#294 – Culture militante et Interculturalité

#294 – Culture militante et interculturalité

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Comment est-ce que l'interculturalité change notre façon de manifester ?

Rencontre animée par Emilie Frémont Cloutier

Le CAPMO est un groupe d’éducation populaire et cela fait partie de notre pratique d’aborder des sujets d’actualité pour permettre les discussions afin d’y réfléchir ensemble. La discussion de ce soir s’intéresse à des mouvements comme « Idle nos more » pour savoir à quel point ils ont influencé notre façon de manifester. En matière de définition de la société, il existe plusieurs courants de pensée au Canada et au Québec. Le multiculturalisme consiste à dire que nous sommes une société accueillante pour tout le monde, nous tolérons que chacun vive sa culture et ses traditions au sein de sa communauté d’appartenance, mais on ne se mélange pas. On ne cherche pas nécessairement à se connaître, mais on se tolère. L’Interculturalisme est un essai de se rassembler autour de valeurs communes et du partage d’une même vision. C’est chercher ce qui nous rassemble tout en respectant les différences et l’identité de chacun, chacune. C’est davantage tourné vers un projet commun à réaliser ensemble qui va bien au-delà de la tolérance mutuelle. C’est une définition somme toute assez sommaire. Je peux vous donner une définition trouvée sur internet : L’interculturalisme est l’adoption de la culture d’un pays ou d’une région qui est associée à la recherche de points communs tout en préservant les différences individuelles.

Visionnement d’une vidéo en anglais sur les manifestations au Dakota du Nord opposées au pipeline. «Occupy love » abordait le sujet de la spiritualité et des valeurs portées par les mouvements sociaux aux USA. Nous avons ensuite une vidéo sur ce qui s’est passé récemment en Colombie-Britannique toujours contre un pipeline sur des terres amérindiennes. On y entend les chants, les tambours et les prières qui s’opposent à l’intervention des forces de l’ordre. Beaucoup d’émotions sont présentes dans cette scène. Vendredi dernier, il y a eu une manifestation d’appui à Québec. J’y ai rencontré plusieurs personnes dont Marie-Émilie Lacroix qui ne pouvait pas être ici ce soir. Elle trouvait le sujet super pertinent. Je vous rappelle la question : Comment est-ce que l’interculturalité change nos façons de manifester ? Nous avons des mots et des images qui peuvent inspirer les interventions. Il va y avoir un bâton de parole pour permettre les échanges et l’écoute dans le respect de chacun. (Emilie)

Échanges

– Qu’est-ce qu’une personne racisée ?

C’est une bonne question. Les personnes racisées sont susceptibles de vivre du racisme parce qu’elles sont associées par un groupe majoritaire à une autre origine, que ce soit en raison de la couleur de leur peau, de leur accent ou de leur provenance. Dans le fait de dire personne racisée au lieu de personne d’une autre race, c’est une approche critique du concept de race. En réalité, les races n’existent pas, nous appartenons à une seule et même race humaine. Les personnes racisées sont victimes de l’étiquette de race. (Emilie)

– Quelle est la différence entre une personne raciste et une personne racisée ?

Une personne raciste, c’est quelqu’un qui s’appuie sur des préjugés pour émettre un commentaire. Alors que les personnes racisées sont celles qui vont être victimes des propos ou des attitudes racistes. (Emilie)

Pour relancer la question autrement, j’étais au Chili l’an dernier et j’ai assisté à une messe animée par le père Mariano Puga. Alors arrive le temps de l’homélie. Il nous regarde et nous pose la question suivante en nous demandant de nous séparer en petite groupes pendant une dizaine de minutes. La question était : “Quand est-ce que dans votre vie un militant communiste vous a fait évoluer comme personne?” Ensuite nous revenions en plénière, c’était cela l’homélie. Pour reprendre cette idée, je formulerais la question de cette manière : “Avez-vous vécu des expériences interculturelles qui vous ont permis de changer votre regard sur le monde ?” Les manifestations sont une sorte d’apothéose, mais il faut d’abord que la rencontre ait lieu pour permettre cela. Au départ, il s’agit d’une rencontre interpersonnelle entre des porteurs de cultures différentes. Cela permet parfois de découvrir que les valeurs, les perceptions ou les visions, qu’ils nous partagent font également partie de notre héritage culturel, même si nous l’avons oublié. D’autres fois, ces perspectives différentes, nous ouvrent le regard sur de nouvelles dimensions de la vie concernant l’environnement, la justice sociale, les rapports homme-femme, la spiritualité, etc. (Yves)

