#287 – Porter notre dignité

#287 – Porter notre dignité, une rencontre entre femmes de différentes origines solidaires contre les préjugés

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La première intervention est faite par une participante d’origine brésilienne qui rend hommage à Marielle Franco, conseillère municipale, assassinée la veille à Rio de Janeiro.

Elle était une femme noire engagée, issue des communautés pauvres et elle dénonçait les abus des policiers envers ces communautés. Son meurtre est l’œuvre de professionnels qui ont tiré à bout portant dans sa voiture cinq balles dans la tête comme si on voulait également assassiner les idées qu’elle défendait. Cela vient vraiment me chercher parce que c’est un signe de la répression qui s’abat sur le peuple brésilienne et Marielle n’est que la pointe de l’iceberg. Le problème est vraiment très profond. Il y a plein de vigiles qui se passent en ce moment dans plusieurs pays et à travers tout le Brésil. Demain, il va y avoir d’autres manifestations, si vous cherchez sur Google, on parle de ça partout dans le monde. C’est un moment où l’on se rassemble pour faire quelque chose qui puisse apporter de vrais changement au Brésil. À chaque jour, partout dans le monde, il y a des centaines de femmes qui se font tuer. Marielle était un symbole.

C’est un crime politique, cela nous donne un indice du degré de répression qui sévit dans mon pays. Le Brésil revient en arrière. Nous avons subi un Coup d’État parlementaire dont les conséquences sont loin d’être terminées. On se demande même si les élections vont avoir lieu l’automne prochain. Marielle avait 38 ans et elle était mère d’une fille de 19 ans. Elle a subi la violence qu’elle dénonçait et nous sommes vraiment très touchés. Marielle se considérait chanceuse parce qu’elle a pu reprendre ses études et aller à l’université après avoir eu son enfant. Elle était vraiment hors des statistiques. Normalement, une mère célibataire, noire, issue d’un quartier pauvre, n’entre pas à l’université pour en ressortir sociologue avec une maitrise en administration publique.

C’était une femme très impliquée qui n’eut été de cela, serait allé très loin dans la vie. Elle était coordonnatrice de la commission de défense des droits de la ville de Rio de Janeiro. Le 28 février dernier, elle avait dénoncer certaines exactions de la Police militaire et elle n’avait reçu aucune menace. Hier, elle rentrait d’une rencontre avec de jeunes femmes noires et une voiture s’est arrêtée juste à côté de la sienne et on a fait feu. Son conducteur est également décédé dans l’attaque. Ce n’était pas un vol, mais un assassinat politique. Elle a été abattue en raison de son engagement pour les plus démunis.

Comment les médias ont transmis la nouvelle ?
En ce moment, c’est un peu compliqué, parce que le Brésil vit un coup d’État et que la ville de Rio est sous contrôle militaire. Le gouvernement n’est pas vraiment intéressé à révéler la vérité. Son assassinat est une conséquence de ce coup d’État parce que les mauvaises personnes ne veulent pas que la population pauvre exerce ses droits démocratiques et sociaux. Par contre, grâce à internet, il y a une très grande mobilisation sur les réseaux sociaux. Alors les gens sont mobilisés un peu partout, mais les journaux et la télévision disent qu’on ne sait pas pourquoi elle a été tuée. Ils ne disent pas la vérité parce que ce n’est pas dans leur intérêt. Ils continuent à manipuler les gens. Les médias appartiennent aux grands groupes financiers. En fait c’est le gouvernement qui appartient aux intérêts financiers. Ce sont les plus riches et les plus puissants qui ont repris le contrôle du pays. Ils servent les intérêts des puissants et non le bien commun.
C’est une grande oligarchie, encore plus qu’au Canada, qui contrôle énormément de choses.

