#321 – Rituel pour nos disparuEs, partage sur le sens à poursuivre

Bienvenue à cette réflexion commune autour d’un rituel pour les personnes disparues au cours de la dernière année, la plupart n’ayant pas eu droit aux hommages de circonstances. Les funérailles sont aussi des moments de rassemblement privilégiés qui permettent de se remémorer des souvenirs du défunt ou de faire un certain bilan. Par ailleurs, les membres du CAPMO ont l’habitude de se réunir le vendredi qui précède la fête de Pâques pour réfléchir ensemble sur leurs engagements, leurs valeurs et l’actualité qui les interpelle. L’animation se fera en quatre étapes. Après le tour de présentation, Robert et Fernand vont nous entretenir sur la transmission des luttes sociales et des engagements sur plusieurs générations tel un héritage que nous recevons. Puis, je vais vous introduire au rituel en lisant un témoignage d’une femme atikamekw sur les rituels qui entourent le départ d’un être cher. Ensuite, Claudia initiera un rituel en nous présentant une personne disparue au cours de la dernière année. Vous serez invités tour à tour à faire de même. Pour conclure, Gérald nous fera une synthèse de l’expérience vécue. Yves Carrier

Un héritage qui se poursuit

Au départ, l’idée de cette rencontre nous est venue de Claudia qui voulait rendre hommage à Jean Ménard que tout le monde connaît pour ses innombrables engagements. Il est décédé en janvier 2020. Il était impliqué partout et il a laissé sa trace partout où il est passé. Elle nous rappelait à quel point, ceux et celles qui ont connu des gens impliqués tout au long de leur vie, sont porteurs d’une mémoire et d’un héritage à transmettre et à perpétuer. Il y a aussi l’idée que cela prend plusieurs générations pour changer la société et faire avancer les choses. YC

Qu’est-ce que nous transmettons au CAPMO ? Une vision du monde fondée sur la spiritualité. Cette dernière n’est pas recluse au monde des religions, elle inclut tout engagement par rapport à des valeurs qui encouragent et favorisent le développement de la vie. La spiritualité transcende tous les domaines de notre vie jusqu’à l’économie. Une valeur, c’est ce qui n’a pas de prix, mais c’est aussi ce qui donne un prix à tout ce qui est alentour. Il s’agit de la valeur implicite. La richesse, par exemple, n’aurait aucune valeur si la valeur en soi n’existait pas. Elle serait dévalorisée. C’est d’ailleurs un des problèmes qui nous menacent. Il existe trois catégories de valeurs : les valeurs spirituelles, humaines et citoyennes. Les deux premières catégories encadrent les valeurs citoyennes. C’est ce qui permet au CAPMO d’intervenir dans tous les domaines de la vie. Si nous prenons l’économie, on parle de crédit, ce mot vient de credo, « je crois », si on parle de commerce, l’étymologie nous ramène à la grâce, cum merced, à l’origine ce mot signifiait : avec grâce, miséricorde. Il y a plein d’exemples comme celui-là. J’ai retenu une phrase dans un roman d’Aurélien Bélanger : « La monnaie est l’hologramme de la valeur. » C’est-à-dire que la valeur qu’on attribue à la monnaie est une valeur implicite qui provient de quelque chose de plus élevé qui est d’ordre spirituel, affectif ou bien historique, etc. Cela attribue de la valeur à un endroit ou à un objet. Le politique a le pouvoir d’établir un décret de valeur, que quelque chose est valable. Sauf qu’en réalité, c’est l’être humain qui établit ce décret à partir de sa perception de l’univers. (Les valeurs sont aussi des repères importants qui orientent nos vies.) On peut lire la valeur qui n’a pas de prix lorsqu’on se promène dans les rues d’une ville, dans les formes architecturales, dans les styles, dans l’organisation du territoire. Je laisse la parole à Fernand. Robert Lapointe

Nous avons la chance d’avoir Vivian Labrie avec nous qui était coordonnatrice dans les années de gloire du CAPMO où il y a eu le Jeûne à relais du refus de la misère, la Nuit des taons qui piquent, le Parlement de la rue, puis la présentation d’un projet de loi à l’Assemblée nationale du Québec en faveur de l’élimination de la pauvreté accompagné d’une pétition de 350 000 noms. Ce fut des années marquantes pour le CAPMO. Peut-être aurait-elle une réflexion à nous apporter pour faire le lien avec le présent ? Fernand Dorval

Cela ressemble à une invitation. J’entends bien que cela prend des générations pour que certaines choses changent. En arrivant au CAPMO, nous recevions déjà un héritage de ce qui s’était fait avant. Je suis arrivée au CAPMO en 1988 et il y avait déjà plusieurs années d’histoire derrière nous. Nous avons pris des relais et une chose qui m’a frappée, c’est qu’à un moment donné nous prenions le relais de quelque chose, puis cela passait à quelqu’un d’autre. Quand nous avons déposé le projet de loi, nous prenions le relais de la Marche des femmes pour du pain et des roses. Nous prenions aussi le relais de la Charte pour un Québec populaire et solidaire. Ce que j’ai envie de vous partager, c’est que 20 ans plus tard, à cause de la pandémie, il y a des choix politiques de redistribution de la richesse qui auraient été inimaginables il y a quelques années à peine. Il y a des recherches qui ont été faites qui se sont mises à dire que cela faisait du sens de lutter contre la pauvreté. C’est comme si, petit à petit, l’idée avait fait son chemin dans les esprits.

