#288 – Retour sur le Forum social mondial de Salvador de Bahia
Le coordonnateur du CAPMO était présent au dernier Forum social mondial, il nous présente son expérience, accompagné d’une analyse de la situation actuelle au Brésil après le Coup d’État parlementaire du mois d’août 2016 contre Dilma Rousseff.
Le premier Forum social mondial, FSM, se tient à Porto Alegre, c’est une grande ville du sud du Brésil. Le gouverneur de l’État et la mairie étaient du Parti des Travailleurs, cela a favorisé l’organisation logistique des premiers Forum. Ceux-ci ont aussi eu lieu sur d’autres continents, dont à Montréal en 2016. Environ un FSM sur deux a lieu au Brésil et l’âme de cette organisation est brésilienne. Cette année, nous avons pu sentir le creux de la vague parce que c’était un FSM essentiellement brésilien. À part le Québec, il y avait très peu de Nord-américains. On n’y entendait presque pas parler d’autres langues que le portugais. Il y avait de petites délégations de nombreux pays, mais nous étions à 95% dans un univers brésilien et cela se reflète dans la liste des mille ateliers et conférences. Nous étions un peu perdus, un sentiment d’impuissance nous habitait devant la quantité phénoménale d’ateliers qui avaient lieu en quatre jours. Avec 60 000 participantEs, on sentait un certain manque d’organisation. Il n’y avait pas de cahier d’ateliers, mais un courriel qui donnait accès à un fichier Excel avec dix-neuf axes et mille ateliers. Bref, je suis sorti de là habiter par une certaine frustration. En plus du chaos habituel qui veut que si tu trouves le local, soit l’activité est déjà commencée, il n’y a plus de places ou bien elle n’a pas lieu. Tout cela sous une chaleur accablante de 36 Celsius où certains locaux étant de véritables chambres froides en raison de la climatisation. Après deux jours, j’ai décidé de changer de méthode; circulant au hasard, j’allais m’asseoir sous différents chapiteaux pour écouter des bouts de conférences. À la fin du FSM, j’éprouvais une drôle de sensation. C’était comme si j’avais assisté à un banquet sans avoir pu me rassasier et je demeurais sur mon appétit. Je me consolais en me disant que de nombreuses conférences seraient sans doute versées sur internet après l’événement.
Le mercredi soir, une soirée d’ouverture avait lieu dans un stade de soccer à Salvador, nous ne l’avons appris que le lendemain. Même si je parle assez bien portugais, il y avait un problème de communication.
En raison de la destitution de la présidente Dilma Rousseff, le 31 août 2016, la droite a repris le pouvoir. Le discours principal que nous entendions dans les médias était ouvertement raciste, parfois carrément fasciste. Pour vous donner une idée, le gouvernement putschiste a gelé les dépenses publics en santé, en éducation et dans les dépenses sociales pour les 20 prochaines années et ils ont inscrit cela dans la constitution. On assiste également à une véritable chasse aux sorcières au moyen de la politisation du système de justice et de la judiciarisation de la politique. Le système de justice est partial et tous les cadres du PT qui occupaient des hautes fonctions dans l’appareil d’État, sont poursuivis pour des fautes imaginées par le gouvernement de Michel Temer. Ainsi, six recteurs d’université ont été inculpés de corruption et l’un d’eux s’est suicidé dans une endroit public. Les médias répercutent ces accusations, devenant un tribunal populaire qui lynche les réputations sur la place publique à tel point que les juges ne font qu’appliquer le verdict de causes qui ont déjà été jugées dans l’opinion publique. Encore là, il y a une partialité contre le Parti des travailleurs et les membres de la gauche en général qui sont tous et toutes associées à une organisation de malfaiteurs. Pendant ce temps, la police a découvert dans l’hélicoptère privée d’une sénateur de droite, 500 kilos de cocaïne et il n’est même pas en prison.
Cette photo nous montre Lula, l’ancien président du Brésil. Elle révèle toute l’affection que ressent le peuple du Nordeste pour ce fils du pays qui a connu la pauvreté et la misère. Sa mère a quitté le Nordeste du pays pour vivre à Sao Paulo. Dès l’enfance, il a quitté l’école pour commencer à travailler. Il est entré à l’usine au début de l’adolescence et il est devenu machiniste. Il a fait ses études secondaires pendant qu’il était ouvrier, puis il a fondé un syndicat qui est devenu la CUT, Centrale unie des travailleurs. Lula a tenu tête à la dictature militaire et il fait de la prison pour cela. Ensuite, il a fondé la PT, le Parti des travailleurs et il s’est présenté six fois aux élections présidentielles jusqu’à son élection en 2003.
Un juge en manque de célébrité a déposé des accusations contre l’ex-président Lula qui lui reprochent de s’être fait donner un condominium comme pot-de-vin pour favoriser une entreprise privée. Celui qui a porté les accusations est actuellement derrière les barreaux et bénéficie d’une réduction de peine pour son témoignage. Le juge a même affirmé qu’il n’avait pas de preuves pour inculper Lula, mais qu’il était convaincu de sa culpabilité. L’ex-président a été condamné à douze ans et demi de prison, sur la base d’un seul témoignage et de soupçons. Lula dit qu’il n’a jamais mis les pieds dans cet appartement, ni n’en possède les titres de propriété. Cette machination est si forte que l’entreprise qui possède l’appartement l’a mise en garantie de prêt. Donc, Lula serait propriétaire d’un appartement qui ne lui appartient pas. On l’accuse également d’avoir fermé les yeux sur la corruption à PETROBRAS, mais c’est faire un procès d’intention que de prétendre qu’il était au courant de tout. Au fond, s’il a été condamné sous de simples allégations, c’est que malgré la diffamation dont il est l’objet par les grands médias nationaux, il mène largement dans les sondages pour la prochaine élection présidentielle d’octobre 2018.
Au Brésil, cinq grandes familles contrôlent l’essentiel de la presse et de la télévision. Sur une population de 210 millions d’habitants, on dénombre 71 000 millionnaires. On estime qu’environ 3 000 familles contrôlent la majorité de l’économie dont l’agrobusiness qui produit viande, soya, café, cannes à sucres, agrumes, etc. Dans les médias télévisuels, c’est le territoire de l’imaginaire qu’on cherche à occuper, les pensées et l’esprit des gens qu’on colonise en quelque sorte. Appliquant des méthodes de contrôle psychologique de masse, un mensonge répété sur tous les tons, fini par pénétrer l’esprit des gens jusqu’à ce qu’ils y croient sans être capables d’en expliquer la raison. Exemple, tous les politiciens sont corrompus, etc. Cela contribue à dépolitiser la population et à semer le cynisme chez les gens. J’ai assisté à une présentation d’un professeur de l’École de psychologie de l’université de Bahia qui expliquait comment les médias influençaient de manière délibérée l’opinion publique en construisant une narrativité fonctionnant avec de courtes phrases associatives. On commençait par dire : « Un bon bandit est un bandit mort. » Ainsi les jeunes hommes noirs, les pauvres et les habitants des favelas, sont présentés comme des criminels. À toute fin utile, cela donne le droit à la police d’abattre ceux qui correspondent à cette définition. Une fois cette axiome négatrice de l’état de droit admise dans l’esprit des gens, on leur inculque un nouveau postulat tel que : « Les défenseurs des droits humains sont les amis des criminels, » ou encore « le Parti des travailleurs » est une association de malfaiteurs, une forme de crime organisé. » Il s’agit d’associer au terme « criminel » le plus de gens possibles, ceux et celles que l’on cherche à déshumaniser et à diaboliser. Ensuite, on passe à l’étape suivante : « Lula est le chef d’un réseau de criminels qui s’appelle le PT ». Je vous jure, c’est ce qu’on entend à longueur de journée à la télévision brésilienne.