Absolument. Avec le Parti des travailleurs, Lula et Dilma, nous avions beaucoup avancé, nous avons eu beaucoup d’acquis sociaux. 33 millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté et ont commencé à avoir un peu plus de dignité. Alors les parlementaires qui appartiennent aux classes dirigeantes qui étaient habitués au pouvoir, n’étaient pas d’accord avec ces progrès sociaux pour la population. Ils ont planifié un coup d’État en s’alliant aux médias et aux secteurs économiques dominants. C’est très complexe, mais ils ont finalement tout fait en sorte d’obtenir la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Mais en fait, c’était un coup d’État politique parce qu’il n’y avait aucune vérité dans les accusations qui ont été portées contre elle. Tout a été inventé pour l’éjecter du pouvoir, pour le reprendre et continuer à vendre toutes les entreprises et les richesses du pays aux étrangers, pour continuer à tout donner aux entreprises américaines.

Malheureusement, nous sommes rendus là et de plus en plus les militaires sont présents dans nos rues. À Rio, les militaires contrôlent la ville depuis presque un mois et on soupçonne qu’ils ont l’intention de reprendre le pouvoir. Nous sommes vraiment très découragés. Tout le monde sait qui l’a assassinée. C’est la Police militaire parce qu’elle avait dénoncé leurs actions quelques jours avant son assassinat. Tout est lié ave le Coup d’État, la présence des militaires dans les rues et les exactions qu’elle dénonçait. Et il ne faut pas oublier que cette répression continue de s’abattre sur de nombreux leaders sociaux qui sont éliminés par des tueurs à gages. Souhaitons qu’il ne s’agisse pas d’une leader de plus qui tombe dans l’oublie.
Merci pour la présentation de cette femmes extraordinaire. « La solidarité tant qu’il le faudra pour les féministes du monde entier » et nous allons nous rappeler de cette femme forte pour continuer à nous en inspirer.

C’est ce que nous souhaitons. Que cela nous donne le goût de nous rassembler et d’être plus forts pour poursuivre la lutte qu’elle a menée jusqu’au bout.

Comme Leticia fait parti du Comité femmes immigrantes, nous essayons tout le temps de dénoncer les violences que les femmes vivent dans le monde entier. Aujourd’hui, nous allons commencer par un petit texte pour nous réchauffer un peu. Alors si vous êtes assis à côté d’une personne que vous connaissez, changez de place. C’est un petit exercice, deux par deux. Vous allez dire à l’autre personne de quelle ville ou de quel pays est-ce que vous venez et pourquoi vous êtes ici aujourd’hui ? Après cela, chacun va présenter son camarade. Vous avez une minute.

Lorena vient du nord de la Colombie. Le sujet l’intéresse à cause de son implication dans la lutte pour les droits des femmes. Elle travaille au Carrefour d’éducation à la solidarité internationale de Québec.

Emilie travaille au CAPMO. À cause du 8 mars qui est la Journée internationale de la femme, elle s’est intéressée à l’activité du Centre des femmes de la Basse-Ville et elle a décidé de les inviter.

Michael est Québécois, il est très impliqué dans le communautaire. Il est ici parce qu’il est sympathique à la cause féministe.

Leticia vient de Sao Paulo au Brésil. Elle milite au comité des femmes immigrantes du Centre des femmes de la Basse-Ville.

Denis est né à Shawinigan. Il est à Québec depuis 1971.

Jenny vient de Colombie. Elles est ici depuis trois ans et elle est mère de trois enfants.

Jean-Philippe vient de Thedford mines. Il est venu ici pour rencontrer de nouvelles personnes, pour ouvrir ses horizons.

Je vous présente Kassandra qui vient d’Alma. Elle s’identifie au courant féministe et les valeurs du CAPMO, spiritualité et droits sociaux lui correspondent.

Fernand est Québécois, on a manqué de temps.

Je vous présente Nelson qui est originaire de Colombie. Il a trois enfants et cela fait trois ans qu’il est au Québec. Il est ingénieur industriel.

Inès vient du Salvador. Elle habite au Québec depuis 28 ans. Elle a trois enfants.

Elle s’appelle Maria et elle vient de Colombie. Elle vit ici depuis trois ans.

Jonathan vient de Mont-Laurier. Il est membre du CAMO et il s’intéresse à la spiritualité et à un thème comme celui-ci. C’est un garçon brillant.

Robert vient de Chicoutimi. C’est un homme très cultivé et instruit. Robert vient à chaque mois au CAPMO.

 

Ronald vient de Montréal, il vit ici depuis de nombreuses années.

