Soirée mensuelle d’octobre 2023
Ce soir Mario Gil va nous parler de son ami Antonio Gramsci.
Quand on pense à Gramsci, on pense à un intellectuel, un communiste, un philosophe italien emprisonné de nombreuse années à l’époque de Mussolini. Il est né à Arles en 1891 et il est décédé à sa sortie de prison à Rome en 1937. C’est l’un des fondateurs du parti communiste italien avec Amadeo Bordiga. Il avait une pensée différente du marxisme dans la lutte du communisme contre le capitalisme. Gramsci parlait surtout de stratégie politique qu’il voyait comme une lutte sur plusieurs fronts pour contrer l’hégémonie culturelle de la classe dominante et favoriser l’émergence d’un culture ouvrière consciente de sa condition d’oppression par le capital.
J’aimerais que nous parlions ce soir de stratégies d’action communautaire et d’action politique. C’est ce qui m’interpelle le plus du personnage de Gramsci c’est qu’il déclenche une réflexion politique. J’ai l’habitude d’interagir avec un groupe lorsque je fais une présentation alors pour commencer j’aimerais que vous me disiez : Qu’est-ce que c’est pour vous la culture ? MG
* Il y a toutes sortes de cultures, il y a la culture populaire, la culture du jardin ?
Quand tu penses à la culture populaire, à quoi tu penses ? MG
* Je pense aux organismes qui se regroupent pour essayer de lutter ou de se battre pour des choses. Prenons la pauvreté par exemple, cela fait partie de la culture. Il faut lutter pour améliorer les conditions de vie des gens.
C’est intéressant comme idée. MG
* Je pense que c’est ce qui caractérise un peuple en particulier. Cela inclut ce qu’il mange, de quoi il se nourrit intellectuellement, quel est son intérêt; cela veut aussi dire une manière d’être, le langage. Quand on pense à culture aussi on pense souvent au théâtre, à l’art, les peintres font aussi partie de la culture.
* C’est une expression humaine en correspondance avec notre racine, nos ancêtres, notre folklore, notre expression. C’est lier à toutes les manières d’être, aux façons qu’ont les gens de s’exprimer. Par exemple, l’agriculture, la tradition musicale, la poésie, la gastronomie, ce sont toutes des expressions qui sont liées à notre humanité.
* Je pense que la culture c’est une rencontre de mon identité. D’où est-ce que je viens? Ça c’est ma culture. Quand je suis venir vivre au Québec, je suis venue avec une autre culture et je me suis insérée dans une nouvelle culture à laquelle j’ai du m’adapter. Je dois apprendre à la connaitre, à la respecter et à l’aimer. C’est l’ensemble de tout ce qui compose la communauté. Les apports de chacun, chacune, contribuent à la richesse culturelle. Cela m’enrichit. J’ai ma culture qui vient d’ailleurs, mais chacun est porteur d’éléments culturels qu’il me partage. Il y a une culture individuelle, une culture familiale et une culture collective.
* Contrairement à elle, selon moi la culture est quelque chose de collectif et en augmentation. Les apports de chacun accroissent la culture, c’est la richesse humaine.
* Selon moi, il y a aussi toute la culture politique. Les lois, les valeurs, les normes, les règles de vie en société qui font aussi partie de la culture d’un endroit. Il y a aussi les traditions de chaque pays comme les repas traditionnels.
À quoi te fait penser la culture politique ? MG
* La culture politique, c’est ce qui régit un pays avec des lois qui sont propres à notre vision. Quelle soit bonne ou mauvaise. Il y a aussi une culture qui est liée à notre passé. Le politique a un lien avec le passé, le présent et le futur.
* Pour moi, la culture c’est quelque chose de communautaire qui fait partie des valeurs qu’on apprend depuis qu’on est tout petit. Ces valeurs sont ce qui nous fait penser en communauté avant que cela devienne quelque chose de politique. Le fait de penser aux besoins de la communauté, c’est politique à quelque part. Évidemment, nous héritons notre culture de nos ancêtres. C’est un bagage qui vient de loin. Cela fait qu’aujourd’hui nous avons certaines valeurs, une certaine façon de voir le monde et une certaine façon de vivre. Tout est une construction. De fait, la culture est une construction dans toutes les dimensions de la société. C’est pour cela que nous devenons communautaires. Par contre, je suis aussi d’accord avec Leonora parce qu’elle explique que la culture est aussi quelque chose d’autonome. Pourquoi ? Parce que même si nous appartenons à une communauté et à une façon de penser, de voir les choses et de les valoriser, à partir de nos valeurs personnelles, on peut adhérer à une culture.
C’est ce que nous apprenons quand nous passons d’une culture à une autre. Débattre de ses idées, c’est aussi quelque chose de culturelle. MG
* La culture, c’est la façon que nous avons de socialiser. Les universitaires vont appeler ça la culture. C’est un mélange d’accords, de connaissances et de sentiments que possède une collectivité. Elle est sur-imprimée à travers les arts, les médias, voire l’éducation. La culture actuelle ne touche pas la partie de l’humain qui est l’être plutôt que la personnalité. On peut aussi l’appeler l’essence. Nous sommes tellement socialisés aujourd’hui et périphérique à nous-mêmes, que nous oublions que nous avons un centre. En ce sens, cela finit par produire une culture matérialiste. C’est dans la profondeur de l’être que se situe le liant commun. Les liens se forment au niveau de la culture, ils recouvrent un ensemble d’intérêts et de sentiments. L’aspect qui nous lie en profondeur est commun à l’ensemble de l’humanité. C’est comme la mer, dont chacune des vagues n’est qu’une émanation du tout. Notre société aujourd’hui, fuit cette profondeur. La culture est importante, mais l’être et l’essence aussi sont importants. Comme communauté, on peut se donner des moyens. Les religions sont d’ordre communautaire. La science dit, si cela tombe sous les sens, les yeux, les oreilles, le touché, c’est scientifique, mais il existe d’autres formes de connaissances que la science. Les artistes permettent la régénération des sociétés, mais quand tu es devenu un technocrate, il y a un problème. Tu gères la société, tu ne la régénère pas.
* Selon moi, la culture c’est une manière de faire. Cela prend cependant des moyens économiques à la base. C’est comme l’infrastructure dont on a besoin pour gagner sa vie. Une fois qu’on réussit à se débrouiller dans l’économie, on peut s’élever un peu plus, faire des institutions pour préserver l’économie, et pour avoir du plaisir et du loisir. La culture se situe dans la superstructure d’une société.
