#313 – Exercice collectif d'analyse de la conjoncture
Soirée animée par Yves Carrier, Mario Gil Guzman et Emilie Frémont-Cloutier
Notre analyse se fera en trois étapes. Tout d’abord, nous demandons à chacunE de nommer un ou plusieurs événements ayant marqué l’actualité des derniers mois ou bien qui vont se produire dans le moyen terme. Vous pouvez nommer un événement local, national, international, ou bien transversal à ces trois niveaux. Nous vous demandons d’y penser et de l’écrire sur un papier. Ensuite, nous essaierons d’établir quels sont les liens qui unissent ces éléments apparemment disparates. Pour conclure, nous identifierons quelques pistes d’action pour les individus, le CAPMO et l’ensemble de la société. (YC)
Question 1 : Nommer un ou plusieurs événements ayant marqué l’actualité des derniers mois ou bien qui vont se produire dans le moyen terme.
Événements locaux:
* Cela a pris une pandémie mondiale pour que je développe un sentiment d’appartenance en tant que personne handicapée. C’est grâce au mouvement de solidarité que nous avons vécu cet été devant l’Assemblée nationale autour de la personne de Jonathan Marchand et de sa revendication de ne plus vivre en CHSLD. Je m’inquiète aussi pour la santé des préposés aux bénéficières, épuisés par la lutte au COVID-19, et des faibles salaires qu’ils reçoivent. Il commence à avoir une fatigue dans la population concernant la pandémie.
* Ma cousine est infirmière et elle dit que plein de travailleurs de la santé tombent d’épuisement alors que d’autres encore attrapent la COVID.
* Mon fils se préoccupe de la destruction du patrimoine architectural comme l’église Saint-Sacrement à Québec.
* Depuis six mois, les groupes ont beaucoup diminué le nombre de manifestations.
* Les prix de la nourriture ont augmenté sans que l’aide aux personnes en situation de pauvreté soit améliorée.
* Je ressens la même chose que ce que les autres ont dit. Je retiens la lutte pour la préservation de la vocation agricole des terres des sœurs de la Charité de Québec. La CAQ continue de parler de troisième lien entre Lévis et Québec et le projet de port méthanier avec GNL Québec. Ils veulent une relance économique qui ne tient pas compte de l’environnement et de la lutte à la pauvreté. Avec la loi 61, ils ont voulu nous passer beaucoup de choses en sautant par-dessus la démocratie. Je ne trouve pas que la gestion de la crise est si géniale que cela au Québec.
* La crise sanitaire exacerbe les inégalités sociales et les injustices. Les personnes en situation de pauvreté écopent davantage. Être confiné dans une chambre, ce n’est pas la même chose que d’être confiné à la campagne. La fermeture de l’économie a touché plus de personnes dans les emplois précaires. Si elles récupèrent cela va leur prendre des années. La pandémie aura des effets à long terme. Tandis que d’autres se sont enrichis grâce à la pandémie comme les compagnies pharmaceutiques.
Événements nationaux:
* Je remarque la faible présence médiatique des personnes en situation de pauvreté, ici et ailleurs sur la planète, la hausse du coût de la vie, et les gens qui vivent dans des tentes sur la rue Notre-Dame à Montréal parce qu’ils ne trouvent pas de logement abordable. Il n’y a pas eu de programme d’aide pour les personnes vivant de l’aide sociale malgré la hausse des prix des denrées et des produits de première nécessité.
* Moi, j’ai l’impression que les environnementalistes sont en attente. Il y a aussi la course à la chefferie du Parti Québécois que je suis attentivement.
* J’ai retenu : les blocages ferroviaires par les Premières Nations en solidarité avec les Wetsuweten l’hiver dernier au Canada et la résistance épique du peuple chilien contre le néolibéralisme et les dénonciations des violences sexuelles subies par les femmes.
* Du côté économique, beaucoup de choses ont changé et il est parfois difficile de s’approvisionner en nourriture. Les prix ont beaucoup augmenté dans certains cas. Il y a eu le problème pour le Canada de pouvoir acquérir en quantité suffisante du matériel médical comme des masques et des respirateurs.
* La crise a révélé que nous n’avions pas assez de liens avec les autres communautés culturelles. Les divisions sociales et intergénérationnelles semblent plus évidentes qu’auparavant. Il y a beaucoup de chamboulement dans l’économie, les structures ont changé. Il y a plus de difficultés à s’approvisionner. Est-ce qu’on s’en va vers une crise économique? C’est préoccupant.
Événements internationaux:
* Personnellement, j’ai l’impression que la 3ème Guerre mondiale est commencée, sauf que cela ne fait pas de dommages matériels.
* Je pense aux incendies en Amazonie et en Californie.
