Bonsoir, je m’appelle Anne et je suis médiatrice communautaire au Dôme qui est un tiers lieu, un espace physique ouvert à la communauté, qui se veut un lieu de partage de ressources, de savoirs et de savoir-faire. C’est l’un des volets du Centre Jacques-Cartier qui est l’organisme porteur où nous sommes en ce moment.
Bonsoir, je m’appelle Lucie Bergeron et je suis membre du Chantier ZEN, zéro émission net, de la région de Québec. Ce dernier a pour mission de regrouper des groupes et des organismes qui travaillent dans le sens d’une transition socio-écologique. C’est l’idée de coaliser toutes les forces qui s’en vont dans le sens d’une transition socio-écologique: communautaires, étudiantes, environnementales, syndicales, etc. Le Chantier ZEN relève du Front commun pour la transition énergétique qui a élaboré une feuille de route très complète sur les solutions pour arriver à une carbo-neutralité en 2050. La Table ronde de ce soir s’inscrit dans le cadre de la semaine d’actions ZEN organisée par le Chantier ZEN de la région de Québec avec le Front commun pour la transition énergétique. Le TRAAQ est un organisme partenaire du Chantier ZEN. Bonne soirée
Bonsoir, je m’appelle Yves Carrier, coordonnateur du CAPMO, porteur du TRAAQ avec d’autres organismes. Ce soir, j’agirai comme modérateur. Chacun des quatre intervenant.e.s aura 20 minutes pour s’exprimer, ce temps sera immédiatement suivi d’une période de question de 10 minutes. Notre premier intervenant est Dominic Villeneuve, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional, ÉSAD de l’Université Laval.
L’exclusion sociale liée à la mobilité… c’est quoi au juste?
Je suis heureux d’être avec vous ce soir et je remercie le Collectif pour un transport abordable et accessible à Québec, le TRAAQ, de m’avoir invité pour parler d’un sujet qui me tient à cœur. J’ai un double remerciement à leur faire puisqu’ils m’ont aidé à mener la recherche dont je vais vous présenter les résultats ce soir. Ils m’ont aidé à trouver des habitants de Québec qui n’utilisaient pas de voiture pour que je puisse les interviewer et leur demander comment était leur expérience de vie ici par rapport à la mobilité.
Souvent, simplement en observant les trottoirs l’hiver qui tardent à être dégagés alors que les rues le sont bien avant, on constate quelles sont les priorités de transport dans cette ville. Comment on se sent comme piéton qui utilise le transport en commun, alors que des trottoirs de grandes artères ne sont même pas dégagés. Deux professeurs de l’Université Laval, Éric Gagnon et Francine Saillant, écrivent :
« L’exclusion sociale est une situation intolérable ou de conditions injustes, la mise à l’écart de personnes ou de groupes qui sont privés de leurs droits, de la sécurité, de l’accès à certains biens et d’une pleine participation à la société, rappelant l’existence de frontières et de divisions dans une société qui prétend les abolir. »
Est-ce qu’il y a un lien entre cela et la mobilité ? Je crois sincèrement que oui, à travers des problèmes d’accessibilité au territoire. C’est un sentiment d’être exclu et de ne pas pouvoir participer pleinement à la société en raison de problèmes de mobilité.
Pourquoi est-il important de parler d’exclusion sociale liée à la mobilité?
La société dans laquelle nous vivons se trouve sous l’injonction de la mobilité. Pour être un citoyen actif, participatif, et pour être valoriser, on doit se déplacer. Vous êtes venus ici ce soir parce que vous êtes des citoyens engagés, vous vous êtes déplacés. La pandémie a eu un impact sur nos possibilités de nous déplacer. On doit se déplacer pour aller à l’école, pour aller travailler, etc.
Nous vivons aussi dans une société qui a un fort taux de motorisation. Celui-ci représente le nombre de voitures par habitant. Le Canada est au 3ème rang mondial avec 676 voitures par millier d’habitants, ce chiffre inclut les enfants, les aînés et tous ceux et c
elles qui ne conduisent pas. L’autre pays dont je vais vous parler ce soir, la France, se classe au 9ème rang dans le monde avec 574 voitures par millier d’habitants. C’est quand même beaucoup.
La recherche voulait se situer dans ce changement de paradigme où on passe de plus en plus d’un mode ingénierie des transports à un mode mobilité durable. On entend parler de politique publique, la Ville de Québec s’est dotée d’un plan de mobilité durable et tout cela faisait partie du contexte de la recherche.
Une personne sans automobile, résidante de Québec témoigne : « Oui, il m’arrive de penser que ce n’est pas à moi qu’on pense, lorsqu’on élabore certaines politiques. Je sens que je fais partie d’une minorité.» Elle se sent exclue de fait.
Oui, l’exclusion reliée à la mobilité existe à Québec et à Strasbourg, même chez certaines personnes qui ont fait le choix de ne pas avoir une voiture. Ce n’est pas toujours parce qu’ils ne peuvent pas en avoir une. Même s’ils ont choisi cela, ils peuvent malgré tout se sentir exclus à travers les problèmes de mobilité qu’ils rencontrent.
Quelles sont les causes de l’exclusion sociale liée à la mobilité ?
D’abord, on se sent exclu parce que les politiques publiques qu’on met en place ne sont pas faites pour nous. Par exemple, on fait une consultation publique sur le prochain tramway, mais on le fait dans un endroit inaccessible en autobus ou après les heures de service habituel pour me rendre chez moi. Ou encore, « je me suis présenté aux audiences et j’ai pris la parole, mais mon point de vue n’a pas été inscrit dans le rapport ». Parfois aussi, « quand je me suis adressé aux gens, on s’est moqué de moi ». Ce sont des causes du sentiment d’exclusion sociale lié à la mobilité.
Souvent, on peut avoir le sentiment qu’on favorise toujours les automobilistes. Cela revient un peu à l’autre par des décisions politiques. Exemple : On veut construire une piste cyclable dans mon quartier, mais pour éviter d’abolir 3 ou 4 cases de stationnement, la piste fera un détour de plusieurs centaines de mètres. De telles décisions indiquent quelles sont les priorités des décideurs.
Il y a aussi le jugement des autres et l’isolement. Parfois on peut se sentir mal compris et des gens se moquent de nous parce que nous n’avons pas de voiture. Il peut y avoir un jugement perçu de la part de l’entourage qui questionne ce choix. Ce sentiment de marginalité était ressenti autant ici qu’à Strasbourg. Témoignage de Bruno, 36 ans : « Sans exagérer, je dirais que je suis un citoyen de 4ème zone. J’éprouve le sentiment d’être mis à part, d’être un peu ignoré. Je ne me sens pas vraiment valorisé parce que l’ensemble de la population possède une voiture et utilise les autoroutes. Ce sont des conditions qui provoquent encore plus de ségrégation sociale. » Il y a une impression d’être jugé ou isolé.
