Commission de la vérité sur le conflit armé en Colombie, le processus de construction de la vérité en exil
Bonsoir,
Bienvenu à cette soirée mensuelle du CAPMO qui porte sur la Commission de la vérité sur le conflit armé en Colombie. La particularité de cette commission, c’est qu’il s’agit d’une instance qui est née directement des accords de paix avec les FARC et, contrairement à celles d’Afrique du sud ou du El Salvador, elle a un volet international. En effet, elle va dans les autres pays pour interroger les réfugiés expatriés au Canada, en Australie, en Allemagne, aux États-Unis, en France, en Espagne, etc. Ce soir, c’est le volet Québec dont nous allons entendre les témoignages. Maintenant, j’inviterais Chantale Coulombe du Carrefour d’éducation à la solidarité internationale de Québec à prendre la parole afin de situer cette activité au cœur des Journées québécoises de solidarité internationale. Ensuite, Elizabeth Garcia, coordonnatrice de la Commission de la vérité pour le Québec et Mario Gil Guzman vont poursuivre l’animation de la soirée accompagnés des témoignages des participants issus de la communauté colombienne. Yves Carrier
Je suis très contente d’être avec vous ce soir. Je suis la coordonnatrice du Carrefour d’éducation à la solidarité internationale de Québec, le CESIQ. Le Carrefour est un regroupement d’organismes qui travaillent en coopération, mais aussi en solidarité internationale, dont le CAPMO. Nous faisons aussi beaucoup d’éducation et de sensibilisation au concept de solidarité internationale auprès des clientèles jeunesses et adultes. Nous sommes mandatés pour coordonner les Journées québécoises de solidarité internationale qui se déroule en ce moment partout au Québec. Les JQSI sont rendues possibles grâce à l’appui du Ministère québécois des relations internationales et de la francophonie. Nous en sommes à la 24ème édition cette année. C’est toujours dans la seconde semaine du mois de novembre. Le but, c’est de comprendre un peu mieux les enjeux comme celui dont nous discuterons ce soir.
Comprendre aussi comment est-ce que nous pouvons prendre notre place pour nous mobiliser davantage. Cette année, nous parlons du concept de « justice migratoire ». Nous vous invitons à visiter notre site web www.jqsi.ca pour en savoir davantage. Les JQSI sont organisées au niveau national par l’AQOCI, l’association québécoise des organismes de coopération internationale. Malgré la pandémie, nous sommes parvenus à organiser cette semaine dix activités virtuelles. Finalement, dans une perspective décoloniale et antiraciste, nous aimerions prendre acte que cette activité se déroule sur un territoire non cédé iroquoïen du Saint-Laurent et huron-wendat. Nous aimerions remercier tous les peuples des Premières Nations du Québec dont les territoires sont occupés par des barrages hydro-électriques qui nous permettent ce soir d’avoir de l’électricité et un réseau de communication Internet qui fonctionne. Bonne soirée. Chantale Coulombe
Mario Gil nous présente Michelle Harb à Bogota, responsable pour le volet international de la Commission de la vérité.
Bonsoir et merci beaucoup pour l’invitation. Je m’excuse de pas parler français. Je suis commissaire pour la Commission de la vérité et coordonnatrice pour ses travaux en Amérique du nord sur le thème de l’exil. Cette commission a pour fonction d’offrir une explication large sur les événements survenus pendant le conflit armé en Colombie. Beaucoup a été dit et écrit sur ce qui s’est passé pendant ces années. Maintenant, nous avons besoin d’une vérité qui nous aide à franchir l’étape que nous vivons après la signature des accords de paix. La Commission de la vérité a reçu le mandat de reconstruire quelque chose de fondamental qui est absent de l’histoire de la Colombie parce qu’une partie de sa mémoire se trouve à l’étranger avec les 550 000 personnes réfugiées. C’est pourquoi la Commission a débuté son travail pour recueillir cette vérité dans plus de 23 pays à travers le monde en s’appuyant sur l’aide de bénévoles expatriés qui ont su gagner la confiance des témoins des actes de violence. Jusqu’à maintenant, nous avons recueilli 1 200 témoignages de personnes exilées. Une analyse systématique de ceux-ci a été réalisée afin de rédiger le rapport final. Ce vendredi 13 novembre, aura lieu une rencontre pour la vérité qui est une grande reconnaissance des exilés colombiens. Le rapport s’intitule : « Le retour de nos voix. » Ainsi, nous avons l’intention d’amorcer un dialogue autour d’un thème qui a été complètement ignoré avec le conflit armé. Je laisse maintenant la parole à Elizabeth et à Mario qui ont participé à la cueillette des témoignages au Québec sur ce qui s’est passé en Colombie avant leur exil. Michelle Harb
Je remercie Michelle pour son travail qui a été très important pour nous. La plupart des Colombiens qui assistent à cette rencontre sont soit des bénévoles qui ont travaillé à la mise en place de cette commission, soit des témoins. Il faut rappeler qu’il y avait trois équipes au Canada, une dans l’Ouest du pays, une en Ontario, et une autre au Québec. Mario Gil
Je suis très contente de rencontrer les gens de Québec et je pense que c’est une bonne occasion pour nous réunir autour d’un sujet qui nous interpelle beaucoup, la paix en Colombie. Merci ! Elizabeth Garcia
Vidéo sur les réfugiés colombiens au Canada
« En 1994-1995, le gouvernement colombien était ouvertement paramilitaire. Des gens se faisaient assassinés à chaque jour. Nous devions faire quelque chose. Malheureusement pour ma famille, les paramilitaires ont vite compris que pour attraper mon père, ils devaient s’en prendre à moi. M’attraper était la façon d’avoir mon père. J’ai été emprisonnée pendant 11 mois comme prisonnière politique. Après trois mois d’emprisonnement à la prison municipale, mon père a été assassiné. Deux semaines après j’ai été transférée dans une prison à sécurité maximum. C’est là que ma plus jeune fille est née. Ce poème est vraiment important pour moi parce qu’il a été écrit par mon père. Il représente tout ce que mon père était. S’il y a une chose qui décrit la relation que j’ai eue avec mon père, c’est bien cela. C’est probablement la dernière chose qu’il m’a écrit. Mon dernier avocat qui était un ancien collègue universitaire de mon père, m’a dit un jour : « Tu dois absolument t’en aller d’ici. C’est la seule chance que tu as. Je vais continuer à te représenter, mais tu dois partir. Si tu restes, ils finiront