#309 – Histoire des communautés noires de Montréal

#309 – Histoire des communautés noires de Montréal

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Le CAPMO organise cette rencontre interculturelle en collaboration avec la Maison D’Haïti à Montréal. C’est Monica Girom qui va présenter le projet Rapprochement interculturel. Le CAPMO est le réceptacle, le lieu qui accueille cette rencontre. C’est la coutume pour le CAPMO d’accueillir d’autres organismes qui viennent présenter leur projet à Québec, nous recevons aussi à l’occasion des délégations étrangères. Cela fait 45 ans que cet organisme existe, c’est un groupe d’éducation populaire et de défense collective des droits. Le CAPMO a donné naissance à plusieurs autres organismes au cours de son histoire, dont le plus célèbre demeure le Collectif pour un Québec sans pauvreté. La Maison d’Haïti a ouvert ses portes quelques années avant, au début des années 1970. Je suis enchanté que nous puissions continuer nos rencontre mensuelles grâce à Internet malgré le confinement qui nous affecte tous et toutes. C’est désolant que nous perdions la présence des personnes qui n’ont pas d’ordinateur à la maison. Alors je cède la parole à Monica qui va vous présenter le sujet de cette rencontre. Yves Carrier

Je suis super contente de pouvoir vous rencontrer de manière virtuelle à défaut de pouvoir le faire en personne. En même temps cela nous permet de rejoindre d’autres personnes que nous n’aurions pas pu rejoindre si nous avions été à Québec comme c’était prévu. Alors, le programme Rapprochement interculturel est nouveau, il a démarré en 2019 à la Maison d’Haïti. L’idée c’est de créer des liens à travers la culture, mais de manière adaptée au milieu. Nous avons senti que le CAPMO avait cet intérêt de s’instruire et d’échanger avec nous, d’où la proposition qui vous a été faite. Monica Girom  

Aujourd’hui, nous vous proposons une présentation sur l’histoire des Noirs dans le contexte montréalais. Notre premier animateur s’appelle Franz Voltaire, historien, il est fondateur du CIDIHCA, Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne. Nous avons aussi avec nous Michael Farkas, président de la table du Mois de l’histoire des Noirs à Montréal. Les deux vont amener des points qui vont se compléter. Si vous avez des questions, je vous demande d’attendre après les deux présentations ou de les écrire dans la « conversation » à droite de l’écran. Je vous laisse la parole Frantz. Monica Girom

 

 

 

Intervention de Frantz Voltaire

Quand nous avons été approchés pour cette expérience nouvelle pour moi, d’aborder l’Histoire des communautés noires dans une conférence internet, j’ai trouvé cela très intéressant. C’est une expérience que nous aurons peut-être la chance de reprendre plus tard. Alors la question que je vais aborder aujourd’hui tentera de brosser un tableau général de l’histoire des Noirs au Québec. Contrairement à ce qu’on croit en général, cette présence est là depuis les tous débuts de la colonie. Elle est effective, avec un personnage dont on a retrouvé les traces dans les archives françaises : c’est Matthieu Da Costa. On pense que c’était un homme libre, probablement un métis portugais. Dès la fin du 15ème siècle, le Portugal a été le premier pays a organisé la traite négrière et la colonisation de l’Afrique puisqu’ils ont été les premiers à naviguer au long des côtes occidentales et australes de ce continent. On sait que Da Costa a été emmené ici comme interprète. On retrouve une autre trace plus tard, avec Olivier Lejeune. Il est probable qu’il provienne de Madagascar. On retrouve sa trace dès les années 1628 à Québec, encore enfant il aurait été amené ici par les frères Kirk lors de la première prise de Québec qui durera deux ans. À la remise de Québec, ils l’abandonnent ici et il deviendra l’esclave d’un père jésuite dont il prendra le nom : Lejeune. Il écrit dans les Relations qu’il avait deux étudiants fort brillants, un pawnee et l’autre noir. On sait donc qu’ils sont présents à ce moment en Nouvelle-France. Il faut comprendre que ce territoire s’étend jusqu’à l’embouchure du Mississipi dans la Louisiane actuelle, la Nouvelle-Orléans fait donc partie de cette ensemble qu’on appelle Nouvelle-France.

L’un des premiers historiens a abordé la question de l’esclavage en Nouvelle-France a été Marcel Trudel qui a publié : « Sur l’esclavage en Nouvelle-France », en 1960. C’est le premier ouvrage qui porte sur l’étude de la présence des Noirs au Québec. Trente ans plus tard, il publie un deuxième ouvrage qui est un dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires en Nouvelle-France. Donc, nous avons, de façon documentée, une présence des Noirs et des esclaves. Il ne faut pas confondre les deux parce que la plupart des esclaves sous le régime français sont en fait des pawnees, des esclaves autochtones. Il faut aussi comprendre que dans le cas des colonies françaises, la plupart des esclaves vivent dans les colonies à sucre des Caraïbes, tandis que l’économie du Québec à l’époque en est une de traite des fourrures. Ici, l’esclave noir  travaille dans les services domestiques de la maison des gens qui gouvernent la société. Il est très coûteux, le prix d’un esclave noir est comparable au salaire d’un travailleur ordinaire pendant six mois.

À partir du régime britannique, l’esclave noir devient un bien de luxe pour démontrer sa position dans la société, son standing. C’est une situation très particulière au Bas-Canada, mais il faut voir qu’en France, à la même époque, il y avait la mode des négrillons. Des petits esclaves étaient achetés par la haute noblesse pour être élevés pratiquement comme des animaux de compagnie. Parce que l’esclave, dans le Code noire qui régit l’ensemble des territoires français en Amérique, l’homme ou la femme noire n’est pas considéré comme un être humain à part entière puisqu’il est un bien meuble, c’est-à-dire qu’il peut être aliéné, on peut le vendre, lui et sa descendance. Cela va marquer toute cette histoire parce qu’à partir du moment où il y a des codes pour le régir, il y a cette dépersonnalisation qui va faire en sorte que l’esclavage va être relié au racisme anti-noir. On va considérer la couleur comme un marqueur, comme quelque chose qui marque de manière définitive l’infériorité des Noirs.

Au départ, jusqu’au 18ème siècle, on avait commencé en Espagne où l’on disait que si les Noirs étaient esclaves, c’est parce qu’ils étaient les descendants de Cham, le fils de Noé qui va rire de la nudité de son père alors qu’il était ivre. Alors Noé, dans un excès de colère, condamne sa descendance à être esclave. Mais très vite, avec le 18ème siècle, va apparaitre un racisme pseudo scientifique. C’est le moment où l’on trouve chez Georges-Louis Leclerc Bouffon la volonté de classer les espèces dans un ouvrage d’Histoire naturelle. Donc, on va élaborer un système de classification qui va du Blanc qui serait le sommet de l’évolution, en descendant vers les autres « races » jugées inférieures, le Noir étant le dernier échelon vers le bas de cette classification, tout près du singe selon Bouffon. Alors, on élabore un racisme qui a une prétention scientifique en disant que le Noir se situe au bas de l’échelle. On passe d’un racisme religieux où l’on identifie les Noirs comme étant des sorciers et des polythéistes à un racisme pseudo-scientifique. Ainsi l’Européen affirme que l’esclavage va permettre de leur donner une éducation religieuse, de les civiliser, de sauver leur âme. Cela provient d’un débat qui a eu lieu en Espagne lors de la conquête des Amériques pour savoir si les autochtones avaient une âme ou pas. Inès de Sepulveda proposait qu’ils n’avaient pas d’âme tandis que Las Casas défendait la nature profondément humaine des populations originelles. On se retrouve dans une situation où l’on voit un racisme qui va se construire et perdurer au long des siècles. Rappelez-vous que les sociétés ne changent pas par décret, on peut écrire toutes les lois qu’on veut, il y aura toujours des résistances et du conservatisme.