* Le confinement a été très bizarre pour moi. Le terme employé de distanciation sociale au lieu de distanciation physique, me fait penser à un lapsus néolibéral. Ça m’a fait penser à Margaret Thatcher. On vise à distancier les gens dans la société. La façon de gérer le coronavirus est sur plusieurs points anti-démocratique. Macron a tenté de taxer l’essence en prétendant sauver l’environnement, mais ainsi il s’est attaqué à la classe moyenne. Entre l’État et l’individu, la société civile, les organismes et les organisations, semblent avoir disparus. On est en train de détruire la société. Un philosophe allemand parlait du dressage de la population, devenir le policier du voisin, toujours obéir sans esprit critique.
* J’observe qu’il y a de nombreuses dérives autoritaires en Amérique latine. Avant le début du confinement, il y avait eu beaucoup de soulèvements populaires. La réouverture des économies locales a correspondue avec l’augmentation de la répression.
* Le Canada est complice de ces gouvernements répressifs.
* Moi, je dirais que c’est la question de la lutte au racisme ici et ailleurs dans le monde qui a retenu mon attention.
* Nous vivons plusieurs crises simultanément: sanitaire, économique, climatique.
* Pour moi, la pandémie a accentué les clivages économiques et sociaux entre les individus et entre les différents pays. De nouvelles fractures sont apparues, jusqu’où cela peut-il aller ?
* Moi, je pense à la réélection éventuelle de Donald Trump aux États-Unis. D’un côté plus positif, l’arrêt du tourisme de masse a donné un répits à l’environnement. Il faudrait sans doute que cela soit permanent. L’arrêt des croisiéristes a mis l’industrie touristique en péril même à Québec. La pandémie agit comme un révélateur de nombreuses problématiques.
* En Suède, la crise a été gérée différemment. Il n’y a pas eu de confinement et il semble y avoir eu moins de cas.
* On vit une rupture des système de santé partout sur la planète.
Question 2 : Quels liens peut-on faire entre tous ces événements de l’actualité ?
* Pendant qu’on se dispute sur le port du masque, on crée de la place pour un gouvernement contrôlant. Sous prétexte de contrôle social, on sort la police. On remarque que certains gouvernements ailleurs dans le monde prennent goût à l’autoritarisme en se justifiant avec la COVID.
* La pandémie a mis en lumière les errances du système néolibéral qui continue à faire des ravages. Une crise n’attend pas l’autre. Cela révèle les conséquences des coupures des dernières années sur les système de santé publique et les ravages sur l’environnement.
* Il y a un lien entre l’arrêt des navires de croisière et le ralentissement économique dans le secteur touristique à Québec. Les commerçants perdent beaucoup d’argent. Il y a des commerces, des hôtels qui vont fermer dans les prochains mois.
* Personnellement, ce que je vois dans l’augmentation de la violence policière qui va jusqu’à tirer sur une foule de manifestants à balles réelles, comme cela s’est produit la semaine dernière en Colombie, c’est un État et des forces de l’ordre en train de paniquer. Les réactions violentes de certains gouvernement révèlent la peur qu’ils ont de perdre le contrôle de leur population. À mes yeux, c’est un signe de faiblesse, lorsque la raison fout le camp.
* Le réveil du mouvement de contestations aux États-Unis, incarné par Black live matter, est aussi une conséquences de l’arrêt de l’économie qui a rendu une masse de gens disponibles pour l’organisation populaire.
* À cause de la COVID, la violence envers les femmes a beaucoup augmenté.
* L’austérité s’en est prise aux personnes en situation de pauvreté et aux femmes. Le gouvernement utilise des mots creux, les salaires n’ont pas été augmentés dans les CHSLD. Les élus semblent davantage sensibles aux intérêts des gens fortunés.
* Pour moi, le danger du numérique, c’est que cela nous habitue à vivre sans être en présence des autres et que l’être humain devient une source de danger potentiel pour chacun. On resserre les contrôles aux frontières pour les personnes migrantes.
* La pandémie nous a permis d’apercevoir les grandes lacunes de l’idéologie néolibérale. Les faiblesses provoquées par la privatisation des systèmes publics.
* Au Sud, les investissements des gouvernements ont servi a sauvé les entreprises privées. L’aide n’est jamais arrivée aux gens qui en avaient vraiment besoin. Là où les vivaient le confinement dans la faim, ils sont sortis et ils ont été réprimés sévèrement. Les manifestants questionnent les politiques des gouvernements.
* Pour ma part, la destruction massive de l’environnement se poursuit, sauf que cette fois la nature réagit à l’agression. Il existe un lien entre la destruction de l’environnement, la pollution et les incidences d’infection de certaines maladies.
