#329 – Constats préliminaires de la mission d’observation des droits humains en Colombie

CR-01-2022

La Colombie sort d’un conflit armé vieux de soixante ans qui a fait au moins 300 000 morts et 8 millions de déplacés internes sur une population de 50 millions d’habitants. Des accords de paix ont été signés en 2016 avec les FARC, mais un autre groupe, l’ELN, n’a pas été invité à ces négociations. Les accords de paix ont été appuyés par les Nations Unies et plusieurs pays, dont le Canada, ont versé d’importantes sommes d’argent pour aider au processus de paix et au retour à la vie civile pour les ex-combattants. Malheureusement, le gouvernement élu d’Ivan Duque au lendemain de la signature de cet accord, l’a délégitimé et entrepris un travail de sape comme si la paix ne l’intéressait pas vraiment en entretenant de vieilles rancunes envers les ex-combattants. Je ne ferai pas ici l’histoire de la Colombie, ce serait trop long. Je voudrais simplement vous dire que la pandémie a frappé fort en Amérique latine alors qu’il y avait des mobilisations au Chili, en Équateur et en Colombie à l’automne 2019. Début 2020, la pandémie vient mettre le couvercle sur les manifestations et les gens sont confinés chez-eux pendant presque une année et ils affrontent des conditions d’extrême pauvreté. L’explosion sociale en Colombie se produit exactement le 28 avril 2021, il y a de cela 9 mois. Cette journée de mobilisation nationale est convoquée suite au dépôt d’un projet de loi qui baisse les impôts des plus riches, élève les taxes sur les produits de consommation, transforme à la baisse les pensions de vieillesse et privatise les études supérieures et les soins de santé. La population s’est soulevée en bloc parce que déjà leurs conditions de vie étaient intenables. Yves Carrier

Ce qui est particulier, c’est que le soulèvement a eu lieu partout dans le pays, dans les grandes villes comme à la campagne. La stratégie adoptée a été de fermer les routes et les carrefours et cela a perduré pendant 4 mois. Le gouvernement a envoyé la police, l’anti-émeute, l’armée, pour libérer les carrefours, puis les paramilitaires armés, mais la foule a résisté. Donc, la répression a été sanglante.

Devant ces événements, Mario Gil, mon collègue de travail au CAPMO, était bouleversé et comme nous avons un volet solidarité internationale dans nos objectifs, nous avons convenu que nous allions consacrer nos efforts sur la Colombie. Alors, nous avons écrit des lettres aux députés, fait une pétition, organisé des manifestations à Québec, une autre devant le parlement à Ottawa, une rencontre avec le Comité de affaires extérieures de la Chambre des communes et une autres entre 4 parlementaires canadiens et 4 parlementaires de l’opposition à Bogota. Puis il a commencé à parler d’envoyer une mission d’observation des droits humains en Colombie. Seulement, nous étions au mois de juillet, plusieurs personnes n’étaient pas disponibles ou vaccinées, et la police tirait à balles réelles sur les manifestants, donc nous ne pouvions pas avoir aucune garantie quant à notre propre sécurité. La délégation est donc partie le 25 novembre pour se conclure le 7 décembre 2021. Ensuite, certains membres sont demeurés en Colombie et ont poursuivi leurs visites de communautés. Deux semaines, cela peut paraître court, mais je vous assure que nous avons vécu une expérience d’un mois de travail au minimum.

Nous avons visité les grandes villes du centre du pays, Bogota, Medellin, Cali, Popayán et Neiva, où nous avons tenu des séances pour entendre les témoignages des victimes et de leurs familles. Nous avons aussi  visité les différents carrefours où les affrontements avec les forces de l’ordre avaient eu lieu. Nous avons commencé par Bogota qui est une mégapole de 8 à 10 millions d’habitants. Nous y avons tenu des audiences le 26 novembre (voir dernier compte-rendu du CAPMO). Nous avons aussi visité Suba qui est situé au nord de la capitale, puis au Portal de la Resistencia, rebaptisé ainsi par les manifestants. À Medellin, nous avons rencontré des représentants des syndicats des artisans miniers et des jeunes de la première ligne. Le lendemain nous sommes allés visiter la mine de Buritica, puis nous avons dormi à Toledo en allant à la rencontre de la communauté de Rios vivos, les déplacés par le barrage d’Hydro Ituango sur le fleuve Cauca.

Le jour suivant nous avons visité une communauté à Gramalote (Providencia), où entre 200 et 300 personnes nous ont accueillis avec enthousiasme. Tous ces endroits sont situés dans l’État d’Antioquia dont Medellin est la capitale. Puis nous sommes partis pour Cali où les manifestations ont été les plus virulentes et la répression la plus dure. C’est là que nous avons entendu les pires atrocités. Après cela, le groupe s’est divisé en deux, certains se sont dirigés vers Popayán et d’autres vers Buga et Tulua que je n’ai pas visité. Après, nous avons été à Neiva, une partie du groupe est allé à El Quimbo, puis nous nous sommes retrouvés à Bogota. Suite à cette tournée, nous avons eu une rencontre avec les attachés de l’ambassade canadienne pour leur présenter nos questionnements sur la politique étrangère en Colombie. Je m’arrête ici. YC

Simon-Pierre Savard-Tremblay, depuis 2019, je suis représentant de la circonscription de Saint-Hyacinthe-Bagot au parlement fédéral et aussi porte-parole du Bloc Québécois en matière de commerce international. J’ai participé à la mission canadienne d’observation des droits humains en Colombie. Nous devions être quelques élus, mais finalement, j’étais le seul. Ce n’est pas plaisant ce que nous avons vu et entendu. Il y a une double terreur, celle de l’État, mais aussi une terreur provoquée par les activités des entreprises multinationales, dont un certain nombre sont canadiennes. Évidemment, il n’y a pas que celles-ci qui sont capables de faire la pluie et le beau temps là-bas. Je vous dirais que nous avons observé le domaine minier de près étant donné que la bourse de Toronto agit comme un véritable pavillon de complaisance pour ces entreprises qui souvent ne sont même pas canadiennes. Cela leur permet de s’enregistrer ici parce que la fiscalité d’ici est très généreuse envers les sociétés minières. Nous avons constaté que plusieurs entreprises minières qui opèrent à l’étranger bouleversent les modes de vie traditionnels en expulsant les artisans miniers qui exploitent de petits gisements en superficie. Ces méga projets débutent par des promesses d’embauche qui peuvent sembler attrayantes pour les populations locales, sauf que les salaires offerts sont insuffisants et que les entreprises amènent leurs propres employés. Ajoutons à cela des scandales de contamination de l’air et de l’eau. Je me souviens avoir rencontré à Buritica, un homme dont les deux enfants souffraient de problèmes respiratoires en raison des opérations de la mine tout près de leur maison. Également, nous avons pu observer une collaboration de ces entreprises avec les paramilitaires et l’armée pour obliger les gens à abandonner leur territoire. Je me souviens être sortie d’une rencontre et l’armée colombienne ne faisait que passer, mais c’était clairement pour nous intimider. En tant que parlementaire, j’avais un numéro d’urgence à l’ambassade canadienne s’il se passait quelque chose. Aussi, nous voyons que ces entreprises minières imposent leurs propres lois aux alentours de leurs projets, par exemple en contrôlant les voies d’accès, même si cela traverse un village. Si le chemin était public, c’est un service de sécurité privé qui assurait le contrôle des passages. C’est quand même surprenant, on ne voit pas cela ici.