Avec la conquête britannique du Canada, l’esclavage qui existe dans les colonies américaines va traverser la frontière. Autre événement marqueur, c’est l’indépendance américaine. En 1776, les États-Unis vont proclamer leur indépendance, mais bien avant, la dernière grande bataille qui les oppose aux Britanniques, c’est le siège de New York. Finalement, les Anglais vont obtenir une reddition permettant à leurs troupes d’être évacuées ave tous les Noirs qui s’étaient battus dans leur camp. Alors nous avons le livre qui recense tous les noms et les professions de ces Noirs qui viendront s’établir en Nouvelle-Écosse. Quelques-uns viendront avec leur propriétaire anglais dans la Vallée du Saint-Laurent, mais très peu en fait s’établiront au Québec. Un autre élément, c’est qu’ici, pendant toute l’époque de l’esclavage qui fut aboli au Canada en 1833, il n’y aura pas une traite massive puisque l’économie ne le requerrait pas. Il s’agissait davantage d’une économie de prédation que de production agricole intensive comme on en retrouve dans le sud des États-Unis, dans les Caraïbes et dans les basses terres tropicales de l’Amérique latine.

J’ai tenu à faire le rapport entre l’esclavage et le racisme puisque c’est l’esclavage massif des Africains qui va produire une idéologie raciste qui va varier avec le temps. Cela commence avec une variante religieuse, puis cela devient une variante pseudo-scientifique, suivies d’autres formes tout au cours de l’histoire.                               

Au 19ème siècle apparaît un autre phénomène concernant la présence noire, ce sera l’immigration de Noirs américains dans le Haut-Canada et un peu au Bas-Canada. Vers 1850, vous avez ce qu’on appelle une loi du gouvernement américain : le « Fugitive slave act », qui fait en sorte que les esclaves qui s’enfuient vers les États du Nord peuvent être capturés et ramenés à leur propriétaire dans le Sud. Cette loi ouvre la possibilité que beaucoup de Noirs vivant dans le Nord où l’esclavage avait été aboli, pouvaient être capturés, même si c’était des hommes libres, par des chasseurs d’esclaves qui les revendaient dans les plantations du Sud. Alors, il va y avoir un énorme mouvement qui s’appellera : « The underground rail road » avec lequel les Noirs vont remonter vers le Canada. Il y avait aussi un intérêt du gouvernement anglais de l’époque en établissant les fugitifs le long de la frontière pour défendre le Canada dans l’éventualité d’une tentative d’expansion américaine. Cela va durer jusqu’à la Guerre de sécession, puis en 1867 énormément de Noirs qui s’étaient établis au Canada vont retourner aux États-Unis parce qu’ils y ont laissé leur famille.

Avec l’abolition de l’esclavage aux États-Unis le discours va changer. Le premier discours avec l’arrivée des Noirs américains, consistait à démontrer que l’Empire britannique était ouvert puisqu’il avait aboli l’esclavage. Toutefois, il faut se rappeler qu’en 1812, lors de la dernière guerre entre les États-Unis et l’Empire britannique, l’Angleterre s’était emparée des Indes. Cela signifiait l’appropriation d’une masse de travailleurs qui à faibles coûts vont peu à peu remplacer les esclaves. C’est pourquoi aujourd’hui en Afrique du Sud, dans le territoire du Natal, on dénombre une présence de quelques millions de personnes originaires du sous-continent indien. On les retrouve à l’Ile Maurice, à Trinidad et Tobago, ainsi qu’en Guyane anglaise. Ainsi, la morale pouvait faire bon ménage avec les intérêts. En fait, la traite négrière, c’est 25 millions de gens qu’on a transplanté d’Afrique en Amérique, n’avait plus d’intérêt. Désormais, on n’avait plus besoin d’esclaves. Cela va aussi entraîner la colonisation de l’Afrique pour la production agricole comme le cacao et le café.

Pour revenir à notre sujet, le 19ème siècle voit la mise en place de ce qu’on a appelé l’idéologie qui consiste à garder le Canada blanc, « Keep Canada white ». L’État canadien va prendre un certain nombre de mesures pour contrôler l’immigration en provenance de l’Inde, de la Chine, des Caraïbes ou des États-Unis. Cela va faire en sorte de pratiquement interdire l’arrivée des Noirs au Canada. Nous avons un exemple très particulier qui est celui de l’immigration guadeloupéenne au Québec. Dans la région de Beloeil, tout près de Montréal, il y avait un Canadien qui était allé s’installer en Nouvelle-Angleterre. De là, il est devenu le consul des États-Unis à la Guadeloupe, pour finalement revenir s’établir au Québec à sa retraite en amenant une bonne de la Guadeloupe. Tous les notables du lieu lui demandent comment se procurer une bonne de la Guadeloupe ? Évidemment, elles devaient être de bonnes catholiques. À partir de 1911, on verra ainsi près de 300 Guadeloupéennes venir travailler au Québec, mais le gouvernement canadien va pousser pratiquement tout le monde à retourner en Guadeloupe pour éviter l’immigration noire ici.                  

On ignore la quantité d’entre elles qui demeureront au pays puisqu’on ne les retrouve pas toutes dans les registres. Il y a une historienne antillaise qui est en train de faire une recherche sur cette question.

À partir du 20èm siècle, surtout entre les deux Guerres mondiales, on voit arriver des femmes qui viennent travailler pour les familles de notables, essentiellement anglais. Dès 1928, on trouve aussi quelques étudiants haïtiens qui appartiennent aux élites traditionnelles. Ils ont des ressources, ils sont catholiques et ils parlent français. Ils s’intègrent relativement bien ici. À ce moment, ils créent la première association, qui se fera à Québec par son archevêque qui est l’Association d’amitié Haïti Canada. Un historien haïtien essayiste développera une thèse à l’époque dans ses échanges avec un historien québécois, qu’Haïti est sous occupation américaine et qu’elle devrait s’allier au Canada français puisque ce sont les deux seuls pays où le français est la langue officielle. Cela demeure une idée qui circule parmi les élites. 

Juste avant la Seconde Guerre mondiale, on voit arriver des jeunes gens en provenance des Antilles britanniques, d’Haïti, qui vont s’établir ici. Par exemple, il y a quelques séminaristes qui suivront leur formation au Québec. L’Église catholique québécoise est fortement établie en Haïti depuis 1941 où elle développera tout un réseau d’alliances et de support entre les deux pays. La présence québécoise dans l’Église en Haïti sera très forte jusqu’en 1967 où se produira une indigénisation du clergé haïtien. Mais avant et après cette date, il y a eu plusieurs évêques québécois et de nombreux prêtres et religieuses en Haïti.

Dans les années 1920-1930, Montréal devient une scène culturelle importante avec le développement du jazz. Les gens viennent dans les cabarets puisqu’aux États-Unis c’est la prohibition. Il y aura encore une fois ce va-et-vient de musiciens noirs américains vers Montréal qui est alors la métropole du Canada. À partir des années 1950, avec l’arrivée du dictateur François Duvalier en Haïti, il y a une immigration haïtienne qui commence et cela coïncide avec les débuts de la Révolution tranquille. Il s’agit d’une immigration qui concerne essentiellement des professionnels, médecins, ingénieurs, professeurs d’université, etc. qui vont s’intégrer lors de cette ouverture du Québec sur le monde à compter de l’Exposition universelle. En 1965, commence à arriver des écrivains et des historiens haïtiens. Ceux-ci, parce qu’ils étaient en rupture avec l’imitation française qui dominait dans la littérature haïtienne, vont se lier aux écrivains québécois. Des exemples comme Anthony Fens,  Émile Olivier, avec le Perchoir d’Haïti qui va devenir un lieu de rencontre des écrivains québécois comme Gaston Miron, Nicole Brossard. Finalement, à partir des années 1970, on aura une seconde vague de migrants, cette fois en provenance de milieux plus populaires, plus créolophones, qui viennent travailler dans les usines textiles et dans les services. C’est un moment très particulier. Il y aura ce qu’on va appeler plus tard, la crise dans l’industrie du taxi. Cela a donné lieu à des travaux de la Commission des droits de la personne dénonçant le racisme dans cette industrie. Plus tard, avec la réunification des familles et la légalisation de la présence haïtienne ici, lors de l’Accord Colin-Couture, sous le premier gouvernement du Parti Québécois. Le ministre de l’immigration québécois de l’époque, Jacques Couture, qui était prêtre, va faire une priorité de son mandat la légalisation des Haïtiens et des Vietnamiens vivants ici. À partir de là, peut se produire l’immigration familiale et les gens commencent à participer plus ouvertement à la vie politique au Québec puisque comme citoyens ils peuvent voter.         

