Première séance de la mission d’observation des droits humains en Colombie, Bogota, 26/11/21
Présentation des membres de la délégation canadienne en Colombie
Bonjour, je suis David Hernandez, je travaille pour l’organisme Alternative à Montréal. Cet organisme est né dans le contexte du Forum social mondial. Nous travaillons depuis 30 ans avec des mouvements sociaux. Mon travail consiste à faire de la recherche sur la violence contre les femmes. Nous accompagnons le processus en Colombie depuis le début, en dialogue avec des organisations sociales sur les événements liés à la grève générale d’avril 2021. Ce dialogue a été particulièrement constructif en rapport avec l’éclatement social au Chili en octobre 2019 et en Colombie en septembre 2020. Il y a beaucoup de liens à faire dans les deux cas. Ce que cette mission cherche à faire, c’est de regarder les territoires et les contextes que vivent les personnes dans les territoires. Concrètement, la violence est permanente, cela ne s’est pas arrêté avec les accords de paix. Pour moi, c’est une opportunité d’entendre les gens pour savoir ce qui est en train de se passer, comment on pourrait faire quelque chose. Ce sont mes attentes.
Bonjour tout le monde, je m’appelle Javier Fuentes Bernal, je travaille avec un organisme qui s’appelle « Agir Montréal » avec les personnes LGBTQ+. Mes attentes par rapport à la mission, c’est d’entendre les plaintes des gens en lien avec les discriminations et les oppressions basées sur le genre ou l’orientation sexuelle, la violence contre la population LGBT+. Cette mission s’intéresse aussi à ce qui se passe avec les activistes en Colombie qui jouent un rôle très important ici. Merci
Je suis Simon-Pierre Savard-Tremblay, député de Saint-Hyacinthe pour le Bloc québécois à la Chambre des communes à Ottawa depuis 2019. Je siège sur le Comité permanent du Commerce international et j’ai un intérêt particulier pour le comportement des sociétés minières canadiennes. Il y a aussi la question du libre-échange que le Canada a signé avec la Colombie. Je représente une formation politique qui s’intéresse au volet des droits humains avec nos partenaires commerciaux. C’est pourquoi je suis ici et je vais rapporter les témoignages que j’entendrai au parlement canadien. J’ai participé à une mission semblable au Chili il y a deux ans avec quelques-unes des personnes qui forment cette délégation de la société civile québécoise. Nous pourrions nous inspirer de la méthode que nous avons utilisée alors en publiant assez rapidement un rapport préliminaire.
Au-delà de cela, mon intérêt comme député, c’est qu’au sein de ma circonscription, il y a une importante communauté colombienne qui est elle-même venue me sensibiliser sur les violations des droits humains en Colombie. Ayant déjà été au Chili auparavant et ayant beaucoup lu sur le comportement des sociétés minières canadiennes, plus je creusais le cas de la Colombie, plus je constatais que partout où il y a des minières canadiennes, c’est la même affaire. Il est difficile de faire sortir ces informations auprès de l’opinion canadienne pour en faire l’objet d’un débat public, mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de le faire en attirant le maximum d’attention que nous pourrons. J’ai participé à une manifestation avec des Colombiens et des Colombiennes sur la Coline parlementaire à Ottawa en juin dernier.
Yves Carrier, coordonnateur du CAPMO, un organisme de défense collective des droits et d’éducation populaire situé dans la ville de Québec. Nous défendons différentes causes et depuis nos débuts nous avons toujours eu un volet de solidarité internationale. Souvent ce rôle se limite à recevoir les délégations étrangères à Québec, parfois nous envoyons des observateurs à l’étranger. L’an dernier, nous avons engagé Mario Gil comme responsable des relations interculturelles. Nous sommes conscients que faire de l’Interculturalité, c’est accepté d’être touché par l’histoire des autres peuples. Si on ne s’intéresse pas à leur histoire, à ce qui se passe dans leur pays d’origine et pourquoi ils sont rendus chez-nous, ils ne s’intéresseront pas non plus à notre histoire. Bref, les événements se sont succédés rapidement en Colombie à compter du 28 avril 2021 et Mario ne pouvait plus se détacher de cette actualité et nous avons décidé de l’accompagner dans ce désir de solidarité. Bien sûr, il a fait beaucoup plus que ce que nous attendions de lui. Je pense que c’est un peu lui le responsable de cette mission.
Bonjour, je suis Giuliana Fumagalli, je termine un mandat de quatre ans comme mairesse d’arrondissement à Montréal, Villeray – Parc Extension, je suis membre du syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes. J’ai déjà participé à différentes missions, dont le Premier tribunal populaire en Colombie, contre une société minière à Puerto Gaétano. Cela fait longtemps que je m’intéresse aux questions de solidarité internationale. J’ai reçu des partenaires colombiens à Montréal. Il s’agit pour moi de reprendre là où le travail a été laissé. Je pense que c’est important de pouvoir conscientiser aussi les gens dans nos divers milieux. Je suis très heureuse de pouvoir participer à cette mission.
Bonjour, je m’appelle Cloé Gravelle. Je fais partie du Projet accompagnement solidarité Colombie, le PASC. Notre principale stratégie consiste à l’envoi d’accompagnatrices et d’accompagnateurs sur le terrain, sachant que la présence de la communauté internationale diminue la pression à l’encontre des populations locales. Je suis arrivée ici au mois de septembre et demeure jusqu’à la fin du mois de décembre. Nous effectuons des séjours d’accompagnement auprès de mouvements sociaux et d’organismes de défense des droits humains en Colombie. Nous travaillons aussi sur le thème de l’extractivisme pour appuyer les communautés qui se mobilisent face à la présence de compagnies minières canadiennes qui veulent faire des projets d’exploration et d’exploitation sur leur territoire.
Mes intérêts pour cette mission c’est de continuer le travail que je réalise avec le PASC de rendre visible les luttes sociales en Colombie, de dénoncer les violations des droits humains et de faire pression auprès du gouvernement canadien afin de promouvoir des politiques beaucoup plus transparentes. Merci
Je suis Andres Munoz, réfugié chilien au Québec depuis 1974. Je suis un militant politique depuis 1968. Je n’ai jamais cessé de m’engager tout au long de ma vie. J’ai pris ma retraite l’an dernier alors j’ai plus de temps pour donner à la communauté et à la solidarité internationale. À Montréal, nous avons la Fondation Salvador Allende qui est solidaire avec ce qui se passe dans le monde et en Amérique latine. Mon principal intérêt, c’est l’aspect environnemental des mines parce que j’ai une formation en génie métallurgique et une maîtrise en environnement. Alors, c’est ce point particulier qui m’intéresse en lien avec les sociétés minières canadiennes qui n’appliquent pas les protocoles qu’elles se sont engagées à respecter en matière d’environnement et de respect des droits humains. Il faut dénoncer cela. Nous allons visiter des installations minières et rencontrer des gens qui travaillent dans l’exploitation minière artisanale traditionnelle. Je pense que nous devons travailler pour faire en sorte de protéger les droits de ces gens. À cause des sociétés minières canadiennes, nous sommes en train d’enlever les petits exploitants de leur territoire et l’État colombien détruit ces terres. Après, si les gens refusent de partir, c’est la répression militaire et paramilitaire qui apparait. C’est quelque chose qui me tient à cœur et je veux appuyer la mission en ce sens.