À cela il faut ajouter des cas de répression assez classiques dans plusieurs pays d’Amérique latine. Nous avons entendu de nombreux cas où l’habeas corpus (droit de connaître les inculpations portées contre soi, droit à un procès juste et équitable, et respect de la dignité et de l’intégrité physique du détenu.) n’est pas respecté, des cas d’arrestations préventives, des cas où des maisons sont arrosées de gaz lacrymogènes pour intimider la population des quartiers populaires, on déplore aussi de nombreux cas de disparitions forcées. Nous avons entendu que les brigades d’observation des droits humains et des brigadistes de premiers soins étaient pris pour cible par l’antiémeute, parfois à balles réelles. Ce sont des cas véritablement troublants. Le rapport que nous écrivons ne resteras pas lettre morte. Ayant le dossier du commerce international, j’ai certains moyens d’amener une étude sur le travail des compagnies minières. Le premier ministre du Canada a promis de créer un poste d’ombudsman. Actuellement, c’est un peu une blague. J’ai déjà écrit une lettre à l’ombudsman de Radio-Canada à cause d’une nouvelle qui était mal écrite. Ce n’est qu’un bureau des plaintes sans pouvoir réel. SPST

Quand on parle d’une violation claire des droits humains par les pouvoirs publics, ce n’est pas d’un site internet d’un bureau des plaintes dont on a besoin, mais d’une véritable commission indépendante qui peut surveiller, qui peut mener ses propres enquêtes, qui peut publiquement demander au gouvernement de couper l’argent ou d’amener en justice une entreprise canadienne qui serait fautive. Là nous aurions une véritable instance qui aurait des dents. Il faut continuer à pousser là-dessus. En 2009, le Bloc Québécois avait présenté un projet de loi en cette matière. Ça été battu parce que même des propositions très modérées provenant des députés du parti au pouvoir ne passent pas. C’est dire à quel point le pouvoir des sociétés minières est immense. Rappelons-nous que le Canada a été fondé sur l’extractivisme. Ici, le pouvoir des compagnies minières s’apparente à une religion intouchable. De plus, le Canada a un accord de libre-échange avec la Colombie qui devrait obliger celle-ci à produire des rapports sur les droits humains. De toute évidence, il manque de transparence car les victimes des exactions ne sont pas consultées. Comme on peut le constater, ces rapports du gouvernement colombien sont extrêmement complaisants. Avez-vous des questions ? SPST

* La question d’un ombudsman canadien pour les minières canadiennes qui ne respectent pas les droits humains, est-ce que cela a de la valeur ou pas ? Le Bloc Québécois revendique depuis des années un responsable canadien qui surveillerait les opérations des entreprises minières canadienne à l’étranger, éventuellement cela pourrait être une réponse aux revendications des Colombiens et des autres pays du monde où des citoyens veulent porter plaintes contre celles-ci. Comment est-ce que vous évaluez cela ?

Présentement, il ne sert à rien. C’est symbolique. J’aime quasiment mieux lorsqu’il n’y a rien que lorsqu’on fait croire qu’il y a quelque chose. Actuellement, c’est vide. D’ailleurs, je ne comprends cette revendication de créer un poste d’ombudsman plutôt qu’une véritable commission qui aurait des dents. C’est un bureau des plaintes qui a le pouvoir de ne rien faire. SPST

* Cette commission qui aurait des dents, qu’est-ce qui pourrait être fait pour pousser sur cette initiative ou bien y a-t-il quelque chose d’autre qui puisse avoir un certain impact ? C’est aussi le cas ailleurs dans le monde avec les sociétés minières canadiennes. Au Brésil aussi, elles ont fait des ravages. Il y a des pétitions qui circulent à ce sujet.

C’est une bonne idée, je pourrais parrainer une pétition à la Chambre des communes qui exigerait cela. On pourrait en rediscuter. Je souhaiterais amener le sujet dans mon comité d’études. Si nous avons suffisamment de groupes qui plaident en faveur d’une véritable organisation en la matière, cela pourrait déboucher sur un rapport qui serait présenté au parlement canadien. C’est la coutume de déposer un rapport quand on termine une étude. Pour ce qui est des projets de loi, c’est plus difficile parce que pour les députés cela fonctionne par tirage au sort. Dans le cas de l’actuelle législature, les bloquistes de façon générale ont été assez peu chanceux. Nous arrivons assez loin dans l’ordre pour avoir une opportunité de présenter un projet de loi. Ceci dit, nous sommes toujours favorables à ce qu’il y ait une loi là-dessus. Dans l’ordre actuel des choses, cela pourrait être une étude du comité du commerce international et une pétition. SPST

* Je pense que l’opinion publique est d’abord le premier tribunal et cela ne sera pas facile de percer la bulle médiatique pour défendre le peuple colombien des attaques de son propre gouvernement. YC

* Il existe une coalition canadienne importante qui a déjà fait une pétition qui a recueilli des milliers de noms avec Développement et Paix, des organisations syndicales, que nous avons acheminé au gouvernement canadien exigeant une commission d’enquête ayant des pouvoirs et des capacités de poursuivre les entreprises. À l’instar du projet de loi 300 qui avait été déposé. Au moment du vote, des députés libéraux ont décidé de sortir et le projet a été rejeté. Ce serait une idée de repartir de cela. Je pourrais vous partager le power point qui a été réalisé pour dénoncer ce qui n’existe pas et ce que nous voudrions avoir au Canada. Denise Gagnon

On m’a glissé à l’oreille qu’un projet de loi sur l’obligation de diligence pour les entreprises canadiennes opérant à l’étranger serait bientôt déposé à la Chambre. Je vais voir ce qu’il contient et s’il n’y aurait pas quelque chose que nous pourrions utiliser là-dedans. SPST.