Vers 1980, il se produit une nouvelle vague d’immigration originaire d’Afrique. Auparavant, on ne retrouvait ici que des étudiants étrangers ou des professionnels. Ils arrivent au moment où se pose la question de la reconnaissance des diplômes étrangers. Cela fera en sorte qu’une partie de cette immigration ne sera pas intégrée économiquement selon leurs qualifications. Pour ce qui est de la communauté haïtienne, il y aura encore deux autres moments. Lors du tremblement de terre en Haïti, nous aurons plusieurs milliers de personnes qui viendront se réfugier ici. La dernière vague, c’est celle de ceux qui quittent les États-Unis pour venir s’établir au Québec. Entre temps, les Haïtiens qui sont venus s’établir ici sont passés par le processus traditionnel de sélection des immigrants. Nous avons eu depuis 1986, une immigration de professionnels qui s’intègrent ici en ayant de hautes qualifications.    

Quand on parle des communautés noires, c’est une histoire très complexe parce qu’elles ne sont pas définies par la religion. Les Haïtiens sont catholiques, protestants, certains se sont convertis à l’Islam, d’autres même au judaïsme, etc. Ce n’est pas la religion qui les classe. Dans le cas de l’immigration africaine, on retrouve aussi toutes les composantes religieuses, du Congo, du Sénégal, de la Côte-d’Ivoire. Tout cela sans parler des communautés noires anglophones qui sont présentes ici depuis très longtemps. Ce que mon ami Paul Brown, dans une histoire romancée de la présence des Noirs au Québec et au Canada, appelait ces Canadiens oubliés. C’est-à-dire ceux et celles qui sont là depuis très longtemps, anglophones pour la plupart et qui ont créé un certain nombre d’institutions depuis le début du 20ème siècle.

Pour conclure, je dirais qu’aujourd’hui ces communautés qui sont là depuis 3 ou 4 générations, ou plus, font face à la persistance du racisme, à une méconnaissance parce que leur histoire n’est pas enseignée dans le cadre de l’histoire du Canada. Il y a très peu de travaux qui ont été faits. À Québec, il y a un remarquable travail sur l’histoire des Noirs fait par le professeur Daniel Guay de l’Université Laval. Il est malheureusement décédé. Ce travail d’archives nous montre qu’il y a eu une présence, même si peu nombreuse, de gens originaires de Saint-Domingue, de la Martinique, depuis la Nouvelle-France. On peut donc dire qu’il y a des liens qui se sont tissés au fil du temps. Malgré cela leur histoire et leur présence demeurent méconnues parce qu’il n’y a pas assez de travaux faits à ce propos. Par exemple, depuis le 19ème siècle, les Noirs étaient volontaires pour constituer un bataillon pour aller se battre lors des deux guerres mondiales. Il ya eu des résistances de la part de l’armée, et on comprend ces résistances. Parce que quand vous payer le prix du sang, vous ne pouvez plus après ignorer les droits des gens. Merci beaucoup.       

 

Intervention de Michael Farkas

Le premier Noir recensé dans l’histoire du Canada comme habitant de Québec, est effectivement Olivier Lejeune en 1628. Il a été revendu à plusieurs reprises à l’intérieur de la famille Couillard notamment. On sait aussi que la ministre Nathalie Roy vient de décréter qu’il y aura un lieu de mémoire pour commémorer l’existence d’Olivier Lejeune et que c’et une figure importante de notre histoire. Il appartient à tout le Québec, mais spécifiquement à la ville de Québec. C’est une initiative de l’historien Webster qui est originaire de Québec.    

Un autre personnage qui a habité Québec, mais qui a œuvré dans plusieurs villes, c’est Matthieu Léveillé. C’est un esclave en Martinique qui s’était enfui tellement de fois qu’il avait été condamné à mort. On lui offre alors une dernière chance de sauver sa vie, c’est de devenir bourreau à Québec. C’était un travail qui n’était pas apprécié de personne et qui vous condamnait à une certaine mort sociale. Il a accepté pour ne pas être pendu et on l’a envoyé en Nouvelle-France. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas de bourreau pour exécuter les sentences de torture et de pendaison. Qu’il soit blanc ou noir, le bourreau occupe une fonction qui le met au banc de la société. C’est pour cela qu’on offre ce travail à des condamnés à mort. Alors ce fameux Matthieu Léveillé a été le bourreau de plusieurs personnes. Il s’est promené entre Québec, Trois-Rivières et Montréal. Entre-autre, il a été le bourreau de Marie-Josèphe Angélique qui fut accusé d’avoir mis le feu à une maison qui se propagea à toute la ville de Montréal en 1734. Elle a été condamnée à partir des aveux d’un enfant de 6 ou 7 ans. Le procès a traîné et elle a fait appel, donc il y a énormément d’archives judiciaires qui existent. Elle est même allée à Québec pour faire appel puis elle est revenue à Montréal pour subir sa sentence des mains de Matthieu Léveillé. Ce dernier est mort dans la détresse. Il est resté dans la ville de Québec sans compagne, ni personne pour lui parler. Il était souvent malade et il est évident que cette vie de solitude, sans ne jamais parler à personne le détruisait psychologiquement. C’est auprès des religieuses de l’hôpital qu’il trouvait un certain réconfort. Je tenais à nommer ce personnage qui a été oublié. Pour lui, il n’y avait pas d’issu, c’était la mort ou devenir bourreau où il devait torturer d’autres Noirs.                 

Les années 1800, en ce qui concerne Montréal, les Noirs sont peu nombreux. Dès les années 1834, c’est la fin de l’esclavage dans tout l’Empire britannique, mais les Noirs sont aussi maltraités. Ceci veut dire que la discrimination basée sur ce fameux marquage de la couleur de la peau et les traits négroïdes, agit partout, de l’Europe aux Amériques. Alors on s’entend que le Noir est considéré comme un être inférieur, incapable de réfléchir et supposément pas intelligent, quelqu’un à qui on peut confier des travaux comme s’il s’agissait d’une bête de somme. Il faut mentionner que dès les années 1895, le quartier connu sous le nom de la Petite Bourgogne est l’endroit où ils se retrouvent. On parle du quartier situé entre les rues   Atwater et Guy. Les gens venaient y travailler pour les compagnies de chemins de fer comme porteurs de bagages. Georges Omen, un des grands présidents des entreprises de chemins de fer aux États-Unis avait eu la brillante idée d’utiliser les Noirs comme serveurs sur les trains pour toutes les tâches de service et de ménage. Ils étaient vêtus d’un habit et il fallait qu’ils aient un air soigné même si on les traitait comme des citoyens de seconde catégorie et qu’on riait d’eux. Les patrons qui prenaient le train les considéraient comme des rigolos. Toute la question du « Black face » se rapporte à cette période où le Noir représente quelqu’un de risible, mais pour les premiers concernés, c’étaient quand même une amélioration d’avoir un travail noble sur les trains de passagers. Dès 1910, plusieurs d’entre eux trouvent un travail sur les compagnies de chemins de fer. Toutes les grandes compagnies emploient des Noirs parce qu’ils travaillent bien, ils sont polis et efficaces, mais on ne le dit pas trop fort à ce moment là. En plus, on peut tous les appeler Georges comme le nom du propriétaire, cela signifie qu’ils n’ont pas de personnalité, qu’ils sont interchangeables et qu’il n’y a qu’un standard à suivre.                         

Dès 1910, ce sont ces porteurs de bagages qui vont frapper aux portes des différents paliers gouvernementaux pour faire avancer la cause des Noirs, pour l’amélioration des salaires et des conditions de travail. Jusque dans les années 1950, l’Union of the Blacks Porters joue un rôle vital pour l’avancement de leurs propres membres, mais aussi pour celui des syndicats en général. Ils ont permis des avancés énormes pour la reconnaissance de leur travail, dont plusieurs choses concernant la sécurité sur les trains.    

