Noël au CAPMO
Bonsoir. Maintenant que nous avons bien mangé, nous allons vivre un cercle de parole. Le but des soirées mensuelles est de recueillir vos idées après que nous ayons partagé un repas. À chaque année, nous essayons de traiter la thématique de Noël sous un angle différent. Au cours des dernières années, nous avons parlé de la Paix dans le monde, de la Nativité, des cadeaux que la vie nous faits, des exilés, des solstices de nos vie, et cela de façon non confessionnelle afin que ceux et celles qui n’ont pas d’adhésion religieuse se sentent quand même à l’aise de partager ce qui les habite.
Comme groupe d’éducation populaire nous avons comme principe d’interpréter le monde en solidarité avec les gens les plus vulnérables de la société et du monde en général. Nous demandons aussi à ceux ou celles qui détiennent une plus grande instruction, d’avoir l’humilité de mettre leur savoir entre parenthèses pour entendre ce que les autres ont à dire parce que nos échanges ne sont pas un concours d’érudition. S’inspirant de la tradition autochtone, notre bâton de parole ce soir sera une chandelle. Lorsqu’une personne prend la parole, il doit avoir la chandelle entre ses mains et les autres n’ont pas le droit de l’interrompre, ils doivent l’écouter en silence pour lui permettre d’exprimer le fond de sa pensée. Je vous demande de pratiquer l’écoute active en vous concentrant sur ce que chaque personne nous raconte, vous verrez, cela donne des résultats surprenants. Évidemment, comme nous sommes assez nombreux, je vous invite à être assez bref dans vos interventions. Cela dit, vous n’êtes pas obligés de parler si le thème ne vous inspire pas. Le thème que nous vous proposons ce soir est : Une présence mystérieuse.
Je vous invite, à tour de rôle, à nous partager une expérience de votre vie, un point tournant en quelque sorte, où vous avez senti un moment de plénitude, de paix profonde, d’harmonie, d’amour cosmique, d’extase, des moments de grâce disent certain.es. L’important c’est que vous ayez été touchés à l’intérieur de vous-mêmes de manière positive et que ce soit un moment que vous n’oublierez jamais, un moment de révélation sur ce que la vie peut nous apporter de plus beau. YC
Nous avons aussi comme tradition à Noël d’interrompre les échanges après qu’une personne ait terminé, par des chants de Noël pour détendre l’atmosphère et nous réveiller un peu. Gérald
Nous essayons d’instaurer une tradition dans nos activités qui consiste à remercier la vie pour les occasions de partage qui nous sont données de vivre ensemble. Cela nous permet d’être conscients des relations qui nous touchent. Nous sommes réunis ici, ce soir, parce que nous avons des relations qui nous permettent de survivre et de nous rencontrer, de vivre ce moment ensemble comme une occasion d’apprentissage. Hier soir, c’était la journée du solstice d’hiver, la journée la plus courte de l’année. Par ce phénomène, la nature nous montre comment la vie est faite de lumière et d’obscurité. C’est aussi ce qui se produit à l’époque des fêtes de fin d’année qui représentent la fin d’un cycle et le renouveau. Si nous devons remercier la vie pour quelque chose, c’est le pouvoir de régénérescence que nous offre l’accroissement de la durée des jours. Il faut remercier la vie comme une possibilité d’être ensemble, mais aussi comme possibilité de s’engager pour le bien commun, dans la construction de la justice sociale et d’un autre monde possible et meilleur pour tous et toutes. Il faut aussi remercier la Mère Terre qui continue les cycles qui nous permettent de continuer d’être en relation. Mario Gil
* En 2021, j’ai perdu un de mes frères, mais il n’y avait pas de funérailles. Alors je me suis dit que je devais quand même faire quelque chose. Je suis sortie et j’ai acheté quatre ballons blancs gonflés à l’hélium puis je suis allée sur les Plaines d’Abraham où je les ai lâchés un à un en mémoire de quatre êtres chers que j’avais perdu au cours des dernières années. Je les ai lâchés en demandant au ciel de venir m’aider à passer à travers ces deuils. Je me suis dit que cela m’aiderait à soulager ma peine. À chaque ballon, c’était pour l’une des personnes que j’ai nommées. Un fait étonnant est que chacun d’eux a pris une direction différente. Cela m’a beaucoup touché. Ça a apaisé ma peine et la douleur que je vivais à l’intérieur. Je me suis sentie soulagée d’avoir posé ce geste.