* Tout est vrai dans ce qui a été dit. Pour Freire, la culture c’est ce que les gens font. Alors, les pêcheurs savent faire des bateau, ils connaissent la mer, quand et où pêcher le poisson, comment le préparer pour le conserver, où le vendre, etc. Ainsi de suite pour tous les métiers traditionnels. Autrefois, c’était plus évident quand les différents métiers étaient davantage enracinés dans le territoire. Si on prend le Québec, comme tous les peuples, nous sommes marqués par notre histoire, notre territoire, son immensité, le climat, sa rigueur implacable. Si je reviens à Karl Gustav Jung qui parlait de l’inconscient collectif, nous portons tous et toutes un inconscient personnel, familial, national et universel, c’est pourquoi ce qui se passe à Gaza nous affecte tous, du moment que nous sommes des êtres humains. Donc, on porte en héritage une culture, cela inclut également les traumatismes des générations passées, mais aussi les espoirs et les bonnes choses qui ont été vécues. Ici, nous avons développé une culture assez pacifique, pourtant nous avons le sport national qui est le plus violent.
C’est vrai que la population du Québec a voté à plusieurs reprises contre la guerre. On a parlé d’identité. Monique a parlé des groupes communautaires. Est-ce qu’il y a une culture ? Oui, parce qu’il y a une façon de faire, des valeurs qui se vivent. Par exemple, tout le monde songe à être un peu plus végétarien, on utilise davantage le vélo. Quoi d’autres s’inspirent du mouvement communautaire ? Quelles sont les valeurs qui nous inspirent ? MG
* L’entraide, le partage.
On pense aux autres. MG
* Les valeurs sociales.
* Le transfert de connaissances.
* Les valeurs familiales.
* Le respect des différentes communautés, immigrantes, groupes de personnes handicapées, en santé mentale, LGBTQ+. Tout ce qui est marginalisé par la société.
La reconnaissance de cette diversité pour avoir de l’inclusion, c’est le sens que nous allons prendre pour entrer dans Gramsci. La culture avec l’identité propre et l’identité de l’autre, comment est-ce qu’on s’intègre?, etc. Pour nous, c’est un enjeu important. Savoir où est-ce qu’on vit?, comment est-ce qu’on entre en relation? Cette relation est compliquée entre les cultures. Si tu prends un couple qui fonde une famille, ce sont deux cultures familiales qui entrent en confrontation. C’est une relation interculturelle. Pourquoi ? Parce que chaque famille a sa façon de faire. Comment ces valeurs réussissent à se rejoindre? Cela prend une volonté, un intérêt, un souhait. Il y a aussi ce qu’on appelle l’amour. Nous avons parlé du sens commun, comment la majorité adhère à une idée collective. On peut le voir dans la société québécoise. On va essayer d’approfondir cette idée. Quand on apprend par la culture, on parle de choses qui à première vue semblent évidentes. Il y a la manière de faire et la question économique. La géographie c’est important. Qu’est-ce que je fais, avec ce que je vis ? La majorité des Québécois et des Québécoises vivent au bord d’un cours d’eau ou d’un lac. On peut dire que c’est une culture riveraine. Beaucoup de monde pêche. L’été, nous sommes habitués d’aller nous promener au bord de l’eau qui est toujours proche de notre géographie culturelle. La culture est en relation avec la géographie et avec ce qu’on mange. Bourdieu disait que même les goûts pour certains mets se développent dans l’enfance, ce sont des apprentissages culturels. En grandissant, la culture dominante m’impose ses choix. L’idée que quelque chose est raffinée influence notre raisonnement. Certains éléments rationnels me donnent une relation avec l’alimentation, mais ma première expérience était spontanée et irrationnelle. La culture est quelque chose qu’on apprend et que nous construisons, mais cette relation n’est pas univoque. La pratique est différente. Est-ce que les gens qui vivent dans le milieu communautaire ont la même culture, les mêmes valeurs que ceux et celles qui vivent dans la richesse? Quelles sont les aspirations du milieu des affaires ? MG
* C’est très différent, ils recherchent l’argent. Leurs pensées sont plus individuelles ou familiales. Ils vivent dans leur petit monde.
Lorsqu’on travaille dans le milieu communautaire, on ne pense pas qu’à soi, on pense davantage à la communauté. Même si nous ne sommes pas nombreux, pour nous l’important c’est la communauté élargie. La culture communautaire, c’est plus solidaire tandis que la culture du monde des affaires, c’est de faire plus d’argent.
* Je dirais que c’est plus sélectif ou exclusif. C’est une question de moyens.
* C’est moins inclusif.
* Je pense que malheureusement, notre héritage occidental est davantage individualiste. C’est à moi! Au contraire, la majorité des cultures autochtones sont liées à une culture collective. On travaille en commun et on partage les fruits du travail ensemble. Ils n’ont même pas besoin d’en parler parce que pour eux c’est évident. Ici, au Canada, nous provenons de la même racine autochtone que ceux d’Amérique latine. L’animal totémique d’Amérique du Nord est le bison, c’est une culture de biens collectifs. Jamais un bison n’est seul, ils sont ensemble. Depuis des milliers d’années, les ancêtres ont vécu avec ce totem.
Chez Gramsci, il y a un mot qui est caractéristique. Pour lui, le marxisme est exclusivement économique. Il critique les stratégies des communistes russes où tout est orienté vers la prise du pouvoir. On croit qu’une fois le pouvoir acquis, on va avoir fait la révolution. On prend les armes pour prendre le pouvoir. C’est un pas important pour construire une révolution. Mais Che Guevara disait: « La révolution commence une fois qu’on a pris le pouvoir. » Nous avons vu des gouvernements socialistes être élus, mais ne pas avoir le pouvoir. Allende avait le pouvoir de l’État au Chili, mais il n’avait pas le pouvoir de la culture qui était ailleurs. Les médias ont la capacité de nous imposer une interprétation de la réalité.