Frantz a parlé des deux guerres mondiales, effectivement, pendant plusieurs années les Noirs ont revendiqué le droit de s’engager comme combattants. Ils veulent aller défendre leur pays, le Canada, parce qu’ils sont ici depuis plusieurs générations. On a parlé des Loyalistes qui sont arrivés après la Révolution américaine dès 1784, dont je suis certainement l’un des descendants. En 1914, les hommes noirs veulent aller se battre pour leur pays et on leur refuse. Ils font des pétitions à Montréal, à St-John au Nouveau-Brunswick, à Halifax, à Ottawa, etc., mais ils ont du attendre à la fin de la Première guerre mondiale pour qu’on accepte de les prendre comme appui à l’armée, non comme combattants. En 1917, le « Second construction bataillon », un corps militaire responsable des travaux de construction, quitte le port d’Halifax pour l’Europe avec à sa tête un commandant blanc. Ce bataillon était composé exclusivement de Noirs. Ils sont fiers de participer ainsi à l’effort de guerre. Ils seront principalement utiliser pour construire des ponts, brancardiers, construire les baraques pour héberger les troupes, etc., mais jamais, jusqu’à la Deuxième guerre mondiale, comme combattants. Pendant la Première guerre, il est hors de question que les Noirs et les Blancs partagent les mêmes baraques et même lors de la Seconde guerre mondiale, cela n’était pas évident, mais cela a été plus facile. Les gars sont fiers, c’est un travail qui est rémunéré. Le problème c’est quand ils reviennent au Canada en 1919, ils sont toujours traités comme des moins que rien et il n’y a aucune reconnaissance pour le service rendu à la patrie. Je tenais à rappeler ces faits.               

Pour ce qui est de la Petite Bourgogne, on peut aussi parler de la présence des musiciens de jazz américain. Grâce aux Porters des compagnies de chemins de fer, ils avaient entendu que c’était intéressant de venir au Canada et qu’on y trouvait du travail. Étant donné les lois ségrégationnistes en vigueur aux États-Unis, certaines de ces lois existent au Canada, mais elles n’y sont pas appliquées. Beaucoup de choses se retrouvent devant la cour et sont jugées à la pièce, mais on peut dire que c’était comme alléchant pour plusieurs musiciens de venir ici chercher du travail avec la mode du rague time, du swing puis du jazz. Montréal devient alors une plaque tournante importante parce que cette ville représente le Paris d’Amérique du Nord où ont lieu des nuits folles et endiablées. L’alcool y coule à flot alors qu’aux États-Unis c’est la prohibition, alors Montréal devient vraiment une ville excitante.

Dans les années 1920, les musiciens noirs ne sont pas acceptés dans tous les clubs, mais il y en certains qui les acceptent, notamment au sud de la voie ferrée dans le secteur de la rue Saint-Antoine. Certains clubs sont très connus comme le fameux Lokid Paradise et le Black Bottle et d’autres comme le café Saint-Michel. Certains présentent des groupes mixtes, mais plus on arrive dans les années 1930, plus les temps sont durs, sauf que les musiciens noirs animent aussi les « after hours » qui se développent, réseaux de bars clandestins qui demeurent ouverts toute la nuit. On y joue du jazz jusqu’à 6 heure du matin, on y vend de l’alcool et il y a une salle de jeu. C’est tout un circuit nocturne qui est illégal, mais qui profite à beaucoup de monde et de très belles rencontres musicales s’y produisent. Finalement tout le monde fréquente plus ou moins ces clubs privés qui permettent aux musiciens de jazz de vivre assez bien. Il y a plusieurs musiciens noirs qui décident de s’établir à Montréal parce qu’ils tombent en amour avec l’hospitalité des Québécois et des Québécoises. C’est aussi un endroit où les musiciens sont tellement adulés, les Québécois sont connus quand ils aiment quelque chose, il n’y a rien pour nous arrêter, ni la couleur, ni la langue, ni la religion, c’est comme cela qu’on est. Alors ici, les musiciens noirs sont protégés et on leur permet même de fréquenter des femmes blanches, ce qui est impensable ailleurs en Amérique du Nord. Ils peuvent se le permettre parce qu’ils sont mis sur un pied d’estale, on les considère comme des vedettes. « They get away with a lot of stof » que le commun des autres Noirs n’auraient pas pu se permettre.

Le quartier Saint-Antoine va devenir le principal corridor de la communauté noire où se retrouvent ces fameuses compagnies de chemins de fer, près de la gare Windsor à Peel. De l’autre côté du quartier, il y a l’Église Union United, un bastion qui existe encore aujourd’hui. Elle a 112 ans, c’est la plus vieille Église noire du Québec et elle est essentiellement anglophone. Cette communauté a accueilli en son sein de nombreux musiciens de renommée internationale comme l’honorable Oscar Peterson qui est né à quelques pâtés de maisons de l’Église Union United, même chose pour l’honorable Oliver John. Je dois aussi mentionner la sœur d’Oscar Peterson, madame Daisy Sully Peterson qui a montré à jouer du piano à tous les deux jusqu’à ce qu’ils la dépassent. C’est une personne illustre de la communauté noire à Montréal. L’Église Union United joue un rôle fondamental entre autre avec le révérend Charles Hess qui dans les années 1920, 1930, 1940 et 1950, est la personne de référence pour la communauté noire anglophone. C’est lui qui s’occupe de tous les problèmes sociaux, raciaux ou politiques, de la communauté. Tout passe par son Église qui a connu un très bon succès jusqu’à aujourd’hui. Finalement, plusieurs personnes vont passer par cette Église au cours des décennies. Cela m’amène à parler de Jackie Robinson dont tout le monde se souvient. C’est lui qui brise la barrière de la couleur comme joueur dans les ligues mineures puis majeures de baseball en 1946 lorsqu’il joue pour Montréal. C’est le premier club de sport professionnel à accueillir un jour de couleur en son sein. Avant lui, aucun Noir n’avait pu jouer dans les ligues mineures professionnelles ou majeures. C’est incroyable. C’est un homme qui avait beaucoup de charisme, et il a choisi d’habiter avec sa femme un quartier très blanc, Villeray. Pour l’anecdote, un jour, après avoir marqué plusieurs points lors d’une partie, monsieur Robinson sort de chez-lui et il voit une meute de gens qui se mettent à lui courir après. Alors il se sauve, mais la foule le rattrape et ils le hissent sur leurs épaules pour le porter en liesse. Pour dire encore une fois que quand on aime quelqu’un au Québec, on l’aime vraiment.

Ce même phénomène s’est reproduit pour Felipe Alou ou P.K. Subban.

Dès les années 1950, le Canada change sa stratégie d’immigration pour permettre l’entrée de bonnes en provenance des Caraïbes. À ce moment, on facilite le parrainage d’abord pour la Barbade, puis toutes les Iles des Antilles demandent à avoir accès au même programme. Graduellement le Canada ouvre les portes aux femmes domestiques qui par la suite, sous de nombreuses conditions, pourront faire venir les membres de leur famille.

Frantz a parlé des femmes de la Guadeloupe qui sont venues ici comme bonnes pour de riches bourgeois qui pouvaient se le permettre. On sait qu’en 1911, le gouvernement canadien de Wilfrid Laurier ne voulait rien savoir d’avoir plus de Noirs. Ceux-ci voulaient venir pour développer l’Ouest canadien, mais le gouvernement conservateur de Borden s’y opposa. À l’époque, le racisme dans les Prairies est très fort. On a même trouvé comme excuse que c’était trop froid pour les Noirs alors que le Canada représentait l’Eldorado, le chemin vers la terre promise. Dès les années 1840-1850, les Noirs se dirigeaient vers le Canada alors qu’à partir des années 1900, on ferme les frontières. Les Russes, les Allemands et les Ukrainiens qui colonisent l’Ouest ne veulent rien savoir des Noirs et on invente l’excuse du froid. Cette interdiction tiendra le temps que cela tiendra.    