* J’ai une histoire douloureuse à vous partager. Je suis une réfugiée salvadorienne et je vis ici depuis 32 ans. J’ai perdu mon époux et mon frère en même temps à cause de la guerre civile dans les années 1980. J’ai quitté mon pays parce que je n’avais plus envie de vivre là-bas. Maintenant, je me sens mieux, mais je ne retrouve pas ici la même chaleur qu’en Amérique latine. Je trouve que les Québécois sont distants avec nous, qu’ils sont froids. Je remercie l’Éternel et le gouvernement canadien qui m’a accueillie ici. J’essaie d’être heureuse dans mon nouveau pays.
* Cela fait 30 ans que je suis ici et je viens du El Salvador. Je tiens à remercier le CAPMO pour avoir préparé ce souper de Noël. C’est très apprécié. En juin 2020, un de mes amis s’est noyé dans la rivière Montmorency, il s’appelait Ricardo Figueroa. Tout comme moi, il n’avait pas de famille ici et nous avions une relation fraternelle. Je profite de ce moment pour vous inviter à une messe en mémoire de cet ami disparu qui aura lieu samedi le 7 janvier 2023 à 16 h à l’église Notre-Dame de la Recouvrance, 260 avenue Bélanger à Vanier. La messe sera suivie d’un goûter. Ce serait un honneur pour nous que vous soyez là.
* Pour commencer, je tiens à remercier le CAPMO pour ce repas de Noël. Je me sens très bien ici à Québec depuis 32 ans. Présentement, je reçois la visite de mon petit fils qui vit à Los Angeles. C ‘est un homme maintenant, il a 27 ans, mais il est né ici à Québec et ses parents ont déménagé lorsqu’il avait moins d’un an. Il a toujours conservé un intérêt pour le Québec et il apprend le français. Il est venu ici pour nous voir et connaître la neige.
* Bonsoir, désolé pour mon français. Je suis en vacances ici avec mon oncle et ma grand-mère. C’est la première fois que je viens ici et je trouve cela vraiment froid. (rire général) Je suis heureux d’être ici.
Par rapport à cette idée de la présence mystérieuse, je peux apporter un témoignage qui est lié au cheminement que j’ai vécu et dans lequel les plus âgés vont sans doute se reconnaître. J’ai grandi dans une société où la présence mystérieuse faisait partie de la vie. Elle nous était rendue connue en grandissant, à travers un enseignement religieux. Ce n’était pas seulement des idées et des vérités qui étaient transmises, mais on nous incitait à engager une relation avec cette présence mystérieuse. On appelait cela la prière et la définition de mon Petit catéchisme publié en 1948 par les évêques du Québec, c’était: une élévation de notre cœur vers Dieu pour lui parler. Parce que la présence mystérieuse avait un nom de code qui était Dieu. Bien sûr, il y avait toute sorte de représentations qui étaient attachées à cela. Je veux insister sur le terme : élévation de notre cœur. Associé à cela, il y avait toutes sortes d’idées doctrinaires, hiérarchiques, une discipline très rigoureuse ainsi qu’une structure qui n’était pas très démocratique, mais il y avait aussi cette relation à cette présence du mystère et cette implication de la dimension émotionnelle dans cette relation.