Gramsci dit: « Ce n’est pas seulement l’économie et la politique qui va nous permettre de changer la société. » Il s’investit dans la production d’une revue où il pense à la culture ouvrière. Il fait de l’éducation dans le syndicat, mais une éducation culturelle. Pour changer nos pratiques, il faut changer notre regard sur le monde. La culture a à voir avec la pratique. Comment est-ce qu’on vit nos pratiques au sien des groupes communautaires ? Je sors à chaque jour, je vais dans les groupes communautaires, je mange végétarien et j’aime ça. J’apprends une nouvelle manière d’être en relation à laquelle j’adhère. Dans la logique de la culture syndicale, il y avait une logique de contrôle. Qui est le délégué le plus important, qui est l’intellectuel qui comprend le mieux Karl Marx, etc. Avant, il fallait comprendre le marxisme et toutes ses théories pour pouvoir appartenir à la logique révolutionnaire. Mais Gramsci dit : « Ce n’est pas assez! » Ce n’est pas assez d’avoir un grand mouvement avec des intellectuels et des cadres. Nous devons réfléchir à notre culture, à la manière que nous menons la lutte. Comment est-ce qu’on s’organise?, comment est-ce qu’on travaille de manière collective? C’est ce qui fait la différence de Gramsci. MG
En 1917, il crée des cercles d’éducation culturelle. Sa proposition est d’aller au-delà des écoles de formation. Il veut aller aux centres de formation culturelle et essayer de réfléchir sur leurs pratiques par rapport aux changements qu’ils veulent. Il va aller en prison avec 20 autres leaders du parti communiste. Qu’est-ce que va dire le juge lors de son procès ? : « Il faut contrôler ce cerveau durant 20 ans. » Pendant ces années de prison, il a été soumis à des situations pour qu’il ne soit pas capable de penser, mais c’est en détention qu’il va écrire la majorité de son œuvre. Il a écrit son expérience de cercles d’éducation culturelle, d’éducation dans les syndicats et de rédaction d’une revue culturelle et politique qui parle des pratiques. Les autorités sont parvenues à la faire taire pendant 20 ans et ils l’ont libéré peu avant sa mort, alors qu’il était très malade, à l’âge de 46 ans. Gramsci parle de l’hégémonie culturelle. Qu’est-ce que l’hégémonie? MG
« La bourgeoisie domine par la force mais aussi par le consentement, notamment par son hégémonie culturelle qui fait que le prolétariat adopte les intérêts de la bourgeoisie. L’Église catholique illustre par exemple cette hégémonie. La domination est du consentement cuirassé de coercition. Ainsi elle n’est pas pure violence ou pure domination culturelle, mais bien l’articulation des deux niveaux. » Antonio Gramsci
Si on parle des groupes communautaires, c’est un consensus sur l’ordre des choses : Le féminisme questionne le patriarcat, la lutte antiracisme questionne les discriminations et le colonialisme, la lutte à la pauvreté questionne la répartition de la richesse et les priorités du gouvernement, les groupes environnementaux questionnent le modèle de développement polluant et écocide que nous poursuivons, etc.
Qu’est-ce qu’on ne questionne pas dans la société ? Par exemple, l’utilisation de la voiture individuelle, si on a une voiture, on le fait sans se questionner. MG
* J’ajouterais, dans le politique, il y a une oppression des travailleurs, il y a l’exploitation économique, et dans le domaine culturel, on parle d’hégémonie. C’est-à-dire que les idées des bourgeois et de capitalistes sont aussi présentes dans l’esprit des travailleurs.
* Les pratiques de domination également sont présentes. Freire démontre bien qu’on héberge l’oppresseur en nous. Pour traduire le terme hégémonie, je dirais que c’est l’idéologie que nous ne percevons pas parce que nous vivons dedans. C’est un biais généralisé qui affecte toutes les sphères de la société, souvent à l’insu même de ceux ou celles qui en sont les vecteurs. Dès l’école primaire, on nous apprend à discriminer en raisonnant sous un mode binaire, vrai ou faux, beau ou laid, bien ou mal, correct pas correct, désirable ou indésirable, etc. L’esprit de compétition aussi, il faut être le premier, pas le dernier, il faut gagner, jamais perdre, etc. Ceux ou celles qui sont derrière, on les abandonne à leur sort. Ensuite la société de consommation nous enjoint d’exprimer notre richesse par les biens que nous possédons, etc. Nous vivons dans le fétichisme de l’argent et c’est aussi une forme d’idolâtrie. Les biais inconscients font en sorte qu’on adhère à cette idéologie et à ses valeurs qui deviennent notre grille d’interprétation du monde et le sens que nous attribuons à nos actions. Nous sommes imbibés de cette idéologie du paraître et de la performance.
La question de l’idéologie est différente de l’hégémonie culturelle. L’idéologie est un système de croyances, alors que l’hégémonie c’est que dans cet ensemble de croyances, qu’est-ce qui est acceptable ? Il y a quelque chose dans l’hégémonie, ceux et celles qui dirigent les nations occidentales, qui leur permet d’effectuer des ouvertures en permettant l’élection d’une femme ou d’un noire à la tête de l’État, pour ne pas perdre le pouvoir, en simulant le changement qui n’en n’est pas un. Le greenwashing serait de cet ordre, on fait semblant de faire quelque chose pour l’environnement, mais on ne change rien dans les faits. Si on prend le gouvernement Trudeau, il y a plein de femmes, des personnes d’origines diverses, de la diversité sexuelle et un environnementaliste, mais dans le fond, le système reste le même. Tout est acceptable tant que cela ne met pas en péril l’ordre établi. MG
* Est-ce qu’on peut dire que l’argent est le combustible qui établit l’idéologie et la pensée dominante ?
Non, je dirais que c’est la relation que nous avons avec l’argent. La culture, c’est toujours une mise en scène de la relation. Quelle est la relation que j’ai avec l’alimentation ? Avec la voiture ? Avec ma famille? Quand on parle des institutions, on dit par exemple l’Église, l’école, l’université, les groupes communautaires, la famille, etc. Quelle est ma relation avec ces institutions ? Si on prend la nourriture, la relation avec ce que je mange, c’est toujours une relation impersonnelle. Est-ce que c’était comme ça avant ? Toute cette question de l’agriculture urbaine, cela nous fait penser à une relation. La culture vient du mot agriculture qui était une pratique économique de cultiver la terre. Qu’est-ce que je fais avec ce que je produis ? Autrefois, les gens fabriquaient leurs chaussures, leurs vêtements, leurs meubles, leur maison, et ils étaient contents de le faire. Avant, les paysans avaient plus d’autonomie par rapport au marché. Aujourd’hui, si vous avez froid, qu’est-ce que vous faites ? Vous achetez un manteau, mais ce n’est pas vous qui le fabriquez, ou quelqu’un que vous connaissez. Ma relation culturelle avec la consommation n’a rien à voir avec celui qui produit les biens que je consomme. MG
* C’est vrai qu’autrefois, il y avait une fierté culturelle, chaque peuple avait ses vêtement qui le distinguaient des autres peuples. C’était une expression collective d’une identité commune. Maintenant, tout a été uniformisé.
* Aujourd’hui, c’est chacun pour soi. On est en compétition les uns avec les autres et la consommation individuelle est une façon de se distinguer de son voisin ou de l’imiter pour exprimer son appartenance à une classe sociale.
