# 343 – Québec ouvrière, parcours dans la Basse-Ville

Bonjour, je m’appelle Simon Carreau et je serai votre guide pour cette visite de la Basse-Ville de Québec sous l’angle de l’histoire ouvrière.

Saint-Sauveur c’est très ouvrier comme quartier. Ça a été fondé par des ouvriers. Maizeret aussi était un secteur ouvrier, surtout après la Seconde guerre mondiale le gouvernement a rendu disponible des terrains pour construire des maisons.

Nous sommes présentement au cœur de la ville, sur la rue Dupont dans le quartier Saint-Roch, là où est né le secteur ouvrier. Au début, en Nouvelle-France, la ville ne s’est pas beaucoup développée. Il y avait peu d’industries et donc d’ouvriers. Il y avait quand même un besoin pour la construction, alors les gouverneurs ou les intendants essayaient d’en attirer le plus possible. Saint-Roch a été dessiné par un ingénieur qui s’appelle Chausse-Gros de Léry. Il est venu ici à la fin du régime français et c’est à lui que nous devons les fortifications de Québec. Les portes Saint-Jean et Saint-Louis ont été refaites, mais c’est lui qui a dessiné le mur. Cet ingénieur avait besoin de plus d’ouvriers, mais dans la Haute-Ville c’était un espace réservé aux religieux, aux militaires et à la politique. Il y avait aussi certains marchands fortunés établis à Place royale. Il n’y avait pas d’endroit pour loger les ouvriers. Les gens ordinaires vivaient dans les villages comme Sillery, Beauport ou Charlesbourg, et c’était davantage des agriculteurs. Alors Chausse-Gros de Léry s’est dit qu’il fallait un espace pour loger la main-d’œuvre nécessaire à la construction des fortifications et il va dessiner les rue de Saint-Roch. C’est pour cela que ce quartier a des rues à angles droits.

En 1745, pour construire les fortifications, cela prenait des ouvriers spécialisés pour tailler les pierres. Alors les autorités recrutaient des ouvriers en France qui venaient à Québec au printemps et ils s’en allaient à l’automne pour éviter les rigueurs de l’hiver.

* Ce sont nos premiers travailleurs saisonniers.

Tout à fait. Aujourd’hui, certains veulent demeurer ici, mais à cette époque, les travailleurs saisonniers voulaient retourner passer l’hiver en France. À part les chantiers de construction, il n’y avait pas vraiment d’industrie à Québec. On fabriquait quelques bateaux et des briques. Il y a une petite rue dans Limoilou qui s’appelle la Briqueterie où on faisait des briques. La raison de ce manque de développement, c’est que la France ne voulait pas qu’il y ait des industries ici. Notre rôle comme colonie était d’acheter des produits à la Métropole en échange de nos pelleteries. On pouvait vendre ce qu’ils n’avaient pas : des fourrures et du poisson. Les pêcheurs français venaient dans le golfe du Saint-Laurent et à l’embouchure du Saguenay. Dans la région de Charlevoix, ils pratiquaient la chasse à la baleine. Il y avait des fours où ils faisaient fondre la graisse de baleine qu’ils envoyaient en France. Quand on commence à lancer des industries ici, la couronne y met un frein. Sur ce plan, les Britanniques étaient plus libéraux et c’est l’une des raisons de la prospérité des treize colonies américaines. Ici, la mentalité religieuse catholique de l’époque n’était pas très entrepreneuriale. Les Espagnols ont fait la même chose avec leurs colonies en Amérique latine. Ils ne voulaient pas trop que cela se développe. Ils prenaient les richesses et le développement se résumait au stricte nécessaire. C’était une façon de garder la mainmise sur la colonie. Au contraire, dans la mentalité protestante, ce n’était pas mal vue de faire des affaires, c’est pourquoi ils ont plus développé leurs colonies. De plus, les ports de Boston et de New York étaient ouverts 12 mois par année tandis que Québec ne l’était que 6 mois. Quand les Anglais ont pris Québec, il y avait déjà des marchands qui accompagnaient l’armée britannique. Ils étaient là pour reprendre les compagnies de fourrures et autres. C’est ce qui, plus tard, va amener des industries.

* L’économie est toujours derrière la guerre.