Bonjour, je suis Denise Gagnon. Je m’intéresse à la Colombie depuis 2008. J’occupais à l’époque le poste de directrice de la solidarité internationale à la Fédération des Travailleurs et des travailleuses du Québec. Pour cette centrale syndicale, la priorité c’était la Colombie en raison du nombre de syndicalistes assassinés. Aussi, grâce au PASC, nous avons travaillé sur l’Accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie. Nous avons réussi par nos mobilisations à repousser d’une année la signature de cet accord parce que nous voulions que des clauses de défense des droits des travailleurs soient ajoutées. Malheureusement, nous n’y sommes pas parvenus. Donc, les mobilisations au Québec et en Colombie se sont poursuivies. Par rapport à la mission, ma préoccupation c’est le monde du travail et les droits collectifs qui sont aussi des droits humains. Il y a aussi toute la question de tout ce qui se passe en Amérique latine actuellement. Je suis aussi membre de la Fondation Salvador Allende dont nous allons bientôt célébrer le 50ème anniversaire. Le travail de mémoire et de rapport que nous allons rédiger est important. Il faudrait développer des outils comme l’adoption d’une loi canadienne qui nous permettrait d’imputer les entreprises canadiennes, comme c’est actuellement le cas en France et en Suisse, pour la responsabilité de leurs actions à l’étranger. Je veux qu’on avance et qu’on aille chercher des appuis.
- Je voudrais ajouter que c’est à la bourse de Toronto où s’enregistrent les sociétés minières. Cela fonctionne comme les pavillons de complaisances des armateurs qui inscrivent leurs bateaux à Panama. Souvent ce sont des capitaux étrangers qui possèdent ces sociétés « dites canadiennes » et le gouvernement canadien n’exerce aucune pression sur elles. YC
Bonjour, je suis Walter Mora. Depuis 20 ans, j’habite la ville de Québec. Je suis un réfugié politique au Canada. Je suis membre du Comité de solidarité Québec Colombie. Nous venons ici pour rapporter la situation qui se passe en Colombie.
- Walter s’occupe de la logistique et il a de nombreux réseaux en Colombie. C’est avec lui que nous avons construit cette mission, avec tous les gens qui sont ici et dans différentes régions dont des médias alternatifs, des syndicats miniers à Antioquia, des associations de famille de victimes, des mouvements étudiants, des communautés autochtones, des jeunes qui ont participé à la première ligne lors des manifestations qui repoussaient la police en protégeant les manifestants pour que les manifestations puissent avoir lieu. Ce sont ces différents secteurs qui ont participé à la construction de la mission. Une caractéristique particulière de cette mission, c’est que nous avons essayé de construire un réseau d’organisations autour de la mission, ce qui a permis l’émergence d’une solidarité intra et interrégionale. Ceci a permis la construction d’un agenda commun que nous devons négocier avec les différentes organisations. Partout où nous irons, ce sont elles qui vont nous accueillir. MG
Geneviève Dorais va se joindre à nous dans les prochaines heures. Elle est professeur d’histoire de l’Amérique latine et responsable du Laboratoire d’études de l’Amérique latine à l’UQAM. Elle travaille beaucoup avec nous au CISO et à la Fondation Salvador Allende. DG
- S’il est vrai que les entreprises minières agissent de la même façon partout dans le monde, ici en Colombie il est important de tenir compte de l’arrière-plan historique. Les assassinats collectifs remontent aux années 1930. En 1990 seulement, 5 000 membres du Front patriotique ont été assassinés. On parle d’un génocide permanent des leaders sociaux. C’est la profession la plus dangereuse en Colombie. Même chose pour les leaders environnementaux, l’an dernier nous avons eu 60 assassinats. Alors, même si la ville nous semble paisible, il y a beaucoup d’histoires qui se passent derrière. Je vous invite à être attentifs à tout ce qui se passe. Merci d’être ici, je suis vraiment content et reconnaissant pour votre implication qui démontre l’importance que vous accordez à la Colombie et à son peuple. MG
Présentation des organismes qui reçoivent la Mission à Bogota
Bienvenue à Bogota et nous remercions d’être ici. Je suis Carlos Carano et je suis membre d’un organisme communautaire depuis 25 ans qui s’appelle « Chemins de lutte » et j’appartiens à un réseau de médias alternatifs. Nous sommes membres d’organisations sociales et communautaires qui ont travaillé à l’organisation de cette mission avec des Colombiens qui vivent au Canada. Nous avons souhaité recevoir votre délégation afin de rendre visible ce qui s’est produit lors du soulèvement populaire des mois d’avril à juillet 2021 dans tout le pays. Nous sommes parvenus à recenser les cas de « faux positifs judiciaires », des accusations montées de toute pièce contre des militants sociaux, des cas de disparitions forcées produits par les forces de l’ordre et la violence de l’État devant les graves problèmes sociaux qui ne sont pas adressés et qui se sont aggravés pendant la pandémie.
En Colombie, nous vivons une grave crise sociale dont les médias de communication ne parlent jamais. Devant ce silence, nous avons organisé nos propres moyens de communication alternatifs. Nous avons décidé de rompre l’encerclement médiatique et raconter l’autre version des événements. C’est ce que nous sommes parvenus à faire dans la plupart des grandes villes: à Bogota, Cali, Medellin, grâce aux moyens de communication communautaire et aux médias sociaux. Cela a donné le pouls des manifestations et de la vague de répression qui s’en est suivie parce que les grands moyens de communication ne nous racontent pas ce qui se passe. D’où l’importance de votre présence ici pour rapporter une information de première main afin de documenter ce qui se passe. Nous espérons que depuis l’étranger, avec le réseau de solidarité internationale avec la Colombie, nous parvenions à faire pression sur l’État pour qu’il assume ses responsabilités. Je vous remercie.
Suite de la séance, 26 novembre, Bogota…
J’habite Bogota et dans le contexte de la grève générale, il s’est produit une expression spontanée d’organisation de la société civile. C’est ce processus que j’ai accompagné. C’était au départ des groupes de jeunes qui prenaient possession des carrefours. Certains étaient membres de partis politiques, mais la plupart non. Je voudrais vous rapporter un événement qui a eu lieu le 9 juin 2021 que les compagnons de la communauté Misak vont aussi vous raconter. Cet acte a contribué à modifier l’imaginaire social de la population à propos de la colonisation et des peuples autochtones. La communauté Misak avait fait un appel aux organisations sociales pour que nous assistions à cet événement sur une place située sur la 26ème avenue. Il était très tôt le matin et la police était déjà au courant. Je suis arrivée à 7:00 du matin et la police avait déjà dispersé les Misaks. Il y avait eu de la violence et j’étais présente à titre de journaliste pour un média alternatif. Nous étions aussi présents pour apporter notre appui solidaire. La mairie avait appelé des policiers antiémeutes en renfort, le ESMAD, une brigade spéciale pour disperser les manifestations. Normalement, ils doivent faire une proclamation, un avertissement, avant d’intervenir, mais ce ne fut pas le cas. Il y a eu plusieurs blessés lors de cette charge de la police. Nous avons des images de ce qui s’est passé. Au cours de la confrontation avec les jeunes qui s’en est suivie, il y a eu plusieurs arrestations. Grâce à la présence et à l’intervention d’organisation de défense des droits humains, plusieurs ont pu être libérés, mais des charges ont été retenues contre eux. Ils ont été invités à être ici, mais pour des raisons de sécurité, ils ont préférés ne pas venir. Maintenant que les autorités ont leur nom, photo et leur adresse, ils sont victimes de harcèlement de la part de la police. Pour nous Colombiens, les droits humains ne sont pas quelque chose que nous connaissons tellement nous sommes habitués à subir les outrages des forces de l’ordre. Pour nous, ce qui est normal, ce sont les abus des droits humains. Par exemple, les vols à base altitudes d’hélicoptères de la police au-dessus des manifestations, c’est une forme de harcèlement dont nous ne sommes même pas conscients. Pour nous, c’était normal. La police se présente souvent lors de nos réunions ou de nos assemblées. C’est une forme d’abus. Alors votre présence ici est importante pour nous.