– Personnellement, ce qui me ramène à cela, c’est la première fois où j’ai assisté au cercle des femmes autochtones. Ça m’avait beaucoup impressionnée de constater le besoin d’écoute et de compréhension que ces femmes avaient. À cette première rencontre, nous avions chacune une photo dans les mains d’une femme autochtone. Nous devions tour à tour présenter cette personne sans savoir qu’elle était disparue. Cela m’avait énormément touchée de voir que des femmes se rassemblaient pour dénoncer des injustices qui ne sont pas encore claires par rapport à ces femmes disparues. Cela n’a peut-être pas de lien avec les pipelines, mais c’est quelque chose qui nous parle de personnes racisées. Il y a de nombreuses femmes qui disparaissent. Nous ne savons pas pourquoi et la police ne cherche pas à comprendre pourquoi elles sont disparues. À chaque fois qu’il y a ce cercle, j’y retourne parce que je trouve cela important d’apporter mon appui et ma contribution. J’ai peut-être des racines autochtones ? Je ne le sais pas. Je trouve que le fait que nous vivions dans une société qui est de plus en plus multiethnique, c’est important de s’entraider les uns, les autres dans les causes que chacun porte même si elles sont différentes. C’est important de s’encourager et de se démontrer un appui mutuel. Quand j’ai vu la question de ce soir, c’est le cercle de femmes autochtones qui m’a interpellée. Pour moi, c’est un moment important dans l’année. Il y a aussi les couvertures réconfortantes qu’elles apportent avec elles lors des audiences de la Commission royale d’enquête sur la disparition des femmes autochtones afin d’aider les femmes à témoigner de leur peine et de leur angoisse concernant leurs proches disparus.Elles y témoignent aussi des abus dont elles furent victimes à l’époque des pensionnats autochtones. Le simple fait d’être séparées de leur famille et d’être mises dans ces écoles avec interdiction de parler leur langue maternelle et les sévices corporaux qui étaient jusque là inédit dans leur culture. (Les amérindiens ne battaient pas leurs enfants pour les éduquer). Dans la bâtisse où j’habite, c’est multiethnique, alors j’essaie le plus que je peux de parler avec tout le monde parce que je trouve cela important.

– J’ai assisté à la même rencontre que Monique et j’aimerais parler de la présence d’une spiritualité. Il y a l’aspect de dénonciation, mais aussi toute la dimension spirituelle. Il y a une forme d’intériorisation dans ces rencontres qui me touche énormément. On extériorise une peine en dénonçant les disparitions, puis on porte cela ensemble sur la place publique. C’est spécial parce qu’on vit cela sur la Place D’Youville, en plein centre-ville. Dans nos manifestations habituellement, on scande des slogans, on fait du bruit, alors que là on entend juste le son d’un tambour tranquille. C’est une autre façon de manifester qui nous fait cheminer et réfléchir. Cette manière de s’intérioriser m’interpelle énormément. C’est différent de nos manifestations habituelles. Bien sûr nous portons des valeurs communes, mais leur façon d’aborder une revendication est différente. Les autochtones utilisent le silence ou bien les chants rituels. Ils ont une façon de s’exprimer lors des manifestations qui est très différente de nous.

– Depuis très longtemps, je participe aux manifestations. J’ai fait des chemins de croix à portée sociale avec le CAPMO et j’ai aussi fait des manifestations communistes à Ottawa, Toronto et Montréal. Je suis d’accord avec Martine, il y a un fond spirituel dans toutes ces manifestations parce qu’on y vit une certaine forme d’unité du peuple, avec ces différences bien sûr. Cela se vit actuellement avec les Gilets jaunes en France. C’est le peuple français dans toute sa diversité qui est là, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, même si les partis politiques ne contrôlent rien. Il y a un réveil spirituel extrêmement important en France actuellement. Cela s’exprime des manières les plus diverses. Ici, je pense que nous devons suivre les autochtones de très près. Je pense que nous avons besoin d’eux pour vivre un renouvellement spirituel en Occident. Nous avons besoin d’écouter ce que les peuples originels ont à nous dire par raport à la Terre-Mère.

À la suite de ce qui vient d’être dit au niveau autochtone, j’ai eu la chance depuis trois ou quatre ans de me rapprocher de personnes innues et huronne-wendates. J’ai participé à des manifestations pour Idle No More qui ont eu lieu deux années de suite à la Place d’Youville. Ce dont j’ai envie de parler, c’est de la décroissance. Je trouve magnifique ce que nous avons à apprendre d’eux en ce qui a trait à la simplicité de vie. Également, la déconnexion que nous vivons avec la nature. Je crois que cela est l’une des causes du fait que nous ne soyons pas connectés avec la nature comme nos ancêtres l’étaient. L’industrialisation et la mondialisation ont beaucoup contribué à ce phénomène. Je pense que pour essayer d’amorcer une décroissance, il faut s’inspirer de la manière autochtone pour qui la nature fait partie intégrante de la vie. Je vis présentement une démarche pour me reconnecter avec la nature avec une amie huronne-wendate. Je trouve cela tellement enrichissant, c’est cet enseignement je crois qui peut devenir une clé pour aider les générations futures à amorcer la décroissance.

Pour ce qui a trait avec la santé mentale, du contact avec la nature, avec la forêt, au Japon des médecins prescrivent à leurs patients de passer des journées en forêt pour reprendre contact avec eux-mêmes et refaire leur intégrité psychique. Au lieu de leur prescrire des antidépresseurs, ils demandent aux patients de contempler la nature, de sentir qu’ils en font partie, qu’ils y appartiennent. Notre équilibre mental est en train de se briser dans cette frénésie qu’est devenue la société moderne. (Yves)

– La meilleure pilule, c’est la nature.