Nous défendions le principe que l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population devait primer sur l’amélioration des revenus du cinquième le plus riche. Cela m’a frappée à quel point, cette année, cette idée revenait. À travers des travaux dans lesquels j’ai été impliquée à l’IRIS, (Institut de recherche en initiatives sociales), nous avons confirmé que le revenu viable correspondait au cinquième le plus pauvre de la population. 20 ans plus tard, nous avons quelque chose de nouveau à dire là-dessus. L’automne dernier, Centraide a sorti un livre qui s’intitule : Du plomb dans les ailes, et ils ont repris pratiquement les mêmes mots que cette proposition d’améliorer les revenus du cinquième le plus pauvre de la société. Cela a pris 20 ans pour qu’une autre organisation que le réseau citoyen qui voulait la loi, pour que d’autres gens en passant par d’autres chemins, arrivent au même constat. Alors, il faut avoir conscience du temps que cela prend pour que des choses qui sont dans la marge soient partagées par un plus grand nombre de gens. Je trouve cela bien que nous soyons dans une réflexion sur la transmission avec les deuils que cela implique et la nouveauté qui en émerge. C’est ce qui me vient à l’esprit présentement.

Au cours des dix dernières années de ma vie, j’ai l’impression que bien souvent mon rôle ne consistait qu’à tenir les fils ensemble. Tenir les fils conducteurs pour permettre à d’autres de prendre le relais. Si on fait certains travaux, c’est toujours en lien avec ce qui s’est fait avant. Permettre à un travail citoyen d’être mis en chiffres par des chemins davantage organisés, m’a offert l’occasion de réaliser certains transferts de connaissance et d’expérience. C’est curieux de constater à quel point le fait de tenir un fil conducteur pendant assez longtemps permet que quelqu’un d’autre se branche dessus plus tard. En 20 ans, il y a des choses qui se sont installées, si on ne pense qu’au Collectif pour un Québec sans pauvreté. Il y a plein de gens autour. Cela démontre que cela prend des groupes pour que des revendications durent jusqu’à ce que des fenêtres d’opportunité se présentent à nous. Nous sommes devant certaines fenêtres de possibilités qui n’étaient pas là autrefois. Pendant toutes ces années, d’autres personnes tenaient à bout de bras d’autres fils qui attendaient des relais. Je pense que c’est parce que des gens ont tenu que certains gains peuvent être possibles maintenant. Par exemple, l’aide du gouvernement fédéral pour les chômeurs en raison de la COVID-19 a été fixée selon le montant du revenu minimum pour couvrir ses besoins de base. Je ne crois pas que cela eut été possible il y a dix ans. Cela dépend probablement de qui a fréquenté qui à quel endroit. C’est comme si les batailles ne se menaient pas toujours dans la rue, parfois c’est autour d’une table. Par exemple, le Centre d’études sur la pauvreté et l’exclusion sociale (CEPES), ce n’est pas une bataille qui se mène dans la rue, mais certains gains faits à cet endroit ont permis d’établir des repères et dix ans plus tard, ils commencent à servir. C’est drôle comme cela passe par l’un et par l’autre, et nous-mêmes nous avons pris la suite d’autres militants avant nous. Les luttes finissent par faire du chemin, même s’il y a des périodes de découragement. Vivian

C’est comme la petite graine de moutarde qui commence petite et qui finit par donner un arbre. Claudia

Je vais maintenant vous lire un témoignage autour de la question des rituels funéraires chez les Atikamekw. YC


E MATCATC. Le grand Départ

Par Jeannette Coocoo, enseignante et experte culturelle à Wemotaci

(Revue Frontières, Volume 29, Numéro 2, Mort et Mondes autochtones)

https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2018-v29-n2-fr03541/

« Je dédie ce témoignage à mes enfants, à mes petits-enfants, à mes arrière-petits-enfants ainsi qu’à tous les héritiers de la culture et des savoirs atikamekw. J’espère que ce texte pourra leur être utile pour comprendre que la culture atikamekw est une culture vivante qui s’est toujours adaptée au changement. Elle continuera de vivre à travers vos gestes et vos actions.

La fin d’une vie, chez les Atikamekw

Chaque individu a reçu l’enseignement venant de sa propre famille. Comme vous le savez, le christianisme a fait beaucoup de ravages et certains ont vécu beaucoup dans la peur, la peur de suivre ses propres croyances. Peur de parler des rites traditionnels, parce que tout ce qui venait de notre peuple était mauvais. Pratiquer ces rites, c’était comme acheter un billet pour aller en enfer. Ce que je vais me remémorer dans ce texte, ce sont les évènements que j’ai vécus, mais aussi les enseignements que j’ai reçus. Je vais gratter dans les cicatrices du passé pour vous partager nos rites funéraires. C’est l’évolution de notre environnement qui modifie nos rites et, en même temps, il y a adaptation au changement.

Conception de la mort

Une mortalité dans la communauté, c’est un évènement déclencheur pour que les discussions sur la mort refassent surface dans les familles. Pour ma part, j’ai eu des discussions avec mon défunt père et ma grand-mère sur ces sujets. Et je me souviens, quand j’étais plus jeune, quand un aîné partait pour ce grand voyage qu’est la mort, aucune musique ne devait se faire entendre. On devait le plus possible baisser la voix pour parler, pour ne pas déranger l’esprit qui entamait son grand voyage dans le monde des esprits. Dans nos croyances dépendamment comment tu entames cette porte de l’Ouest, si on part sereinement, le passage vers cette étape de la vie sera plus facile et l’esprit aura moins de difficulté à quitter le corps charnel. Et quand il y a un décès d’une façon tragique, l’esprit sera dans un état de choc et de désarroi. Il sera perdu de se retrouver ainsi dans l’autre vie, sans préparation pour ce grand voyage.

Voilà pourquoi nous devons vivre chaque jour de notre vie en prônant les valeurs humaines pour ne pas souiller notre corps avec des mauvaises actions. Vivre avec amour avec tout ce qui nous entoure car on peut revenir dans ce monde pour se parfaire comme citoyen de la terre. Et quand vient la fin d’une vie, nous préparons le grand voyageur pour son entrée par la porte de l’Ouest. Cette préparation se fait avec douceur et plénitude afin que celui-ci bénéficie de tout l’amour de ses proches jusqu’à la fin et jusqu’au dernier moment du grand départ.