Tout à fait. Je vais faire un lien avec Napoléon. Il existe une rumeur que Simon Bolivar était présent à Paris lors du couronnement de Bonaparte et il parait qu’à la chute de Napoléon, plusieurs de ses officiers sont allés en Amérique du sud comme mercenaires pour former et diriger les armées de libération. L’officier Miranda avait combattu dans l’armée républicaine à l’époque de la révolution française.

* C’est ce qui explique l’attachement à la France dans certains pays d’Amérique du Sud.

Souvent les drapeaux sont tricolores comme celui de la France.

L’ennemie de Napoléon, c’était les Anglais, mais comme il n’était pas capable de prendre l’Angleterre, il a décrété un embargo avec l’Europe. Il a fait un blocus maritime pour empêcher les échanges commerciaux avec l’Angleterre et il a demandé aux autres pays de participer. Si un pays refusait, Napoléon lui faisait la guerre. La conséquence de ce blocus, c’est que l’Angleterre a manqué de bois d’œuvre pour la construction de maisons et de navires et ils se sont alors tournés vers le Canada pour s’approvisionner. C’est ce qui va permettre la suprématie européenne de Napoléon pendant plusieurs années et par voie de conséquence, la fortune de la ville de Québec.

Le commerce du bois appartient aux traditions québécoises, on parle des draveurs, des bûcherons. En empruntant les rivières, le bois va descendre de la Mauricie, de l’Outaouais jusqu’à Ottawa, et se rendre à Québec par le fleuve où les billots seront transformés en navires qui seront remplis de bois pour la grande traversé jusqu’en Angleterre. Le bois va enrichir Québec, mais comme on va manquer de main-d’œuvre, on va faire venir encore plus d’immigration pour travailler dans le port qui va devenir l’un des plus importants au monde à cette époque. Tout le long de la rivière Saint-Charles et du fleuve, il y avait des chantiers de construction navale. Il y en avait à Lévis aussi.

* J’ai une question concernant les premiers travailleurs saisonniers. Ils venaient ici pendant combien de temps ? Où est-ce qu’ils logeaient ?

Ils arrivaient au mois de mai et ils quittaient vers la fin du mois de septembre ou au début d’octobre. Il y avait des espaces communs comme des casernes pour les loger dans le quartier Saint-Roch. Ils provenaient des villes situées le long de la côte Atlantique en France. Saint-Jean-Baptiste, c’est l’autre quartier ouvrier qui s’est développé à l’époque de la colonisation française. On note aussi la présence d’Irlandais catholiques qui avaient dû fuir l’Irlande. Ils ont changé leur nom de famille pour les franciser afin de mieux s’intégrer. Les Clemence vont devenir les Clément. Il y avait aussi un peu d’Allemands, les Bernar, qui vont des devenir les Bernard, il y aussi les descendants de la famille Daigle qui ont des origines allemandes qui remontent à la Nouvelle-France. La grande majorité était française.

* C’est vraiment intéressant. C’est quelque chose qui se reproduit, avec des pays d’origines différentes en ce moment.

Les Irlandais changeaient leurs noms de famille parce que si les Anglais les capturaient ils étaient traités comme des traitres. Les noms de famille font souvent référence à des caractéristiques des individus comme Belleavance ou Jolicoeur.

* En Colombie, les esclaves portaient les noms de famille de leur propriétaire. À la fin de l’esclavage, pour se venger, les esclavagistes donnaient à leurs esclaves des noms peu sympathiques.

Après la Conquête britannique, les ouvriers francophones vivent en Basse-Ville. Quand les Anglais vont agrandir la ville avec le bois et le commerce des navires, d’autres immigrants vont arriver en autre les Irlandais. En Irlande, entre 1820 et 1840, il y a eu une famine qui a tué avec les épidémies qui ont suivies, la moitié de la population. Aujourd’hui encore, il y a moins d’Irlandais en Irlande qu’il y en avait en 1820. Les autorités ont même ouvert une ile pour la quarantaine sur le fleuve Saint-Laurent, à Grosse Ile près de Montmagny. L’épidémie de choléra a tué beaucoup de monde. De nombreuses religieuses hospitalières vont leur porter secours au risque de leur vie.