J’aimerais partager les raisons qui m’ont poussée à développer une animation sur ce thème. Ce sont les propos de deux femmes autochtones que j’ai rencontrées. La première m’a dit comment la lutte pour la protection d’un territoire ancestral était en lien avec un organisme environnemental de Montréal qui se voulait en solidarité avec une communauté autochtone. Elle avait décidé de cesser de s’impliquer avec cet organisme parce qu’elle trouvait que cela ne respectait pas les valeurs autochtones, les façons de faire et les façons de s’organiser. La méthode de procéder de l’organisme donnait l’impression qu’ils voulaient décider à la place des gens au lieu d’être en solidarité avec eux. Le simple fait de ne pas laisser les autochtones aller de l’avant, mais de prendre leur place sous prétexte de les aider, m’a beaucoup fait réfléchir. Je me demande si ma façon d’être solidaire est la bonne ? L’autre chose, c’est le second vidéo que je vous ai montré, c’est une publication sur Facebook d’une femme que je connais qui définissait pourquoi elle se disait protectrice et non protestataire. Selon elle, le militantisme appartient davantage à la vision du monde occidental comme le marxisme et l’idée de la lutte des classes. Pour elle, cela ne représentait pas sa façon de nommer ses actions. Elle se sentait davantage comme une présence protectrice de son territoire. Également dans la lutte contre le racisme, une question pratique que je me posais c’était comment être solidaire des nouveaux arrivants sans prendre leur place. (Emilie)

– J’ai remarqué qu’avec l’arrivée de personnes d’Amérique latine, nos façons de manifester ont changé. D’abord avec les Chiliens, puis les Salvadoriens, et plus récemment avec les Colombiens, cela a apporté une autre coloration à nos manifestations, entre-autre par un aspect davantage festif avec la musique et les tambours. La plupart du temps, on manifeste contre quelque chose même si c’est aussi pour quelque chose. Mais cela n’est pas toujours mis en évidence. Une chose qui est commune, c’est de vivre l’expérience d’être ensemble dans la fraternité pour quelque chose même si on ne se connaît pas. Nous sommes connectés par les mêmes idéaux car nous avons répondu à un appel commun pour quelque chose qui nous rassemble. Alors, selon moi, cela rejoint un peu l’aspect de la spiritualité. Nous sommes contents d’être là ensemble pour proposer autre chose. Le défi, c’est de mettre en valeur le côté positif, ce pour quoi nous manifestons.

– Ce n’est pas facile dans une manifestation de colporter les bons coups parce que la tendance est de se réunir pour dire à quoi l’on s’oppose. Les moments de spiritualité que nous offrent les autochtones ou les moments de fête, nous mettent sur une autre longueur d’onde. Pour moi, c’est précieux qu’on cherche ensemble. Je crois beaucoup à la vision qu’une personne, un groupe ou une collectivité, c’est semblable au fond. Je crois aussi à la loi du karma qui dit qu’on récolte ce que l’on sème. On cultive des fleurs, mais il faut aussi prendre conscience que dans notre tête il y a un jardin. Est-ce que par mes actions, j’encourage ce que j’abhorre ou ce que je voudrais voir plus souvent ? J’essaie de demeurer sur cette longueur d’onde. J’ai trouvé lors d’une rencontre d’un organisme que le groupe était centré sur le racisme systémique. Cela sentait le : « À bas le racisme! » Mais il y avait tant d’énergie négative dans ce que nous refusions. Si au lieu de faire une commission d’enquête sur la racisme systémique, nous en faisions une sur les rapprochements systémiques pour découvrir comment mettre en place les actions nécessaires à cela ? Maudit qu’on avancerait plus vite vers la société que nous voulons. Je crois beaucoup que ce que j’entretiens, c’est cela que la vie va me donner à vivre encore demain. Comment collectivement cela pourrait se transposer ? C’est comme cela que je me pose la question.

– Les deux dernières interventions me rappellent quelque chose. C’est qu’une manifestation, d’abord et avant tout c’est érotique. J’ai adopté la géographie structurale et la théorie de la forme urbaine. On y apprend que les quartiers, les lieux et les manifestations populaires, sont une forme d’érotisme, c’est l’expression d’un vouloir vivre ensemble, de vouloir s’aimer entre-nous, entre gens qui ne se connaissent pas. C’est ce qui se situe à la base de la spiritualité de ces manifestations. Le fait de construire des choses ensemble, d’avancer, c’est en ce sens que c’est érotique, comme il y a des quartiers érotiques. St-Roch en est un parce qu’il est fondé sur le fait de vouloir vivre ensemble, toutes classes sociales confondues, et de vouloir s’entendre entre gens de différentes générations. Cela me fait penser à une activité annuelle de l’Engrenage St-Roch qui est la cabane à sucre sur le parvis de l’église. Une année, j’y ai vu deux personnes âgées discuter avec beaucoup de plaisir avec deux jeunes punks. Voilà, c’est le vivre ensemble, c’est l’érotisme, c’est s’aimer entre-nous. Donc, c’est pour quelque chose qu’on manifeste. C’est d’abord et avant tout pour être ensemble pour construire une société nouvelle.