Pendant toute la durée des derniers jours de la personne, les gens apportent des gibiers ou des plats préparés pour que celui qui se prépare puisse se nourrir une dernière fois de ces mets tant chéris dans sa vie durant. C’est une nourriture tant pour le corps que pour l’esprit. Ce sont des moments de remerciements aux animaux de la forêt d’avoir donné leur vie afin que nous puissions nourrir notre famille. Il est aussi important que la famille se rassemble autour de ce grand voyageur pour donner l’opportunité de s’exprimer sur ses sentiments, ses visions ou ses conseils face à la vie. On profite de ce temps des derniers moments de lucidité pour donner à celui qui va voyager chaleur humaine et joie. Ces moments sont aussi importants pour ceux qui deviendront orphelins de cette relation, afin de leur éviter le plus possible les sentiments de regrets après le grand départ du voyageur éternel.

Et quand le moment approche, les gens se rassemblent pour chanter des chants funèbres. Une amie que j’avais visitée en phase terminale de son cancer me disait : « Entendre ces chants me donne une paix intérieure ». Et vu de l’extérieur, je la voyais moins agitée, plus détendue. Certes, ces chants étaient de nature catholique, venant et composés par les colonisateurs. Mais j’imagine qu’on a dû étudier la langue et les rites des « Sauvages » et pris quelques paroles pour toucher l’âme de ces voyageurs éternels.

Quand est venu le grand départ de mon père, ceux qui étaient là étaient des Kokoms (grands-mamans) de la communauté et quelques membres de la famille. Nous étions tous debout en cercle autour de son lit et, à tour de rôle, nous allions lui faire nos adieux. Ce qui m’avait surpris, c’était le Matcaci (au revoir) de nos Kokoms, toutes très aimantes, respectueuses. Elles faisaient des bises sur la main de mon père et chacune d’elles lui parlait en douceur près de l’oreille, comme si elles lui donnaient comme message que maintenant nous le laissions partir dans la paix vers le monde des esprits. C’est un accompagnement jusqu’au dernier soupir du défunt.

Accompagnement du défunt avant la mise en terre

Aujourd’hui, il est difficile de garder le corps le nombre de jours qu’il était convenu de le garder autrefois. Les lois ne sont pas compatibles avec nos pratiques et nos traditions quand il y a un décès. Si la personne décède dans la communauté, même si c’est un décès naturel, nous devons quand même envoyer le corps en ville. Ensuite, la famille magasine pour un service funèbre. Les familles n’ont pas toujours l’argent nécessaire pour payer les services funèbres des villes. C’est ce qui complique et retarde la pratique de nos rites coutumiers destinés aux défunts. Quand le corps arrive dans la communauté, il est escorté en auto par plusieurs familles et amis du défunt. Les gens attendent à la maison où il sera exposé et accueilli par la communauté. Le lieu de l’exposition a été préparé minutieusement par des bénévoles. Le cœur nous déchire quand vient le moment d’ouvrir le cercueil. Certains ne peuvent retenir leurs émotions quand nous voyons pour la première fois le corps de l’être cher couché dans son lit de son dernier repos.

Parfois, certains se sentent insultés lorsqu’ils voient leur grand-maman toute maquillée, avec du fard à joues et un baume de rouge à lèvres, alors que dans sa vie celle-ci ne s’était jamais maquillée. Sur la place, on expose des photos du défunt, de ses activités, de sa famille. On allume des chandelles; on installe un pot d’eau bénite. Très récemment, j’ai vu l’ajout de la sauge et d’une plume d’aigle. Depuis quelques années, les gens allument aussi un feu à l’extérieur destiné à ceux qui veulent se recueillir ou qui veulent faire des offrandes de tabac. Certaines familles demandent des chants d’honneur avec tambour pour leur défunt. Tranquillement, les coutumes qui n’étaient pas permises par l’Église catholique reviennent à petits pas, du moins là où les robes noires n’ont plus leur place comme dans le temps. Il y a longtemps, le prêtre visitait chaque jour les lieux où les familles se rassemblaient pour la veillée d’un défunt.

Pendant les derniers jours de présence du corps dans la famille, ceux qui sont proches du défunt se mettent un ruban noir autour de leur poignet gauche. Avec la venue de la religion catholique, on a dit que cette coutume était faite pour se protéger des esprits maléfiques. Mais ma défunte grand-mère disait que c’était pour dire Matcaci (au revoir) au défunt. Elle disait : « À chaque fois que le ruban vole au vent, c’est notre façon de dire au défunt Matcaci ». Cette pratique était un moyen de dire continuellement à l’esprit du défunt Matcaci. Ainsi, on accroche des rubans noirs partout, même sur les Tikinakan (porte bébé), les portes, les tentes, etc. Et lorsqu’un conjoint ou une conjointe mourait, on s’habillait de noir pour un certain temps. Le but était que les gens puissent reconnaître le deuil que portait la personne laissée seule, qu’elle était dans une période difficile. Dans la roue médicinale, l’Ouest est associé à la couleur noire. L’Ouest est la direction où le soleil se couche. C’est aussi dans cette direction que notre soleil, notre compagnon ou notre compagne de vie, dormira éternellement. Alors, en portant ce signe distinctif sur nous, les gens étaient plus réceptifs aux besoins de l’être humain laissé seul, tant au niveau spirituel que matériel. Aujourd’hui, les travailleurs communautaires (intervenants sociaux) reprennent ce travail lié au deuil et à la mort, et offrent des services qui répondent aux besoins immédiats des familles et des personnes endeuillées.

La dernière veillée

Lors de la dernière veillée auprès du défunt, un mokocan (dîner communautaire) est organisé pour le souper. C’est le dernier repas que nous faisons en l’honneur du défunt. Nous voulons ainsi souligner que sa présence charnelle nous manquera. Nous lui attribuons une place d’honneur. Dans son assiette, il y a un petit morceau de chaque plat cuisiné. Les plats ont été préparés par la famille et les amis dans la communauté. Certains mettront un peu de tabac pour envoyer une prière. D’autres réciteront une prière catholique pour le défunt. Le corps exposé est gardé 24 heures sur 24. Aujourd’hui, de plus en plus, nous mettons des cassettes de chants funèbres, en raison du manque de chanteurs ou de chanteuses pouvant participer à cet évènement malheureux.

