#327 – Comment renouveler la solidarité avec Haïti ?

Bonsoir à tous et à toutes. Mon nom est Chantal Ismé et je suis membre de la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti. Je serai votre animatrice pour la soirée. La présente activité est organisée par le collectif Un Québec fou de ses solidarités en collaboration avec la Coalition contre la dictature en Haïti, avec l’appui de la Maison d’Haïti et la participation de l’AQOCI, Association québécoise des organismes de coopération internationale, de Concertation pour Haïti et de plusieurs groupes de solidarité. Ce soir, notre objectif est d’échanger sur le contexte dans lequel la solidarité avec le peuple haïtien peut se concrétiser, mais aussi d’entendre ces différents groupes qui le soutiennent. Merci d’être parmi nous afin de participer à cette importante réflexion sur la solidarité avec Haïti en ce moment crucial de la vie de ce peuple. Au nom du comité organisateur, je remercie

Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti, ainsi que l’équipe de nous avoir accueilli et permis la tenue de cette activité. Je cède la parole à Mme Villefranche

Bonsoir aux personnes présentes. Cette activité est très importante pour la Maison d’Haïti parce que depuis le début, la raison d’être de notre organisme a toujours été pensée en solidarité avec ce qui se fait en Haïti. Notre action a toujours été centrée sur le fait de venir en aide à la population haïtienne qui vit au  Canada, tout en demeurant toujours à l’écoute de la population en Haïti pour soutenir la lutte qu’elle mène. Celle-ci passe par différents canaux. Il y a une lutte qui est davantage politique et une autre en termes de coopération internationale pour améliorer les conditions de vie des Haïtiens. La Maison d’Haïti a toujours répondu présente chaque fois qu’il s’agissait d’apporter notre soutien au peuple haïtien et aux luttes de la société civile qui est laminée au fur et à mesure, mais je pense qu’elle est encore là et qu’elle est encore vivante. Votre présence démontre à quel point on se préoccupe de ce qui se passe là-bas.

On se sent moins seul avec ce qui se passe là-bas et il est vrai que le silence de la communauté internationale est assez assourdissant. Je prends pour exemple ces migrants haïtiens qui se sont rassemblés sous un pont à la frontière du Mexique et des États-Unis. Aucun pays n’a réagi pour critiquer le gouvernement américain et tout ce qui se passe en Haïti présentement ne suscite pas beaucoup de réactions internationales. Cela fait plaisir de voir qu’il y a quand même des personnes qui répondent présents et qui sont là avec nous. Merci beaucoup.

Merci Marjorie d’avoir mis la table en soulignant une réalité qui nous touche tous et toutes. Mais avant de parler de solidarité, nous allons voir quelle est la situation actuelle. Dans les médias internationaux, on ne nous parle que de Port-au-Prince. Il faut commencer par dire que la situation d’absence de démocratie en Haïti existe depuis trois ans. On n’entendait rien jusqu’à l’assassinat du président Jovenel Moïse. C’est alors que nous avons entendu parler du chaos qui règne en ce pays. De fait, ce chaos perdure depuis 2017.  Au début, c’était les jeunes qui revendiquaient et qui demandaient des comptes au gouvernement, qui dénonçaient la corruption et la gabegie administrative. Alors, la population a embarqué dans ce mouvement de protestation et elle a pris les rues, suivie par des organisations et certains partis politiques d’opposition. À ce moment là, il y a eu la répression et il y a eu de nombreux massacres dans les quartiers populaires et des exécutions de militants.  Il y a eu aussi plusieurs victimes à cause des balles perdues, et pendant tout ce temps, la communauté internationale a gardé le silence.

Avec la mort de Jovenel Moïse, les yeux du monde se sont tournés vers Haïti. Le vide laissé par sa mort a été rempli par les bandes armées qui auparavant étaient au service de ce régime corrompu. L’international pour moi, ce sont les gouvernements qui sont dans le Core Group (composé des ambassadeurs des États-Unis, du Canada, de l’Espagne, de l’Allemagne, de la France, du Brésil, de l’Union Européenne, du Représentant spécial de l’Organisation des États américains et de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies). Ces gouvernements soutenaient la fédération de ces gangs armée qui opèrent maintenant à visage découvert à Port-au-Prince, ces gangs qui violent, cambriolent, tuent, n’importe qui, peu importe l’origine sociale. Alors, c’est toute la population qui subit la loi des gangs et même le gouvernement fantoche qui est là présentement, parce que ce sont les gangs qui décident qui a le droit de se déplacer et où il peut aller. Il y a toute une crise dont je vais laisser les prochains panelistes vous parler. Je voulais simplement souligner les faits saillants comme quoi la crise s’est exacerbée avec une crise du carburant provoquée par les gangs. Ils empêchent que les camions citernes fassent la distribution du carburant dans les stations services. Ceci provoque une crise à tous les niveaux. Ainsi, le service d’électricité est quasi inexistant alors on doit faire fonctionner une génératrice pour en obtenir. Presque tout le monde, dont les institutions, fonctionnent avec des groupes électrogènes. En l’absence de carburant, non seulement on ne peut pas se déplacer, les produits de premières nécessités ne peuvent pas être distribués, les paysans et les paysannes ne peuvent plus venir écouler leurs produits, les écoles ne peuvent pas fonctionner, les hôpitaux commencent à fermer, les banques n’ouvrent que 2 ou 3 jours par semaine. De plus, maintenant, à cause du manque d’électricité et de carburant, il y a un manque d’eau potable.

Donc la crise s’intensifie. Les fonctionnaires ne sont plus payer depuis de nombreux mois. Je tiens à souligner la présence de deux personne en directe d’Haïti : Colette l’Espinas et Origène Louis. Colette est une activiste des droits humains en Haïti, elle est aussi éducatrice en droits humains et, depuis des années, elle travaille avec les réfugiés. Elle a été journaliste et elle a reçu de nombreux prix pour son travail auprès des réfugiés et sur les droits humains. Elle va nous parler de la situation et tout particulièrement du point de vue des femmes et des réfugiés qui, par milliers, sont retournés en Haïti.

