La discussion qui a suivi la projection a été animée par Caroline Tapia, géographe et chercheure, et Robenson Geffrard, journaliste haïtien et coordonnateur de l’Association des Haïtiens de l’Université Laval. Le documentaire est disponible gratuitement sur le site de l’Office nationale du film (ONF).
Bonsoir, je m’appelle Caroline Tapia. La République dominicaine est une destination touristique prisée des Québécois.es. Étant originaire de ce pays, je trouvais important de mettre ce sujet des apatrides de l’avant. La réalisatrice est d’origine haïtienne, elle est arrivée au Québec à l’âge de huit ans et elle s’appelle Michèle Stephenson. Elle a fait des études en sciences politiques à l’Université McGill. Une des raisons qui l’ont amenée à réaliser ce film, c’est qu’elle a des attaches familiales en République dominicaine qui lui ont permis de connaître les tensions identitaires qui affectent ce pays. Ce documentaire a gagné le grand prix du jury au festival du film Hotdocs en 2020. Alors nous allons suivre le parcours d’une avocate qui défend les droits de certains Dominicains d’origine haïtienne qui essaient de justifier leur nationalité dominicaine. Nous allons aussi suivre le parcours de quelqu’un né en République dominicaine qui s’est fait enlever la nationalité. Je vous laisse découvrir le reste du film. Caroline Tapia
Pour ceux qui l’ignorent, la République dominicaine et Haïti partagent la même ile d’Hispaniola. C’est là que Christophe Colomb est arrivé en premier avant d’éliminer les habitants qui l’avaient fort bien accueilli. C’est la plus ancienne colonie espagnole de toute les Amériques. Puis les Français sont arrivés 200 ans plus tard et ils se sont emparés de l’ouest de l’ile qui est devenu aujourd’hui Haïti. Les Tainos et les Arawak étaient les premiers habitants de l’île. Après leur extermination, les Européens ont commencé à faire venir des Africains pour les utiliser comme esclaves. Yves Carrier
Discussion après le visionnement
Quelles sont vos premières impressions ?
* J’étais découragé de voir ça. C’est beaucoup d’injustice pour beaucoup de gens qui doivent faire face à cette situation (environ 200 000 personnes). Quels sont l’ensemble des problèmes occasionnés par cette situation de sans papier ?
Bonsoir, merci pour l’invitation. Je suis Robenson Geffrard et je suis journaliste haïtien depuis 20 ans. J’ai travaillé sur ce dossier, j’ai écrit plusieurs articles et réalisé des reportages sur cette question. Pour répondre à votre question, lorsque vous êtes dans un pays et que vous n’avez pas de papier, vous n’existez pas. Vous pouvez travailler, mais sans aucune protection ou garantie légale et à un salaire bien inférieur à celui des nationaux, souvent dans des conditions inhumaines. Le patron vous donne ce qu’il veut et vous n’avez aucun droit. Vous vivez, mais vous n’existez pas en tant que citoyen, en tant que personne. La réponse est aussi cruelle que cela.
* Est-ce qu’il y a un espoir pour ces gens d’en sortir d’une façon ou d’une autre ?
À la base, ce sont des Dominicains qui ont été dénationalisés. Pour le gouvernement haïtien, ils n’existent pas et c’est la même chose du côté dominicain. En Haïti, ils n’existent dans aucune base de données. Ce n’est pas que l’État haïtien les rejette, mais c’est qu’ils n’ont jamais vécu en Haïti. Ils sont nés en République dominicaine, de même que leurs parents et leurs grands-parents. Alors, ils n’existent pas en Haïti. En faisant cela, la République dominicaine leur enlève leur humanité. Ils sont donc des apatrides, ce qui signifie qu’ils n’ont aucun droit en République dominicaine. C’est leur réalité. Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est qu’il y a plusieurs catégories de victimes de cette situation. Il y a des Dominicains d’ascendance haïtienne qui avaient à la base des documents légaux, passeport et carte d’identité. Avant cette nouvelle loi de 2013 sur la nationalité dominicaine, la constitution reconnaissait le droit du sol, c’est-à-dire, ceux et celles qui sont nés en ce pays obtiennent automatiquement la nationalité. Cette loi scélérate enlève ce droit et cible particulièrement les Dominicains d’ascendance haïtienne. Ce litige remonte à peu de temps après l’indépendance d’Haïti en 1804. Haïti est le nom originel en langue Tainos. Avec l’arrivée des Français, il y a eu des conflits avec les Espagnols pour le contrôle de l’ile. Un accord fut finalement signé entre les deux puissances impériales qui partageait l’ile en deux parties. La partie espagnole est demeurée sous la tutelle coloniale après l’indépendance d’Haïti. Alors les Dominicains ont fait appel aux Haïtiens pour les aider à s’affranchir de la couronne espagnole. Pendant 21 ans, les Haïtiens ont occupé la République dominicaine. C’est ce que les Dominicains sont incapables de pardonner aux Haïtiens. RG
* Je n’en reviens pas qu’on ne reconnaisse pas la personne. Dans le documentaire, on voit les souffrances engendrées par cette situation qui provoque la séparation des familles. C’est totalement inhumain. Lorsque l’homme essaie de faire valoir ses droits et de réparer l’erreur au registre civil dominicain, on ne l’écoute pas.