par t’assassiner toi aussi.» Lorsque nous avons quitté la Colombie, nous sommes d’abord allés en Équateur, puis au Pérou. Nous avons ensuite traversé le Brésil et nous sommes restés un an et demi au Venezuela, pour finalement nous établir à Windsor en Ontario. La première réflexion que je me suis faite en arrivant au Canada, c’est que la plupart des choses pour lesquelles nous devons nous battre dans mon pays, sont accessibles ici. Par exemple, nous devons nous battre pour avoir accès à l’éducation alors qu’ici c’est gratuit. Ce n’est pas nécessairement facile, mais nous pouvons faire des études universitaires et faire ce qui nous plait. En Colombie, nous devions nous battre pour cela. Et certains mourraient à cause de cela. Les jeunes se battent toujours pour cela en Colombie. Une autre chose qui m’a marquée, c’est le sentiment de liberté. J’ai connu cette sensation seulement lorsque je suis arrivée au Québec. J’ai sentie que je pouvais m’exprimer et donner mon opinion, dire ce que je pense et ce que ressens sans penser à qui sont les gens qui m’écoutent en ce moment ou s’il va m’arriver quelque chose parce que j’ai dit cela. Jusqu’à un certain point, être ici est une victoire de l’histoire de mon père parce que je sais que je n’obtiendrai jamais justice devant les tribunaux colombiens. Par contre, le fait que je sois ici représente une victoire pour nous.» Alexa Utrea
Bonsoir, j’espère que nous allons avoir un bon partage sur le travail de la Commission de la vérité et sur les organisations des victimes qui existent au Canada. C’est ce qui nous a permis de faire entendre notre voix en Colombie. Lorsque nous avons fuit la guerre, une partie de la vérité est venue avec nous ici. C’est fondamental pour nous de partager cette vérité parce que ce n’est pas possible de construire la vérité sans que nos voix soient entendues. Elizabeth Garcia
Je vais vous présenter maintenant Yivis Gonzalez qui a témoigné à cette commission. Mario
Bonsoir, j’habite ici depuis 17 ans et je suis venue au Québec avec mon fils à cause de la guerre qu’il y avait dans mon pays. Je considère que la Commission de la vérité est très importante parce qu’elle recueille les témoignages de ceux et celles qui ont dû quitter le pays à cause du conflit armé de plusieurs décennies. Nous avons témoigné pour que ce conflit ne se répète pas et qu’il y ait une réparation morale pour les victimes.
Quitter notre pays a représenté de nombreuses souffrances car nous avons tout abandonné, mais ici je suis contente parce que je profite de mon nouveau pays. C’est un bon pays. Cependant nous sommes tristes en raison de l’éloignement de la famille. Yivis Gonzalez
J’aimerais remercier ceux et celles qui ont participés à la recherche de la vérité sur un conflit qui a duré plus de soixante ans et qui a fait plus de 8 millions de déplacés internes sur une population de 45 millions de personnes. Pendant cette période, le gouvernement et les militaires colombiens ont attisé le feu de la haine au lieu de chercher à pacifier le conflit en s’attaquant aux causes. Ils ont contribué à renforcer les inégalités sociales et la violence envers la population ainsi que le pillage des terres de millions de Colombiens et de Colombiennes. Aujourd’hui, ces victimes sont nostalgiques, une partie de leur vie appartient à cette histoire tragique qui ne cesse pourtant de se reproduire. Avec leur dignité et leur conscience, ils luttent pour que cela ne se produise pas à nouveau. Jamais ils ne vont se résigner au silence qui est ressenti comme une peine supplémentaire. Au contraire, avec leur voix et leur témoignage, ils reconstruisent cette mémoire outragée. Elizabeth va maintenant nous parler de ce que nous avons appris lors des audiences de cette commission et vers quoi on s’en va. Mario
Tout d’abord, je veux vous parler de ce qu’est la Commission de la vérité. Comme vous savez, l’accord de paix signé entre le gouvernement colombien et les FARC prévoit un système intégral de restitution de la vérité, de justice et de réparation. Celui-ci envisage plusieurs mécanismes et mesures de justice transitionnelle, notamment l’établissement d’une commission portant sur le rétablissement de la vérité et la non répétition des actes de violence. Ce n’est pas la première commission de la vérité qui existe dans le monde, mais c’est la première qui cherche à rétablir la vérité sur un conflit armé de plus de 60 ans en tenant compte de tous les témoignages, incluant les personnes qui ont du fuir leur pays pour sauver leur vie. Entre, 500 000 et 1 000 000 de personnes sont parties à cause du conflit armé. Une autre chose importante à savoir sur la commission de la vérité, c’est la question de genre. C’est la première fois que les femmes ont pris la parole pour être présentes dans le processus ayant mené à la signature des accords de paix. Au Québec, nous avons recueilli 200 témoignages. Normalement, nous pensons que lorsque nous racontons notre histoire, il ne s’agit que d’un récit des choses qui se sont passées et que cela ne va rien donner. Sauf que nous avons espoir que le rapport de la Commission de la vérité va servir pour changer certaines choses pas seulement en Colombie, mais ailleurs également. La première question que nous nous posons est quel est le rôle que doit jouer un pays comme le Canada pour mettre fin au conflit armé en Colombie? Quelle est la contribution que le gouvernement canadien et les organisations sociales peuvent accomplir pour mettre fin à ce conflit? Je suis ici depuis 11 ans. J’ai toujours habité à Québec. En Colombie, j’étais avocate de profession et j’ai refait mon droit à l’Université Laval. J’ai appris le français et j’ai beaucoup milité dans des organismes comme Développement et paix, Unité Québec, où j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes impliquées comme vous, très intéressées par la justice sociale, mais je me suis rendue compte que les barrières ne sont pas tombées. Au Canada et au Québec, il existe des organisations de victimes qui essaient de mettre en évidence les conséquences de la guerre en Colombie. Elizabeth Garcia
À chaque fois que nous pensons être assez qualifiés, on nous demande quelque chose de plus. Nous sommes bien ici, nous avons des services de santé et nous pouvons étudier, mais le Canada ce n’est pas le paradis. Il existe du racisme, de la discrimination et de la stigmatisation. Il y a encore beaucoup de barrières pour que nous puissions nous réaliser professionnellement.