Je vous avoue que j’ai perdu cette relation au cours des années à force de trop étudier. J’ai découvert les sciences humaines et j’ai appris que les doctrines qu’on nous enseignait n’expliquaient pas tous les phénomènes de la réalité et qu’on pouvait penser le monde autrement. Mais, même pendant la période de ma vie où je me définissais comme un agnostique et un athée, je parlais toujours de la contemplation du mystère, de ce qui nous dépasse. Il y a des gens qui se font un absolu de leur petite personne et de leur petit monde, mais on sait par expérience que ce ne sont pas des absolus. L’absolu se situe au-delà. Puis, vers l’âge de 50 ans, cette expérience de la contemplation du mystère s’est traduite par une expérience intense et profonde. Rassurez-vous, je n’ai pas eu de vision, ni entendu de voix, mais j’ai été comblé par un sentiment de plénitude. Ça a été une expérience qui a marqué ma vie et déterminé des choix que certains ici connaissent. Cela demeure pour moi un repère sur lequel me reconnecter quand la vie n’est pas facile. Cela remplit ma vie avec plein de doutes quand même. Gérald Doré
Vive le vent….
* Ulisses Nieves nous a quittés l’été dernier. Je voulais qu’on lui rende hommage. Il y a des personnes qui l’ont connu ici. C’était un ami.
* Moi, j’étais auprès de lui lorsqu’ils l’ont débranché du respirateur artificiel à l’hôpital. Il avait eu une commotion cérébrale et ils ne sont pas parvenus à le réveiller. Comme il n’avait pas de famille, personne n’a réclamé son corps.
* On se souviendra tous de sa force, de sa générosité, de son implication, de son esprit de partage, de son plaisir d’être avec les autres et de son caractère de feu.
* Il avait une richesse spirituelle dans ses partages, c’était quelqu’un de très profond.
* Un moment de plénitude qui me vient à l’esprit, c’est lorsque j’ai participé à la mission de paix sur le fleuve Saint-Laurent entre Kahnawake et Québec. Cela consistait à faire le trajet en rabaska en ramant pendant plusieurs jours, plusieurs personnes ensemble. À un moment, l’eau était si calme et il y avait de la brume sur le fleuve, que nous avons cessé de ramer et nous avons vécu ensemble un moment exceptionnel de paix intérieure. L’eau était comme un miroir, mais c’est vraiment rare qu’il n’y ait aucun mouvement sur le fleuve. On s’est laissé porter et personne ne parlait. C’était un moment très profond d’éternité. J’avais déjà vécu cela toute seule, mais avec un groupe d’amis, c’est très particulier. Un autre moment de plénitude dans ma vie, c’est lorsque j’ai accouché de mon fils et que je l’ai eu sur moi. C’est la vie dans sa plénitude.
* Moi aussi, j’ai un moment de plénitude à vous partager. On vit en ville, ça bouge, il y a beaucoup d’affaires. Quand je peux aller avec mes gars dans le bois, rentrer dans la forêt avec eux, pour moi, c’est un moment de bonheur et nous sommes émerveillés. C’est tellement beau, c’est malade. Avec la scie mécanique, nos sac-à-dos, nos lits de camps, et on monte dans un camp qui est à une heure et demie de marche dans le bois. Là, nous n’avons que quatre murs et un toit percé, un poêle à bois, trois chaises et c’est le bonheur. Pour nous, c’est le plus beau moment. C’est un havre de paix où je vis la plénitude.
* Je n’ai pas de moment précis à vous partager. Je vis beaucoup de moments de contemplation. Je me sens souvent heureuse. J’ai hâte de me lever le matin pour vivre ma journée. Je sais qu’une présence m’accompagne parce que j’ai grandi avec beaucoup d’amour. Pour moi la magie, ce qui est magnifique et divin, c’est que j’ai les mêmes papillons à tous les jours d’aller voir maman. Pour moi le divin existe dans le sens où je sais que chacun de mes pas est guidé par l’amour de ma famille, par l’amour de mes proches. Je remercie pour l’année qui se termine qui a été une année magnifique. Je tiens à remercier le CAPMO, merci de m’avoir accueillie dans votre famille, il y a deux ans. Ça a réellement changé ma vie. Merci de la confiance que vous m’accordez. Cette semaine, j’ai vécu un très beau moment au Centre Saint-Louis avec les jeunes. Ce fut pour moi une année de construction. Je ne demande pas à la vie de m’éviter des moments difficiles, mais simplement de me donner la force de les traverser.