Ils venaient à Québec parce que c’était le billet qui coûtait le moins cher pour l’Amérique. Certains sont demeurés, mais la plupart ont rejoint les États-Unis ou l’Ontario. Cependant, beaucoup vont demeurer à Québec parce qu’il y avait une forte demande de main-d’œuvre. Ils vont construire leur propre quartier, au pied de la falaise près du fleuve dans ce qu’on appelle le Cap blanc. Ils avaient la même religion que les  Canadiens, mais comme ils parlaient anglais, il y avait des frictions entre les deux communautés. Quand il va manquer de place pour eux, ils vont s’installer dans le quartier Montcalm et le quartier Saint-Louis où l’on trouve maintenant l’Assemblée nationale.

Chacun vivait dans son quartier, mais ils travaillaient tous au port. Les Anglais occupaient le sommet de la pyramide sociale avec les marchands Écossais tandis que la majorité des Canadiens français étaient pauvres comme les Irlandais catholiques qui débarquaient à Québec. Cela provoquait des frictions dont les propriétaires anglais tiraient parti en mettant ses deux groupes en compétition les uns avec les autres pour maintenir des salaires de misère. À une certaine époque, 40% des habitants de Québec parlaient anglais. Ensuite, les anglophones vont migrer vers Montréal et le reste du Canada.

* À l’époque, les francophones habitaient en grande majorité dans les campagnes.

Il va y avoir des problèmes pour le travail parce que tout le monde voulait le même travail. Alors il va y avoir des grèves et des révoltes. Le Parc John Munn dans Saint-Roch est nommé en l’honneur d’un marchand qui faisait construire des navires en bois. Parmi ses ouvriers, il y avait des menuisiers qui étaient spécialisés dans la construction navale. En 1841, les ouvriers ont exigé une augmentation de salaire. À l’époque, ils gagnaient 4 sous par jour. Avec ce montant, on pouvait acheter un gros pain. C’est tout ce que cela permettait d’acheter. Imaginez les autres ouvriers qui n’étaient que manœuvre, leur salaire était encore plus bas. Ils ont fait la grève. Il n’y avait pas de syndicat pour les aider. S’armant de bâtons, ils bloquaient les portes du chantier et empêchaient d’autres travailleurs de prendre leur place, ceux qu’on appelle les briseurs de grève. Après 25 jours, la misère était tellement grande qu’ils ont été obligés de rentrer au travail sans augmentation. Dans les autres chantiers, certains payaient mieux, mais quand les propriétaires ont vu cela, ils ont baissé les salaires en se disant qu’en faisant cela, les travailleurs allaient avoir peur de revendiquer des augmentations. Les propriétaires ont vu que John Munn avait réussi à briser la grève et que les menuisiers étaient revenus quand même.

* Ils ont nommé un parc en son honneur ? Eurk!! Il faut contester pour changer ce nom.

Quelques années plus tard, il manque d’ouvriers, alors on augmente les salaires pour les attirer. On va jusqu’à les doubler et il y a plein d’ouvriers qui arrivent, alors on rebaisse les salaires.

* Est-ce que l’expression : « Né pour un petit pain vient de là ? »

Sans doute parce que les ouvriers et leur famille n’avaient qu’un pain à manger. C’était l’essentiel de la nourriture pour les ouvriers.

Les Irlandais, c’étaient surtout des débardeurs qui travaillaient dans le port, ceux qui chargent et déchargent les marchandises sur les bateaux. Ce sont les premiers qui se sont organisés, entre 1865 et 1869, comme un syndicat, mais ce n’était pas le nom que cela portait. Ils se sont tous mis ensemble et ils ont dit aux propriétaires des navires qu’ils devaient passer par eux pour embaucher de nouveaux travailleurs. Au début, les patrons ont refusé, mais les Irlandais se sont tenus en bloquant les entrées du port. Alors leurs salaires ont doublé. À partir de ce moment, ils ont pris le contrôle du port. Puis, ils se sont sentis tellement forts qu’ils ont voulu prendre le contrôle de l’ensemble des métiers du port. Cette association ne permettait qu’aux Irlandais de travailler. Donc, tous les francophones ne pouvaient plus travailler au port. Les Canadiens français ont alors décidé de former leur propre organisation de travailleurs. Comme il y avait maintenant deux organisations opposées, les propriétaires anglais ont monté l’une contre l’autre et ils ont baissé les salaires. Puis cela a provoqué des conflits assez violents où les Irlandais et les francophones en sont venus aux coups. Vers 1870-1871, il y a une bataille rangée de plusieurs milliers de personnes qui fait des blessés et un mort. Pendant une dizaine d’années, il va y avoir des conflits. Parfois c’était des menuisiers de Saint-Roch qui prenaient leurs outils et qui allaient faire du trouble dans le quartier Irlandais, parfois c’était le contraire. Ça a pris l’intervention de l’Église pour mettre fin au conflit. Comme ils étaient tous catholiques, l’évêque a dit : « C’est assez! » Il a parlé à tous les curés et il a ordonné que les batailles cessent. C’est ce qui a mis fin à ces conflits. Pendant longtemps à Québec la violence régnait et il ne fallait pas aller se promener dans les autres quartiers.