C’est le mépris total. RG
* Qui sont les personnages représentés par les statues ?
C’est un monument à la gloire de ceux qui ont lutté pour l’indépendance de la République dominicaine de la république d’Haïti. L’une des femmes que nous suivons dans le documentaire est une ultranationaliste. Cette loi scélérate oblige d’avoir des origines dans le pays avant 1929 pour obtenir ou préserver la nationalité. Il faut remonter trois ou quatre générations en arrière pour avoir ce droit. Le pire, c’est que c’est le gouvernement dominicain qui a fait venir ces Haïtiens pour travailler dans la canne à sucre. Cela fait maintenant plusieurs générations. Cette population n’a pas accès à l’éducation et elle est maintenue dans l’ignorance. YC
La situation qu’on observait avec les problèmes bureaucratiques au registre civil sont courants en République dominicaine. Ce n’est pas un cas exceptionnel. Il semble même que cela soit fait exprès pour compliquer la tâche de ceux et celles qui doivent démontrer leur appartenance à cette nation. CT
* J’ai deux questions. La première concerne le contexte de l’adoption de ce décret. Comment et pourquoi cela s’est fait? Est-ce que c’était lors d’un changement de gouvernement ? Ma deuxième question est par rapport aux apatrides. Est-ce qu’il y a eu des recours juridiques internationaux auprès des Nations Unies à ce sujet ? Je sais qu’il est possible d’obtenir du Haut Commissariat aux réfugiés un certificat d’apatridie. Je suis consciente qu’il s’agit de très longs recours juridiques pour des gens n’ayant ni la formation, ni les moyens de faire valoir leurs droits auprès des instances internationales.
Pour répondre à la première question, à chaque élection en République dominicaine, on assiste à un regain des ultranationalistes contre les Haïtiens. Il n’y a jamais eu d’élection en République dominicaine sans ce discours anti-haïtien. Effectivement, ce décret s’est produit dans un contexte électoral. Une dame dit dans le documentaire : « Le problème haïtien est facile à résoudre. » Elle sait de quoi elle parle. Les Dominicains ont essayé de résoudre le problème haïtien en 1937 avec le massacre qui s’est déroulé sous la présidence de Trujillo. Ce massacre a fait des dizaines de milliers de morts. C’était un massacre systématique comme au Ruanda. RG
Pour ce qui est du recours que les apatrides pourraient avoir auprès des instances internationales. Au fond, qu’il s’agisse de la communauté des nations caribéennes réunies dans l’organisation qui s’appelle CARICOM et l’Organisation des États américains, l’OEA, elles étaient montées aux créneaux, ainsi que l’ONU, contre la loi dominicaine. Le problème, c’est que le gouvernement haïtien de l’époque n’a pas réagi pour prendre la défense de ces apatrides. Ces dirigeants semblaient en complicité avec les autorités de la République dominicaine puisqu’ils n’ont donné aucune suite au mouvement de la communauté internationale pour faire reculer la République dominicaine sur ce sujet. Comme les autorités haïtiennes, premières concernées par la situation, n’ont donné aucune suite, la communauté internationale s’est désintéressée de l’affaire. Sur le plan national, en Haïti il n’y a jamais eu de recours légaux et en République dominicaine, le gouvernement s’en balance royalement. RG
* Le documentaire m’a rappelé la soirée que nous avons eue sur les travailleurs saisonniers sans droits. C’est encore pire ce qui se passe là-bas. Il existe en France, l’OFRA, l’Office français des réfugiés et apatrides. Pourquoi le gouvernement dominicain ne créerait pas un office dominicain des réfugiés et des apatrides ? Au moins cela leur donnerait un statut plutôt que d’avoir une non-existence.
