#259 – Aux origines du CAPMO, les sept pas de la méthode Calama

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AUX ORIGINES DU CAPMO, LES SEPT PAS DE LA MÉTHODE CALAMA

L'INSERTION DANS LES MOUVEMENTS DE TRANSFORMATION SOCIALE

L'engagement sociale ou la militance, se pratique souvent de manière spontanée. On se mobilise sur un enjeu, cela dure un temps, puis on passe à autre chose. Pour certains individus qui ont la fibre sociale plus développée, l'engagement social devient la raison d'être de toute une vie, la motivation profonde qui les nourrit. La Méthode Calama cherchait à nommer chaque étape de cet engagement en vue de la transformation sociale pour en assurer le succès et minimiser les maladresses ou les circonstances adverses qui peuvent démotiver l'ardeur des moins aguerris. Pour durer, il faut s'armer de patience et de bienveillance et refuser de nourrir en soi toutes formes de ressentiment. L'esprit militant s'élève au-dessus des divisions et des défaites, il veille à l'unité de l'ensemble tout en nourrissant l'espoir entêté qu'un autre monde est possible. Épris de justice, il refuse le fatalisme ou le repli sur soi.

En prenant en charge la dimension humaine de la dynamique de groupe, les sept pas insistaient sur l'importance de veiller à la qualité des rapports interpersonnels qui tissent un profond sentiment d'appartenance. L'idée de départ était que ce n'est pas tant l'individu qui s'engage, qu'une équipe entière poursuivant des objectifs déterminés et approfondis en permanence par des réunions hebdomadaires où l'on discutait tantôt de stratégie et d'analyse de la conjoncture; tantôt de relations humaines au sein du groupe et de la manière dont le leadership devait être assumé de manière collective; tantôt des motivations profondes qui engagent le militant sur une route semée d'embûches et de joies demandant à s'exprimer sous forme symbolique afin d'unifier l'être et la pratique de chacunE ainsi que les différents membres dans un même esprit. Aussi, plutôt que de réprimer et d'imposer sa volonté aux autres pour satisfaire les objectifs de la lutte, ce modèle refusait de reproduire les attitudes oppressives qu'il dénonçait par ailleurs. S'engageant sur la route d'une conscience nouvelle partagée, nourrit d'un esprit de fraternité, l'engagement social pour la transformation de la réalité devenait plus concret à chaque jour. Parce que la qualité d'une révolution qui est d'abord un changement profond des valeurs culturelles, des structures économiques et sociales, passe par un changement du regard de chacun, chacune, sur soi-même et les autres.

Yves Carrier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


TABLE DES MATIÈRES

Les sept pas de la méthode
Premier pas
Deuxième pas
Troisième pas
Quatrième pas
Cinquième pas
Sixième pas
Septième pas
La triple communication

1 – Communication stratégique

2 – Communication psychologique

3 – Communication symbolique

L'impact des prêtre ouvriers


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Les sept pas de la Méthode Calama

Ce soir, je vais vous parler de l'expérience des prêtres ouvriers à l'époque du président Allende. Il s'agit d'une période révolutionnaire et de transformation sociale importante dans l'histoire de l'Amérique latine à laquelle ont participé plusieurs missionnaires québécois qui se voulaient aux côtés du peuple et du changement social. Guy Boulanger, l'un des fondateur du CAPMO, était alors impliqué dans un groupe de prêtres ouvriers qui cherchaient à s'approcher de la culture populaire pour en saisir les ressorts, les blocages et les motivations, pour les accompagner dans leurs luttes ouvrières pour l'amélioration des conditions de vie. Comme les ouvriers ne venaient plus à l'église et qu'il y avait toute une effervescence culturelle et politique, ces pasteurs d'avant-garde choisissent d'aller vers le peuple. Ils cessent alors d'attendre dans leur chapelle que le peuple vienne à eux pour recevoir des sacrements dépourvus de sens puisque étrangers au vécu et à l'histoire de celui-ci.

Cette expérience est menée dans la mine de Chuquicamata qui est alors la plus grande mine à ciel ouvert au monde. Les travailleurs résident non loin de là dans la ville de Calama qui donnera son nom à cette expérience unique par son caractère systématique qui désire marquer chaque étape de cette aventure de solidarité avec les travailleurs. L'expérience prend fin avec le Coup d'État du 13 septembre 1973 et les étrangers qui vivaient l'intésertion organique dans les mouvements de transformation sociale durent s'exiler pour ne pas tomber victime du régime militaire qui se met en place. Guy Boulanger réussit à quitter le pays avec les notes qui relatent la Méthode Calama et ses sept pas (Cette histoire est racontée dans le livre : « Théologie pratique de libération au Chili de Salvador Allende. ») Cette méthode sera reproduite dans une douzaine de pays au cours des années 1970, dont une équipe qui verra la jour au Québec et qui s'appellera Calbec, pour Calama-Québec.

Même si le CAPMO n'a pas été fondé explicitement dans le but explicite de mettre cette méthode en œuvre, des religieuses, des prêtres ouvriers, des agents de pastoral ou des laïcs engagés, qui étaient déjà insérés dans des milieux de travail pour mobiliser les travailleurs et les aider à former des syndicats, ont senti le besoin d'avoir un lieu protégé où ils pourraient échanger en toute liberté sans crainte d'être identifiés par les patrons comme étant des éléments indésirables. L'organisation sociale se fait aussi au prix d'une certaine clandestinité qui permet de réfléchir en paix. L'image que j'ai choisie représente une manifestation syndicale au cours des années 1970 au Québec, une époque où la solidarité ouvrière était de mise.

La difficulté de la révolution sociale, où le chemin vers le socialisme comme on l'appelait alors au Chili, c'est que malgré une énorme participation populaire, ce changement se voulait démocratique et, pour cela, il se déroulait à l'intérieur de la légalité bourgeoise. Le gouvernement Allende assuma le pouvoir pendant 3 ans avant d'être renversé par un Coup d'État. Cette légalité constitutionnelle agissait comme un corset sur les transformations entreprise par les bases populaires. Ceci permettait à l'opposition et aux médias de droite d'accuser sans cesse le gouvernement de l'Unité Populaire d'être hors-la-loi.


 

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Premier pas : L'exode

Rupture avec une position privilégiée. Quitter l'univers bourgeois pour s'extirper de son idéologie, de ses préjugés et de ses conditionnements sociaux qui façonnent notre identité.