Ce qui est sous-jacent à la relation que j’ai avec les gens, l’argent ou les biens matériels, c’est la question symbolique. Qu’est-ce qu’un symbole?
* C’est la représentation de quelque chose. Comment on le voit.
* C’est la perception de ce qu’on voit.
* Le signe de l’interprétation de ce qu’on voit.
* Le symbole est aussi une question de valeur, de ce qu’on valorise. Lorsqu’un dirigeant décide que quelque chose a de la valeur, cela suscite l’adhésion de la population. Si un personnage religieux détermine que tel endroit a beaucoup de valeur, les gens vont adhérer à ça et ils vont vouloir s’en approcher.
Qu’est-ce qui est symbolique dans votre relation avec votre mère ? Symbolique veut dire aussi que c’est quelque chose qui demeure dans le temps. En Angleterre, des manifestants ont abattu des statues d’esclavagistes parce qu’ils refusaient cette fausse gloire posthume à des hommes cruels. C’est une rébellion symbolique. MG
* Je pense que fondamentalement, il y aura toujours du sacré et du profane. Dans notre ère post-religion, qu’est-ce qu’on décide comme société qui mérite d’être considéré comme sacré ? Dans le monde capitaliste et l’idéologie bourgeoise, c’est la propriété privée qui est sacrée. Ce n’est pas la vie humaine.
* Le symbolisme provient de l’interprétation du réel qu’on voit tous et toutes, mais qu’on interprète différemment. Par exemple, la Crise d’octobre n’est pas vue de la même façon par Pierre Elliot Trudeau ou moi. Nous avons des interprétations différentes des mêmes faits, des mêmes événements. On va avoir des réactions différentes selon l’interprétation qu’on donne à l’événement.
Mais est-ce que le langage symbolique implique une pratique ? Si on prend la Fête nationale du Québec, le 24 juin, tout le monde sort les drapeaux et exprime sa fierté d’être Québécois. Est-ce que nous sommes fiers de la Crise d’octobre ? MG
* Ce n’est pas une question de fierté, mais de sensibilité différente à des événements. Pour tout le monde, ce sont des événements malheureux, mais pas dans le même sens. Je regrette ce qui est arrivé à Pierre Laporte, mais il faut analyser cette crise en allant plus loin. Qu’est-ce qui a causé cela ? Par conséquent, j’ai envi aussi de réagir face à la population avec qui je vis et je veux qu’elle comprenne le sens que je lui donne.
La seule façon de confronter la pensée hégémonique, c’est d’entrer dans une certaine radicalité. Est-ce qu’on comprend un peu ? L’idée ici, ce n’est pas d’avoir des concepts fermés, mais larges. Qu’est-ce qu’on pourrait comprendre du concept d’hégémonie culturelle ? C’est une façon de voir qui nous est imposée et avec laquelle nous avons une relation symbolique. Parfois, même si on conteste cette relation, on y adhère parce que la majorité le fait et cela devient la façon commune de faire. Alors, je m’implique dans des organismes communautaires, dans des partis politiques, pour essayer de faire autrement. J’essaie de travailler la terre, parce que je conteste un mode de relation avec la terre, etc. MG
Si j’en suis conscient, l’agriculture industrielle peut m’apparaître comme une relation abusive avec la terre que j’essaie de combattre en produisant bio. L’expérience de la vie nous donne la joie de vivre et de partager et quand on trouve une expérience intéressante, on veut la reproduire. Quand on a une victoire comme avec ÉquiMobilité, on veut le célébrer. On est capable de faire bouger certaines choses quand on a une expérience collective positive. MG
* Il y a l’étymologie du mot, symbole veut dire avec, symbolos ce qui nous unit, tandis que le diable, diabolos, est ce qui nous divise.
* L’hégémonie culturelle est un apprentissage symbolique, mais il en existe d’autres qui sont anti-hégémoniques. Si on le prend du côté de la culture populaire, les grandes marches qu’il y a eues pour l’environnement ou contre le néolibéralisme. En avril 2001 à Québec, lors du contre-sommet des Amériques, on a vu du théâtre de rue dans la manifestation. Il y avait des symboles à profusion. C’était anti-hégémonique parce qu’il s’agissait d’expressions culturelles populaires qui dénonçaient l’ordre économique en vigueur, le militarisme, l’impérialisme, la pollution. Parfois nos manifestations sont en déficit de symboles. C’est pourquoi il faut les préparer pour avoir un contenu et un message qui s’expriment de manière symbolique. Il faut faire de nos manifestations une expérience en soi, presqu’un rituel.
Cette expérience symbolique devient aussi un apprentissage. Sauf que les apprentissages ne sont pas que rationnels. En Occident, on privilégie la rationalité comme mode d’apprentissage. De fait, la majorité des apprentissages ne sont pas rationnels. Le symbole sert à partager l’expérience avec les autres. C’est pour cela que la position de Gramsci défend l’idée que l’intellectuel connait des choses, mais il ne connait pas tout. Pour Gramsci, l’intellectuel organique est celui qui se décide à partager son savoir en le mettant en relation symbolique avec la culture populaire. Cela fera en sorte que ce savoir que nous sommes en train de construire ensemble devient important dans la société. Cet élément qu’apporte Gramsci me semble fondamental. MG
* Premièrement, il faut se battre pour changer la mentalité des gens. Leur dire de prendre le transport en commun au lieu de prendre leur voiture. Toute la question du financement des banques alimentaires, le problème c’est d’offrir aux gens des salaires décents pour qu’ils soient capables de se nourrir, de se vêtir, de se loger adéquatement. Ce n’est pas en donnant davantage aux banques alimentaires qu’on va régler le problème.
Oui, c’est aussi en contrôlant la suraccumulation des plus riches. MG
* C’est très important aussi de savoir où nous sommes. Tu dois savoir que tu as le pouvoir de changer des choses et de produire des changements. Dans mon village en Colombie, j’ai commencé à travailler la culture. J’étais jeune et il y avait de la violence, les gens se faisaient tuer et j’ai choisi de travailler pour la culture de notre ville même si ce n’était qu’un petit village à la montagne. 40 ans plus tard, c’est devenu la Florence des Andes. Il suffit parfois d’une personne qui partage son idée avec d’autres pour initier le changement. On doit savoir qu’on a le pouvoir de la transformation. Si tu penses que quelque chose est possible, c’est déjà en route.
* Ce n’est pas d’hier qu’il faut se battre pour faire advenir les choses. Ça a été de tout temps. Aujourd’hui, j’ai l’impression que nous sommes devant un mur de ciment impénétrable. On a besoin d’être une foule pour essayer d’ébranler le mur. On est tous trop individualistes pour travailler sur n’importe quelle cause pour réussir quoi que ce soit.