Le dernier jour

Comme je l’écrivais plus haut, certaines familles suivent les rites catholiques, c’est-à-dire une messe avec un enterrement en présence de l’officiant de cette église. Un jour, celui-ci a demandé à une Kokom s’il pouvait intégrer nos façons de faire dans son église, dans ses cérémonies funéraires. En guide de réponse, elle lui a demandé s’il serait prêt à intégrer le bouddhisme dans son église. Le serviteur de l’Église catholique lui a répondu que non, qu’il y avait bien trop de différences. « Alors c’est la même chose pour nous, il y a bien trop de différences », lui répondit-elle. Mais les temps changent. Certains sont dans d’autres Églises et suivent les rites propres à cette Église. D’autres suivent les souhaits du défunt pour l’enterrement. Par exemple, certains défunts ont choisi l’incinération.

Mon expérience en tant que femme atikamekw et la responsabilité qu’on m’a attribuée en tant qu’aînée des filles de la famille a été une lourde tâche, non pas au niveau physique, mais au niveau des émotions. Quand vint le moment de fermer le cercueil de mon père, j’accompagnais ma maman. Nous étions debout près du cercueil. J’observais ma mère, dans ses faits et gestes. Elle a répété des gestes, ceux qu’elle faisait quand elle s’occupait de mon père. Elle s’est assurée de la position de sa tête, comme pour vérifier s’il était confortable. Elle a arrangé son collet correctement. Ensuite, elle l’a abrié sous une couverture, jusqu’au cou. J’observais ces gestes d’affection, regardant comment elle avait tant pris soin et aimé papa, jusqu’au dernier moment de sa présence charnelle. Ensuite, j’ai pris soin de mettre dans le cercueil toutes les choses sacrées que nous considérions importantes pour que papa puisse accomplir son grand voyage. Nous avons aussi gardé certaines choses, comme des parties de lui-même, pour les déposer sur le territoire familial. Il aurait tant souhaité être enterré sur son territoire.

Le moment de la mise en terre

La préparation de la fosse est généralement faite par les hommes. Comme je suis l’aînée des filles, je devais faire les derniers rites de préparation pour la mise en terre. Je ne me suis pas objectée à cette demande de ma famille. Je suis allée au cimetière, accompagnée de quelques membres de ma famille. Je suis descendue dans la fosse, pour faire la purification avec de la sauge. J’ai ensuite tapissé la fosse avec des branches de sapin. Être dans une fosse et préparer le dernier endroit où son père sera enterré m’a fait prendre conscience d’une chose : c’est à cet instant même que je me suis vraiment retrouvée au seuil de la porte de l’Ouest. Mais jamais, de notre vivant sur terre, nous ne pourrons franchir cette porte. C’est ce que nous enseigne la porte de l’Ouest, que nous appelons dans notre langue Nakapehonok. Nakapehonok veut dire une direction d’arrêt. C’est là que la lumière du soleil arrête. C’est là, aussi, que notre lumière arrêtera de briller quand nous partirons pour le monde des esprits.

Où allons-nous après avoir quitté cette terre? Que nous disent les enseignements de nos aînées? Nous allons là d’où nous venons, c’est-à-dire dans la forêt et l’univers qui l’entoure, notcimik. Certaines Kokoms préparent leurs petits-enfants à leur départ prochain en leur disant de regarder les étoiles (atcikoc) quand l’ennui se fera sentir car, leur disent-elles, « c’est à cet endroit que je suis ». C’est une manière de préparer les petits-enfants à vivre leur deuil. Et c’est vraiment là que notre deuil commence, quand on a réalisé toutes les cérémonies, les rituels et l’enterrement du défunt. La mort fait partie de la vie. « Même les animaux, les plantes ressentiront ton absence si tu as donné l’amour et le respect », disait mon père. Et vivre le plus humainement avec toutes nos relations, car tout est lié. »

Échanges sur le texte que nous venons de lire

J’ai trouvé ce texte très touchant et c’est venu me chercher à quelques reprises. C’est un témoignage très touchant du départ d’un être cher. Quand l’un d’eux nous quitte, il y a des choses qui reviennent à notre mémoire. Que ce soit de l’enfance ou du parcours de vie de la personne disparue. C’est ce que cela me fait revivre en ce moment. On ne peut pas oublier quelqu’un qu’on a aimé. Même s’ils disparaissent, ils sont là quand même, toujours présents. Monique

À propos de cela, j’ai assisté à une cérémonie mortuaire à Madagascar qu’on appelle Fababiana, qu’on pourrait traduire par l’expression : « retournement des morts ». Cette cérémonie illustre la transmission entre les ancêtres et les vivants. Cela équivaut à la divinisation des ancêtres. Pour eux, un défunt ne devient ancêtre que deux ans après sa mort. Alors, le corps est enterré sommairement et deux ans plus tard, on va rechercher le cadavre. Le processus de décomposition étant achevé, huit os symboliques sont prélevés des restes du défunt qui seront enveloppés dans un tissu. Ensuite, le mort est promené partout où il a vécu, près de ses rizières, près de sa maison, dans son village et on le célèbre pendant deux ou trois jours. Une fête où des orchestres rivalisent. Après cela, on va retourner le mort dans le grand tombeau clanique. Cet endroit est sacré et il est interdit de s’en approcher sous peine de représailles. Entre la première mort et cette cérémonie, on dit du mort qu’il est combirua, ce qui signifie « entre deux » parce que le défunt se trouve alors entre la vie et la mort. Celle-ci signifie pour eux la réunion avec les ancêtres dont les Malgaches peuvent ensuite invoquer leur protection. Dans le texte, on parlait de la porte de l’ouest, à Madagascar par contre la porte des défunts est à l’est. Dans chaque maison, il y a deux portes, mais la porte de l’est n’est jamais utilisée, sauf lorsque le corps du défunt est amené hors de sa maison. C’est le seul usage qu’on reconnait à cette porte. Sinon, la vie se passe du côté ouest par où on entre, le côté nord est pour recevoir les gens tandis que le côté sud est du domaine privé. La case est orientée nord-sud. Ce sont des coutumes intéressantes. Robert Lapointe