Au départ, il s'agissait d'un groupe de prêtres qui étaient identifiés à l'élite puisque c'était eux qui avaient les maisons d'enseignement où le modèle élitiste était transmis en commençant par les fils et les filles de bonne famille. Les membres de l'Équipe Calama souhaitaient rompre avec ce modèle. Au Québec, une bonne partie de la population actuelle a cette mentalité qui consiste à s'identifier aux élites même si on n'en fait pas partie. La mentalité bourgeoise est fortement inculquée en nous, mentalité qui reproduit les préjugés envers les plus démunis, envers ceux et celles qui sont moins performants à l'intérieur de ce système. Même aujourd'hui, on entend des pauvres exprimés des préjugés envers les personnes en situation de pauvreté. Lorsque nous écoutions les représentants du peuple, ils sont rarement issus de la classe ouvrière et font preuve de préjugés tenaces en dénigrant ceux et celles qui n'ont pas eu la même chance qu'eux dans la vie. Donc, l'idée c'est de sortir de son confort petit-bourgeois, qui devient inévitablement le moule de l'esprit conformiste.

On sort de son milieu confortable pour se diriger vers les marges de la société. À cette époque c'était les ouvriers et les mineurs, mais même parmi ces derniers certains étaient fort bien rémunérés alors que d'autres pas du tout. L'Équipe Calama s'intègre avec les ouvriers étrangers qui étaient moins bien payés. Ici, au Québec, cela c'est exprimé par un travail avec les populations marginalisées, jeunes itinérants, populations autochtones, immigrants, personnes en situation de pauvreté, familles monoparentales, chômeurs, assistés sociaux, etc., mais aussi en occupant des emplois dans des hôtels ou des usines.

 


 

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Deuxième pas : Orientation vers la marginalité

L'idée était de rejoindre les lieux où la société apparaît dysfonctionnelle, les zones limites qui démontrent les manques et les ratés du système. Robert Lapointe, avec le principe de liminarité, nous exposait le fait que le changement ne peut provenir que de la marge, de ceux qui sont insatisfaits par la situation présente. C'est des marges que le nouveau peut apparaître. Sauf, qu'à l'époque, la marge au Chili c'était la majorité de la population. Le paradoxe c'est que ceux qui détenaient le pouvoir, sans être majoritaires, occupaient tout l'espace économique et idéologique.

– J'aimerais apporter un exemple des marges, des gens comme Jean-Paul Asselin ou Benoit Fortin, ont travaillé beaucoup avec des enfants de Duplessis qui étaient considérés comme des déficients et qui étaient payés la moitié du salaire d'un employé régulier. L'employeur recevait l'autre moitié du salaire du gouvernement parce qu'il faisait travailler des handicapés. Ces gens étaient extrêmement exclus et mis de côté. C'était des salaires de famines. Ils avaient engagés beaucoup de ces gens-là qu'on considérait comme des débiles légers parce qu'ils n'étaient pas instruit, et c'est ceux-ci que Jean-Paul et Benoit ont d'abord voulu aider en rejoignant quelques intellectuels comme moi, et aussi en s'appuyant sur des Chiliens qui étaient réfugiés au Québec après le Coup d'État.

On remarque une parenté entre la révolution chilienne et les efforts de syndicalisation au Québec dans les années 1970. Certains des réfugiés venaient du nord du Chili, des mines et des syndicats. Quand on s'y arrête, c'est complètement fou les liens qui existent entre le Québec et le Chili . D'ailleurs, je leur ai dit là-bas à quel point leur histoire a influencée notre histoire. Le Québec est connu là-bas et ils savent qui nous sommes.

Cette rupture constitue une option sociale consciente envers les démunis et les exclus comme axe identitaire. C'est l'option préférentielle pour les pauvres, comme le dit l'Église latino-américaine. Et au CAPMO nous portons aussi cette option-là puisque nous lisons toujours la réalité sociale à partir d'en bas, des pauvres et des exclus. Cela nous permet de décrypter la réalité en ayant accès à des perspectives inaccessibles à ceux et celles qui observent la réalité à partir d'une position sociale confortable ou privilégiée.

– C'est l'option des prophètes bibliques et de Jésus, mais pas nécessairement des Églises tout le temps par exemple.

 


 

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Troisième pas : identification formelle avec la marginalité

Processus d’insertion sociale dans un milieupour le comprendre de l’intérieur.

« On juge d’à partir d’où on a les pieds. » : Frei Betto

Pour comprendre une réalité, il faut avoir les deux pieds       dedans, il ne sert à rien de juger d’une situation à partir d’un point de vue extérieur. Tout est une question de perspective. Autrement dit, si tu souhaites parler des chambreurs, cela serait bien d’en faire l’expérience pendant un certain temps pour comprendre cette réalité. Sinon, on demeure dans une interprétation théorique des problématiques sociales.

Le troisième pas ne se satisfait pas d’abandonner le confort de la vie de banlieue pour observer les travailleurs, mais il implique une insertion réelle dans ces conditions d’existence. Il y a donc un déplacement de lieu physique et un renoncement à certains biens matériels. Le fait d’expérimenter la condition ouvrière implique, par exemple, de ne plus avoir de voiture et de fréquenter les mêmes commerces, de prendre le transport en commun, etc. Le but, c’est de vivre au même niveau que les gens, de la manière la plus humble possible.

*Jean-Paul habitait sur la rue Sainte-Claire dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. J’allais souvent chez lui et il était entouré de jeunes qui venaient

le visiter. Il se tenait aussi avec un groupe de jeunes qui  faisaient de la moto. 

*L’insertion parmi les classes populaires est le meilleur moyen pour aller chercher le maximum d’information en étant sur un pied d’égalité avec

les gens.

Tout à fait. Gustavo Gutierrez dit : L’option pour les pauvres implique une relation d’égale à égale avec les personnes en situation de pauvreté et cette relation devient de l’amitié. Alors que si tu demeures dans une position de chercheur, tu regardes ces personnes comme des objets de la recherche. Tu n’as pas accès à la    même position existentielle qui va motiver ton engagement parce que sans identification avec des êtres concrets et avec leurs souffrances, tu ne vas pas ressentir l’injustice comme une lutte à mener. La froideur de l’analyse empêche de voir l’être humain derrière la statistique. Elle confine à l’indifférence.


 

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Quatrième pas : Interprétation formelle de la marginalité.

 Apprendre à reconnaître les préjugés de l'oppresseur dans le discours de l'opprimé.

Reconnaître les résistances aux changements, les peurs présentes dans le milieu, les rancœurs, les divisions intestines pas toujours évidentes, les espoirs démesurés, etc.