C’est Francine qui fait la cuisine. Sa famille vient d’Abitibi.

Je vous présente Geneviève qui vient de l’Ancienne-Lorette. Elle est travailleuse sociale des femmes de la Basse-Ville. Elle est ici pour présenter la vidéo.

Mayté est née en Argentine. Elle vit au Québec depuis 10 ans. Elle travaille au Centre des femmes de la Basse-Ville.

C’est très intéressant parce qu’il y a beaucoup de migrations à l’intérieur du Québec. C’est ce dont nous voulons parler aujourd’hui. Cela conclut le premier exercice. Le deuxième exercice est une question : Quel pourcentage de personnes immigrantes vivent dans la Ville de Québec ?

7%

3%

10%

21%

17%

La réponse est 5%.

Nous vous demandons de réfléchir à un préjugé dont vous avez été victime ou que vous subissez actuellement. Ce n’est pas pour partager. C’est pour faire un travail d’introspection sur les préjugés.

Moi, c’est parce que ma langue maternelle n’est pas le français, les gens me demandent toujours de quel pays je viens.

C’est un exemple.

Le Centre des femmes de la Basse-Ville est situé dans le quartier Saint-Sauveur, en face du parc Durocher sur la rue Saint-Vallier Ouest à Québec. C’est un centre exclusivement pour les femmes. Il est non-mixte. Nous faisons de l’écoute, de la référence, de l’accueil. Nous avons différents comités: le comité femmes immigrantes, le comité accueil, ce sont celles qui font de l’écoute téléphonique ou de l’accueil pour celles qui viennent au centre. Il y a aussi le comité vigilance média qui s’occupe de dénoncer les propos sexistes dans les médias et le comité action pour organiser des manifestations. Nous avons aussi le travail de milieu en HLM. C’est ce que Mayté et moi nous faisons. Dans la vidéo vous allez voir les endroits où nous travaillons, ce sont cinq HLM de la Basse-Ville. Les informations contenues dans la vidéo sont confidentielles parce que les femmes parlent de leur vécu.

Pourquoi est-ce que vous travaillez particulièrement dans les HLM ?

C’est une façon de rejoindre les femmes dans leur milieu pour briser leur isolement. Certaines ne vont jamais venir au Centre des femmes si on ne va pas faire des activités dans leur HLM. Nous travaillons en partenariat avec l’Office municipale d’habitation pour animer la vie communautaire dans les HLM.

 Certaines femmes également vivent en HLM en raison d’un handicap physique. Certaines ne sortent pas de l’hiver parce que c’est trop dangereux pour elles. Notre but est de briser l’isolement en allant chez elles.

Propos des intervenantes extraits du documentaire :

« Cela fait plus de quinze ans que le Centre des femmes est présent dans les HLM. Nous offrons des ateliers de connaissance de soi et aussi un peu d’information politique et d’éducation populaire. »

« C’est plus facile de débuter nos échanges par les difficultés que nous vivons parce que nous les femmes nous n’avons pas été habituées à penser à notre fierté et à nos capacités. »

« La fonction des préjugés, c’est de nous éloigner les uns des autres. »

« C’est une richesse pour la société québécoise de connaitre de nouveaux points de vue. »

« Moi, je me suis habituée à la différence, à fréquenter d’autres gens qui proviennent d’autres cultures que la mienne. Au fond, on est tous pareil en dedans. »

« La résilience des personnes réfugiées est tellement puissante, elles ont beaucoup à nous apprendre. »

« Pour les enfants, les différences n’existent pas vraiment. Tout ce qu’on veut c’est s’amuser ensemble. »

« Avec mon Église, nous allons chanter dans les résidences de personnes âgées. Je pense que c’est une façon de briser la glace. »

« Nous, le Centre des femmes travaille tout le temps pour l’intégration des femmes immigrantes et québécoises. Nous croyons à l’égalité et qu’apprendre à se connaitre permet de faire tomber les préjugés. »

 

Discussion après la projection du documentaire Porter notre dignité

 C’est la troisième fois que je le regarde et cela me touche toujours.

Moi, c’est la deuxième fois, et c’est toujours quelque chose de nouveau.

