Rassemblons un Québec riche de tout son monde, consultation sur les enjeux de la pauvreté!
Mars 2020, numéro 307, version pdf
L’animation de ce soir est assumée par Marianne Paradis-Pelletier du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Cette tournée de consultations a été lancée pour souligner le 20ème anniversaire du Collectif. Martin Michaud agira comme secrétaire pour le rapport global qu’ils produiront à l’issu de cette tournée.
Je laisse la parole à Marianne. (YC)
Bonsoir, c’est une tournée de consultation du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Est-ce que vous connaissez le Collectif ?
* L’idée est né ici dans cette salle. (Un participant)
Effectivement, l’idée d’une loi pour éliminer la pauvreté est née lors d’une soirée mensuelle au CAPMO. Le bébé a grandi et c’est devenu un jeune adulte. Le Collectif est né il y a 20 ans après une gestation de quelques années. Nous voulons souligner l’anniversaire de cette naissance par une tournée de consultations sur la pauvreté à travers le Québec. Alors nous souhaitons rencontrer des gens en situation de pauvreté pour qu’ils nous disent leurs préoccupations. Est-ce que ce que nous portons comme message à travers toutes ses années est encore valide ? Est-ce que cela fait encore du sens de parler de cela ? Qu’est-ce qu’il y aurait de nouveau à dire ? C’est certain qu’on ne pourra pas se poser toutes les questions sur les enjeux de pauvreté en deux heures, donc nous allons nous pencher sur la question de l’exclusion sociale lorsqu’on vit de la pauvreté, mais aussi sur qu’est-ce que serait une vie hors de la pauvreté. Alors le processus que nous poursuivons à travers cette démarche : Rassemblons pour un Québec riche de tout son monde, débute par une année de consultation. Jusqu’ici, nous avons rencontré 30 groupes et il nous en reste autant à rencontrer. Nous aimerions conclure cette première partie au mois de mai. L’an prochain nous allons faire cinq rencontres stratégiques. Nous avons aussi mis sur pied un comité d’analyse qui se penchera sur les réponses que vous allez émettre ce soir. (Marianne Paradis-Pelletier)
Nous allons rédiger un compte-rendu général de toutes les rencontres où nous ferons une synthèse de ce qui ressort de chacune d’elle. Ensuite, nous présenterons ces résultats dans cinq rencontres que nous allons tenir dans différentes régions du Québec dans le but de regrouper les gens que nous aurons consultés. Certaines des personnes que nous aurons consultés seront invités à valider ou invalider nos résultats préliminaires. Une fois que nous aurons complété cette grande tournée, nous allons faire un événement au printemps 2021.
À chaque groupe que nous rencontrons, nous remettons un morceau de casse-tête géant en contreplaqué. Nous vous demanderons au cours de la prochaine année de décorer cette pièce en exprimant ce que cela représente pour vous un Québec riche de tout son monde, qu’est-ce que cela vous inspire ? La pièce reste ici, c’est à vous et on vous invite à la décorer puis à l’apporter à l’événement du printemps 2021.
Pour parler de l’exclusion sociale, je vous présente Charlie, une personne non genrée. C’est un outils d’éducation populaire qui existe depuis longtemps permettant d’explorer plusieurs dimensions de la personne humaine. Charlie vit de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Première question : « Qu’est-ce que l’exclusion sociale ? » C’est à votre tour de vous exprimer.
* Quelqu’un qui est à part.
* Quelqu’un qui est dépendant, selon ses sources de revenus.
* Une personne qui se sent exclue de la société.
* Quelqu’un qui est en dehors de…
* Est-ce que c’est péjoratif d’être considéré en dehors ?
* Je dirais que oui cela l’est parce qu’on n’est pas intégré dans l’ensemble. C’est être mis à part.
* Cela dépend s’il y a la notion de choix et la possibilité de retourner. Si on n’a pas le choix, cela devient négatif.
* Le fait de vouloir socialiser les enfants en les intégrant à l’école et à la garderie de plus en plus jeune, pour les former d’une certaine manière, alors quand tu ne rentres pas dans le système tu souffres de cela. Parfois, être exclus permet de mieux se trouver. Cela peut être intéressant.
* Le fait de ne pas avoir accès à des services essentiels comme des soins de santé par exemple.
* L’exclusion sociale peut être une conséquence d’appartenir à une minorité visible : autochtone, immigrant, personne vivant avec un handicap ou en situation de pauvreté, diversité sexuelle, etc. cela peut restreindre une personne à appartenir à un groupe et lui rendre difficile l’accès à d’autres groupes.