Une fois ces prémisses admises, un bon procès qui accuse l’ex-président et tous les membres de son parti devient une simple formalité. La cause est déjà entendue, le territoire est occupé dans les cœurs et les esprits. C’est ce que nous avons pu constater avec l’assassinat de Marielle Franco à Rio de Janeiro. Comme elle défendait les droits des jeunes noirs habitants des favelas qui se faisaient assassinés par la police, les médias ont commencé à répandre la nouvelle qu’elle était l’amie des narcotrafiquants. On répétait ainsi l’association suivante : « Les défenseurs des droits humains sont des amis des criminels qui empêchent la police de faire son travail pour la protection des citoyens ordinaires. » Sa mort devient ainsi plus acceptable, d’ailleurs ce sont les bandits qui l’ont probablement assassinés entendait-on dans les médias dans les jours qui ont suivis.
Pour commencer cette présentation, j’étais assez perplexe sur l’expérience que j’avais vécue au FSM et mon désir de vous en rapporter l’essentiel. Tout ce que j’avais sous la main, c’était un millier de titre d’ateliers en portugais répartis en 19 axes. J’ai donc commencé par traduire cette liste en français. Cela m’a donné 46 pages de titres. Pour faire une animation, cela demeurait une tâche presque impossible. J’ai eu ensuite l’idée d’en faire un nuage de mots. Au premier essai, j’ai constaté que les articles et les conjonctions occupaient un bon nombre d’espaces. Je les ai donc enlevées. Au second essai, j’ai remarqué que les mêmes mots au pluriel et au singulier, avec une majuscule ou une minuscule apparaissaient, ce qui enlevait une diversité représentative à mon nuage de mots. J’ai donc recommencé une dernière fois en normalisant les mots, enlevant les verbes et les ponctuations. J’avais alors un seul paragraphe de 15 pages qui une fois entré dans le logiciel donnait une image assez représentative des principales occurrences de mots dans les titres des ateliers du FSM, les plus grands apparaissant plus souvent que les plus petits. J’ai aussi découvert que cela ressemblait à la méthode de décodification du réel inventée par Paulo Freire. Émerveillé, je découvrais un thème transversal à la majorité des thèmes des ateliers qui pouvait se résumer en un seul mot représentant un espace physique, mentale ou imaginaire, à occuper, à défendre, à développer ou à conquérir. Au pays des sans-terres et des sans-toits, des indiens dépossédés et des jeunes noirs incarcérés, le thème transversal à tout cela était :
TERRITOIRE
Ainsi, dans les titres d’ateliers, on retrouve beaucoup les droits à la ville, les sans-terres, les sans-toits, donc tous ceux et celles qui réclament un espace, la gratuité des transports et la mobilité dans la ville comme accès à l’espace urbain et à l’étendu de son territoire. Les quilombos sont des communautés rurales fondées à l’époque de l’esclavage par des esclaves en fuite, ces espaces existent toujours et leurs habitants doivent lutter pour faire valoir leur droit de propriété collective. Les grands propriétaires fonciers veulent s’accaparer leur territoire où ils et elles vivent selon leurs coutumes traditionnels. En ville, ce sont les Terreiros, centres spirituels des communauté afro-descendantes qui sont en résistance devant les spéculateurs qui souhaitent construire des tours là où la vie spirituelle et communautaire est source de fierté, d’appartenance et d’affirmation collective. Les autochtones doivent aussi se battre pour conserver leurs territoires de chasse et de pêche contre l’appétit des entreprises minières, les éleveurs bovins, les compagnies forestières et les grands barrages hydroélectriques. Les multinationales veulent les territoires ruraux et, en ville, ce sont les groupes immobiliers qui cherchent à s’accaparer les espaces encore disponibles, habités, mais non légalisés. Ils veulent s’approprier les territoires des favelas pour construire des condominium. Ceci fait en sorte qu’apparaissent des grands édifices entourés d’habitations précaires. Même les trafiquants de drogues luttent pour conquérir ou préserver des territoires. C’était aussi le thème de l’une des Marche mondiale des femmes il y a quelques années.
Parmi le nuage de mots, auriez-vous des questions à poser ?
– Explique ce que c’est que la capoeira.
La capoeira est à la fois un art martial et une danse que pratiquaient les anciens esclaves noirs pour pouvoir se défendre contre les maîtres blancs. Comme cela était interdit, leur entrainement était rythmé par des tambours et si un blanc s’approchait, la lutte devenait une danse.
Un Terreiro, est un espace sacré, habituellement urbain, où les descendants d’esclaves invoquent les esprits protecteurs de leurs ancêtres africains. C’est un territoire spirituel de résistance à l’aliénation provoquée par la dépossession et la mise en esclavage. Pour résister mentalement à l’oppression de la société esclavagistes, les Noirs ont préservé tout un pan de leur culture où le maître blanc n’avait pas accès. Ils y vont pour communier à une même culture, pour se rassurer et se réconforter devant les épreuves de la vie et demander la protection des esprits africains. Ces Orixas sont associées aux forces de la nature, elles permettent de maintenir ou de réactiver le « axé » qui est la force vitale, l’énergie qui nous traverse. La religion catholique était prédominante au Brésil, c’était la religion des maîtres. Dans l’imaginaire des Noirs, il y avait un espace collectif réservé où par la transe mystique ils avaient accès à une dimension située hors du temps. Le père ou la mère des saints guident les personnes qui entrent en transe qui a pour fonction de communiquer une révélation à une personne de l’assistance.
À la ville comme à la campagne, malgré l’immensité du territoire brésilien, il semble que chaque mètre carré soit disputé. Les latifundios chassent les paysans vers les villes où ils viennent s’entasser dans les favelas et là aussi, la lutte se poursuit. On dit d’ailleurs que celles-ci sont la résultante de l’abolition de l’esclavage; délivrés du servage obligatoire, les anciens esclaves se sont dirigés vers les villes dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure, mais rien n’avait été prévu pour l’éducation, la formation, le logement et le travail, de ces millions de travailleurs qui représentaient plus de la moitié de la population.
Le quilombos est un autre territoire sacré. Il s’agit de communautés créées à l’intérieur des terres où les esclaves en fuite ont appris à défendre leur liberté. 130 ans après l’abolition de l’esclavage, il y a toujours des quilombos au Brésil, mais ils ont été rejoints par les grandes propriétés terriennes qui veulent accaparer leurs terres. Cette lutte de survivance culturelle et économique se poursuit aujourd’hui. Par ailleurs, l’esclavage y est encore pratiqué de façon clandestine. Certains latifundios kidnappent des travailleurs, on les drogue et ils se réveillent dans des endroits éloignés ignorant où ils se trouvent. Ils doivent alors travailler sous la menace des fusils sans être payés. Les conflits pour la possession de la terre et le droit à la dignité des travailleurs demeurent des enjeux actuels.
Un autre axe important des luttes de résistance est le mouvement des femmes associé à la Marche mondiale des femmes. Le mouvement noir aussi est en plein essor. La fierté du peuple noir à travers différents traits culturels comme les vêtements, la musique, les coiffures, la religiosité, la capoeira, la nourriture, etc. Il faut dire que Salvador est considérée comme la capitale noire du Brésil. Lula a ouvert les formations universitaires à la population noire en imposant des quotas pour les admissions. Auparavant, il fallait passer des examens d’admission où ceux et celles qui étaient acceptés provenaient en majorité des collèges privés. Auparavant, les étudiants du secondaire public n’avaient pas accès aux études universitaires qui par ailleurs sont gratuites.