* En France, l’obligation de diligence la loi permet de poursuivre des entreprises, même s’il ne s’agit pas d’entreprises françaises. La Suisse et l’Allemagne sont en train d’étudier un modèle. Cela se discute pour se donner une loi qui a des dents contre les exactions des multinationales. DG

* Ces entreprises usurpent l’identité canadienne. Avant elles, nous avions une très bonne réputation à l’étranger, depuis 25 ans, ce n’est plus le cas. Maintenant, un Canadien qui voyage à l’étranger est vu comme un employé d’une société minière. YC

* En Colombie, les gens se plaignent parce que le Canada a remplacé les multinationales américaines dans le secteur minier. À moins qu’elles n’aient fait que changer de nationalité? Nous avons visité Antioquia, mais nous n’avons pas visité tous les projets miniers. Le pire, c’est que c’est la région de l’ancien président Alvaro Uribe. Cette région est remplie de mines qui ont des conséquences sur les populations. Le pire que nous avons vu c’était Rios vivos où il s’est produit de nombreux massacres pour pouvoir construire le barrage d’Hydro Ituango. Mario Gil

Sur ce, je dois vous quitter, mais je vais vous tenir au courant des prochaines démarches. Nous pourrions faire signer une pétition sur le projet d’obligation de diligence des sociétés canadiennes qui opèrent à l’étranger. En même temps, cela permettrait de mettre le projecteur sur ce projet et s’il s’agit d’une coquille vide, de pouvoir le dénoncer. Je vais avoir besoin de vous pour diffuser cette pétition pour qu’elle soit signée par beaucoup de monde. SPST

Je vous remercie monsieur le député. YC

Denise Gagnon, syndicaliste à la retraite, je viens de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec où j’étais responsable du dossier international. Donc, pour moi, la Colombie est un dossier important depuis longtemps. D’une part, parce que c’est le pays le plus dangereux dans le monde pour les défenseurs des droits humains et en particulier les syndicalistes, les enseignants au premier chef. D’autre part, parce que j’ai participé à diverses coalitions canadiennes lors de l’adoption de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie. En 2007 et 2008, on s’est beaucoup mobilisé pour bloquer Uribe sur ce projet pour faire en sorte qu’il y ait des droits qui soient protégés dans l’accord commercial, des droits pour les travailleurs et les travailleuses, mais aussi des droits sur la protection de l’environnement.

Dans le cadre de mon travail à la FTQ, j’ai effectué plusieurs missions à l’étranger, mais je n’étais jamais allée en Colombie. Nous avons été sollicités parce que Simon-Pierre était de la partie. En janvier 2020, j’avais participé avec lui et Andres Munoz à une mission d’observation des droits humains au Chili. Si vous avez suivi l’actualité de ce pays, il y a eu un soulèvement national qui a débuté au mois d’octobre 2019. Cela a révélé toute la violence de l’appareil de répression de l’État. Heureusement, il y a un espoir de changement pour le Chili avec la dernière élection présidentielle. Il y a un changement de régime et une assemblée constituante en train de rédiger une nouvelle constitution qui mettra les droits humains devant les droits des entreprises. Il y a eu un beau travail de fait par la société civile. C’est avec cet espoir que j’ai participé à la mission en Colombie. Je vais vous partager certains constats.

C’était une mission très difficile. Je vais partir des commentaires que le groupe a partagé à la fin de la mission sur les pires cas qui nous ont été rapportés. Je vous dirais qu’autant les cas de terrorisme d’État, de gens qui sont persécutés, la présence de la répression sous toutes ses formes, etc., jumelés avec un problème de paix qui ne se réalise pas, impliquent des complexités plus grandes qu’au Chili en ce qui a trait à la possibilité pour la population de s’en sortir. Ce que j’ai beaucoup ressenti, c’est l’existence de ce qui s’apparente à de la « torture sociale », parce qu’au-delà des victimes, il y a toutes les familles qui sont touchées. Simon-Pierre l’a dit, on s’attaque aux parents, aux familles, on poursuit les victimes jusque dans leur lit d’hôpital, ils doivent se cacher. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est cet aspect multidimensionnel des attaques qui fait qu’une société au complet est prise otage. Les gens mettent leur vie en danger, ce sont des vraies balles qu’on tire sur la foule et les menaces à leur vie sont réelles. C’est pourquoi, au fur et à mesure qu’on évoluait dans la mission, on craignait de générer de faux espoirs chez les témoins. Devant l’ampleur de cette problématique, on ne pouvait pas promettre des choses que nous ne pourrions pas réaliser. Alors, on y allait assez modestement. Ce qui est important, c’était de respecter nos objectifs, c’est de mettre en vue ces violations des droits humains fondamentaux, violation des droits du travail et non respect de l’environnement pour démontrer que ce que nous disions en 2006 et 2007 sur les accords commerciaux sur ce qui allait se produire, c’est ce qui se produit maintenant. Ce modèle néolibéral qu’on retrouve dans les Amériques est catastrophique pour les populations, le tout exacerbé par une crise de COVID. DG

Nous avons vu des familles qui avaient été jetées à la rue et qui vivaient sous des bâches parce qu’elles avaient perdu leur emploi puis leur logis qu’elles étaient incapables de payer. La crise économique provoquée par la COVID a augmenté les tensions sociales. Oui, on peut parler de terrorisme d’État. Nous avons voulu nous concentrer sur la dernière année et la crise sociale qu’a traversée la Colombie, pour ne pas nous faire dire après par les autorités canadiennes: « Vous savez la Colombie c’est compliqué, ce sont les narcotrafiquants, ce sont les FARC, c’est la guerre, etc. » C’est ce que notre ambassade voulait nous faire croire pour noyer le poisson. C’est pourquoi notre rapport centrera son attention sur la revendication sociale de 2021 qui est non seulement légitime, mais légale, reconnue internationalement et qui est attaquée de toute part. C’est un peu le commentaire général que je voulais faire des observations qu’un peu tout le monde a tirées. Pour conclure sur une note plus positive, ce qu’on a remarqué, c’est qu’à cette force brutale, il y a une réponse de la société qui est tout à fait extraordinaire en termes de soutien communautaire, de soutien social, de conscientisation, en termes d’éducation politique dans les différentes communautés que ce soit à Bogota, à Cali, un peu partout.