Quand on parle de profilage racial par la police, cela ne date pas d’hier. En raison des batailles dont je vous parlais, le gouvernement du Canada a créé un corps de police à Québec. Au début, les policiers étaient tous anglophones, dont des Irlandais, et ils ciblaient les Canadiens français. À un moment donné, certains ont demandé qu’il y ait des policiers francophones, mais les Canadiens français ne voulaient pas devenir policiers. Leur perception était que les policiers étaient malhonnêtes envers eux et qu’ils les tabassaient la plupart du temps.

* C’était du colonialisme aussi parce que c’était les anglophones qui avaient la loi, le pouvoir, l’autorité, l’argent, etc., tandis que les francophones étaient de simples serviteurs.

* En fait, nous sommes des colonisés qui sont devenus des colonisateurs.

Parfois on ne s’en rend pas compte, mais dans l’histoire les choses reviennent sous une autre forme.

Les maisons des ouvriers étaient en bois et il y a eu de grands incendies dans les quartiers ouvriers qui étaient plus pauvres aussi. En 1845, toute la Basse-Ville a brûlé, alors la loi a changé et ils étaient obligés de construire avec un revêtement de briques ou en pierres. Le développement du quartier Saint-Sauveur correspond à cette loi, c’est là qu’allaient s’établir ceux qui étaient trop pauvres pour construire une maison en pierres ou en briques. Les gens ont déménagé dans le village de Saint-Sauveur qui était alors situé à l’extérieur de la ville de Québec. C’est pour cela aussi que dans ce quartier les rues sont croches, parce qu’il n’y avait pas de plan d’urbanisme. C’est aussi pour cette raison que le boul. Langelier est aussi large, pour que le feu ne puisse pas traverser.

Il y a eu de nombreux feux qui ont brulé à plusieurs reprises les quartiers ouvriers de Québec. L’un d’entre eux en 1855 a même fait 20 000 sans abris. Les incendies provenaient des mauvaises cheminées ou des lampes à l’huile, le foin pour les chevaux et les bâtisses en bois servaient ensuite de carburant. Le vent emportait les tisons sur les autres toits et il n’y avait pas de services d’incendie ni même d’aqueduc à cette époque. Souvent les pompiers étaient des militaires, alors pour arrêter les conflagrations, ils faisaient exploser certaines maisons pour couper la route au feu. Il y a un monument aux pompiers morts dans Saint-Jean-Baptiste parce que leur bombe leur a explosé entre les mains.

* Il y a eu une époque où Saint-Roch était un quartier prospère de Québec.

Oui, mais il y avait des ouvriers aussi. Sur la rue Saint-Joseph, on trouvait les marchands. Saint-Roch a toujours été un mélange de classes sociales. Les plus prospères sont partis vivre en banlieue, mais ils venaient encore magasiner ici. C’est donc le plus vieux quartier ouvrier au Canada.

Devant le 435 rue du roi au parle de l’action catholique et des syndicats catholiques.

* En 1891, le pape Léon XIII dans son encyclique Rerum Novarum, va reconnaître le droit légitime des travailleurs de s’organiser en syndicat pour faire valoir leurs droits devant le patronat. Avec le temps, cette prise de position va avoir des échos dans le droit du travail dans tout le monde catholique, de la Pologne au Chili. Au Québec, avec les syndicats catholiques, l’Église va être médiatrice lors de nombreux conflits de travail et le 435 du Roi a été un lieu d’organisation ouvrière très actif à Québec au cours des années 1970.