* Il y a le concept d’avant-garde révolutionnaire, mais Gramsci propose davantage celui d’arrière-garde, d’être avec le peuple pour lui permettre d’évoluer selon ses besoins et ses nécessités qu’il apprend à mettre de l’avant afin d’apporter leurs propres solutions à leurs problèmes. D’un autre côté, j’ai l’impression que toutes nos luttes ne nous permettent que d’aller chercher des miettes de nos gouvernements tandis que le capital trouve d’autres façons de nous détrousser. Par exemple, le salaire minimum augmente et l’inflation vient chercher tous les gains des travailleurs. Les puissants ont peur de la conscience civique qui se lève à travers le monde. Pourtant, ils ne vont pas perdre le pouvoir parce qu’il y a des milliers de personnes dans les rues qui manifestent, mais ils ont peur de cela. Je trouve ça fascinant.
* Évidemment qu’ils ne vont pas tomber, mais ils doivent écouter. Parce qu’ils sont au pouvoir, ils se considèrent comme les patrons de la population, mais quand nous exprimons notre désaccord, cela brise leur zone de confort. Ils n’aiment pas être remis en question par la population qui exige qu’ils fassent le travail pour lequel ils ont été élus. Ils ont peur parce qu’on leur exige de faire leur travail qui est sensé servir le bien commun et non leurs intérêts. Ils doivent respecter les exigences de la communauté.
D’autres éléments à tenir en compte, c’est que les grandes manifestations ne changent pas l’hégémonie, elles ne font que la questionner. Il y a une guerre de position qui oppose le mouvement social et l’oligarchie. Le mouvement social essaie de gagner l’opinion publique, mais il n’a ni l’argent, ni les médias, ni la justice, ni les forces de l’ordre, de son côté. Le capital travaille en permanence pour maintenir son hégémonie culturelle et obtenir l’adhésion de la société. On a des moments symboliques qui sont importants dans la lutte pour une cause, il est important de revendiquer, de célébrer nos victoires et quand nous sommes capables d’avancer dans certaines pensées, mais ce n’est pas gagné. On a un adversaire très puissant.
La pensée de Gramsci a été très importante pour les mouvements sociaux et l’éducation populaire en Amérique latine. En Occident, quand tu entres dans le mouvement social, il faut connaître certaines choses et avoir certaines compétences, c’est très organisé, presque bureaucratique. C’est très rationnel pour pouvoir rester dans les mouvements sociaux. La rationalité intrinsèque au système nous fait adhérer à sa vision en nourrissant nos peurs et notre besoin de sécurité ou en faisant appel à nos désirs de posséder des biens matériels. L’éducation transmise par le système valorise certaines choses et en discrimine d’autres. MG
* Présentement, le gouvernement du Québec pousse pour construire des grandes usines de batteries électriques et de voitures électriques, il ne voit la société que d’un point de vue économique. Ils mettent toutes nos ressources économiques là-dedans et une semaine plus tard, on nous apprend qu’ils ne peuvent plus construire des écoles ou des hôpitaux, qu’il n’y a plus d’argent pour le transport en commun, plus d’argent pour rien. Ils ont tout misé sur la filière électrique, mais ils n’ont aucune vision sociale. D’ailleurs, je ne sais même pas si le gouvernement embauche des sociologues ? Je ne sais pas pourquoi on en forme, si on n’est pas intéressé à les entendre?
L’hégémonie culturelle sert aussi à masquer les véritables intérêts économiques des pays occidentaux comme le commerce des armes et l’encouragement des guerres pour vendre des armes. On dépense pour la guerre en Ukraine alors qu’ici il n’y a pas d’argent pour construire des logements sociaux. Depuis les années 1980, en Amérique latine, il y a un changement symbolique chez les mouvements sociaux et dans les luttes ouvrières. Désormais les mouvements paysans réclament non seulement l’accès à la terre pour produire, mais au territoire compris comme un espace de vie et de culture. On passe du concept : « La terre appartient à celui qui la travaille », à : « La terre est pour celui et celle qui en prend soin. » Dans le marxisme, l’idée était que le prolétariat devait s’emparer des moyens de production. Dans ce changement de paradigme, les paysans disent : « Nous ne voulons pas la terre pour l’exploiter, nous la voulons pour la soigner et avoir une relation équilibrée avec elle. » Cela change symboliquement le sens de cette lutte et cette relation. En quelque sorte, il s’agit d’un retour aux racines autochtones qui comprenaient leur territoire comme un endroit de relation communautaire avec tous les êtres, nature incluse. Sauf qu’avec la modernité occidentale, cette culture a perdu toute légitimité parce qu’elle était considérée comme non productive et non compétitive sur le marché, ne permettant pas d’accumuler assez de bénéfices. Ce n’était pas symbolique pour les mouvements sociaux d’avoir cette relation avec la terre. Ce changement effectué depuis une quarantaine d’année a engendré une logique différente incluant la biodiversité, l’éducation alternative, des rapports égalitaires entre les hommes et les femmes, etc. Une cosmovision où l’être humain appartient à la biodiversité, qu’il fait partie de la terre et que le territoire n’est pas seulement le sol, mais un espace pour développer un art de vivre ensemble. Il y a une re-symbolisation de ce mot, dans la perspective que le territoire est une relation. Donc, la culture émerge comme une relation avec un territoire habité et vivant plutôt qu’industrialisé et mort, un endroit ayant une cohésion et une âme. Cette relation avec le territoire fait partie de ma vie, elle devient mon identité. MG
* Au Québec, pour une bonne part, cette relation au territoire a été détruite. Autrefois, chaque rang était une communauté en soi. Tout le monde avait sa petite terre et sa petite production, les rangs étaient habités par de nombreuses personnes et plusieurs générations. Aujourd’hui, tu vas en campagne et les rangs sont morts, même les paysages sont dévastés, il n’y a plus que 3 ou 4 propriétaires qui possèdent toutes les terres qui ont été fusionnées. Ce n’est même plus des familles, ce sont des ouvriers étrangers qui sont là. Souvent, la conséquence du dépeuplement fait en sorte que l’école du village, le dépanneur, le bureau de poste, la caisse populaire, l’église même, sont fermés. Certains villages sont morts parce que les rangs sont morts eux aussi. Et si des jeunes veulent partir en agriculture en cultivant une petite terre, il n’y en a pas. On a voulu protéger le territoire avec la loi sur la protection du territoire agricole, mais cela a encouragé la fusion des petites exploitations pour en faire des méga terres qu’on ne peut plus scinder. C’est triste parce qu’il y a du monde qui aiment vivent en campagne. Il y a aussi le problème des jeunes agriculteurs endettés jusqu’au cou pour avoir le matériel agricole nécessaire pour produire de manière industrielle.