L’implication des mères de la Première ligne, je les appelle les « mères courageuses » qui n’acceptent pas que leurs enfants se fassent assassiner comme ça. Elles s’investissent beaucoup dans la protection des jeunes manifestants. C’est cette mobilisation sociale massive qui me donne espoir que même si c’est difficile, en particulier pour les femmes, les communautés LGBTQ+ qui sont attaquées de façon épouvantable, la société ne l’accepte plus et c’est le message positif qui nous reste en bout de ligne pour travailler de notre côté à sensibiliser la population québécoise et canadienne à ce qui se passe et aussi interpeler notre gouvernement sur ses responsabilités. Depuis le dernier gouvernement conservateur, la politique extérieure du Canada n’a pas bougé d’un iota. Ce n’est pas vrai que le Canada était de retour comme disait Trudeau. Bien au contraire, on stagne à tous les niveaux sur la question de la protection des droits humains à l’étranger. Ce que le Canada veut protéger avec d’autres, c’est le modèle néolibéral et c’est cela que les peuples ne sont plus capables d’endurer. Il va falloir à un moment donné que les Canadiens et les Québécois prennent conscience de cela. Alors, suivant l’exemple positif du Chili, nous souhaitons que les choses puissent s’améliorer en Colombie. DG

Un grand merci Denise. Pour préciser ses propos, lorsqu’il y a une manifestation, l’anti-émeute submerge les manifestants de gaz lacrymogènes et de balles de caoutchouc pour disperser la foule. Ce sont les jeunes les plus courageux qui se placent entre la police et la foule avec des boucliers en métal fait avec des matériaux recyclés, des vieux 45 gallons coupés en deux par exemple. Sans eux, il n’y aurait pas de manifestation. C’est vraiment la ligne de résistance qui reçoit les coups. Il y a aussi des observateurs des droits humains, des journalistes de médias alternatifs et des brigades de premiers soins qui sont auprès d’eux. Parfois ils sont capturés par la police qui les amène dans des centres de détentions clandestins où ils peuvent être torturés, violés ou assassinés. Ce ne sont pas des prisons officielles, mais des entrepôts vides réquisitionnés par les forces de l’ordre. YC

Ce que les gens n’acceptent plus, ce sont les exécutions sommaires, les soulèvements de septembre 2019 et de novembre 2020 ont eu lieu suite à l’assassinat de jeunes par la police. Ces derniers croient que la répression aura raison des manifestations, mais en fait c’est le contraire qui se produit. On dirait que le gouvernement d’Ivan Duque cherche à redémarrer la guerre avec sa population parce que cela sert bien ses intérêts, c’est payant et il y a des centaines de milliers d’hommes, une armée, qui vivent de cela. Depuis 40 ans, l’économie du pays est construite sur la guerre. YC

Geneviève Dorais, je suis professeure d’histoire de l’Amérique latine à l’Université du Québec à Montréal et co-directrice du Laboratoire interdisciplinaire d’études latino-américaines, le LIELA. C’est à ce titre que j’ai accompagné la mission. Je m’intéresse à des questions qui portent sur la solidarité entre les Amériques. J’ai 4 points dont j’aimerais vous parler.

1) La Colombie est un pays qui a les apparences d’une démocratie, mais où les institutions sont dysfonctionnelles. Cela fait penser à des coquilles vides et c’est ce que nous ressentions. Ceci rend la répression policière et l’état de non-droit très efficace parce qu’il a toujours cette façade démocratique. Très souvent lorsqu’on écoutait des témoignages, on entendait que les autorités organisaient des tables de négociations, qu’elles produisaient des documents démontrant qu’il y avait eu une tentative de dialogue, mais pour finalement arriver toujours à la conclusion que les autorités s’en fichaient. Rien n’était concluant, les discussions ne menaient nulle part, et dans les pires des cas, c’était des prétextes pour arriver à identifier les leaders sociaux pour pouvoir ensuite les persécuter, les menacer ou les assassiner. C’est quelque chose qui nous a marqué beaucoup.

2) L’ampleur de la criminalisation des défenseurs des droits humains et de toutes personnes souhaitant exercer ses droits démocratiques fondamentaux. Le simple fait de prendre la parole pour exprimer certaines revendications de justice sociale ou d’accès à l’éducation, vous met à risque. Ce fonctionnement est très efficace et vise à dissuader l’engagement citoyen dans la société.

3) L’appui des médias traditionnels. Il est important pour vous, si vous lisez sur la Colombie, de comprendre à quel point, il y a beaucoup d’informations biaisées qui proviennent de ce pays. Les médias y réalisent une couverture complètement déconnectée de la réalité qui sert bien les intérêts de l’État colombien dans son désir de mater l’opposition politique. C’est fait de façon très efficace. Ils sont très habiles dans cette façon de criminaliser l’ensemble des défenseurs des droits humains ou des communautés paysannes dont les intérêts vont à l’encontre de ceux des grandes multinationales.

4) L’ampleur des violences psychologiques pour répandre la peur au sein de la population afin de démobiliser politiquement les citoyens et les citoyennes. Nous l’avons senti partout et à quel point c’était redoutablement efficace. Il s’agit d’un ensemble de stratégies mises en place avec différents acteurs et instruments tels que les journalistes, les paramilitaires, la police, différents alliés dépendamment des situations qui vont jouer le jeu de mater l’opposition politique.

Ce sont les points que je voulais vous partager pour poursuivre la réflexion. Je voudrais réagir à la question qui a été posée à monsieur le député. Il faut comprendre que le problème ne réside pas seulement dans le fait que les compagnies minières n’agissent pas en conformité avec la loi, mais plutôt que la loi existante leur permet d’agir comme elles le font. La question portait sur qui pourrait surveiller les actions de ces entreprises, mais la réalité c’est que ce que nous avons vu comme cas de violation de droits humains à l’encontre de différentes communautés paysannes et d’artisans miniers, était le résultat d’une action en conformité avec la loi. Par exemple, le respect de grandes conventions environnementales exige le respect de normes complètement démesurées pour les capacités financières de différentes communautés d’artisans miniers qui réalisent une activité à une échelle infime par rapport aux projets de mines à ciel ouvert des grandes sociétés. Même si le produit qu’elles utilisent peut être plus nocif selon certaines études scientifiques, la quantité utilisée n’a pas de commune mesure avec l’ensemble des répercutions des grandes compagnies.