J’aimerais aussi vous partager un moment de cette présence mystérieuse que j’ai vécu. Ce sont des instants qui changent notre vie et qui te font réaliser quelque chose. Je me rappelle que nous avions fait une grève étudiante massive en Colombie. Des associations étudiantes de tout le pays s’étaient mobilisées et étaient venues manifester à Bogota et nous avions bloqué toute la ville. Après cela, les conséquences ont été une féroce répression envers les leaders étudiants dont plusieurs ont été assassinés. Après cela, nous avons voyagé avec un ami et les paramilitaires nous ont capturés et ils nous ont amenés à la montagne. Je pensais que nous allions mourir parce que c’était ce qui arrivait lorsque des paramilitaires capturaient les gens. J’ai senti que la mort était près de moi. Le miracle qui s’est produit, c’est qu’ils ne parvenaient pas à communiquer avec leurs supérieurs pour recevoir des ordres à notre sujet. Alors nous avons été sauvés parce qu’ils ne pouvaient pas savoir qui nous étions.
Lorsqu’ils nous ont relâchés près d’une autoroute, un camionneur nous a embarqués. Il était conscient que nous étions en danger et il a fait tout ce qu’il pouvait pour nous sauver. C’était extraordinaire. À cet instant, j’ai réalisé que la vie nous donnait une autre opportunité. Un autre bon moment de ma vie, c’est lors de la naissance de mon fils et que je réalisais qu’il pouvait vivre simplement avec le lait de sa mère. J’étais émerveillé et ému de voir cela. Mario
* Il y a un mois, j’ai une amie qui est décédée, Marie-Noëlle Simard. Elle était lourdement handicapée et elle a demandé l’aide médicale à mourir. Elle ne parlait pas, elle était attachée sur sa chaise, mais malgré cela, elle avait été à l’université en psychologie et en criminologie, elle avait voyagé jusqu’en Asie et elle avait effectué 25 sauts en parachute. Ce qui m’a fait de la peine, c’est que je l’ai connue jeune, mais je ne pouvais pas lui parler parce qu’elle communiquait uniquement avec un tableau qui était assez compliqué à l’époque. Il était très difficile de lire ce qui apparaissait sur cet écran. Mais, au cours des quatre dernières années, la technologie s’étant beaucoup améliorée, j’avais commencé à communiquer régulièrement avec elle par internet. Quand elle a décidé de demander l’aide médicale à mourir, c’est qu’elle n’était plus capable de s’alimenter. Mais c’était quelqu’un qui aimait la vie. Je n’ai pas pu la voir physiquement en dernier et cela m’a fait beaucoup de peine. Ce qui m’aide à accepter, c’est qu’elle a vécu sa vie à fond avec une grande détermination. En plus, c’était une militante, elle était solidaire des femmes autochtones et elle s’est engagée pour la cause de l’autonomie des personnes vivant avec un handicap. Elle est décédée à l’âge de 47 ans. Ma détermination de tous les jours s’inspire du fait que je ne suis pas seul à vivre avec un handicap. Le dernier message qu’elle a écrit nous demandait de prendre soin des autres êtres humains et de se soutenir les uns les autres. Ce n’était pas quelqu’un de religieux, mais elle avait une spiritualité assez forte.
Quand j’entends chanter Noël ….
* Cela fait parti de la vie de vivre des moments magiques. Je me considère privilégié parce que j’en ai vécus plusieurs et souvent, au-delà de ce que je demandais. Un moment particulier que j’aimerais vous partager, c’est lors de mon premier voyage dans l’Ouest canadien. J’avais 19 ans et j’avais reçu une bourse pour aller apprendre l’anglais à Vancouver. Comme ma sœur aînée y avait été sur le pouce plusieurs années avant moi, je me suis dis que j’étais capable de rééditer l’exploit. Alors j’ai voyagé seul sur le pouce, pendant une semaine, me cachant le soir dans les bosquets à la tombée du jour. Ça a été une épreuve d’affronter mes peurs, surtout la nuit dans ma petite tente. Bref, au bout d’une semaine j’aperçois les Rocheuses canadiennes peu de temps après être entré en Alberta. Au début toutes petites à l’horizon, elles grandissait au fur et à mesure que je faisais route vers l’Ouest jusqu’à devenir immense. Ça a été un moment d’extase qui récompensait mes efforts pour me rendre là. Dans la vie, on dirait qu’on a besoin de surmonter des épreuves pour apprécier les moments de grâce qui nous arrivent. Pour moi, la nature sauvage me communique des moments d’extase où je sens que j’appartiens à un tout. Je me souviens aussi d’avoir pleuré devant un coucher de soleil sur l’océan Pacifique à San Francisco. Je trouvais cela magnifique, mais je n’avais personne avec qui partager ce moment. Je retiens le sentiment de satisfaction par rapport à une épreuve, un défi, un travail, une exigence que nous avons traversé ou accompli. C’est une sorte de cadeau qu’on reçoit après. C’est comme cela que je le comprends.