Merci pour me permettre de participer à cet échange sur notre pays. Je vais continuer sur la même lancée. Ce qui se passe actuellement avec la République Dominicaine est très grave. Ils sont en train d’arracher des femmes immigrantes haïtiennes dans des hôpitaux pour les expulser vers la frontière. Il y a une femme qui venait de subir une césarienne qui a été expulsée du pays et son bébé est demeuré à l’hôpital. Nous assistons à des scènes inhumaines qui doivent être dénoncées au niveau international. Pour commencer cette présentation, je voulais vous parler de cette situation révoltante que vivent les femmes haïtiennes en République Dominicaine, un pays voisin qui normalement devrait nous aider. Le peuple haïtien est étranglé de partout, non seulement en raison de la présence des gangs armés qui empêchent la population de vaquer à ces occupations, de circuler librement, d’avoir accès à de la nourriture et au logement, qu’il puisse jouir de tous ses droits. En plus, nous avons des pays voisins qui auraient dû nous aider alors qu’ils participent à tout cela.

Comment se présente la situation actuellement en Haïti ? Je vais vous parler à quel point cette crise profonde affecte particulièrement les femmes. Vous savez très bien qu’en Haïti nous avons une population où plus de 40% des familles sont monoparentales, avec une femme seule à la tête qui subvient à tous les besoins de la famille, des enfants, des personnes âgées, etc. Quand il y a une crise de ce genre, cela affecte particulièrement les femmes. Ce cocktail d’insécurité, de difficultés à se déplacer, mais aussi d’absence de gouvernement, il faut le dire puisque nous avons pratiquement un État inexistant. Tous les ministères sont là. Il y a un monsieur qui s’appelle Ariel Henri qui joue les rôles de Premier ministre et de Président, mais qui n’agit pas, qui ne fait rien du tout et qui laisse le peuple abandonné. Du point de vue économique, les femmes travaillent beaucoup dans les secteurs informels, dans le petit commerce, dans le petit boulot. Il y en a qui sont employées dans les bureaux, mais avec la crise du carburant, il devient très difficile de pratique le petit commerce. Et à tout cela est venu s’ajouter l’insécurité. Beaucoup de femmes ont coupé en deux leurs moyens de subsistance puisqu’elles ne peuvent plus vendre sur les marchés. Habituellement, elles s’approvisionnent auprès des paysans pour ensuite aller vendre sur les grands marchés. Elles peuvent difficilement circuler, surtout si elles doivent emprunter la sortie sud de la capitale qui est contrôlée par des groupes armés. Si elles vont à la frontière pour s’approvisionner, c’est un peu la même chose parce qu’il y a un autre groupe armé qui contrôle cette zone et qui fait ce qu’il veut.

Donc, les femmes perdent leurs moyens de subsistance, elles deviennent plus pauvres, et cela a des conséquences sur leur sécurité alimentaire. Ce sont aussi les enfants qui en souffrent énormément. Comme vous le savez, Haïti était déjà dans une situation d’insécurité alimentaire avec 4.6 millions d’habitants ou 46% de la population vivant dans une situation d’insécurité alimentaire. Cette situation augmente le poids des responsabilités sociales sur le dos des femmes.

Du point de vue de la santé, c’est un problème grave. Partout dans le pays, des hôpitaux et des centres de santé ont été obligés de fermer leurs portes parce qu’ils n’ont plus de carburant pour faire fonctionner leur groupe électrogène. Ainsi, les femmes qui doivent accoucher ont de graves difficultés. Les maternités ne sont pas du tout approvisionnées, et certaines femmes n’y vont même plus, sauf en cas d’extrême nécessité. Un centre d’organisation des femmes du côté de Jack mèl m’a confié que le soir en cas d’urgence, il n’y a pas de médecin de garde parce qu’ils refusent de travailler à la noirceur. D’autres viennent à l’hôpital avec une lampe de poche.

Nous avons de graves problèmes du point de vue de la violence à l’égard des femmes. Les organisations qui travaillent sur ces questions ont noté une augmentation significative de la violence à l’endroit des femmes. Mais à cause de la crise où s’enfonce le pays, les tribunaux ne fonctionnent pas, les juges ne vont pas à leurs bureaux et il y a une absence totale de la police pour s’occuper de l’ensemble des cas. Donc, quand il y a un problème, les femmes ne trouvent aucune institution où porter plainte. Lorsque les dossiers sont en cours, ceux-ci sont bloqués, ils restent dans les tiroirs et ils ne sont pas traités.

Je dois aussi signaler une situation vraiment très dure dans les prisons. Cela concerne aussi bien les femmes que les hommes. Il y a des prisonniers qui meurent de faim parce que les prisons ne peuvent plus les alimenter. Si les familles des prisonniers ne les nourrissent pas, il n’y a pas de nourriture et très souvent il n’y a pas d’eau. Nombre de ces prisonniers viennent de très loin et à cause de la pénurie de carburant, leurs familles ne peuvent pas les aider. Ils commencent à se mutiner pour réclamer de l’eau et de la nourriture. Cette situation affecte considérablement les droits de la personne de manière générale. Droits sociaux économiques, droits à la santé, droit à l’éducation, droit à la libre circulation, etc.

Maintenant, quelles sont les stratégies de survie que les gens adoptent ?

Certaines commerçantes qui habitent à Port-au-Prince, étant donné qu’elles ne peuvent plus vendre sur les marchés, ont cessé leurs activités. D’autres, qui vivent en province, éprouvent des difficultés à s’approvisionner parce que les provinces commencent aussi à manquer de produits de première nécessité importés qui viennent très souvent de Port-au-Prince pour être distribués dans les villes. Les gens recommencent à consommer certains produits locaux et c’est peut-être une bonne chose. Il est arrivé que les produits importés deviennent très chers et les gens reviennent à la nourriture d’autrefois.

On retourne aussi à la marche. Quand j’étais petite, je marchais beaucoup pour aller et revenir de l’école, il n’y avait pas autant de motos et les enfants étaient plus en sécurité pour marcher, mais les gens marchent beaucoup maintenant. Ça a des conséquences sur les femmes puisque certaines sont obligées de se lever très tôt pour aller reconduire les enfants à l’école. Certaines n’ont pas la possibilité de revenir chez elle, alors elles attendent toute la journée devant l’école. Il est très difficile de trouver un transport public maintenant, ou bien c’est tellement cher. Par exemple, une moto prend 4 ou 5 personnes à la fois, mais en plus de cela, les prix ont triplés. Il y a des familles qui ne peuvent pas se payer ça. Il y a aussi une multiplication des petits marchés périphériques parce que les marchandes ne peuvent pas aller sur de grandes distances comme auparavant en raison des problèmes de transport. Donc, elles vendent tout près de chez-elle. Cela réduit leur marge de profit, mais cela leur permet de continuer. En ce qui concerne les organisations des femmes et la violence faite aux femmes, elles essaient de s’organiser même si elles n’ont pas accès à la justice. Elles travaillent avec des avocats pour préparer les causes des victimes qui seront plus tard soumises aux tribunaux quand la situation reviendra à la normale. Voici en gros comment se présente la situation. Merci.