Vous êtes en train d’aborder les différentes tâches de Charlie que nous allons explorer. J’aurais besoin d’une volontaire pour prendre des notes sur la feuille. Nous allons nous demander quels sont les moments où Charlie vit de l’exclusion sociale lié à sa situation de pauvreté ? Puis nous allons nous demander comment Charlie se sent lorsque cela arrive ? Ensuite, comment il réagit ? Et finalement, quelles sont les pistes de solutions au niveau de la société ? Comment pourrions-nous changer cette situation collectivement ?
Martine Sanfaçon agira comme secrétaire pour le groupe.
1. Quand est-ce que Charlie vit des moments d’exclusion sociale ?
* À chaque jour.
* Lors de ses interactions avec les autres. Par exemple, à la fin de la journée l’équipe de travail décide d’aller au bar et qu’il ne peut pas faute d’argent. Il n’a pas accès aux mêmes loisirs.
* Le midi au restaurant parce qu’il ne peut pas y aller et manger ce qu’il souhaite.
* Dans la famille, on s’auto-exclut faute d’argent. On est pas capable de suivre le rythme. On évite les fêtes de famille parce qu’on ne peut pas contribuer comme les autres ou s’habiller assez bien.
* Avec les amis, ne pas pouvoir se payer les mêmes loisirs. Je vais me sentir exclue parce qu’ils vont y aller quand même si je n’y vais pas.
Est-ce qu’au cours de la semaine il y a des moments où des moments d’exclusion peuvent se produire ?
* La fin de semaine, tu restes tout seul chez vous.
* Cela peut arriver à n’importe quel moment à cause des jugements qu’on subit en raison de son habillement ou de sa différence.
* Dans les médias, lorsqu’on réalise que ce que la publicité nous propose, ce n’est pas pour soi. On y parle rarement des personnes en situation de pauvreté. On a tellement peu accès à ce qu’on nous vend avec tout le marketing. Lors d’une soirée de télévision, tu as l’impression que tout ce qu’on essaie de te vendre, ce n’est surtout pars pour toi. Quand on parle des personnes pauvres dans les médias, c’est souvent pour les accuser ou dire du négatif. C’est rarement positif.
* C’est excluant de ne pas avoir assez d’argent pour prendre l’autobus.
* La méritocratie qui est rapportée dans les médias envers les personnes qui réalisent des choses exceptionnelles, ce n’est pas à notre portée. Cela peut devenir dévalorisant pour certains lorsqu’on se compare à des modèles de réussites sociales, sportives ou professionnelles.
* Quand tu réalises que ton logement est insalubre et que tu ne peux pas te payer autre chose de mieux, alors l’exclusion devient permanente.
* Lorsqu’on est enfant, on ressent cela de manière très marquée. À l’adolescence, ne pas pouvoir être habillé à la mode, c’est se sentir exclu, ou encore ne pas avoir accès à des activités parascolaires ou à certains soins, avoir les dents croches par exemple. Souvent on se sent un peu à l’écart, en plus on se le fait dire par les autres jeunes.
* Quand on parlait de la famille, il y a plein d’exclusions comme le fait de pouvoir voyager. La notion de choix ne fait pas partie de ta réalité quand tu vis une situation de pauvreté. Quand je parle de choix, c’est 100%.
Comment est-ce que c’est lié à l’exclusion sociale le fait de ne pas avoir le choix ?
* Par exemple, si je souhaite vivre à l’Ancienne-Lorette et qu’il n’y a pas de logement social à cet endroit, est-ce que j’ai le choix ?
* Il y a de l’exclusion aussi dans le système scolaire. Les programmes particuliers des écoles secondaires coûtent plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de dollars, aux parents par enfant par année. Le PEI c’est 500$, si c’est Sport- Études, cela commence à 5 000$, jusqu’à 35 000$ dans certains cas. C’est de l’exclusion pas à peu près. Pendant ce temps, au régulier, les lacunes et le manque de support pédagogique est évident. Un professeur de mathématique expliquait qu’il devait passer beaucoup de temps à expliquer le français dans des problèmes raisonnés. Cela appauvrit les cohortes du régulier où les enfants se sentent dévalorisés de ne pas avoir accès aux programmes spéciaux. Dès le primaire, on forme les enfants à intégrer le fait qu’il y a une hiérarchie sociale. Il me semble qu’avec la Révolution tranquille nous étions parvenus à avoir davantage de nuances entre les classes sociales alors que désormais on renforce ces divisions. Certains vont apprendre à devenir prétentieux et méprisant envers les autres tandis que ceux et celles d’en bas apprennent à douter de leurs compétences et de leur valeur.
* À propos du système scolaire, j’ai travaillé comme animateur dans une école de Vanier. Il y avait des jeunes qui n’avaient pour ambition que de devenir caissier au McDonald. C’est de l’exclusion que l’école ne permet pas de rêver à autre chose. La base de l’éducation, c’est l’espoir. Si tu vas à l’école pour devenir caissier dans un fastfood, tu n’as pas besoin d’aller à l’école. C’est l’exclusion que produit une éducation qui n’enseigne que la productivité économique.