Un rapport récent révèle que 70% des réfugiés vivant au Canada n’ont pas reçu d’accompagnement psychologique depuis leur arrivée. Nous sommes toujours blessés par la guerre, mais le gouvernement ferme les yeux parce qu’une fois ici nous ne représentons qu’une force de travail pour faire grandir ce pays. Il n’y a pas vraiment de reconnaissance envers le travail qu’accomplissent les immigrants et les réfugiés. L’appel d’aujourd’hui consiste à développer notre empathie envers les autres, ceux et celles qui viennent de partout dans le monde. Il ne suffit pas d’ouvrir la porte du pays aux immigrants pour qu’ils soient heureux. C’est aussi une responsabilité que nous avons de changer le monde en leur tendant la main. C’est ça la solidarité. Nous devons assumer collectivement et individuellement que nous sommes un pays d’accueil. Le refuge doit cesser d’être juste un droit, il doit être un projet pour ceux et celles qui ont besoin d’être accueilli non seulement dans un pays, mais dans un foyer. C’est votre responsabilité et la nôtre de faire connaître les résultats de la Commission de la vérité.
Il faut faire en sorte que tous les députés connaissent la réalité de la Colombie parce que le conflit armé n’est pas encore terminé. Chaque jour, il y a des assassinats et des violations des droits humains, surtout des leaders sociaux. Alors le rapport va être un outil qui va nous permettre de faire connaître la vérité. Je vous invite à connaitre la SOVICA, une association des victimes qui vivent au Canada. La semaine prochaine, nous allons sortir un guide destiné à tous les Canadiens pour qu’ils sachent ce qui arrive en Colombie et leur offrir certaines recommandations pour améliorer la situation. Les Colombiens sont l’un des peuples qui a le plus souffert dans le monde et parmi eux, on retrouve au premier rang les peuples autochtones et afro-colombiens. Les femmes aussi sont des victimes par excellence du conflit armé. Être solidaires, cela signifie aussi connaître la réalité de ce qui se passe là-bas. Ouvrir les portes du pays, cela ne suffit pas. Le Canada doit élever la voix sur la scène internationale pour défendre les droits humains en Colombie. Sauver la vie, c’est aussi donner un foyer avec dignité à tous ceux et celles que nous accueillons. C’est difficile de parler de ce sujet parce qu’il y a tellement de choses à dire. Merci de votre solidarité. Elizabeth Garcia
Présentation de quelques faits sur les réfugiés colombiens qui vivent parmi nous
La durée du conflit armé en Colombie et l'utilisation des déplacements forcés comme stratégie de guerre ont produit l'un des mouvements de migration le plus important du continent à l'intérieur et à l'extérieur des frontières d'un même pays.
Entre 1980 et 2017, sévit une période grande violence en Colombie: massacres, déplacements forcés, assassinats de leaders sociaux et aggravation du conflit armé. 70 035 personnes d’origine colombienne vivent au Canada. De ce nombre, 45,4%, soit 31 860 ont été reconnues comme des réfugiés. La majorité a été forcée de migrer entre 1998 et 2010. 81% du total sont des réfugiés. Parmi ceux et celles qui arrivent au Canada au cours des années 1998 à 2010, 40 % sont des réfugiés ayant un niveau d’études universitaire, tandis qu’au cours des autres périodes la majorité, 70%, n’avaient que des études secondaire ou technique.
Profil d’âge
La majorité sont des jeunes âgés entre 15 et 29 ans, suivis des adultes de 30 à 44 ans. La proportion de mineurs est également significative (24%), ce qui indique qu'un nombre important de Colombiens en situation de réfugiés appartiennent à une population jeune qui subit les impacts intergénérationnels du conflit armé. Ils, elles, arrivent principalement à Montréal et à Toronto.
Les conséquences de l’exil forcé
Perte de trajectoires sociales en tant que dirigeants. L'un des dommages psychologiques les plus importants est la rupture de la relation avec le territoire, avec le sentiment d'appartenance à une communauté, c'est-à-dire qu’ils vivent le déracinement comme un sentiment permanent d'éloignement, de nostalgie et de perte.