Merci Colette pour ce portrait et de mettre en lumière la réalité spécifique des femmes dont nous n’entendons pas souvent parler. Pour situer le prochain intervenant, je vais vous présenter l’organisation qu’il dirige Tête-collées-petit-paysan. C’est un mouvement national de petits paysans pauvres qui a pris naissance en tant que structure le 6 septembre 1986 à Port-au-Prince après la chute du dictateur Duvalier. Ce mouvement était là depuis les années 1970’, mais avait dû se cacher sur le nom de Petit comité d’Église. À l’époque, sous la dictature, il était impossible de se réunir, quel que soit l’objectif. À ce moment, l’organisation portait le nom de Têtes-ensemble. Son objectif est de travailler pour la conscientisation et la sensibilisation de la population, en particulier les paysans, sur leurs droits à avoir accès aux services sociaux de l’État, leurs droits de s’organiser, de faire connaître leurs revendications et de trouver satisfaction dans la société.

L’idée de base était aussi de se rassembler en tant qu’unique mouvement national de petits paysans qui serait en lien avec les autres mouvements sociaux à travers le pays pour mener leurs batailles de revendications en lien avec les autres mouvements. Pour ce faire, ils organisent différentes formations de réflexion sur leur réalité en tant que paysan, pour se concerter pour mener des luttes pour changer la société tout en continuant à mener leurs activités en tant que paysans. La situation de la paysannerie s’est beaucoup aggravée après le tremblement de terre du 14 août. Cela fait que leurs besoins sont exacerbés. Ils ont besoin de renforcement de leurs capacités d’accueil, de continuer leurs programmes et ils travaillent sur des questions d’agroécologie puisqu’ils ont une ferme. Ils réalisent des plaidoyers, ils ont des banques de semences, et ils sont aussi en lien avec d’autres mouvements paysans en Amérique latine.

Je vais passer la parole à Origène Louis, agriculteur et animateur social depuis plus de quarante ans. Il anime des émissions de radio communautaire, il est devenu en 2020 le coordonnateur de Têtes collées petit paysan. Je lui laisse le soin de nous présenter la réalité des paysans face à cette crise. On entend souvent parler de Port-au-Prince, mais il n’y a pas que cette ville, il y a les autres villes de province, il y a la campagne, comment cette crise affecte la paysannerie? Je laisse Origène nous en parler.

Têtes collées petits paysans haïtiens salue le Collectif un Québec fou de ses solidarités. Nous sommes heureux de participer à cet échange en ce moment crucial que le peuple traverse, particulièrement dans le milieu paysan. Depuis juillet 2018, le pays traverse une crise qui affecte toute la population. Les Haïtiens sont frustrés en raison de la cherté de la vie, de la faim et du chômage. La corruption des élites et les détournements de fonds de l’aide internationale dont Petro Caraïbes, ont également alimenté cette colère. Pendant tout le mandat de Jovenel Moïse, il n’y avait que du bluff et des mensonges. Il n’a fait qu’ouvrir le pays aux produits importés qui ont contribué à détruire la production nationale. Cette crise a aussi été aggravée par la présence des gangs armés, utilisés par le gouvernement. Aujourd’hui, en plus des kidnappings et des massacres qu’ils ont commis, les gangs empêchent la libre-circulation des personnes et des marchandises pour régler leurs propres problèmes. Ils bloquent la distribution du carburant qui, sous plusieurs aspects, a un impact sévère sur la paysannerie et ce, dans tous les départements. Le tremblement de terre du 14 août a aggravé la situation pour la paysannerie dans le Grand Sud, il y a eu de nombreux morts, mais ils ont aussi perdu du bétail et leur production agricole et plusieurs infrastructures, ce qui va augmenter l’exode rural.

Déjà, de nombreuses personnes sont en train de quitter les régions affectées par le tremblement de terre parce qu’ils veulent envoyer leurs enfants à l’école et avoir une vie décente. La situation des gangs n’est pas seulement à Port-au-Prince, mais aussi dans les grandes et moyennes villes de province. Ils attaquent les gens et ils kidnappent, ils détruisent les jardins et rançonnent les paysans et les marchands. Toute cette situation de crise touche également la paysannerie de façon très forte. Le gouvernement ne tient pas compte des revendications de paysans et il ne leur donne pas les intrants pour qu’ils puissent cultiver la terre. Il n’y a pas d’infrastructures et les paysans sont livrés à eux-mêmes. La population lutte contre la dictature, contre l’absence de démocratie, c’est cela la situation en gros.

 

Colette Lespinasse va nous parler de l’ONG haïtienne Chorale qui œuvre dans le Grand Sud.

Il y a 20 ans, Chorale a été créé pour nous donner une structure pour travailler pour l’inclusion sociale des groupes les plus marginalisés de la paysannerie. Donc, nous travaillons surtout dans les zones rurales, dans les montagnes, avec des groupes traditionnels comme ceux de Rara et aussi des groupes communautaires. Nous avons travaillé pour qu’ils puissent accéder à des espaces de discussion pour participer à un ensemble d’activités de leur communauté pour sortir de l’exclusion sociale.