Le prochain point concerne les contraintes temporelles. Si je veux participer à un événement, mais que le dernier autobus pour rentrer chez-moi est dans 20 minutes, j’ai un problème. C’est un autre exemple qui fait qu’on se sent exclu par notre manque de mobilité qui nous oblige à rentrer plus tôt. On doit toujours planifier nos déplacements et on se sent serrer dans le temps.
Élise à Strasbourg : « La semaine dernière, j’ai du quitter une réunion avant la fin faute de transport public à une heure plus tardive dans le quartier où j’habite. Il y avait peu de gens dans la même situation que moi, mais il y en avait quelques-uns. C’est donc une forme d’exclusion. Les autres participants devaient être véhiculés, ils sont venus en voiture, tandis que moi, j’étais dépendante des transports en commun. Cela nous exclut des activités qui ont lieu en-dehors des heures de fonctionnement du transport en commun.»
Les transports en commun sont conçus pour desservir les navetteurs, ceux et celles qui se rendent au travail ou à l’école le matin pour rentrer chez-eux en fin d’après-midi. Pour ce qui est des loisirs, ce n’est pas nécessairement leur priorité. Pour aller visiter vos amis ou votre famille, ou aller magasiner, ce n’est pas la priorité des transports en commun. Ces contraintes temporelles peuvent contribuer au sentiment d’exclusion sociale liée à la mobilité.
Il y a aussi des problèmes d’accessibilité au territoire. Il y a des endroits qui ne sont pas desservis où je ne peux tout simplement pas aller. Par exemple, si on pense aux activités sportives, ce n’est pas évident à Québec d’aller faire du ski si on ne possède pas de voiture. Dans ma recherche, l’accès aux salles de cinéma est souvent revenu dans les discussions depuis qu’ils ont fermé celles du centre-ville.
Dans certains cas, posséder une voiture fait partie des critères d’embauche. En France, on peut refuser de vous embaucher si vous n’avez pas de permis de conduire, alors que cela n’a rien à voir avec les tâches demandées. C’est beaucoup plus rare au Québec comme exigence d’embauche. L’aéroport de Québec est maintenant desservi par un service de transport en commun, mais il y a encore beaucoup de parcs industriels où c’est assez difficile de se rendre. C’est une situation qui peut mener à une forme d’exclusion sociale reliée à la mobilité.
Comme autre cause d’exclusion, j’ai trouvé les comportements agressifs de certains automobilistes envers les autres usagers de la route. Je ne m’attendais pas à cela parce que dans les entrevues réalisées personne n’avait évoqué ce phénomène. J’ai donc du utiliser une méthodologie statistique qui croisait la récurrence de certains discours avec certaines variables. Je me suis demandé si les personnes qui se sentent exclues, utilisaient des mots ou des expressions qui leur étaient propres. Les personnes qui se sentaient exclues m’en ont presque tous et toutes parlé, sans que je n’aborde la question. Il y a un lien entre ces comportements agressifs et le fait de se sentir exclus de l’espace public.
Mireille, 34 ans, habite à Beauport : « Je passe en vélo sous Louis XIV en dessus du viaduc. Quand je reviens chez-moi, il y a une sortie d’autoroute que je croise, le trafic tourne et moi je vais tout droit. C’est un risque à chaque fois. J’ai l’impression qu’il y a une guerre entre les cyclistes et les automobilistes. À chaque fois, j’ai peur qu’il m’arrive quelque chose.»
Alors, oui, ces comportements agressifs contribuent aussi au sentiment d’exclusion. De plus, à Québec, il y a le phénomène des radios poubelles qui véhiculent plusieurs messages très négatifs envers les cyclistes, les piétons et les usagers du transport en commun. Ces médias s’expriment contre le développement de nouvelles infrastructures, de nouveaux services de transport en commun ou de nouvelles pistes cyclables. Ces gens cassent du sucre sur le dos de ceux et celles qui se déplacent d’une façon plus durable qu’un automobiliste soliste moyen.
La recherche a démontré l’influence de ces discours dans différentes radios de Québec qui faisaient en sorte que les gens se sentaient exclus lorsqu’ils les entendaient.
Existe-t-il un lien entre l’exclusion sociale reliée à la mobilité et la pauvreté ?
Dans l’échantillon des gens que j’ai rencontrés, si je posais la questions aux interviewés, on s’aperçoit que chez les personnes à faible revenu, il y avait une grande proportion de gens qui se sentaient exclus, que c’était presque moitié-moitié pour les revenus moyens, et que pour les revenus élevés, c’était plutôt rare. Ceci nous fait croire qu’il y a certainement un lien entre la pauvreté et le manque de mobilité, et qu’il vaudrait la peine de rendre cela plus abordable afin d’avoir une mobilité plus durable. Je n’ai pas de chiffres exactes en raison du faible échantillonnage, 60 personnes, mais il y a quand même une corrélation assez évidente.
Concernant le discours associé à la pauvreté, j’ai isolé le discours en provenance de personnes issues de différentes échelles de revenus. Lorsque j’interviewais des personnes à faible revenu, on me parlait d’autobus. Ils disaient : « C’est difficile, c’est compliqué, je dois attendre. » Pour ce qui est des personnes issues de la classe moyenne, ils parlaient de la difficulté pour se rendre au travail, d’aller faire du ski, de se déplacer les fins de semaine ou encore de se rendre à la quincaillerie. Pour les gens plus aisés, le mot course est revenu, le tramway, ils pouvaient cependant plus facilement louer une voiture ou prendre l’autopartage. Alors on voit que lorsqu’on a des revenus plus élevés, on a des outils différents qui permettent de se sentir moins exclu. Cela pourrait expliquer la statistique précédente.
Concernant la tarification sociale, on constate qu’il y a beaucoup plus de gens qui se sentent exclus en raison de leur manque de mobilité à Québec qu’à Strasbourg, là où il existe un réseau structurant et un programme de tarification sociale du transport en commun. Là-bas, si vous êtes sous le seuil de faible revenu, cela vous coûte 3 Euros par mois pour votre abonnement mensuel et si votre revenu est entre 20 000 $ et 30 000 $, c’est quelque chose comme 10 Euros par mois (15 $).
Pour s’attaquer à un problème, il faut en connaitre la cause.
Au Québec, ce n’est pas un enjeu qui intéresse les politiques publiques. En France, on fait plus facilement le lien entre le manque de mobilité et l’exclusion sociale.
Les villes moyennes, comme Québec, sont peu étudiées par les urbanistes. C’est pourquoi j’ai décidé d’en faire l’objet de mes recherches. Il y a plusieurs millions de personnes qui habitent dans des centaines de villes moyennes partout en Amérique du Nord et en Europe et quand on veut comprendre leur mobilité, peu de recherches traitent de ce sujet. Comme je suis professeur à l’Université Laval, je vais me concentrer sur des villes comparables à Québec pour leur taille.