Souvent, de telles conventions environnementales vont faire deux choses: elles vont donner un label « vert » à ces méga entreprises, comme à Buritica où la mine située en plein cœur du village se vantait d’avoir gagner de nombreux prix, alors que l’endroit était devenu invivable pour les habitants de la communauté. La mine avait sa petite étiquette verte parce qu’elle respectait certaines normes environnementales. Cela permet de vendre des actions en bourse en spécifiant que c’est un projet vert. Ensuite, le second résultat, c’est l’exclusion des artisans miniers de ce qui fut leur activité professionnelle depuis plusieurs générations. Cela va servir de levier pour déplacer des populations installées dans ces endroits depuis le 19ème siècle. Comme ces communautés n’ont pas les capacités de respecter les normes environnementales, cela donne un levier supplémentaire pour réaliser leurs projets de mine à ciel ouvert. Donc, le problème des minières n’est pas seulement une question de conformité avec la loi. Quand on parle avec les fonctionnaires de l’ambassade à Bogota, ils nous disent que ces sociétés font un travail formidable de développement social. Je vous remercie. GD

* D’ailleurs, il semble que des conseillers canadiens soient allés au Honduras pour les aider à rédiger un code minier conforme au code minier canadien pour faciliter l’exploitation minière. YC

* C’est aussi le cas dans plusieurs pays africains. En fait, ce ne sont pas seulement les minières, mais toutes les entreprises extractives. Cela inclut l’hydraulique, l’agriculture, l’exploitation pétrolière, etc. Toutes ces grandes entreprises en profitent à plein. DG

* J’ai lu dans le livre d’Alain Deneault que le premier ministre Harper avait envoyé une commission de haut niveau avec l’honorable Jim Flaherty pour conseiller les gouvernements de la Colombie, du Guatemala et du Pérou. MG

Bonsoir, je m’appelle Javier Bernard, je suis Colombien et j’habite au Québec depuis sept ans. C’est l’une des motivations que j’ai eu de m’intégrer à l’équipe de la mission d’observation. Mon rôle au sein de la mission était d’être observateur, je suis consultant en genre. J’étais là pour faire une analyse en lien avec les questions de genre pour les personnes LGBTQ. Ce que j’ai observé lors de la mission, c’est que les membres de cette communauté qui sont souvent des leaders sociaux ou environnementaux, vivent une situation de double stigmatisation. Plusieurs d’entre eux se font non seulement persécuter et harceler en raison de leur implication, mais aussi en raison de leur condition de membre d’une minorité sexuelle ou de genre. Il faut se rappeler que la Colombie est un pays où il y a beaucoup de violence à l’endroit des communautés LGBTQ. C’est un aspect des droits humains qu’il est important de garder à l’esprit. Je trouve que le Canada qui est pays leader au niveau mondial pour ce qui est de la protection des droits des personnes LGBTQ, a aussi une responsabilité. Quand on parle d’accord de libre-échange, il est important de vérifier la situation des droits humains en Colombie. Il y a aussi une responsabilité sociale devant cette communauté qui est persécutée. L’an dernier, plus de 30 personnes trans ont été assassinées. Ce sont des conditions très marginalisantes pour cette population. Autre chose que je voulais amener, c’est que cette condition de violence continue à être présente, non seulement pour les personnes LGBTQ+, mais pour l’ensemble de la population. Récemment, il y a eu des cas d’intimidation, des témoins que nous avons rencontrés dont un participant qui a vécu un attentat. C’est un jeune leader social à Cali qu’on attendait devant chez-lui. Il a été poursuivi par deux hommes armés sur une moto, mais il est parvenu à s’échapper. C’était le 31 décembre. Si vous êtes un leader social ou un défenseur des droits humains, les dates les plus dangereuses pour subir un attentat contre sa vie, ce sont les jours de fête parce que cela passe davantage inaperçu.  Après la mission, je suis demeuré quelques semaines en Colombie et j’ai été approché par trois autres personnes qui ont subi des menaces et qui en ce moment sont en situation de déplacement forcé. Elles ne peuvent plus rentrer chez elles parce que leur vie est menacée. Ce sont des conditions difficiles pour les gens que nous avons rencontrés et qui sont nos collaborateurs sur le terrain. JB

Je te remercie Javier. Les membres de la communauté LGBTQ sont très engagés dans les mouvements sociaux. Ce sont des leaders, alors c’est important qu’ils soient protégés. Mario Gil va maintenant nous partager ses impressions. YC

Je tiens d’abord à remercier encore une fois tous les participants à la mission. C’était super important. Ça a été pour moi un plaisir de partager avec vous cette expérience. J’aimerais préciser certaines choses. L’une d’elle c’est que dans la flambée sociale on dénombre environ 800 personnes disparues. C’est beaucoup de monde. Certains sont morts, d’autres sont emprisonnés, on ne sait où. Le problème c’est que les organisations des droits de la personne ne réussissent pas à rencontrer les victimes pour recueillir leurs témoignages parce que c’est trop dangereux. La crise sociale a été très grave et il n’y a pas assez de ressources humaines pour le faire.

Aujourd’hui, il y a des leaders sociaux qui sont capturés et incarcérés sous de fausses accusations issues de montages judiciaires. Nous en avons rencontrés certains, à Suba qui est situé au nord de Bogota, dont une fille appelée la Flaca, qui signifie la mince. Récemment, elle a été emprisonnée sous des accusations de terrorisme. Normalement, leur manière de procéder avec les faux positifs judiciaires, c’est qu’ils les convainquent qu’ils vont passer toute leur vie en prison afin de leur faire admettre un ou deux crimes qu’ils n’ont pas commis, pour obtenir une peine moins sévère. C’est considéré comme un péché d’être un leader social en Colombie. La majeure partie de ceux-ci et celles-ci, depuis la loi de 1980, ont passé deux ou trois ans derrière les barreaux. Certaines accusations sont carrément exagérées comme celle de terrorisme ou d’appartenance à une organisation criminelle. Ces accusations servent de châtiment destiné aux leaders sociaux qui ne sont pas reconnus par les institutions. L’accord de paix a été pensé en faveur des victimes. L’un des éléments fondamentaux de celui-ci, c’est la participation politique, une chose qui est interdite de faire en Colombie.