Aujourd’hui, 53% de la population brésilienne se réclament des origines africaines. Est-ce en raison de ces quotas ? On peut s’interroger. Il faut aussi dire qu’il existe une corrélation avec le revenu et la couleur de la peau, plus celle-ci est foncée, plus vous avez de chances d’être confinés à un espace de misère sans grande possibilité d’avancement. En imposant des quotas d’admission en faveur des gens de couleur, Lula a voulu transformer cette fatalité. Son gouvernement a par ailleurs ouvert une quarantaine d’universités dans des régions isolées du pays. Ce président était très ému par ce sujet parce que lui-même n’a jamais eu la chance d’aller à l’université.
En ce qui concerne l’alter-mondialisme, on retrouve un peu de tout au FSM. Cela va de la gauche la plus diversifiée au mouvement environnemental, véganistes, artistes, artisans, agriculture biologique, recyclage, autochtones, femmes, jeunes, Noirs, LGBTQ, des syndicalistes, des universitaires, etc. C’est beaucoup lié aux arts, à la poésie, au théâtre, il y a beaucoup d’expression artistique.
Il y avait des brigades de poésie. Cela consiste en quelques individus déguisés qui vont séparément à travers la foule pour demander à chacun, chacune, s’il souhaite se faire lire un poème. Ils ont un tube en carton comme les rouleaux d’emballage de papier de Noël. Les tubes sont décorés de couleurs vives. Si on accepte l’expérience, quelqu’un nous lit un poème avec le tube collé sur notre oreille. Cela donne un son caverneux très particulier, ensuite on vous offre le poème écrit sur un petit papier. C’est gratuit et c’est très charmant. À reproduire ici. Il y a aussi plein de spectacles de musique qui ont lieu en même temps et des danses avec des tribus autochtones. C’est un vrai happening.
La Marche des femmes qui vient d’ici est un mouvement très fédérateur et très reconnu au Brésil. C’est un peu comme si les femmes du sud avaient repris le combat des luttes féministes qui a été menées ici dans les années 1970-1980 pour revendiquer leur place dans la société. En Amérique latine, ce sont toujours des sociétés machistes où les droits des femmes peinent à être reconnus à leur pleine mesure.
L’éducation populaire appartient également au terrain de lutte pour développer une pensée critique sur l’organisation sociale et permettre une liberté créatrice orientée sur des valeurs d’égalité et de partage. L’éducation peut être instrumentale au système en transmettant la docilité et l’obéissance comme ligne directrice de la formation académique ou bien elle peut chercher à développer un esprit de curiosité, de collaboration et d’innovation, soucieux du bien commun davantage que de l’individualisme. Une éducation où l’on apprend à créer ensemble notre propre histoire collective. C’est d’autant plus important pour les Noirs et les autochtones à qui on a interdit d’avoir leur histoire. Les puissants ont voulu effacer toute trace de leur histoire et ils ont même dispersé les familles pour les affaiblir collectivement. Alors pour eux, la mémoire, les ancêtres, être capables de se raconter une histoire qui les situe dans une lignée, dans le temps, c’est quelque chose d’émancipateur leur permettant de s’enraciner, de se rattacher à un passé.
– C’est ce qui a été fait ici avec les Amérindiens. On les a séparés de leur famille, on leur a interdit de parler leur langue et on voulait tuer l’indien en eux.
– Ça c’est le 20ème siècle. Au 18ème et au 19ème siècle, les guerres et les épidémies ont exterminé les trois quarts des populations autochtones en Amérique du Nord.
– Sauf, qu’au Brésil, on retrouvait encore récemment des populations vivant selon leur mode de vie traditionnelle sans contact avec la civilisation blanche.
On en découvre encore des petits groupes de cinquante à cent individus qui refusent le contact avec la vie moderne. Sauf que maintenant avec la coupe forestière et l’exploitation minière, leurs territoires sont envahis. La situation des peuples autochtones au Brésil est désolante. Dans le secret des forêts, ils font face à l’extermination. Le gouvernement de Michel Temer a promulgué une loi qui interdit le recours aux tribunaux pour les conflits entre Amérindiens et entreprises privées. Au cours d’un atelier qui avait lieu pendant le FSM, des autochtones ont témoigné qu’ils ne divulguaient plus le nom de leurs chefs parce que ceux-ci étaient systématiquement assassinés. Nous retrouvons aussi dans cet esprit du développement capitaliste à outrance, la criminalisation des mouvements sociaux, écologistes, paysans ou autochtones, qui cherchent à préserver leurs territoires de l’avancé des multinationales. Désormais, s’opposer à la spoliation des terres ancestrales est considéré comme un acte criminel, voire séditieux.
– La situation politique actuelle est triste à voir, un ami théologien m’a raconté qu’après la destitution de Dilma Rousseff, à laquelle personne ne croyait, il y a eu des épisodes de pleurs collectifs dans des assemblées de la gauche. Le moral est bien bas en ce moment m’expliquait-il, puisqu’il semble que nous allions de défaite en défaite, l’incarcération de Lula étant la dernière étape de ce roman. Cependant, peut-être que cet outrage permettra l’union de toutes les forces progressistes du pays et l’éveil d’un nouvel élan de conscientisation populaire. Certains ont reproché à Lula et au PT de ne pas avoir éduqué la population sur les enjeux politiques et d’en avoir fait de simples consommateurs. Il faut dire qu’avec la propagande des principaux médias de communication, le gouvernement n’a jamais eu l’hégémonie du message et qu’il n’a pas été capable d’imposer une idéologie progressiste au pays. Les forces réactionnaires sont très puissantes, elles vont des Églises fondamentalistes aux militaires en passant par les millionnaires, les médias, les juges et les services secrets américains.
– Je pense que de plus en plus, partout dans le monde, on perçoit l’influence d’une pensée unique. Est-ce que cela a été discuté au Brésil ? Je sais que cela était assez fort dans le mouvement associé à la Théologie de la libération. Il y aurait aussi un mouvement très fort au Brésil qui est la Théologie de la prospérité qui serait portée par certaines Églises pentecôtistes. Elles seraient même parvenues à faire élire certains pasteurs à des fonctions politiques et cela serait beaucoup inspiré du modèle américain. L’impérialisme essaie d’augmenter son influence en finançant des groupes fondamentalistes chrétiens et musulmans à travers le monde. C’est une façon qu’il a trouvé pour désorganiser les sociétés. As-tu des éléments d’analyse par rapport à cela ? Aussi, en ce qui concerne l’influence du Brésil sur la scène internationale et en Amérique latine en tant que puissance économique, politique et culturelle, quels sont les impacts de ce retour en arrière de la classe politique brésilienne sur la scène internationale ? Pouvons-nous faire un lien avec le G7 qui aura bientôt lieu ici au Québec ?
Je vais répondre en commençant par la fin. J’ai vu qu’il y avait des conférences pour se préparer au G20 qui aura lieu à Buenos Aires. Le G20, c’est le G7 plus 13 autres économies moyennes qui portent pour l’essentiel le même projet néolibéral. Le G7 a lieu chaque année et le message ne change pas vraiment. Le Brésil représente 50% de l’économie, du territoire et de la population, de l’Amérique du sud. C’est certain que les Colombiens ou les Péruviens ne penseraient pas intervenir au Venezuela si le Brésil était gouverné par Lula. Quoi qu’on ne sait plus vraiment où l’armée brésilienne se situe, certains haut-gradés ont menacé de recourir au Coup d’État si Lula n’allait pas en prison, c’est-à-dire, s’il venait qu’à être réélu à la présidence du pays. D’aucuns s’ennuient d’un gouvernement militaire à la poigne forte qui pourrait mettre au pas toute la gauche brésilienne en les enfermant en prison. C’est le genre de discours qu’on retrouve sur les médias sociaux et à la télé. Je ne pensais pas entendre un tel discours de haine et d’appel à la violence réapparaitre de mon vivant. Je croyais que cela avait été enterré pour toujours dans les poubelles de l’histoire. C’est très inquiétant pour l’avenir de l’Amérique latine.