Freud nous parle d’Éros et Thanatos. Dans l’inconscient de l’humanité et dans chacun de nous, Éros correspond à la pulsion de vie et Thanatos est la pulsion de mort. Selon moi, le racisme et le fascisme correspondent à cette pulsion de mort, à ce côté sombre que l’humanité porte en elle. D’ailleurs, il y a des psychanalystes qui sont en train d’analyser ce qui se passe au Brésil avec l’élection de Bolsonaro. C’est inédit en soi comme méthode d’analyse sociale. Pour ma part, ce qui m’a le plus profondément touché à travers les rencontres interculturelles que j’ai vécues en Amérique latine, c’est la dimension du martyr. Il s’agit de gens qui sont prêts à donner leur vie de manière pacifique pour défendre une cause qu’ils trouvent juste. Sans violence, ils vont s’exposer jusqu’aux ultimes conséquences pour protéger des vies et des territoires. Il est certain qu’ils franchissent un seuil qualitatif au niveau humain, ils deviennent plus grand que nature, en quelque sorte, ils sur-déterminent le sens de leur existence et ils en inspirent beaucoup après leur mort. Que l’on pense simplement à Marielle Franco, une conseillère municipale qui siégeait sur le comité de supervision des actes de la police en ce qui a trait aux droits humains dans la ville de Rio de Janeiro au Brésil alors que cette ville était sous occupation militaire. Simplement pour dire le mouvement social que sa mort a soulevé et la quantité de femmes noires qui se sont présentées aux dernières élections indiquent l’impact que son engagement politique a eu. Il y a quelques années, il y a eu Berta Caceres au Honduras, assassinée par un gouvernement complètement corrompu, issu d’une fraude électorale et ayant reçu l’aval des gouvernements canadien et américain. Berta était une femme autochtone et le mouvement n’est pas mort avec elle, sa mère et ses filles ont repris le flambeau. Elle s’opposait à la construction d’un barrage sur une rivière près de chez-elle. Elle était prête à donner sa vie pour sauver les esprits de la rivière, c’est quand même admirable. Il y en a plein d’autres au Mexique aussi, des leaders autochtones assassinés parce qu’ils s’opposent à des projets miniers ou hydroélectriques. La plupart du temps, ils s’opposent à des projets qui ne visent pas le mieux être de la communauté, mais la recherche du profit à tous prix. Finalement, on peut dire que le colonialisme qui a débuté avec le génocide des autochtones des Caraïbes perpétré par Christophe Colomb ne fait que se raffiner depuis 500 ans. C’est toujours les ressources naturelles qu’on cherche à s’approprier et cela se fait toujours au détriment des amérindiens. Tout cela pour que nous ayons un niveau de vie exagérément confortable. (Yves)

– Mon intervention comporte deux volets. Ce n’est pas claire pour moi, on parle de spiritualité, d’interculturalité, de racisme, de manifestation, ce sont plusieurs mots clés dans ma tête. Il est important de bien définir ces mots et du sujet que nous discutons ce soir. Quels sont les objectifs ? Sinon, on part dans différentes directions. De quoi parle-t-on exactement ? C’est ma première question.

Le multiculturalisme ce serait comme une grande mosaïque où chacun est appelé à tolérer l’autre. Il y a aussi l’assimilationnisme qui stipule que tu dois abandonner ta culture et adopter celle du nouveau pays. Dans l’interculturalité, il y a échange et enrichissement mutuel. La société d’accueil apprend également du nouvel arrivant. Dans le multiculturalisme, chacun travaille en silo et cela finit par donner l’impression qu’il n’y a pas de société d’accueil. Il faudrait aussi différencier les concepts d’intégration et d’assimilation. Je ne suis pas une spécialiste du sujet. Nous apprenons ensemble à définir les termes. Il s’agit d’une rencontre exploratoire, mais c’est beaucoup comme cela au CAPMO. Cela peut être un peu déstabilisant pour des personnes qui y viennent pour la première fois. (Emilie)

– Moi je viens d’un autre pays et d’un autre continent, en faisant le tour des photos des manifestations, je n’ai pas trouvé les carrées rouges. Pour moi, c’est un symbole assez marquant. J’ai participé à ces manifestations à Montréal. J’ai sorti les casseroles, nous avons gagné et c’était festif. Je me promenait sur St-Denis et je me sentais comme une vraie citoyenne qui pouvait manifester parce que dans mon pays d’où je viens, c’est interdit. La manifestation, au-delà de l’action, signifie une prise de pouvoir du citoyen ou de la citoyenne. J’en parle parce qu’il y a beaucoup de pays dans le monde où les citoyens n’ont pas ce pouvoir. Tu es un être humain, mais tu n’as pas le droit à la parole, tu n’as pas le droit de dire ce que tu veux, tu n’as pas le droit d’avoir tes opinions personnelles. Il y a des pays dont le Vietnam et la Chine où tu n’as pas le droit de manifester. Aussitôt que tu émets une opinion ou une idée à l’encontre des autorités, soit tu es emprisonné ou exécuté. C’est pourquoi je trouve qu’ici, avec la démocratie, les citoyens canadiens et québécois ont le pouvoir de manifester leur désaccord. Quand on n ’a jamais vécu autre chose, on ne réalise pas la chance que nous avons. C’est banalisé et c’est pour cela que de nombreux Québécois ou Canadiens ne vont jamais manifester. Ils se disent que c’est une perte de temps. J’ai appris au Québec qu’il y a des façons collectives de dire notre opinion. Quand tu es seul chez toi à gueuler, c’est sûr qu’il ne va rien arriver. Il faut que les autorités entendent cette voix. C’est ça le cœur des manifestations. Nous avons ce pouvoir comme citoyen, pourquoi certains refusent de l’utiliser ? Je trouve cela dommage. C’est mon point de vue, mais je ne peux pas convaincre tout le monde de penser comme moi. L’union fait la force parce que si chacun reste chez-soi, il ne se passera rien. Cela prend la force collective d’une communauté, d’une collectivité pour que cela bouge.

Dans mon animation, je souhaitais que les interventions soient surtout circonscrites aux manifestations qui sont d’abord des actions publiques et qui rassemblent un certains nombre de personnes. (Emilie)

– Est-ce que cela peut aller au-delà des manifestations ? Moi, j’ai assisté à un film à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs ou encore à des conférences, c’est aussi une façon de se rapprocher des différentes communautés en participants à leurs activités. C’est important aussi d’aller les supporter lorsqu’ils vivent des épreuves comme l’attentat à la Grande mosquée de Québec.