À Cali, il y a eu des manifestations pacifiques, légitimes, nécessaires, parce que les gens avaient faim et qu’ils n’en pouvaient plus. Ce sont les gens des communautés qui se sont mis ensembles pour organiser des jardins communautaires et des cuisines collectives parce qu’il n’y avait rien et que l’État ne faisait rien pour la population. Certains nous ont dit que s’ils ne mangeaient pas dans le chaudron communautaire, il n’y avait rien à manger à la maison. Ce sont des conditions d’extrême misère générées par un État qui les appauvrit. Ce sont 8 millions de déplacés forcés à l’intérieur de la Colombie entre 1980 et 2016, au moment où sont signés les accords de paix. De plus, pendant le seul gouvernement d’Alvaro Uribe, 6 400 jeunes ont été assassinés par l’armée comme étant des membres de la guérilla (les faux positifs). On leur promettait un emploi, on les amenait à la campagne, leur disait de revêtir un uniforme et ils étaient abattus pour montrer que l’armée menait une guerre efficace. Alors c’est une attaque directe à l’endroit de la population civile. On a vu cela aussi à Cali, plein de gens n’avaient jamais participé à une manifestation, certains n’étaient que des passants qui sont morts parce qu’ils étaient trop près.

Toute cette violence produite par l’État ne vise pas que les manifestants, mais la population en générale pour imposer la terreur. C’est aussi une démonstration de force de l’armée et de la police pour interdire l’idée même de pouvoir se soulever contre l’injustice. Il s’agit d’une stratégie pour anéantir toutes velléités de participation politique ou de devenir membre d’une organisation citoyenne pour construire des espaces où on s’organise. À Cali, au moins 80 personnes ont été assassinées, en plus des personnes disparues dont les corps sont réapparus dans les rivières. Il faut savoir que pendant les années 1990, la Colombie a connu de nombreux massacres, il y a eu le génocide politique de l’Union patriotique qui a fait à lui seul 5 000 morts. À cette époque, il y avait des assassinats à tous les jours et quand il y avait des massacres, ils jetaient les cadavres dans les rivières. Alors, reproduire ce même procédé 25 ans plus tard, c’est pour que les gens se rappellent les anciens traumatismes. Nous avons visité le Canal 2, une chaîne de télé communautaire à Cali, ce sont les jeunes journalistes qui ont osé suivre la police pour voir où est-ce qu’ils amenaient les jeunes manifestants arrêtés.

Les arrestations avaient lieu sans aucune procédure judiciaire. Ils nous ont montré des vidéos où l’on voit la police faire feu sur les brigades de premiers soins ou sur les défenseurs des droits humains avec des tireurs d’élite. Le rapport de Human Watch Rights démontre que la police avait une volonté d’assassiner les gens, pas seulement les jeunes manifestants, mais tout le personnel de soutien aux manifestations qui étaient volontaires. Si tu recevais une balle de la police, il y avait des brigades médicales qui aidaient les gens. Ces derniers avaient peur d’aller à l’hôpital. À Cali, il y avait un hôpital qui soignait les blessés en les faisant passer par une porte arrière sans enregistrer leur nom parce que la police faisait le tour des hôpitaux pour arrêter les manifestants. C’est comme si c’était une guerre, alors que les manifestants étaient désarmés, comme si le gouvernement voulait nous renvoyer à l’époque de la guerre civile en semant la peur, la violence et la division. C’est ce que défend l’extrême-droite en Colombie parce que pour eux, c’est la seule façon de ne pas perdre le pouvoir.

Pour terminer, vous savez que les organisations civiles en Colombie sont traitées comme des objectifs militaires. La stratégie consiste à les diviser, les assoir à une table de concertation pour les identifier et connaître les intérêts de chacun pour mieux les manipuler, après la majorité des gens sont dans l’incapacité de négocier quoi que ce soit. Après avoir identifié les leaders, le gouvernement les stigmatise pour les isoler de la société, pour que la population les dénonce comme étant des guérilleros ou des narcotrafiquants, des terroristes, etc. Ensuite, c’est la judiciarisation, la criminalisation, le déplacement forcé, l’assassinat, et après cela tu es un bon mort. C’est ce qu’Alvaro Uribe a déclaré à plusieurs reprises. C’est de cette façon qu’ils détruisent la mémoire des efforts des gens pour s’organiser, pour essayer de ne pas mourir de faim, pour essayer d’aider leur communauté, de sauver la planète, de sauver leur rivière, leur source de revenu. Ce sont toutes des motivations morales, minimales et nécessaires. Voilà ce que je voulais vous partager. Mario Gil

Mario tu es convainquant, ton analyse est pertinente et en plus tu as réussi à nous émouvoir. J’en profite pour souligner le rôle essentiel qu’à jouer Walter Mora dans l’organisation logistique de la mission d’observation. Avec Mario, il nous a fait bénéficier de son réseau de contacts et ils ont organisé la tournée dans les régions à partir des demandes des organisations locales. C’est à l’appel des organisations de base sur le terrain que la délégation a été formée. Elles se sont fédérées et concertées sur une base locale, régionale et nationale, pour que cette mission soit un succès. Elles voulaient nous recevoir parce qu’elles ressentaient le besoin de partager ce qu’elles avaient vécu au cours des derniers mois et qu’elles ne se sentaient pas écouter au plan national. Bien sûr nous avons du les informer que nous n’étions pas des sauveurs et que nous n’avions aucun pouvoir politique au Canada si ce n’est de vouloir développer les liens de solidarité avec le peuple de Colombie. Les témoignages que nous avons entendus et enregistrés sont très émouvants, à Cali particulièrement. YC