Cela veut dire que tu te mets à réfléchir sur les conditions de vie ouvrière à partir de l'intérieur. Mais ne l'oublions pas, cette réflexion se fait en équipe, à l'intérieur d'un groupe qui partage une même visée d'insertion organique dans les mouvements de transformation sociale. Qu'est-ce que cela implique comme privation, comme dureté de la vie, comme état permanent de fatigue et d'épuisement, comme manque de temps pour lire et faire autre chose. Le monde ouvrier porte le discours des classes dominantes véhiculé par les médias de masses et il porte les mêmes préjugés que les médias colportent. Alors, les personnes en situation de pauvreté vont se dénigrer elles-mêmes et elles vont dénigrer leurs camarades qui partagent les mêmes conditions d'existence. Cela produit un faible estime de soi et une identification avec l'oppresseur comme modèle à imiter.

– Un bon exemple québécois de cela c'est : « Nous autres, on est né pour un petit pain. »

Ce graphique représente la courbe du chômage de 1946 à 1990 qui compare le Québec et l'Ontario. Le chômage au Québec est toujours plus important qu'en Ontario. Est-ce l'effet du hasard ou de politiques nationales qui dirigent les investissements vers l'Ontario et utilise le Québec comme une armée de réserve pour le marché du travail canadien?

 


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Cinquième pas : Collaboration avec les autres organismes populaires

 « La révolution débute par la prise du pouvoir, mais la radicalité des changements dépend de la qualité de sa préparation. » Guy Boulanger

Nous avons vu de prétendues révolutions comme le Printemps arabe: la Libye, l'Égypte, la Syrie, la Tunisie, etc. Comment il ne suffit pas de renverser un gouvernement pour effectuer des transformations sociales, mais qu'au contraire des soulèvements dépourvus de réflexions conduisent trop souvent à des fiascos humanitaires qui ramènent ces populations un siècle en arrière. À travers l'histoire, on peut observer combien de révolutions prématurées ont dérapées ou bien ont rapidement été récupérées par certains secteurs de la société ? Parce que la révolution ce n'est pas un soulèvement populaire, la révolution c'est une transformation culturelle en profondeur des structures, des valeurs, et de la manière même d'exercer le pouvoir. Une révolution ne consiste pas en la prise du pouvoir sans aucune idée de ce qui va remplacer la situation antérieure. Si le peuple n'a aucune idée de ce qu'il va mettre à la place de l'État qu'il souhaite renverser, il est facilement manipulable pour des intérêts obscurs qui vont profiter de l'occasion. À la limite, ce genre de soulèvement se retourne contre la population et vient légitimer le pouvoir qui se présente alors comme le gardien de l'ordre. Un ordre qui peut être injuste, mais qui devient, par ailleurs, indiscutable.

On se souvient d'un soulèvement qui a eu lieu à Londres, il y a quelques années. Alors que les étudiantEs Chiliens défilaient de manière ordonnée et réfléchie, avec des revendications claires dans les rues de Santiago, décidées démocratiquement en assemblées générales, avec un discours cohérent, les quartiers populaires de Londres se sont soulevés de manière spontanée et complètement erratique suite à des coupures drastiques du gouvernement conservateur. Ils n'y avaient ni interlocuteurs, ni revendications, simplement l'expression de la colère retenue pendant des années qui s'est exprimée par un soulèvement violent où la population a détruit et brûlé de nombreux édifices dans son propre quartier. Les autorités ont profité de ces troubles pour discréditer la classe ouvrière qui agit comme une bête enragée sans avoir d'idées ou de revendications. Ce soulèvement n'a pas connu de lendemain et au final il a renforci l'ordre établi.

Ici, au Québec, nos manifestations expriment une volonté et un désir de changement sans avoir recours à la violence. Celle-ci est toujours récupérée par l'ordre établi pour discréditer les mouvements de transformation sociale ou de résistance à la destruction de nos services publics, voire de l'environnement. Devant un système économique et une idéologie violente tels que le capitalisme et le néolibéralisme, le recours à la violence est notre ennemi. De plus, ce sont souvent les forces de l'ordre qui y ont recours. Faisons preuve d'intelligence et laissons-les se discréditer.

 


 

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Sixième pas: L'action politique

Au Chili, l'expérience de l'Équipe Calama n'a pas eu le temps d'atteindre cet objectif à cause du Coup d'État. Mais après ces événements, sous la dictature d'Augusto Pinochet, une minorité de prêtres et de religieuses courageux ont accompagné les groupes de militants, certains d'entre eux intégrants même les rangs du MIR, le Mouvement de la gauche révolutionnaire. Ici, Jean-Paul Asselin a milité au Parti québécois et au Parti communiste, d'autres ont milité à Québec Solidaire, dont Jean Ménard qui fut l'un des membres fondateurs, etc. Cet engagement témoigne d'un désir d'accompagner le peuple à travers l'histoire en visant l'instauration d'une société plus juste. Pas seulement des prêtres d'ailleurs, de nombreuses personnes militent à l'intérieur de partis politiques de manière altruiste, pas parce qu'elles se cherchent un bon emploi, mais parce qu'ils ou elles croient au bien commun et au changement social.

L'action politique requiert beaucoup de patience, d'écoute et d'accompagnement.

L'intellectuel organique ne doit pas usurper le leadership de la classe ouvrière, il accompagne la transformation sociale à partir de la conscience qui en émerge. Comme une sage-femme, il se veut à l'écoute.

– L'intellectuel organique, c'est mon idéal de vie dans mon engagement. Je viens de la classe ouvrière, j'ai fait des études universitaires jusqu'au doctorat et j'ai travaillé pendant 35 ans au Hilton. J'ai participé au syndicat, recruté par Benoit Fortin et par Jean-Paul Asselin, puis je suis venu m'impliquer au CAPMO. Alors l'intellectuel organique c'est quelqu'un qui garde sa liberté de penser et qui se lie aux classes populaires en tentant de les aider dans la mesure du possible en leur apportant des connaissances, une certaine capacité intellectuelle, une certaine rigueur.

J'ajouterais que l'on y apprend beaucoup. La militance auprès des classes populaires constitue tout une école qui transforme notre regard sur la réalité sociale.

C'est à l'intérieur d'un processus à long terme de transformation des rapports de classe, de la propriété privée des moyens de production, de la pensée politique et des appareils culturels qui doivent cesser de diffuser un mode de vie aliénant fondé sur la consommation, que se déploie l'idéal révolutionnaire.

Donc, le processus révolutionnaire débute par la reprise du pouvoir sur sa propre vie en décolonisant nos esprit et en modifiant notre agir pour faire en sorte de se libérer des obligations factices imposées par le système. Cesser de se comporter comme de simples consommateurs et chercher à produire une pensée autonome en pensant par soi-même (L'impératif moral de Kant : Apprends à penser par toi-même!)Même la musique et les arts contribuent à ce processus parce que cela amène un enrichissement du regard, un élargissement de la pensée, que si l'on se cantonne à ce qui est dit dans les médias de masse.