De plus, le fait d’avoir entrepris un voyage migratoire et d’essayer de refaire leur vie dans une autre société génère de nouveaux impacts et dommages à la personne. Il y a les dommages matériels et physiques tels que la perte d'actifs et de projets productifs, mais aussi la non-reconnaissance des références et de l'expérience lors du franchissement des frontières internationales.
Un sentiment d’inexistence, d’isolement, tant pour sa condition d’exilés, que par la situation migratoire.
La langue, le manque de reconnaissances des expériences et du parcours, la discrimination systémique, et la xénophobie sont, entre autres, des éléments qui empirent les conséquences du processus migratoire des refugiés.
Il y a une grand différenciation du genre, les hommes et les jeunes apprennent plus rapidement la langue, et les codes culturels dans le cas des jeunes. Cela fait d’eux des médiateurs entre leurs parents et la société d’accueil. C’est vers eux que les ainés se tournent pour assurer le mieux être de la famille. Cela produit une surcharge des responsabilités pour les jeunes.
Le changement de situation renforce également les conflits familiaux. Il y a beaucoup de divorces, les hommes voient leur rôle de pourvoyeur affecté à cause de la précarisation de leur capacité de trouver du travail. Sur le plan économique, plusieurs familles démarrent leur propre entreprise dans les secteurs de l’entretien ménagé, la construction, les garderies, etc. Leurs employés sont souvent les membres de leur famille et leurs amis.
La Commission de la vérité nous montre la persistance et même l'aggravation de la méfiance des victimes vivant à l'étranger envers les institutions ou les représentants du gouvernement colombien et leur crainte d'approcher ces instances. Cette méfiance est entretenue non seulement par la perte ou l'affaiblissement des liens avec la Colombie, mais en particulier par l'existence d'une grave situation de violence contre les dirigeants sociaux après l'accord de paix. Ceci génère une certaine méfiance en lien avec la protection de leur famille encore présente au pays. Défendre la vérité, c’est défendre la mémoire collective. (Dans le conflit en Colombie, les victimes civiles ont toujours été présentées comme des membres de la guérilla que le gouvernement était obligé d’éliminer. Rétablir la vérité, c’est aussi rétablir leur légitimité en tant que victime de la répression.) Fin de la présentation du diaporama de Mario Gil
Échanges avec les participants
* Pour moi, la paix c’est la réconciliation et le pardon. Sauf qu’en Colombie, la paix n’est pas encore réalisée et la violence se poursuit et s’aggrave. À chaque jour, si vous regardez les informations en Colombie, il y a quelqu’un qui est assassiné. Je pense que la situation demeure très difficile. Oui, il y a la Commission de la vérité, mais on se sent impuissant devant cette violence qui se poursuit comme avant.
* Je m’appelle Julio Robledo et je suis un réfugié colombien au Canada depuis 20 ans. Dans mon pays, je travaillais comme procureur des droits humains pendant 15 ans. À cause de mon engagement, j’ai reçu des menaces de mort et j’ai subi un attentat contre ma vie en 1989. Ceci en raison de la lutte que nous avons menée contre les injustices, la corruption, le paramilitarisme, et aussi la violence qui était omniprésente. Je viens d’une petite ville qui compte environ 200 000 habitants. Il y a bientôt un an, mon frère André qui était connu comme leader paysan, a été assassiné. Il avait fondé une organisation paysanne qui regroupait une dizaine de petits villages pour défendre l’environnement et le droit à la terre, l’éducation et le projet communautaire. Il a été assassiné parce qu’il a dénoncé la corruption qu’il y avait dans l’administration municipale. Les paramilitaires ont pris l’habitude d’abandonner les corps de leurs victimes sur une route panoramique en montagne. Là-bas ont été retrouvés les corps de cinq paysans. Tous les villages qui bordent cette route ont subi des violences et des assassinats. En ce seul endroit, on dénombre 400 morts et 6 000 personnes déplacées. Le plus déplorable, c’est que tout cela se produit dans l’impunité la plus complète. Les gouvernements agissent de concert avec les paramilitaires et la police, les forces armées et un grand nombre de fonctionnaires publics.
C’est important ce que Julio vient de nous raconter. Il nous raconte le mode d’opération de la guerre en Colombie qui consistait à faire disparaître l’opposition et la pensée critique, de même que les organisations qui défendaient le territoire ou l’environnement. Julius nous rapporte le cas d’une organisation paysanne. Ici au Québec, ils sont deux survivants de cette association qui a été décimée. En 1990, nous avons assisté au génocide des membres d’un parti politique appelé l’Union patriotique. Ce parti avait été créé pour négocier un accord de paix. Il y a eu 5 000 morts pour ce seul parti politique. C’est pour vous dire à quel point la participation politique était fondamentale dans les accords de paix. Nous souhaitions ouvrir l’espace à la participation politique. Après autant d’assassinats, ils se sont dit que cela était nécessaire, mais même cela a été détruit par ceux qui souhaitent poursuivre la guerre (devenue une industrie en ce pays). Mario Gil
* La solution à la violence, c’est de rétablir la justice et de mettre fin à l’impunité. La corruption politique est absolument incroyable. Cela provient du plus profond du corps de la personne. Ils n’ont plus aucun sentiment envers les êtres humains, les animaux, les plantes ou l’environnement. Les adeptes de la mort n’éprouvent plus rien. Cela fait plus de 20 ans que les paramilitaires règnent sur la province du Cauca en toute impunité et que les habitants vivent dans la terreur. Je suis une personne positive, mais la situation est triste. J’ai peur que rien ne change dans cette région à cause de la corruption des politiciens et de leurs liens avec la grande criminalité. (Pouvoir et criminalité se conjuguent et se renforcent en ce pays.) Julio Robledo
Moi, ce que je n’admets pas, c’est la complicité du gouvernement canadien qui a signé un accord de libre-échange avec le gouvernement colombien. Il nous dit que ce sont des gens respectables, il se ferme les yeux et se pince le nez pour ne pas voir ce qui se passe là-bas. Pendant ce temps, avec le groupe de Lima, le Canada se retrouve avec une gang de bandits, des gouvernements corrompus, pour dénoncer le gouvernement du Venezuela parce qu’il offre la santé, l’éducation et le logement à son peuple. Le Canada dénonce le Venezuela et il appuie Israël avec les États-Unis. Nous n’avons pas de politique étrangère indépendante de Washington. Nous sommes encore des laquais des Américains et cela me fait de la peine de voir que nous sommes aussi faibles, aussi minables, incapables d’exprimer des convictions sur la scène internationale. YC
* Ce soir, nous parlons beaucoup de la blessure et des effets d’une situation. J’aimerais qu’on nous parle des éléments structuraux, des forces en présence dans la société colombienne et des causes, des leviers qui permettent à ces forces de réaliser ce qu’elles font. Deuxièmement, est-ce que dans ces forces qui font perdurer le conflit, il y a des intérêts canadiens? Y a-t-il par exemple des compagnies minières en Colombie comme il y en a un peu partout? Est-ce que comme Canadiens nous participons, sans le vouloir, mais à travers nos sociétés multinationales, à la structuration du conflit? À travers les symptômes et les effets de la blessure, est-ce qu’il ne faut pas parler aussi de cela? Je comprends qu’Élizabeth voudrais que nous soyons participants à créer un foyer, mais si nous sommes complices de la situation en Colombie, c’est un problème fondamental.