– Idéalement, il faut aller vers l’autre pour qu’il vienne avec nous manifester. Je remercie Mélodie pour son témoignage. Dans le fond, tu nous rappelles à nos devoir en nous disant l’importance de manifester et de cesser de dormir.

– Ça en prendrait davantage des personnes comme toi qui nous brassent parce que lorsque tu as des droits, souvent tu en oublies la valeur. Tu ne peux pas le comprendre tant que tu n’as pas côtoyé des personnes qui vont te dire à quel point ces droits de manifester et de liberté d’opinion sont précieux. Cela pourrait aussi faire partie de l’interculturalité de faire contribuer des personnes immigrantes à nous aider à comprendre la valeur des droits et libertés que nous avons. Je suis avec Développement et Paix et nous rencontrons des gens qui nous racontent les injustices qu’ils vivent dans leur pays. C’est en écoutant leurs témoignages que nous réalisons à quel point nous sommes choyés. Je crois que cette proximité avec des réfugiés peut beaucoup contribuer à l’éveil politique des Québécois et des Québécoises.

– Il est certain que la situation au Québec n’est pas comparable avec celle des pays que vous avez évoqués, sauf que grâce au service de police de la Ville de Québec, certains se font jeter en prison pour des motifs douteux, même si ce n’est que pour quelques heures ou une fin de semaine. Quand les manifestations ne sont pas tout simplement interdites comme nous avons vu au G7. Comme dit le dicton : “La dictature c’est ferme-la et la démocratie, c’est cause toujours.” Il y a donc quand même des entraves, aux libertés démocratiques.

– J’ajouterais que nous manquons souvent à notre devoir de solidarité envers les victimes des entreprises minières canadiennes à l’étranger.

– Comme dans certains pays, ils ne peuvent pas s’exprimer librement contre leur gouvernement ou les sociétés étrangères, le rôle de l’interculturalité c’est aussi de faire preuve de solidarité en participant aux manifestations concernant les causes internationales.

– Je suis fier de l’élan de sympathie qu’a démontré la société québécoise envers les victimes de l’attentat à la Grande Mosquée de Québec. J’ai aussi participé aux deux rassemblements en lien avec cet événement en 2017 et en 2018, et malgré le froid intense du mois de janvier, il y avait beaucoup de monde. Cette démonstration de sympathie a été très appréciée des familles des victimes et de la communauté musulmane de Québec. Je suis aussi heureux de l’accueil du gouvernement fédéral en faveur de cette jeune Saoudienne qui souhaitait quitter son pays.

– Concernant ce que tu viens de dire, bien des gens se posent la question suivante : “Est-ce un coup médiatique pour démontrer les bons sentiments des Libéraux fédéraux à moins d’un an des élections ?” “Est-ce que cela a été fait pour s’attirer du capital de sympathie ?” Nous avons vu les photos “mises en scène” de la ministre qui prend dans ses bras la jeune femme. Je suis d’accord que c’est une bonne chose, mais ce qui m’énerve, c’est l’intention derrière qui semble assez évidente.

Après la pause

Alors la deuxième question de la soirée consiste à trouver des idées concrètes pour améliorer l’insertion des personnes racisées dans certaines de nos manifestations ou d’être davantage présents aux manifestations initiés par d’autres groupes dont les autochtones. Pour ceux et celles qui l’ont déjà vécu, je vous demanderais de revoir dans votre tête des manifestations ou des activités publiques auxquelles vous avez assistées. Essayez de vous rappeler comment les prises de paroles étaient faites et comment ces actions étaient organisées dans leur déroulement, dans les expressions artistiques, etc. ? Quelle place était faite aux personnes racisées. Selon vous, est-ce que les gens étaient bien inclus dans la démarche ? Est-ce qu’il y aurait eu des choses à améliorer dans la façon que l’activité était organisée pour que les personnes soient davantage inclus? Le but est de trouver des idées concrètes d’amélioration, tout en relevant ce qui semblait bien fonctionner, afin d’identifier clairement ce qu’il y aurait à améliorer. (Emilie)

Moi, je vais prendre l’exemple du 8 mars, la Journée internationale de la femme. La CQMMF est un regroupement de femmes qui est national et international. Ici à Québec, la Coalition de la Marche mondiale des femmes, nous nous réunissons pour préparer l’activité du 8 mars. Nous nous efforçons toujours d’inclure les femmes autochtones pour qu’elles viennent parler pour dénoncer les injustices auxquelles elles sont confrontées. La Coalition croient que les femmes autochtones appartiennent elles aussi à cette société. Nous avons toujours une place pour elle. Je trouve que c’est important que nous initions des femmes d’autres origines ou d’autres nations à ce moment qui est justement une journée internationale. C’est pour toutes les femmes de la Terre. Cela se passe en même temps au Burkina Faso, aux États-Unis, au Mexique, au Brésil, en France, en Chine, en Inde, etc. C’est pour toutes les femmes du monde. Alors, je trouve que c’est important pour nous d’intégrer les femmes autochtones afin qu’elles aient leur place.

J’ajouterais que le 17 octobre joue également ce rôle ainsi que le 1 mai. Je pense que toutes les journées internationales sont des occasions de rencontres interculturelles où tout le monde devrait être inclus.

– Peu de femmes immigrantes, noires ou musulmanes, participent à la manifestation du 8 mars. Ce serait bien qu’elles viennent prendre la parole pour exprimer leurs besoins comme nous le faisons avec les femmes autochtones.