En ce moment, nous accompagnons le Centre d’amitié Misak à Bogota. Nous appuyons les revendications de cette communauté parce qu’elle est l’expression de la diversité qui compose l’identité colombienne que le pouvoir en place cherche à nier. Nous continuons notre travail. Par exemple, les jardins communautaires pour défendre la souveraineté alimentaire des communautés. Nous travaillons aussi dans la récupération des semences indigènes pour contrer les effets des semences transgéniques, en nous efforçant de ne pas suivre la logique qu’ils veulent nous imposer. Merci beaucoup pour votre écoute.
Merci pour votre invitation à venir vous raconter nos expériences de revendication de notre identité comme peuple autochtone. Reconstruire la mémoire et raconter l’histoire à notre manière, selon ce que nous avons vu et vécu. C’est ce que vous a rapporté l’intervenante précédente. Nous avons participé à ce processus de revendication de notre identité. Je veux vous dire que pour nous cela n’a pas débuté en 2021. Cela n’a pas été seulement le fait du peuple Misak. En Colombie, il y a plus de 116 nations autochtones, parlant plus de 60 langues différentes. Alors, tous ces peuples indigènes ont participé à cette lutte pour récupérer ces droits qui nous ont toujours été niés. Les droits humains, les droits territoriaux, les droits des enfants, les droits des femmes, ont été amoindris depuis fort longtemps.
Alors, nous ne luttons pas depuis 2 ou 3 ans, mais depuis plus de 500 ans. On nous dit toujours que nous vivons de la rancœur à cause de ce qu’ils nous ont fait subir par le passé. Oui je crois que c’est vrai, mais pourquoi ? Parce qu’ils ont exterminé nos ancêtres et cela nous fait mal de connaître l’histoire de la colonisation. Mais qu’est-ce qui se passe ? L’histoire officielle qui nous a été racontée à l’école, c’est qu’il y a un gagnant et un perdant. Qui sont les vainqueurs ? Ceux qui sont représentés par des statues dans des endroits publics. Qui sont les vaincus ? Nous, les Premières Nations. Pourquoi ? Parce que nous avons perdu nos richesses naturelles, nos richesses culturelles, et de nombreux peuples indigènes ont été exterminés. C’est pour eux que nous luttons. Nous sommes unis dans la lutte et nous ne luttons pas pour notre seule nation, mais pour toutes les Premières Nations. C’est pourquoi, la lutte a continué. Le mouvement autochtone, a commencé à s’organiser au cours des années 1970 et 1980, avec la récupération de nos terres dans le Cauca. En 1980, ce fut un moment historique pour la revendication de nos droits territoriaux. Le peuple Misak récupéra des terres qui leur avaient été usurpées par des grands propriétaires terriens qui exterminèrent tout ce qui se trouvait sur leur chemin. Nos caciques durent se cacher au sommet des montagnes dans les endroits les plus inhospitaliers. Nous sommes les gens du Paramont.
Pour nous, ces lieux où naissent les sources d’eau sont sacrés. Notre communauté y vit depuis fort longtemps et c’est notre lieu d’appartenance que nous défendons. C’est aussi le chef lieu des autorités indigènes de Colombie. Le peuple Misak est présent dans plus de sept départements. L’un d’eux est ici, Cundinamarca. Nous avons été déplacés parce qu’on nous a dérobé notre territoire ancestral. Quand la république a été instaurée, les autorités nous ont mis dans des réserves. Nous étions enfermés et nous n’avions pas le droit d’en sortir. Cela fut un dur coup pour notre peuple.
Cette année, quand les peuples indigènes arrivèrent à la ville de Cali pour faire connaître leur présence et leurs revendications pour que la population sache se qui se passe dans nos territoires, le président Ivan Duque a dit: « Les peuples indigènes doivent demeurer sur leurs réserves sans en sortir. » C’est toujours de cette manière qu’on nous traite, en nous enfermant dans des réserves. Comme si on ne voulait pas nous voir en ville. Mais pourquoi sommes-nous venus ? Parce que nos territoires sont trop petits. De plus, nous voulons connaître la façon de penser du monde extérieur et sa science pour voir ce que nous pouvons en faire. Nous avons tout ce dont nous avons besoin, mais nous souhaitons connaître la technologie. Pour cela, nous les jeunes, filles et garçons, nous sommes venus en ville pour pouvoir étudier à l’université. Ma compagne étudie en travail social et j’étudie l’archéologie. Je veux que cette science m’aide à renforcer l’identité du peuple Misak.
Le 16 novembre 2020, le peuple Misak a commencé à changer cette histoire en faisant tomber les statues des personnes qui s’emparèrent de nos ressources et assassinèrent nombre de nos ancêtres. Le premier personnage génocidaire fut Sébastian De Belalcázar. Cela faisait longtemps que nous voulions faire justice, mais nous n’y étions pas encore parvenus parce que la culture occidentale nous tenait enfermer dans une certaine vision du monde qui nous empêchait de penser différemment. Avant de passer à l’action, il fallait changer notre compréhension de l’histoire. Cette action est une revendication de notre droit de dire qu’ici l’histoire nous est mal racontée parce qu’elle nous est rapportée du point de vue des conquistadores qui prétendirent avoir fondé les premières villes de ce pays alors qu’elles existaient déjà avant leur venue. Non, à Popayán, Cali, Bogota, il y avait déjà une civilisation et nos villages étaient installés avec notre forme de gouvernement. Nous avions une pensée propre, tout ce qui constitue une culture à part entière. Tout cela fut éradiqué au profit de la culture espagnole et nous durent nous cacher dans les paramonts. Pour cette raison, nous voulons que l’histoire soit racontée telle que nous l’avons vécue.
Le 7 mai 2021, fut pour nous une journée d’allégresse parce que nous avons renversé une statue dans la ville de Cali. Cela fut l’inauguration officielle de la grève nationale. À partir de là, le peuple Misak commença à être ciblé par les autorités. Plusieurs de nos jeunes leaders qui participèrent à ces actions sont recherchés par la police. Il y a même une récompense de 1 250$ pour la capture de chaque membre de notre communauté, mais nous sommes plus de 25 000 personnes. Cela révèle la violation permanente des droits des peuples indigènes. Après le 7 de mai, la Maison d’amitié Misak a été menacée par les forces de l’ordre qui nous surveillent en permanence en portant atteinte à notre liberté d’expression et de déplacement.