Ils avaient fait des affiches avec les photos des jeunes qui avaient été abattus par des tireurs d’élite au cours des manifestations de rue. En plus, quand quelqu’un était touché, l’antiémeute essayait de voler le corps de la victime, alors il y avait une bataille rangée avec les manifestants. L’objectif de la police étant de nier que ces personnes avaient été assassinées en faisant disparaître les corps. Il faudrait aussi préciser pour ceux et celles qui ne connaissent pas l’histoire de la Colombie, Uribe est le président au pouvoir entre 2002 et 2009. Cet homme a été accusé de crimes contre l’humanité et c’est l’un des plus riches de Colombie, ainsi que le plus grand propriétaire terrien. Il a légalisé les milices paramilitaires en leur accordant une reconnaissance juridique et une légitimité politique. Il est porteur d’idées d’extrême-droite, il a un discours très vindicatif et le président actuel Ivan Duque semble être le pantin d’Uribe, le véritable maître de ce pays. On peut constater cela en lisant ces gazouillis pendant les protestations où ses propositions étaient suivies d’actions des forces de l’ordre dans les 24 heures. Par exemple, s’il écrivait : « Envoyez l’armée! » Le lendemain le gouvernement envoyait l’armée. Ensuite, il écrivait : « Tirez sur les manifestants. » Le lendemain, cela se faisait.  Une autre caractéristique locale à Cali ce sont les « gens de bien ». Il s’agit d’une milice d’extrême-droite formée des gens de la bourgeoisie. Ils s’habillent en blanc, arrivent en voitures blanches et ils se cachent derrière la police pour tirer sur la foule à balle réelle. Bien sûr les médias et le parti au pouvoir les remercient pour leur engagement citoyen. Pour eux, les manifestants ne sont que des vandales. Aucune analyse sociale ne semble effleurée leur esprit et ils n’ont aucun désir de comprendre pourquoi le peuple n’est plus capable. Dans leur optique, on ne partage rien et on ne cède rien. Donc, le peuple qui manifeste mérite de se faire tirer dessus. C’est tellement terrible de raconter ça que je me dis que les gens ici ne peuvent pas comprendre. C’est l’horreur par-dessus l’horreur. YC

Ce qui est intéressant, ce sont les organisations. Les gens veulent s’organiser et ils voulaient qu’on aille partout. C’est pourquoi l’agenda était très chargé. En campagne, ils ont des projets d’agriculture biologique. Ils cherchent des moyens alternatifs au système capitaliste. Les gens se préoccupaient pour notre confort et de nous accueillir de leur mieux. À Providencia, il y avait plus de 200 personnes, et les gens parlaient tellement fort de ce qu’ils vivaient. J’étais étonné de voir leur courage. C’est parce qu’ils n’ont pas le choix s’ils ne veulent pas tout perdre. Ils nous parlaient des paramilitaires, comment les entreprises minières envoyaient des soldats surveiller les activités des mineurs artisans et les traitaient de voleurs alors qu’ils sont là depuis plus d’un siècle. En plus, cette assemblée était surveillée par la police et les paramilitaires. Alors, nous avons rencontré des gens très courageux, ils nous parlaient malgré les menaces et les risques que cela implique. J’ai trouvé cela incroyable. Nous allons produire un documentaire parce que nous étions accompagnés par une équipe de caméramans pour faire en sorte que notre expérience aille plus loin pour sensibiliser la population canadienne et québécoise et les élus sur qui se passe là-bas. C’est ce que je souhaite. MG

* Vous avez parlé beaucoup de la société civile, mais est-ce que le monde politique est complètement déconnecté de cette société ? Est-ce qu’il y a des politiciens qui tendent l’oreille à la population ? C’est désespérant un peu ce que vous dites si la politique ne s’en mêle pas, s’il n’y a pas une opposition politique qui se déploie.

Oui, il y a un parti d’opposition qui s’appelle Colombia humana. Avec Gustavo Petro, cette fois nous espérons que cela va changer, mais il faut compter avec l’achat des votes, l’assassinat des candidats de gauche, la fraude généralisée qui fait voter des morts ou change la donne dans les urnes, sans parler de toute la propagande et la diffamation des médias. La dernière fois, ils ont volé l’élection. Cette fois, on souhaite que les gens sortent massivement pour protéger leur vote. MG

* Je vous remercie beaucoup pour votre solidarité avec la Colombie. Comme réfugié politique qui habite ici depuis 18 ans, je suis très reconnaissant que les gens du Canada et Québec s’intéressent à ce qui se passe ailleurs dans le monde. J’aimerais savoir, pour les gens qui ont participé à la mission, quelle importance cette expérience a eu pour vous? Colombia humana a la faveur dans les sondages actuels. Cette fois, nous avons une grande chance de gagner. Ce n’est pas qu’un parti politique, c’est une coalition formée de plusieurs partis politiques et de mouvements sociaux qui se sont unis. Les élections présidentielles vont avoir lieu au mois de mai. Si aucun des candidats n’obtient 50% des votes, il y aura un second tour en juin. À part d’écrire un rapport, j’aimerais savoir si vous aller approcher la communauté colombienne qui vit ici pour continuer la lutte et faire pression sur les gouvernements du Canada et de la Colombie?  Il y a plusieurs mouvements sociaux de Colombiens et de Colombiennes vivant au Québec qui sont en train de se mobiliser pour les prochaines élections en Colombie. Ce serait bon de travailler ensemble et de continuer la mission. Qu’est-ce que vous allez faire vous les Québécois et les Québécoises dans ce sens là? En Colombie, ils ont signé un traité de paix en 2016 et le gouvernement qui est venu après est en train de l’anéantir. Ils n’ont pas respecté les accords et le gouvernement du Canada semble s’en foutre. Ici, je ne vois pas un grand intérêt dans les mouvements sociaux pour ce qui se passe en Colombie. Je sais qu’il y en a des gens qui se sentent concernés, mais ils sont très peu nombreux par rapport à ce que c’était avant avec les syndicats. En 2003 et 2005, nous avons vu la mobilisation de la société civile québécoise. J’espère que cette mission aide à redémarrer la solidarité avec la Colombie. En ce qui concerne les élections de cette année, est-ce qu’il va y avoir une mission d’observation électorale parce qu’il y a de la fraude là-bas? Merci beaucoup.

Merci Raul. À la première question je donnerais la parole à Geneviève. Pour ce qui est d’une mission électorale, oui il y a des gens qui y travaillent, mais ce ne seront pas les mêmes gens qui vont y aller. La première question porte sur ce qui vous a touchés comme participantEs et comment allez-vous continuer avec cela? À quoi sert cette mission maintenant? YC

C’est une belle et grande question. J’enseigne sur les Amériques et à chaque fois que je retourne sur le terrain avec les peuples latino-américains, c’est une connexion émotive et une prise de conscience de l’incroyable articulation et conscientisation politique des forces progressistes en Amérique latine qui agit toujours comme une bouffée d’air frais et de grand encouragement pour le travail que je fais au Québec. Ça c’est plus sur le plan personnel. Si la question est par rapport à l’importance de ce type de mission, c’est de revenir ici et de sensibiliser notre population, mais aussi de faire comprendre à quel point il s’agit de luttes communes. Il existe des schémas opérationnels des forces du capitalisme global qui ne fonctionnent pas toujours de façon similaire, mais qui empruntent beaucoup de modèles et partagent beaucoup de similitudes. Ce sont ces similitudes que je remarque et qui m’étonnent à chaque fois, tout particulièrement dans le cas de la Colombie.