Si je reviens dans les années 1960, il y a eu plusieurs vagues successives de professionnels qui sont venus d’Haïti, de la Barbade et de la Jamaïque. C’était la crème de la crème qu’on faisait venir ici. Finalement on vidait ces pays de leurs intellectuels, de leurs artistes et de leurs savants. Ensuite il y a eu la vague d’étudiants des années 1960, qui a permis, surtout du côté anglophone, la venue de leaders noirs américains et caribéens qui vont s’engager à leur retour chez eux dans la politique et la défense des droits civils. Je pense au Black Panthers, du mouvement étudiants qui dès les années 1966 jusqu’en 1969 est en ébullition à travers le monde de Mexico à Paris et Montréal suit la vague. À l’université Sir Georges William, aujourd’hui Concordia, un groupe d’étudiants noirs se considérant discriminés par un professeur de biologie occupent un édifice pendant plusieurs jours. Alors la police montre sont vrai visage et elle les expulse avec violence. Cela a provoqué la fameuse émeute de Sir Georges William qui a été un fait marquant de l’histoire de la communauté noire à Montréal. C’est à ce moment qu’on découvre qu’il se passe quelque chose avec les Noirs au Québec parce que nous avions toujours été très éteints, marginalisés et sans voix. Avec ces étudiants étrangers, beaucoup plus revendicateurs que nous ne l’étions, dont certains vont devenir : premier ministre de leur pays comme Rosie Douglas en Dominique, protagoniste des Black Panthers aux États-Unis comme Stokely Carmichael, ou sénatrice à Ottawa comme Yvette Bonny. Il y a même un très bon film de l’ONF qui a été fait à ce sujet qui s’appelle «  Ninth Floor ». Tout cela a créé un phénomène et dès 1972 apparaissent plusieurs organismes clés pour la communauté noire. La Ligue des Noirs du Québec, la Maison d’Haïti, The Black figure workshop.

Frantz: Le CIDICA est né en 1983, mais il a ses origines dans deux revues haïtiennes, Nouvelle optique en 1971 et Collectif power. Il y a aussi le Bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal et plus tard le Centre Marité.

Michael: C’est un moment d’ébullition. Avec les nouvelles communautés qui sont arrivées des Antilles, plusieurs organismes sont là pour être au service des communautés noires. Pour chaque petit gain de la communauté noire, c’est une très grande bataille.

 

Commentaire de Mireille Metellus

À propos de Matthieu Léveillé, j’aimerais donner comme référence un ouvrage de Serge Bilé, un auteur franco-ivoirien, le titre c’est « D’esclave à bourreau ». Ça a été publié en 2015. Il est venu à Montréal pour le lancement de son livre à la librairie Olivieri sur Côte-des-Neiges. C’était la première fois que j’entendais parler de ce bourreau qui a été obligé de torturer et d’exécuter Marie-Josèphe Angélique. En ce qui la concerne, la première fois qu’on a entendu parler d’elle au Canada, c’est dans le film : The fields of endless day (ONF, 1980). C’est un docu-drama, c’est-à-dire avec des faits réels dramatisés, et je suis la première comédienne à avoir personnifié Marie-Josèphe Angélique, une esclave qui a été accusée d’avoir mis le feu dans la maison de sa maitresse. C’était vraiment complet ce que vous avez dit. Je suis à Montréal depuis plus de 50 ans et quand tu parles du quartier de la Petite Bourgogne, j’ai eu la chance d’apprendre sur l’histoire des Noirs au Canada. Souvent les gens pensent que cela ne fait pas longtemps qu’il y a des Noirs au Québec, mais cela fait 400 ans qu’ils sont présents. C’est vrai que la communauté haïtienne est plus jeune, sauf que nous sommes là depuis ce temps-là. C’est comme cela que j’ai connu Miss Sully, la sœur d’Oscar Peterson parce qu’elle enseignait le piano au Negro Community Center. Merci pour ce partage que vous avez fait. J’adore l’histoire et ce qui est important pour moi, c’est de partager les connaissances pour qu’on puisse la connaître parce que plus on va la connaître, plus on va se comprendre entre nous et on va pouvoir partager. C’est ma posture interculturelle.           

Michael Farkas : Je voudrais juste terminer avec deux petits points pour dire qu’effectivement cette reconnaissance des différents paliers de gouvernements a eu lieu d’abord à Montréal par le maire Jean Doré. C’est lui qui a été le premier à reconnaître que le mois de février serait dédié à l’Histoire des Noirs, ensuite cela été Yolande James qui a fait voter une résolution à l’Assemblée nationale du Québec en 2006, puis par l’honorable sénatrice Jude Augustin en 2015. Je vais terminer par quelque chose de très récent qui nous touche un peu tout le monde : En 2018, le Festival international de jazz met fin à la présentation de la pièce Slave sur l’esclavage qui a été considéré comme de l’appropriation culturelle. Alors vous pouvez voir le chemin parcouru et celui qu’il a encore à faire et nous pouvons en discuter tous ensemble maintenant. 


Échanges avec le public

* Je voulais dire simplement quand on parlait du Mois de l’histoire des Noirs, de ne pas oublier de mentionner le rôle important qu’à jouer Vladimir Gentil et madame Alcedor aussi.  

* Quel a été le rôle de l’université McGill en lien avec les événements qui se sont produits à l’université Georges William et avec la communauté noire.

Michael Farkas : De ce qu’on sait, les gens étaient très mobilisés à cette époque de la fin des années 1960. L’université McGill n’a jamais eu un gros bassin d’étudiants noirs jusqu’à aujourd’hui, mais c’est là qu’a eu lieu le Congrès international des écrivains noirs en 1968. Ça a été un brassage d’idées et de conscientisation sur les enjeux noirs de l’époque. C’est ce que j’ai comme information.  

Frantz Voltaire : Pour compléter, dans ce congrès qui faisait suite à deux grandes rencontres, celle de La Sorbonne à Paris qui a été la première grande rencontre des écrivains et intellectuels noirs qui venaient d’Afrique, encore colonisée puisque c’était dans les années 1950. Il y a eu une présence massive aussi d’intellectuels haïtiens, du monde antillais, des États-Unis. C’était aussi toute la présence africaine à Paris et Aimé Césaire était l’âme de ce congrès. Puis au début des années 1960, il y a eu un second congrès à Rome et Montréal est devenu le troisième lieu d’accueil du Congrès international des écrivains noirs. Cyril James de Trinidad était présent. Il vivait en Angleterre mais il était l’un de ses grands penseurs qui avait écrit sur la révolution haïtienne. C’était le moment où se posait la question de la décolonisation et celle du racisme dans les Amériques. Ce mouvement a animé les plus jeunes qui vont donner naissance plus tard à cette résistance une année plus tard à Sir Georges William. Ce mouvement questionnait ceux qui avaient été dominants pendant longtemps et le racisme qui discriminait les gens indépendamment de leur situation. Cela a permis de ressembler l’ensemble des militants politiques de la communauté noire et a eu des influences sur le renforcement de leurs convictions. Il s’y trouvait toutes sortes de tendances. Il y avait des tendances marxisantes, il y avait des tendances nationalistes, il y avait aussi des tendances afro-centristes. C’était un moment très fort pour l’ensemble des communautés noires et cela a permis de sentir qu’ils étaient tous reliés par leur condition d’hommes noirs peu importe leur situation professionnelle. Ils étaient tous concernés par la persistance du racisme. Il y a une personnalité comme Varita Wesmola qui a été l’avocate des étudiants arrêtés en 1969 à Sir Georges William qui est devenue professeure de droit et doyenne de la faculté de droit. Elle a fait le lien entre toutes les communautés noires. L’an dernier, lors de la semaine d’actions contre le racisme, on a célébré sa mémoire parce qu’elle a été l’avocate de plusieurs de ces militants. À l’occasion de cette lutte, il y a eu aussi l’appui de certains Québécois et de militants de la communauté juive. Ce mouvement a remis en question les modalités de fonctionnement d’un système discriminatoire qui s’est constitué à la fin du 19ème siècle. Ce système était basé sur l’exclusion pas seulement des Noirs, mais des autochtones et de plusieurs minorités. N’oublions que jusque dans les années 1960, la politique d’immigration canadienne était la même que l’Australie, c’est-à-dire : « Keep Canada white. »  Donc, c’était l’exclusion de ces communautés.     

* J’ajouterais que l’année dernière, nous avons célébré le 50ème anniversaire de ce congrès et cela a eu lieu à la Maison d’Haïti et beaucoup de ces gens étaient présents.  