Dans le mois ou dans l’année, est-ce qu’il y a des moment où on vit davantage d’exclusion ?
* À Noël ! Les enfants avec des parents à faible revenu ne reçoivent pas les mêmes cadeaux que les autres.
* Pendant l’été, on ne part pas en vacances ou on ne peut pas assister au Festival d’été de Québec. On se sent exclu de ne pas pouvoir y assister parce qu’on a pas les moyens de se payer le macaron.
* Lors de la rentrée scolaire, simplement les vêtements et les articles pour l’école sont assez dispendieux pour les familles défavorisées.
* Dans les quartiers défavorisés, l’été il y a des familles qui doivent rester à la maison pendant que d’autres partent en vacances.
* L’été, il y a les camps de jour pour les enfants, mais cela coûte de l’argent pour s’y inscrire.
* Lors de la signature du bail, les gens en situation de pauvreté ne doivent pas trouver cela drôle. Quand tu es obligé de quitter ton logement et parfois ton quartier parce que le loyer a augmenté.
* L’exclusion sociale des aînés, c’est comme si la société séparait les gens en catégories sociales, mais d’âge également : les condos, les résidences pour personnes âgées, les CHSLD, les foyers, etc. Dans les pires situations, ils sont confinés à leur chambre. Moi, je suis une personne âgée et je suis encore sur le marché du travail. Les employeurs font semblant qu’ils veulent avoir des travailleurs âgés à cause de la pénurie de main d’œuvre, mais dans les milieux de travail on nous confie des tâches subalternes que les jeunes ne veulent pas faire. On déroule des tapis rouges pour embaucher des jeunes et les retenir, alors qu’on fait faire n’importe quoi aux plus vieux.
* Plus Charlie prend de l’âge, plus il sera exclu. En fait, les motifs d’exclusion s’additionnent.
* Une amie me disait qu’elle était allée au spa et qu’elle sentait qu’elle le méritait vraiment parce qu’elle avait beaucoup travaillé. Il y a beaucoup de marketing qui se fait sur le côté : « Vous le méritez! »
* Si je reviens à la question de l’exclusion sociale reliée à la pauvreté, cela peut être une fois par semaine parce que tu n’as pas les moyens de t’acheter à manger. Il y a aussi les moments où tu dois payer tes comptes et tous les moments de réjouissance. Comme disait Yvon Deschamps : « Il vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade. » Si en plus de vivre dans la pauvreté, à cela se rajoute l’âge, alors ton exclusion devient quasi permanente. Si on y ajoute la maladie, alors ton exclusion devient cauchemardesque. Donc, cela peut aller de l’exclusion ponctuelle, tout de même très dérangeant, à l’exclusion totale, dépendant de ton degré de pauvreté.
* Au niveau de l’emploi, les jeunes peu scolarisés sont exclus, de même que les immigrants et les aînés qui ne parlent pas français.
* Je pensais au concept africain à propos de la pauvreté et de la richesse. Celle-ci ne s’évalue pas selon l’épaisseur du portefeuille, mais d’après la quantité de liens significatifs que tu as dans ta vie.
2. Qu’est-ce qu’on ressent lorsqu’on vit de l’exclusion ?
* On se sent humilié!
* On se sent triste!
* En colère et indigné!
* Frustré!
* Fatigué et à bout!
* Découragé!
* Désespéré!
* On se sent tout petit!
* Rejeté et insignifiant!
* Déprécié!
* Sentir qu’on n’a pas sa place dans la société.
* Anxieuse!
* On a du ressentiment!
* Discriminé!
* Inquiet!
* Déprimé!
* Préoccupé!
* Révolté!
* L’estime de soi en prend un coup.
* On s’apitoie sur son sort.
* On se sent mal!
* Inutile!
* Victime d’injustice lorsqu’on se compare aux autres qui ont mieux que soi.
* À part des autres!
* J’ai envie de pleurer!
* Impuissance
* Seul!
* Parfois les gens ne sentent pas l’exclusion parce qu’ils sont habitués à vivre d’une certaine manière.
* Si on vit toujours dans l’envie de ce que les autres ont, on entretient un mécanisme de désir de consommation par lequel la publicité nous manipule.
3. Comment est-ce qu’on réagit lorsqu’on vit de l’exclusion ?
* Cela affecte l’identité et le sens de la dignité des personnes.
* Cela démobilise, on se sent aliéné, on ne s’appartient plus lorsqu’on vit de la pauvreté ou de la dépendance.