Ouverture du rituel de deuil

Je vous inviterais à allumer une chandelle auprès de vous et d’approcher l’objet ou une photo qui représente la personne que vous souhaitez nous présenter. ChacunE montre à la caméra une photo de la personne choisie. Je vous invite à demeurer en silence pour vous mettre en présence de la personne à laquelle vous pensez actuellement. Prenez quelques instants pour reconnaître les qualités de cette personne, ses apports, à chacunE d’entre nous, à la communauté et à vous aussi personnellement. Vous pouvez aussi prendre quelques instants pour remercier la vie pour le cadeau qu’a été pour vous de connaître cette personne, de l’avoir eue dans votre vie. C’est un peu comme une course à relais où nous recevons de nos prédécesseurs le témoin pour le passer aux générations suivantes en étant conscients qu’ensemble nous portons un projet qui dépasse notre vie personnelle et collective aussi, plus grand que nous dans l’espace et le temps. C’est notre histoire sainte pourrions-nous dire, notre fil d’Ariane, un projet de communauté, un projet de société et un projet d’humanité, pour nous qui partageons ces valeurs. Ensuite nous partagerons sur ce qui nous est venu.

Écoute de la chanson de Luc de Larochelière, La vie est si fragile.

J’aimerais vous présenter monsieur Jean Ménard qui nous a quittés en janvier de l’année dernière. C’est la première fois de ma vie que je vis un deuil aussi important. Lorsque j’avais des difficultés, je l’appelais. Je le considérais comme un père spirituel. Beaucoup d’entre vous l’ont connu. Avec le temps, je réalise que les plus jeunes ne le connaissent pas. Mais il y a 20 ans, lorsqu’on allait à une manifestation, n’importe où au Québec, tout le monde le reconnaissait. Je le remercie pour tout ce qu’il a fait pour moi. Il m’a tellement apportée alors que je me sentais tellement faible et fragile. Il a persisté à m’aider et à m’encourager d’une façon absolument incroyable en me communiquant tout son amour et son espoir. Il y a l’idée qu’il faut prendre du temps pour faire son deuil, mais moi je ne veux pas me dépêcher. Je suis dans la période de deux ans et je n’ai pas hâte de le laisser partir. Une façon que j’ai trouvé de vivre ce deuil, c’est de prendre ce bâton de relais et de dire : « Qu’est-ce que je peux faire pour continuer ?  Qu’est-ce que je veux poursuivre de sa vie pour le transmettre à travers la communauté, à travers ma vie et mon engagement ? » C’est difficile de choisir une qualité particulière, mais aujourd’hui je choisis le collectif, le fait de mettre les gens en réseau. Je trouve que c’est une façon de traduire l’amour qu’il avait pour les individus et les groupes. C’est ce que j’essaie de faire maintenant, mettre les gens en lien le plus possible en respectant les particularités de chacunE, en misant sur les valeurs que nous partageons, pour construire ce projet d’humanité qui est plus grand que nous. Claudia

 

 

 

 

 

 

 

J’ai choisi de vous parler de Juliette. Ce qui est particulier, c’est qu’elle n’est pas encore décédée, mais elle est sur le point de partir (Elle est décédée le lendemain, le 3 avril 2021 à 12 h 52). Ce n’est pas une victime de la COVID, mais son cancer coïncide avec, alors elle s’est retrouvée à l’hôpital avec toutes les restrictions que cela implique. Comme elle est très tenace, elle a demandé à pouvoir voir les gens avec qui elle souhaitait parler avant de partir. C’est ainsi que nous avons pu à tour de rôle aller lui rendre nos derniers hommages. Ensuite, elle a été transférée à la Maison Michel Sarrazin, le centre de soins palliatifs à Québec. Encore une fois, elle a demandé à recevoir davantage de personnes que ce qui était prévu au règlement.

Juliette est membre d’une communauté de base à laquelle je participe, c’est notre doyenne, elle a 95 ans. Elle nous apportait une parole de sagesse avec une vitalité incroyable et une lucidité. Ce que je veux dire, c’est que nous avons vécu avec elle un rituel d’adieu, presqu’animé par elle de son vivant alors qu’elle était rendue à Michel Sarrazin et qu’elle nous a rejoint sur zoom. C’est elle qui avait choisi les lectures pour cette rencontre. Il y avait le psaume 63, celui de la personne qui cherche Dieu, il y avait aussi la parabole de la graine de sénevé, la plus petite graine qui donne un arbuste, et un texte qui nous parlait de résurrection. Juliette est une très grande croyante, elle a une foi sereine. L’épisode qu’elle a choisi est celui de la femme qui arrive au Jardin des oliviers le lendemain de la crucifixion pour effectuer un rituel qui consiste à parfumer le corps du défunt. Il y a quelqu’un qui est là et la femme lui demande où se trouve le corps de Jésus. Tout à coup, il se tourne vers elle et il l’appelle par son nom. Alors, Juliette imagine qu’elle arrive au ciel et que Jésus va l’appeler par son nom. Vous voyez son état d’esprit.