Pour ce qui est des groupes pentecôtistes et des catholiques de droite, oui cela provient des États-Unis. Ils ont fait cela pour contrer le discours de la Théologie de la libération dans les années 1980. C’est écrit dans les documents de Santa Fe de même que le pacte de Reykjavik entre Jean-Paul II et Ronald Reagan en 1980. Si nous prenons le cas du Brésil, les gens sont croyants, voire crédules, à 95%. Sur 600 députés au congrès, 200 sont des pasteurs ou des représentants des Églises évangéliques. Ces Églises ne paient pas d’impôts, elles possèdent de puissants médias électroniques et un public obéissant qui va voter lorsque leur pasteur leur demande. Leurs dons ne sont pas comptabilisés si bien qu’on ignore combien d’argent elles investissent dans les campagnes électorales. La plus grande Église pentecôtiste du Brésil, « L’Église universelle du règne de Dieu», fondé par Edir Macedo possède la seconde chaine de télévision du pays, la Red Banderante. Le fondateur de cette Église est milliardaire.
Ils ont des députés, des gouverneurs, des maires, des Églises, des chaines de radio et de télévision, etc. Leur pouvoir est assez impressionnant et les Églises pentecôtistes réunissent plusieurs dizaines de millions de membres. Alors, la droite catholique est allée cogner à leur porte pour leur demander de s’associer à eux espérant atteindre la moitié des sièges au congrès puisqu’ils partagent les mêmes valeurs contre l’avortement, qu’ils sont homophobes et ont la même peur du communisme. Bien sûr, on retrouve aussi des chrétiens, catholiques et protestants, davantage de gauche. Avant l’incarcération de Lula, une célébration de la Parole a eu lieu avec des pasteurs et des prêtres qui ont lu des extraits de l’Évangile qui dénoncent les faux témoignages, dans le plus pur esprit de la Théologie de la libération.
Il y a aussi un ressac devant les lois favorables au mariage gai, aux quotas favorables aux Noirs pour l’accès à l’université, contre une éventuelle légalisation de l’avortement, à la hausse des impôts pour la classes supérieures et moyennes. Les forces réactionnaires, profitant de la crédulité d’une grande partie de la population, se coalisent dans leurs actions et leurs discours. La droite religieuse se croit investie d’une mission divine de purifier la société en rétablissant la loi et l’ordre qui comme par hasard correspond aux valeurs capitalistes. Pendant que l’Église catholique s’est rapprochée des cultes afro-brésiliens, Candomblé et autres, certaines Églises fondamentalistes persécutent ouvertement les membres de ces différents cultes en les accusant de sorcellerie. Depuis deux ans, il y a même eu des cas de lynchages publics. Il faut savoir que la plupart des disciples des cultes afro-brésiliens sont catholiques, qu’ils se font baptiser et qu’ils vont à la messe. Certains pasteurs fondamentalistes ont commencé à dire que c’était des cultes adressés au diable et qu’ils pratiquaient la magie noire alors il y a eu des scènes de lapidation dans le Nordeste. Avec les Églises fondamentalistes, on assiste à une régression de l’esprit critique pour sombrer dans la superstition et la peur. Fondamentalistes, cela veut dire qu’ils interprètent la Bible à la lettre.
– N’y a-t-il pas une certaine exploitation économique des disciples de ces Églises ?
Les gens adhèrent à ces Églises parce qu’ils ont besoin d’espoir et d’un réseau de soutien dans les mégapoles latino-américaines. Ceux et celles qui deviennent membres doivent verser 10% de leurs revenus à leur Église. S’ils sont trop pauvres ou ne gagnent pas assez, ils bénéficient de cours de formation, de groupes de recherche d’emploie et du réseau de leurs coreligionnaires pour dénicher un emploi mieux rémunéré. Ainsi tout le monde y gagne, le membre et l’Église qui voient leurs revenus augmentés. De plus, un bon chrétien ne boit pas et ne fume pas, c’est autant d’argent économisé pour la croissance de leur Église.
– Il est facile de s’appuyer sur la Bible pour justifier des punitions parce que dans le Pentateuque qui est constitué des cinq premiers livres de la Bible, comme dans le Lévitique et le Deutéronome, il y a des articles qui correspondent à l’état d’une société il y a 3 000 ans. Par exemple, si vous êtes le parent d’un enfant qui vous insulte, vous avez le droit de le mettre à mort. Et si une femme est prise en situation d’adultère, elle peut être lapidée. Autre exemple, si la femme qui se fait violer a crié au secours, mais qu’elle n’a pas été entendue, le bénéfice du doute est favorable aux hommes. Alors on peut aller chercher toutes sortes de choses dans la Bible. Ce que faisait la Théologie de la libération, c’est qu’elle prenait une clé de lecture. Elle ne retenait pas tout dans la Bible, mais tout ce qui avait rapport à la libération, et non seulement personnelle, le salut contre le péché pour être admis au ciel. Tout ce que Jésus appelait le Règne de Dieu qui correspond à des valeurs de justice et d’équité. Il y a des passages très engagés dans les évangiles. C’est cela que la Théologie de la libération retenait. Dans l’Ancien testament, Moïse est interprété comme le leader qui fait sortir son peuple de l’esclavage en Égypte; les prophètes qui se confrontent au roi exploiteur et ainsi de suite. Alors c’est une lecture complètement différente et cette position a fait peur à bien du monde et dans les différentes hiérarchies des Églises on a nommé des gens pour les ramener à des positions plus conservatrices et c’est parti dans l’autre sens. Parce que l’Évangile de la prospérité dit que si tu donnes 100$, tu vas recevoir 100 fois plus. C’est ainsi que ces Églises deviennent des puissances financières. En 1980, il y avait 80 000 communautés ecclésiales de base dans la lignée de la Théologie de la libération. Cela représentait 2 millions de personnes engagées socialement à une époque de dictature militaire. C’est là qu’était le ferment des changements à venir. C’est de là que sont nés les syndicats libres et le Parti des travailleurs. Maintenant, ils vivent le ressac. Je trouve qu’il y a comme un décalage entre la réalité actuelle du Brésil et un Forum comme celui-là, qui est un happening d’intellectuels. Ils seraient mieux de se concentrer sur le Brésil pour essayer de recomposer une opposition.
Je dirais que c’est ce qu’ils sont en train de faire parce que d’une part 95% des ateliers parlaient du Brésil et l’écrasante majorité des participantEs étaient Brésiliens. C’était foncièrement un Forum social brésilien. Cela a permis à la gauche brésilienne de tout le pays de se réunir pour discuter de stratégies devant la montée des forces réactionnaires. C’était une occasion de le faire dans un espace de liberté et un territoire protégé. Lula est venu d’ailleurs, mais je l’ai su après qu’il soit passé parce que l’événement a eu lieu dans un stade hors du campus. Il y a une articulation brésilienne que j’ai vécue là et en même temps, on sentait qu’il y avait une énergie étrange. D’abord, il ya beaucoup de chômage en raison d’une récession économique et l’état de non droit actuellement en vigueur est appelé État d’exception. Il faut savoir qu’au Brésil la police est militaire. Donc, ce sont les militaires qui sont la police avec les techniques de répression que cela implique. Il faut se rappeler que le Brésil a vécu 20 ans de dictature de 1964 à 1984, mais le président n’a été élu au suffrage universel qu’en 1988. Comme il y a une grave dégradation des conditions de sécurité pour les citoyens, on parle de 60 000 homicides par année, le discours répressif a de beaux jours devant lui. On me disait que dans les 50 mégapoles les plus violentes au monde, 17 sont situées au Brésil. Les victimes de ces homicides sont majoritairement de jeunes hommes noirs qui habitent les favelas. Pour revenir avec mon idée de territoire, 700 000 personnes sont privés de liberté et vivent en prison dans les pires conditions imaginables.