* Il y a plusieurs années, en arrivant à Québec, je me suis aperçu qu’il y avait les gens d’en haut et les gens d’en bas. Antonine Maillet appelait cela : « Les par-en-hauts et les par-en-bas. » Les par-en-bas n’ont pas accès aux par-en hauts. Il y a des gens qui sont toujours tirés vers le bas.
* On apprend à se résigner.
* On s’isole.
* On se referme sur nous-mêmes.
* On explose ou on implose.
* On va se dénigrer, moins sentir sa valeur et sa place.
* On apprend à mentir pour cacher sa condition sociale.
* Je constate qu’il y a quand même des gens qui à force d’efforts finissent par s’en aller vers le haut. Ils vont réussir à s’impliquer et à s’intégrer dans des réseaux significatifs et à ressentir certaines sensations de bien-être malgré la solitude qu’ils éprouvent lorsqu’ils rentrent à la maison. Par ailleurs, il y a aussi de nombreuses personnes qui ne réussissent pas à aller cogner aux bonnes portes.
* Je trouve que les gens en situation de pauvreté ont beaucoup de créativité parce que pour survivre, il faut être créatif.
* Ce que tu nommais correspond à un processus de reconstruction de soi. Les personnes qui tombent dans la pauvreté vont aller se reconstruire dans des lieux positifs où c’est exempt de préjugés. À partir de là, il vont se rebâtir une identité et ils vont redevenir quelqu’un.
* Il n’y a qu’un faible pourcentage qui parvient à le faire.
* Ce que je vois des gens qui sont fiers d’eux, c’est parce qu’ils sont parvenus à se refaire une vie.
* Au Canada et en Occident, l’identité nous vient du travail qui nous attribue une fonction sociale dans laquelle on démontre notre utilité. Nous avons perdu l’autonomie d’autrefois lorsque les gens étaient propriétaires de leur terre et ils appartenaient à une communauté. Il y a encore quelques endroits dans le monde où les gens sont liés à la terre et à une communauté d’où ils tirent leur identité. Ce qui nous détermine ici, c’est le lien que nous avons avec le travail parce que si tu n’as pas de travail, tu n’as pas d’argent et tu te retrouves hors jeu. Alors, en quelque sorte, nous vivons sur une identité empruntée qui peut nous être retirée à n’importe quel moment. On est exclu parce qu’on est trop vieux, parce qu’on a pas de diplôme ou parce qu’on est immigrant, alors on ne parvient pas à trouver sa place dans cette société qui est excluante par nature. Par ailleurs, il y a aussi un aspect très grégaire dans cette société qui te pousses à la conformité. Même à la petite école, il y avait un processus discriminatoire et exclusif entre les enfants. Lorsque tu apprends le dénigrement de soi, la proposition d’un bouc-émissaire pour déverser toutes tes frustrations correspond à un vœu refoulé puisque si je suis victime, cela prend un coupable. C’est ce qui permet de diviser les classes subalternes qui admirent les gens fortunés et méprisent les plus faibles qu’eux. Tout cela fait en sorte : « Qu’on héberge l’oppresseur en nous », comme disait Paulo Freire.
* Il y a plein de groupes qui existent de production alimentaire ou d’achats groupés qui nous permettent d’économiser. On trouve des moyens pour s’en sortir.
* Au Québec, il y a une manière de voir la pauvreté comme s’il s’agissait de personnes incapables de se prendre en main, de s’autodéterminer, de se voir. Mon fils a étudié à l’école Saint-Jean-Baptiste où il a fréquenté des enfants de professionnels. Il était traité normalement. Quand il est retourné à son école normale qui est dans un quartier populaire, où il y a beaucoup d’immigrants, il était traité par les enseignants comme s’il était incapable de réussir. C’est important le regard que les enseignants portent sur les enfants dans leur capacité à prendre confiance en leur capacité de réussir ce qu’ils entreprennent. Si tu es pauvre, on te traite comme si tu étais incapable. Plusieurs personnes qui sont en situation d’exclusion, vivent dans des structures qui les habituent à demeurer dans cette relation de dépendance. Il y a aussi les caractéristiques des personnes racisées qui malgré leur niveau académique et professionnel sont traités comme des pauvres. Parfois l’exclusion provient du fait que tu es perçu comme un pauvre. Mon souhait c’est que les pauvres s’organisent pour construire un monde autrement. Je me pose aussi la question lorsqu’il s’agit de pauvreté, est-ce qu’il faut que tout le monde soit comme les riches qui dépensent et qui détruisent la planète, qui sont individualistes et méprisent les autres ? Au fond, quelles est la norme que nous voulons suivre ?