Normalement, dans notre communauté de base, il y a un temps où on partage sur l’actualité, mais cette fois, notre actualité ça a été Juliette. J’ai accompagné des personnes mourantes dans mon ministère, mais ce que nous avons vécu ensemble est très exceptionnel, qu’une personne sur le point de partir rassemble ceux et celles avec qui elle souhaite parler, livre son dernier message et témoigne de sa foi dans une grande ouverture d’esprit. Pendant 7 ans, elle a participé aux Nuits de la spiritualité à l’église Chalmers-Wesley. Cela durait 12 heures, avec toutes les traditions spirituelles, les bouddhistes, les hindouistes, les Bahaïs, les musulmans, les protestants, en commençant et en terminant par la spiritualité autochtone. Juliette était à l’aise avec tout cela. Depuis longtemps, ce n’était plus l’institution qui lui dictait sa démarche spirituelle, c’était une démarche profondément intérieure. C’est une grande faveur d’accompagner une personne qui vit sa mort comme une étape vers une autre vie au-delà de la mort. C’est au CAPMO qu’elle a découvert la profondeur de l’engagement pour la justice sociale dans les années 1990. « Comment cela se fait-il que c’est toujours comme cela, que l’injustice demeure ? » Pleine d’indignation, c’était toujours la question qu’elle nous ramenait. Et elle nous quitte avec le même niveau de conviction. Gérald Doré

Son désir d’aider les personnes en situation de pauvreté était puissant. Monique

Je vais prendre la suite parce que je pense que cela va ensemble. Ce qui m’est venue spontanément en pensant à mon père qui nous a quittés depuis bientôt deux ans, c’est sa présence. J’aime bien l’idée de prendre deux ans pour faire son deuil, parce que c’est le temps que cela me prend. C’est aussi le temps qu’il aura fallu pour régler la succession. J’ai été proche de mon père au cours des derniers 10 ans. Ne plus voir la personne qu’on affectionne, cela prend un temps de détachement qui demande son temps. Il est décédé juste avant la COVID, et quand je regarde ce qui c’est passé pendant la pandémie, je me dis que c’est une chance qu’il nous ait quittés avant. Ainsi nous avons pu être avec lui jusqu’à la fin. Pour faire mémoire de mon père, il disait dans ses derniers jours : « Je m’en vais en connaissance de paix. » Il avait fait son chemin. C’est ça qui est ça, c’est maintenant que sont les choses.

Quand j’ai revu Juliette à l’hôpital, nous avons parlé de nos familles qui étaient originaires du Kamouraska, dans le bout de Rivière-Ouelle. Nos ancêtres avaient combattu ensemble l’envahisseur William Phipps qui venait attaquer Québec en 1690. Ils ont participé à une escarmouche sous les ordres du curé de Rivière-Ouelle. C’est comme le passé, le présent et le futur, qui se placent autrement tout à coup. Chacun d’entre nous porte les gênes de ceux qui ont vécu avant, nous sommes comme un heureux mélange. Cela m’enseigne la patience parce qu’il y a quelque chose de lent dans l’aventure humaine dans laquelle nous sommes ensemble. En rendant hommage à mon père, je rends aussi hommage à mes ancêtres. Vivian

Je vais vous présenter Ginette Gratton qui est décédée l’été dernier à la Maison Michel Sarrazin. Je l’ai connue dans le communautaire. La première fois que je l’ai vue, je m’étais dit : « Comme elle a un drôle de parcours de vie. » En faisant sa connaissance, je me suis aperçue qu’elle avait besoin de partager son vécu, ses savoirs, et que la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale était quelque chose qui lui tenait beaucoup à cœur. Ce qui frappait chez elle, c’est qu’elle était toujours prête à aller de l’avant. J’ai des photos d’elle avec le micro dans les mains et je ne pensais jamais qu’elle serait capable de faire cela. Quand je l’ai connue, je ne pensais pas que c’était une femme aussi forte. Même pendant sa maladie, elle s’informait des autres, des luttes que nous menions, lorsqu’on allait la visiter. J’ai eu le privilège d’être invitée par ses filles à faire mes adieux à Ginette à Michel Sarrazin. Pour moi, c’était important. Monique

 Au cours des dernières années, j’ai beaucoup fréquenté Ginette Gratton et Donald Lehouillier. Au moment où j’ai pris ma retraite, ils m’ont payé une croisière sur le Saint-Laurent. Je vais vous parler de Donald qui est toujours présent au CAPMO par les toiles qu’il a peintes. C’était un véritable artiste. En même temps, il s’est beaucoup impliqué dans le mouvement LGBT, surtout pour les victimes du sida. Nous appartenions à un mouvement qui enseigne l’importance de la spiritualité au-delà de toute appartenance religieuse. C’est une spiritualité sans religion. Pour moi, la spiritualité se doit de transcender la religion. Je remercie Donald pour son amitié sincère. RL

J’aimerais vous présenter Dominique Boisvert que plusieurs d’entre vous connaissiez. Il est décédé au mois de novembre d’une tumeur au cerveau. Pendant quelques années, il a été un collègue de travail au Centre justice et foi. Il travaillait à la revue Relations. Il avait fait des études en droit et avait travaillé en solidarité internationale comme coopérant en Afrique pendant quelques années. Dominique a été important dans les groupes de chrétiens engagés pour les questions sociales, à l’Entraide missionnaire, à la revue Relations. Il a aussi été très actif sur les questions de non-violence et sur les enjeux de Simplicité volontaire. C’était un être de passions profondes et d’efforts constants pour maintenir une cohérence entre sa foi, ses valeurs, son mode de vie. Il effectuait une remise en question continuelle. Chaque échange avec Dominique nous révélait les nouvelles préoccupations qu’il avait pour aller encore plus loin dans cette cohérence et ce sens de la justice qui l’habitait profondément. Ma consolation après son départ, ça a été de pouvoir vivre avec lui une journée l’été dernier. Il vivait à Scotstown dont il avait même été maire quelque temps. Ce qui me frappait, c’est à la fois son acceptation de la mort, mais aussi son souci pour les gens. C’était une personne au grand cœur et à l’engagement profond qui avait le souci de ceux et celles qu’il avait côtoyés. Il se sentait appartenir à cette communauté de militantEs. C’est ce qui me rassure. Merci de m’avoir permis de mettre Dominique au cœur de cette rencontre en partageant ce souvenir d’un de ces êtres qui nous remettent en communauté. Même si leur parcours physique et terrestre se termine, ils nous remettent en lien parce qu’ils sont au cœur de la suite des choses. Cela fait la boucle avec la transmission dont nous parlait Robert et Fernand. Élisabeth

 

 

 

 

 