Sheila peux-tu nous parler de ton expérience de la Colombie et de la responsabilité du Canada sur les causes du conflit armée? EG
* Actuellement, la situation en Colombie est très difficile. Il y a des événements violents, plus particulièrement dans les communautés autochtones et afro-descendantes. Comme Canadiens, nous devons porter attention aux massacres qui se produisent toujours et aux assassinats des leaders sociaux. Il faut nous demander quel est le rôle de la communauté internationale? Par exemple, le Canada a des intérêts économiques là-bas, mais nous avons aussi la responsabilité d’accompagner les processus sociaux dans les différents territoires. Parfois, c’est très difficile d’entendre des témoignages directs en provenance des territoires. Il faut avoir des espaces comme nous avons ce soir pour partager l’information. Il y a une situation de crise humanitaire sur la côte pacifique de la Colombie, dans le Choco. En ce qui concerne le Canada, nous devons nous positionner de manière déterminée. Il y a un projet d’accord humanitaire qui va être présenté dans les prochains jours. Je pense que dans le contexte de la présentation du rapport de la Commission de la vérité, il est temps de dénoncer la violence qui sévit présentement. Je suis heureuse qu’il y ait des Canadiens qui se sentent concernés par la situation en Colombie. SG
L’an dernier, nous avons reçu Isabel Zuleta qui est venue nous parler de Hydro-Ituango, un projet financé par la Caisse de dépôt et placement du Québec. Ce barrage est construit sur le lieu de massacres qui se sont produits en 1996. Le lien est direct même s’ils prétendent ne rien savoir. Le Canada est devenu l’un des acteurs les plus dangereux dans l’exploitation des ressources minières à travers le monde. Cela est rendu possible grâce à ses alliances avec l’extrême-droite en Colombie, confirmées par la signature d’accord de libre-échange entre les deux pays par le gouvernement de Stephen Harper. Cette mainmise des sociétés minières canadiennes en Amérique latine trouve son origine à la bourse de Toronto où, avec des capitaux étrangers, elles se revendiquent comme étant canadiennes. Certains conseillers du gouvernement canadien sont même intervenus dans des pays comme le Honduras, après le coup d’État contre Manuel Zelaya, pour modifier les législations du travail et de l’environnement afin de les rendre plus favorables aux intérêts des sociétés étrangères. Dans tous les pays d’Amérique latine, sauf en Bolivie, à Cuba et au Venezuela, les compagnies minières peuvent emporter 95% de leurs bénéfices. De plus, il y a des arbitres installés à New York qui, en cas de litige, tranchent entre une société et un pays. Cela se fait presque toujours à l’avantage des multinationales. Par exemple, une société minière canadienne a déposé une plainte contre la Colombie au montant de 150 milliards de dollars et le tribunal a tranché en sa faveur. Cela représente 25% du PIB du pays. Tout cela parce que le gouvernement a interdit d’exploiter une mine d’or au cœur d’une réserve écologique protégée en Amazonie où habite une communauté autochtone. C’est cette relation qui s’instaure un peu partout. Des sociétés canadiennes accaparent également les terres fertiles dans de nombreux pays. Toutes les ressources stratégiques supposément bonnes pour l’environnement proviennent d’Amérique latine et d’Afrique. J’aimerais vous présenter Teresa et Carlos. Ce sont des gens que j’aime beaucoup. Ils sont d’une créativité incroyable. Comment voyez-vous votre participation à la Commission de la vérité? Mario Gil
* Depuis 1979, nous avons été témoins du conflit dans différentes régions du pays. Nous avons participé à la Commission de la vérité afin de dénoncer les crimes commis par les acteurs du conflit. Nous avons habités dans plusieurs régions de la Colombie, en Amazonie et dans la vallée du Cauca. Nous avons travaillé avec les membres des Premières Nations. À plusieurs reprises, nous avons été témoins des outrages aux droits humains de la part des militaires, des narcotrafiquants, des paramilitaires et de la guérilla. Nous avons dénoncé l’implication de tous dans le trafic de drogue et nous avons reçu de nombreuses menaces de mort. C’est aussi pour cela que nous nous sommes souvent déplacés, toujours en nous cachant. La lutte à la drogue servait souvent de prétexte pour persécuter les populations civiles. La plupart du temps, la population vit dans la pauvreté et les militaires étaient les plus riches parce qu’ils s’appropriaient tout. Le trafic de drogue est la cause de nombreuses violences et les militaires sont impliqués. Depuis 1980, le narcotrafic est devenu un acteur important dans cette région (l’Amazonie colombienne). Auparavant, c’est l’abattage des arbres pour coloniser ces terres qui était le principal problème. Les conflits se règlent trop souvent par la violence. Teresa
Teresa et Carlos sont au Québec depuis 2003. Ce sont des enseignants de carrière. Ils ont ouvert une belle garderie et ils continuent à faire de l’éducation. Je suis fier de vous, merci d’être ici présents. MG
* Comme témoins ou victimes, quelle a été votre expérience comme participant-e-s à cette commission? Quelle fut pour vous l’importance de ce type d’initiative?