* Quand tu es en situation de pauvreté et que tu finis par comprendre qu’il y a des gens qui t’exploitent et quel est le rôle qui t’es attribué par la société, c’est de la colère et de la révolte que tu ressens. Quand tu comprends qu’il y a une pyramide sociale, que tu réalises où tu es situé, pourquoi tu occupes ce rang subalterne, parce que cela fait vivre des gens en haut. C’est le début de la prise de pouvoir.
* On fait des manifs, on va à l’ADDS-QM et on va à la banque alimentaire.
J’ai l’impression que nous sommes rendus dans les moyens. Ce qu’on nomme à la dernière étape, ce sont les moyens de contrer l’exclusion sociale. C’est au niveau de l’anticipation, nous vivons dans une société où il n’y a plus d’exclusion sociale. Qu’est-ce qui s’est produit pour que cela se produise ?
4. Qu’est-ce qui pourrait être transformé collectivement pour éliminer l’exclusion ?
* Au fond, il s’agit d’un enjeu de valeurs qui passe par l’éducation. Toute le marketing et la publicité doivent être remis en cause lorsqu’ils véhiculent des valeurs de compétition et de consommation contraire au bien commun, au respect des uns et des autres ou à la sauvegarde de l’environnement. La publicité fait de nous des consommateurs et influencent nos choix de société, elle nous fait saliver devant des biens de luxe et elle entretient des mythes comme quoi un 4X4 de luxe est bon pour l’environnement. Même les jeux olympiques contribuent à nous faire accepter qu’il y a des gagnants et des perdants dans un monde où règne la compétition, la domination des forts sur les faibles. Il faut être compétitif et c’est juste le premier qui importe, les autres ne valent rien. En plus, ceux et celles qui vont aux olympiques sont la plupart issus des classes sociales dominantes qui peuvent payer des études et des compétitions à leur progéniture. Comprenez-vous que toute la propagande qui nous est vendue est antisociale, anti-communautaire, individualiste, superficielle, patriarcale, machiste, raciste et colonialiste ?
* Je pense que nous avons le début de la réponse lorsque tu prends conscience que tu es opprimé, que ce n’est pas de ta faute cette histoire là. Tu peux bien essayer de devenir riche, mais la marche est haute. Je pense qu’ils sont mieux de se révolter, de se mettre ensemble et dire je ne mérite pas d’être traité comme ça, ce n’est pas de ma faute, ce n’est pas un choix personnel, on m’a placé dans cette situation. On peux la refuser cette place là, je pense qu’il faut résister. Après cela c’est un mouvement qui va être ascendant vers le haut. Je vais peut-être rester pauvre, mais au moins je ne serai plus aliénée.
On pourrait s’interroger sur ce qui produit ce changement d’attitude ?
* Moi, je pense que si nous pouvions avoir un revenu minimum garanti, ce serait déjà une bonne solution pour lutter collectivement contre la pauvreté. Puis, une fiscalité plus juste et plus égalitaire aussi, en abolissant les abris fiscaux.
* C’est certain que cela passe par l’éducation pour briser les barrières entre différentes classes sociales. Il faut ouvrir davantage le sens de l’empathie en apprenant à se mettre à la place de la personne.
* On s’est assis ensemble, des personnes qui vivaient de la pauvreté, pour essayer de trouver des moyens, des solutions, pour arriver à un revenu minimum garanti. On s’est lever et nous sommes descendus dans les rues pour manifester.
* Nous avons appris à être davantage authentiques et à moins nous définir à partir de la consommation. Nous ne sommes plus dans la périphérie puis nous sommes plus au niveau de l’être que de l’avoir. C’est aussi une manière d’appuyer les luttes de résistance en apprenant à poursuivre un objectif commun et non plus simplement individuel. Même pour les riches, s’ils apprennent le sens de l’équité, ils vont moins avoir le besoin d’afficher leur réussite professionnelle avec des biens ostentatoires. C’est un mélange du contenu intérieur de la personne et de la classe sociale à laquelle il appartient. Je poursuis l’adage : « Je change, je change le monde. » Parfois cela prend aussi un coup de pied au cul pour changer. Pour moi le système D, pour débrouillardise, est une richesse qui n’est pas reconnue, mais dans les temps difficiles, cela peut nous sauver. Tu regardes autour de toi, ce que le milieu t’offre et tu fais avec.
* Personnellement, je trouve que plus cela change dans le système d’éducation, plus on oublie que sa mission première est de contrer l’exclusion sociale, plus on recule. Je suis le douzième d’une famille de treize et à cause de ma mère, qui était une véritable esclave, je suis devenu féministe. Elle n’a pas pu aller à l’école parce qu’elle a du se sacrifier pour que ses frères puissent y aller. Maintenant, aujourd’hui, je me rends compte que l’exclusion sociale c’est chez les enfants. Je pense qu’il devrait y avoir plus d’égalité et d’uniformité dans l’éducation. (Le problème ne serait pas dû en partie au fait qu’on n’enseigne que la réussite individuelle, pas la réussite collective orientée vers un but commun?)