– Aurais-tu des idées comment est-ce que nous pourrions faire pour les approcher et les mobiliser ?

– Moi, je souhaiterais que la Coalition soit ouverte plus large. Quand nous parlons de regroupement, souvent nous ne tenons pas compte qu’il y a des groupes qui ont davantage l’habitude d’être mixtes (hommes et femmes). Je ne sais pas si les femmes musulmanes ou africaines ont des regroupements ou nous pourrions les interpeller et leur demander si elles seraient intéressées à se joindre à la Coalition de la Marche mondiale des femmes? Il faudrait peut-être demander aux centres femmes d’intervenir et de demander à ce que d’autres groupes de femmes soient intégrées. Mais même si elles ne participent pas à la manifestation du 8 mars, les femmes musulmanes participent au brunch des femmes le lendemain.

– Je suis administratrice dans un groupe de femmes immigrantes à Beauport, je pourrais amener le point de la Journée internationale des femmes à l’ordre du jour de la prochaine réunion.

– Moi, je fais parti du comité des femmes immigrantes du Centre des femmes de la Basse-Ville. Nous avons eu une réunion avant-hier, nous étions 12 femmes, je suis la seule asiatique, les autres sont toutes latino-américaines, sauf une Comorienne. Nous avons essayé de rejoindre les femmes musulmanes, mais c’est une clientèle difficile parce que cela ne semble pas dans leur nature de manifester publiquement. Ce sont davantage des femmes au foyer. Aussi, l’hiver à cause du froid, elles sortent peu. La volonté est là, mais c’est difficile. C’est pour cela que je t’ai demandé si tu avais des idées pour attirer ces gens dans nos manifestations. Je viens de Montréal et j’ai participé à différents groupes communautaires, et il y a plus de présence de personnes d’autres origines. La question du transport en commun joue énormément. À Montréal, il y le métro qui rend les déplacements beaucoup plus accessibles. La météo y est plus clémente également.

– J’aurais une question. J’ai une de mes amies qui fait du bénévolat avec les immigrants et elle me disait que souvent les femmes obéissaient à leur mari et qu’elles devaient demander la permission pour aller à des activités. Elles ne sont pas nécessairement libérées lorsque elles arrivent au Québec.

– Ce n’est pas vrai pour toutes.

– Cela peut être un facteur pour certaines.

– Depuis quelques mois, il y a des gens qui ont commencé à inviter le groupe de Nour Sayem avec les Aliments ensemble, une petite entreprise qu’elle a créée qui fabrique toutes sortes de mets aux saveurs de Syrie et du monde arabomusulman. Inviter un groupe de femmes ensemble qui offrent un service, c’est une façon de leur faciliter les choses et de pouvoir s’impliquer sans heurter leur façon de faire. Nour Sayem est une personne qui est ici depuis 50 ans. Elle est une réfugier de Syrie et elle joue un rôle remarquable de formatrice d’entrepreneurs, hommes et femmes.

– C’est un bel exemple d’intégration, c’est la première femme immigrante diplômée de l’Université Laval.

– Quand Développement et Paix a invité avec Initiative et Changements, Marie-Émilie Lacroix à animer l’exercice des couvertures, nous avons commencé la rencontre avec une sensibilisation choc. Après cela, l’échange s’engage sur toutes sortes de sujets, mais nous avons donné la parole à une communauté pour nous mettre en action.

 

Moi je dis, c’est qu’il faut aller sur leur terrain. C’est ce que j’essaie de faire et ce que certains d’entre-nous ont fait. Michaël avec la Palestine, personnellement, je représente le CAPMO sur le comité organisateur de l’événement de commémoration de l’attentat à la Grande mosquée de Québec. Les latinos, c’est la même chose, il faut aller sur leur terrain également. Quand il y a des choses qui les touchent, on sort. Quand il y a eu une manifestation contre l’esclavage des Noirs en Libye, ils ont organisé une manifestation, mais trop rapidement alors nous n’avons pas eu le temps de réagir. Lorsque c’est possible pour nous d’aller en solidarité avec eux, surtout pour leurs causes à eux, contre le racisme, contre l’exclusion sociale, etc. je pense que c’est comme cela qu’on apprend à se connaître, à s’estimer et à se faire confiance. Alors tranquillement, ils vont venir vers nous, mais je comprends qu’ils sont aux prises avec des urgences de la vie quotidienne que nous n’avons pas. Ils vivent des enjeux plus immédiats de discrimination. Également, ils demeurent en lien avec ce qui se passe actuellement dans leur pays comme les Chiliens ou les Salvadoriens à une époque où les Colombiens aujourd’hui. C’est ce qui se passait là-bas qui était important pour eux, alors les Québécois nous étions solidaires avec eux. Je pense qu’il faut aller sur leur terrain et lorsque les liens sont faits, cela dure toute une vie. (Yves)