* Je pense que l’être humain est un animal social et c’est triste de vivre seul des moments comme Noël. Un moment d’extase, c’était il n’y a pas très longtemps, je fais partie du comité des aînés des Loisirs Montcalm. Nous avions reçu une subvention dans le but de proposer des activités par, pour et avec des aînés, pour les faire participer. Plusieurs aînés ne sont pas à la fin de leur vie, ils ont de l’énergie et des capacités. Certain.e.s sont plus actifs que certains jeunes et je trouvais cela dommage que nous ne puissions rien faire. L’activité que j’avais proposé était une soirée poésie et musique. Mon but c’était de les faire chanter et je voulais que ce soit eux qui choisissent le programme parmi le répertoire que je connaissais. Je voulais qu’en chantant avec moi, ils se sentent acteurs et participants. Alors le 6 octobre dernier, accompagné d’un pianiste, j’ai donné mon premier récital, à l’âge de 80 ans. J’ai chanté deux heures et je suis très content de la façon dont ça c’est fait. Alors, pourquoi c’est un moment d’extase? D’abord, malgré mon vieil âge, je découvrais une expérience nouvelle et ça c’est parce que je suis profondément convaincu qu’à tout âge, la vie est faite pour apprendre. Malgré mes craintes, je découvrais que je pouvais encore faire des choses. Il y a toujours une alternative, la vie est une suite de décisions, une suite de problèmes à résoudre, et vous n’aurez pas toujours un professeur qui vous dira si c’est correct ou si cela ne l’est pas. Il faut que vous appreniez à vous faire confiance. Alors, il faut se faire confiance et la vie est faite pour apprendre, peu importe notre âge. Maintenant, quand je rencontre des aînés qui me disent qu’ils ont plus d’années derrière eux que devant, je leur dis que ce n’est pas cela qui compte, c’est celles qui sont devant. Ta vie commence maintenant et c’est à toi de faire ce que tu peux pour que le reste de ta vie soit le plus beau possible. C’est ce que je m’efforce de vivre.
* Il ya plusieurs années, je rentrais d’un court voyage en train et j’étais descendu à Lévis, près du traversier. Il faisait très beau, mais il y avait du brouillard, j’apercevais le Château Frontenac et toute la ville de Québec illuminé, c’était d’une beauté féérique. Quand tu reviens à la maison après quelques jours, c’est plus beau encore et j’ai trouvé cela enthousiasmant.
* En 2018, avec le CAPMO, nous avons assisté à une rencontre de 2 jours avec les peuples autochtones au sanctuaire du Cap-de-la-Madeleine. J’ai participé à toutes les activités dont la marche au flambeau le soir. Cette activité m’a marqué aux niveaux spirituel et humain. Pour conclure l’activité, il y avait une cérémonie du feu. Il fallait que je monte sur une butte pour y accéder. J’avais besoin d’aide pour monter et comme il s’agissait d’un rite autochtone, je voulais que ce soit un membre des Premières Nations qui m’accompagne pour déposer ma lanterne dans le feu. Ça m’a marqué comme rituel et c’est l’une des plus elles activités que j’ai vécue avec le CAPMO. Malgré mon handicap, j’arrive à marcher plusieurs heures et cela surprend les gens. Dans ce que je vis, il faut que j’aille une force, sinon je resterais chez moi à pleurer toute la journée. Il faut se battre à tous les jours pour avancer, comme dans toutes les luttes sociales que nous menons. En tant que président du conseil d’administration du CAPMO, j’aurais une dernière chose à dire: Je tiens à remercier tout le monde qui sont venus ici ce soir pour le partage et le souper de Noël et j’aimerais féliciter tous ceux et celles qui ont participé à la préparation du repas. Je vous souhaite à tous et à toutes un joyeux temps des fêtes.