* Pour changer la situation des personnes en situation de pauvreté, ce serait de leur donner la gestion de nos ressources.
* On s’est rendu compte que la première cause de la pauvreté c’était l’impérialisme, la patriarcat et le capitalisme. On a éliminé l’exploitation pétrolière et minière dans les pays du sud. Les gens ont réalisé l’importance de s’organiser et de travailler ensemble. Le travail, c’est la façon de construire la richesse collective alors ils ont mis sur pied des projets de financement éthique, des économies alternatives et solidaires axées sur la partage et la richesse collective de l’être humain. On fait comme les Wet'suwat'en, on lutte contre l’exploitation de la nature en instaurant une nouvelle relation avec la Terre. Il faut changer tout le système.
* Avoir un salaire qui soit équitable pour tous le monde: homme, femme, personne handicapée, immigrant, vieux, jeune, etc. Cela permettrait un meilleur équilibre, il y aurait plus d’inclusion et moins de pauvreté.
* Il faudrait revoir les notions de propriété privée et avoir une gestion qui serait davantage respectueuse des ressources.
* Je vais peut-être aller vivre à la campagne avec des amis pour essayer de devenir auto-suffisant pour ce qui est de l’alimentation.
* Ce sont des moyens alternatifs et collectifs.
* Il faudrait cesser de financer collectivement les écoles privées pour que tout l’argent puisse aller aux écoles publiques et éviter les clivages qui existent en fonction des programmes. L’éducation c’est la base pour tous les citoyens et citoyennes alors ce n’est pas supposée être au service de l’économie. Il ne devrait pas y avoir des clivages comme cela concernant la qualité de l’éducation à laquelle les jeunes ont accès. L’école devrait être un lieu d’inclusion, pour tous c’est la base.
* Je reviens à ce que le camarade nous a dit : Il faut avoir ses propres banques. L’expérience a été tentée avec un succès relatif. Au Bengladesh, l’un des pays les plus pauvres au monde, un professeur d’université Muhammad Yunus a créé la Gramin bank, la banque du peuple. L’un des principes fondamentaux, c’est qu’il ne prête qu’aux femmes parce que c’est beaucoup plus sécuritaire de produire quelque chose. Il y a aussi les tontines en Afrique de l’Ouest. Cela consiste à économiser un montant à chaque semaine dans un pot commun puis à confier la somme accumulée à une membre du groupe qui a un projet commercial ou un rêve à réalisé. Celle-ci s’engage à rembourser le montant sans intérêt, puis ensuite, lorsqu’un autre montant est disponible, c’est à une autre d’en profiter jusqu’à ce que chaque membre en ait bénéficié. Ensuite, on recommence. Cela nécessite une grande confiance entre les membres.
* Il faut se faire le cadeau d’élire des députés qui ont à cœur d’éliminer la pauvreté et l’exclusion et il faut aussi augmenter le salaire minimum.
* Il y aurait un revenu social universel garanti qui permet une réelle distribution de la richesse. On vit dans un pays riche, il faut se le dire. Je reviens à l’éducation, oui c’est la base, mais pas l’éducation comme nous l’avons aujourd’hui. Je pense qu’il faut aussi réformer ce système qui ne fait que reproduire le modèle dominant. C’est pas mal la meilleure place pour changer les valeurs du système. Il faudrait aussi arrêter l’introduction du privée dans les services publics. Si on laisse le système d’éducation dans l’état actuel, nous sommes voués à faire du monde en compétition et des jeunes qui rêvent de devenir riches. En plus, c’est un système qui exclut.
* Dans les banques alimentaires je vois beaucoup d’humanité, le sens de l’entraide, des gens qui ont les valeurs à la bonne place. Souvent ces valeurs semblent avoir été oubliées par la société. Il y a plusieurs types de pauvreté : monétaire, émotionnelle ou cognitive.
* Il y a des artistes aussi qui choisissent d’autres chemins pour être en consonance avec ce qu’ils sont. Dans la société actuelle, il faut servir le dieu argent. Au fond il existe trois domaines : public, privé ou communautaire, mais si tu es un créateur, un artiste, et que ton premier objectif ce n’est pas de vendre, cela ne fonctionne pas. Alors on les brime en les obligeant à faire ce qu’ils ne sont pas et ce renoncement peut les amener à faire une dépression parce qu’ils ne peuvent pas exprimer leur pouvoir créateur qui est une nécessité existentielle pour elles et eux. Il semble qu’il n’y ait pas de place en ce monde pour ces gens parce qu’on nous impose des cases professionnelles auxquelles il faut se conformer. Aussi j’aimerais ajouter à propos des valeurs. Les médias ne cessent de nous parler de ce que veut l’opinion publique, mais moi je dis que cette opinion est conditionnée par la publicité qui l’incite à consommer égoïstement. Pendant qu’on écoute les informations, entre deux catastrophes naturelles et une guerre, on nous passe quatre publicités qui nous incitent à acheter des 4X4. Après, on nous dit que les gens ne veulent pas de tramway à Québec. Faut-il s’en étonner ? Nous ne sommes pas libres de nos pensées.