* La Théorie du choc de Naomi Klein nous apprend que nous subissons une ingénierie sociale. Noam Chomsky ajoute que les masses sont conditionnées par les média d’information à accorder leur consentement aux dirigeants en abandonnant tout sens critique.
* Les feux en Californie, on a fragilisé les sols en pompant l’eau du sous-sol et avec le réchauffement climatique, il y a de plus en plus d’éclairs de chaleur qui allument des feux. Les discussions autour de l’économie nous empêche de s’attaquer aux causes véritables de la pandémie. La COVID est une sorte de fièvre planétaire. Il y a un équilibre qu’on bouleverse. Notre éducation et notre vision de la santé ne sont pas assez reliées aux connaissances que nous avons en biologie. On ne s’attaque pas aux causes du problème, mais seulement aux conséquences. Il faut s’éduquer ensemble avec le cœur pour l’avenir de l’humanité.
* On peut faire des liens en ce qui concerne l’autoritarisme et la popularité des différentes théories du complot. On vit une perte de confiance généralisée dans nos institutions. Par exemple, certains pensent que la COVID a été créé en laboratoire. Il y a là un enjeu d’éducation.
* On observe une très forte polarisation des opinions publiques. Il faut faire attention à ne pas catégoriser les gens d’après leur opinion sur tel ou tel sujet.
* Le pesticide dans les aliments et le sucre comme facteurs de risque pour la santé publique, ce ne sont pas des complots, c’est du laisser-faire. Les gouvernements le savent, mais ils n’agissent pas. Les ports méthaniers, ce ne sont pas des complots, mais c’est malveillant. Au nom du profit, on nous en passe plein sous le nez.
* Il y a 40 ans, les pays membres de la trilatérale ont décidé qu’il fallait privatiser l’éducation, les retraites et la santé. La COVID encourage cela. Le capitalisme peut aussi être vu come un virus.
* C’est normal, le capitalisme veut croître infiniment dans un monde fini.
* Nous assistons à la cristallisation des crises comme la crise environnementale, la crise raciale aux États-Unis, la crise économique et politique dans de nombreux pays. 2020 est l’année de toutes les crises et le dénouement demeure inconnu. Sommes-nous entrés dans une ère nouvelle ?
* Au début des années 2000, nous avons vu le commencement des épidémies, toujours plus grande que la précédente. On observe comme une gradation dans la gravité des phénomènes. Est-ce à cause de la globalisation néolibérale? J’ai l’impression que plus rien ne sera jamais comme avant. Je perçois une crise de sens et l’angoisse qui monte chez les jeunes avec la précarité qui augmente.
* La santé nous envoie un signal par la maladie qui s’installe dans notre corps. Les signaux que la nature nous envoie sont de plus en plus forts. Les pharmaceutiques font de l’argent avec nos problèmes de santé. Il faut regarder les problèmes autrement en revisitant les fondements de nos manières de voir et de comprendre. Nous sommes devenus les propres rouages du système. Nous parlions de cela à l’époque de la contre-culture. La pensée linéaire ne nous permet pas de voir la complexité du réel. L’effondrement du système nous oblige à repenser nos modèles économiques. Va-t-on continuer à compenser nos peurs par la consommation en ne travaillant pas sur le lien social?
* Le sens est important, il faut retrouver le lien entre valeurs spirituelles et valeurs économiques. Une valeur est quelque chose qui n’a pas de prix. C’est lorsque nous monnayons les valeurs spirituelles qu’il y a un problème. Il faut développer cela de manière scientifique et non pas moralistes.
3—Certaines pistes d’actions et autres questions connexes :
* Quelles sont les pistes d’actions pour l’année à venir ?
* Il faut réfléchir à la crise de sens. C’est aussi le rôle du CAPMO de parler de sens.
* Il faut se solidariser.
* Il faut repenser l’économie.
* Il faudrait aussi modérer nos transports. La crise a donné un répit à l’environnement.
* Oui, mais comment devenir plus solidaires alors que nous devons garder nos distances ?
* Qu’est-ce qui va arriver pour les gens qui sont déjà dans le besoin? Un chef cuisinier a pensé ouvrir les cuisines des restaurants qui étaient fermées pendant la pandémie et, avec d’autres cuisiniers et des fermiers qui ont donné des aliments, ils ont préparé des milliers de repas qu’ils ont offert gratuitement aux personnes dans le besoin. Est-ce que ces initiatives vont continuer?
* Actuellement, il y a un momentum à saisir pour plusieurs personnes. Certains ont commencé à se poser des questions. Certaines idées émergent comme le revenu de citoyenneté. Il y a des virages qui se produisent. Il faut saisir certaines intuitions comme l’achat local. Il y a des semences que nous devons continuer à arroser pour développer un modèle davantage respectueux de l’environnement. La décroissance va finir par s’imposer. L’économie locale rapproche les acheteurs des producteurs.