Comment cela se fait-il que notre transport en commun réponde encore si peu aux besoins des femmes ?
* Marie-Soleil Gagné, directrice adjointe à Accès Transports viables et responsable du projet Femmes et mobilité
Je remercie les organisateurs de la table ronde, le Chantier ZEN et le TRAAQ. Accès Transports viables est un organisme à but non-lucratif qui fait la promotion des transports actifs et collectifs dans la Capitale nationale et dans Chaudière-Appalaches. Nous faisons aussi la défense des droits des utilisateurs et des utilisatrices des transports actifs et collectifs. Dans le cadre de mon travail, je coordonne le projet Femmes et mobilité qui est porté par Accès Transports viables, le Regroupement des groupes de femmes de la Capitale nationale, RGF-CN, et le TRAAQ, le Collectif pour un transport abordable et accessible à Québec.
La question que je me pose aujourd’hui est la suivante : Pourquoi le transport en commun répond encore si peu aux besoins des femmes ?
Ce constat n’est pas le seul fait de Québec, les études sur la condition féminine révèlent cette problématique dans la plupart des villes où il y a un système de transport en commun. De fait, elles constatent une inadéquation entre les normes des transports collectifs et les besoins spécifiques des femmes. Quand je parle de femmes, je dois rappeler qu’il ne s’agit pas d’un bloc homogène, chacune d’elles ayant des réalités fort différentes. C’est pourquoi il est primordial de prendre cela en compte dans les politiques publiques relatives à l’aménagement du territoire et à la mobilité.
Je vous propose de prendre un recul pour observer comment nos villes sont construites en Amérique du Nord puisqu’il s’agit d’un constat qui est assez généralisé. Ce que nous affirmons avec le projet Femmes et mobilité, c’est que la ville est construite par et pour des hommes. Nous nous basons sur le fait que le domaine des transports, ainsi que celui de la mobilité et les cercles décisionnels qui leur sont associés, sont fortement occupés par des hommes. Les femmes se retrouvent à l’extérieur de ces lieux de prises de décisions. Si on parle de femmes racisées ou de femmes des Premières Nations, des femmes ainées, en situation de handicap ou de pauvreté, c’est encore plus vrai. Ces personnes ne sont pas représentées dans les politiques publiques relatives à l’aménagement du territoire et la mobilité.
Les villes sont construites en fonction du principe de la fluidité de la sacro-sainte automobile. C’est ce qui fait qu’on n’hésite pas à raser des quartiers ou des milieux humides pour construire des autoroutes afin qu’on puisse se rendre le plus facilement possible du point A (le domicile) au point B (le travail). C’est certain qu’il y a beaucoup d’investissements qui sont faits dans le transport autoroutier au détriment du transport collectif et actif. Les villes sont aussi conçues pour optimiser la croissance économique d’une certaine catégorie de personnes, à savoir celles qui possèdent les capitaux pour pouvoir investir dans la ville.
Souvent, les promoteurs immobiliers proposent des grands projets d’infrastructure, sans penser nécessairement aux besoins des personnes à faible revenu. On peut se questionner par rapport à cela.
Dans toutes les politiques publiques, les enquêtes de mobilité démontrent une très faible prise en compte des inégalités qui persistent entre les genres et entre les différentes catégories sociales. Or, si on cherche à améliorer la ville et la mobilité des personnes qui y vivent, il faut prendre le temps de connaître ces personnes et leurs besoins.
Les transports collectifs et les femmes, quand est-il ?
Les femmes sont de plus grandes utilisatrices du transport collectif que les hommes. À Québec, on représente 58% des utilisatrices. Ce qui est particulier, c’est que malgré cette présence massive, les transports collectifs ne sont pas conçus pour répondre à leurs besoins. Également, les temps de déplacement en transport en commun sont généralement plus longs. Tout le monde sait cela. Il y a une donnée intéressante que j’ai trouvée dans le Plan d’aménagement du territoire de la Communauté métropolitaine de Québec. Le temps de déplacement moyen entre le domicile et le travail pour un automobiliste est de 15 minutes, tandis que pour un usager du transport en commun, il est de 35 minutes. C’est 20 minutes de plus à chaque déplacement dans la vie des personnes qui utilisent les transports collectifs. Ce temps n’est plus disponible pour les loisirs, le repos, le travail ou les repas.
Plusieurs études parlent du sentiment d’insécurité vécu dans les transports collectifs et les déplacements chez les femmes. À Québec, ce n’est pas quelque chose qui a été étudié jusqu’à présent. À Montréal, une étude vient de paraître sur le sujet. Elle a été réalisée par le Conseil des Montréalaises. Cette étude rapporte que 60% des femmes vivent un sentiment d’insécurité dans les transports collectifs quand elles sortent le soir. C’est certain que ce sentiment d’insécurité persistant a un impact sur les capacités de mobilité des femmes.
Je voulais revenir sur les habitudes de mobilité des femmes. Plusieurs recherches et études s’y intéressent. Plusieurs constats apparaissent, notamment que les femmes se déplacent plus souvent que les hommes en-dehors des périodes de pointe. On pourrait trouver plusieurs facteurs qui expliquent cela, notamment le fait que la charge mentale du ménage repose encore beaucoup sur les épaules des femmes. Cela fait en sorte que celles-ci utilisent des chaines de déplacements plus complexes avec plusieurs arrêts entre le foyer et le travail et au retour à la maison. On arrête à la pharmacie, à la garderie, à l’épicerie, puis au travail. Les transports collectifs ne sont pas conçus pour cela. De fait, il faut trouver une garderie sur son parcours d’autobus, ce qui est très rare. On constate aussi des déplacements plus courts, mais plus fréquents. C’est plus particulièrement le cas pour les femmes entre 25 et 45 ans, âge à laquelle elles se déplacent énormément.
On peut établir une corrélation avec la charge mentale, le travail domestique et les responsabilités professionnelles qui demeurent encore l’apanage des femmes.
Il y a d’autres informations pertinentes que j’aimerais vous partager pour expliquer ou trouver des pistes de solution afin de comprendre pourquoi les transports collectifs ne répondent pas aux besoins des femmes. Si on observe la situation socio-économique des femmes, 12% d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. C’est un chiffre considérable. Parmi celles-ci, une bonne proportion sont des femmes aînées. Nous savons que nous appartenons à une société où la population vieillit et il va y avoir des conséquences par rapport à cela. Il va falloir concevoir nos villes pour qu’elles répondent mieux aux besoins spécifiques des personnes qui auront des enjeux de mobilité. Je sais qu’il n’existe pas un lien direct avec la mobilité, mais les revenus des femmes sont inférieurs à ceux des hommes dans une proportion de 0.76 $ pour chaque dollar gagné par un homme. On s’entend qu’il y a des inégalités persistantes par rapport aux statuts socio-économiques des hommes et des femmes. Le professeur Villeneuve a bien expliqué que notre mobilité est en grande partie déterminée par notre revenu. Donc, c’est certain que si notre revenu est moindre, notre taux de mobilité va l’être aussi.