– Il existe une formule pour cela qui consiste à dire que nous devons prendre tous les pouvoirs qui nous reviennent et que nous sommes capables d'exercer.

 


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Septième pas : Interprétation symbolique de la réalité

Expression culturelle de la conscience révolutionnaire émergente et de ses paradigmes fondateurs.
Tout ce qu'on voit dans les manifestations qui est de l'ordre de l'expression symbolique qui vient renverser ou déconstruire le discours officiel, constitue en quelque sorte l'expression d'un autre monde en marche. Des marionnettes géantes, des masques qui caricaturent nos dirigeants, sont des exemples de subversion du pouvoir et de l'ordre établi. La dérision est le pouvoir du peuple qui consiste à dire aux dirigeants nous ne croyons plus en vos mensonges intéressés. En se moquant des puissants, on s'affranchit du fatalisme car l'humour s'est aussi libérateur.

D'ailleurs, si on observe les dictatures à travers le monde, il est étonnant de voir comment elles frappent les milieux culturels en premier. Les écrivains, les chansonniers, les poètes, les caricaturistes, ceux qui écrivent des graffitis sur les murs des villes, en plus des syndicalistes, des environnementalistes, des défenseurs des droits humains, des autochtones et des militants politiques de gauche.

Les autochtones représentent le plus bel exemple, selon moi, d'une réappropriation identitaire qui exprime la fierté d'être qui ils sont, après cinq siècles d'extermination, en intégrant la force spirituelle à leurs revendications. Les chants et les tambours sont aussi des prières qui les unissent à la Terre-Mère. À l'esprit moribond du capitalisme, ils opposent la puissance de la Nature qui refuse de se laisser abuser et détruire. Parce qu'il se situe au fondement de tout, de la vie sur Terre, leur chant est le chant de tous les humains de la Terre. Les autochtones disent à l'État canadien et au système capitaliste qu'ils sont toujours là, malgré les efforts pour les exterminer, et qu'ils vont les trouver sur leur chemin avec tous leurs projets de destruction de la Terre-Mère.

– Il est important de rappeler que l'inspiration spirituelle peut être la motivation la plus profonde pour aller vers le changement le plus total. Il semble que c'est là que réside la clé de la plus authentique transformation sociale. Cela n'apparaît pas assez dans ton discours.

Oui, c'est possible, mais je sais qu'un mouvement qui souhaite aller loin et demeurer uni doit posséder une certaine mystique de la transformation sociale qui l'amène au-delà de ces simples revendications.

– Cela prend un esprit. Même les gens qui n'ont pas la foi, font l'expérience d'un idéal dont ils font la promotion et qui va transformer le monde. Vivre dans la fraternité, ce n'est pas nécessairement quelque chose de religieux, c'est la connaissance mutuelle, l'acceptation, la reconnaissance que chacun peut apporter à la vie humaine. Certains l'interprètent de façon strictement spirituelle en ayant une référence à un créateur, d'autres vont le faire d'une autre façon, mais cela met en évidence une dimension de l'être humain qui émerge et qui peut servir d'accès à la spiritualité. La spiritualité n'est pas strictement religieuse, elle est d'abord humaine.

 


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La Tripple communication : trois réunions par semaine qui intègrent les sept pas

La Méthode était mis en pratique au moyen de trois rencontres hebdomadaires appelées communications, portant sur des aspects différents visant à renforcer la cohésion du groupe.

 


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1 – Communication stratégique

S'intéresse aux stratégies d'action pour éviter d'agir sans préparation, de manière individuelle ou irréfléchie. Sert à prévenir les dérapages et les manipulations de la part des adversaires politiques et des agents provocateurs.

On y réfléchit sur les objectifs de l'action, sur le pourquoi et le comment devons-nous apporter notre appui à telle ou telle revendication. Cherche à prévoir les cartes cachées qui conduisent le mouvement populaire dans des impasses.

À l'époque, au Chili, le discernement était plus que nécessaire pour éviter les pièges tendus par l'opposition au projet révolutionnaire du gouvernement Allende. Ainsi, les patrons organisaient des grèves pour détruire l'économie alors que les travailleurs maintenaient les usines ouvertes en assurant la production et la distribution des denrées de bases. La droite organisaient des manifestations violentes, fabriquaient des pénuries et alimentaient la contestation dans ses médias en utilisant tous les mensonges imaginables. L'extrême-droite recourait aux assassinats et aux attentats tandis que l'opposition officielle accusait le gouvernement d'incompétence et appelait l'armée à intervenir. Manifester, faire la grève, boycotter, qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire dans un tel contexte? Pendant ce temps, de plus en plus de gens de la base appuyaient le processus de transformation sociale en marche. L'Église elle-même apparaissait divisée concernant quel secteur elle entendait appuyer en défendant ses privilèges ou en cherchant le mieux être des secteurs les plus pauvres de la population. Les médias chiliens comme El Mercurio ne parlaient que de ce qui ne fonctionnait pas en exagérant souvent l'ampleur des manifestations de l'opposition, un peu comme c'est le cas actuellement au Venezuela et au Brésil, alors qu'on ne parle presque pas de la situation au Mexique ou en Colombie, pays alliés des États-Unis, qui est, de loin, beaucoup plus violente. Au fond l'information est traitée comme s'il n'y avait que la bourgeoisie qui existait, rarement s'intéresse t'on au sort des masses appauvries.

– D'ailleurs, les premières manifestations de casseroles ont été organisées par la bourgeoisie contre le gouvernement socialiste d'Allende.

Au Québec, la réflexion pouvait porter sur la question d'en faveur de qui fallait-il mener la lutte. Pour les syndiqués déjà bien confortables ou pour les plus démunis, les sans-emplois et autres ?

 


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2 – Communication psychologique

Consiste à prendre soin les uns des autres et de la qualité des rapports interpersonnels.

S'intéresse à l'écoute du senti des gens comme première libération de l'oppression interne.

Permet de libérer les tensions au sein d'un groupe et solidifie les liens.

Convergence d'idées, d'espérances, de sentiments et d'actions;

Recherche de l'intelligence collective du groupe;

Dynamique de groupe; Partage du leadership.
« La reconnaissance de ces erreurs dans l'expérimentation permet de valoriser la vie d'équipe comme expérience et élément enrichissant de la pensée et de l'action. » Guy Boulanger

Cette rencontre servait à accueillir les récrimination, les expressions de découragement, à exprimer ses frustrations pour libérer le groupe des tensions qui à la longue finiraient par miner sa cohésion interne.