Léon XIII reconnaissait le droit d’organisation des travailleurs tout en exprimant qu’ils ne devaient pas trop exiger de leurs employeurs. Vers 1901, il va avoir un mouvement de grève dans les usines de chaussures de Saint-Roch. Il y avait une trentaine d’usines consacrées à ce secteur d’activité. C’était la ville de la chaussure au Canada, même en Amérique du Nord. C’était des salaires de misère, alors les travailleurs ont formé un syndicat qui n’était pas encore reconnu.

Ils ont fait des demandes aux employeurs, mais ils ont fait cela en front commun pour éviter que les propriétaires jouent les ouvriers les uns contre les autres. Pour casser le mouvement de grève, les patrons vont fermer les usines. Cela s’appelle un lockout. C’est comme une grève, mais c’est le patron qui décide. Les ouvriers ne se sont pas laissés faire et ils se sont organisés et ils ont bloqué les usines pour éviter que les patrons n’emploient des briseurs de grève. Le conflit a duré quelques mois. Alors toutes ces familles se sont retrouvées sans revenu, sans rien pour se nourrir. La population de Québec a commencé à s’inquiéter de l’appauvrissement d’un grand nombre de famille. L’évêque a trouvé que cela n’avait pas d’allure et s’inspirant de Léon XIII, il a monté un programme qu’il a fait approuver par le Vatican. Ensuite, il a convoqué les chefs ouvriers et les patrons à une table de négociation. Ainsi, c’est l’Église catholique qui a instauré les comités paritaires patron-ouvriers qui existent toujours aujourd’hui. Léon XIII a trouvé brillante l’idée du cardinal Bégin de Québec. Patrons et ouvriers se sont réunis à des tables pour discuter des conditions de travail, du salaire et des horaires de travail, de la santé et de la sécurité aussi.

* À l’époque les gens travaillaient 70 heures par semaine, six jours sur sept. Seul le dimanche était chômé.

Cela a permis de réduire le nombre d’heures de travail également. Mais les patrons pour éviter de trop céder, ont fait intervenir un juge qui était plus du bord de la politique et des employeurs. Il a cassé l’entente, mais cela avait fonctionné pendant 20 ans. Ensuite, après ce jugement, les patrons ont décrété un lockout. Comme les gens n’avaient presque plus rien à manger pour nourrir leur famille, la grève est devenue une émeute.  Les travailleurs sont allés dans le port et ils ont pillé chez Renault , un magasin qui vendait de la nourriture.  Alors le maire a appelé l’armée. Les soldats sont venus et ils ont lu le Riot act, déclaration d’émeute qui permet de tirer sur les manifestants. La cavalerie a chargé la foule présente et il y a eu un mort. Ça a cassé la grève, mais les grands perdants ont été les patrons parce que les ouvriers ont tellement été écœurés qu’un grand nombre ont quitté Québec pour Montréal ou les États-Unis. À l’époque, les usines américaines de Nouvelle-Angleterre venaient à Québec recruter des travailleurs. Aujourd’hui, le Québec compterait le double d’habitants si tous ces gens n’étaient pas partis pour travailler aux États-Unis entre 1870 et 1930. Le film : « Les Tisserands du pouvoir », relate cet épisode de notre histoire. Sur les quarante usines d’avant la grève, 23 ont fermé leurs portes faute d’employés. Ça a été une période difficile. Avant la Première guerre mondiale, les syndicats n’étaient pas encore reconnus.

Vous connaissez les chutes Montmorency ? En bas des chutes, il y a eu longtemps une usine, parce qu’on faisait de l’électricité avec les chutes. La première électricité a été produite aux pieds des chutes et le premier branchement, ça a été la terrasse Dufferin. Alors, on a construit une grosse usine, la Dominion textile où l’on fabriquait des vêtements. On parle des années 1930-1940. Ils employaient des milliers de travailleurs dans cette usine. La Dominion textile possédait 5 usines au Québec et elle employait 50 000 travailleurs et travailleuses. Eux aussi s’étaient organisés à travers une association qui n’était pas reconnue comme un syndicat par l’employeur.  Ils demandaient de ne pas travailler plus de 60 heures par semaine, 5% d’augmentation de salaire et la reconnaissance du syndicat.