Aujourd’hui, il existe des fédérations de Rara qui travaillent ensemble parce qu’autrefois ils se battaient à chaque fois qu’il y avait des activités. Maintenant, les Raras se réunissent, ils se mettent ensemble et ils discutent de leurs problèmes autour de leur communauté et aussi avec d’autres organisations de leur communauté. Ils commencent à sortir de l’exclusion sociale qui marque les rapports entre la paysannerie et l’élite traditionnelle. En les approchant, nous avons constaté que ce sont des gens qui ont un ancrage très important dans l’agriculture. Ils ont le volet culturel pour le Rara, pour animer culturellement les communautés, mais ils sont aussi très impliqués dans les Combis. Ils ont aussi beaucoup d’activités communautaires, ainsi lorsqu’il y a une route ou un sentier à réparer, ils le font eux-mêmes. Quand un accompagnement social leur est donné, ils réalisent des activités de protection de l’environnement. Les zones où ils habitent ont été très affectées par le cyclone Matthew, ceci les a amenés à intervenir dans la construction de logement sociaux et la réhabilitation d’un ensemble d’espace paysans. Voilà en gros ce que nous faisons. Actuellement dans le Sud, nous sommes présents dans une dizaine de municipalités pour aider les gens à se relever. Merci

 

Comment la solidarité avec Haïti peut s’articuler et quelle forme peut-elle prendre ?

Pour commencer, nous allons entendre Michèle Asselin qui est directrice générale de l’AQOCI. Une trentaine des organismes membres de l’AQOCI supportent des projets en Haïti.

Bonsoir, quand nous sommes des organismes de solidarité et de coopération internationale nous devons comprendre l’ensemble de la situation et du contexte qui sévit dans un pays avec le lequel nous cherchons à être en solidarité. 34 organismes membres de l’AQOCI sont actifs en Haïti depuis de fort nombreuses années. Leur action se réalise en partenariat.

Dans la situation de chaos actuel, nous sommes actifs depuis le 14 août où il y a eu un tremblement de terre. Nous sommes encore dans la phase de relèvement et de reconstruction. Il y a 18 de nos organismes qui sont actifs dans les régions affectées par ce tremblement de terre et 12 d’entre eux collaborent avec une cinquantaine d’organismes de la société civile. On n’entend pas beaucoup parlé d’Haïti dans les médias et on n’explique trop peu la situation à laquelle le peuple haïtien est confronté. Mais on n’entend jamais parlé de cette société civile active qui était là aux premières heures de ce tremblement de terre et qui s’est organisée.

Oui, il y a ces gangs qui prennent en otage leur propre population, ce qui est très choquant, mais j’aimerais vous dire que nous les organismes de coopération et de solidarité internationale, ce que nous connaissons, ce sont des groupes actifs avec lesquels nous collaborons dans toutes sortes de champs d’activité : santé, éducation, appui aux groupes féministes, les enfants, et l’agriculture.

Donc, c’est très vaste comme champs d’action, de collaboration et de solidarité, mais l’action que nous menons ensemble nous enrichit beaucoup comme peuple québécois. Alors, comme association, nous avons des concertations régulières d’organismes actifs en Haïti. Ma collègue Amélie Nguyen va vous parler ensuite de la concertation, mais nous tentons aussi de faire le point ensemble, les organismes qui sont actifs en Haïti pour améliorer le travail que nous réalisons ensemble avec nos partenaires haïtiens. Lors de ces rencontres, nous avons aussi l’occasion d’échanger avec deux grands bailleurs de fonds qui appuient des projets en Haïti: le Ministère des relations internationales et de la francophonie du Québec et Affaires mondiales Canada. Je dois vous dire que nous les confrontons parce qu’au-delà des projets, comme réseau nous avons le devoir de rapporter, d’interpeler et de confronter le gouvernement du Canada. Vous en avez parlé, le Canada est membre du Core Group qui a appuyé des non-démocraties qui vont à l’encontre des droits humains et de tout ce que nous devons prôner en appui à une société civile active. Juste avant l’assassinat du président, nous avions cosigné une lettre pour interpeller le gouvernement du Canada et lui demander une rencontre avec le ministre des relations étrangères, pour qu’il appuie la Grande Commission haïtienne de recherche de solutions à la crise. Pour moi, tous les travaux de cette commission ont été une source de réjouissance parce qu’ils sont parvenus à construire un consensus qui incluait toutes les parties prenantes de la société civile.

Je trouve que c’est une grande leçon de démocratie et nous voulions dire au gouvernement du Canada qu’il devait entendre ce que cette commission avait à dire et ne pas s’immiscer dans la vie démocratique d’Haïti, mais plutôt de l’appuyer et d’obliger ses dirigeants à respecter les droits humains. L’AQOCI est en train de préparer avec les groupes actifs en Haïti, un bulletin spécial sur l’action de la coopération et de la solidarité internationale québécoise là-bas. J’ai aussi une grande préoccupation pour les groupes de la diaspora haïtienne au Québec qui n’arrivent pas à présenter des demandes de financement au gouvernement canadien. D’une part, celui-ci ne fait pas sa juste part au niveau du financement, ni ne l’a fait après le séisme. Il est tellement complexe d’obtenir un financement du gouvernement canadien, que les groupes qui sont en lien étroit avec les communautés n’arrivent pas à obtenir du financement parce que les pays donateurs préfèrent de gros projets de plusieurs millions de dollars plutôt que de modestes projets qui pourraient être menés à bien par des groupes de la diaspora. Ce sont plusieurs préoccupations que nous partageons. Je vous remercie de m’avoir invité au nom de l’AQOCI et vous pouvez être certains qu’il s’agit d’une solidarité indéfectible. Travaillons ensemble, il y a beaucoup à faire pour que le peuple haïtien puisse jouir de tous ses droits.

Pour continuer avec la réflexion, nous invitons Mimine Alexandre Jacquet qui est fonctionnaire publique, mais d’abord et avant tout actrice de la solidarité internationale, cofondatrice de la Fondation Slidor. Elle est avec nous aujourd’hui  au nom du Groupe interrégional de soutien aux réalisations des organisations municipales en Haïti, le GISROMH. À vous la parole Mimine.

Bonsoir, je suis particulièrement émue de voir qu’il y a encore des gens qui prennent le temps de réfléchir sur Haïti. Voir qu’on en parle pas et pourtant, il y a nos amis du Québec, nos amis de la solidarité et de la coopération internationale qui prennent le temps de faire cette halte pour dire : Comment on continue ? Le titre que je préfère est travailleuse de l’humanitaire. Je sais aussi que vous prenez des risques en allant au pays, mais vous y aller encore. J’ai écouté Michèle Asselin qui parlait de points qui sont venus me chercher. On voit que nos actions se situent dans la même lignée. Le GISROMH dont je viens parler aujourd’hui, peut commencer à regarder de votre côté pour voir comment avoir le soutien nécessaire. Il s’agit d’une très jeune organisation et je viens humblement vous le présenter. Suite au cyclone Matthew, il a été créé en 2016. Ce qui m’a plus lorsque j’ai été invitée à me joindre à ce groupe, je me suis dit pourquoi pas ? L’idée d’avoir des associations régionales haïtiennes qui connaissent bien le terrain, qui, pour la majorité, œuvrent depuis un certain nombre d’années, l’idée qu’elles puissent maintenant, dans ces moments difficiles, de se mettre ensemble pour tenter d’apporter des solutions concrètes aux besoins réels de la population, des solutions haïtiennes.