* Acheter une terre, c’est s’endetter pour la vie entière.
La vie urbaine ne génère pas le même genre d’identité avec le territoire qui est toujours transformé par de nouvelles constructions et si tu es locataire, tu es souvent obligé de déménager. Il n’y a pas le même enracinement. Juan Carlos vient de Montréal et Milton Parc a été une lutte importante pour garder un territoire pour la communauté. En résistant la population est parvenue à conserver ce lieu, ce territoire pour la collectivité pour pouvoir vivre des relations communautaires. En Amérique latine, la relation avec le quartier populaire est plus importante parce que tu n’as pas le choix. Les gens n’ont pas d’argent pour aller ailleurs. Aujourd’hui, ce qui est à la mode, c’est de re-symboliser cette relation avec le quartier. Autrefois, les gens quittaient le quartier populaire dès qu’ils en avaient les moyens. Aujourd’hui, les intellectuels demeurent dans le quartier pour essayer de construire une relation symbolique avec le territoire. MG
* Ceux qui contrôlent l’hégémonie culturelle changent aussi leur discours en fonction de ce qui va se passer. Je me demande si tout ce discours sur l’écologie n’est pas pour préparer un monde idéal pour quelques riches et quelques puissants, et les autres, on va manger de la colle. Les gens s’appauvrissent et la pauvreté s’accroit un peu partout. On prépare les esprits pour qu’on puisse faire un monde idéal pour les riches et les puissants.
La défense du territoire a été très importante pour le mouvement social en Amérique latine, notamment les luttes contre l’extractivisme, les mines d’or, etc. Les communautés rurales se sont organisées pour essayer d’arrêter ce genre de pratiques. Construire une relation symbolique avec notre territoire, c’est un essai de transformer une logique hégémonique. Quand on obtient une victoire, cela reste dans la mémoire collective et ça permet à la collectivité de construire une identité, une autre culture. MG
* C’est aussi la construction d’un sujet collectif puisque dans la lutte les gens apprennent à se connaitre. Ils se reconnaissent dans la lutte pour une cause commune. Au fond, tu fais communauté.
Lorsque tu es capable de comprendre cet élément là, il faut renforcer les éléments symboliques pour pouvoir aller plus loin. Sinon, la lutte est sans lendemain. MG
* S’il y a une fraternité et une sororité humaine, il devrait avoir une base plus naturelle qui précède la lutte, basée sur notre propre essence. Pourquoi cela prend une catastrophe pour être solidaires ? Il y a comme un manque à quelque part ou une affaire que nous n’avons pas saisie.
Ce ne sont pas les communautés qui cherchent les conflits, c’est le capital et ses multinationales qui viennent coloniser nos territoires de vie.
* Quelle autre cause, ou quel terrain, est favorable au fait de se mettre ensemble, de s’additionner plutôt que de se soustraire ou de ne pas s’occuper des autres, de se diviser ou d’ignorer les autres ? Il y a une question d’ontologie. Si on vit soi-même un certain équilibre et qu’on émane une certaine harmonie, on diffuse la paix. L’esprit avec lequel nous luttons m’apparait important. Si nous sommes toujours en conflit, nous ne pouvons pas construire un sujet collectif. Il faut être des ilots de paix pour être en accord. Sans que cela ne soit de la passivité, il y a moyen de s’efforcer de cultiver en soi l’harmonie et de la pratiquer avec les autres. Que ce soit dans les groupes sociaux, les groupes communautaires, c’est difficile.
Est-ce que nous avons le droit de vivre en paix comme communauté comme chantait Victor Jarra ? Ici, on ne se fait pas assassiner parce qu’on lutte pour le transport en commun. Il y a des pays où tu luttes pour protéger une espèce et tu te fais assassiner. En Colombie, j’étais dans un mouvement qui prônait la non-violence active. Je peux être non-violent, mais je vais questionner l’ordre établi et son système d’intérêts. On va se mettre ensemble pour être chaque fois plus fort pour confronter cette hégémonie. Si je ne questionne pas, ils vont venir me balayer. MG
* Souvent on va répondre ça, mais cela prend les deux.
* Pour moi la façon de lutter de Gandhi est une pratique active. Si vous voulez faire quelque chose contre nous, vous en subirez les conséquences. Alors, il n’a jamais tiré un coup de feu et n’a absolument jamais utilisé la violence, mais il avançait, il avançait, et toujours dans le même sens.
Oui, mais cela ne veut pas dire que les mouvements sociaux qui ont pris les armes étaient guerriers. Les Zapatistes ont pris les armes pourquoi ? Parce qu’ils se faisaient tout le temps assassinés. C’était pour se protéger. Alors, soit tu te laisses exterminer, soit tu résistes. MG
* Je crois que l’expérience de la paix est bonne. C’est quand cette paix est attaquée que les gens résistent pour essayer de maintenir le respect de la communauté et de son espace vital.
Autrefois, le contrôle du territoire passait par les seigneurs et les rois. Les souverains établissaient les façons de contrôler le peuple et c’est encore le cas aujourd’hui pour ceux qui ont le pouvoir, ils établissent comment vont être utilisées les politiques publiques sans nous consulter. Certains disent que c’est démocratique, mais ce ne sont pas les premiers intéressés qui vont décider des politiques publiques. C’est l’État technocratique qui prend les décisions dans ses propres intérêts. MG
* On voit bien avec l’exemple des villes qui n’ont pas les pouvoirs de taxation nécessaires pour gérer leur propre développement. C’est incapacitant.
Ces pratiques infantilisent les populations. MG
* L’aménagement du territoire est une façon de contrôler un pays. C’est particulièrement vrai en Suisse où les sociétés civiles sont très fortes. Le gouvernement, pour contrôler le pays, se sert du capitalisme et de l’aménagement du territoire. On a eu l’exemple au Québec avec la loi qui a créé les MRC, municipalités régionales de comté. Cela enlevait des territoires aux municipalités sans leur accorder de moyens pour faire de l’argent. Si je prends la MRC de Portneuf, les villes et les villages n’avaient aucun accès à la forêt qui appartient au gouvernement parce que c’est ce qui était rentable. C’est une façon de prendre le contrôle du territoire et de le refuser au peuple.