Nous sommes également vulnérables parce que nous ne pouvons pas être là où nous voulons. De la même manière, nous avons renversé la statue de Gonzalo Jiménes de Quesada, fondateur de la ville de Bogota et génocidaire du peuple Muisca. Grâce à l’adoption d’une pensée historique différente, certains Muiscas sont en condition de pouvoir récupérer ce qui appartient à leur histoire. Ces formes de revendications sont pour nous une manière de nous réapproprier notre mémoire historique. Avec ma compagne, nous avons été présents lors de cet événement qui a eu lieu à 4:00 du matin. Nous n’aimons pas nous cacher et nous agissons à découvert. Nous continuons de nous tenir debout. Ce furent les forces de l’ordre qui commencèrent à nous charger et nous avons résisté. Nous avons marché dans la capitale pour faire connaître nos revendications et ce que nous vivons dans nos territoires. À chaque fois, nous sommes encerclés par la police sans avoir la liberté de nous exprimer. Par ses monuments, la Colombie rend hommage aux envahisseurs de ce territoire. Nous réfléchissons aux manières de renommer nos places et nos avenues sous un mode autochtone. Le nom même de ce pays est un tribut à Christophe Colomb qui a massacré tant des nôtres. Le 9 juin, nous avons donc renversé sa statue. Évidemment, ces actes d’affirmation sont réprimés par les forces de l’ordre.
Qu’est-ce que nous dénonçons maintenant ? La violation des droits humains et l’assassinat des leaders environnementaux, des leaders sociaux, des jeunes, des femmes. Il y a eu de nombreux assassinats dans l’état du Cauca, pas seulement des Misaks, mais aussi d’autres membres des Premières Nations qui défendent cette forme de revendication. Nous sommes menacés et assassinés, c’est ce qui se produit. Maintenant nous sommes des objectifs pour la police. Marcher dans la rue, habillés comme nous le sommes, c’est prendre un grand risque pour sa vie. De plus, pour affirmer notre identité autochtone, nous sommes l’objet de mépris et de moqueries de bien des gens. Après avoir renversé les statues de Colomb et de la reine Isabelle, nous sommes allés faire un rituel. En nous voyant vêtus ainsi les policiers interceptaient tous les taxis où des Misaks prenaient place. Nous vivons ici et nous continuerons de lutter pour pouvoir changer cette histoire et revendiquer notre mémoire comme peuple indigène.
Actuellement, les peuples qui habitent le Cauca commencent une grande marche de revendication. Pourquoi ? Parce dans le cadre de la grève nationale, des accords ont été signés avec les différentes nations. Mais après plusieurs mois, nous constatons que ces accords demeurent lettres mortes, alors qu’ils continuent de nous pourchasser et de nous assassiner. Ils nous demandent toujours de nous assoir pour négocier, mais qui envoient-ils pour cela? Des fonctionnaires subalternes qui n’ont aucun pouvoir décisionnel. C’est pour cela que nous allons débuter une nouvelle marche, un nouveau processus où nous pourrons dire : « Nous continuons la lutte! Nous continuons d’exiger d’être entendus et d’exiger des gestes concrets de la part des autorités de ce pays parce que ce sont elles qui font une différence dans ce processus. » Je souhaite que cette mission canadienne puisse nous appuyer. Nous voyons les investissements étrangers en Colombie, mais ce ne sont pas des investissements en éducation, en santé, en développement social pour les enfants, les femmes. On investit dans la guerre. Les peuples indigènes veulent continuer de récupérer leurs territoires parce que la base de notre existence, c’est la terre. Là où nous avons de l’espace, nous pouvons pratiquer nos us et coutumes, ce que nous sommes.
Nous pouvons maintenir et renforcer notre identité. Sans terre, ils continueront de nous exterminer pour venir extraire nos ressources naturelles. L’objectif de la plupart des gouvernements, c’est l’or, les émeraudes, le pétrole. Comme Premières Nations, nous défendons notre territoire parce que dans l’avenir, il n’y aura plus d’eau. Nous autres les Misaks sommes les fils de l’eau et nous la protégeons, pas seulement pour nous, mais pour toute l’humanité. La Terre-Mère est dans un système solaire, elle dépend d’un système et nous dépendons d’elle, mais que lui donnons-nous ? Rien! Alors, à partir de nos actions, nous voulons introduire ce changement de pensée pour tous et pour toutes. Du côté dominant, on continue de dire que nous représentons une menace pour le développement du pays. Nous ne sommes pas une menace, nous sommes le futur où tous et toutes pourront vivre. Voilà pour l’essentiel, ce que je voulais vous partager. Ce n’est pas l’argent qui va sauver le peuple, ce sont nos actions.
* Je vous remercie tous pour cet espace de discussion. Dans le cadre de la grève nationale, nous les femmes avons également participé. Les femmes Misaks ont toujours fait partie de la lutte même si nous sommes demeurées invisibles. Nous avons été des pionnières dans cette lutte de défense de la terre de nos peuples. Les différents actes symboliques que nous avons réalisés nous ont rendus plus visibles aux yeux de la société. En tant que femmes, nous continuons de fournir des exemples de luttes. Nous avons été maltraitées parce que nous avons élevé la voix. Nous avons marché pacifiquement et nous avons été présentes avec notre peuple, avec nos chefs, poursuivant les luttes de nos ancêtres pour récupérer nos terres, pour récupérer la mémoire historique et pour le peuple. Alors, pour toutes ces raisons, nous les femmes avons été violentées au cours de l’histoire. Cependant, nous avons élevé la voix pour nous faire entendre par tous les peuples du monde afin que nous prenions soin de la Terre-Mère et pour que nous protégions nos paramonts parce que nous sommes les filles de l’eau. Nous avons lutté afin que les peuples autochtones soient respectés. Merci de votre aide pour que nos droits humains soient respectés.
Autre intervenante
Bonjour, il y a une discussion entre nous à savoir si nous allons vous parler seulement des droits humains dans le cadre de la grève nationale de 2021 ou de la violation systématique des droits humains en Colombie qui fait partie de notre histoire depuis les débuts de la colonisation espagnole. Il y a aussi les antécédents aux événements plus récents, la grève nationale du 21 de novembre 2019, par exemple. Une situation qui a duré un peu plus d’un mois où nous avons pu observer les mécanismes systématiques de répression qui étaient mis en place de l’État pour contrer la protestation sociale ainsi que le 9 septembre 2020, qui fut déclenchée suite à l’assassinat par la police de Javier Ordóñez. Des milliers de personnes sont sortis dans la rue pour protester contre ce meurtre et ils se sont attaqués aux centres de détentions temporaires de la police. Ces lieux de détention provisoires ont servi comme espace de répression, de tortures, de viols et de meurtres. Quand est sortie la nouvelle de la mort du jeune Javier Ordóñez, beaucoup de jeunes sont sortis manifester et cette nuit même, la police a ouvert le feu sur la foule et a occasionnée la mort de treize personnes uniquement à Bogota.
Alors, ce sont les antécédents les plus récents qui conduisent à la grève générale du 28 avril 2021 qui va s’étendre à tout le pays et durer plusieurs mois. Même si les choses semblent s’être calmées depuis le mois d’août, le mécontentement social continue d’augmenter en raison de la totale inefficience et du manque d’intérêt du gouvernement pour la réalité que vit le peuple. Le collectif de défense des droits humains dont je suis membre, est présent à Bogota, à Medellin, et dans les régions de Los dos rios. Nous sommes membres de plusieurs coalitions dont l’une se regroupe sous le nom de Campagne de défense de la liberté qui fait elle-même partie d’une articulation sociale beaucoup plus grande au niveau national dont le Congrès national des peuples. Aujourd’hui, je souhaiterais vous parler de l’expérience dans les rues. Pendant les premières six semaines de la protestation sociale, nous sortions tous les jours pour assister aux manifestations. Notre routine était de travailler l’après-midi, d’assister aux rassemblements le soir et de dormir le matin, ainsi à tous les jours, sous la pluie et le froid. À Bogota nous avons accompagné plus spécifiquement les points de résistance comme le Centre Uzman, le Portal de la resistencia, Suba et plus récemment, le Sud oriental de la capitale.