* Nous avons tous et toutes eu des parcours de vie particuliers ou difficiles. Quand je regarde la lumière de la chandelle, cela me rappelle des souvenirs et je me dis qu’au but de notre tunnel, il y a toujours une lumière qui est là, qui peut t’aider et te guider dans ton avenir. Cela me ramène à mon enfance où on me disait que je ne serais jamais capable de ne rien faire dans la vie, puis aujourd’hui, le militantisme que je fais, pour moi, ça a été ma lumière au bout du tunnel. Ça me permet de m’épanouir, de sentir que j’existe et ce que je fais, je le fais avec amour et parce que j’ai besoin de le faire.
C’est l’héritage que mes parents m’ont légué parce qu’ils étaient beaucoup à l’affut des besoins des autres, ils portaient attention aux voisins, aux oncles et aux tantes, et ainsi de suite. C’est ce que je m’efforce de faire au quotidien, avec les connaissances qui sont ici. C’est important d’en parler ici ce soir parce que je trouve que cela rejoint le thème de la présence mystérieuse. Cela fait partie de ma résilience. Parfois on voit et on entend des choses. Quand j’étais plus jeune, j’avais visité l’Oratoire Saint-Joseph. J’accompagnais un groupe de personnes vivant avec des handicaps et j’ai rencontré une jeune femme en fauteuil roulant qui n’avait ni jambe, ni bras. Elle était née comme cela. Nous avons parlé pendant une bonne heure puis elle s’est excusée et elle est partie. Après, pendant la messe, j’entends une voix angélique qui chante et je me demande qui peut avoir une si belle voix? Je me lève et je l’aperçois qui est en train de chanter. J’étais émerveillée d’entendre la voix d’ange qu’elle avait. C’est un souvenir merveilleux que je conserve dans mon cœur. Je remercie le CAPMO parce que des soirées comme ce soir, c’est riche de cœur, d’amour et d’esprit. On sort d’ici avec beaucoup d’énergie.
* Un an après le décès de ma tante, ma cousine m’a demandé de porter sa photo jusqu’à l’autel lors du service anniversaire. J’ai conservé mon calme et après le service je devais le ramener à l’extérieur de l’église. C’est là que j’ai éclaté en sanglots. Cela m’a fait du bien de pleurer, cela m’a soulagé. J’ai quand même réussi à me contenir tout au long de la cérémonie. J’étais très attaché à ma tante et son départ a été très pénible pour moi. J’ai réalisé que je devais la laisser partir. J’ai eu une force de caractère de passer à travers ça et j’ai retrouvé la paix.
* Je vais vous raconter une histoire qui s’est passé il y a 23 ans. En 1999, je suis venu m’installer à Québec pour suivre des cours. Je suis une personne non voyante et toute ma famille était d’avis que je ne devais pas aller vivre à Québec, mais j’ai une tête de cochon et je l’ai fait quand même. Je suis venu ici plusieurs fois pour me trouver une chambre et m’inscrire à l’école. J’ai habité à deux endroits en chambre et pension, ensuite je suis resté neuf mois en résidence d’apprentissage à Charlesbourg en foyer autonome. Depuis ce temps, je demeure en appartement, j’ai complété mon secondaire, j’ai fait des cours au cégep et je fais beaucoup de bénévolat. Je suis membre du conseil d’administration du CAPMO. Je milite aussi au Collectif TRAAQ et à l’ADDS-QM, je participe également à des groupes de recherche. J’ai aussi rencontré ma blonde en allant à l’école. Si je n’étais pas venu vivre et étudier à Québec, je n’aurais pas connu un tel cheminement qui me permet d’être autonome et de vivre par moi-même.