En Amérique latine, il y a une affaire qui s’appelle la participation citoyenne, c’est une démocratie participative. Cela ne veut pas dire que le peuple est inclus dans le pouvoir parce que cela prend la volonté de ce dernier, mais il y a une pratique de participation citoyenne dans chacune des politiques publiques. C’est grâce à cela que les mouvements sociaux participent à cette dynamique et il arrive un moment où ils sont déçus du pouvoir parce que celui-ci est incapable de comprendre la culture de la participation, la culture de la relation que les gens ont avec leur environnement, avec leur territoire, avec la famille, la communauté, etc. Cela n’est possible que lorsqu’un gouvernement a la volonté de promouvoir l’associativité, l’organisation et la relation entre ceux et celles qui savent réfléchir depuis la base pour leur permettre d’élaborer des politiques publiques. Il faut que la symbolique populaire parvienne à influencer les politiques publiques. MG
* La ministre Rouleau effectue une consultation citoyenne pour rédiger son quatrième plan de lutte à la pauvreté, mais j’ai des doutes sur ce que cela va donner. Est-ce que les dignitaires, les politiciens, les maires, et les dirigeants du gouvernement, prennent vraiment le temps d’écouter les citoyens pour essayer de changer ou d’améliorer la situation ?
Est-ce que la consultation se traduit dans des actions ? « Il s’agit d’un processus à double sens qui a besoin d’une citoyenneté active et de l’encouragement de l’État. » Est-ce que les gens savent ce qui est en jeu ? Les gouvernements devraient informer les gens. MG
* Ici, au cours des 30 dernières années, le gouvernement du Québec consulte énormément, mais c’est une façon dilatoire pour désamorcer les contestations. Au final, ils font ce qu’ils veulent, ce qu’ils avaient décidé avant les consultations publiques, ils prennent ce qui va dans leur sens, et ce qui les contredit, ils n’en tiennent pas compte. D’ailleurs, ils refusent parfois d’avoir des groupes organisés et veulent avoir des individus qui viennent dire des opinions personnelles sur des problématiques auxquelles ils n’ont pas réfléchi. Alors qu’un collectif comme on a fait pour le transport, pendant dix ans on s’est réuni à chaque mois pour creuser le sujet et regarder ensemble ce qui se faisait ailleurs dans la monde. C’est comme cela qu’on développe la connaissance d’un sujet, c’est en se mettant ensemble et en partageant les idées. Sinon, un simple individu va aller donner son opinion sur un sujet qu’il ignore complètement.
* Je constate qu’il y a une augmentation des lieux où on nous demande de présenter des mémoires. Il faut connaitre le terrain pour pouvoir le faire. C’est tout un art maintenant de tenir des audiences publiques. Tu ramènes ce qui fait consensus, mais ce n’est pas là qu’est le meilleur. C’est ce qui est divergent bien souvent qui est original et intéressant comme nouvelle façon d’aborder une problématique. Lorsqu’il y a un ressenti différent, il n’est pas rapporté. Plus c’est gros, moins cela apparait. Il faudrait questionner le fonctionnement de nos propres processus démocratiques. Il devrait y avoir un fou du roi qui recueille les idées divergentes. Il faudrait avoir une façon de percevoir qui serait plus globale. C’est ce que je constate après avoir participé à un grand nombre de consultations.
Pour conclure sur les différences entre le Nord et le Sud global, en Occident, la culture politique se caractérise comme étant rationaliste, universaliste et individualiste. La façon que l’Occident comprend la culture, c’est la bonne façon à ses yeux, oblitérant ainsi les autres interprétations du monde et de la culture, même chose pour sa vision de la démocratie, etc. Les médias disent souvent : Ce n’est pas démocratique, alors que les gouvernements d’Occident ne consultent, ni n’informent la population sur ces véritables intentions. C’est la démocratie qui nous impose le mode de production industriel polluant qui désarticule les territoires en les colonisant au bénéfice des grandes sociétés privées. La solution aux changements climatiques ce serait les voitures électriques, l’individu encore. La démocratie, c’est d’élire toujours les plus guerriers, présentés comme un choix rationnel par les médias. MG
* La pensée rationnelle discrimine, c’est vrai, c’est faux, c’est bon, c’est mauvais, etc. Cela conduit au darwinisme social où le plus fort l’emporte sur les autres. À l’adolescence, plutôt qu’encourager les jeunes à réussir, on les place devant des choix de consommation qui les amènent à penser leur avenir en termes monétaires, à faire de l’argent plutôt qu’à construire une vie qui a du sens. On limite leurs horizons en leur offrant des emplois au salaire minimum qui mènent à l’insatisfaction par manque de réalisation de soi. La réalisation de soi ce n’est pas acquérir des biens de consommation, c’est exprimer son pouvoir créateur au sein d’une culture qui permet de construire une identité cohérente avec ses valeurs fondamentales. Ce n’est pas un narcissisme individuel qui se complait dans l’image de soi.
Pour terminer, qu’est-ce que la contre-culture ?
* C’est refuser le dressage par toutes sortes de systèmes.
* Dans les années 1970, la contre-culture était un possible, mais cela vient avec des obligations. Si tu n’es pas d’accord, il faut que tu t’engages à agir pour changer les choses. Cela demande toujours de se remettre en question. On exigeait une qualité d’être, mais aussi une qualité de faire. Plusieurs coopératives, garderies et organismes communautaires ont été créés à cette époque. On critiquait, mais on agissait aussi.
* Il y a plusieurs contre-cultures, c’est pluriel. Moi, je pense aux Mouvement des Sans-terres au Brésil. Au début, ils revendiquaient l’accès à la terre, puis l’autonomie des modes de production, mais ils ont conçu cela collectivement. Une coopérative qui fonctionne donne un pourcentage pour aider celles qui sont en démarrage. C’est un réseau de 500 ou 1 000 coopératives à la grandeur du Brésil qui compte plus d’un million de membres. La force du MST c’est qu’ils ont choisi l’agriculture biologique et d’aller à contre-sens de l’agrobusiness industriel chimique. Pendant la pandémie, ce sont eux qui ont nourri les quartiers populaires des grandes villes alors que les multinationales produisent des céréales destinées à nourrir le bétail en Europe. Donc, c’est une contre-culture avec leurs propres écoles et des penseurs qui portent et renforcent ce mouvement né par et pour la base. Ils ont compris qu’ils devaient élever leurs enfants selon leurs propres valeurs de solidarité que la culture hégémonique érode par sa propagande individualiste constante au moyen de la publicité. Ils ont montré aussi la porte aux pasteurs qui propageaient une foi aliénante et désincarnée. Pour eux, c’est la théologie de la libération ou rien du tout. Ils ont pris le contrôle de leurs appareils idéologiques et construit un rempart culturel autour de leurs communautés. Sinon, l’individualisme conduit à la division et à la dispersion de toute communauté. Cela prend une hygiène mentale et une posture morale pour créer la confiance et maintenir la cohésion du groupe et du mouvement. En quelque sorte, chaque communauté doit viser l’harmonie tout en ayant un axe de décision qui permet de hiérarchiser ses choix dans le sens du long terme et du bien commun. Sinon, c’est chacun pour soi.