En régions, nous étions présents dans le Cesar et à Caucasia, où le 19 mai 2021, il s’est produit de graves violations des droits humains où des hommes non identifiées, prétendant être membres de la vigile, détiennent des personnes et refusent l’intervention des défenseurs des droits humains. Dans ce contexte, se produisent de nombreuses agressions envers les manifestants où les défenseurs des droits humains, identifiés par des dossards, sont particulièrement ciblés. La même chose se produit pour les représentants des brigades médicales qui viennent en aide aux manifestants blessés par les projectiles lancés par l’anti-émeute et les membres des médias alternatifs, également identifiés.
Le 24 mai en Soacha, quatre membres de notre collectif, s’efforçant de s’informer des noms des détenus et des charges retenues contre eux, sont agressés par un grand nombre de policiers dès leur arrivée devant le poste de police. Ils ont été blessés gravement après avoir été battus par la police. Par chance, un média national était en train d’enregistrer et de diffuser les images au même moment, c’est ce qui a mis fin à cette agression. Malheureusement, ce n’est pas ce qui se produit dans la majorité des cas. Ces agressions sont si fréquentes que nous y sommes habitués. Ce n’est qu’un jour de plus où ils nous frappent et nous maltraitent. Qui plus est, la violence de l’antiémeute n’est pas seulement physique, ils nous lancent toutes sortes de projectiles en nous visant au corps ou à la tête, ce qui a occasionné la mort de plusieurs manifestants. Il y a aussi le thème de la violence sexuelle qui est présent. C’est plus complexe parce que les victimes ont peur de dénoncer ces agressions à la police (sic.). Elles font face au déni des institutions judiciaires qui refusent d’enregistrer les plaintes contre les forces de l’ordre. Il existe une violence institutionnelle très forte, il n’y a pas seulement les représentants des forces de l’ordre, il faut aussi y ajouter ceux des forces militaires, mais également l’institution qui en tant que telle refuse d’agir en niant les faits. Par exemple, la Commission interaméricaine des droits humains est venue pour discuter du problème et la réponse de la mairesse de Bogota, Claudia Lopez, fut d’envoyer un rapport dénonçant que de nombreux policiers avaient été blessés par les manifestants. Elle n’a pas mentionné le fait qu’au moins 5 manifestants ont été assassinés (2021) par la police à Bogota.
Également, nous avons la violence psychologique. Pour ce qui est des femmes défenseures des droits humains, les représentants des force de l’ordre nous lancent des injures à caractère sexuel ou bien menacent de nous violer et toutes sortes de commentaires qui visent à nous intimider. Ainsi, le contrôle est non seulement physique, mais la police et les institutions qui ont un caractère profondément patriarcal et machiste, réaffirment cette volonté de contrôle du corps des femmes et plus particulièrement à celles qui participent aux manifestations. De plus c’est une institution profondément discriminatoire et raciste, parce que nous observons qu’ils n’agissent pas de la même manière avec les membres des Premières nations ou les afro-colombiennes. Alors, il y a un cumul des formes de répression de la part des forces de l’ordre et une série de pratiques que nous qualifions de génocides.
Les pratiques génocidaires de l’État cherchent non seulement à faire taire les gens en les éliminant, mais utilisent aussi le génocide culturel pour éradiquer la mémoire et l’existence d’un groupe en tant que tel. Certaines caractéristiques ont déjà été nommées, mais en Colombie il existe un génocide politique depuis fort longtemps. Citons par exemple l’élimination des membres de l’Union patriotique au début des années 1990. Ces pratiques génocidaires ne se limitent pas à l’assassinat, mais aussi aux montages judiciaires qui sont fort nombreux en ce moment. Pendant trois mois, nous avons été agressés à tous les jours par la police et il y a eu de nombreux disparus et des assassinats. Présentement, il y a une traque des leaders sociaux, des manifestants de la première ligne, et plus récemment des défenseurs des droits humains et des représentants de la presse alternative, pour les mettre en prison sous de fausses accusations. Nous assistons à la stigmatisation de la contestation sociale et le message que les autorités envoient aux personnes mécontentes de la situation actuelle, c’est que si elles manifestent, elles vont finir en prison sans aucune justification. Mais toutes ces détentions et tortures sont totalement injustifiées et on criminalise la contestation.
Je vais vous citer quelques chiffres de la campagne Défendre la liberté, entre le 28 avril et le 28 septembre 2021, au moins 87 homicides commis par les forces de l’ordre lors de manifestations en différents endroits de Colombie, principalement à Cali. 820 personnes sont portés disparues (soit emprisonnées ou assassinées). De ces 820 personnes, 312 demeurent introuvables jusqu’à maintenant. Le plus grave, c’est que nous commençons à découvrir plusieurs de ces personnes dans les rivières. Leurs corps sont réapparus après des semaines ou des mois de disparition. Nous nous sommes aperçus que ce mécanisme de répression de disparition forcée s’est converti en tortures ou en assassinats. Pour ce qui est des lésions oculaires permanentes, nous déplorons 103 cas. Cette pratique apparait systématique puisque les victimes semblent être désignées au préalable par la police dans une intention délibérée de les blesser irrémédiablement. Les agents visent directement le corps et la tête des manifestants, provoquant la perte d’un œil chez plusieurs victimes. On y reconnait une procédure systématique qui a été dénoncée par différentes organisations des droits humains. On doit réviser le degré de létalité des armes utilisées par l’antiémeute pour disperser les foules.
Nous dénombrons 1 990 personnes blessées et 326 agressions contre des défenseurs des droits humains. La mission d’observation devrait porter attention à ce fait. Cela révèle que la force publique ne reconnait pas notre rôle de défenseur des droits humains contrairement à ce que la loi nous autorise à faire. Au contraire, ils nous attaquent parce qu’ils savent que nous allons produire des rapports qui vont les affecter d’une manière ou d’une autre. Je voudrais aussi vous mentionner le thème de la militarisation. Depuis le début des manifestations, on a rempli les villes de forces militaires et policières. Il existe un terme en droit international humanitaire qui établit que les manifestants ne peuvent pas être traités comme des ennemis en temps de guerre parce que faire intervenir l’armée pour disperser des civiles désarmés n’a pas lieu d’être. C’est un message fort de répression de la protestation sociale.