Il y a une question de volonté politique qui n’est pas là. CT
Oui, mais la situation est tellement éloignée de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Déjà les gens ne peuvent pas se déplacer sans document sur le territoire dominicain. Croire qu’ils peuvent faire entendre leur voix sur un autre continent, c’est au-delà de leurs capacités. Malheureusement, c’est cela la réalité. RG
* Cet ultranationalisme est-ce seulement à l’égard des Haïtiens ?
Merci pour cette question. Cette loi est destinée essentiellement aux Haïtiens. RG
Si je peux ajouter quelque chose, il y a eu deux juges qui ont mentionné que cette loi est discriminatoire envers les Dominicains d’origine haïtienne. Donc, il a quand même des juges en République dominicaine qui n’ont pas cautionné cela, mais il n’y a pas de volonté majoritaire d’y remédier. J’ai aussi regardé un court métrage documentaire réalisé par un Américain qui démontre que cette discrimination est liée à la couleur de la peau. Lors d’un contrôle routier, une personne noire se fait demander ses papiers tandis que le passager à ses côtés, plus clair de peau, ne se les fait pas demander. CT
C’est lié puisque les Haïtiens sont à 95% noires. RG
* Ce que j’observais dans le film, c’est qu’effectivement c’est très touchant. Quand il y a un enfant au début qui demande à sa mère ce qui se passe et qu’elle lui répond que ces gens n’existent nulle part. J’ai trouvé cette parole forte. Il y a un discours politique qui prétend : « Les Haïtiens, on les aime chez-eux. On n’en veut pas chez-nous parce qu’ils nuisent. » Sauf qu’en même temps, l’industrie de la canne à sucre dépend fortement de cette main-d’œuvre à très bon marché. À quelque part, dans cette dynamique, il y en a qui ne veulent pas que les Haïtiens s’en aillent. C’est mon impression. Il y a une volonté de la classe d’affaires en République dominicaine de conserver cette main-d’œuvre en les maintenant dans une position subalterne et exploitable à volonté. Est-ce qu’il n’y a pas aussi de l’exploitation sexuelle avec l’industrie touristique ?
Pour la première observation, il s’agit d’une très bonne remarque. Certains travaux ne sont pas faits par les Dominicains. Certaines tâches, comme le travail dans les champs de cannes à sucre, la construction, sont réservées aux Haïtiens. À ce niveau, effectivement ils conservent les Haïtiens dans les champs de cannes à sucre, dans le secteur de la construction, et ils refoulent pratiquement tous les autres qui œuvrent dans d’autres secteurs. Les Dominicains ne peuvent pas se passer de la main-d’œuvre haïtienne. Ça c’est clair. En quelque sorte, leur richesse provient du labeur à bon marché des Haïtiens, mais en même temps, ils veulent avoir un contrôle sur la migration. C’est quelque chose de normal pour l’ensemble des pays, il faut contrôler l’immigration, mais les Dominicains et les Haïtiens ont signé des conventions sur la migration. C’est ce que les Dominicains ne respectent jamais parce que l’État haïtien est faible. C’est ce qui se passe et il y a beaucoup de corruption. Bien sûr, il y a aussi de la corruption en République dominicaine, mais je dois reconnaître que mon pays bat tous les records. RG
Je n’ai pas d’information en ce qui concerne l’industrie touristique. En ce qui a trait à l’exploitation sexuelle, c’est un enjeu qui est très présent en République dominicaine. C’est un sujet à creuser. CT
* J’ai vu un documentaire sur les bataïes en République dominicaine où les Haïtiens récoltent la canne à sucre. C’est une industrie assez énorme qui fonctionne avec des quasi-esclaves haïtiens. Évidemment les patrons sont des Dominicains qui s’enrichissent aux dépends des Haïtiens. Ceux-ci vivent dans des conditions misérables et inhumaines.
Ce sont des esclaves modernes tout simplement. Le Code noir n’existe plus, le système esclavagiste officiellement n’existe plus, mais dans la pratique dans les bataïes, comme vous l’avez souligné, c’est l’esclavage. C’est aussi simple que ça. RG
La République dominicaine les attire en leur promettant des salaires convenables et quand ils arrivent, on les paie à peine pour demeurer en vie. YC
* À qui appartiennent ces plantations? S’agit-il de plusieurs propriétaires ou de grandes multinationales étrangères sur lesquelles les États-Unis ont de l’influence ?
Je ne dirais pas que ce sont des multinationales. Ce sont plutôt des grands propriétaires terriens dominicains. RG
Historiquement, il y a eu beaucoup d’entreprises américaines au début du 20ème siècle. CT
* J’essaie de comprendre quelle est l’influence des Américains, qu’est-ce qui serait à leur avantage de lutter contre ces maltraitances ?