– Ne pourrions-nous pas faire le procès du régime de Lula en ce qui concerne la MINUSTA en Haïti ? L’occupation d’Haïti par les Casques bleus était sous les ordres des forces armées brésiliennes. Le Brésil de Lula s’est laissé manipuler par les États-Unis pour avoir un siège au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Est-ce que son gouvernement n’aurait pas joué sur les deux tableaux : Lula progressiste à l’intérieur et impérialiste à l’extérieur ?
Peut-être, je ne connais pas cette partie de l’histoire du gouvernement de Lula. Je ne dis pas que c’est un saint, mais je constate qu’il a mis en place plusieurs politiques sociales qui ont été favorables aux plus pauvres et que ceux qui l’accusent de tous les maux présentement sont immensément corrompus. Par ailleurs, venant d’où il vient, j’imagine qu’il devait se méfier comme de la peste de tous ceux qui cherchaient à l’acheter. Par ailleurs, il n’est pas exclu que certains opportunistes aient profité du PT pour avoir une belle carrière politique. Nous pourrions aussi questionner la présence des troupes canadiennes en Haïti. La plupart des Canadiens croient que nous avons aidé Haïti en y envoyant nos soldats, mais il semble qu’il y ait une autre version à cette histoire. Par ailleurs, je pense que Lula n’a jamais contrôlé le corps militaire de son pays. Ce n’est pas comme Chavez au Venezuela qui était lui-même issu des rangs de l’armée et qui savait très bien qui était qui et à qui il pouvait faire confiance. Il faudrait en parler davantage lors d’une autre soirée. Nous, comme Canadiens, nous pensons que nos interventions sont toujours légitimes et bénéfiques pour les pays où nous allons, mais il y a beaucoup de naïveté dans cela. Si nous prenons l’exemple du bombardement de la Syrie la semaine dernière par la France, les États-Unis et l’Angleterre, la première ministre Theresa May a dit que nous étions les nations civilisées. Cela m’a étonné d’entendre encore de tels propos de la part d’une ancienne puissance impériale.
– Souvent le Canada sert de porte d’entrée à l’impérialisme américain dans différents pays. Alors, il faut faire bien attention à ces choses là. Aussi, quand tu as parlé de la MINUSTA, les pays qui participent à ces missions le font souvent pour de l’argent. Plusieurs pays excessivement pauvres, participent à ces missions, le Bengladesh, le Pakistan, le Népal. Ce sont les cheap labor des Casques bleus et des intérêts des membres du Conseil de sécurité. Il se peut fort bien que le Brésil ait été manipulé là-dedans. Le Chili et le Paraguay participaient également à cette mission.
– Pour expliquer ce que Robert dit, c’est que les Casques bleus sont payés en dollars américains qui est une devise forte. C’est le pays qui envoie ses soldats qui reçoit l’argent alors qu’eux sont payés au salaire de leur pays.
En lisant les thèmes, on sent un éclatement et une dissémination des énergies. Est-ce un hasard ou bien est-ce le cas à chaque Forum social ?
Il faudrait que je te montre la liste des ateliers pour que tu aies une meilleure vision d’ensemble. Il est vrai que c’est devenu en partie un forum académique où les universitaires viennent faire des présentations sur leurs recherches. Cela devrait être davantage des groupes de base qui apportent leur contribution. J’ai vu dans l’axe autochtone qu’il y avait très peu de conférences offertes et comme de fait cette population est absente des universités au Brésil.
-N’y a-t-il pas lieu de fédérer et de mieux centrer les sujets de discussions ?
Actuellement avec l’emprisonnement de Lula et l’assassinat de Marielle Franco, ils sont en train de se fédérer derrière un projet de société. L’éclatement de la gauche dans une multitude de revendications est sans doute dû à sa propre dynamique horizontale qui cherche à répondre à tous les besoins de la population. Se voyant renvoyer dans les câbles, elle sera obligée de se concentrer sur l’essentiel, sur ce qu’elle veut et sur ce qu’elle refuse. Si la droite est immensément puissante, elle est énormément malhabile pour faire accepter ses réformes. C’est la droite et l’extrême-droite qui sont en train de fédérer la gauche brésilienne. En mettant Lula en prison, ils ont réussi à faire ce qu’il était incapable de faire lui-même.
En 2012, lors de mon dernier séjour, j’avais l’impression que le peuple dormait sur ses acquis sans avoir une véritable conscience révolutionnaire. Victor Asselin m’avait dit : « Lula a fait des pauvres des consommateurs, pas des citoyens. » Grâce à l’accès au crédit, ils se sont acheté une maison, un appartement, une voiture ou une télévision, ils se sont payés des vacances pour la première fois de leur vie et leurs enfants sont entrés à l’université, mais ces gains matériels ne se sont pas accompagnés d’une vision partagée du chemin à parcourir contrairement à ce qui se voit au Venezuela ou à Cuba. Cela fait un peu cliché, mais les Brésilien aiment beaucoup le chant, la danse et la fête. Parfois l’observateur étranger s’interroge sur leurs véritables priorités. Lors de mon séjour à Salvador, on pouvait entendre les tambours jours et nuits sept jours par semaine, alors j’ai demandé à une religieuse chez qui j’habitais: S’il y a tant de problèmes, de morts et de pauvreté, pourquoi est-ce qu’ils continuent à célébrer ? Elle m’a répondu que c’était pour se donner du courage et continuer la lutte et que plus il y avait de difficultés, plus ils célébraient.
– C’est un exutoire offert à l’oppression qu’ils subissent.
– C’est dans la culture du FSM qu’il y ait une multitude de thèmes sur tous les sujets. Même à Montréal en 2016, il y avait des centaines de thèmes de conférences. Oui, c’est problématique parce qu’il y a des organismes qui au lieu de prendre le temps d’aller voir ce que les autres font, ne se concentrent que sur leur activité. Ensemble, ils pourraient organiser une grande conférence, mais ils ne le font pas. Il y a comme un effet de silo. Au départ, l’idée était qu’ils ne souhaitaient pas que le Forum soit monopolisé par un parti ou un groupe, donc ils ont pensé à une structure horizontale où il n’y a pas de hiérarchie décisionnelle. Cela donne quelque chose d’un peu anarchique et inefficace. Même avec les moyens technologiques que nous avions à Montréal, c’était quand même le chaos.
– Tu as raison, c’est la nature même du FSM. Ça a toujours été comme cela, depuis 2001. Les organisateurs ont toujours rêvé de fédérer les gens qui participent à ces forum, mais les gens résistent toujours, chacun croyant posséder la vérité.
– Est-ce que dans la FSM il y avait une perspective pour un monde multipolaire parce qu’un gouvernement peut très bien être de droite tout en étant nationaliste et jouer un rôle anti-impérialiste. Quand Trump a refusé d’aller au Pérou pour participer au Sommet des Amériques, cela a été compris comme une insulte par ces pays, indépendamment de leur allégeance politique. Est-ce que le Brésil ne peut pas jouer un rôle positif dans l’émergence d’un monde multipolaire où l’impérialisme serait entouré de pays farouchement indépendant qui ne se laissent pas empiéter sur leur territoire ou sur leur marché ? Ainsi les multinationales perdraient leur emprise sur le monde. Est-ce que cela s’est discuté au Forum social mondial ?