J’aimerais revenir sur le thème de la judiciarisation. Je suis membre du Congrès des peuples, un mouvement social où dernièrement, ont été mis en accusation des participants pour exercer un leadership social. Ce qu’ils font, c’est qu’ils choisissent une personne, ils l’inculpent de n’importe quoi comme acte terroriste ou association de malfaiteurs, des accusations qui correspondent à des peines de prison très lourdes. C’est une façon de faire pression sur ces personnes pour qu’elles se soumettent à une négociation au lieu de subir un procès. Habituellement, l’autorité emploie une procédure interne, c’est-à-dire qu’on prive l’accusé de sa liberté, enfermé dans une prison pendant deux ou trois ans jusqu’à qu’il soit libéré sans qu’aucune accusation ne soit portée. Ainsi, cette personne a passé trois ans de sa vie en prison simplement parce que le gouvernement voulait envoyer un message de répression au mouvement social qu’elle représente. Julian Gil, un cas récent, un membre du Congrès des peuples, est inscrit sur cette longue liste de ceux et celles qui font victimes de ces montages judiciaires, en plus d’être constamment menacés de mort par des groupes paramilitaires en raison de la militarisation des territoires, entre autres problèmes.
Cela n’est pas un problème exclusif des membres du Congrès des peuples, sinon que cela affecte toutes les organisations sociales. Présentement, cette pratique vise en particulier ceux et celles qui ont été présents aux manifestations pendant la grève nationale, assurant la supervision des actions des forces de l’ordre ou simplement pour être sortis dans la rue pour protester contre un gouvernement qui viole systématiquement les droits humains. On parle beaucoup du thème de la réforme de la police, comme une possibilité pour améliorer un peu cette situation sauf que la « réforme » qui a été mise en place récemment, fut totalement désastreuse au sens où l’unique changement fut celui de l’uniforme et quelques formations sur le thème des droits humains et de prévention de la violence de genre. Mais toutes ces choses ne se produisent pas parce qu’il y a une résistance très forte au changement de la part de l’institution et de ses membres. Ils veulent continuer de réprimer le peuple comme avant. Il y a un grand débat au sein de la société sur la forme que devrait prendre cette réforme de la police. Certains réclament l’élimination complète de l’escadron mobile antiémeute, ESMAD, parce que celui-ci a été le protagoniste de la plupart des atteintes aux droits humains depuis sa création il y a 24 ans. On reproche au ESMAD l’assassinat d’au moins 32 personnes. Cela n’a pourtant pas lieu d’être dans une démocratie qui protège le droit de manifester son désaccord avec l’État. Cela reflète un haut degré d’impunité des crimes commis par la police, le ESMAD et les militaires.
Premièrement, on constate une négligence complète de la part des institutions. Deuxièmement, plusieurs de ces cas se retrouvent devant un tribunal militaire, un système de justice spéciale, au lieu d’être soumis à la justice civile. Cela fait en sorte que les personnes sont victimes une seconde fois et qu’elles ne reçoivent pas, dans la plupart des cas, une réponse à leur plainte. Par exemple, Manuel Cubillos qui a assassiné à Bogota le 23 novembre 2019 Dilan Cruz, un étudiant de 17 ans, continue d’être libre et il n’y a pas eu de progrès dans cette enquête. Dans ce système, les personnes qui appartiennent au corps de police se sentent entièrement libres de continuer d’agir ainsi parce qu’ils savent qu’ils ne seront jamais inquiétés.
Finalement, j’aimerais vous parler de ce qui se passe dans les régions, de ce que les différents membres de mon collectif ont pu observer. Tout d’abord, il faut souligner la présence de groupes armés dans les territoires et la réponse de l’État est la militarisation. Alors les civils se retrouvent pris entre deux feux. Cela produit des assassinats, des déplacements massifs par manque de sécurité ou de garantie pour que les personnes puissent continuer à vivre chez-eux. En plus de cela, il y a un thème très fort qui est la répression des manifestations. Par exemple, plusieurs multinationales présentes sur le territoire, affectent grandement les communautés et les personnes qui y vivent. Dans le territoire du Cauca, leur présence affecte les communautés parce que les intérêts économiques priment sur la vie des habitants et l’environnement. Cela affecte l’autodétermination des gens qui y vivent. Tout ce scénario est une partie de tout ce qui se passe en Colombie. Ici, la norme quotidienne est la violation des droits humains. C’est pour toutes ces raisons que nous faisons appel à la solidarité internationale et aux organisations de défense des droits humains à l’échelle internationale. Nous avons reçu certaines réponses, mais pas suffisamment pour changer la donne et exiger au gouvernement colombien qu’il cesse sa répression de manière définitive. En plus de cela, celui-ci refuse d’entendre les appels qui lui proviennent de l’étranger pour respecter les droits humains. Par exemple, devant les recommandations de la Cour interaméricaine des droits humains, la réponse du gouvernement a été qu’il n’y avait aucun problème en Colombie, qu’il ne se passait rien et qu’il n’allait pas les écouter. Alors nous avons besoin d’avoir plus de pression d’où que ce soit pour que ces atteintes aux droits humains diminuent. Nous savons qu’en Colombie la situation est si grave que cela ne va pas s’arrêter.
Un dernier thème, c’est que le soulèvement social s’est produit dans le contexte de la pandémie. L’État utilise les méthodes de biosécurité comme instrument de répression et de contrôle de la protestation. Par exemple, il peut y avoir des rassemblements dans les grands magasins, mais pas dans la rue. Il y a comme un double standard utilisé par les personnes qui émettent ces règlements pour contenir et faire taire la protestation. Toutefois, cela ne fonctionne pas et les manifestations continuent de grandir. Il se passe des choses comme d’inculper les gens qui manifestent parce qu’ils sont dans la rue.
* Tu as oublié de dire qu’ils ont imposé un couvre-feu les quartiers populaires et qu’ils tiraient à balles réelles pour que les gens restent enfermés chez-eux. C’est très dure ce que nous avons vécu et le nombre de morts est sûrement supérieur aux chiffres que tu as mentionnés.
Oui, tu as raison. Ce sont les chiffres que nous avons pu vérifier comme associations de défense des droits humains. Les chiffres ne reflètent pas la réalité que nous avons vécue. Je conclus en faisant à nouveau appel à la solidarité internationale pour faire pression sur notre gouvernement pour qu’il prenne des mesures urgentes devant toutes ces atteintes aux droits. De plus, je ne représente qu’un tout petit groupe et d’autres associations pourraient vous rapporter des choses bien pires encore. Merci beaucoup.
Autre intervenants
Bonjour à tous et à toutes. Nous faisons partie de la campagne : « Objectif liberté, plus de montage judiciaire ». Cette campagne est formée de personnes solidaires et de membres des familles des détenus sous de fausses accusations. Le montage judiciaire est une pratique répandue dans notre pays. Cela fait une année que nous avons formé ce groupe pour faire de l’accompagnement juridique et psychosocial des personnes qui subissent ce mécanisme de répression de l’État. Nous souhaitons vous présenter un rapport que nous sommes en train d’élaborer sur les montages judiciaires qui existaient avant la grève générale. Nous avons recensé les premiers cas en 2009-2010 et les derniers montages qui sont le résultat des manifestations de cette année comme stratégie de persécution des leaders sociaux, étudiants, syndicaux, et autres expressions de mobilisation.
Bonjour, notre présentation va recouper un peu les interventions précédentes. Je porte à votre intention que le conflit en Colombie ne date pas du mois d’avril 2021, il perdure depuis fort longtemps. Les détentions récentes des défenseurs des droits humains, des leaders sociaux, des jeunes en situation de pauvreté ou de personnalités du monde académique. Cela démontre la matérialisation d’une politique de l’État qui considère comme ennemis internes toutes formes d’opposition. Alors, nous disons qu’il s’agit d’une doctrine de sécurité qui provient des années 1940. La contre-insurrection est un terme qui signifie qu’ici ce qui est venu en premier est l’anticommunisme. Depuis cette époque, nous subissons non seulement la persécution directe, mais aussi la criminalisation de toutes formes d’organisation qui s’opposent aux politiques de l’État ou réclament des changements structurels. Tous les opposants au régime étaient désignés comme communistes et à partir de cela, soit on les assassinait ou on les jetait en prison. Cela faisait aussi partie du grand contexte international de la Guerre froide.