Michael : Il est connu qu’un des fondateurs de l’Université McGill a possédé des esclaves noirs parce que c’était cette grande bourgeoisie qui pouvait se le permettre. Nous avons peut-être oublié de mentionner qu’à part des esclaves, il y avait aussi des travailleurs sous contrats qui devaient travailler pendant quelques années (3 ou 4 ans) pour rembourser une dette sans être payés. 

Frantz : C’est le modèle qui a précédé la généralisation de l’esclavage, mais comme celui-ci n’était pas légal en Europe, on a redéfini cela en faisant venir les captifs qu’on a mis en esclavage une fois arrivés en Amérique.     

Michael : Il est évident que pour McGill, il a des gens qui ont investi dans l’éducation, mais qui par ailleurs, avaient des esclaves pour les servir. 

* Pour faire un peu d’interculturel, j’aimerais soulever la différence entre les Canadiens noirs qui demandaient à servir sous les drapeaux, alors que les Canadiens-français de l’époque refusaient de le faire. Ces derniers se disaient qu’ils ne voulaient pas faire les guerres impérialistes britanniques comme ils avaient été invités à le faire lors de la Guerre des Boers en Afrique du Sud au tout début du 20ème siècle. Les Canadiens-français savaient qu’ils avaient un rang de colonisés et ils ne voulaient pas encourager y contribuer. Qui plus est, les Britannique avaient la réputation de placer les bataillons écossais, irlandais et canadiens français, en première ligne, et eux venaient derrière. Il y a le débarquement de Dieppe pendant la Seconde guerre mondiale, commandé par Lord Mountbatten, pour tester les défenses allemandes en Normandie qui a été un véritable massacre et qui a marqué les esprits.

Frantz : On retrouve le même phénomène aux États-Unis et au Canada, c’est-à-dire que les Noirs n’étaient pas considérés comme des citoyens. Pour eux, aller se battre à la guerre, c’était payer le prix du sang. Au départ, il y avait une opposition des Blancs, mais quand les Noirs revenaient de la guerre où ils s’étaient battus contre des Allemand racistes, ils demandaient à être considérés comme des citoyens à part entière et ils n’acceptaient plus d’être discriminés. C’est ainsi qu’on comprend la réticence des officiers blancs parce qu’ils savaient que cela allait apporter un changement.   

* Par contre, Mohamed Ali refusera de s’enrôler lors de la Guerre du Vietnam en affirmant qu’il ne voyait pas pourquoi un pauvre noir victime de racisme dans son propre pays irait se battre à l’autre bout du monde pour tuer d’autres pauvres qui veulent se libérer de l’impérialisme.

Frantz: Après la Guerre de Corée, à la Guerre du Vietnam, nous sommes à une autre époque et le gouvernement américain va mobiliser comme chair à canon les minorités. Il va même permettre que des immigrants illégaux puissent obtenir la citoyenneté américaine en échange du service militaire sur le front. Plusieurs y voyaient une opportunité, mais les Noirs américains ont commencé à se poser la question de la persistance du racisme. Quelqu’un comme W. E. B. Du Bois qui avait encouragé les Noirs à aller se battre lors de la 2ème Guerre mondiale sous la promesse de l’émancipation des Noirs américains, dans les années 1960, à près de 98 ans, va décider qu’il ne voulait plus être citoyen américain et il va aller s’établir au Ghana.       

* Est-ce que les Noirs établis à Halifax sont considérés comme les oubliés de l’histoire canadienne ?

Michael : Ils l’ont été très longtemps. Souvent on disait qu’il n’y avait pas de Noirs au Canada et on oubliait cette communauté qui est arrivée avec les Loyalistes ou bien ceux qui sont venus les rejoindre à travers le Chemin de fer clandestin. Aujourd’hui, c’est une communauté qui s’affirme beaucoup et qui prend beaucoup de leadership par rapport aux choses qui nous concerne.   

Frantz : Pour compléter, il y a eu 3 500 Noirs loyalistes qui se sont battus dans l’armée britannique et qui ont été établis en Nouvelle-Écosse. Beaucoup d’entre eux quand ils sont arrivés se sont retrouvés dans une condition de métayers, de simples employés sur les fermes des Blancs. Donc, une partie des hommes qui s’étaient battus dans les régiments comme le Régiment éthiopien, les Black Pionneers, ainsi que les Marrons, les 500 Marrons qui ont aidé à reconstruire la forteresse de Louis bourgs en Nouvelle-Écosse, beaucoup d’entre eux ont décidé de partir en Afrique pour participer à la création de la Sierra Leone.       

* Si je comprends bien, il y a à Montréal une communauté noire anglophone et une francophone. Quels sont les liens entre ces deux communautés ? 

Michael: Il vient de toucher un bon point, c’est un peu comme les anglophones du Canada Anglais et les francophones du Québec, ce sont deux solitudes. Pendant très longtemps, il n’y avait pas assez d’échanges entre ces deux communautés. Bien sûr, il y avait quelques ambassadeurs dont Mireille entre autres qui faisait la navette entre les deux communautés. Depuis une vingtaine d’années, il y a beaucoup d’échanges entre ces deux communautés, mais cela a pris du temps.      

* Pourquoi la loi 21 sur les accommodements religieux choque-t-elle tant au Canada Anglais ?

Frantz : C’est très difficile de parler de cette loi. D’abord ça a touché la communauté musulmane. Vous avez parmi ces communautés des francophones ou des anglophones qui sont des Noires musulmanes. Pour ce qui est de l’opinion du Canada Anglais, c’est un autre débat. Moi je demeurerais au Québec et si les gens s’opposent à cette loi, c’est qu’ils pensent que toutes lois discriminatoires, par expérience historique, leur retombent dessus. C’est-à-dire que tout ce qui est perçu comme discriminatoire peut demain matin être appliqué d’une autre façon. Quand il y a eu l’attentat à la Mosquée de Québec, cela a touché aussi des francophones, des Guinéens qui étaient musulmans. Donc, on comprend très bien comment les communautés réagissent face à cette situation.   

Michael: La réponse si situe aussi dans l’acceptation par les anglophones du pays du multiculturalisme du « vivre et laissez-vivre », tandis qu’au Québec, nous sommes davantage dans un modèle d’intégration. C’est aussi pourquoi les anglophones noirs n’acceptent pas très bien cette loi.  

* Pour le moment, nous sommes tous à visage couvert. 

Éclats de rire général.

* Avec l’indépendance d’Haïti en 1804, comment a été la relation entre le Canada et ce pays, puisque l’esclavage n’a été aboli officiellement qu’en 1834?  

Frantz : Il faut voir qu’à cette époque le Canada fait parti de l’Empire britannique. À partir de l’indépendance d’Haïti, les Anglais qui sont très pragmatiques, ont poursuivi ce commerce. Il y a toujours eu un débat sur la question que l’Angleterre s’est posée. « Fallait-il reconnaître Haïti ou commercer avec l’île sans la reconnaître comme un pays? » Ça a été la position de l’Empire britannique pendant très longtemps. On reconnaissait de facto Haïti, sans la reconnaître. Aux États-Unis, la situation était un peu différente puisqu’il y avait l’opposition entre le Sud et le Nord où l’esclavage avait été aboli. Le blé et la farine vendus en Haïti venait de Philadelphie. Il faut comprendre aussi que la fabrication du rhum au Canada dépendait de la mélasse produite dans les Caraïbes. Dans les faits, on reconnaissait le pays pour le commerce, mais pas politiquement. Cela va changer en 1825, sous la présidence de Jean-Pierre Boyer, lorsqu’Haïti va signer avec la France un accord de compensation pour les expropriations commises lors de l’Indépendance du pays. C’est l’équivalent aujourd’hui de plusieurs milliards de dollars et c’était inusité dans l’histoire que les vainqueurs paient au vaincus des indemnités. À partir de cette date, le commerce va se normaliser avec Haïti, sauf avec les États-Unis où il faudra attendre la fin de la Guerre de sécession en 1865 pour formaliser les relations diplomatiques.

* Avez-vous des titres de livres a recommandés en ce qui concerne l’histoire de la communauté d’Afrique ville près d’Halifax ?

Frantz : John N. Grant, Blacks immigrants into Nova Scotia, 1776-1815, The Journal of Negro History, Volume LIII, Numéro 03, july 1973, University of Chicago Press.     