De nombreuses recherches démontrent que les femmes sont moins mobiles que les hommes. Cela implique qu’elles ont moins d’opportunités et d’options de transport qui répondent à leurs besoins pour se rendre où elles doivent se rendre. Encore une fois, on constate qu’il existe un travail invisible non rémunéré qui pèse sur les épaules des femmes et qui a un impact sur leurs habitudes de mobilité en raison des chaînes de déplacements plus complexes qu’elles utilisent. Ensuite, les femmes seules, monoparentales ou en situation de pauvreté, sont plus susceptibles de vivre avec un déficit de mobilité. Cela signifie ne pas avoir la possibilité de se déplacer pour pouvoir se rendre où on veut aller. Cela a des conséquences désastreuses surtout en ce qui concerne l’exclusion sociale. Malheureusement, ce n’est pas un sujet qui a beaucoup été abordé par les différentes études sur le transport en commun au Québec. Dans les dernières enquêtes origine-destination commandées par la Communauté métropolitaine de Québec, le RTC et la Ville de Québec, apparaît une donnée qui s’appelle le Taux de non-mobilité, sauf que cela n’indique pas vraiment grand-chose. On se rend compte que le taux de non-mobilité des femmes est plus élevé que celui des hommes.
Comme je vous ai dit, lorsque nous parlons des femmes, il ne s’agit pas d’un bloc homogène. Plusieurs données nous manque pour pouvoir comprendre quels sont les enjeux des femmes en situation de pauvreté, des femmes en situation de handicap, il n’y a pas de segmentations dans la donnée susceptibles de nous aider à dresser un portrait davantage précis des habitudes de mobilité de l’ensemble de la population. Normalement les enquêtes de mobilité s’intéressent plus particulièrement aux déplacements entre le domicile et le travail.
Sauf que tout le monde sait que ce n’est pas tout le monde qui travaille ou le fait à temps plein, et les chaînes de déplacements ne sont pas prises en compte. La captation des données est problématique.
Des solutions existent…
La première solution que nous préconisons et l’application systématique de l’analyse différenciée entre les sexes dans une perspective intersectionnelle ADS+ à toutes les étapes des projets d’aménagement et de mobilité. L’analyse différenciée selon les genres est un outil d’aide à la prise de décision qui permet vraiment de se questionner sur les besoins des différentes catégories de personne. Que ce soit lors de la récolte de données où l’on cherche à avoir un portrait très large tout en étant très précis des différents besoins des catégories de personnes, mais aussi lorsqu’on met en œuvre un projet d’infrastructure, on doit se poser la question si celui-ci peut porter préjudice à une certaine catégorie de personnes. À l’heure actuelle, on utilise peu ou pas ces méthodes d’analyse d’impact. Il y a bien des études d’impact environnemental, mais y a-t-il des études d’impacts sociales ? Je m’interroge et nous devrions peut-être aller vers là en tant que société.
Il existe aussi d’autres solutions…
Il y a la possibilité d’appliquer des mesures d’accessibilité universelles pour prendre en compte les besoins spécifiques de tous et de toutes. Par mesure d’accessibilité universelle, nous faisons référence à l’instauration d’une tarification sociale basée sur le revenu. À partir du moment où l’on s’assure que les personnes les plus vulnérables ont un accès à un transport collectif, facile et accessible financièrement, on lutte contre leur exclusion sociale.
On pourrait aussi penser à d’autres mesures comme investir massivement dans les services de transport adapté. Dans le cadre du projet Femmes et mobilité, nous avons rencontré de nombreuses femmes parce que nous avons participé à plusieurs consultations publiques. Nous avons rédigé plusieurs mémoires aussi. Il y avait une dame qui utilisait les services du STAC, Service de transport adapté de la Capitale. Elle nous racontait qu’elle était une mère monoparentale en situation de handicap et qu’elle avait trois enfants, sauf que dans le STAC, il ne peut y avoir qu’un seul accompagnateur. Donc, cette femme, à chaque fois qu’elle utilisait ce service de transport adapté, devait choisir lequel de ses enfants allait l’accompagner. C’est le genre de situation qui est absolument grotesque. Nous pourrions faire le choix en tant que société de mettre en place des mesures d’accessibilité universelle pour que les personnes les plus vulnérables qui vivent le plus de précarité, aient le moins de difficultés possibles pour se déplacer.
Pour conclure, une autre solution qui existe consiste à favoriser la participation sociale et l’inclusion de toutes les catégories de personnes. Nous l’avons vu lors des dernières consultations publiques. Souvent, cela a lieu de manière virtuelle, sur des plateformes web, alors que ce n’est pas tout le monde qui a accès à Internet ou qui ont des compétences numériques pour participer à ces consultations.
Ce que nous demandons, c’est une meilleure prise en compte des conditions matérielles des personnes qui vivent de la vulnérabilité et de la précarité, de la pauvreté. Il n’apparait pas déraisonnable de demander une option de transport peu importe notre condition. C’est la responsabilité des décideurs, de l’État, d’assurer ce droit parce que la mobilité est un droit qui conditionne l’exercice de plusieurs autres droits. C’est nécessaire et fondamentale. M. Villeneuve le disait tout à l’heure, dans notre société, il y a une injonction de mobilité qui fait que nous n’avons pas le choix de nous déplacer si nous voulons vivre pleinement notre vie citoyenne. C’est ce que je voulais dire en conclusion. Si vous désirez obtenir plus d’informations, vous pouvez nous suivre sur Facebook à Femmes et mobilité. Sinon, nous avons un site internet http//:femmesetmobilite.org On y présente plusieurs enjeux vécus par les femmes ainsi que plusieurs solutions. Nous sommes toujours prêtes à avoir de vos nouvelles et à recevoir vos commentaires.
Échanges avec le public
* Ma question est en rapport avec le manque de consultation. Quels seraient selon toi les obstacles qui empêchent les femmes d’être pleinement consultées, qu’il s’agisse de l’organisation des processus ou d’autres obstacles plus structurels ?
Il y en a beaucoup. D’abord, il y a la fracture numérique. À partir du moment où l’on parle de personnes en situation de pauvreté, en situation de vulnérabilité ou de personnes aînées, il existe une fracture numérique et il faut s’assurer qu’on l’atténue en utilisant le téléphone et le papier, ou bien en allant rencontrer les gens dans leur milieu. Je pense que ce n’est pas déraisonnable de demander cela. Sinon, les femmes ont encore beaucoup la charge mentale reliée à la gestion du ménage. Il y a une plus grande proportion de femmes aussi qui sont des proches aidantes. Donc, il faut aménager des périodes où l’on peut les consulter en offrant un service de garderie et en remboursant les transports collectifs. Il y a plein de mesures d’accessibilité qui peuvent être mis en place pour faciliter les consultations en s’assurant que les femmes monoparentales, en situation de pauvreté et autres, puissent participer à ces consultations afin d’exprimer leur expérience. Au final, ce qui est problématique, c’est que les décideurs, sans faire preuve de mauvaise foi, ignorent ces points de vue qui diffèrent de leur expérience. Ils n’ont pas expérimenté les obstacles que peuvent vivre, par exemple, une femme racisée ou des Premières Nations. C’est pour cela qu’il est important de s’ouvrir les oreilles et d’écouter les différents points de vue de ceux et celles qui vivent différentes expériences que nous.