* Merci d’organiser un souper de Noël pour nous donner l’occasion de porter du linge de Noël. Il y aurait plusieurs moments, mais j’ai envie de vous partager mon expérience avec la Bio dansa qui est la danse de la vie et cela vient d’Amérique du Sud. J’ai commencé en 2014, ça a changé ma vie. J’aime le mouvement. Les paroles, je trouve cela long et compliqué. Parfois, c’est difficile ce que les gens veulent nous communiquer à cause de l’interprétation différente du vocabulaire. Cela conduit parfois à des conflits, à des mésententes. La Bio dansa, c’est de la musique et on danse. On ne peut pas se chicaner, on écoute l’élan qui provient de l’intérieur et je trippe. En 2017, j’ai débuté une formation pour devenir formatrice et animer des groupes, mais il y a eu la COVID 19. On a bien essayé sur zoom, mais ce n’était pas pareil. La Bio dansa, c’est beaucoup l’importance du regard, du contact, de la réciprocité. Tout le monde se retrouve en position d’égalité, en cercle. Cela rejoint beaucoup de mes valeurs et de celles que j’ai nourries au CAPMO. Les cours vont recommencer et je veux compléter cette formation. J’ai 30 à 60 pages à écrire sur un thème et j’ai choisi : L’archétype du Christ, l’Amour, qui est dansé parfois, mais qui n’est pas très développé dans l’approche. Un jour, je vais vous inviter au premier cours que je vais donner.
* Ici aussi, on pourrait avoir une petite initiation au début de nos soirées mensuelles.
* Un des moments d’extase au cours de nos stages, c’est l’exercice de la femme étoile qui consiste à recueillir toutes nos expériences de vie pour les faire rayonner. Ce sentiment d’aller puiser dans ses expériences donne une énergie intense. Merci au CAPMO qui fait partie de mes expériences depuis 2004.
En conclusion, Gérald va nous partager ses impressions sur cette rencontre. YC
Yves m’a demandé de faire la synthèse de tout ce qui s’est dit ce soir. Imaginez! Alors, je vais vous lancer quelques idées avec lesquelles vous pourrez partir.
Les premières interventions ont tout de suite mis l’accent sur le fait que la présence mystérieuse qu’on peut voir comme verticale, se vit à l’horizontale à travers les relations humaines. Nos amis latino-américains, Salvadoriens et Colombiens, ont tout de suite mis l’accent là-dessus. Dans les relations humaines, il y a celles avec les gens qui croisent nos vies, par exemple dona Inès et son petit-fils, mais il y aussi les relations avec ceux et celles qui nous quittent pour un autre monde. Cela a été souligné à plusieurs reprises et dans mon expérience, j’ai été en contact avec des gens qui vivaient des choses très intenses. À travers cela, Monique nous a partagé l’importance du rite. En quelque sorte, elle a inventé son propre rite avec le lancement des ballons. Dans les organisations religieuses, il y a des rites qui traversent les siècles, mais s’ils ne sont pas réactualisés, ils finissent par perdre du sens. C’est pourquoi il est bon de réinventer les rites. Éric en a mentionné un tout à fait étonnant, le saut en parachute. À travers des rites comme ça, s’exprime l’expérience gestuelle de la présence mystérieuse. Cela m’a beaucoup frappé.
Un autre aspect, c’est la rencontre de la présence mystérieuse à travers la nature. Il y a eu plusieurs témoignages là-dessus: le fleuve, la forêt, la montagne, l’océan. C’est très curieux parce qu’il y a un philosophe qui est très à la mode chez les intellectuels présentement. Il s’appelle Baruch Spinoza, un juif du 17ème siècle, qui s’est fait mettre à la porte de sa synagogue parce qu’il n’était pas assez orthodoxe. Pour lui, la nature était l’endroit de prédilection de la révélation de la présence divine. On l’a accusé de panthéiste, ce qui signifie déifier les éléments de la nature, alors que ce n’était pas cela qu’il disait. Autrefois, les Premiers peuples vivaient cela sans philosopher sur le sujet. C’est toute la spiritualité autochtone dont le sacrement, le signe sensible, c’est la nature. Cela revient dans plusieurs témoignages.