Il faut comprendre que le sucre est la drogue des temps modernes. Il y en a dans tous les produits alimentaires industriels. Alors garder son prix très bas en exploitant une main-d’œuvre dans des conditions misérables, c’est primordial pour le maintien des intérêts économiques nord-américains et européens. YC
* Haïti paie le gros prix pour avoir été la première république noire indépendante. Ils ont battu l’armée de Napoléon. Haïti paie aussi pour avoir aidé Simon Bolivar à libérer l’Amérique latine. Haïti va continuer à payer et c’est ben rentable pour ceux qui l’exploitent. On peut se servir de ce pays et des Haïtiens pour n’importe quoi. C’est un horrible malheur.
Est-ce que tu connais des organismes qui travaillent pour la défense de ces personnes apatrides en République dominicaine ou bien en Haïti ? CT
Oui, il existe plusieurs organisations qui militent en Haïti et en République dominicaine comme le GARR et aussi la Fondation Ziré, dirigée par un Haïtien et un Dominicain, qui montent aux créneaux pour dénoncer ce genre de situation. Il y a le GARR qui travaille sur la frontière et reçoit des Haïtiens déportés, d’ascendance haïtienne ou dominicaine. Ils les orientent et les hébergent pendant un certain temps. Ces organismes font un travail assez honorable. RG
Est-ce qu’ils peuvent former une coalition d’organismes pour faire pression sur le gouvernement de la République dominicaine ? CT
Ce n’est pas encore arrivé, mais les organisations considérées comme des OBNL ne sont pas si influentes pour avoir des impacts sur les politiques internes en République dominicaine. RG
* Pour revenir au documentaire, quels sont les papiers les plus importants que ces gens doivent avoir ?
Après la loi qui a décrété la dénationalisation des Dominicains d’ascendance haïtienne, la République dominicaine a mis en place un programme pour donner des visas à ces gens qui avaient une nationalité. Les autorités leur ont dit : « Maintenant on va vous accorder des visas. » Il s’agit d’un énorme recul pour ces gens. Pour obtenir ce visa, il faut avoir des documents comme une carte d’identité, un passeport qui ne peut être délivré que par un pays, mais ces gens sont apatrides. C’est un piège. La plupart n’ont pas pu obtenir de papier. Cependant, des Haïtiens venus s’établir en République dominicaine ont bénéficié de ce programme, mais pas ceux et celles qui s’y trouvent depuis trois ou quatre générations. RG
Moralement et légalement, les autorités haïtiennes ne peuvent pas interdire l’accès au territoire à la diaspora haïtienne en République dominicaine. Sauf que l’État haïtien n’a pas la capacité d’accorder la nationalité aux apatrides. La fonction publique ne fonctionne plus dans ce pays et les conditions économiques ne permettent pas de les accueillir convenablement. Aujourd’hui, en Haïti, sur les 12 millions d’Haïtiens, environ 3 millions n’ont pas de certificat de naissance. Le pays n’a pas la capacité de délivrer ce papier élémentaire qui reconnait l’existence d’une personne. Alors, c’est encore plus compliqué de procurer ce papier à quelqu’un qui est né à l’étranger. On peut bien avoir la volonté, mais on n’a pas les moyens de le faire. C’est cruel, mais c’est comme ça. RG
Un commentaire général, depuis une vingtaine d’années, les Haïtiens émigrent massivement vers l’étranger, d’abord en Amérique du Sud, au Venezuela, au Brésil et au Chili, puis ils sont remontés à pied vers la Colombie, ils ont franchi l’isthme de Panama, remonter l’Amérique centrale et le Mexique, et ils se retrouvent maintenant à la frontière des États-Unis. On les retrouve partout en Amérique du Sud, ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. Au Chili, leur présence remonte à une dizaine d’années tout au plus. Au Brésil, la porte leur était ouverte au début à l’époque de la coupe du monde de soccer, il y avait beaucoup d’emplois disponibles. Puis, lorsque la crise économique a frappé, ils n’étaient plus les bienvenus et ils ont repris la route de la migration vers le nord. Le parcours qu’ils ont réalisé à travers l’Amazonie, la Colombie, l’Isthme de Panama, l’Amérique centrale et le Mexique, est comparable à un exode biblique. YC
Il n’y a pas que les Haïtiens, il y a aussi les Colombiens, les Vénézuéliens, les Honduriens, les Guatémaltèques, les Salvadoriens et tutti quanti. RG
Peut-on dire que Haïti est un État failli (fail state)? YC
Oui, c’est le cas de le dire. Le président a été assassiné chez lui le 7 juillet 2021. On dit que c’est l’œuvre d’un commando colombien. Une dizaine sont détenus depuis ce jour-là. La justice haïtienne n’a toujours pas élucidé ce cas. Aujourd’hui, le dossier est entre les mains de la justice américaine. Tous ceux qui ont été arrêtés dans le cadre de cette enquête ont été transférés aux États-Unis. Il n’y a pas de président en fonction depuis l’assassinat du dernier. Les élections n’ayant pas eu lieu, il n’y a aucun élu en tant que tel. Le pays est dirigé par un premier ministre désigné. C’est le cas de le dire. Le pays fait face à beaucoup de problèmes, mais il y a de l’espoir. L’espoir ce sont les étudiants haïtiens qui étudient à l’étranger, au Canada, aux États-Unis, en France, et qui veulent retourner pour aider à reconstruire leur pays. Nous sommes des centaines et nous représentons en quelque sorte l’espoir. Je ne veux pas caricaturer et dire que le pays est fini, il n’y a plus rien à faire et il faut fermer boutique. Non, l’espoir est encore là.