Un jour, il y a eu une grosse grève. Montmorency était un quartier ouvrier qui avait été développé pour l’usine. Une fois encore l’évêque est intervenu pour faire le médiateur entre les ouvriers et les patrons, puis il a demandé au premier ministre du Québec de s’en mêler. Sauf que c’était Maurice Duplessis qui avait un parti pris pour les patrons et contre les syndicats qu’il qualifiait de communistes. Il a dit : « Tout le monde rentre au travail et on va vous donner le 5% d’augmentation. On va également réduire de 10 heures votre semaine de travail et pendant le diner, on va éteindre les machines, mais on ne reconnaîtra pas le syndicat.» Les gens ont accepté l’offre en considérant que c’était un gain qu’ils avaient obtenu. Sauf que l’année suivante, les salaires ont baissé et le nombre d’heures a augmenté. C’est sûr que les patrons d’usine étaient proches du premier ministre. Aujourd’hui, il y a une pénurie de main-d’œuvre et les salaires montent, mais demain, s’il y a assez de travailleurs pour tous les postes, le patronat va encore vouloir réduire les salaires. Dans l’histoire, tout est cyclique.

Nous sommes au cœur du quartier Saint-Roch à la fin de la Première Guerre mondiale. Il y avait un marché, la Place Jacques-Cartier, là où on retrouve la bibliothèque Gabrielle-Roy. L’émeute de la conscription de 1918 fait parti des combats ouvriers même s’il ne s’agissait pas d’une lutte pour le travail. Le gouvernement fédéral avait promis qu’il n’imposerait pas la conscription pour recruter des soldats et qu’il ne forcerait pas les jeunes hommes à aller à la guerre. Au début, il y assez de volontaires, mais en 1918 on manque de recrus. L’Angleterre met de la pression sur ses colonies et même si le Canada est sensé être souverain, le gouvernement se rallie à cette demande. À cette époque, si vous étiez issus d’une famille aisée, vous pouviez être un officier tandis que les fils d’ouvriers et de cultivateurs n’étaient que de simples soldats qui allaient au front. L’armée canadienne n’avait pas une bonne réputation parce qu’on disait que même les francophones de bonne famille n’avaient pas les meilleurs postes dans l’armée. Cela faisait longtemps que les Canadiens français n’avaient plus de lien avec l’Europe, depuis 1759.

* Mon père disait que l’armée britannique plaçait les Canadiens français en première ligne, les Irlandais en deuxième ligne, les Écossais en troisième ligne puis les Anglais en quatrième ligne. Au milieu de la Deuxième guerre mondiale, Lord Mountbatten a organisé une diversion pour l’armée allemande en faisant débarquer un régiment canadien français à Dieppe en Normandie. Peu en sont revenus vivants. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Canadiens français refusaient d’aller défendre l’Angleterre en Europe.

* La France faisait la même chose avec les populations issues de ses colonies. Ils les envoyaient en première ligne pour faire diversion.

* Les gens n’avaient pas la même valeur selon leurs origines.

Nous sommes à la fin du mois de mars 1918, il y a des agents fédéraux qu’on appelle des recruteurs, ils sont payés 10 dollars par personne qu’ils attrapent. Ils se promènent dans les quartiers et ils demandent aux jeunes hommes leurs papiers prouvant qu’ils sont exemptés de service militaire. Près de la rue Langelier, se trouve une salle de quilles et un jeune de 23 ans s’en va jouer aux quilles. Il est 20h20 et deux recruteurs l’arrêtent et lui demande ses papiers. Le jeune homme répond qu’il a une exemption, mais qu’elle est à la maison. Ils refusent de l’accompagner pour valider l’information et ils l’amènent au poste de police. Les gens qui sont au salon de quilles disent que ça na pas d’allure. Certains vont trouver le père du gars qui vient de se faire arrêter tandis que d’autres alertent la population en leur disant de se méfier de la présence des recruteurs dans le quartier. Au même moment, il y a une messe qui se termine à l’église Saint-Roch et le monde sort. Là, les ouvriers sont choqués. On dit aux familles de rentrer chez-eux. Environ 2 000 personnes se rassemblent devant le poste de police situé sur la rue Saint-François. La foule commence à crier pour libérer le jeune. Ils ramassent des pierres et des briques et ils commencent à les lancer sur le poste de police. Le père du gars finit par arriver avec la lettre d’exemption et les recruteurs libèrent le fils. Sauf que la manifestation spontanée se poursuit.