* Il faudrait mieux adapter les écoles aux milieux défavorisés parce que l’éducation c’est la base. Il faudrait aussi abolir les paradis fiscaux et cela permettrait de mieux financer les services publics.
* Les personnes en situation de pauvreté doivent avoir voix au chapitre et rencontrer les décideurs pour les conscientiser sur les impacts de leur choix en matière de lutte à la pauvreté sur la vie des gens.
* Je refuse de croire que la pauvreté est une fatalité. Je pense que c’est un système bien organisé et qu’on a besoin des pauvres pour que tout cela fonctionne. Il faut résister et combattre l’idée que la pauvreté est une fatalité. Nous vivons dans un pays riche, il n’y a aucune raison pour qu’il y ait de la pauvreté. Cela permet d’avoir un monde divisé en classes sociales. Par contre, je connais des gens qui, malgré le fait qu’ils doivent vivre avec très peu de moyens, parviennent à être heureux quand même, à se trouver un monde. Cela exige toute une vitalité, une stratégie pour se réorganiser un monde. Vivre dans la pauvreté, c’est une job à temps plein pour subvenir à ses besoins. Quelqu’un me racontait toutes les démarches administratives qu’il doit effectuer pour obtenir de l’aide et faire reconnaître ses droits.
* Ce n’est pas vrai que cela prend des pauvres, même qu’il y a des gens qui en profitent. Dans la vie, il y a des périodes où l’on peut avoir besoin d’aide. Parfois c’est à court, moyen ou long, terme. Il se peut que nous ne puissions pas travailler. Il faut l’accepter, c’est de même que la société fonctionne. Le revenu social garanti permettrait aux gens qui choisissent d’être artiste, de pouvoir l’être. Ce n’est pas vrai qu’il faut s’habituer à ce qu’il y ait de la pauvreté. C’est inacceptable qu’il y ait des gens pauvres dans les pays riches et qu’il y ait des pays pauvres dans un monde riche. La pauvreté, c’est une injustice. Tu parlais des belles valeurs, mais on peut aussi voir l’inverse. Dans les banques alimentaires on entend toutes sortes d’histoires de gens qui se font mépriser, bafouer, parce qu’il y a des gens qui se valorisent en écrasant l’autre qui est plus petit. On en entend des histoires comme ça, des gens qui vont porter des boîtes et qui n’enlèvent pas leurs bottes parce qu’ils s’en foutent. Il y aussi des cas où des gens nous appellent parce qu’ils ont été dénoncés par d’autres personnes en situation de pauvreté comme vivant en situation de vie maritale et ce n’est pas vrai. La jalousie et la dénonciation, ce n’est pas vrai que c’est tout le temps beau de vivre dans la pauvreté. Il y a un système qui crée cela alors que d’autres s’en mettent plein les poches. S’il y a une personne pauvre sur la planète, cela veut dire qu’il y a un problème et qu’il faut qu’on le règle et s’il y a un riche plus que les autres, même affaire.
* Je voulais parler de l’éducation parce que c’est la base de la transformation sociale. Il faut faire de l’éducation autrement, une éducation qui fasse du sens. Jusqu’à aujourd’hui, l’éducation c’est un mécanisme, un outil de reproduction de la société telle qu’on la connaît. On donne des prix et des récompenses à ceux et celles qui sont assez obéissants et qui apprennent à obéir. Ensuite, une fois adulte, ils vont écrire des lois pour faire obéir tout le monde et se plier aux mêmes normes. Transformer l’éducation, cela veut dire qu’elle doit être déterminée en fonction de changer le monde vers une plus grande justice sociale et écologique. Construire un modèle éducatif qui a pour objectif de transformer la société, cela permet d’avoir une société en mouvement.
« Rassemblons, assemblons », le thème de notre démarche c’est que nous voulons assembler un gros casse-tête qui va s’élaborer, chacune des pièces illustrant les contributions de chaque groupe. Nous voulions aussi représenter les contributions de chaque individu qui participe à la consultation. C’est pourquoi nous avons préparé des petits cartons que vous pouvez signer à l’arrière pour indiquer votre prénom et votre lieu de résidence si vous le désirez. C’est écrit : Je participe à la démarche et le Collectif va faire quelque chose avec ça, probablement une mosaïque dont on n’a pas encore déterminé comment elle sera. Avant la fin, je vais vous remettre un petit formulaire d’évaluation ainsi qu’une autorisation pour rapporter vos propos avec votre prénom et votre ville de résidence.