Comme je disais je n’ai pas pu assister à toutes les conférences. J’ai remarqué la présence d’Iraniens, de Kurdes, de Palestiniens, de Tunisiens, quoi que j’ai trouvé que c’était moins cosmopolite qu’à Montréal. Sûrement qu’il y a eu de telles discussions. Tout le monde sait que la Chine, la Russie ou l’Iran, ne sont pas des économies subalternes à l’économie occidentale et qu’ils s’opposent, chacun à leur manière à l’Occident.
– Quand nous sommes au stade de l’idéologie de gauche, on imagine la société idéale, mais quand tu franchis le pas et que tu arrives en politique, c’est l’art du compromis. Lula et le Parti des travailleurs ont dû faire des compromis pour pouvoir établir leur programme social avec la droite économique. On peut aussi dire qu’ils ont été emportés par l’ivresse du pouvoir. Qu’est-ce qu’ils avaient besoin d’avoir le Mondial de soccer? Un de mes amis brésiliens, un militant de gauche, trouvait cela tout à fait insensé. Alors, ils ont fait un cheminement extraordinaire. Je suis allé au Brésil en 1981, c’était le commencement de la fin de la dictature.
Il y avait tout le réseau des communautés ecclésiales de base, il y avait une ébullition, une effervescence, qui a donné des choses extraordinaires qui ont été minées par la droite, celle des Églises et la droite politique, mais aussi en raison des erreurs de la gauche. Le drame actuel qui se traduit dans ce genre d’événements, c’est le courage qu’il faut pour recommencer un processus qui s’était enclenché avec le Coup d’État de 1964. Cela a abouti dans les année 1980 et là ils doivent tout recommencer. Imaginez ce que cela peut signifier avec la droite qui prend sa revanche, c’est quelque chose. Ce que je trouve dramatique, c’est ce collègue brésilien que je connais depuis les années 1970, qui a été emprisonné par la dictature au Brésil, a réussi à s’exiler au Chili où il a été emprisonné à nouveau et qui m’a décrit ce qu’il a vécu au moment du Coup d’État contre Salvador Allende. Il a été détenu pendant trois mois dans la cale d’un bateau avec des interrogatoires et des menaces de mort. Il ne m’avait jamais parlé de cela auparavant. Cet ami est rentré au Brésil. C’est quelque chose. Il faut voir cette dimension humaine d’une gauche qui a besoin d’être soutenue et il faut qu’il y ait une vitalité et une espérance à toutes épreuves pour recommencer le processus à nouveau.
Oui, mais il y a des choses que le PT a fait comme l’ouverture universitaire aux gens des classes populaires qui a permis de former des millions de professionnels qui savent ce qu’ils doivent à Lula. La génération précédente qui a fondé le PT était pratiquement analphabète, ils n’avaient souvent qu’un cours primaire et quelques curés qui les aidaient. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’universitaires dans les rangs de la gauche. Cela peut être considéré comme un point stratégique positif. Parmi ceux-ci ont retrouve de plus en plus de jeunes Noirs et d’Amérindiens qui commencent à étudier et à avoir une formation académique. Ils ont d’autres armes qu’ils n’avaient pas autrefois.
– À condition qu’ils ne se coupent pas de leurs bases populaires en menant leur carrière de façon individuelle. Ils vont sans doute se reconnecter parce que sinon ils risquent de perdre leur emploi.
– Moi, j’ai de la difficulté avec le flux et le reflux. Quand il y a des mouvements populaires de masse qui s’expriment, ils impriment à la société des changements profonds que la droite ne peut pas faire reculer indéfiniment. Ce que Lula a fait avec les universités et les jeunes, cela ne peut pas être effacé du revers de la main. Nous avons eu un exemple ici avec une jeune Brésilienne cinéaste qui a été en contact avec Jules Falardeau, le fils de Pierre Falardeau. Dans l’espace de quelques semaines, ils se sont entendus pour réaliser un court métrage sur le Coup d’État où des gens étaient photographiés avec des affiches. Cela s’est fait avec un jeune appartenant à l’avant-garde du mouvement québécois travaillant avec une jeune Brésilienne qui était passée par l’université et y avait appris à faire des documentaires pour dénoncer le Coup d’État contre Dilma Rousseff. La gauche se démoralise lorsqu’elle oublie ses conquêtes. C’est ce sur quoi elle peut s’appuyer pour aller plus loin. Cet après-midi, j’étais à l’ADDS sur la Rive-Sud et nous parlions du mouvement étudiant. Les grèves étudiantes de 2012 qui revendiquaient l’accessibilité aux études supérieures, reprenaient l’argumentaire des luttes menées par leurs ainés dans les années 1960 pour démocratiser l’éducation. Ils affrontaient un gouvernement néolibéral qui souhaitait augmenter les frais de scolarité et les étudiants répondaient que l’éducation doit être gratuite parce qu’elle doit être accessible à tous et à toutes. Le mouvement étudiant s’est appuyé sur les luttes précédentes pour aller plus loin.
– Je suis critique de la gauche actuelle parce qu’elle se démoralise elle-même alors que si elle regardait son passé, elle aurait beaucoup plus d’énergie à mettre pour aller plus loin que ce qui a été obtenu dans le passé et construire sur ce qui a été réalisé antérieurement. Je vous relate l’expérience des communistes à travers l’histoire, cela a été des avancés, des reculs, des échecs et des victoires, mais je lisais un philosophe italien qui dit que malgré la chute de l’Union soviétique, on ne peut pas dire que le communisme soit un échec parce qu’il a permis de faire avancer la cause des Noirs aux États-Unis, ainsi que celle des femmes un peu partout dans le monde, il a contribué au mouvement de décolonisation de nombreux peuples et le monde actuel serait impensable sans le travail des communistes aux quatre coins de la planète. Alors si la gauche perd la perspective historique de ses luttes, de son évolution, elle se démoralise et elle se butte à la réaction. Mais si elle faisait le contraire en conservant son histoire vivante, en la considérant comme un enrichissement pour la société, elle pourrait s’appuyer sur cette richesse. Les jeunes intellectuels brésiliens qui appartiennent maintenant à une couche instruite, n’accepteront pas de se faire passer n’importe quoi. Pas plus que le Québec moderne n’acceptera de retourner à l’époque de la Grande noirceur parce que quelques excités d’extrême-droite se battent avec la police.
– Comment faire pour qu’ici il y ait moins de désinformation ? Au Venezuela, c’est flagrant que l’information qui nous parvient est partisane contre le gouvernement socialiste. Comment faire pour changer les discours des médias de masse ?
À la mesure de nos moyens, c’est ce que nous tentons de faire dans notre bulletin mensuel: « Ça roule au CAPMO » où sont traduits des articles en provenance d’Amérique latine pour compléter l’information que nous recevons ici en français. Souvent il s’agit de l’opinion d’intellectuels réputés.
– J’imagine que la qualité de l’information qui nous est transmise est grandement tributaire des contacts des journalistes dans les différentes sociétés.
En effet, comme journaliste canadien, il est facile d’avoir accès aux hautes sphères des différentes sociétés. Les élites entretiennent bon nombre de préjugés envers les masses populaires et leurs discours s’évertuent à les dénigrer pour justifier leur position privilégiée. Bien souvent, le simple fait d’être étrangers, blancs et instruits, les associe d’emblée aux bourgeoisies locales et cela leur ouvre plein de portes. Alors si tu fréquentes les classes possédantes, tu vas entendre le discours de ces gens. Ensuite, le travail d’enquête d’un journaliste ne peut pas être simplement de rapporter ce qui se dit dans les médias officiels qui sont contrôlés par cette même bourgeoisie. Si un journaliste ne prend pas la peine d’aller rencontrer les représentants de la société civile et leurs différentes associations qui travaillent avec le peuple dans les syndicats, les groupes de femmes, la pastorale sociale, les écologistes, les organismes communautaires, etc., il ne pourra pas rapporter la réalité de ce pays. L’autre problème, c’est la concentration des grands groupes de presse internationaux qui fait en sorte que l’un répète ce que l’autre a dit sans vérifier les sources. Une rumeur peut ainsi devenir une nouvelle et faire le tour du monde en moins de 24 heures.