Je pense que c’est une expérience particulière de vivre et de rencontrer les gens qui sont victimes de l’économie extractiviste et des violations des droits humains, dont nous sommes complices ici malgré nous. C’est un peu contradictoire, d’un côté il y a la similitude des luttes à mener puis la présence des violences inhérentes au capitalisme global qui s’exprime de façon similaire peu importe où l’on est, et l’importance d’en prendre conscience pour mener des luttes communes. D’un autre côté, il y a cette dimension de la Théorie de la dépendance Nord-Sud, de voir à quel point nos fonds de pension bénéficient de cette injustice globale. Ces investissements se font sur le dos de personnes qui meurent, mais le fait qu’il y ait une distance géographique et émotive, sans connexion personnelle, fait en sorte que ce système se perpétue. Donc, cette complicité de la société canadienne et québécoise avec toute la schizophrénie des codes miniers et des discours qu’ils inventent pour pouvoir poursuivre ce modèle, les empêche de comprendre à quel point ils sont eux-mêmes complices. Je ne sais pas si je réponds à la question ?  Plusieurs des luttes dont Raul nous parlait sont mises de l’avant par le CISO, la Centrale internationale de solidarité ouvrière. Nous avions une rencontre ce matin pour discuter de l’importance de la solidarité internationale dans les mouvements syndicaux. Une très grande partie de la solidarité internationale peut être mobilisée par la force du mouvement syndicale. Je sais qu’actuellement il y a des réflexions au sein de différents syndicats pour essayer de revenir à l’idéal de l’inter-syndicalisme. Denise Gagnon a été une grande militante de la solidarité internationale depuis des décennies. Au cours de la mission, elle était une leader qui comprenait rapidement les enjeux. À un moment, à la fin d’une longue journée à Medellin, nous faisions un tour de table et elle nous disait : « La mission set à cela, tu vis des émotions, tu crées une empathie, puis l’émotion te réorganise le cérébral d’une meilleure façon. » Tout à coup, on se met à voir plus clairement. Cela va me marquer pour poursuivre mon engagement avec une clarté renouvelée. GD

Personnellement, cela fait 35 ans que je fréquente l’Amérique latine. Je me suis impliqué dans l’accompagnement des populations réfugiées qui revenaient au Guatemala (1996) et au El Salvador (1993-1994), après les signatures des accords de paix. Parce que je parlais espagnol, mon contact avec les réfugiés salvadoriens à Québec a été facilité. Cela m’a permis d’apprendre à lire la réalité de ces pays à partir de leur point de vue. Je considère que c’est une chance que j’ai eu dans la vie. YC

Je reviens de cette mission avec une responsabilité envers les témoins que nous avons entendus. Ils nous ont raconté leurs souffrances, leurs deuils et leurs espoirs. Alors, nous avons un devoir de conscience de donner suite à cela. Personnellement, comme travailleur d’un organisme communautaire, c’est de sensibiliser le mouvement communautaire à la plus-value de la solidarité internationale au niveau de la conscience. D’une part, interpréter le monde à partir de notre point de vue privilégié, c’est un peu nombriliste. Même si les injustices sont aussi présentes ici, il faut avoir une vision globale pour comprendre le local, de même qu’il faut aussi avoir une perspective historique. Les gens du sud, en général, ont une clarté géopolitique beaucoup plus grande que celle des citoyens des nations dominantes et favorisées. D’ailleurs, l’accès à l’information de première source, des populations locales dans ces pays, est très difficile à obtenir ici si on ne parle qu’une seule langue. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres qui s’en sont suivies, menées en notre nom, l’Occident est entré dans une grande crise de schizophrénie où nous sommes toujours les défenseurs du bien, de la démocratie et des droits humains. Actuellement, le niveau de propagande que nous recevons est incroyable. L’Occident est fondamentalement guerrier et pour se guérir de cela, il faut aller vor les impacts de ce que cela produit. Nous devons accéder à l’arrière-scène, le Sud global, parce que nous vivons à Disney Land, dans une grande illusion. Il faut se réveiller du rêve matérialiste et consumériste comme moyen d’accès au bonheur. Nous devons apprendre à avoir une distance critique par rapport à notre réalité pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Le point de vue qu’on nous sert est celui de la classe dominante. Les représentants canadiens à l’étranger sont tous et toutes issus de la bourgeoisie et ils entrent en sympathie avec les bourgeoisies locales qui leur communiquent leur interprétation de l’histoire, celle d’une classe dominante en lutte pour préserver à tout prix son hégémonie. Ce n’est pas un rapport humain de peuple à peuple. Je pense aussi que la solidarité internationale est un bon remède à l’apathie et au désespoir, aller voir le courage des jeunes là-bas cela fait du bien, cela nous brasse et ça nous réveille. Pour répondre à la seconde question, le peuple québécois a toujours été solidaire et il faut réactiver cette dimension de notre conscience collective, c’est une partie importante de notre identité. Personnellement, je pense que si nous pouvions régler les problèmes de droits humains en Colombie, cela aurait un impact sur toute la région et peut-être même au-delà. Actuellement, la Colombie est un mauvais exemple pour les dirigeants des autres nations qui se disent que ce n’est pas si pire que cela chez-eux à côté de ce qui se fait dans ce pays. YV

* J’aimerais vous remercier d’avoir organisé cette mission et de la présenter ce soir. La composition de la mission a son importance pour sa crédibilité ensuite. Vous avez réussi à avoir une composition de différents secteurs de la société civile. Il me semble que c’est une bonne chose dans cette expérience. On sait bien que l’injustice dans le monde ne va pas changer demain matin, mais il y a une sorte de témoignage. Merci d’y être allé et de nous le raconter. Pour contrer la propagande, cela prend des contre discours et cela pose la question : À qui est-ce que nous accordons de la crédibilité et pourquoi ?

Propos recueillis par Yves Carrier

 

 

 

 

 

 

 

 

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