J’aimerais rendre hommage à deux personnes en Colombie. Le premier c’est mon oncle Israël Gil qui était toujours de bonne humeur. Il est mort durant la pandémie. C’était un des plus jeunes de la famille de mon père. Il était très accueillant. C’était un paysan et mes grands-parents étaient autochtones. Là-bas, ce qui départage les paysans des autochtones, c’est le mode de propriété de la terre, les autochtones travaillent la terre ensemble et se répartissent les fruits de leur travail tandis que les paysans produisent en unité familiale. C’est le gouvernement qui a forcé cette division des terres en prétendant que cela serait plus productif. Ce n’étaient pas des consommateurs et lorsque j’allais les visiter je voyais bien qu’ils étaient autosuffisants et il n’y avait aucun déchet dans la communauté. Mon oncle était le dernier à avoir connu ce mode de vie à la campagne. L’autre personne que j’aimerais vous présenter s’appelle Antonio Martinez. C’est lui qui m’a appris l’importance de l’éducation populaire et de la communication quand j’avais 14 ans. Il a la maladie de Hopkins, il est en chaise roulante et il vit ses derniers mois présentement. Cela fait plus de douze ans qu’il survit avec cette maladie, c’est exceptionnel. Il a résisté, il a écrit et il est une personne fondamentale dans l’empowerment des jeunes dans un secteur pauvre de Bogota. Il nous a appris la communication alternative comme moyen d’éducation populaire. Il a été un guide et un père pour moi. Mario

Je vous présente Louise Bergeron, elle est décédée il y a deux ans. Louise m’a apporté beaucoup. Quand j’étais jeune, je l’appelais ma troisième grand-mère. Elle s’est beaucoup impliquée au niveau du diocèse de Québec, elle a adopté quatre enfants, c’était une femme assez remarquable. Elle a été l’une des pionnières du mouvement Foi et partage fondé par Jean Vanier. Elle a beaucoup rendu service à la famille. Quand je suis revenu vivre à Québec en 1993, elle m’a beaucoup aidé parce que je n’avais pas de place où aller vivre et j’ai trouvé une chambre à louer près de chez elle. Elle avait un grand cœur et elle m’accueillait lorsque j’avais besoin de parler à quelqu’un. Elle avait une très grande écoute. Elle a même été décorée par la gouverneur générale Ariette Clarkson pour ses différentes implications. Robert Roussel

J’avais le goût de vous parler de tante Gisèle. C’est la première personne qui m’a accueillie avec autant d’humilité, de bonté, de bienveillance et de gentillesse. Cela fait une vingtaine d’années. À l’époque, je ne comprenais pas comment cette personne qui ne me connaissait pas avait cet égard à mon endroit, moi qui étais dépendante affective et souffrante. Quand elle m’a prise dans ses bras, j’ai senti une énergie que je n’avais jamais ressentie avant. Puis, nous avons continué à nous écrire. Elle avait un accueil inconditionnel envers les gens. Elle m’a montré comment agir avec les personnes que j’aime. J’ai conservé ses lettres comme un trésor. Elle faisait aussi de l’écoute téléphonique et je ne comprenais pas comment elle faisait. Vingt ans plus tard, j’en fais moi aussi. Maintenant, je la porte dans mon cœur. C’est un beau legs qu’elle ma fait. Diane

J’aimerais souligner le départ de Marc Boutin au cours de la dernière année. Ça a été un grand militant, pendant 50 ans, toute sa carrière, il nous a aidés à voir une ville de Québec plus belle dans les projets qu’il soumettait aux autorités, de même qu’il s’est opposé à tout ce qui menaçait la beauté et la convivialité dans les quartiers centraux. YC

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les membres du CAPMO connaissent Guy Boulanger qui fut l’un de ses fondateurs. J’ai eu la chance d’être son biographe pour une partie de sa vie et j’ai travaillé étroitement avec lui à partir de 2006. Quand j’ai commencé à travailler ici en 2009, je le voyais souvent aux soirées mensuelles. En 2010, il a détourné mon voyage au Forum social des Amériques à Assomption au Paraguay en nous faisant atterrir à Santiago au Chili. Il a demandé à m’accompagner et il s’est chargé d’acheter les billets d’avion pour ensuite me dire que nous faisions escale au Chili puisqu’il n’y a pas de vol direct pour le Paraguay. Puisque je terminais d’écrire le livre sur ses 20 ans comme missionnaire, il m’a amené voir les lieux de ses activités et les anciens camarades qui l’avaient accompagné et qui, dans un âge aussi avancé que lui, poursuivaient leur engagement pour les droits humains et la justice sociale. C’était surréaliste, je vous jure. Il m’a ainsi permis de connaître des protagonistes de la lutte à la dictature de Pinochet qui pour moi n’étaient que des noms sur des pages, Mariano Pugas un prêtre ouvrier, un être humain remarquable, et José Aldunate, un jésuite défenseur des droits humains. Célèbres dans leur pays, ils sont décédés dans la même année que lui. Ce que je retiens de Guy, c’est la constance de son engagement tout au long de sa vie. Il était toujours curieux d’apprendre, ce qui l’a souvent amené à prendre des cours de perfectionnement pour mieux connaitre la réalité et servir la communauté qui lui était confiée.

En 1968, il a suivi un séminaire à l’Université de Montréal avec un illustre inconnu du nom de Gustavo Gutierrez, l’un des pères de la Théologie de la libération. Il a frayé avec beaucoup de monde. Il prenait seul l’autobus jusqu’à 90 ans. Il a refusé qu’on souligne son départ de Québec. Il était très humble dans son engagement. Il siégeait au conseil d’administration de la JOC et de la JEC, au MTC, il a fondé le groupe de solidarité internationale Spirale. Guy Bou était partout et il était aimé de tous. Il a vécu à Gatineau, à Montréal, à Québec, à Saint-Jérôme, au Chili, au Nicaragua, à Paris, à Chicago, etc., toujours dans des expériences comme prêtre ouvrier. Au Québec, il a travaillé en usine de contreplaqués jusqu’à l’âge de 60 ans où clandestinement il participait à l’organisation syndicale, puis il a décidé de prendre sa retraite et il est parti 8 ans en mission au Nicaragua sandiniste dans les années 1980. Quand il s’est retrouvé à la maison de retraite des oblats à Richelieu, il était encore en forme et je lui rendais visite à chaque 3 mois environ.