C'est Guy Boulanger qui avait introduit cet aspect de l'attention qui devait être portée aux relations humaines de base dans toute vie de groupe. Bien sûr faire attention aux autres ne consistait pas à taire ce qui n'allait pas dans le comportement ou l'attitude de chacun, mais au contraire à se parler franchement dans le respect de l'autre en ayant comme perspective de fond l'amour fraternel et la charité. Cette dimension était absente chez les groupes marxistes de l'époque dont la discipline était très dure envers les membres. Cela allait au point de ne pas reconnaître les besoins affectifs des gens et qu'ils avaient une vie en-dehors de leur militance. Les accusations portées envers les camarades jugés contre-révolutionnaires pouvaient être tragiques et n'était pas exemptes d'une concurrence pour assumer l'hégémonie du leadership au sein du groupe. L'approche de la Méthode Calama apparaît à ce point de vue beaucoup plus organique et respectueuse de l'évolution de chacun. S'il est vrai que tout est politique, tout n'est pas que politique.

C'est aussi ce qu'on essaie de faire au CAPMO. Nous accueillons dans le respect l'expression du senti des gens, colère, joie, tristesse, et cela sert parfois de bougie d'allumage à une action ou une orientation que le groupe prendra. Et même si nous n'agissons pas en ce sens, le simple fait d'accueillir l'expression d'une colère ou de la détresse de certains les soulage d'un poids.
L'expression orale du ressenti possède le pouvoir mystérieux de libérer le cœur ou la conscience de ces fardeaux. D'ailleurs, c'est souvent le groupe qui apporte le soutien à ces expressions d'impuissance qui révèle un état de souffrance. Les médias sont également anxiogènes et le retour en groupe sur le traitement de l'actualité permet de dédramatiser certaines situations et d'en éclairer d'autres.

Un autre aspect de la communication psychologique c'est qu'elle est à la recherche de l'intelligence collective et du consensus afin que le groupe ne devienne pas l'objet passif de l'affirmation tyrannique de quelques individus, mais bien la résultante d'un même esprit qui agit en cohésion et de manière déterminée. Les capacités intellectuelles de certains les rendent plus habiles à l'argumentation conceptuelle, mais cela ne signifie pas qu'ils influencent toujours le groupe avec sagesse. L'autorité collective exprime cette qualité recherchée par la méthode qui est davantage fondée sur l'écoute et l'accueil du ressenti.

 


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3- Communication à caractère symbolique

Vise à révéler l'injustice, l'oppression, l'utopie, l'espoir, ou l'indignation, vis-à-vis d'une situation donnée. Peut servir à créer des rituels ou des cérémonies pour reconstruire les liens brisés et les blessures subies dans la lutte. Permet de briser l'encerclement médiatique, la résignation et le fatalisme.

La troisième communication comporte une composante spirituelle où le groupe prend le temps de se recueillir avant d'entreprendre une action. Gandhi le faisait toujours en faisant tourner son rouet. Elle recherche la cohésion entre la raison et le cœur. C'est un troisième regard porté sur la réalité qui va au-delà de l'analyse rationnelle de la réalité et du ressenti personnel des individus, se situant dans un espace plus vaste, en quête d'une utopie mobilisatrice. Par exemple, si l'amour du prochain dicte ma conduite, je dois juger des rapports humains selon une autre échelle de valeurs que le point de vue légaliste qui omet la condition existentielle de celui auquel je m'oppose.

Cette communication cherche à interpréter les besoins du peuple pour illustrer symboliquement cette conscience nouvelle qui émerge. Au Québec, l'expression symbolique à caractère religieux devient de plus en plus difficile, j'ai donc enlevé la dimension religieuse pour la remplacer par l'expression à caractère symbolique. La poésie, comme récupération de la Parole libératrice de l'inconscient collectif puisant aux sources d'une mémoire historique douloureuse, révélatrice de nos souffrances passées, exprime cette volonté tenace de survie collective, comme peuple et culture unique en Amérique du Nord.

– Au fond, il s'agit des motivations, exprimées à travers la symbolique, qui cherchent à démontrer ce qui est à l'origine de mon action transformatrice. Pour moi, est-ce que la vie a un sens qui m'inspire et me dynamise et pour laquelle je suis prêt à lutter ou bien est-ce que je n'agis que par intérêt égocentrique. Ce sont des motivations qui imprègnent ou caractérisent les actions que nous faisons. C'est important d'aborder cette dimension pour qu'il y ait un consensus de plus en plus fort au sein d'un groupe en évolution qui apprend à vivre ensemble.

Cela permet aussi de se donner une image de cette conscience nouvelle en émergence. L'expression symbolique sert à déconstruire l'image standardisée qu'on nous impose parce que même les mots sont récupérés et pervertis dans la logique des puissants. On appelle cela le Ministère de la Solidarité sociale, quelle ironie qui enlève tout son sens au mot solidarité. Ou encore la relationniste d'Hydro Québec qui vient dire sans rire aux médias : « Nous coupons l'électricité aux gens qui n'ont pas payé leurs comptes d'Hydro, par souci d'équité envers ceux et celles qui les paient. » Entendre « par souci d'équité envers ceux qui ont les moyens de payer leur compte d'électricité ». Une sociologue bolivienne, Silvia Rivera Cusicanqui, raconte que la révolution a été construite dans l'univers sémantique des langues autochtones, en Quechua et en Aymara, auxquelles les élites n'avaient pas accès afin qu'ils ne puissent pas y intervenir et en pervertir le sens. En Équateur, au Guatemala et au Chiapas, la conscience révolutionnaire est venue par les marges en utilisant les langues autochtones qui ne pouvaient être récupérées par les tenants du pouvoir. En Amérique latine, cette récupération des mots est allée jusqu'à une prétention d'avoir des gouvernements révolutionnaires dirigés par les militaires et la droite. La récupération sémantique est le premier outil de déconstruction de la conscience révolutionnaire émergente.

La Guerre de l'eau s'est déroulée à Cochabamba en Bolivie, avant le gouvernement d'Evo Morales. Fin des années 1990, inspiré par le néolibéralisme, le gouvernement bolivien décide de privatiser l'eau en vendant tous les droits d'exploitation à une multinationale française. Les populations les plus pauvres, en plus d'avoir à payer pour avoir accès à de l'eau potable, devaient payer une taxe sur l'eau de pluie. Tout cela pour satisfaire la soif de bénéfice d'une société européenne. La population s'est soulevée, disposée à mourir pour récupérer ce droit fondamental usurpée par une entreprise capitaliste. La colère du peuple a été si intense que le gouvernement, le président et tous les ministres ont du démissionner, prendre l'avion et quitter le pays. Ils n'y sont jamais revenus. Comme quoi il y a des limites à ne pas franchir même si ce sont les riches qui écrivent les lois et administrent les tribunaux en leur faveur. Le plus horrible c'est que ce comportement criminel des sociétés multinationales et des gouvernements à leur solde tend à se globaliser. Désormais, nul n'est à l'abri de l'avidité des transnationales qui ont signés des accords les favorisant dans presque tous les pays.