Après le séisme du 14 août, elles ont décidé de poser un acte concret en disant: On va faire une campagne. Les associations existaient déjà dans des localités reculées dont vous n’entendez pas souvent parlées: Les Grosses Cayes, mais il y a une association qui s’occupe des enfants défavorisés de ce coin-là. Il y a aussi Gros Marais, on ne parle pas de Cap-Haïtien, de Port-au-Prince ou des grandes villes. On parle des endroits où les grandes organisations n’arrivent pas toujours. Ces associations se sont mises ensemble, sous le parapluie de GISROMH, certaines interviennent en Haïti depuis 10, 15 ou 20 ans. Elles mettent leur poids ensemble et unissent leurs efforts et leurs compétences, pour agir directement dans les localités. Quand je dis cela, elles le font avec très peu de moyens. Il n’y a pas de subvention alors ce sont les contributions des membres qui font fonctionner ces associations. Elles ne savent pas comment faire des demandes de subvention à l’international. Donc, elles ratent des opportunités parce qu’elles n’ont pas les connaissances nécessaires.

En nous regroupant, nous voulons les aider à obtenir du financement en bénéficiant de l’expertise des groupes de coopération internationale pour nous accompagner. Il demeure que ces associations sont bien enracinées dans les localités où elles agissent depuis plusieurs années. GISROMH veut accompagner ces associations locales. Depuis le dernier tremblement de terre, nous avons décidé de mener une campagne de charité pour venir en aide aux trois départements victimes du séisme. Il y a beaucoup de besoins. Nous avons pour objectif de recueillir 3 millions de dollars. Il est clair que cela ne sera pas suffisant pour résoudre tous les problèmes, ni répondre à tous les besoins. Nous disons que c’est possible puisqu’il faut bien commencer quelque part et nous allons faire nos preuves sur le terrain en espérant que d’autres partenaires se joindront à nous pour aider ces gens le plus que nous pourrons. La campagne est toujours en cours jusqu’au 3 janvier 2022. Nous voulons mettre nos efforts ensemble pour améliorer certains points comme la santé, l’éducation et l’eau potable qui manque énormément dans les localités reculées. Merci

Je partage son émotion parce que c’est une réalité qui nous touche énormément dans la diaspora. Cela révolte tout être humain, quand on connaît ce qui se passe en Haïti. Le GISROMH et un regroupement d’associations de gens de la diaspora qui s’unissent non seulement pour aider leur famille en Haïti, mais l’ensemble d’une localité. La prochaine intervenante est Louise Soucy, présidente de Mission Corail Haïti, une OBNL de Québec qui œuvre dans la ville de Corail depuis plus de 35 ans. L’organisme gère une école primaire qui compte 650 enfants, un dispensaire et une coopérative d’habitation qui regroupe 112 familles parmi les plus pauvres de la ville. Louise est présentement en Haïti d’où elle nous parle.

J’espère que la communication sera bonne parce que je suis en directe de Corail où je suis depuis le 1er septembre. Il faut savoir que Corail est une petite ville en bord de mer qui compte environ 3 000 habitants. Si on compte les gens de la commune qui vivent aux alentours, ce nombre monte à 20 000 personnes. C’est une région très éloignée, située dans le département de la Grande-Anse. Mission Corail Haïti existe depuis 35 ans et nous sommes impliqués avec l’école Saint-Jean-Bosco. Je suis habituée à Haïti, ce qui est différent cette fois-ci, c’est la situation d’insécurité. Je suis arrivée depuis 2 mois et demi et je constate une dégradation fulgurante de la situation. D’abord, on doit faire de la magie pour traverser les différentes zones chaudes de Port-au-Prince. C’est extrêmement dangereux. Le risque est réel. Les gens sont en mode demande et ce n’est pas toujours les plus démunis qu’on entend. Nous devons faire des observations sur le terrain pour déterminer les priorités et je peux vous assurer que ce n’est pas facile quand on parle de besoin de base tels que se loger, se nourrir, se vêtir. On m’a demandé de répondre à une question : Quelle est mon quotidien et quels sont les principaux défis auxquels je dois faire face dans mes fonctions ? Je vous dirais que mon quotidien est un vrai match d’improvisation ou on doit improviser sur le thème : On fait notre possible. La crise du carburant nous touche directement, surtout dans les régions éloignées.

En septembre, lorsque je suis arrivée, le galon d’essence coûtait 250 Gourdes, j’en ai acheté dernièrement à 1 750 Gourdes. Cela vous donne une idée que ça touche vraiment tout le monde. Cela fait qu’il est difficile d’avoir des camions de marchandises ou d’effectuer des déplacements à moto ou autrement. Dans nos régions, il n’y a pas d’électricité, alors on a besoin de génératrices, ce qui affecte beaucoup les différents services publics. On pense entre autre chose au téléphone et aux communications. Internet, etc. Il faut savoir que les antennes de la principale compagnie de communication fonctionnent avec des génératrices, donc on a besoin de carburant. Alors les communications sont touchées. La situation dans les commerces, les banques, elles ont du revoir leurs heures d’ouverture. Comble de malheur, le maximum que l’on peut effectuer comme retrait c’est 500$ U.S. par jour. Alors quand on effectue un chantier d’envergure, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse avec cela. On doit être extrêmement créatif. C’est une réalité très terre à terre, très terrain. Il y a bien sûr l’inflation galopante qui touche tous les secteurs, les matériaux, la nourriture, ou autre.