Il y avait un policier, un certain Bélanger, un francophone, qui travaillait avec les Anglais et les gens de Saint-Roch l’haïssaient. Alors les gens continuent de lancer des pierres sur le poste de police et les policiers se sauvent par les fenêtres pour se réfugier dans une école à côté. Bélanger se sauve et il saute dans le tramway. Les gens finissent par l’attraper et il est sur le point de se faire lyncher quand un religieux présent sur les lieux intervient et lui sauve la vie. Ensuite la foule se calme et rentre chez elle. Dans la soirée, les autorités font venir des militaires de la citadelle pour patrouiller les rues de Saint-Roch.

Le lendemain, les rumeurs continuent. Dans les journaux on ne parle pas de l’émeute pour ne pas attiser les ardeurs du public. Sauf que circule une rumeur qu’ils vont venir pour arrêter tout le monde, même ceux qui ont des exemptions. Il a un rassemblement d’ouvriers qui se constitue sur la Place Jacques-Cartier et un avocat opposé à la conscription prend la parole devant la foule. Les gens commencent à s’enflammer et la foule grossit encore avec l’arrivée d’ouvriers de Saint-Sauveur. On parle alors de 3 000 personnes. Certains proposent d’aller brûler les journaux pro-conscriptions dans le Vieux-Québec.

La foule quitte Saint-Roch et, armée de bâtons et de torches, se dirige vers Saint-Jean-Baptiste. Ils entonnent des chants révolutionnaires dont la Marseillaise et Ô Canada, terre de nos aïeux, qui n’était pas encore l’hymne national du Canada, – c’était un chant patriotique composé pour la Saint-Jean-Baptiste par Calixa Lavallée- .  Au fur et à mesure qu’ils avancent, la foule grossit des habitants des quartiers jusqu’à 6 000 personnes arrivée à la Place d’Youville. Une fois là, ils lancent des roches sur les journaux en faveur de la guerre. La foule grandit encore pour atteindre près de 12 000 personnes. À cette époque, le Capitole s’appelle l’Auditorium, c’est un cinéma et une salle de spectacle, mais pendant la Première guerre mondiale, c’était le bureau de recrutement de l’armée. Alors les gens se disent : « Allons brûler les papiers! » et ils mettent le feu à l’Auditorium. Quand les pompiers arrivent, ils percent les boyaux d’incendie avec leurs couteaux.  Certains pompiers laissent faire et l’Auditorium va brûler. À ce moment, les soldats arrivent et la foule se disperse.

Le troisième jour, encore des rumeurs, mais cette fois c’est vrai. Le maire de Québec a appelé des renforts de l’armée canadienne, des soldats du Manitoba et de l’Ontario. Ce sont des soldats anglophones parce que les francophones ne tireront pas sur leurs compatriotes. Alors, par les trains, quelques milliers de soldats sont envoyés à Québec. La foule se rassemble à nouveau et ils montent encore une fois en Haute-Ville. 3000 à 4000 personnes s’assemblent devant le manège militaire sur Grande-Allée. La cavalerie arrive et la foule se disperse. À partir de cette journée, les soldats commencent à arriver à Québec et ils patrouillent le soir. Un autre soir, au début du mois d’avril, des orateurs prennent la parole devant 3 000 à 6 000 personnes réunie dans la Basse-Ville de Québec.

À ce moment, l’armée arrive avec la cavalerie. On ordonne aux gens de se disperser et le couvre-feu est décrété. La foule refuse d’obéir et enlève les pavées pour les lancer à l’armée. Alors la cavalerie charge et ils vont repousser le monde vers Saint-Sauveur. Quand on arrive devant la taverne Jo Dion sur l’avenue Saint-Vallier, la foule grossit encore parce que d’autres gens viennent s’y joindre. Alors l’armée arrive avec une mitraillette et quinze soldats avec des fusils qui reçoivent l’ordre de pointer la foule. L’officier va proclamer le Riot act, en anglais en plus, après la troisième semonce, ils ouvrent le feu. Il va y avoir 4 morts et de 75 blessées, sûrement plus parce qu’ils ne sont pas tous aller à l’hôpital se faire soigner, dont certains vont devenir infirmes. Il y aura aussi 70 arrestations. Là, c’est la panique à Québec. Il y a un monument qui rappelle cet événement sur l’avenue Saint-Vallier près de chez Jo Dion. Le nom des victimes avec leur âge et leur métier sont inscrits sur une plaque. Le lendemain, c’est la loi martiale et l’armée patrouille dans tous les quartiers ouvriers avec l’ordre de tirer à vue pour tuer: « Shoot to kill! »