Évidemment à cause de la COVID ma dernière visite remonte à la fin du mois de janvier 2020. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Je m’ennuyais de lui parce que je ne pouvais pas le voir plus souvent. J’étais beaucoup attaché à lui, j’ai appris sa mort le 15 novembre par un courriel.

Ce qu’il me laisse au-delà de ses engagements, je ne pourrai pas faire la moitié de ce qu’il a fait dans ma vie, c’est un modèle et un exemple de comment on doit vieillir. Dans la société de consommation, le sommet de la vie se situe autour de 25 ans, après on amorce un lent déclin, l’expérience de vie et la sagesse ne sont pas reconnues. Dans son cas, le sommet il l’a atteint vers 90 ans. Son témoignage, c’est qu’il n’y a pas de limite, tant que nous sommes capables et que nous le pouvons, nous devons continuer à nous impliquer pour transformer le monde. Je pense que c’est aussi comme cela qu’on peut vieillir en plénitude et en sérénité tout en se sachant utile socialement. Ça a été quelqu’un de marquant dans ma vie et dans celle de plusieurs personnes. Merci Guy pour tout ce que tu as fait pour nous. YC

Je remercie chacun d’entre vous pour ce que vous nous avez apportés. J’y ai entendu beaucoup de dignité et d’amour, des gens qui sont debout. J’aimerais aussi rappeler Yvette Muise qui nous disait : Il faut rêver logique. » Laurette Lepage a écrit en 2001 : « Dans chacune de nos vies, il y a aussi des samedis de vide et de nuits, des descentes aux enfers du mal et de la mort. Au fond de nos tombeaux scellés, n’y a-t-il pas un lieu où toute solitude humaine peut s’abriter dans ton mystère d’amour ? Toi seul qui es descendu dans la profondeur des solitudes, peux aussi y déposer une béatitude, une plénitude de la rencontre et de la compréhension mutuelle. » (Laurette Lepage-Boulet, “Solitude habitée (Samedi Saint), in: Dieu mon Soleil, pages 147-148, Éditions Anne Sigier, 2001. ) Claudia

 

Conclusion

Sur le texte des Atikamekws, au milieu du texte vous voyez le besoin chez l’autrice d’affirmer l’importance que les rites correspondent à la culture des personnes. Il y a ce besoin de réaffirmer une tradition culturelle pour accompagner, cheminer et faire ses adieux, tout en mentionnant que pour certains la tradition catholique demeure importante. Certains se tournent encore vers l’église tandis que d’autres ont besoin de se retrouver dans leur propre tradition ancestrale. L’idée c’est de préparer une célébration qui se situe dans la culture des gens. Dans certaines cérémonies laïcisées, parfois cela sonne très faux, d’autres fois cela fonctionne. Cela dépend de la préparation qui a été faite avec les personnes concernées. Un autre point qui est ressorti, c’est que les êtres qu’on commémore, auxquels on pense et on se lie symboliquement par un rite, nous gardent en lien avec nos engagements malgré leur départ. C’est un élément très important. Cela rejoint l’idée d’une spiritualité au-delà de toute appartenance. Cela ne sert à rien d’imposer un rite dans une orthodoxie quelconque, il faut vraiment qu’il y ait un lien. Parfois les mots qu’on utilise semblent contredire la spiritualité, mais ce sont des paradoxes qui expriment les choses. À travers les transmissions et les célébrations des personnes disparues, c’était aussi un temps de conversion, de relance ou de nouvelle célébration de la vie, d’un nouveau départ, d’un dynamisme retrouvé, pour les personnes qui demeurent et poursuivent leur engagement.

Aujourd’hui, nous sommes le vendredi saint. Que l’on se situe ou non dans la tradition chrétienne, il est difficile d’oublier qu’après plus de 2 000 ans, on fait encore mémoire du départ d’une personne. Pour terminer, j’aimerais vous lire le rituel qui s’est produit, tel qu’il est reporté dans l’évangile de Marc, le premier à avoir été écrit après les événements.

« Déjà le soir était venu, Joseph D’Arimathie, un notable du conseil, s’en vint hardiment trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Pilate s’étonna qu’il fût déjà mort et ayant fait appeler le centurion, il lui demande s’il était déjà mort. Informé par le centurion, il octroya le corps à Joseph. Celui-ci ayant acheté un linceul, descendit Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans une tombe qui avait été taillée dans le roc. Puis il roula une pierre à l’entrée du tombeau. Or, Marie de Magdala et Marie mère de Jaques, regardaient où on l’avait mis. Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé, achetèrent des aromates pour aller oindre le corps. Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont au tombeau comme le soleil se leva. » Dans la suite de l’histoire, dans la tradition chrétienne, alors qu’elles vont pour compléter l’embaumement, elles vont découvrir qu’il est toujours vivant. Alors à chacun de l’interpréter littéralement ou dans un sens plus large et accessible au plus grand nombre. Voilà, c’est ma conclusion. Gérald

Je tiens à vous remercier pour votre participation. Ce partage, parfois émotif, nous a permis de nous révéler les uns aux autres. C’est un moment de vérité que nous avons vécu ensemble. Ce genre d’exercice permet de souder un groupe en nous permettant de mieux nous connaître et d’accroître nos liens d’amitié. Normalement, la mort de quelqu’un d’aimant et d’aimé convoque un rassemblement autour de sa personne pour commémorer sa vie et s’inspirer de son exemple. La douleur que provoquent ces départs représente des occasions de croissance et d’unité. Chaque départ provoque un vide, un espace à combler pour que la vie suive son cours et pour que l’harmonie demeure. Cela signifie également de nouvelles responsabilités à assumer et un rappel à un devoir collectif que nous avons les uns envers les autres. YC

« Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble. », disait John Donne (1624).

Propos rapportés par Yves Carrier

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