* Tu parlais de l’analyse intersectorielle genrée, l’ADS+, est-ce que le Ministère des Transports du Québec respecte ses objectifs de faire de l’ADS+ en transport ?
Il ne l’a pas fait. C’était pourtant inscrit dans le Plan de mobilité durable. C’est comme si l’ADS+ était reconnu comme un outil de gouvernance par le gouvernement du Québec. Ensuite le MTQ a fait certaines études portant sur l’analyse différenciée entre les genres, ils ont réalisé aussi un guide afin de prendre en compte le genre dans les projets de transport. Il y a vraiment de belles politiques, mais ce qui manque c’est comment l’appliquer sur le terrain concret. On dirait que cela ne se rend pas. C’est un dossier que nous poussons beaucoup auprès de la ville, auprès du RTC, parfois en obtenant des gains. Cela demeure en fait très fragmentaire comme application. Parfois nous avons une étude qui segmente les sexes au lieu de faire une moyenne entre les hommes et les femmes afin d’avoir un portrait plus juste de la réalité. Dans le rapport du BAPE cela a été mentionné qu’il n’y avait pas eu une ADS+ comme étude d’impact de l’implantation du réseau de transport structurant à Québec.
Quelles mesures à privilégier pour favoriser l’accès à ceux et celles qui vivent en situation de précarité financière?
Catherine Rainville, animatrice sociale au TRAAQ (Collectif pour un transport abordable et accessible à Québec)
Bonsoir et merci à tous pour votre présence. Le TRAAQ est un regroupement d’organismes communautaires et de groupes citoyens construit autour d’une préoccupation commune : l’accès au transport en commun pour les personnes à faibles revenus de l’agglomération de Québec, comprise comme le territoire desservi par le RTC et le STAC. On s’intéresse à la problématique de l’exclusion au transport en commun. La fondation officielle du Collectif TRAAQ remonte à 2016. Il est né du constat fait par plusieurs que le transport en commun est un enjeu déterminant vécu par les personnes en situation de précarité financière qui avait des conséquences importante sur les conditions de vie élémentaires. C’était une problématique qu’il fallait adresser et corriger pour offrir une qualité de vie décente à ces personnes.
Pour comprendre pourquoi il s’agit d’un enjeu aussi crucial, il faut se rappeler qu’est-ce que c’est que vivre en situation de précarité financière. Qu’est-ce que cela implique de vivre avec très peu d’argent pour assumer l’ensemble de ses besoins essentiels ? Vivre en situation de précarité financière cela signifie avoir un budget restreint pour essayer de combler l’ensemble de ses besoins de base: s’alimenter, se vêtir, payer son loyer, son électricité, son transport et plein d’autres frais. Quand on éprouve de la difficulté à satisfaire ces besoins essentiels de base, payer pour un transport, c’est un autre frais qui vient s’ajouter à la charge financière qu’on a. Les personnes en situation de pauvreté ont l’impression d’être constamment en mode survie où elles doivent sans cesse calculer l’argent qui leur reste. La difficulté d’arriver à chaque mois représente une charge mentale énorme si on veut garder la tête hors de l’eau. Il faut se rappeler ce que représente l’exclusion au transport en commun pour ces personnes, le principal obstacle à leurs déplacements étant les tarifs eux-mêmes.
Toutes les alternatives à l’autobus comme la voiture, le taxi, l’auto-partage, les moyens de transport efficaces pour franchir les distances ne sont pas à leur portée. Selon ses moyens, on arrive à prendre l’autobus parfois ou pas du tout, ou encore on doit couper ailleurs pour y accéder. C’est la nourriture, les produits de toilette, on en vient à couper sur des choses essentielles.
Grille tarifaire du RTC
– laissez-passer mensuel : 89,75 $ (étudiant.e.s et ainé.e.s 60$ par mois) (Une réduction de 30 %)
* lot de 20 billets : 58 $
* 1 billet : 3,20 $ (se vend par paire seulement)
* Passage en argent comptent : 3,50 $
89,75 $ si on l’achète à tous les mois cela représente 5% d’un revenu annuel de 20 000 $, mais c’est 9% d’un revenu annuel de 12 000$.
Pour une personne avec une certaine sécurité économique, 90 $ pour un laissez-passer mensuel peut paraître raisonnable, même s’il y a plein de personnes de la classe moyenne qui trouve cela cher. Si on prend une personne de classe moyenne qui gagne 40 000 $ / année, à 5% de son revenu annuel ce serait comme si elle payait son laissez-passer 167 $/mois et si on se mettait à leur demander ce prix, elles trouveraient cela cher. De plus, si elle payait 9% de son revenu annuel, il faudrait qu’elle paie 300$/mois seulement pour une personne. Du point de vue d’une personne qui ne gagne pas beaucoup d’argent, 90 $/mois, c’est un poids immense. C’est pourquoi elles vont se priver de se déplacer ou sacrifier sur d’autres besoins pour y arriver. C’est le principal facteur d’exclusion du transport en commun des personnes à faible revenu.
Il en existe d’autres…
D’abord, le prix des cartes à puce. Cela coûte des sous. (6$ sans photo, 15$ avec photo). Si on n’a pas ces cartes à puce, il y a des titres auxquels on n’a pas accès dont le laissez-passer mensuel.
Un autre aspect est le peu de réserve monétaire dont ces gens disposent. Les personnes en situation de faibles revenus, si on prend encore le prix du laissez-passer mensuel, elles pourraient peut-être le payer, mais elles n’arrivent jamais à dégager le montant brute en une seule fois, au final elles paient plus cher que les autres usagers. Elles sont obligées de se rabattre sur les titres les moins économiquement avantageux.
Un autre aspect concerne les modalités de correspondance. Quand on circule sur un réseau et qu’on utilise un laissez-passer mensuel, on ne se préoccupe pas trop des correspondances parce que notre carte est valide autant de fois qu’on le veut, mais quand on circule avec des passages simples, la correspondance devient importante. À l’heure actuelle, les règles de correspondance disent qu’on ne peut pas prendre deux fois le même parcours et qu’il faut le faire dans un laps de temps de 90 minutes. Sauf que pour une personne en situation de pauvreté qui effectue plusieurs arrêts sur un même parcours, si elle fonctionne avec des passages simples, le nombre de ces déplacements se multiplient et cela peut devenir très onéreux. Elle va donc payer plus qu’une personne qui a son laissez-passer mensuel.