– Lula est un leader populaire au Brésil. Il représente le Parti des travailleurs, il est aussi membre du syndicat des métallurgistes. Est-ce que la classe ouvrière en ce moment pourrait déclencher une grève générale pour exiger la libération de Lula ?
Il y a en ce moment deux forts courants qui s’opposent. D’un côté, la gauche se rassemble et se conscientise et elle semble prête à agir, à s’exposer, parce qu’il y a des élections qui s’en viennent au mois d’octobre. Lula bénéficie de 40% d’appui dans les sondages d’opinion alors que son opposant d’extrême-droite ne récolte que 13%. La droite n’a pas de candidat crédible. Temer ne se présente pas, il n’a que 3% d’appui. À droite, il y a aussi une mise en scène avec la menace d’une intervention militaire pour brider les forces d’opposition en faisant croire que le gouvernement de Temer est plus modéré. Les néolibéraux se couvrent de l’ombre de l’armée et du fascisme pour faire reculer la population. Les discours d’extrême-droite qu’on peut écouter sur internet disent : « Si la gauche revient au pouvoir, l’armée va intervenir pour sauver le Brésil et se débarrasser d’eux une fois pour toute en mettant tous ses partisans en prison. » Une dictature, cela veut dire que les recteurs d’université sont des militaires, les directeurs de tous les instituts aussi, que les libertés d’expression, d’association et de rassemblement, sont abolies, que l’habeas corpus est suspendu pour une durée illimitée; cela signifie qu’il n’y a plus de liberté de parole ou de presse, que les tribunaux sont de juridiction militaire, que les partis politiques sont abolis et que les chambres des députés sont dissoutes. Une dictature est une militarisation de l’ensemble des fonctions institutionnelles que l’on retrouve dans une société. Je pense que l’hydre militaire qui plane actuellement sur le Brésil correspond à de la dissuasion psychologique. Pour ce qui est d’une grève générale, nous allons le voir au cours de cet été au fur et à mesure que l’échéance électoral va approcher. Les juges ne permettront probablement pas à Lula de se présenter aux élections, et pour le moment, la gauche refuse de choisir un autre candidat. À tout le moins, il y a un gros travail de politisation qui se fait.
– Ils ont cru qu’avec les BRICS, ils faisaient partie des nations émergeantes, mais ils se sont gourés complètement parce que les cinq pays n’avancent pas au même rythme. Le Fond monétaire international qui est dirigé par les Américains a surtout attaqué le Brésil.
– 40% d’intention de vote pour Lula, c’est quand même un indice important que l’idéologie dominante malgré ses grands médias, n’a pas réussi complètement dans son entreprise de manipulation du peuple. Qui va pouvoir prendre la relève avec autant de popularité ?
Il faut savoir que c’est un régime proportionnel et qu’en raison de cela, le PT n’a jamais eu la majorité à l’assemblée législative. S’ils se sont débarrassé de Dilma, c’est qu’elle refusait de négocier des privilèges pour les différents représentants alors que Lula comme ancien syndicaliste était un négociateur hors paire. Dilma a été victime de sa droiture ou de sa fermeture, cela dépend comment on voit cela. C’est un système qui demande à être huilé constamment pour qu’il fonctionne. Il faut offrir des subventions, donnés des octrois gouvernementaux aux députés pour qu’ils adoptent une loi ou votent les budgets.
Ce que Lula a fait est extraordinaire, il a sorti 40 millions de personnes de la pauvreté extrême. La première fois que je suis allé au Brésil en 1987, il y avait des famines et des gens mouraient de faim dans un pays qui est l’un des plus grands exportateur mondial de denrées alimentaires. Même chose en Argentine, c’est une injustice qui fait la honte de ces élites. Lula, avec ses réformes sociales, en permettant aux classes les plus pauvres d’avoir un mini pouvoir d’achat, a favorisé toutes les classes sociales. Avoir des allocations familiales, des pensions de vieillesse plus généreuses, des bourses d’études ou l’accès à la propriété, cela a profité à la classe commerçante située juste au-dessus des bénéficiaires des différentes formes d’aide. Le PT a même créé un programme national pour loger les gens qui vivaient dans les dépotoirs en leur donnant un salaire régulier comme fonctionnaire municipaux. Le monde pleurait lorsqu’ils ont reçu les clés de leur maison, jamais personne ne s’était occupé d’eux ou ne leur avait prêté attention. Cette population doit la vie à Lula et ils sont prêts à la donner pour lui, sauf qu’ils ne contrôlent pas les médias.
On m’a rapporté que cette année, les écoles de samba à Rio de Janeiro se sont fait couper leur financement par le gouverneur de l’État et le maire de la ville qui sont des pasteurs évangélistes. Pour ces derniers le carnaval représente la débauche. Sauf que la plus grande école de samba a quand même présenté son spectacle et il s’agissait d’une énorme satire du gouvernement de Temer. Cela a été diffusé sur internet et a fait le tour du Brésil. Ça a créé une espèce de catharsis dans l’esprit des Cariocas. S’en est suivie une situation anarchique où la police n’a pas été capable de reprendre le contrôle. C’est alors que Temer a fait appel à l’armée pour remettre l’ordre à Rio. (Je n’avais jamais compris que les écoles de samba pouvaient jouer un rôle de conscientisation politique aussi puissant.) Depuis le mois de février la ville vit sous un régime d’exception, c’est dans cette ambiance que des jeunes gens ont été abattus par les forces de l’ordre et que cette violation aux droits humains, pire qu’à l’habitude, a été dénoncée par Marielle Franco. La conseillère municipale a été abattue deux jours après avoir critiqué le travail des militaires. (Comme manque de subtilité, il est difficile de faire mieux.)
Évaluation
– Merci, on se sent un peu Brésilien aujourd’hui. On s’aperçoit que le Brésil, cela fait parti de nous aussi.
Le Brésil est un poids lourd en Amérique latine, tout comme le Mexique d’ailleurs où il y aura des élections présidentielles le 01 juillet. Si la gauche l’emporte au Mexique, cela pourrait changer des choses dans l’hémisphère américain.
– Je dirais qu’une présentation comme ça avec les nouvelles que nous avons sur le Brésil cela donne beaucoup à réfléchir. Cela correspond aussi à de nombreuses situations comparables à travers le monde. Il faut garder cette conscience là nous qui bénéficions d’un contexte social où il existe des régulations, par la liberté d’association, la liberté de presse et de communication. On touche du doigt un moment critique dans l’histoire d’un peuple et tu nous l’as bien rendu.