À mon arrivée, un sac de ciment coûtait 9.50$ U.S., aujourd’hui il est à 16.50$ U.S. C’est de plus en plus dispendieux, et nous vivons une réalité qui peut se traduire par : « On veut de l’argent, mais pas nécessairement des projets. » Et ça se comprend, parce que les gens ont des besoins importants et immédiats, pour se loger, se nourrir. C’est de ça dont on parle. On est encore sur la première strate de la Pyramide de Maslow. Comme plusieurs personnes le disent : « La menace est partout. » Cela ne touche pas uniquement Port-au-Prince, mais tout le pays. Il faut reconnaître que tout le département du Sud est isolé et il n’y a pas de pôle de développement économique, il n’y a pas de grand port ou d’aéroport international, donc nous sommes vraiment enclavés, cloisonnés, et tout dépend de Port-au-Prince. C’est un réel problème pour nous. Il y a aussi le fait que le pays est souvent fermé en raison des grèves générales et des manifestations. Cela entraîne la fermeture des commerces et des ministères. Cela complique également l’acheminement de l’aide. Je vous dirais que le climat d’insécurité actuel n’est pas favorable à l’aide humanitaire.

Cela fait drôle de dire cela dans le contexte de cette rencontre, mais à mon avis, on doit envisager un retrait stratégique en raison de l’insécurité et du coût des marchandises, de l’indisponibilité des matériaux, des difficultés de transport, etc. Je ne dis pas qu’on doit ignorer Haïti, bien au contraire, je crois que nous devons demeurer très sensibles aux besoins et que nous devons travailler Têtes-ensemble parce qu’il y a une désorganisation généralisée dans le pays. Il n’y a pas de pouvoir juridique, ni législatif actuellement, ni d’État de droit. Ce sont les gangs qui contrôlent le pays. Les gens qui travaillent pour l’État et qui devraient prendre des décisions n’ont pas été rémunérés depuis des mois. Alors, c’est le chaos, mais c’est aussi le chaos dans l’organisation de l’aide humanitaire. J’ai vu, j’ai constaté personnellement, des distributions alimentaires effectuées par des grandes ONG, et ce ne sont pas toujours les plus pauvres qui reçoivent cette aide. Alors, on a besoin de définir ensemble comment on peut travailler pour rejoindre les personnes qui sont les plus vulnérables. Mais la solution appartient aussi aux Haïtiens. C’est très important. Ils sont et ils doivent être maîtres d’œuvre chez-eux. Ce n’est pas parce que cela ne fonctionne pas comme nous on le souhaite, comme nous sommes habitués dans les pays développés, que ce n’est pas bien. C’est aussi aux Haïtiens de se prendre en main et de choisir ce qu’ils souhaitent mettre dans leur vie. Heureusement mon quotidien est partagé par de magnifiques rencontres avec des enfants qui sont curieux et remplis de joie, d’espoir et qui rêvent à un monde meilleur et d’un bel avenir. Mais je peux vous confirmer qu’il y a des gens ici qui souffrent. Voilà ce que j’avais à vous raconter.

Merci Louise. C’était un témoignage nécessaire à la compréhension de la réalité sur le terrain qui nous donne le point de vue d’une personne à l’intérieur du pays, mais qui a aussi une perspective extérieure. Cela nous permet de mieux comprendre la complexité de la chose. Aussi, elle confirme ce que nous savions déjà à propos du chaos dans l’aide humanitaire réalisée par certaines grandes ONG internationales.

J’inviterais maintenant Alain Saint-Victor de la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti, qui va nous expliquer comment la diaspora peut faire sa part.

Bonsoir, j’aimerais remercier l’organisation qui a pris l’initiative de cette soirée de solidarité avec la lutte du peuple haïtien puisqu’il s’agit avant tout d’une lutte pour créer un nouvel État et une nouvelle nation.  C’est important de le souligner parce qu’il ne faut pas oublier que pendant les 30 ans du duvaliérisme, toutes formes d’organisations démocratiques ont été détruites: les organisations syndicales, paysannes, étudiantes, ouvrières. Elles ont été pratiquement éradiquées. Donc à partir de 1986, il a fallu recommencer à zéro. C’est important de le souligner parce qu’il y a des gens qui pensent que la lutte n’avance pas, etc. Alors, c’est extrêmement difficile, après 30 ans d’obscurantisme, 30 ans de dictature sanguinaire, de recommencer à zéro à partir de 1986. C’est ça que le peuple haïtien fait. Il y a une lutte pour arriver à construire un État véritablement démocratique. C’est cette lutte que des forces, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, font tout pour essayer de bloquer. C’est important de souligner cet aspect pour montrer que c’est un peuple en lutte. Ce n’est pas un peuple résigné ou qui attend que l’aide extérieure vienne l’émanciper.

Je pense que c’est à cette lutte que nous devons apporter notre solidarité. Alors, la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti est une nouvelle association qui a été créé en février 2020. Quel est le contexte de la création de cette coalition ? C’est parce que depuis 2011, depuis la montée au pouvoir du régime PHTK, qui n’est qu’un régime néo-duvaliériste, en quelque sorte c’est l’ancien régime qui revient avec de nouveaux visages. Il exerce une répression sanguinaire sur le pays pour essayer de freiner cette montée de la lutte populaire pour changer le pays. Je dois aussi souligner que le régime PHTK néo-duvaliériste a été imposé. Ce n’est pas le peuple haïtien qui a élu quoi que ce soit. C’est un régime qui a été imposé pour pouvoir continuer le statu quo à l’ordre du jour sous les Duvalier. En février 2021, le président Jovenel Moïse refuse de laisser le pouvoir, ce qui est aussi une façon de reproduire ce régime. Face à tout cela, nous avons pris la décision de créer cette coalition au Canada. Nous essayons de réunir et de regrouper des groupes de la diaspora pour pouvoir lutter contre cette dictature qui veut revenir.

Depuis 2011, la répression a été sauvage, les massacres à répétition, la destruction de certaines organisations qui avaient commencé à prendre forme dans le pays. Globalement, nous soutenons ce que nous appelons la transition de rupture, promue par plusieurs organisations, partis politiques, et organisations paysannes, syndicales, populaires, etc. Ils demandent une transition de rupture en vue de créer un État au service de la nation, un État souverain pour retourner à la souveraineté de l’État haïtien que nous avons perdue depuis 2011. Un État souverain où les dirigeants sont élus par le peuple. C’est extrêmement important. Dans le contexte de la transition de rupture, il y a une nécessité de penser autrement la solidarité internationale. Il serait nécessaire qu’elle entre dans le cadre de la transition de rupture, c’est-à-dire, que cette solidarité soutienne la lutte du peuple pour créer un État souverain au service de la nation.