Neil MacKinnon, Unfrendly Soil, The Loyalist Experience in Nova Soctia, 1783-1791, McGill-Queen’s University Press, 1986, 244 p.

Frances Henry, Forgotten Canadians, the Blacks of Nova Scotia, Longman Canada, 1973, 215 p.

Michael : Tony Colaicabo , Time of African Nova Scotia, Nova Scotia Community College, 20016, 2 volumes. On y retrouve toute l’histoire de Viola Desmond. 

* Il y a aussi au Musée des civilisations de Gatineau où il y a une exposition permanente sur les gens d’Halifax.

* Au cours de l’histoire, quels ont été les liens entre les mouvements sociaux afro-américains : The National Association for the Advancement of Coloured People (NAACP), the Black Panthers Movement, l’Afrofeminism en général, et les mouvements sociaux pour les droits civiques des Noirs au Canada ?

Frantz: Pendant tout le 19ème siècle, jusqu’à la Guerre civile américaine. Il y a des liens très étroits puisque il y a tout ce chemin de fer de la liberté (underground rail road) où de nombreux dirigeants ont été des afro-américains qui faisaient passer les fugitifs vers le Canada. Nous allons bientôt publier un livre de Theodore Holly, l’abolitionniste noir américain. (verso) 

Dans les années 1850, il est venu au Canada et il y a une polémique avec les dirigeants canadiens noirs, parce qu’il y a eu tout un débat dans ces communautés sur ce qu’il fallait faire. Il y avait quatre options sur la table:

1) Ceux qui comme Frédéric Douglas vont dire : Nous sommes nés aux États-Unis et nous devons nous battre parce que ce pays nous appartient aussi;   

2) Ceux qui disaient qu’il fallait émigrer au Canada parce que selon eux les États-Unis ne changeront jamais;

3)  Ceux qui posaient la question d’émigrer au Liberia en Afrique;

4) Et ceux qui disent: Non, il faut aller en Haïti comme Theodore Holly.

Donc, il y avait ces rencontres, ces débats et ces échanges épistolaires entre les mouvements abolitionnistes. Il y avait aussi le mouvement abolitionniste européen qui existait depuis le 18ème siècle. En France, c’était la Société des amis des Noirs, tandis qu’en Angleterre il y avait plusieurs mouvements. De ce fait, il y a tout un échange de correspondance pendant toute cette période. La seconde période va durer jusqu’au début du 20ème siècle. En 1909, arrive au Québec un abolitionniste d’origine haïtienne, Benito Sylvain, qui interpelle l’archevêque de Montréal parce qu’il subit des discriminations. Il est venu ici pour rencontrer les premiers noirs. Un autre cas, ce sont les Porters. D’abord, il y avait la discrimination qui limitait la possibilité d’emploi, mais le bagagiste joue un rôle fondamental. Travaillant sur les chemins de fers au Canada et aux États-Unis, il est celui qui établit les contacts avec les autres communautés noires, il est le passeur. C’est lui qui distribue les journaux noirs publiés un peu partout. C’est aussi lui qui anime les débats parce qu’il circule et qu’il écoute les discussions des Blancs sur les trains. Il lit les journaux et il a une formation parce que généralement on embauchait ceux qui avaient un peu d’éducation. Donc, tous ces gens vont jouer un rôle capital, ils font circuler les journaux noirs de ville en ville parce qu’ils se déplacent  pour leur travail. Ce n’est pas un hasard si dans plusieurs pays, dont la France, les cheminots jouent un rôle fondamental d’organisateurs syndicaux. En Europe, c’était les cheminots avec les typographes qui étaient les intellectuels du mouvement ouvrier.      

Après, il faut mentionner des gens comme W.E. B. Du Bois, d’origine haïtienne, mais Américain, premier diplômé noir de Harvard, il est l’un des membres fondateurs de la NAACP et il est à l’origine des premières relations de la communauté noire américaine avec les intellectuels africains établis en Europe. Les Noirs américain étaient confrontés à la question du racisme tandis que les Africains l’étaient davantage par celle du colonialisme. Du Bois a joué un rôle capital. Par exemple, lors de l’exposition universelle de 1892, il s’est battu pour qu’il y ait une présence des Noirs américains. Il ya aussi quelqu’un comme Frederic Douglas, né sous l’esclavage qui a fini sa vie comme juge. Il a été ambassadeur des États-Unis en Haïti et il a été révoqué parce qu’on le disait trop proche des Haïtiens. Lors de l’exposition universelle de Chicago, c’est le pavillon d’Haïti qui va accueillir l’exposition des Noirs américains dont le pays ne voulait pas souligner la contribution à l’histoire et à la culture. À cette occasion, Du Bois est nommé commissaire de cette exposition.              

Autre exemple, au début du 19ème siècle, un des premiers intellectuels haïtiens qui vivait dans le royaume du roi Christophe, était en contact avec les Américains. Les pasteurs américains comme Saul, viendront en Haïti, donc il y a un lien entre ces deux pays. C’est une histoire peu connue puisqu’on a exclus cette histoire de l’histoire officielle.    

Michael : Pour ce qui est de la National Association for the Advancement of the Coloured People, le lien serait la lutte de Ballot Desmond en Nouvelle-Écosse où ils ont fondé avec Barry Best et d’autres, la Nova Scotia Association for the advancement of the coloured people. Par rapport aux Black Panthers, il y a un lien direct avec Montréal et toute la question des émeutes à l’université Sir Georges William et du Congrès international des écrivains noirs. Il y a aussi le livre que Dave Hustin a écrit sur Alphy Robert dès 1965. Il y a toujours un lien très fort, mais Montréal est toujours la base arrière où l’on prépare les actions. Pour les afro-féministes en général, je regarderais vers Toronto, mais j’aurais besoin de l’aide d’une participante qui s’y connait mieux que moi.

Marjorie Villefranche: Le mouvement féministe noir a été très présent. Dès les années 1970, il y avait des liens entre les groupes de femmes noires francophones et anglophones et les groupes de femmes des différents pays d’origine. Je pense que c’est une rencontre qui s’est faite très tôt et qui a continuée.   

* Pourquoi les exclusions raciales persistent-elles au Canada ?

* Je trouve qu’il y a très peu de pratiques qui ont changé dans le rapport des forces de l’ordre avec les populations. Il y a peut-être eu quelques lois qui ont changé, mais pour ce qui est de l’application de la loi par les forces de l’ordre dans les rapports avec la population, il y a très peu de pratiques qui ont changé. Dans la philosophie même de ces pratiques, il y a un problème parce que ces pratiques sont héritées de cette histoire coloniale et d’une volonté réelle d’opprimer ces populations. Avec la Maison d’Haïti nous avons participé à plusieurs conversations à ce sujet avec les représentants des forces de l’ordre, mais c’est comme s’il y avait deux vitesses au niveau de la connaissance des informations. Ce n’est pas parce que nous avons réussi à faire un historique de la présence des Noirs au Canada que c’est connu et respecté. Lorsqu’on regarde les programmes du ministère de l’éducation, ils ne sont pas à jour à ce sujet, même chose pour ce qui est des formations des forces de l’ordre, cela demeure très loin de ces réalités. Très souvent on nous pose la question, mais je trouve qu’ils ont beaucoup à justifier de leur côté aussi.         

* Peut-être devrait-il y avoir davantage d’embauche de policiers originaires des différentes communautés culturelles ?          

* L’embauche c’est une chose, mais ce sont les pratiques qui doivent changer.

Frantz : Il faut ce rappeler qu’il existe toute une tradition dans laquelle la police a été socialisée et éduquée pour réprimer et où elle comprend que ces communautés sont considérées comme extérieures à la société dominante. Elle comprend son rôle comme étant de maintenir ces communautés « à leur place », donc soumises. Les policiers se disent que ces gens viennent d’arriver et il faut qu’ils s’adaptent. Dans ce cas, adaptation signifie : « domestication ». 

* Même s’ils sont ici depuis plusieurs générations, on les considère toujours comme s’ils venaient d’arriver.