Moi, je suis victime de la guerre. Avant de participer à cette commission, je pensais que la seule douleur qui existait dans le monde, c’était la mienne. Mais à chaque fois que j’entendais le témoignage de quelqu’un, je me disais : « Mon Dieu, je ne serais pas capable de chausser les souliers de cette personne. » Donc, c’est une expérience qui m’a permis de me reconnaître dans les douleurs des autres victimes de la guerre en Colombie. Seule, je n’étais pas capable de le faire. Ce que produit la guerre, c’est de nous amener à penser que les autres victimes sont nos ennemis. Alors on commence à se chicaner pour savoir qui est davantage victime. Je pense que la solidarité consiste aussi à pouvoir se reconnaître dans la douleur des autres pour essayer de construire ensemble un pays malgré toutes ses souffrances. Qu’est-ce qu’on peut faire en tant que victime du conflit en Colombie si tu vis hors du pays en étant consciente que la guerre n’est pas encore terminée? Les gens nous disent que les conditions sont pires aujourd’hui que lorsque nous y étions. Notre vécu ne nous a pas permis de vivre en paix dans le pays où nous sommes nés. C’est le premier droit que n’importe quel être humain doit avoir, celui de pouvoir réaliser sa vie en paix dans son pays. Je commence à me demander si finalement l’accueil des réfugiés ne serait pas une façon pour les autres pays de se laver les mains. Je me rappelle lorsque j’étais là-bas comment l’argent de la coopération internationale servait à payer des groupes armés. Finalement, lorsqu’on arrive ici, on doit remercier le Canada de nous accueillir. Ce n’est pas le Canada qui m’a offert un foyer, mais les gens qui m’ont ouvert leur porte et leur cœur. Le Canada a contribué à ce que je quitte mon pays en bénéficiant du conflit en Colombie. Ce qui était un paradis est devenu un enfer pour ceux et celles qui veulent la paix en Colombie. Si le Canada est considéré comme un paradis pour les réfugiés, il contribue aussi aux causes qui provoquent des réfugiés. Elizabeth Garcia
Quand j’entendais des témoignages un peu partout au Québec, il y avait des choses qui se répétaient. Avec Élizabeth, j’ai vécu une année en Colombie pour réaliser un projet avec Oxfam Québec à l’époque de la négociation des accords de paix. L’atmosphère était complètement différente de celle que j’avais connue. Il y avait plein de possibilités d’aller visiter les familles dans les campagnes qui étaient inaccessibles auparavant. Aujourd’hui, c’est cette génération qui est dans les rues pour exiger des meilleures conditions de vie et pour que la paix se réalise. Sauf que maintenant, la violence de la répression est pire qu’avant. Il y a des images qui montrent la police ouvrant le feu à balles réelles sur les manifestants à plusieurs endroits de la capitale en même temps. Ceci démontre qu’ils ont reçu l’ordre de le faire. Ils ont réintroduit la torture et les assassinats ciblés des leaders sociaux. Après cela, ça va être tellement difficile de reprendre le processus de paix. La Commission de la vérité est un appareil pour faire la vérité sur les victimes de la guerre pour que nous ne répétions pas le même processus. Sauf que les conditions politiques actuelles poussent à nouveau le peuple à se soulever. Être en quête de la vérité, c’est se sentir appartenir à l’histoire. Mario Gil
* Est-ce qu’avec cette recherche de la vérité, il vous est possible de porter des accusations contre les élites et les intérêts étrangers ayant bénéficié de la poursuite du conflit armé? Est-ce que vous pouvez faire la vérité jusque là ou seulement au niveau des blessures?
