. Vivre l’expérience de l’arbre à palabres africains, le cercle autochtone, différentes formes de démocratie où la parole est donnée à chacunE. C’est ce que je proposerais comme un chemin possible pour lutter contre le non-sens et nous amener à développer une culture de résistance. Ce que je trouve intéressant, c’est que c’est vraiment étape par étape, nous apprenons d’abord à nous connaitre : Qui sommes-nous ?; Comment on peut rencontrer l’autre? ; Et comment on élabore le terreau de la démocratie ? Pendant une année, j’aurais envie qu’on expérimente cela au CAPMO, mais cela reste à voir ou à enrichir. C’est simplement un canevas dont nous pourrons discuter en assemblée générale. Aujourd’hui, c’est un peu une rencontre d’introduction par rapport à une idée que nous avons développée.
– Bravo Emilie
– Je trouve ça excellent. Tantôt, ce que j’entendais, c’est que nous avons besoin d’éducation. La réponse à l’interrogation de Guy, c’est Emilie qui vient de nous la donner. J’espère que pendant la prochaine année, on va aller dans ce sens-là.
– Moi j’aimerais que nous travaillons notre définition du cynisme et je proposerais comme hypothèse que : Pour la majorité des gens, le cynisme c’est d’abord une souffrance et une déception. Une souffrance de ne pas pouvoir vivre dans ce que la société porte comme opportunité de sens et d’actions, etc., De ne pas pouvoir vivre ce qui, au fond de leur personnalité, a valeur de fondement. Le cynisme c’est d’abord et avant tout une souffrance de ne pas pouvoir vivre ce qui nous anime fondamentalement, ce qu’on a reçu en héritage de nos parents, de la culture d’une classe sociale, d’une culture religieuse qui perdure d’une certaine manière déguisée chez un certains nombre de personnes. Donc, pour lutter contre le cynisme, il est important de travailler à la production d’une culture en s’efforçant de syntoniser ce qu’il y a dans le fond du cœur de chacunE et qui est souffrant. Le sens se trouve au cœur de chaque personne, mais c’est en discutant dans un groupe qu’on perçoit qui on est et ce qui nous fait souffrir. Ce qui est au fond de l’affaire, c’est que chaque être humain est animé par plein d’autres chose que la seule rationalité technique dont je parlais tout à l’heure. Il y a plein d’autres choses que l’appât du gain qui motive l’être humain et cela vient du fond de la culture, même si celle-ci nous semble dénaturé. La culture est persistante beaucoup plus qu’on ne le pense, mais dans le cas du cynisme, elle est persistante sous la forme d’un effet de souffrance. La théorie fondamentale de cela demeure à explorer.
– La critique de la raison cynique de Peter Sloterdijk, un philosophe allemand, qui a réalisé un très bel ouvrage sur le cynisme.
– Si l’on veut garder l’élan pour l’engagement social, cela prend un groupe de ressourcement. Le CAPMO remplit cette fonction alors que d’autres groupes vont sombrer dans l’activisme sans avoir l’occasion de se ressourcer. Moi, ce qui m’a permis de durer, ça a été les groupes de ressourcement.
– Pour moi, le cynisme se fonde sur quelque chose telle que : La connaissance des causes et l’affirmation de son contraire. Au Mexique, nous avons l’exemple de l’un des hommes les plus riches de la planète, Carlos Slim, qui dit sans rire : « J’ai beaucoup travaillé pour arriver où je suis, si vous voulez devenir riches, vous n’avez qu’à faire comme moi. »
– Face à de grandes difficultés sociétales où il y a beaucoup de cynisme qui empêche les gens de contribuer concrètement au développement de la société, il y a quelque chose à faire en terme de lutter contre le cynisme.
– Quelle est la cause du cynisme ? Moi, je pense qu’on serait beaucoup mieux de tabler sur la dignité humaine comme esprit. Et ça, c’est l’aliment de la spiritualité de tout le monde, croyants ou athées, que tout le monde devrait avoir comme minimum. Et à travers cela, avec le temps, dans une évolution, ceux ou celles qui ont la foi ou des éléments religieux ou d’autres valeurs qui font partie de la vie, vont arriver à la conclusion que cela fait partie de la dignité humaine. Donc, j’ai le droit d’en parler de temps en temps. Nous allons en parler pour tout le monde et cette dignité humaine ne peut pas admettre que l’on traite des êtres humains comme des quêteux, des esclaves, ou du bétail. Alors, redonner le sens de la dignité est le commencement de la véritable spiritualité.
Applaudissement
– Cynisme, cela vient d’un mot grec qui veut dire chien. À partir de ce constant, je dirais que le cynisme est un chien qui nous mange le cœur.
Rire général
Le ministre Coiteux a l’intention d’enlever les cours de philosophie et de littérature de la formation professionnelle dans les Cégeps afin que les étudiants développent de meilleures capacités en lien avec le marché du travail. Hier soir, je lisais un article écrit par Hervi Lara au Chili qui déplorait que le gouvernement de ce pays propose la même chose pour la formation académique pré-universitaire. Après cela, dites-moi qu’il n’y a pas un plan néolibéral conçu pour réduire les espaces de délibération et de réflexion pour l’ensemble des sociétés occidentales à tout le moins. Le néolibéralisme avance les mêmes pions partout en même temps. C’est fascinant.
– Les deux fondements du capitalisme sont l’ignorance et l’individualisme. Je me suis formé auprès de ces trois écoles : la philosophie, la morale et l’éthique, qui m’ont permis de me construire une cosmovision comme être humain. Cela va faire des êtres vides, dépourvus d’une pensée critique. C’est normal que les élites veulent enlever la pensée critique de l’esprit des peuples parce qu’après deux ou trois générations, cela deviendra encore plus facile de manipuler les gens.
– Il existe deux formes de cynisme, il y a le cynisme ancien, celui de Diogène qui consiste à dire la vérité sur le pouvoir et surtout contre le pouvoir. Diogène ne respectait absolument rien. Un jour qu’Alexandre le Grand était venu le consulter, il lui dit de se tasser parce qu’il lui cachait le soleil. Maintenant, il existe un cynisme moderne qui est le cynisme du pouvoir, qui s’échappe parfois lorsqu’ils disent la vérité sur le pouvoir selon leur point de vue.
– Moi, je comprenais le cynisme comme étant un désabusement, un découragement et une démission vis-à-vis les enjeux de société.
– Le cynique dit : « Si c’est comme ça que cela fonctionne dans la société, au plus fort la poche, ben moi, je vais réussir. »
– C’est un peu comme certains politiciens font : « Moi j’ai étudié, j’ai travaillé fort pour réussir, vous autres aussi vous n’avez qu’à faire comme moi. »
– Le cynisme est un mensonge.
– Quand on dit à quelqu’un : « Veux-tu prendre ma place? » Ça c’est du cynisme aussi.
– Le cynisme dont tu parlais, c’est celui du type qui sait fort bien que le réchauffement climatique est en marche, et qui va s’acheter un gros 4X4.
– Donc, le cynique agit à l’encontre de ce que lui dicte sa conscience ?
– Un exemple de cynisme: « La politique c’est de la merde. » Ça c’est une position absolument cynique parce qu’ainsi tu te justifies de ne plus rien faire.
– Pour échapper au cynisme, le 30 septembre, on bloque !, mais pas juste pour le financement des services communautaires. Il faut voir cela comme un mouvement large qui concerne l’ensemble des citoyenNes et des secteurs sociaux.
À bientôt !
Compte-rendu écrit par Yves Carrier