Enfin, la pénalité à l’argent contant. Il y a des personnes qui réussissent à ramasser l’argent contant seulement quelques heures ou minutes avant leur déplacement. De plus, ces personnes n’ont pas nécessairement un dépanneur à côté de l’arrêt d’autobus. Ce sont elles qui paient le plus cher leur passage unique alors qu’elles vivent des situations de précarité importante. Encore une fois, elles se trouvent exclues et elles doivent faire un effort important pour trouver l’argent nécessaire. Comment est-ce qu’on peut faire pour résoudre ce problème parce qu’en général, lorsqu’on présente cette problématique, les gens sont sensibles à cela. Ensuite, quelles mesures privilégiées ?
Les trois grandes mesures d’accessibilité financière
1—Distribution de billets gratuits
La distribution de billets gratuits, cela existe à Lévis. Quelques organismes de charité sont désignés et ils ont chacun quelques milliers de billets gratuits à distribuer pour l’année. Alors les personnes à faible revenu fréquentant ces organismes peuvent recevoir des billets gratuits.
2—Réduction des tarifs ou gratuité aux moments de faible achalandage.
Par exemple le dimanche ou les soirs de semaine, l’autobus est gratuit.
3— Tarification sociale basée sur le revenu
Cette dernière, qui est portée par le TRAAQ, est un peu plus complexe à comprendre, mais une fois qu’on vous l’explique, cela va bien. Il s’agit d’une offre de tarif réduit sur les titres de transport pour les personnes à faible revenu. Gatineau offre cette mesure, alors cela nous permet de mieux visualiser de quoi il s’agit. Les personnes qui adhèrent au programme de tarification sociale ont droit à un rabais de 30% sur la passe mensuelle comme sur les billets. Pour s’assurer que les gens peuvent intégrer ce programme, chaque société de transport a sa propre échelle d’admissibilité basée sur le revenu annuel.
Ces sont trois mesures qui se situent sous le paradigme que la tarification continue d’exister dans le système de transport en commun. Il y a sûrement ici quelques partisans de la gratuité, vous me poserez une question tout à l’heure.
À l’origine de la fondation du TRAAQ, collectif né d’une enquête citoyenne produite par et pour des personnes en situation de pauvreté. (CAPMO, Enquête conscientisante sur l’accessibilité sociale du transport en commun sur le territoire du réseau de transport de la capitale, 2016, Enqute-transport-vf.pdf (capmo.org) )
Quelques critères permettant de se situer vis-à-vis l’enjeu de l’accessibilité sociale au transport en commun.
- A)L’universalité, est-ce que toutes les personnes à faible revenu d’un territoire ont accès à cette mesure ou juste certaines personnes à faible revenu qui vont pouvoir en bénéficier.
- B)Est-ce que cela répond vraiment aux besoins de déplacements ou si c’est une mesure qui rate sa cible. Troisièmement, est-ce que la mesure est accessible ?
- C)Est-ce que c’est facile d’avoir accès à la mesure ou est-ce que c’est trop compliqué ? Ce qui fait que c’est une belle mesure sur papier, mais dans les faits, cela ne fonctionne pas.
- D)L’effet sur la dignité humaine, comment est-ce que les personnes se sentent comme être humain à travers cette mesure ?
1—Reprenons chacune des mesures d’aide à l’aulne de ces critères pour la distribution de billets gratuits.
A) Est-ce que cette mesure est universelle? Pas tellement, parce que la quantité de titres émis est limitée, il y a seulement quelques organismes qui en distribuent ce qui peut engendrer une forme de favoritisme en faveur de ceux et celles qui les fréquentent. À Québec seulement, il y a 54 000 personnes qui vivent dans un ménage en situation de faible revenu, ce n’est pas quelques milliers de billets qui vont changer la donne.
B) Est-ce que cela répond aux besoins de déplacement ? Oui, en partie pour ceux et celles qui en bénéficient, mais comme la quantité de billets est limitée, cela ne remplace pas un laissez-passer mensuel.
C) L’accessibilité, c’est moyen au sens que pour avoir accès aux billets gratuits, tu dois d’abord te rendre à l’organisme ce qui peut impliquer de payer pour t’y rendre. Les points de distribution sont trop limités par rapport à la quantité de gens qui en ont besoin.
D) L’effet sur la dignité humaine? Les gens en situation de pauvreté ont l’impression d’être encore en train de quêter quelque chose de gratuit. C’est humiliant pour des personnes qui fréquentent déjà des comptoirs d’aide alimentaire. Nous l’avons vu pendant la pandémie, il y avait des personnes de la classe moyenne qui étaient sur le point d’aller demander de l’aide alimentaire et qui se refusaient à la faire parce que cela affectait leur dignité humaine. C’est bien d’offrir de l’aide aux gens dans le besoin, mais c’est quelque chose qui est difficile pour ceux et celles qui doivent demander cette aide.
2—La gratuité aux moments de faible achalandage.
A) C’est une mesure universelle puisqu’elle s’adresse à tous les usagers.
B) Est-ce que cela répond aux besoins de déplacements ? La réponse est non parce que les rendez-vous sont rarement le soir ou le dimanche. Bref, les personnes à faible revenu ont les mêmes besoins de déplacement que l’ensemble de la population. S’il existe des moments de fort achalandage, c’est que la majorité des gens dans la vie ont besoin de se déplacer à l’intérieur de ces laps de temps. C’est le principal défaut de cette mesure, c’est que cela rate sa cible de répondre aux besoins de déplacement des personnes à faible revenu pendant les horaires normales d’ouverture.
C) L’accessibilité, oui c’est une mesure fortement accessible dans le sens qu’il n’y a rien à faire pour y accéder.
D) L’effet sur la dignité humaine, on pourrait s’attendre à ce que cela n’ait aucun effet, mais l’effet invisible, c’est que les personnes à faible revenu peuvent commencer à négocier des rendez-vous pour que cela entre dans les horaires de gratuité. Cela amène des dynamiques ou les personnes sont obligées d’essayer d’arranger leurs déplacements en fonction des horaires gratuits.
3—La tarification sociale sur le revenu, c’est la mesure qui remplit le mieux les exigences de ces différents critères.
Après quelques années, on peut lire les comptes-rendus des discussions et on aperçoit le fil qui relie tout cela. On voit comment les gens raisonnent sans que les critères soient explicites.
A) Est-ce que la tarification sociale est universelle ? Oui, au sens qu’une bonne tarification sociale n’a pas un nombre restreint de personnes qui peuvent y avoir droit. La tarification sociale s’adresse à l’ensemble des personnes qui correspondent aux critères de faible revenu sur un territoire donné. Alors, oui toutes les personnes à faible revenu peuvent en bénéficier.