L’accord de paix, ce n’est pas juste la Commission de la vérité. Nous avons la juridiction spéciale de paix et une commission pour la recherche des personnes disparues. La Commission de la vérité ne possède pas de pouvoirs judiciaires. Son travail consiste à enquêter pour trouver et rétablir la vérité. Par ailleurs, la juridiction spéciale de paix a une fonction juridique d’établir la responsabilité des acteurs impliqués dans le conflit. La seule difficulté que nous avons, c’est que les entreprises ne sont pas tenues de témoigner même s’il est connu qu’elles ont joué un rôle très important dans cette guerre. Donc, en ce qui concerne les entreprises, c’est une participation volontaire. Par contre, c’est une obligation pour les acteurs armés qui ont pris part au conflit. Un autre problème en Colombie, c’est que tout le monde a peur de la vérité. S’il ne s’agit que d’une vérité symbolique, ce n’est pas grave. Si on ne fait que parler des choses romantiques comme bâtir un refuge, parler de mémoire, faire des projets artistiques, il n’y a aucun problème. Mais si on commence à parler de qui a tué qui pourquoi? Ou de trouver les auteurs intellectuels des assassinats, nous commençons à avoir des problèmes. C’est pour cela que les tueries n’arrêtent pas et qu’à chaque jour il y a des leaders sociaux qui sont tués. Finalement, les communautés ont pris la responsabilité de trouver la vérité et d’exiger que cela ne suffit pas de parler de la mémoire d’une façon romantique. Les familles veulent savoir où se trouvent les corps des frères et des sœurs disparus à cause de la guerre. Par qui et pourquoi mon frère a été assassiné? Par qui et pourquoi, ma sœur a été violée? Qui a donné ces ordres? Alors on parle des centres du pouvoir et pas seulement en Colombie. Mon pays a souffert de l’ingérence de nombreux pays qui ont contribué économiquement et politiquement à ce que beaucoup de communautés soient obligées d’abandonner leur territoire. En fin de compte, il s’agit toujours d’une question d’accès aux ressources naturelles. Notre terre, qui pour nous était sacrée, a été violée. C’est la Terre-mère qui est la première victime de la guerre en Colombie. EG
* Deux choses. Premièrement, concernant les sociétés minières canadiennes, c’est un sujet que j’ai beaucoup travaillé avec mon ami Alain Deneault qui a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet et qui avait dénoncé, lors d’un congrès des Verts mondiaux à Dakar au Sénégal, cette mainmise sur les ressources naturelles des pays du sud. C’est mondial. Je me souviens d’un congrès à La Paz en Bolivie où des autochtones voulaient s’en prendre à moi parce qu’ils pensaient que le Parti Vert supportait les minières canadiennes alors que nous les dénonçons. Selon Alain Deneault, le Canada est un paradis fiscal pour les entreprises minières. D’ailleurs plusieurs de ces sociétés appartiennent à des intérêts étrangers et agissent sous couvert canadien parce qu’elles ont des avantages fiscaux qui les incitent à la faire. Comme Canadiens nous pourrions déjà combattre ces avantages fiscaux. Deuxièmement, je me souviens lorsque j’étais étudiant à la maîtrise à l’ENA. Dans la plupart de mes classes, il y avait plus d’étudiants rwandais que québécois. Pourquoi ? Parce qu’au Rwanda, à la suite du génocide, il y avait la commission nationale pour l’unité et la réconciliation. Ces étudiants étaient venus apprendre comment fonctionnent nos lois. L’un d’eux un jour m’a dit que le système de justice mondiale ne fonctionne pas auprès du peuple. Les Rwandais, s’ils s’en sont sortis, c’est parce qu’ils ont été cherché dans leurs traditions. Ils ont fait une commission, mais pas en se référant à nos lois, mais à leurs références traditionnelles. Avez-vous des traditions autochtones pour le règlement des conflits?
Les autochtones sont toujours présents en Colombie. Nous sommes plus d’une centaine de peuples. Chacun a ses autorités traditionnelles et sa propre façon d’exercer la justice. Une chose que fait la juridiction spéciale de paix, c’est qu’elle inclut parmi ses juges une représentante des Premières Nations. Ce sont des femmes qui ont toujours vécu et lutté pour la défense de l’autonomie des communautés sur leur territoire et la défense de leur identité. Un élément très important dans tout ce que nous sommes en train de bâtir en Colombie avec le système de justice transitionnelle, c’est justement la justice réparatrice. Le principe de ces communautés, c’est qu’ils ont leur manière de régler leurs problèmes. Ils ont un système de justice qui est très fort. Il faut juste commencer à ouvrir les yeux et les oreilles pour commencer à les écouter en parlant moins. C’est cela le message que les communautés autochtones, paysannes et afro-descendantes, sont en train de donner à la Colombie. « Écoutez-nous, nous avons un message à vous livrer, nous avons des choses à vous apprendre. Il faut que vous soyez plus ouverts pour nous entendre.» EG
* Comment pouvons-nous faire des actions de revendications ici pour exiger que les investissements de la Caisse de Dépôt ne se fassent pas pour détruire l’environnement et les peuples en Colombie?
* Moi je pense qu’une chose qui pourrait beaucoup aider la Colombie, c’est l’éducation. Un peuple bien éduqué ne se laisse pas manipuler. Les régimes populistes d’extrême-droite manipulent l’information et ils font croire n’importe quoi à leur peuple. Les moyens de communication servent aussi à endormir la population. C’est un pays riche qui est appauvri par la violence. Pourquoi est-ce que les jeunes deviennent paramilitaires? C’est parce qu’il n’y a pas d’accès à l’éducation. Ce que j’aime ici, c’est que nous vivons en paix.
Je vais vous lire un poème que j’ai écrit pour ce soir.
Réfugier, fuir, reculer.
Arriver au sommet de l’endurance
Se voir confronté à l’impossibilité de vivre,
de respirer.
Avoir peur, perdre la foi, avoir le cœur brisé.
Se décider à recommencer.
Arriver à l’impasse du futur.
Pourquoi partir?
Qu’est-ce qui nous attend?
Qui va soigner mes terres?
Qui va jouer avec mes amis?
Qui donc s’occupera de mes animaux?
Qui protègera la communauté?
Qui dira, qui parlera, qui dénoncera, qui élèvera la voix?
Partir, s’en aller, se déplacer, se briser.
On reviendra!
Nous allons nous revoir, c’est sûr!
Nous allons pouvoir changer cette réalité ensemble!
Rien n’arrêtera notre désir de changement.
Les femmes du mouvement? Les enfants de l’école?
Les camarades? Mes collègues?