* Cela se passe sous le gouvernement conservateur du premier ministre du Canada Robert Borden. C’est lui qui a donné l’ordre de tirer. Mon père me disait qu’à cause de cela, tous les francophones du Canada ont refusé de voter conservateur au fédéral jusqu’à l’élection de Brian Mulroney en 1984, 66 ans plus tard. Nos ancêtres avaient la mémoire longue.

Longtemps, les médias ont rapporté que les francophones étaient contre la conscription et les anglophones pour. Sauf que les historiens d’aujourd’hui ne voient pas les choses de la même manière. Ils se sont aperçus que plus cela faisait longtemps que tes ancêtres vivaient au Canada, moins ils étaient identifiés à l’Angleterre et moins ils voulaient aller à la guerre.

Aux XIXème et au début du XXème siècle, les luttes ouvrières ont été réprimées dans le sang. Le 1er mai rappelle une manifestation d’ouvrières qui a été fusillée à Chicago en 1886. Au Chili, il y a le massacre de Santa Maria de Iquique, des mineurs des mines de salpêtre et de leurs familles, le 21 décembre 1907. Les estimations parlent de 3 000 à  4 000 victimes, abattues à la mitraillette pour avoir réclamé des conditions de travail plus dignes.

Les femmes qui travaillaient dans les usines devaient être célibataires.  À la Dominion Corset, où l’on fabriquait des corsets pour dame, il n’y avait que des femmes à part les contremaîtres. Si tu te mariais, tu perdais ton travail. C’était la même chose à l’Arsenal dans le Vieux-Québec où l’on fabriquait les munitions. Les femmes célibataires, peu importe leur âge, avaient le statu de personne mineure selon la loi, ce qui veut dire que tout leur salaire pouvait être pris par leur père.

Peu importe son âge, tant qu’une femme n’était pas mariée, elle relevait de son père. Pour la plupart, il leur donnait de l’argent de poche. Celles qui travaillaient dans le Vieux-Québec assistaient aux spectacles de chanteurs qui passaient chez Gérard. Pour celles qui travaillaient à la Dominion Corset, elles allaient magasiner dans les beaux commerces du Boulevard Charest et de la rue Saint-Joseph. C’était avant les centres d’achat. Donc, elles jouissaient d’une certaine autonomie. L’Arsenal a fonctionné jusqu’aux années 1950 avant d’être déplacé à Valcartier. Dans ces deux usines, à majorité féminine, il n’y a pas eu de grève. La Dominion Corset a été dans Saint-Roch jusqu’en 1988.

Pendant la Seconde guerre mondiale, la moitié des munitions des Alliés ont été fabriquées au Canada. Jusqu’à 80 millions de cartouches par mois dans les arsenaux de Québec qui appartenaient au gouvernement fédéral. C’était un employeur de choix qui a compté jusqu’à 14 000 ouvriers dont 11 000 femmes. À cette époque, les femmes gagnaient la moitié du salaire des hommes. Il y avait aussi des enfants qui travaillaient dans ces usines et qui étaient payés la moitié du salaire des femmes. Parfois, quand une machine était bloquée, ce sont eux, en raison de leur petite taille, qu’on envoyait pour débloquer les mécanismes. C’était très dangereux. À un moment donné, le gouvernement a légiféré pour interdire aux enfants d’arrêter l’école avant l’âge de 12 ans. Alors les enfants pouvaient travailler le soir et aller à l’école le jour. On me disait que les hommes qui travaillaient aux arsenaux étaient les plus chanceux de Québec parce qu’il y avait trois femmes célibataires pour un homme. Tous ces hommes ont connu leur femme au travail.

Remerciements à Simon Carreau, guide interprète et historien

Propos transcrits par Yves Carrier

 

 

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