* Il y a eu plusieurs intellectuels organiques à Québec qui se sont alliés aux classes populaires pour les faire avancer. C’est le secret. À travers les groupes communautaires, faire l’exercice de développer une démocratie authentique, c’est l’assemblée générale qui détermine les grandes orientations et le conseil d’administration qui veille à leur réalisation à travers les moyens disponibles. Il y a un apprentissage de la démocratie qui est à faire et qui peut remonter jusqu’au gouvernement. Un peuple qui est démocrate, aucune dictature ne peut y résister. Là où une société civile est bien articulée et développée, il n’y a pas de dictature possible. Il n’y a pas de dictature en Suisse, même aux États-Unis, c’est difficile d’établir une dictature. Dans le Maine, ils ont encore un système de démocratie directe. Le Maine s’est séparé du Massachussetts pour poursuivre son idéal de démocratie. Les États-Unis, c’est n’importe quoi et son contraire.
* Je pense que nous avons encore besoin de conscientisation, de se conscientiser les uns les autres face à tout cela. Je me rends compte que si nous avons parlé de la culture politique et de la politique culturelle, ce que je retiens c’est que nous devons encore nous allier les uns aux autres et éviter de se séparer en silos. Ce n’est pas comme cela qu’on va régler les problèmes de la société. Il faut apporter notre soutien aux autres mouvements comme cela s’est déjà produit auparavant. Dès que quelque chose est brisée dans la société, il faut se réunir pour essayer de le reconstruire et changer les mentalités du peuple et des dirigeants. On dit que l’Assemblée nationale est la maison du peuple, mais est-ce vraiment le cas ?
Gramsci a relevé l’importance du langage symbolique et de la culture comme des moyens de construire les mouvements sociaux. Il a constaté que le changement social n’était pas qu’une question politique et économique, mais aussi de valeurs partagées. La logique révolutionnaire qui cherchait à obtenir le pouvoir et à contrôler les moyens de production ne suffisait pas. Il l’a changée en constatant que la seule façon de transformer la société, c’était de modifier notre relation culturelle symbolique en promouvant une culture plus proches des valeurs de transformation sociale. Il fallait transformer l’hégémonie culturelle des classes dominantes. Gramsci disait : « On doit faire une guerre de position », pour que les gens adhèrent collectivement à une vision différente de la société et à une façon différente de faire. MG
* Son idéal était de gagner les cœurs et les esprits des gens.
* Les Américains aussi ont compris qu’il fallait gagner les cœurs et les esprits. Dit en d’autres mots, Gramsci constate qu’il y a d’autres fronts de lutte que partisane et ouvrière. Or, l’école est un front de lutte, la publicité aussi, le féminisme est un front de lutte, l’environnement, etc. La culture est un front multiple. Être professeur d’université, c’est un front de lutte, si on prend parti pour la communauté et qu’on s’oppose aux injustices sociales. Le théâtre, le cinéma, tous les vecteurs culturels ont la responsabilité de porter un message et d’être conscients des valeurs qu’ils véhiculent. Il ne s’agit pas de faire du divertissement, mais de permettre aux gens de réfléchir sur leurs conditions de vie. Tous les acteurs culturels: un chanteur, un acteur, un réalisateur, un poète, un artiste, un écrivain, un journaliste, etc., ont des positions à prendre et à défendre parce que ce sont des fronts de lutte qui nourrissent la conscience collective de la citoyenneté. Si on prend l’exemple du cinéma, il y a eu un cinéma politique avec des réalisateurs comme Costa Gravas ou Michel Brault, dans les années 1970. Nous avons beaucoup régressé avec les films Marvel qui en quelque sorte colonisent notre imaginaire, nos rêves et peut être aussi nos aspirations communes.
* Pour moi, ce qui est important, c’est d’être ici. Avoir un cercle de discussion comme ce soir, c’est très difficile de vivre cela en Colombie. On risque sa vie si on fait cela. Tu dois être caché à la montagne pour avoir une discussion comme nous avons eu ce soir. Être conscient que nous allons obtenir le changement, c’est suffisant. Si on ne croit pas au changement, on ne peut pas mener la lutte. Il faut rendre visible une problématique pour pouvoir s’y attaquer. Toute la vie, c’est un combat sans fin.
* Quand on n’est pas satisfait d’une situation, on peut chialer individuellement, mais on a un devoir de faire quelque chose pour changer la situation, mais on ne peut pas la changer individuellement. L’adage du pouvoir romain était : Diviser pour régner! Faire en sorte que tout le monde soit des individus isolés et à ce moment, tu fais ce que tu veux comme gouvernant. Tu fabriques des clients, des consommateurs.
* Quand les gens protestent ensemble, ceux qui ont le pouvoir perdent leur quiétude (C’est peut être parce qu’ils ont mauvaise conscience?) parce qu’on leur demande d’agir. L’important, c’est de s’unir autour d’une conscience communautaire. L’argent est nécessaire, mais il doit être réparti de manière équitable. Avec la pauvreté, nous sommes plus faciles à maitriser. L’éducation ce n’est pas une bonne chose pour le gouvernement qui préfère l’ignorance. Si les gens s’unissent autour d’une idéologie plus collective, il est plus facile d’exiger des changements pour l’ensemble de la société. Même ce qui se passe à l’autre bout du monde nous affecte, alors nous ne sommes pas que des individus, nous faisons partie de l’humanité. Avec la globalisation économique, nous sommes de plus en plus interdépendants. Si on valorise davantage des stratégies socioéconomiques communautaires, on pourrait éviter des guerres qui sont déclarées pour faire de l’argent. Qui est-ce qui souffre des conséquences des guerres ? Ce sont les populations civiles, pas ceux qui déclenchent les guerres et les font durer. Ce ne sont pas leurs enfants qui vont aller se faire tuer, ce sont les communautés qui sont affectées par les guerres, les problèmes économiques, la pauvreté, le manque d’éducation, la violence, les maladies, la pollution, etc. C’est pour cela que nous devons intervenir pour faire des changements dans les domaines nécessaires à la communauté. Alors, tous ensembles, nous devons exercer une pression sociale pour le bénéfice du plus grand nombre. C’est beaucoup de travail, mais il faut avoir l’espoir puisque c’est la seule chose qu’il nous reste.
Merci Mario pour cette belle animation.
Propos rapportés par Yves Carrier