 


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Quel a été l'impact des prêtres ouvriers sur la société?

Moi, je pense que nous pouvons retrouver des traces dans le Mouvement Alter mondialiste, la Marche mondiale des femmes qui à ses débuts a été fortement appuyée par les communautés religieuses et leurs contacts internationaux. Dans les syndicats, notamment à la CSN, la présence des prêtres ouvriers a produit de nombreux résultats, de même à la fondation de Québec Solidaire, certains étaient présents. Au Brésil, Chico Witaker, fondateur du Forum social est un ancien permanent de JOC. Ici, combien d'organismes de coopération internationale ont été fondées par des religieux et des religieuses épris de solidarité avec nos frères et nos sœurs du sud global ? Cette trace de la Gauche révolutionnaire chrétienne en Amérique latine demeure présente. Au Québec, c'est en train de s'éteindre avec la génération qui lui a donné naissance, mais cela a eu une importance historique.

– Michel Chartrand, sans être un prêtre, appartenait à cette mouvance.

– Moi, de cette période-là au Québec, je suis intéressé à savoir quelle était la teneur, comme changement sérieux, pour arriver à un tel changement. Existe-t-il des ouvrages qui expliquent la nature et les raisons des changements qui ont transformés notre société à partir de la révolution tranquille ? Qu'est-ce qui a permis que les gens s'unissent pour avancer malgré ce qui les retardait ? Est-ce à cause de l'aide extérieure que nous avons reçu grâce au pape Jean XXIII? Il y a là quelque chose d'organique de savoir qu'il y a une volonté commune qui apparaît, agit de l'intérieur et qui est influencée en même temps par ce qui se produit à l'extérieur. Un film n'arriverait pas à révéler l'ampleur de ce mouvement qui nous a atteint. Par exemple, ce qui s'est passé au Chili s'est répercuté au Québec. Nous ne connaissons même pas l'ampleur de ce qui est arrivé, ce serait intéressant d'avoir une idée assez claire de ce que l'on voulait. Et ce que l'on voulait, est-ce que c'était vraiment bon pour nous ? Ça a donné des résultats : gratuité scolaire, soins de santé gratuits. Il y avait une préoccupation qui n'était peut-être pas religieuse, mais qui s'adressait à tout le monde. Cette solidarité sociale tend à régresser. Aujourd'hui, on voit des itinérants à Québec et à Montréal. Ici, nous vivons de manière séparée. La vie privée n'interfère pas avec la vie publique. C'est une cause de révolte de constater les séparations que nous établissons souvent nous-mêmes avec les gens qui sont à côté de nous et qui souffrent et nous ne sommes pas capables de nous motiver assez pour leur mettre la main sur l'épaule et leur donner de l'argent pour manger ou bien les inviter au Café rencontre. Je suis sûr que j'aurais de la misère à convaincre l'itinérant de me suivre. Il ne voudrait rien savoir, il aurait toutes sortes de préjugés qui lui viendraient à l'esprit. Je connais sa réaction. Nous avons beaucoup de travail à faire, des choses très simples, mais cela prend beaucoup de volonté.

– La société québécoise a connu la Révolution tranquille, personne ne l'a vue venir. C'est le Parti libéral qui l'a amenée, et personne n'avait prévu cela parce qu'avant nous étions des petits catholiques. Duplessis disait qu'un peuple peu instruit était plus facile à contrôler. Jean Lesage a compris qu'un peuple instruit est un peuple capable de se prendre en main. Ce dont monsieur parle c'est de la charité individuelle, ce n'est pas politique, c'est personnel à chacun. Moi, j'en donne de l'argent aux gens sur la rue. Ce n'est pas la Révolution tranquille qui a dit aux gens : « Aimez-vous les uns les autres. » C'est le Christ qui a dit ça. La Révolution tranquille, c'est le choix que nous avons fait d'avoir une société mieux organisée. Est-ce que le Chili a eu une révolution tranquille ?

Le processus était en marche, mais cela a été avorté par le Coup d'État et le retour à la démocratie s'est fait à l'intérieur d'un cadre constitutionnel écrit par les militaires qui favorisent la propriété privée au détriment du bien commun. J'aimerais entendre ce que Gérald Doré a à nous dire sur la Révolution tranquille.

– Même si cela a été perçu publiquement comme quelque chose qui arrivait soudainement, c'était en préparation depuis des années, avec la fondation des syndicats catholiques au début du 20ème siècle pour combattre les unions internationales, la Confédération des travailleurs catholique du Canada, la CTCC, qui est devenue plus tard la CSN. Les enseignants et les enseignantes étaient des partenaires des frères et des religieuses enseignantes et ils n'étaient presque pas payés. Comme laïcs qui avaient des familles, leur niveau de rémunération était très bas, c'est pourquoi ils se sont syndiqués, à l'initiative d'une enseignante originaire de Charlevoix, Laure Gaudreault. Pendant la grande crise économique de 1929-1939, en Angleterre, est née avec Georges Maynard Keynes une conception de l'économie où l'État devait investir pour assurer la relance. Pour soutenir l'économie, il faut que les gens aient un certain niveau de revenu, alors une conception des politiques sociales a été élaborée, qui après la guerre, a atteint le Canada. Duplessis résistait aux politiques sociales d'Ottawa, mais il y avait le Parti libéral qui portait ce projet-là. À l'intérieur de l'Église catholique, il y avait des personnes progressistes aussi. (Le père Georges-Henri Lévesque, fondateur de l'École des sciences sociales, politiques et économiques, de l'Université Laval.) D'ailleurs sur la Commission Parent siégeaient Mgr Alphonse-Marie Parent ainsi qu'une religieuse de Sainte-Croix qui ont joué des rôles clés avec Paul Gérin-Lajoie. Le Rapport Parent va donner naissance au Ministère de l'Éducation, aux polyvalentes, aux Cégeps et au réseau des Universités du Québec. Il y avait toute une société en gestation et il y avait eu une première percée dans les années 1940, avec l'élection d'Adélard Godbout qui a introduit le vote des femmes qui n'existait pas encore. Alors le Parti libéral de Jean Lesage a catalysé tout cela, mais ce n'était pas le Parti libéral d'aujourd'hui. C'était un parti social-démocrate qui portait le nom de libéral. C'était une autre conception du libéralisme qui n'avait rien à voir avec le néolibéralisme d'aujourd'hui qui est en fait un conservatisme social. Par ailleurs, Duplessis avait créé des conditions économiques et financières qui rendaient cela possible parce que la province était très peu endettée. C'était les religieux et les religieuses qui portaient une grande parti des fonctions sociales et presque sans être rémunéré.