En 1976, l’État de sécurité a été déclaré et cela octroyait des pouvoirs extraordinaires au gouvernement et aux forces de l’ordre. À partir de là, les violations des droits humains sont parrainées par l’État de manière ouverte. Les actions répressives sont légalisées, des tribunaux militaires spéciaux sont mis en place pour juger des civils, n’existait plus alors la médiation du ministère publique qui garantit une justice indépendante. C’était les militaires qui vous jugeaient si vous aviez commis un délit contre l’État. Cela éclaire la notion de la criminalisation des opposants en Colombie. C’est pourquoi nous affirmons que les montages judiciaires ne sont pas quelque chose de nouveau. Au cours des années 1980, les paramilitaires font leur apparition. Je ne vais pas vous relater ici toutes les atrocités qu’ils ont commises.
Cet acteur dans le conflit armé a créé le réseau des informateurs qui par la suite a été institutionnalisé avec le gouvernement d’Alvaro Uribe au début des années 2000. Donc, le paramilitarisme fait partie du thème de la judiciarisation. En 1999, sous prétexte de lutte contre les narcotrafiquants, le Plan Colombie est adopté par les États-Unis pendant le mandat du président Pastrana. Nous faisons référence à cela également comme précédent historique. En réalité, ce Plan consista en une meilleure organisation des forces militaires, du système judiciaire et pénitencier. C’est à cette époque que le plus grand nombre de leaders sociaux vont être incarcérés. Également, c’est tout le cercle social des insurgés armés qui va être attaqué dans la perspective d’enlever l’eau au poisson (stratégie employée au Vietnam pour déplacer les populations civiles pouvant servir d’appui à la guérilla) afin d’exterminer les forces rebelles. Dans le cadre du Plan Colombie, il y a eu une répression indiscriminée et des captures illégales. Les montages judicaires sont organisés de concert avec le système pénitencier. Cela permit de financer la construction de prisons selon le modèle américain.
À partir de 2002, le gouvernement d’Uribe conclut l’exécution du Plan Colombie, mais nous pensons qu’il continue d’être en vigueur. Ces prisons modèles aggravent les conditions de détention et ce sont là que sont détenus nos camarades. Pendant son gouvernement, il y avait une politique nommée « sécurité démocratique » qui en fait était une politique pensée pour violer les droits humains, l’extinction du mouvement social et l’extermination des différentes guérillas. À la lumière de la loi, nous avons démontré qu’il s’agit en fait d’une politique de guerre envers le mouvement social. L’ennemi interne désigné par l’État furent les pauvres, les intellectuels, les militants du mouvement social et les membres de la guérilla. De manière ouverte, le gouvernement colombien considère que tous ces gens sont leurs ennemis. La sécurité démocratique en termes juridiques signifie la criminalisation du mouvement populaire. Depuis la présidence a autorisée et ordonnée l’infiltration des universités publiques par des agents informateurs qui assistent aux classes pour signaler les professeurs et les étudiants dont les propos sont jugés trop critiques envers l’État. Ceux-ci peuvent ensuite être accusés devant les tribunaux, jugés et condamnés à la prison pour propos séditieux ou association de malfaiteurs. Parmi les académiciens incarcérés depuis plusieurs années, on peut mentionner le cas du professeur Miguel Angel Beltran.
Pendant le mandat du président Manuel Santos, contrairement à ce que peut penser la communauté internationale, le harcèlement et la persécution du mouvement social et populaire s’est poursuivi. Nous voulons dire que ce ne fut pas seulement lors des manifestations de rue du mouvement étudiant en 2011, mais aussi à travers l’appareil judiciaire. C’est pendant son mandat que la loi de Sécurité citoyenne est proclamée. Il s’agit d’une instrumentalisation de la loi pour criminaliser toutes actions du mouvement social dans la rue, mais aussi dans ses organisations. Dans le cadre de cette loi, plusieurs étudiants des universités publiques ont été judiciarisés, mais aussi des paysans qui se sont mobilisés pour le Sommet agraire. À la fin du mandat de Santos, il proclame la loi 1 908 supposée défendre les droits des leaders sociaux et des anciens membres de la guérilla, mais en réalité, elle a rallongé la détention préventive. On peut maintenant passer deux à trois ans emprisonné sans recevoir d’accusation formelle.
Après ce temps, vous êtes relâchés sans avoir été inculpés. Sauf que maintenant, la loi permet de garder quelqu’un jusqu’à 5 ans en détention préventive en attendant son procès. Lorsqu’ils sont finalement relâchés, avec la menace d’un procès au-dessus de leur tête, ils rencontrent toutes sortes de difficultés : sociales, psychologiques et économiques. Nous voulons faire objection à cette loi puisqu’elle entre en vigueur après le soulèvement social, mais aussi parce qu’elle vise à désarticuler tout le mouvement social. Certaines personnes sont accusées parce qu’elles ont participé à une réunion comme nous le faisons présentement.
Pour arriver à l’actualité avec le gouvernement d’Ivan Duque, les grandes mobilisations sociales débutent avec le début de son mandant présidentiel. Il propose une série de réformes des pensions de vieillesse entre autre, des lois du travail et du système d’éducation. Les gens manifestent également pour exiger la réalisation des accords de paix signés avec les FARC. Le parti de Duque a cherché à saboter le peu qui demeure des accords de paix. C’est dans ce contexte qu’a lieu une criminalisation du mouvement social. Cette répression vise les gens organisés, mais aussi les jeunes en général qui habitent dans les périphéries et sont sans emploi ni aucune opportunité d’éducation supérieure. La pandémie a produit une pause dans les mobilisations.
J’aimerais ajouter quelques éléments à propos de la grève nationale parce que c’est une histoire au cours de laquelle nous nous sommes mobilisés contre la répression. Depuis la fin des mobilisations nous estimons qu’une trentaine de leaders sociaux ont été emprisonnés en Colombie. Aucun d’eux n’a encore été accusées ni ne connaît le motif de cette incarcération. Nous y reconnaissons plusieurs caractéristiques communes qui à nos yeux révèle un schéma d’intervention. Toutes ces personnes sont membres d’une organisation sociale ou d’une collectivité qui a été active au cours de la grève nationale. Il s’agit de captures exemplaires, parfois les arrestations ont lieu avant même les mobilisations parce que ce sont des leaders connus. Ces détentions ont pour but également de démontrer l’efficacité des forces de l’ordre dans les médias. Autre indice de cette procédure, c’est qu’on étire au maximum les délais de détention préventive sans porter d’accusation. C’est pourquoi nous parlons de captures exemplaires pour dissuader les gens de militer dans le mouvement social. Il y a aussi une inflation des accusations, pour n’importe quel motif, on exagère les faits, lorsqu’on ne les fabrique pas, puis on réclame une peine exemplaire. Par exemple, la conspiration pour commettre un acte de délinquance peut être attribuée à des artistes qui pensent exécuter une murale à contenu politique. L’accusation de terrorisme est employée pour n’importe quoi, ce qui donne droit au double ou au triple de la peine normalement requise. Autre procédure courante, la présentation de faux témoignages ou de fausses preuves lors de l’audience. Il s’agit souvent de témoignages rémunérés sans aucun fondement réel. Parfois l’accusation présente à la barre des policiers ou des membres de la famille des policiers en affirmant reconnaître les prévenus alors qu’ils manifestaient à visage couvert. Il existe d’autres organisations de défense des droits humains spécialisées dans de nombreux lieu de contestation qui ne sont pas présentes ici. Je vous invite à entrer en communication avec elles.