Donc, solidarité avec les luttes paysannes comme nous l’avons vu avec le leader paysan qui vient de parler pour la souveraineté alimentaire, pour la réforme agraire, contre l’expropriation des terres, contre l’agro-business et les compagnies minières aussi qui s’approprient certaines terres pour exploiter les mines tout en empoisonnant la terre et en déportant les populations locales. Solidarité aussi avec les luttes ouvrières dans la zone franche pour l’augmentation du salaire minimum, pour la création et la protection de syndicats pour qu’ils puissent avoir de meilleures conditions de travail.

En 2010, on a même vu le secrétaire d’État américain venir en Haïti pour s’opposer à l’augmentation du salaire minimum. Cela vous dit dans quelle situation de subordination le pays se trouve. Solidarité aussi avec les étudiants et étudiantes pour la construction d’écoles publiques et d’universités de qualité. Depuis 1986, ce sont des luttes qui ont toujours existé. Solidarité aussi avec les gens des quartiers populaires, qui dénoncent leurs conditions de vie et qui subissent répression et massacres de la part la police et maintenant des gangs armés qui sont pour la plupart au service du pouvoir. Solidarité aussi dans la dénonciation politique, par exemple du rôle joué par le Core Group, quel est son objectif et comment il fait tout pour maintenir le statu quo. Solidarité aussi dans la lutte contre la corruption en tant que régime politique, pas seulement comme un problème moral. C’est cette solidarité dont le peuple en lutte a besoin et c’est ce qu’il réclame. Il ne s’agit pas seulement de l’aider à survivre dans une situation exécrable et invivable, mais surtout d’entrer en solidarité avec sa lutte pour transformer la vie en Haïti. Merci beaucoup.

Le thème de la rencontre d’aujourd’hui, c’est que cette solidarité doit se transformer. Je vais passer la parole à Amélie Nguyen qui est directrice du Centre internationale de solidarité ouvrière, CISO, qui regroupe l’ensemble des organisations syndicales québécoises pour soutenir le travail de solidarité et de coopération internationale. Elle va intervenir au nom de la Concertation pour Haïti qui fait du plaidoyer auprès du gouvernement canadien en faveur d’Haïti. À vous la parole Amélie.

Merci de nous accueillir. Paradoxalement, l’un des bénéfices de cette crise, c’est qu’il y a de plus en plus de liens entre les groupes de solidarité internationale et la diaspora haïtienne qui vit ici. Je pense que c’est un gain énorme pour nous. Votre réflexion est extrêmement pertinente et ce sont tellement des liens importants pour la suite et votre engagement est d’autant plus fort que vous partagez ces liens sur place en Haïti. Même si on déplore la situation là-bas, cela ouvre parfois certaines portes d’opportunités inespérées ou inattendues qui naissent de l’adversité. La Concertation pour Haïti est un réseau d’organisations et d’individus qui agissent en solidarité avec le peuple haïtien, beaucoup autour de la défense des droits humains. Cette année, nous avons fait de gros efforts. Collectivement, les membres de la concertation étaient extrêmement choqués par la situation vécue par les partenaires haïtiens. La plupart ont des liens directs avec des groupes locaux et des syndicats, des groupes de la société civile, des groupes paysans, des groupes de femmes. Le degré de répression et la présence des gangs, les violences envers les femmes, nous étions extrêmement choqués par le contexte qui ne cessait de s’aggraver, tout cela accompagner d’un silence mortifère.

Nous avons essayé d’ajouter notre voix à celles d’autres groupes qui s’exprimaient à ce moment. Parmi les messages clés que nous avons essayés de porter, il y a avait le respect du droit à l’autodétermination du peuple haïtien. Nous avons aussi demandé la fin de l’intervention du Core Group dans la gestion interne en Haïti.

Nous avons dénoncé la violation des droits humains, la répression, mais aussi la stratégie du chaos qui est employé en ce pays au moyen des gangs pour maintenir en fonction Jovenel Moïse et maintenant Gabriel Henri. Nous souhaitons appuyer cette transition de rupture évoquée par Alain plus tôt. Nous voulons appuyer l’initiative de transition portée collectivement par les différents groupes de la société civile. C’est un travail d’ampleur extrêmement inspirant. Imaginez-vous reproduire un tel modèle ici, mettre le plus grand nombre de groupes de la société civile ensemble, des partis politiques, des syndicats, pour essayer d’arriver avec un plan collectif pour repartir le pays sur de nouvelles bases. C’est extrêmement ambitieux. Évidemment, il y a des écueils, mais ce serait le cas n’importe où. Je pense qu’il faut absolument saluer ce modèle qui pourrait servir ailleurs dans d’autres pays. Pour porter ces messages, nous avons fait des actions de plaidoyers. Certains intervenants disaient qu’il fallait laisser la place aux Haïtiens dans cette transition. Bien sûr, mais considérant le contexte qui sévit là-bas depuis de nombreuses années, et l’intervention directe d’États étrangers pour essayer de piloter l’agenda politique, je pense que notre rôle comme Canadiens et Canadiennes, étant donné que le Canada est très impliqué dans le Core Group, c’est de faire pression sur notre gouvernement pour qu’il cesse d’avoir cette influence nocive et toxique sur la gouvernance interne. Nous avons écrit des lettres de plaidoyer à de nombreuses reprises. Nous avons aussi interpelé directement le gouvernement. Nous avons essayé de maintenir des liens avec certains groupes de la société civile en Haïti. Il est très difficile d’avoir une information juste lorsqu’on se trouve en-dehors du pays. Aussi, si nous avons la volonté de faire rayonner leur voix et leur volonté collective, il faut avoir un accès direct à leurs analyses et à leurs perspectives sur la situation actuelle. Certains partenaires sont venus faire des présentations lors des réunions de la Concertation pour Haïti.