C'était des religieuses qui formaient les infirmières, qui administraient les hôpitaux, qui enseignaient, qui dirigeaient les écoles, il y avait des frères enseignants aussi. Même les loisirs étaient développés par l'Église, l'Œuvre des terrains de jeux, l'OTJ, qui était présente dans chaque paroisse. En milieu populaire, c'était les paroisses qui développaient les équipements collectifs. Donc, le Québec avait une grosse capacité d'emprunt parce que l'État était beaucoup moins développé qu'aujourd'hui. Quand les Libéraux sont arrivés au pouvoir, ils ont créé des institutions économiques comme la Caisse de Dépôts et Placements, la nationalisation de l'hydro-électricité, des institutions qui ont permis de financer de grands changements sociaux souvent à crédit. C'est le problème des finances publiques d'aujourd'hui, mais à cette époque il y avait une table d'imposition beaucoup plus progressive. Au début, c'était l'État qui était le moteur de l'économie, puis s'est développée une classe d'affaires qui a fait un lobby pour avoir une part moins grande des impôts à payer.

D'ailleurs, Québec Solidaire dit que la façon de régler le problème des finances publiques ce n'est pas juste de couper dans les services, c'est d'aller chercher l'argent où elle est, entre les mains des plus riches parce qu'au Québec comme ailleurs dans le monde, depuis la dérive de cette Révolution tranquille, la part des riches a continuellement augmenté. Et pas seulement dans les milieux d'affaires, mais aussi des professionnelles comme les médecins. Quand les CLSC ont été créés, il y avait une tendance pour que les médecins soient salariés et que la plupart des services de santé de première ligne se fassent à travers les CLSC. Finalement, on a défait les CLSC et on a permis aux médecins de devenir des entrepreneurs qui se créent des cliniques qui sont de véritables entreprises commerciales de soins de santé, mais payées par l'Assurance maladie du Québec. D'où les problèmes des coûts de la santé qui explosent. Donc, il faut refaire tout un mouvement qui commence dans les coulisses, dans l'ombre.

Québec Solidaire a à mes yeux le programme correspondant au virage à faire, mais ils n'ont que trois députés. En même temps, ce qui est impressionnant, c'est l'engagement des jeunes dans ce parti. J'ai été dans une assemblée publique dans Limoilou et c'était rempli de jeunes. À mes yeux, c'est un parti qui est en train de prendre son emprise et de se développer alors que nous avons complètement échoué en essayant à la fin des années 1970 de créer un parti politique de gauche au Québec. Le noyau qui a parti le Mouvement socialiste était formé de Marcel Pépin, l'une des grandes figures du syndicalisme au Québec, il y avait aussi Yvon Charbonneau qui a mal tourné en devenant député libéral à Québec puis à Ottawa. Il y avait aussi Raymond Laliberté qui a été un grand syndicaliste du côté des enseignants. Il y avait trois composantes dans ce parti : syndicale, populaire et universitaire. Sauf que cela a essayé de lever dans les années 1980 quand les ratés du système communiste en Europe de l'Est et en URSS sont devenus évidents aux yeux de tous et qu'il était presque impossible d'avoir un discours socialiste. Lorraine Gaudreau a fait une étude remarquable là-dessus qui s'intitule: « Parlons politique », sur l'engagement politique des personnes de classe populaire qui s'étaient formées dans l'action, dans les mouvements, les comités, à la base. En plus, nous commencions à passer pour des dinosaures. Il y a eu un gros creux. À une époque, on ne parlait même plus de pauvreté. Quelqu'un qui parlait de ça passait pour un idiot. L'un de mes amis, Denis Fortin qui venait au CAPMO a écrit un livre qui s'appelait : « Riches contres pauvres », et même à l'Université les gens le regardaient comme quelqu'un d'étrange. Il y a eu un creux qui était bien pire que maintenant. Je trouve qu'actuellement il y a quelque chose qui se réamorce, mais ça va être long et je ne verrai sans doute pas le feu d'artifice du grand soir. Moi, ça m'encourage beaucoup. Actuellement, même si une majorité marche dans le système en espérant s'enrichir, il y a toujours une minorité à l'œuvre qui travaille au changement. On voit même des médecins pour la santé publique.

Moi, ce qui me remplit d'espoir, c'est de voir la convergence entre les Premières nations les environnementalistes, les étudiants, les mouvements communautaires, les groupes de femmes, la gauche, les syndicats, les artistes, etc.

– Je voulais partager quelque chose qui m'a marquée lors de la manifestation du 2 avril à Montréal. Lorsque nous sommes passés sous un viaduc, il y a des gens qui ont lancé des papiers de couleur sur lesquels étaient écris des poèmes de poètes québécois. Les jeunes les ramassaient et les lisaient et cela les touchaient vraiment. À voir toute la créativité présente dans les manifestations, je trouve qu'il y a quelque chose de spirituelle dans tout cela lorsqu'on cherche à faire du sens collectivement.

 

– Sommes-nous rendus à faire des réunions de cuisine clandestines ? Le gouvernement est bloqué et il n'écoute pas ce que son peuple, ses citoyens disent. On se sent ignoré et tassé alors que le gouvernement n'écoute que les riches. On dirait qu'on s'en va vers une deuxième révolution par rapport à l'austérité, par rapport à ce qui se vit, par rapport à la colère du peuple. Si le gouvernement ne se réveille pas, cela va barder tantôt.