Frantz : En effet, est-ce que mes petits-enfants nés ici seront considérés toujours comme des nouveaux arrivants ? On comprend très mal comment les 2ème et 3ème générations continuent de subir des discriminations. Il y a l’exemple américain qui est celui à ne pas suivre, de la mise en place de mécanismes de répression. On oublie que l’esclavage était légal, que certaines pratiques étaient immorales et illégitimes, mais légales.    

* Il y a aussi toute la production culturelle au Québec qui la plupart du temps est blanche francophone. La diversité montréalaise n’y est pas représentée. 

* Michèle D’Haïti, membre de la Table du Mois de l’histoire des Noirs à Québec nous a rapporté ces propos d’Angela Davis : « Aux États-Unis, il y avait un intérêt de la part d’une certaine classe dirigeante, de maintenir la population divisée. Par exemple, la classe ouvrière blanche qui au lieu de s’en prendre aux multimillionnaires en voulait aux communautés afro-américaines qui vivent pourtant dans des conditions pires qu’eux.» En fait, le racisme permet de masquer la véritable lutte des classes en détournant l’attention de la classe ouvrière blanche vers de faux enjeux.  

Frantz : De fait, on hiérarchise la force de travail sur une base ethnique. Il y a un livre écrit il y a quelques années : When the Irish became white, (Quand les Irlandais sont devenus blancs). Au Kansas, il y a eu un débat pour savoir si les Italiens étaient blancs. En Nouvelle-Angleterre, l’arrivée des Irlandais au début du 19ème siècle posait des questions pour l’élite protestante qui prétendait qu’il s’agissait d’un complot du pape. Cette élite voulait exclure les Irlandais et il y avait des affiches où il était écrit : « Interdit aux Noirs, aux Irlandais et aux chiens. » Plus tard, on a intégré les Irlandais dans la catégorie « blanche » parce que la notion de blanc, comme celle de noir, c’est une construction sociale. Donc, on les a introduits là-dedans. On a dit les Irlandais sont devenus blancs, après ça a été le tour des Juifs, puis des Italiens. Il y a eu des débats à savoir si les Arabes musulmans étaient blancs ou pas, alors que les Arabes chrétiens étaient considérés comme blancs. Ce sont toutes des constructions qu’on a hiérarchisées.

Quand les immigrants arrivaient aux États-Unis au 19ème siècle, ils se heurtaient à ces discriminations et ils sont allés s’installer dans les États du Nord où il n’y avait pas d’esclavage. On va y édicter des lois contre les Noirs parce qu’ils étaient en concurrence avec les Blancs pour les emplois. Dans le Nord, on se demandait : Qu’est-ce qu’on va faire avec des populations libres noires ? C’est alors qu’ils ont pensé à créer un pays, le Liberia, pour retourner les Noirs en Afrique ou en Haïti. Après la Guerre de sécession et l’abolition de l’esclavage, cette élite économique va devoir développer d’autres formes de coercition. On crée et on implante le Ku Klux Klan dans les États du Sud, ainsi qu’un grand nombre de mécanismes discriminatoires.                    

* Aux États-Unis, un auteur latino et américain a écrit : An African american and latin history of the United States. Ce livre parle de comment on a séparé les groupes. Les latinos aux États-Unis on les appelle les Brown, (bruns), c’est super intéressant. Il explique comment cette séparation permet une incommunicabilité entre les groupes. Cela permet aux élites de maintenir leur agenda politique et économique.

Frantz: Pour commenter rapidement, quand les Américains ont colonisé ce qui faisait partie du Nord du Mexique, la Californie, le Texas, etc., ils vont distinguer deux groupes : les Blancs descendants d’Espagnol qu’on définit comme des hispano-américains, donc assimilables comme ceux qui vivaient en Louisiane, et les Mexicains qui sont davantage d’origine amérindienne. On le voit aussi en Floride avec le traitement qui est fait aux Cubains, considérés comme de Blancs. On qualifie certains groupes comme blancs, d’autres comme métissés. Si vous avez une goutte de sang noir, vous êtes considérés comme noir.            

* En dehors de Montréal et de Québec, quels faits seraient pertinents de retenir dans l’histoire des communautés noires au Québec ? Habitant l’Abitibi, j’ai bien connu le maire d’Amos, Ulric Chérubin.

Frantz : L’histoire est en train de s’écrire parce que l’immigration change aussi la perspective que nous avions sur notre propre histoire et le regard que nous avions sur nous-mêmes. Dans les années 1965, il y a eu une rencontre entre des écrivains haïtiens et québécois. Je pense au café littéraire le Perchoir d’Haïti avec des gens comme Nicole Brossard, Paul Chamberland, Gaston Miron, Serge Le Gagneur, Émile Olivier et Richard Laforest. C’était le moment où le Québec était en plein éveil. Ces moments existent de rencontre dans notre histoire et il faut les souligner. On peut aussi penser à un personnage extrêmement intéressant comme Macpherson, chanté par Félix Leclerc, qui était le premier chimiste noir d’origine jamaïcaine qui a été adopté par la famille Leclerc. Alors Félix a composé une chanson pour lui. Ulric Chérubin, je lui avais demandé : « Comment se fait-il que tu sois devenu le maire d’Amos ? » Il dit : « Bien, j’ai été le professeur de tout le monde ici, alors ils me connaissaient, ils me faisaient confiance et ils ont voté pour moi. » Ce sont des événements qui démontrent que les gens ne naissent pas racistes, mais ils peuvent le devenir si on élimine tout le processus de socialisation qui permet de nous connaître.   

* À propos de Thomas Macpherson, il y a un livre et un film qui ont été faits sur lui.

Michael: J’aimerais ajouter à ce propos que dans les Cantons de l’Est, Saint-Armand est un endroit où les Loyalistes sont venus s’installer après la Guerre d’indépendance américaine avec leurs esclaves parfois, mais c’est aussi par là que passaient les esclaves en fuite au 19ème siècle, par le Lac Champlain. Il y a énormément de choses à découvrir sur notre héritage dans les Canton de l’Est. Autre chose, depuis que la Commission de la toponymie a aboli tous les mots negro ou negger dans les noms de lieux aux États-Unis, cela a produit une perte de mémoire historique. La Ligue des Noirs au Québec recommande de ne pas faire cela sans documenter la chose. Il y a 12 ou 13 endroits au Québec qui retienne le mot negger, nègre, c’est parce qu’il y a une histoire derrière ce lieu. À chaque été, nous allons à Saint-Armand avec un autobus, nous effectuons un pèlerinage au rocher sur la ferme de la famille Nault. C’est plus important de connaître l’histoire que de l’ensevelir en effaçant cette présence.             

Frantz : C’est ce qu’on fait les esclavagistes brésiliens lorsqu’ils ont aboli l’esclavage, ils ont brûlé les registres pour empêcher les gens de connaître l’ampleur de l’esclavage. De ce fait, les descendants des esclaves ne peuvent plus retracer leur propre histoire.  

* La Maison d’Haïti avec son programme ASP pour activités sociaux pédagogiques, nous allions visiter Saint-Armand. Nous sommes allés dans cette grotte où les esclaves en fuite se cachaient. C’est là aussi qu’on retrouve la première église méthodiste.    

* Y a-t-il des liens entre les communautés noires et les autres minorités visibles dans leur lutte pour l’égalité ?

Frantz : Nous avons des liens très étroits puisque nous organisons ensemble la Semaine d’actions contre le racisme. Celle qui coordonne cette année est une musulmane du Maroc, nous avons aussi des latino-américains sur le comité, des Juifs, des Haïtiens. C’est un de nos programmes le plus important et on pense qu’il faut aborder la question de la discrimination qui change pour chaque génération. Aujourd’hui, la question du racisme ne se pose plus de la même façon. J’aperçois dans tous les programmes de la Maison d’Haïti, qu’il y a de plus en plus de mixité. Je vois dans la plupart de nos activités une pluralité de gens. Ce ne sont pas les minorités qui discriminent. En fait, ce sont les communautés dominantes qui définissent les règles dans lesquelles fonctionnent toutes les communautés et qui établissent les discriminations. Dans la vie quotidienne, les gens s’entendent entre eux.

 

Remerciements à la Maison D’Haïti, à Frantz Voltaire, Michael Farkas et Monica Girom, pour cette rencontre exceptionnelle.

 

Propos rapportés par Yves Carrier

 

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