Nous avons aussi appuyé un mouvement international qui s’appelle : Stop silence Haïti, où plusieurs concertations nationales convergent. Nous demandions en particulier à ce que soit respecté le droit à l’autodétermination d’Haïti. Nous avons également tenté d’organiser une conférence de presse internationale avec des voix haïtiennes sur place. Je pense qu’il y a un rôle de partage de l’information dans une perspective critique que nous essayons de faire via le bulletin Info Haïti qui paraît à chaque mois, mais le rôle le plus important de la Concertation pour Haïti, c’est de consolider une collectivité d’action politique via ses membres, tout en nous efforçant d’élargir le nombre de groupes de la société civile qui y participent. Comme je suis du CISO, nous avons demandé l’appui des syndicats québécois. La Concertation est aussi un lieu d’échange d’information et d’analyse. Il est essentiel d’élargir cet endroit de plaidoyer parce que si je veux aller vers les défis, malgré toute cette sensibilisation, et la signature de presque tous les chefs syndicaux au Québec, nous n’avons reçu aucune réponse du gouvernement canadien.

Encore une fois, c’est un silence assourdissant. Nous avons écrit quatre ou cinq lettres collectives, appuyées par 20 à 25 organisations du Québec et du Canada, comment est-il possible que le gouvernement ne daigne même pas répondre par autre chose qu’un accusé de réception à ces mobilisations collectives. L’un de nos défis est d’obtenir l’écoute du gouvernement canadien. Cela implique peut-être des mobilisations plus fortes de notre part. L’autre défi, c’est qui est l’interlocuteur en Haïti si, à toutes fins pratiques, les gangs gouvernent le pays en ce moment. Qui est l’interlocuteur en Haïti pour nous permettre de mieux défendre la société civile et la population ? Il nous faut aussi déconstruire les mythes et éduquer la population canadienne. Comment pouvons-nous nous faire entendre dans les médias d’ici et transmettre le message que nous portons pour donner sa juste place à Haïti, considérant le rôle joué par le Canada sur place. Merci.

 

Échanges avec le public

Alors comment allons-nous adapter ce qui se fait déjà à la conjoncture ? Comment allons-nous l’articuler ? Il faut aussi se souvenir que le soutien au peuple haïtien n’est pas seulement humanitaire, il s’agit aussi d’appuyer les luttes et les résistances en Haïti, non seulement pour la démocratie et la justice sociale, mais aussi la défense de l’environnement et la souveraineté nationale bien sûr. Sur le plan environnemental, Haïti subit les conséquences de la pollution émise dans les pays du Nord.

 

Bonsoir, je suis Pierre Beaudet du groupe Alternatives. Merci à tous le monde pour les informations. Les projets d’aide sont importants et urgents. Il y a toutes sortes de façons de la faire et il faut continuer de le faire, tout en se disant que la solidarité doit être politique et que la solution en Haïti est politique. Tant qu’il n’y aura pas un changement assez fondamental, ça n’ira pas. Notre rôle c’est d’appuyer ça. On a un gouvernement canadien qui, depuis plusieurs années, va à contre-courant de la lutte et des revendications du peuple haïtien, un gouvernement qui a appuyé et le renversement et l’extirpation de l’ancien président Aristide. Il faut se souvenir de ça. C’était un gouvernement libéral à l’époque. Après cela, nous avons eu les Conservateurs qui avaient au moins l’honnêteté de dire qu’ils étaient contre le peuple haïtien. C’était peut-être un avantage ? Et depuis quelques années, nous avons à nouveau un gouvernement libéral. Les premières années, avec Justin Trudeau, nous avons vu un alignement à peu près total sur les États-Unis. Leur préoccupation était d’apaiser l’administration de Donald Trump pour la renégociation de l’accord de libre-échange et le Canada a cédé sur tout, y compris sur Haïti. Pour être un peu optimiste, il y a peut-être une opportunité. La nouvelle ministre des affaires étrangères, Mélanie Joly est un peu plus ouverte que Mme Christya Freeland pour ce qui est des États-Unis et les militaires, mais pour la réveiller, cela va prendre des efforts concertés. Il va falloir y aller beaucoup, souvent et nombreux, pour lui rappeler un certain nombre de choses fondamentales pour que le Canada cesse de contrer la lutte et les efforts d’émancipation du peuple haïtien à travers le Core Group. Je nous suggère qu’on fasse encore plus d’efforts pour construire une coalition qui s’intéresse au gouvernement canadien et à la ministre Joly. Merci.

Je vous remercie pour les bonnes paroles qui ont été dites. Ce que j’ai pu percevoir dans les observations d’Alain Saint-Victor, ce qui est absolument urgent pour le moment, c’est de trouver le moyen de consolider les idées autour du fonctionnement de la transition de rupture. Je trouve que tout est là. Si nous arrivons à mettre sur pied une structure qui permette le développement d’une transition de rupture, il y a beaucoup de problèmes qui vont commencer à être résolus et nous allons dépasser la perspective de survie pour tomber dans des questions véritablement politiques. Donc, la solidarité Québec-Haïti devrait être transformée dans le sens d’un appui réel à une transition de rupture. Merci beaucoup.

Conclusion de la soirée

Ce que je retiens qui a été dit dans l’échange, ce sont des mots clés comme le fait qu’il y a des besoins urgents de la population qu’on ne peut pas ignorer parce que pour continuer la lutte et que nous puissions les appuyer, il faut que cette population soit en vie. Je retiens le terme coopération intelligente, des efforts concertés et la concertation est très importante. Concertés, non seulement entre les organisations de la coopération, mais aussi avec la diaspora haïtienne qui est plus que concernée par tout ce qui se passe en Haïti. Cette Commission de recherche de solutions haïtienne à la crise qui regroupe non seulement la plupart des organisation de la société civile, les partis politiques et les organisations populaires, comment peut-on soutenir cette initiative d’avancer vers une transition de rupture ? Une autre idée que je retiens, c’est que oui nous avons besoin de l’aide humanitaire parce qu’il y a de nombreux besoins en ce sens, mais au-delà de cette aide, il faut soutenir les revendications du peuple haïtien et sa lutte. J’inviterais toutes les personnes qui sont présentes à faire preuve de créativité, de responsabilité, de combativité, pour porter ces revendications et ce plaidoyer entendu ce soir, non seulement auprès de vos gouvernements, des autorités politiques, mais de continuer à vous mobiliser pour soutenir la démocratie et le désir légitime d’une vie digne pour le peuple haïtien. Je vous remercie pour votre participation.

Propos rapportés par Yves Carrier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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