Mes compagnons, mis Compañeros?,
mis compañeras?
Que sera-t-il donc de tout cela?
J’apporte avec moi la douleur de mon départ.
J’amène les visages des amis.
Je suis toujours la même personne.
Ces blessures m’ont abattu,
Mais je me suis relevé.
Je peux parler,
Je veux parler.
Je continue à marcher,
Je continue à aimer,
Je continue à rêver.
Notre mémoire est notre destiné, notre futur est la vie nouvelle.
Dans nos pas vivent ceux et celles qui nous ont
quittés,
Ils marchent avec nous
Ils vivent avec nous et nous luttons ensemble aussi pour eux.
Mario Gil Guzman, 11 novembre 2020
Réactions suite à la lecture du poème
* Merci Mario, ton texte est très émouvant.
* J’ai trouvé la soirée très émouvante. Je sens qu’il y a beaucoup de colère et de besoin de soutien, de compréhension, d’amour surtout. C’est touchant ce que tu nous as lu à la fin parce que cela vient tout englober ce qui s’est dit pendant la rencontre. Je trouve ça triste que des gens doivent quitter leur pays parce qu’il y a la guerre, parce qu’il y a la haine, parce qu’il y a de la violence. Cela ne devrait pas exister. Ça n’a pas du être facile pour vous de quitter votre pays, de laisser des amis et de la famille. Cela vient me chercher. Je vous trouve courageux et courageuses. Lâchez pas.
* J’ai trouvé que c’était vraiment un beau texte. Je ne savais pas que tu avais des talents de poète. Je suis tombée par terre. J’aimerais utiliser ton texte pour le thème des Journées québécoises de solidarité internationale qui porte sur les migrants cette année et que l’AQOCI affiche ce texte à quelque part dans le cadre de notre réflexion.
* J’aimerais remercier les Colombiens qui ont témoigné de leur réalité. C’est rafraichissant de ne pas avoir à passer par les agences de presse pour savoir ce qui se passe ailleurs.
* Merci à tout le monde pour vos témoignages. C’est vraiment important de l’entendre. Je suis contente que nous ayons eu un espace pour entendre ces témoignages. Ce que je souhaite aussi c’est que nous soyons informés au CAPMO des suites de cette Commission de la vérité en Colombie. Nous pouvons continuer à soutenir et à diffuser les travaux de cette commission, c’est vraiment important. J’imagine que pour témoigner comme vous l’avez fait, cela prend beaucoup de courage. Je vous remercie aussi de votre générosité de partager des choses qui ne sont pas faciles.
* Merci pour tous vos témoignages. Cela m’a beaucoup sensibilisé à la réalité vécue en Colombie et également ici par les Colombiens d’origine. Merci à Mario pour son texte. Je trouve que c’était d’une grande beauté. Tu as énormément de talent comme poète. J’aime voir cette trajectoire du réfugié que tu décris. C’est le parcours d’une vie et à la fin c’est rempli d’espoir. Tu dis que tu continues à marcher et que la vie est toujours là et qu’il y a des pas que tu continues à faire. Pour moi, c’est porteur d’espoir.
* Merci d’avoir contribué à ajouter une couche d’autocritique concernant le Canada.
* Je voudrais remercier Elizabeth, Gloria, Ingrid, Teresa, Yvis et Carlos.
* J’aimerais ajouter un petit mot de remerciement. Nous sommes tous des Québécois et des Québécoises, mais je remercie ceux et celles qui sont nés ici d’avoir pris la peine d’avoir cet espace pour mieux comprendre la réalité de la Colombie. Pour nous, c’est important de se sentir écouter. Oui, le Canada nous a ouvert les portes, mais nous avons besoin de sentir cette écoute des Québécois pour nous sentir bien ici.
* Il y a deux expressions utilisées par Elizabeth que j’aimerais répéter en terminant la soirée. « La tendresse de la solidarité » et «Obtenir le statut de réfugié, ce n’est pas seulement un droit, ce que nous avons besoin, c’est d’un nouveau foyer. » J’ai retenu ces deux paroles importantes pour moi.
* Che Guevara disait : « La solidarité internationale est la tendresse des peuples. »
Je voudrais dire que pour moi, ma vie et mon parcours au Canada ne serait rien sans vous. Ce soir, c’est comme si je rencontrais la famille. J’ai déménagé à Montréal et j’ai été obligée de quitter mon nouveau foyer qu’était devenu pour moi la ville de Québec. J’ai immigré au Canada avec toute ma famille, nous sommes 26 personnes. À chaque jour, je me réveille et je me dis : « Mon Dieu, je respire. Je n’ai pas à m’inquiéter pour ce que je vais manger aujourd’hui. Je peux choisir si je veux étudier ou travailler. Je peux choisir ma vie. Je ne peux nier cette réalité qu’un pays comme le Canada t’offre comme possibilités.» Avec mes différentes implications à Québec à Développement et Paix entre autres, nous avons déjà une histoire commune de solidarité que nous pouvons partager. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Je vous invite à être solidaires avec toutes les causes que nous défendons. Depuis le mois de janvier, il y a eu 70 tueries en Colombie. De quelle paix est-ce que nous parlons? Quelle est ma contribution comme personne ou mouvement social pour bâtir la paix du monde? Comment pouvons-nous y contribuer à partir de ce petit coin où nous habitons pour que la Maison commune devienne une place où tout le monde peut respirer en paix et où chacun.e peux choisir ce qu’il veut faire de sa vie? Si seulement les riches pouvaient cesser de vouloir s’approprier le monde et toutes ses ressources et comprendre qu’un monde partagé, c’est bien plus beau. Elizabeth Garcia
Propos transcrits par Yves Carrier