B) Est-ce que cela répond aux besoins de déplacements des personnes ? Un peu comme l’abonnement pour les aînés et les étudiants, la tarification sociale offre une réduction substantielle, nous exigeons au moins 50% de réduction. Oui, une fois qu’elle a son laissez-passer, la personne va faire tous les déplacements nécessaires pour répondre à ses besoins. Il n’y aura pas de limites liées à cela. Si une personne n’utilise que 10 passages dans un mois, elle va pouvoir les acheter à moitié prix.
C) Est-ce que c’est accessible ? Le principal enjeu avec la tarification sociale, c’est que cela dépend de la façon que le programme est conçu. Il existe des programmes qui sont plus accessible que d’autres. Il y a un processus d’admissibilité qui doit être fait. Une personne doit démontrer sa situation de faible revenu auprès de la société de transport ou de la municipalité. Cela dépend comment c’est établi dans chaque ville. Un bon programme de tarification sociale devrait être attentif à cela pour éviter de rater sa cible en étant trop complexe ou en imposant des seuils d’admission trop faibles, faisant en sorte que personne n’y a réellement accès.
D) L’effet sur la dignité humaine. Cela répond très bien à ce critère parce que les gens remplissent des papiers comme elles le feraient pour un logement subventionné. Ce n’est pas supposé être compliqué. Une fois qu’elles y ont accès, elles entrent dans le système et elles ont leur carte qui leur offre des tarifs réduits. Elles passent inaperçues dans la société, elles prennent leur transport comme tout le monde, cela ne change rien. Cela a un effet normalisant sur les personnes et c’est pour cela que c’est l’une des mesures qui est choisie par les personnes à faible revenu.
D’autres mesures qui peuvent avoir un impact sur l’exclusion des personnes à faible revenu
On devrait offrir gratuitement des cartes à puce pour les personnes à faible revenu pour leur donner plein accès à l’ensemble des titres disponibles.
Les modalités de correspondances, il y a des gens qui vont continuer d’utiliser les passages uniques. Ce serait important que la correspondance puisse être adaptée pour être la plus large et accessible possible. Cela veut dire autoriser les correspondances sur les mêmes parcours et que la durée de la correspondance soit augmenté à 2 h 30 ou 3 h.
Une autre chose à faire, ce serait d’égaliser à la baisse le prix du passage en argent comptant avec le prix du passage simple. Ce n’est pas normal que les personnes les plus démunies qui paient en argent comptant paient plus cher que les autres. Les sociétés de transport veulent décourager l’utilisation de l’argent comptant parce que cela occasionne des coûts de main-d’œuvre pour compter les sous. Dans ce cas là il faut avoir une perspective de justice sociale et faire en sorte que le prix du passage simple soit le même pour tous, peu importe la manière de le payer. Merci pour votre attention.
Échanges avec le public
* Pourquoi il n’y a pas une tarification sociale basée sur le revenu à Québec ?
On peut émettre un certains nombre d’hypothèses. La tarification sociale, cela ne fait qu’une dizaine d’années que cela se parle au Québec dans le monde communautaire. Les réflexions sont un peu plus poussées en générale dans le Canada anglais. Quand le TRAAQ est allé pour la première fois au CA du RTC, on ne les a pas pris au sérieux. Cela manifeste une absence de conscience de la problématique. On se rend compte avec le temps que les décideurs au RTC ne semblent pas sensibles aux besoins des personnes à faible revenu. Lorsqu’ils pensent à leurs utilisateurs, utilisatrices, ils ont l’image des personnes de classe moyenne, les étudiants et les aînés et aussi aux automobilistes qu’on aimerait bien attirer. Autre explication, la majorité des sociétés de transport au Québec ont l’impression que la tarification représente un coût supplémentaire à leurs frais d’opération. Alors que dans les faits, une personne qui a un budget limité pour ses déplacements va continuer de dépenser ce montant et que d’autres qui ne l’utilisent pas pourraient se l’offrir si c’était moins cher. Leur façon de voir amène les décideurs des sociétés de transport à croire qu’ils vont perdre de l’argent.
Dans notre société, il y a aussi un manque de considération des conditions de vie des personnes à faible revenu.
* Pourquoi vous défendez la tarification sociale au lieu de la gratuité des transports en commun ?
Ce sont des personnes à faible revenu qui sont à l’origine du TRAAQ. Ce sont les conclusions auxquelles elles sont arrivées après avoir mené une réflexion commune sur les deux options. Il faut savoir aussi que nous ne sommes pas un regroupement politique. Nous ne disons pas quel serait le monde idéal pour les personnes à faible revenu, mais quels sont les besoins de ces personnes. Nous représentons leur réalité puis nous sommes axés sur le soulagement de l’enjeu immédiat qui est d’offrir une meilleure opportunité de mobilité. Nous ne sommes pas contre la gratuité et il y a des personnes au sein du TRAAQ qui sont plus d’accord avec la gratuité, d’autres moins, on permet ainsi de rallier un certain consensus et d’être capable de marcher ensemble. Ensuite, il est certain que les personnes veulent obtenir un gain immédiat alors que la gratuité n’est pas quelque chose qui risque d’arriver très prochainement en raison des enjeux du financement du transport en commun. Le gouvernement du Québec doit être impliqué parce que présentement les règles de financement des sociétés de transport c’est un tiers des coûts pour les municipalités, un tiers pour le Ministère des transports et un tiers coûts pour les usagers. Si on veut mettre en place la gratuité, les grandes villes ayant un réseau de transport plus développé ne seront pas capables d’assumer les coûts. En théorie, la gratuité peut être réalisée, mais en pratique cela demande plusieurs changements dans le mode de financement du transport en commun. Pour l’instant, le mandat que nous avons de la part des personnes en situation de pauvreté, c’est de revendiquer la tarification sociale des transports en commun.
L’accès au transport public des personnes ayant des incapacités : propos et enjeux
– Normand Boucher, sociologue et professeur associé à l’École de travail social (Université Laval) et chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS)
Je remercie le TRAAQ pour l’invitation. Personnellement, je me reconnais dans plusieurs problématiques qui ont été mentionnées. D’abord, par choix, je n’ai pas de voiture, ensuite je vis avec un handicap. C’est ce que je vais vous présenter ce soir. Je ne suis pas vraiment autonome parce que je n’ai pas de voiture. Dans notre modèle nord-américain, il faut avoir une automobile pour être vraiment autonome. Le transport public, handicap et accessibilité, nous allons parler d’accessibilité et de mobilité sur le territoire. Je vais aussi vous parler de l’équipe Participation sociale et ville inclusive. Je vais également vous présenter des outils qui peuvent paraître un peu plus conceptuels, mais qui sont utiles pour nous et nos partenaires pour développer et comprendre cette situation. Un des outils que nous utilisons beaucoup, c’est la convention internationale des droits des personnes handicapées qui a été adoptée en 2006. L’accessibilité universelle, nous avons développé une approche critique par rapport à cela afin de développer un concept qui s’appelle l’accès inclusif.