Quelques témoignages recueillis à Bogota
Je m’appelle Tatoo et je participe activement aux mobilisations depuis 2019, suite à l’assassinat de Dilan Cruz. Les 9 et 10 septembre 2020, il y a d’autres manifestations. Le 9 septembre, à la fin de la journée, nous sommes sortis, moi et ma conjointe, pour acheter des aliments. C’est en allant faire les courses qu’elle a reçu une balle perdue. Elle est décédée le lendemain à l’hôpital.
Elle s’appelait Angie Paola Baquero Rojas. C’est le policier Jorge Andres Lasso Valencia qui aurait fait feu parce que la balle retrouvée dans son corps correspond à l’arme de ce dernier. Il s’agit de munition réelle pas de balles de caoutchouc. Nous sommes allés porter plainte aux tribunaux et c’est nous maintenant qui sommes persécutés. J’ai reçu des menaces de mort et j’ai du abandonner mon domicile. Sa famille également a dû se reloger ailleurs. Ensuite, en avril 2021, un autre soulèvement populaire se produit, sauf qu’il se répand à tout le pays et qu’il va durer jusqu’en septembre. Je me suis jointe au mouvement en raison de ce qui s’est produit avec ma conjointe. Cela m’a donné la force et j’appuie une réforme de la police. Lorsque le soulèvement se produit, j’ai profité de l’occasion pour continuer la lutte en hommage à ma conjointe et en nommant son nom pour qu’on n’oublie pas les crimes de la police. Je veux rendre son cas visible. Elle ne participait même pas à la manifestation, elle rentrait du travail. C’est lorsque nous marchions que la foule est arrivée en courant, je lui ai pris la main pour ne pas la perdre, puis elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas courir parce qu’elle avait reçu une balle.
Mon engagement dans cette lutte est pour démontrer les agissements violents de la police. Un jeune ne peut plus manifester ou réaliser un acte culturel dans la rue sans devenir un objectif militaire. Nous nous engageons dans cette lutte également pour ceux et celles qui ne sont plus parmi nous, pour préserver leur mémoire, parce qu’il est important que les jeunes changent l’histoire de ce pays pour ceux et celles qui ont été mutilés, ont perdu un œil, pour les mères qui ont perdu un fils ou une fille, pour ces couples qui ont perdu leur foyer, pour les orphelins. Nous continuer à résister à partir des choses mauvaises qui nous sont arrivées. Ce qui me motive le plus à lutter dans la rue, c’est la mémoire, pour qu’elle ne soit pas censurée et pour que nous n’oublions pas ceux et celles qui sont décédés. Je demeure ferme pour le futur des enfants de Colombie. La mort de ma conjointe m’a laissé un grand héritage. Son absence physique n’empêche pas sa présence spirituelle à mes côtés et elle vit dans la mémoire de nombreuses personnes. Elle m’a donné une force. On se demande pourquoi on meurt ? Moi, je demande « pour quoi » est-elle morte ? Je sens qu’elle est morte pour que je puisse ouvrir mes ailes pour venir en aide à beaucoup de gens, pour que nous n’arrêtions pas les mobilisations et pour dire : « Ça suffit la répression! » Je sens qu’en fin de compte, la mort m’a apporté la vie. Alors pour les jeunes et les enfants qui grandissent, j’ai senti qu’elle nous a laissé un héritage énorme, non seulement elle, mais les 13 victimes des manifestations du 9 et 10 septembre 2020, les 80 morts pour les mobilisations de cette année et ceux et celles de toutes les années antérieures. Merci d’être venu ici nous entendre.
Autre témoignage
Je m’appelle Vanessa. Je fais partie des Mamans de Puerto Resistencia. Nous sommes le seul groupe de femmes qui s’est levé comme première ligne des manifestations en portant des boucliers pour confronter l’antiémeute. Ici, tu peux observer des gens qui participent au chaudron communautaire où à partir des apports de chacun nous partageons une soupe repas à chaque soir. Seulement le fait de faire une cuisine en plein air, la police vient nous harceler et nous disperser ou nous inculper de fausses accusations. Pourtant cette nourriture est essentielle pour bien des résidents du quartier. Nous savons que 30 personnes sont sous mandat d’arrêt. La tête de la plupart d’entre nous est mise à prix et il n’y a rien qui nous protège, même pas les organismes officiels de l’État sensés défendre les droits humains. Quand on rentre chez-soi le soir, on se dit, aujourd’hui je suis rentrée, sans savoir ce qui va arriver le lendemain ou dans les jours suivants. À cause de cela, nous rentrons à la maison en groupe, pas de manière isolée, parce que plusieurs manifestants sont portés disparus. D’ailleurs, je n’habite plus chez-nous c’est trop dangereux. Lorsque quelqu’un est touché par balle lors d’une manifestation, l’antiémeute charge pour l’enlever et le faire disparaître. Si la personne n’était que blessée, le lendemain elle apparaît morte dans un endroit isolé. La police tergiverse sur l’identité de la victime, disant que c’est une autre personne. Parfois, ils rendent le corps à la famille plusieurs semaines plus tard en disant que la personne s’est noyée, alors que l’autopsie indépendante démontre que la victime a été battue avant de mourir. Les victimes de la police ne reçoivent pas un traitement légal adéquat, leur enquête demeure au point mort. La justice persécute toutes formes d’organisations, mais jamais elle ne touche à la police.
Le 28 de septembre, la cuisine populaire a été attaquée par la police. Ils nous ont pris tout notre matériel et ils nous ont intimité. Les policiers ne portaient pas leur plaque d’identification. La seule protection que nous avons, c’est celle que nous avons entre nous. Nous sommes comme une famille où chacun prend soin des autres. L’amour que nous avons les uns pour les autres, la vigilance mutuelle et la solidarité, sont nés pendant les manifestations parce que nous avons appris à nous connaître et à nous respecter malgré nos différences. Maintenant nous connaissons la majorité de nos voisins, avant ce n’était pas le cas. Alors nous construisons le tissu social. En plus, c’est bon et gratifiant de le faire. Nous apprenons aussi à connaître comment est la vie de chacun et son histoire. C’est un travail social que nous réalisons. C’est ce qui nous permet de durer. Aussi, nous voulons créer des écoles populaires dans les quartiers parce que nous voulons sensibiliser les enfants et les adultes sur notre histoire. Dans les écoles officielles, ils ne racontent qu’une version édulcorée de l’histoire et de la réalité sociale. Jamais on ne parle des opprimés ou que nous avons été réprimés par nos élites. Ceux qu’on nous appris à regarder comme des héros, sont en fait des oppresseurs qui nous ont soumis à ces gouvernements. Nous devons nous réapproprier notre histoire de lutte pour sensibiliser la population. Cela permettrait aux gens de voir le monde différemment.
Transcription et traduction : Yves Carrier