* À Charlesbourg, nous avons les Incroyables comestibles, des jardins urbains cultivés pendant la belle saison dont les produits sont offerts gratuitement à ceux et celles qui veulent se servir. C’est un pas vers l’autonomie alimentaire et cela permet aussi de créer du lien communautaire. On cultive devant l’église, les gens s’arrêtent pour parler des légumes puis ils nous parlent de leur vie. C’est fou comment quelques légumes peuvent créer de la solidarité, briser l’isolement et produire des liens intergénérationnels.
* D’autres aspects de la crise sont moins positifs, comme la remontée de l’auto solo à cause de la crise sanitaire. Avec le TRAAQ, nous devons continuer à pousser pour l’amélioration du service de transport en commun parce que la COVID justifie pour certains une remise en cause des investissements dans ce secteur.
* Le télétravail rend caduc de nombreux investissements en infrastructures.
* Oui, mais le télétravail abolit les relations de travail et il rend difficile la syndicalisation des travailleurs et des travailleuses. Cela précarise donc les travailleurs. Ils deviennent responsables d’eux-mêmes et l’esclaves de tous.
* Les gens ne pourront plus parler de leurs craintes à leurs collègues qu’ils ne connaîtront pas. C’est un besoin humain de base de parler de ses problèmes avec d’autres pour pouvoir être rassurés. Tu ne peux pas créer de la confiance, si tu ne rencontres jamais personne.
* Avec la COVID, les taux de suicide ont augmenté. Plusieurs personnes vivent seules et elles n’ont pas toutes accès à Internet.
* C’est un enjeu au CAPMO de porter cette préoccupation. Il y a une fracture numérique entre les membres de la société.
* Avoir un rendez-vous avec un médecin à qui on parle au téléphone sans se voir, c’est loin d’être rassurant. La technologie a ses limites.
* Pour les rencontres familiales, le contact humain devient absent.
* Il faut développer des bulles, des réunions en sous-groupes pour qu’on puisse se voir.
* Il faut aussi s’associer avec différents groupes pour voir comment cela se passe ailleurs.
* L’originalité du CAPMO qui portent les dimensions de briser l’isolement des gens, de faire de l’analyse et de la critique sociale, tout en s’interrogeant sur le sens, c’est qu’il réunit des personnes de provenance différentes: des autochtones, des latino-américains, des Québécois, des hommes et des femmes, de différentes génération, des experts du vécu, des personnes vivant avec un handicap, et quelques intellectuels qui veulent vivre la solidarité.
* Est-ce que vous connaissez la Théorie des ensembles ? Il y a l’ensemble vide qui est présent dans tous les ensembles à la fois. Nous sommes liés par ce qu’il y a de plus profond en chacun de nous.
* Demander au gouvernement canadien d’avoir une politique étrangère cohérente avec ses valeurs comme la démocratie, les droits humains et l’environnement.
* Il faut former une nouvelle génération qui soit davantage critique des politiques gouvernementales et de l’économie néolibérale.
Vassily Kandinski, 1866-1944
* Nous devons développer davantage de liens interculturels. La COVID nous a révélé de grandes différences entre les différents groupes culturels selon l’impact qu’ils ont subi.
* Même chose pour les liens entre les générations et celles qui vivent dans des conditions de précarité et d’isolement.
* L’Interculturalité peut être une clé pour développer l’empathie et le vivre ensemble, pour être solidaire et antiraciste ici au Québec, être solidaire avec les membres des Premières Nations, les luttes anticoloniales et les comportements dénigrants envers tous ces gens. Le CAPMO est le seul groupe que je connais où les gens de différentes origines se côtoient : femmes immigrantes, autochtones, personnes en situation de pauvreté, etc. Comment pourrait-on favoriser une plus large participation aux activités du CAPMO?
Évaluation :
* C’était enrichissant et intéressant.
* Cela m’a beaucoup alimenté.
* Après la COVID, nous allons avoir de nombreuses questions à nous poser.
* Je voudrais remercier Yves et Mario pour la préparation et l’animation.
* Nous sommes parvenus à faire ressortir des pistes d’action concrètes pour le CAPMO.
* Je repars avec le mot vigilance au point de vue social. Ensemble on voit plus large. C’est le défi des prochains mois pour prendre le virage.
* Il y a plusieurs journées de ma semaine qui sont vides à cause de la COVID. Je m’ennuie. J’aimerais avoir plus d’activités.
* Merci pour la rencontre. Ça a été un sujet très intéressant. On va vers l’avenir. Il faut être positif.
* On avance, on recule pas.
* Je suis plus optimiste qu’au début de la rencontre.
Notes prises par Yves Carrier et Emilie Frémont-Cloutier