* C’est vous l’espoir.
* Ce qui se passe en République dominicaine me fait penser à l’Afrique du Sud. Avec la politique de l’Apartheid, on a voulu faire en sorte que les Noirs deviennent des étrangers dans leur propre pays. En permettant que les bantoustans deviennent indépendants, évidemment sous le contrôle du gouvernement sud-africain, on privait les Noirs de la nationalité sud-africaine.
* Tu parlais des diasporas. Je ne connais pas les communautés dominicaines au Québec, mais je sais qu’à New York ils sont fort nombreux. Comment sont les relations entre les deux communautés, haïtiennes et dominicaines, dans cette ville ? Est-ce qu’il y a des tensions entre ces deux diasporas ?
Ce que j’en sais, c’est qu’il y a quand même cette idée raciste qui est présente chez les Dominicains qui rejettent la partie noire qui est en eux. Heureusement, ce n’est pas le cas de tous et de toutes. Il y a parfois des tensions et les Dominicains vont éviter de fréquenter certains quartiers à majorité afro-américaine. Alors ils restent entre eux. Ce n’est pas mon cas, mais ces idées sont présentes dans la diaspora dominicaine. On retrouve aussi ce racisme chez d’autres nationalités comme par exemple entre Colombiens et Afro-Colombiens parfois. CT
Il se trouve que les Dominicains ont des stéréotypes à l’endroit des Haïtiens. Comme journaliste, je suis allé faire un reportage et je suis descendu à l’hôtel Hilton et les Dominicains ne croyaient pas que j’étais Haïtien parce que je logeais à cet endroit. De même, lors de mes études en communication en France et en Chine, j’ai rencontré des Dominicains et pour eux, je ne pouvais pas être Haïtien. À leurs yeux, les Haïtiens sont des gens très pauvres et non éduqués qui effectuent les travaux physiques les plus pénibles. Ils ne peuvent pas être des intellectuels. Ils ont des clichés de ce que représentent les Haïtiens. RG
Dans le documentaire, les femmes ultranationalistes ont aussi exprimé certains clichés en ce qui a trait à la violence et à la délinquance qui sont très fréquents dans les idées qui circulent. Des préjugés comme ce sont des violeurs, des criminels. CT
Souvent, on généralise à partir d’un cas. YC
* Ici, les Haïtiens du Nord, ce sont les autochtones. Ce qui m’a interpelé, c’est le phénomène de l’ego. L’égoïsme humain en raison du type de raisonnement que nous nourrissons, le mental rationnel qui discrimine et établit des catégories et des hiérarchies. Aussi notre pensée linéaire qui perçoit le temps comme une ligne qui progresse toujours. Avec Darwin, des arguments ont été apportés à la ségrégation ce qui fait que nos esprits ont été formatés. Nous le sommes par les médias de masses et tous les écrans qui font écran avec la réalité. Nous vivons cela dans nos écoles, à d’autres niveaux, qui consiste à juger plutôt que d’accueillir la différence. Il faut analyser les préjugés que nous portons pour apprendre à les dépasser. Il faut d’abord se libérer l’esprit pour pouvoir être accueillant. Notre raisonnement ne s’arrête jamais et il ne laisse pas de place au silence et à l’introspection. De ce fait, nous refusons notre responsabilité devant ce qui arrive et nous cherchons des coupables.
Propos rapportés par Yves Carrier