– J'ai fait beaucoup de manifestations depuis 2012, mais cette année j'ai remarqué un fait nouveau, c'est que de plus en plus, les manifestations convergent et des gens participent à des manifs qui ne les concernent pas, simplement pour démontrer leur solidarité. Je remarque qu'il y a quelque chose qui se passe et qui m'indique que les gens commencent à se réveiller et à comprendre que même s'ils n'ont pas les mêmes revendications qu'un autre groupe, il est bénéfique d'appuyer la résistance civique qui se met en place. Même s'ils n'utilisent pas les mêmes mots pour définir leur douleur, ils commencent à se donner la main. On sort de nos créneaux et de nos chasses-gardées, et cela me donne espoir de voir ça. On commence à voir du monde qui viennent à nos manifestations même si le sujet ne les concerne pas. J'ai hâte de voir si cela va continuer comme ça, mais il semble que nous allons réussir à créer quelque chose. Quand j'entends des personnes parler des jeunes, en voulant dire qu'ils ne le sont plus et qu'ils ne peuvent plus agir, j'ai l'impression qu'il y a 40 ou 50 ans les jeunes étaient majoritaires dans la population, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas et nous avons besoin que tout le monde se mobilise. Quand je viens au CAPMO, et c'est ce que j'apprécie le plus, c'est qu'il y a des gens qui disent : « Je ne suis pas d'accord, il y a d'autres solutions. » J'en entends à chaque fois, mais ça manque beaucoup dans les mouvements. Cela prend des gens qui ont une vision et qui voient ce qui peut être amélioré, mais il faut oser quelque chose de neuf et j'aimerais voir cela plus souvent ailleurs.

– Lors de la Marche pour le climat, les autochtones étaient fiers et ils chantaient. Nous, les Québécois, nous ne chantions pas, pourquoi ? Cela manquait d'âme de notre côté.

– Les riches et les puissants ont leur projet eux aussi. Cela s'appelle libre-échange. Il y a un partenariat trans-pacifique qui est en train de se mettre en marche, avec le Japon, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Pérou, le Chili, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, et d'autres encore, pour être de plus en plus puissants. Le même partenariat se discute entre le Canada et l'Union Européenne, les États-Unis et l'Union Européenne. C'est à cela que nos chers amis Harper et Couillard se préparent, à faire entrer cet impérialisme, cette dimension mondiale, internationale, où l'économie va triompher une fois pour toute sur les acquis sociaux. La Grèce est un cas d'espèce où l'on essaie d'éradiquer la société civile pour la soumettre entièrement aux forces du marché. C'est à l'image de l'avenir, de ce qui nous attend ici si nous ne sommes pas vigilants. C'est ce qui se met en place actuellement. Ils ont leur plan et même si les gens ne sont pas d'accord avec la théorie du complot, les riches et les puissants complotent pour nous asservir et s'emparer du monde et de ses richesses. La Tricontinentale existe toujours, Europe-Amérique du Nord-Australie-Japon. On doit se préparer parce que cela va aller de pire en pire selon moi.

Au milieu des années 1960, il y a un marxiste, Ernst Bloch, qui a écrit un livre qui s'intitulait : « Le Principe espérance ». Le Principe espérance parle de cette capacité qu'ont les êtres humains de pouvoir anticiper quelque chose de mieux que la situation dans laquelle ils se trouvent. On a appelé ça l'utopie du grec « topos » lieu et « u » qui n'est pas encore, c'est-à-dire quelque chose qui n'est pas encore là, mais qu'on peut imaginer et anticiper si on s'accroche sur le potentiel de la réalité et pas seulement sur l'imaginaire, on peut arriver à faire mûrir des situations. L'Esprit souffle où il veut, mais c'est souvent en-dehors des églises dans l'engagement social désintéressé. Ces gens semblent animés par un souffle intérieur plus grand qu'eux-mêmes.

– Le nœud de l'affaire, à mon sens, c'est de travailler ensemble. Renforcés dans cette perspective, il faut travailler au niveau de sortir de soi et de l'égocentrisme, du « mi, myself and I », et de vouloir faire ses affaires tout seul. Tu ne changeras pas le monde tout seul. Ça sert à rien d'essayer et je pense que ce n'est pas logique non plus. Mais travailler ensemble, avec une petite tendance à dire qu'il faut apprendre toute notre vie à travailler ensemble. Ça s'apprend et ça se perfectionne constamment. C'est peut-être une base de cet esprit de vouloir construire ensemble un monde meilleur, mais cela ne se réalisera pas si on ne débute pas par réaliser autour de soi des pas vers ce monde meilleur. Meilleur pas seulement pour moi, mais pour tous, pour que les populations vivent dans le respect et dans l'amour véritable et non pas seulement un moyen d'affaire pour faire des profits ou des choses semblables. Je pense que l'expérience de la Méthode Calama est fondée sur la perspective de confier à une équipe d'ouvrir des chemins ou de faire des tentatives ou des essais pour que les gens puissent s'y référer et trouver des moyens d'aller plus loin. Dans nos conversations, nous avons parlé de cet esprit, mais nous n'avons pas beaucoup parlé de la tendance, capitaliste au fond, qui est derrière, centrée sur mon profit personnel, faire de l'argent pour moi, pour avoir une vie confortable. Notre civilisation actuelle est fondée sur l'individualisme. Tout le monde doit s'impliquer, même les vieux qui pensent qu'ils vont se reposer à la retraite et se replier sur eux-mêmes. Je pense que la meilleure façon de vivre la vieillesse, c'est d'être actif avec d'autres. Guy Boulanger

– Oui, mais moi je n'ai pas de lieu. Je n'ai pas d'Église ou de monastère.

– Tu n'as pas besoin de ça. Il y a plein d'organismes qui existent pour s'impliquer et offrir tes services.
Il faut connaître les gens, je me sens gêné.

– Non, tu n'as pas besoin de connaitre les gens. C'est ouvert à tous et à toutes.

– Je trouve cela fondamental comme question l'insertion dans les groupes de base. Il ne faut pas que les gens de l'extérieur perçoivent ceux-ci comme des petites cliques fermées.

– Les groupes c'est comme n'importe quelle structure où l'on retrouve toute sorte de monde, il y en a avec qui tu communiques mieux et avec d'autres moins, parfois il y a des conflits ou des frictions, mais c'est l'orientation du groupe qui permet de dépasser cela et de développer des solidarités. C'est souffrant par bout l'engagement et la participation dans des groupes.

– On appelle ça un militant. C'est vrai que l'on donne sa vie, mais sans s'en apercevoir. On s'insère dans un groupe et cela devient notre loisir, notre vie sociale, notre engagement citoyen, notre passion et notre raison d'être.

– Il existe trois niveaux d'implication pour les militants, mais le plus important c'est celui des relations interpersonnelles. Comment construire l'amitié entre les personnes qui militent dans un groupe. Ensuite, tu as le niveau social, syndical, populaire, etc., après c'est le niveau politique. Si tu commences par le niveau politique et que tu négliges les deux autres, tu es un sacré menteur. C'est pourquoi notre militance doit débuter au niveau interpersonnel. Le plus important c'est d'abord de s'entendre avec celui qui milite à tes côtés, c'est la base de l'engagement social.

Propos recueillis par Yves Carrier

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