Autre chose, parmi les expériences humaines, celles de la naissance a été soulignée à deux reprises. C’est tout à fait de circonstance pour Noël qui signifie natalité. Cela vient du mot latin natalis qui veut dire naissance. Alors quand on se souhaite joyeux Noël, on se dit joyeuse naissance. On peut dire à l’autre: « Je te souhaite une joyeuse naissance », parce qu’on nait et on renait, spirituellement bien sûr. Il y a une parabole dans l’évangile où un nommé Nicodème demande à Jésus ce qu’il doit faire. Il lui répond qu’il doit naître à nouveau. Et Nicodème, un peu borné, lui demande s’il doit retourner dans le sein de sa mère. Le texte se termine en disant : Le vent souffle où il veut. Merci. Gérald Doré
Pour les peuples ancestraux, Noël correspond aussi avec le solstice d’hiver qui correspond avec la journée la plus courte de l’année dans l’hémisphère nord. C’était la célébration de la renaissance de la lumière avec l’allongement des jours. C’est le Grand Esprit qui est une sorte de magie qui va au-delà de notre capacité de raisonner et d’expliquer, quelque chose qui nous dépasse. Je dis que les ouvriers qui se soulèvent comme c’est le cas au Pérou présentement, c’est plus grand que l’idéologie et la compréhension du sujet. C’est une réaction du sujet qui n’en peut plus de subir autant d’injustices depuis si longtemps. Alors la vie personnelle ne compte plus, c’est la nation, le peuple qu’il faut sauver. Malgré les risques et les dangers, il y a une force qui les pousse à agir parce que c’est nécessaire. Je pense que nous devons nous souvenir du Grand Esprit comme une force qui nous pousse à croire et à avoir l’espoir, à avancer pour le bien de tous et de toutes. Mario
Je me souviens au El Salvador, après la guerre, que les liens d’amitiés qu’on tissait avec les gens étaient extrêmement forts. C’était d’une puissance énorme parce qu’on ne savait pas si on allait les revoir. Des individus que tu n’avais vu que deux fois et tu avais l’impression que c’était les meilleurs amis de toute ta vie parce qu’ils pouvaient être assassinés n’importe quand et parce que nous partagions un idéal commun. Il n’y avait rien que nous pouvions prendre pour acquis parce que les périls étaient grands. Cette incertitude provoquait un respect très profond entre les individus et marquait la qualité de nos rencontres. Yves
En effet, cela a été exprimé par quelques personnes, le militantisme comme une rencontre du précieux mystère. Effectivement, dans les expériences auxquelles tu fais allusion, les gens risquent leur vie parce qu’ils vivent quelque chose qui se situe au-delà des réflexes et des besoins quotidiens. C’est une autre chose qui m’a frappé. Dans le témoignage que Mario a fait sur sa capture par les paramilitaires en Colombie, il y a une expérience de salut. C’est un thème qui est très présent dans les traditions religieuses, en particulier dans le christianisme. Ce n’est pas qu’un thème abstrait qui est réservé à l’au-delà, il y a aussi des expériences dans la vie qui nous rendent proche du salut, quelqu’un qui nous sauve d’une situation. Lorsque tu as parlé des camionneurs qui vous ont fait monter, je pense aussi au couple d’une Québécoise et d’un Italien qui ont été prisonniers presqu’une année d’un groupe fanatique en Afrique, qui sont parvenus à se sauver grâce à l’aide d’un camionneur parce qu’il fallait qu’ils quittent ce territoire. Quand on pense au salut, c’est quelque chose qui se vit grâce à l’altruisme de quelqu’un d’autre qui accepte de prendre des risques pour nous sauver. Il y a aussi les expériences de nouveaux apprentissages qui peuvent aussi être vécus comme une rencontre avec une présence mystérieuse qui amène un élément de vie et très souvent cela se traduit par un hymne de gratitude à la vie. Je pensais au poème de Violetta Para : « Gracias a la vida », chanté par Mercedes Sosa.
En mémoire d’Ulisses Nieves…
Gracias a la vida…
Propos recueillis par Yves Carrier