– Moi, je travaille en immigration et ce que cela m’a apporté vraiment en apprenant à les côtoyer, c’est que chaque peuple a une histoire derrière lui. Il y a des peuples qui ont des histoires et des traditions de revendications et de manifestations et d’autres pas. Je vous dirais que les musulmans que je côtoie beaucoup, ont comme deux réalités. Quand ils arrivent, les femmes sont très soumises. C’est un choc culturel pour eux parce que leurs pays se situent très loin de la démocratie que nous avons. Ce sont souvent des femmes qui vivent dans l’ombre de l’homme. Toutefois, ce que nous constatons, c’est qu’après un certain temps ici, elles se libèrent de ce poids. Cela crée alors un déséquilibre dans leur communauté. L’idée est de trouver quelqu’un qui émerge, qui va être sensible, quelqu’un qui va être prête à s’impliquer et qui va devenir un modèle pour les autres femmes de la communauté. Chaque mouvement a besoin de figures de proue, de leaders qui s’affrichent. Cela va être la même chose ici, quand elles vont s’identifier à quelqu’un, elles vont suivre le mouvement. Pour ce qui est de la sémantique des mots, j’aime mieux entendre parler de mobilisation et de sensibilisation que de manifestation, mais c’est moi. J’aime beaucoup la mobilisation, la communauté, la prise en charge. Je trouve que le langage est important lorsque nous revendiquons pour faire valoir nos points.

– Quand nous parlons de manifestation, il faut avoir à l’esprit le mot manipulation, surtout lorsque cela vient des médias. Il y a des exemples à Paris où l’on a vraiment manipulé les Champs Élysées pour faire très mal paraître les Gilets jaunes. Je ne veux pas dire que ce sont des anges, mais ce sont des gens comme nous.

– Nous parlons de manifestations comme mode d’action collectif, mais le mot en soit fait peur. Si j’en parle dans ma famille, la plupart n’ont jamais manifesté. À cause de l’image de violence colportée par les médias cela a une connotation péjorative parce que s’il y a une image de violence lors d’une manifestation, c’est ce qui va être rapporté dans les médias. Alors, il est certain que dans l’imaginaire québécois, cela n’est pas gagnant en partant. Je serai curieux de connaître le pourcentage des Québécois et Québécoises qui ont déjà participé à une manifestation? Des manifestations comme le 17 octobre ou le 8 mars, pour bien des gens cela a un caractère menaçant. Pour bien des gens, signer une pétition, c’est déjà beaucoup. Je ne crois pas que cela soit particulier à notre peuple, mais il y a comme une gêne de trop afficher ses convictions en passant à un geste d’affirmation dans l’espace public. Je pense que cela n’est pas facile pour personne, et pas seulement pour les personnes immigrantes, même si l’espace public est relativement ouvert ici comparer à d’autres pays. Cela demande un certain effort pour manifester pour briser une certaine résistance culturelle.

 

– Je dirais que cette gêne à manifester est le propre de l’Amérique du nord en général.

– Moi, je vous dis que les immigrants qui arrivent, marchent sur le bout des pieds parce qu’ils ont peur de perdre leur statu d’immigrant reçu.

– Pourtant, pour ceux qui ont des craintes, s’ils savaient comment le fait de manifester est libérateur et énergisant. Je me rappelle la première fois que je suis allée à une manifestation, je pense que c’était pour la cause des femmes, j’en ai parlé pendant une semaine à toutes mes amies. C’est tellement le fun, cela donne une énergie incroyable. Une fois, j’ai amené ma mère à une manifestation. Elle en a parlé à ses sœurs, à ses amies, pendant un mois et elle était toute fière d’avoir participé à une manifestation. C’est prendre part à quelque chose de plus grand que soit. Cela devient une habitude.

– Très jeune, j’ai constaté que le fait de manifester était associé à la culture de chaque société et individu. Au Québec, il y a eu des moments forts pour la politique, mais cela coexiste avec une peur de parler de politique ou de religion pour ne pas se chicaner. Je pense que ce qui est important aussi, c’est tout le processus qui précède la manifestation. C’est la manière d’organiser les choses. Ces dernières années, je vois souvent des gens qui de façon tout à fait individuelle lancent un événement sur Facebook sans consulter personne. Ils ont un sentiment d’urgence et ils agissent de manière non-organisée. Souvent, ils ne prennent pas la peine d’assister à des réunions ou de rejoindre un organisme. Ils s’improvisent organisateur spontané d’un événement sans savoir si les gens sont sensibiliser à cette question et s’ils vont se mobiliser. Parfois, cela fonctionne. Personnellement, je trouve que le processus a une valeur importante en soi. On parle d’interculturalité, mais il s’agit aussi d’inclusion en général. Une fois, ce que j’avais fait avec succès, c’est que le Collectif pour la paix de Québec avait convoqué une assemblée publique où tout le monde était invité à décider ensemble de la stratégie, des objectifs et des revendications de la manifestation. Cela avait bien marché. L’un des défis, c’est que les êtres humains fonctionnent beaucoup par appartenance. Donc, si tu mets de l’avant : assemblée générale de tel ou tel organisme, les gens vont penser que s’ils ne sont pas membres, ils ne sont pas concernés. Tu peux prendre toutes sortes de stratégies incluant l’utilisation d’autres vocables comme : « rassemblement festif ». C’est un défi d’organiser une assemblée d’organisation en parvenant à inclure des gens que tu ne connais pas. C’est sûr que l’idéal, c’est d’aller sur le terrain de ceux ou celles que tu veux rejoindre. Par exemple, si tu veux rejoindre les jeunes, tu as intérêt à te réunir avec une association étudiante sur un campus à quelque part. Pour les personnes immigrantes, je pense que c’est pas mal la même chose aussi. Il n’y a pas de solution miracle, mais il faut essayer.