Objectif et définition
L’équipe « Participation sociale et villes inclusives » vise à permettre aux personnes ayant des incapacités d’accéder à toutes les dimensions du territoire urbain, ainsi que de voir respecté leurs droits de « faire la ville », d’en être des acteurs reconnus et de la transformer.
Handicap, cela veut dire une différence dans le niveau de réalisation des habitudes de vie ou de l’exercice des droits de la personne.
Mesures législative du gouvernement du Québec
L’article 6.1 de la loi prévoit la mise en place de Plans d’action pour les municipalités de 15 000 habitants ou plus.
Révision de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées, 2004.
L’article 67 prévoit que les sociétés de transport en commun ou autres acteurs responsables doivent soumettre un plan de développement visant à assurer le transport des personnes handicapées sur leur territoire (LRQ , 2004).
Il faut être capable de se déplacer lorsqu’on a un handicap visuel. Il faut que les contenus soient accessibles. J’ai des collègues qui travaillent beaucoup sur la littératie et la façon de présenter l’information pour rendre cela accessible à tous dans le réseau de transport de la capitale. Généralement, ces volets ne sont pas pris en considération. Par exemple, il y a des normes pour l’affichage dans les autobus pour que les contrastes pour que les gens à basse vision puissent bien distinguer les lettres. Toutes ces dimensions font parties de la notion d’accessibilité.
La notion d’accessibilité a été développée dans les années 1980 par des Américains où le contexte était dominé par l’environnement physique. On parle des trottoirs, des transports, aux États-Unis et dans d’autres pays dont le Québec.
Les 7 principes d’accessibilité universelle
1– Utilisation égalitaire
2—Flexibilité d’utilisation
3— Utilisation simple et intuitive
4—Information perceptible
5—Tolérance pour l’erreur
6—Effort physique minimum
7—Dimensions et espace libre pour l’approche et l’utilisation
Ces principes révèlent les premières luttes qui ont été menées au Québec pour l’accessibilité. C’est le milieu associatif qui a mené ces luttes auprès de l’État, à Montréal, à Québec ou à Sherbrooke. Ce sont les trois villes où on a développé avec des groupes communautaires des services de transport adapté pour pouvoir se déplacer. Il n’y avait rien à ce moment là.
Limites de la notion d’accessibilité universelle
Le biais favorable à la dimension physique limite le caractère d’universalité
Maintenant, on parle beaucoup d’accessibilité universelle dans toutes les villes, c’est lié à l’obligation des plans d’action pour l’élimination des obstacles, mais pour que cela soit vraiment universel, il devrait y avoir un interprète en langue des signes dans toutes les réunions où nous sommes. Par principe, cela devrait être comme cela. C’est un exemple pour illustrer qu’il y a la compréhension, mais qu’il y a aussi l’accès à l’information. Même chose pour les gens qui vivent avec des déficiences visuelles où les documents devraient être accessibles en fonction de certains modes. La plupart du temps, ils ne le sont pas. Cela peut être sous forme audio par exemple.
S’agit-il d’une utopie ?
Notre équipe de recherche travaille dans le sens de développer une ville inclusive. Pour moi, l’inclusivité n’existe pas, c’est un projet politique et un objectif ultime pour lequel on travaille pour l’améliorer constamment. Mon postulat, c’est que ce sont des rapports de pouvoir qui sont à la base de cela. C’est développer en fonction d’un homme universel qui n’existe pas. Le capacitisme parle d’un homme abstrait pour lequel on a construit un service. Il est fascinant de voir comment, même le temps de déplacement pour un piéton, est calculé en fonction d’un modèle.
Nous avons développé le concept d’accès inclusif en réponse à la notion d’accessibilité universelle qui était un peu flou. L’accès inclusif est une notion utile pour analyser les modes de déplacements. Cette notion comporte cinq dimensions:
1—La disponibilité, est-ce que le service de transport existe ?
2—L’accessibilité, est-ce qu’il est accessible ?
3—L’acceptabilité, est-ce qu’il est accepté au niveau des valeurs et des attitudes ?
4—L’abordabilité, la question des coûts. Il ne faut pas que l’argent soit un obstacle à son utilisation.
5—L’utilisabilité, c’est l’aspect subjectif de l’expérience vécue.
La mise en accessibilité des réseaux de transport dans la plupart des villes, cela ne se traduit pas nécessairement pas son utilisation par les gens qui ont des incapacités pour toutes sortes de raisons. Par exemple, à Montréal, lorsque les rampes de fauteuil roulant ne sont pas accessibles de manière consécutive, l’expérience n’est pas agréable pour les gens. Il faut comprendre que passer du transport adapté, de porte à porte, au transport en commun souvent inaccessible, c’est très difficile.
Si l’expérience vécue est désagréable, il y a peu de chance qu’on veuille l’essayer à nouveau. Il y a des objectifs comme les heures de pointe qui font en sorte qu’une personne en fauteuil roulant peine à embarquer, mais aussi à descendre lorsqu’elle est rendue à destination. Donc, on évite les heures de pointe.
L’accès inclusif est un concept utile pour l’analyse, l’action et le développement
Identification des différentes dimensions d’une infrastructure, service, programme, etc.
Établir un portrait ou un état de la situation.
Soutenir l’action.
Processus de changement qui est parfois lent… et qui comporte des risques!!!
Le risque c’est que les résultats ne correspondent pas toujours avec ce qu’on souhaitait au départ. Il faut en être conscient et c’est politique aussi. Il s’agit de renverser des rapports d’inégalités sociales pour établir des rapports d’égalité. Le rapport de force est toujours présent.
Conclusion
Un niveau d’accès inclusif comme je vous l’ai mentionné.
Éléments à retenir : Rendre compte de la complexité des modes de déplacement pour les personnes en situation de handicap.
Échange avec le public
* À compter de l’automne, le RTC met sur pied un service de flexibus pour les personnes vivant en périphérie de la ville. C’est un service qui est disponible sur appel en l’espace de 15 minutes. Comment cela se fait-il qu’au STAC il faille appeler 24 heures d’avance pour avoir un transport ? Que pensez-vous de cette disparité d’offre de service ?
De fait, le STAC applique le règlement du Ministère des transports du Québec. Je pense que le point que vous soulevez exprime la dimension politique. Il y a une ambigüité par rapport à l’accès au transport adapté. De fait, le développement d’une offre de service dans le transport en commun pour les personnes en situation de handicap, soulève la crainte chez celles-ci de la perte du transport adapté qui fait du porte à porte. Il peut y avoir des intérêts autres que la dignité, l’intérêt et la sécurité, des usagers dans la mise en place d’un tel service.
Un immense merci à tous nos panélistes.
Propos rapportés par Yves Carrier