– J’ai beaucoup aimé la soirée. Cela ravive une forme d’inquiétude. Je pense qu’effectivement, à l’échelle de la planète, on aperçoit un retour de l’autoritarisme de toutes tendances. En même temps, il y a un phénomène de communication à travers les réseaux sociaux et les réseaux directionnels contrôlés comme les télévisions, les radios et les journaux, il y a comme une mainmise oligarque jusqu’à un certain point. Je trouve cela inquiétant. Je porte la même question de puis des années : « Comment sera-t-il possible que des forces de sagesse du peuple s’alignent pour contrer ce pouvoir excessif des oligarques un peu partout ? » On retrouve actuellement cette violence des pouvoirs oligarques du capital, et en même temps nous assistons à déploiement du à une capacité de communication immense à travers la planète sans précédant dans l’histoire de l’humanité. Il y a bien des luttes qui se sont faites avec des tracts en papier, aujourd’hui nous avons un plus grand niveau d’efficacité, mais en même temps on assiste à une dissémination sur une multitude de fronts de la capacité citoyenne d’agir. La technologie provoque aussi une perte de la capacité que nous avons d’interagir les uns avec les autres, alors que chacunE devient entrepreneur de communication. J’attends donc d’avoir des signes de l’émergence de l’alignement des forces. Il peut aussi y avoir des effets catastrophes dans ces choses là. Il y a des phénomènes d’émergence où les choses s’alignent soudainement à un certain moment, on risque de voir cela un jour ou l’autre. Mais par quel mode, par quel processus, par quelle conscientisation ou catastrophe énergétique, cela se produira-t-il ? Qu’est-ce qui va se passer pour qu’il y ait, à suffisamment d’endroits simultanément, des alignements pour transgresser le mode d’oppression actuel ? Nous l’ignorons encore.
– J’ai aimé ça moi aussi. J’ai appris des choses que j’ignorais et que je n’aurais pas apprises si je n’étais pas venue à cette soirée. Je me demande ce que le peuple, les gens ordinaires, fait dans tout cela ?
Il y a quelque chose qui est de l’ordre du magma. Une population qui se développe, croit et grandit à travers les épreuves de la vie, mais à travers tout cela, il y a une force irrépressible qui continue d’aller de l’avant. C’est vivant, c’est puissant, c’est fort, c’est chaotique, il y a quelque chose qui avance, mais c’est complexe à saisir.
– À l’échelle d’un groupe, nous sommes incapables aujourd’hui d’avoir une vision en surplomb, synthétique, pour comprendre les forces qui interagissent. Peut-être que les communistes ont les outils pour le faire ?
Ils ont raison de nous rappeler à l’histoire, au devoir de mémoire, pour ne pas oublier le chemin parcouru, pas seulement les communistes, qu’ils s’agissent des afro-descendants, des autochtones, du mouvement féministe, des groupes communautaires, etc. La mémoire ancestrale est primordiale pour de nombreux peuples pour guider et inspirer leur agir.
– Je lève mon chapeau pour tout le travail de préparation à partir de la traduction des titres des ateliers. C’est très intéressant comme processus et cela va dans le sens de l’éducation populaire. J’ai plus de questions que de réponses par rapport à ce qui se passe au Brésil. En ce moment, les gens se sentent épiés sur internet et ils ont peur de s’exprimer sur des enjeux politiques. L’espérance que je vois par rapport à tout cela c’est qu’au Brésil ils sont capables de marier le pragmatisme de gauche à la dimension spirituelle de la personne. Je pense que l’avenir c’est d’être à l’écoute des peuples traditionnels qui connaissent le territoire. Il faut réapprendre à les écouter, surtout dans la critique qu’ils font du matérialisme, de gauche ou de droite. La clé c’est d’ancrer nos résistances dans le territoire et le Brésil a une longue tradition à ce propos. C’est là que cela se joue et qu’est la source de tout, la vie en communauté, etc.
– Cela illustre que la vie en communauté est toujours relativement menacée. Quand je vois des images des foules et des forces vives, je trouve cela décourageant de constater à quel degré nous sommes manipulables. En nombre les populations humbles sont largement majoritaires dans le monde. J’ai beaucoup aimé la soirée et je trouve que tu as fait un travail impressionnant.
– Le nuage de mots pourrait très bien servir d’outil pour une autre étape pour une autre animation.
– Si on regarde ce qui se passe là-bas et le G7 qui va avoir lieu ici, c’est inquiétant. Jusqu’où la police va exercer son pouvoir de répression ? À lire ce qui est écrit dans les journaux, on dirait que la police se prépare pour la guerre.
– Il y a beaucoup de théâtre pour faire peur aux manifestants afin qu’ils soient moins nombreux.
– Je propose que nous montrions notre solidarité avec le Brésil et son président incarcéré lors de la manifestation du 01 mai à Québec.
– Il faut se sentir citoyen du monde tout en respectant l’indépendance de chaque peuple. C’est comme cela que chaque peuple peut participer au monde.
– Je pense que l’internationalisme est aussi une excellente façon de combattre le racisme.
– Avoir une conscience universelle n’exclut pas d’avoir une conscience nationale parce que chaque peuple est important. Il y a des peuples qui disparaissent actuellement.
– Chaque collectivité qui écrit son histoire, c’est ça un peuple au fond. Ce que les puissants cherchent à faire, c’est de brouiller les cartes pour que les peuples n’aient pas d’histoire à raconter.
– Je venais ici avec l’idée d’avoir des informations sur Lula parce que c’est un personnage que je suis depuis longtemps. Je pense qu’il y a des individus qui reflètent l’âme des peuples, ils ne sont pas nombreux et Lula est l’un de ceux-là. Ce sont des rassembleurs qui font valoir au plus grand nombre leur capacité de résistance et de mobilisation. C’est ce que j’ai entendu ce soir et j’étais heureux de cela. Je vais continuer de suivre l’actualité de proche parce que j’ai toujours une immense confiance dans la capacité des peuples de réagir à n’importe quelle situation pénible ou catastrophique. L’histoire nous enseigne que les opprimés sont plus souvent victorieux que vaincus. C’est ce qui fait que le monde évolue et progresse tout le temps. Il n’y a pas beaucoup de mouvements populaires de ce type qui ne laissent pas des traces profondes dans la société. Peut-être que Lula ne sera pas président à nouveau, mais son passage en prison va davantage marquer son peuple comme ce fut le cas pour Nelson Mandela.
– Le peuple brésilien est le successeur de Lula. Il a dit avant de se livrer aux autorités : « Désormais, je ne suis plus un homme, je suis une idée, et on n’emprisonne pas les idées. »
– La conscience critique politique du peuple brésilien va être beaucoup renforcée et il entre dans une autre étape de leur histoire.
– Ce qui me marque, c’est que face aux médias de masse américains qui sont relayés par nos médias, notre niveau d’ignorance est assez extrême. Il y a un fort degré de diabolisation, c’est pourquoi nous devons nous garder du culte de la personnalité. Je réfléchis plus à la question de ce que nous pouvons faire. Comme tu as fait ce soir, c’est un acte d’information alternative par rapport à la désinformation que nous recevons. J’ai confiance que les Brésiliens et les Brésiliennes vont réussir à faire ce qu’ils ont à faire. Je pense qu’avec Internet nous avons du pouvoir pour mieux nous informer. Je prends l’exemple d’amis universitaires historiens qui pensent qu’ils savent, mais ils ne savent pas. Même s’ils sont super instruits, ils ont tendance à tout croire ce que les services de renseignements américains nous disent. Je pense que nous avons du travail à faire.
Territoires occupés, j’ai pensé à la Palestine quand le thème est apparu. C’est ça dans le fond la racine du capitalisme, c’est qu’il occupe tous nos territoires, tous nos espaces, mentaux et physiques.
– J’ai trouvé le sujet très intéressant et très éclairant sur la situation au Brésil.
– J’ai bien aimé la soirée. Je vois beaucoup d’espoir dans ce genre de chose, particulièrement les peuples sont plus anciens et plus importants que les États pour l’espèce humaine. Il y a beaucoup plus de peuples que d’États, cela veut dire qu’il y a beaucoup de peuples qui n’ont pas d’État, c’est normal. À mon avis, ces problèmes découlent principalement du fait que la nation ou l’État moderne est animé par un principe de domination des autres peuples, le colonialisme. Il n’y a pas d’avenir dans cette idée, il faut passer à une autre étape de l’histoire.
Propos transcrits par Yves Carrier