Pendant la pause, je vais installer des images pour nous permettre de réaliser un photo langage dont nous discuterons en équipe. Dans ce cas, notre photo langage consiste à répondre à une question par une image. La question est : « Quelle image m’inspire la vie hors de la pauvreté? » « Quand je m’imagine une vie hors de la pauvreté, quelle image m’inspire ? » On reprend après la pause. Marianne
Après les discussions en atelier…
Alors après qu’on ait choisi une image, on discute en petit groupe, chacun présente son image et le groupe choisit une image qui représente un incontournable pour représenter la sortie de la pauvreté. J’inviterais une personne de chaque équipe pour présenter ce qui est ressortit de vos échanges.
* Nous avons deux images parce qu’on s’est aperçu qu’avec celles-ci on arrivait à exprimer ce que tout le monde avait dit. Ce qu’on voulait exprimer, c’était le fait que de vivre sans pauvreté c’est jouir d’une certaine liberté de choisir la vie qu’on veut mener et aussi d’avoir une vie communautaire plus riche et d’établir plus de liens de solidarité. Il y avait aussi la notion que chacun, chacune pouvait avoir sa couleur. Cela représente la diversité des personnes et aussi le fait d’être connecté avec la nature.
* Nous autres, c’est la même affaire. Nous avons choisi aussi l’image d’un groupe qui est au sommet d’une montagne. Cela représente toute la richesse des liens, c’est la sortie de l’isolement. La possibilité de sortir de la pauvreté, ce sont les vastes horizons qui s’ouvrent, c’est la liberté de choix, d’avoir accès à nos rêves, des voyages.
J’ai quelques questions encore à vous poser avant de conclure. Pourquoi la liberté et les liens, c’est incontournable dans la vie des gens ? Marianne
* C’est à cause de la dignité des personnes. Quand tu n’as ni la liberté, ni les choix, et que tu es seule, à quelque part tu perds ta dignité. Je pense que c’est la plus grosse souffrance des gens, avec les préjugés c’est la perte de la dignité. C’est une forme de déshumanisation finalement.
* Je pense que de jouir de liberté démontre que tes besoins de base sont comblés. C’est ce qui donne accès à une forme d’épanouissement. J’ai les connaissances que j’avais envie ou besoin d’avoir, je suis en bonne santé. La liberté exprime un niveau de vie ou mes besoins élémentaires, ma sécurité et ma vie vont bien, donc je peux continuer d’avancer et aller plus loin.
* Je trouve que l’épanouissement est le but ultime de la vie.
* Faudrait-il encore connaître le vrai sens de la liberté. N’oublions pas que notre aspiration à la liberté est le moyen le plus facile de manipuler nos désirs inconscients par la publicité. Pour que la liberté soit réelle, il faut qu’elle soit déterminée par un but au sens de construire quelque chose. C’est une liberté de choix, donc cela implique un renoncement à d’autres choses. Au Québec, nous ne sommes pas éduqués sur le sens de la liberté.
* La liberté c’est deux choses : c’est d’abord la connaissance de nos limites et de nos déterminations. Quelles sont les conditions de la liberté? Nos déterminismes sont les conditions mêmes de la liberté. Ce qui libère véritablement, c’est la finalité, le sens que nous lui donnons, les buts qu’on se donne et les relations que nous avons avec les autres. Ce qui libère vraiment, c’est le but qu’on vise et celui-ci sera d’autant plus libérateur qu’il sera élevé.
Pourquoi quand on est en situation de pauvreté on n’a pas accès à la création de ces liens et à la liberté de choix ?
* C’est l’exclusion et l’isolement qui font en sorte que tu n’es pas en train de créer des liens ni de t’épanouir parce que tu es en survie, parce que tu t’auto-exclu parce que tu subis le poids des préjugés des autres. Je trouve qu’on retourne un peu à la case départ.
* Pour faire la boucle, je pense que l’émancipation, la liberté et l’épanouissement, cela va ensemble, mais on peut juste y arriver dans le groupe et par le groupe. Je vais en profiter pour faire le lien avec « Assemblons et Rassemblons », c’est la sortie de la pauvreté.
* Oui, mais c’est quand on est pauvre qu’on a besoin des autres.
* Moi je pense que pour être riche tu as besoin des autres parce qu’il y en a d’autres qui travaillent pour toi.
Propos rapportés par Yves Carrier