– J’aimerais raconter une histoire d’une manifestation contre le pipeline Énergie Est où deux femmes autochtones étaient présentes. Elles ont pris la parole à l’invitation des organisateurs qui étaient Nature Québec et c’était devant le parlement. À un certain moment, les femmes autochtones ont débuté une cérémonie. Pour moi, c’était comme le choc des cultures. Il existe une culture médiatique mondialisée dans les grandes chaines de télévision. Moi ma culture est scientifique, je suis physicien. Pour moi, le pipeline, ce n’est pas une histoire de contamination des terres agricoles et des rivières, c’est le dioxyde de carbone si nous savions réellement à quel point ce problème est grave. Nous avons eu de déversement au Lac Mégantic et nous sommes parvenus à nettoyer le lac et la rivière Chaudière. Le problème fondamental, c’est que nous ne pouvons pas déstabiliser le climat de toute la planète. C’est très, très grave. Pour moi, c’est une réflexion culturelle à l’intérieur de ma culture occidentale et de ma formation scientifique. Cela provient de notre façon de voir la physique de l’atmosphère et la chimie et tout cela. Pour moi, le vrai problème scientifique est créé par la culture, mais aussi ma culture a les connaissances pour régler le problème. C’est ma culture qui a créé le consensus scientifique contre le CO2. Je suis donc dans une manifestation où il y a deux femmes autochtones et à un moment donné nous formons un grand cercle et elles commencent à dire une prière puis elles demandent le silence. Tout le monde se tait, sauf qu’il y a une femme en-dehors du cercle qui continue à parler. Elle nous tourne le dos et elle parle dans un micro devant une caméra de télévision. Culturellement ce n’est pas poli. Je vais la trouver et je lui demande poliment de cesser de parler. Elle me regarde rapidement et elle continue à parler. Puis, elle met la main sur le micro, et elle me dit : « Monsieur, je suis en direct. » Il y a une culture médiatique qui s’invite dans une manifestation et qui a ses propres priorités. Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour que la présence des médias ne soit pas contre-productive?

– Actuellement, dans l’actualité, les autochtones jouissent d’un préjugé favorable. Ils le savent et ils l’exploitent au maximum. Ils sont aussi dans cette joute de perception parce que les gens vivent dans la perception. Les propos de scientifiques, les gens comme vous articulés, quand entend-t-on leur opinion ? C’est rare. On va montrer la chaise qui est lancée dans une manifestation par exemple.

– Je ferais un lien avec ce que Michaël a amené sur le plan d’une planification commune d’une manifestation. Qu’il s’agisse de l’objectif, de l’animation ou de la présence avec les médias. En ce qui a trait à un commentaire plus général, je pense qu’il y a un apprentissage interculturel à faire. Comment les médias réagissent par rapport aux autochtones, mais aussi par rapport au sacré. Dans notre société, il n’y a plus beaucoup de place pour le sacré. C’est devenu inhabituel pour les médias qui ne savent pas comment s’adapter à cette réalité, ni s’arrêter pour observer en silence. (Emilie)

Depuis tantôt, je réfléchis à la manière dont j’ai du m’adapter à la manière de faire des Innues quand je suis allé au festival Innucadie sur la Côte-nord. Je suis une fille en communication et en organisation d’événements, alors au moment où j’ai voulu participer à ce festival, je pensais que cela serait archi bien organisé. Beaucoup de personnes m’en avaient parlé, donc j’ai pris la route de la Côte-Nord pour y assister. Une fois arrivée à Sept-Iles, je suis arrêtée au bureau d’information touristique pour connaître la programmation et où est-ce que cela avait lieu. Personne n’était capable de me renseigner partout où j’ai arrêté. Je me demandais où est-ce que je m’en allais puisque je devais me rendre à Natashquan. Je commençais à me dire que je m’étais trompée de semaine et que cela ne se pouvait pas. Même pour les dates, les gens que je rencontrais n’étaient pas tout à fait sûrs. Alors, j’ai pris la route des Innues et je me suis rendue. C’est incroyable parce que à peu près tous les gens qui étaient arrivés là avaient vécu les mêmes problèmes. C’était un peu comme un pèlerinage, une vraie aventure. Puis tout le monde s’est retrouvé sous les tentes là-bas. Nous avons dormi dans le musée de Natashquan et il y a eu un énorme festival, une rencontre culturelle extraordinaire et des échanges merveilleux. Tout ça pour dire que pour participer, il ne faut pas oublier notre propre culture, tout en étant capable de faire éclater nos propres paramètres. Dans le fond, je me demande si cela était voulu comme démarche de fonctionner d’une façon complètement désorganisée ? Je ne le sais pas, mais pour moi ça a été extraordinaire parce que je suis sortie de ma zone de confort et cela m’a obligé à faire sauter mes paramètres. Alors, j’en suis revenue transformée avec un sentiment de libération parce que j’ai su lâcher prise. L’accueil était merveilleux. En fait, la programmation se décidait sur place. C’était des cadeaux entre les cultures, des pièces de théâtres, des chants, des contes, etc.

– Pour moi, le mot manifestation c’est une action, mais avant de poser une action, il faut réfléchir et savoir pourquoi on pose ce geste. Pour faire cela, il faut éduquer les gens parce que nous n’avons pas tous la même éducation familiale, scolarité et autres, et même dans la compréhension des choses. Donc je pense qu’avant de manifester, cela prend de l’éducation populaire parce qu’il y a aussi des gens qui profitent des manifestations pour venir faire des choses contraire à l’objectif de la manifestation. Je trouve cela malsain et pas correct. Il faut conscientiser les gens sur leurs droits.

Propos rapportés par Yves Carrier

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