Moi, c’est la première fois, j’ai beaucoup aimé ça.

On ne veut pas le diffuser sur youtube pour préserver la confidentialité des témoignages.

Moi, c’est celle qui a dit qu’elle était fatiguée qu’on lui demande tout le temps : « D’où tu viens ? Vas-tu rentrer chez-toi ? » C’est que parfois nous sommes fatiguées d’entendre ces mêmes questions. Ils pensent que c’est facile de répondre, mais ce n’est pas le cas. Il y a une panoplie de raisons et aucune raison en même temps.

Pour les gens qui n’ont pas eu le choix d’immigrer, les réfugiés, c’est encore pire. C’est une question à laquelle il n’y a pas de réponse. Les réfugiés sont partis malgré eux, ce n’était pas un choix. Ils sont partis parce qu’il y avait une guerre et ils ont vécu dans des camps de réfugiés.

 

Peut-être qu’ils posent cette question par curiosité ? Je ne crois pas qu’il y ait une mauvaise intention derrière, mais c’est quand même compliqué de répondre toujours à cela.

Vers la fin du vidéo, on a vu beaucoup d’enfants, c’étaient des enfants de parents immigrés. Moi j’ai senti qu’ils étaient tout à fait intégrer. Ils souriaient, ils faisaient attention, ils observaient, je reconnaissais toutes les mimiques qui sont naturelles aux enfants. Ils n’ont pas été contaminés par ce qui se passe quand les parents arrivent ici au Québec et qu’on leur pose un paquet de problèmes en tout genre. Ils ont surpassé ça parce qu’ils sont nés ici. C’est une question de ventilation. C’est sûr que l’intégration de par et d’autres ne se fait pas automatiquement.

C’est ressorti dans le film que les enfants ne voient pas de différences entre eux. Moi, j’ai beaucoup aimé entendre parler de l’inclusion et de l’intégration. Cela se fait des deux côtés et l’on peut très bien grandir l’un avec l’autre. J’ai été contente d’entendre le témoignage de plusieurs femmes. J’ai pris conscience des préjugés qu’elles vivaient. Certains passages m’ont choqué. Surtout il y a un élément que beaucoup de personnes immigrantes me rapportent, c’est la femme qui dit : « Vous me demandez d’avoir une première expérience de travail au Québec, mais vous ne me donnez pas la chance d’avoir cette première expérience. » C’est vraiment quelque chose de très fort d’avoir ce préjugé envers la personne sur ses compétences acquises à l’extérieur du Canada qui ne valent rien. C’est un fort préjugé qui devient un obstacle réel dans la vie des personnes.

Pour les Québécois aussi, cette exigence là est souvent posée. Il faudrait terminer sa formation avec dix années d’expérience.

Il y a vraiment beaucoup d’éléments dans la vidéo qui sont importants. C’est un bon outil pour l’éducation à la citoyenneté. Je trouve cela très important dans la ville de Québec. Il y a de plus en plus d’immigrants qui viennent s’établir à Québec, mais c’est aussi le centre de la fierté québécoise parce que c’est la capitale, c’est le cœur de son histoire et de sa culture. Cela cause une dichotomie qui nous met une pression. Nous ne voulons pas nuire à la culture québécoise, mais les Québécois se sentent menacés dans leur identité. Ils sont assez ouverts pour nous accepter, mais ils ont un peu peur. Je le vois de plus en plus, parce qu’on en parle tout le temps avec les autres immigrants. À cause de cela, plusieurs déménagent à Montréal. On voit une énorme différence entre Montréal et Québec. J’ai l’opportunité de faire des animations dans les écoles et je le constate. À l’école Rochebelle et François-Perreault, il y a beaucoup d’immigrants et les enfants sont très ouverts aux différents cultures. Ils ne questionnent pas la différence et ils ont un fort sentiment de défense des droits humains. Lorsque je suis allée plus en périphérie, comme à Val-Bélair, l’accueil était différent. C’est un milieu très homogène, blanc, québécois et lorsqu’on parle de justice sociale, de droits humains, ils se sentent un peu perdus. Ils comprennent moins et ils sont beaucoup moins intéressés.

Je pense que cette vidéo doit être partagée le plus possible parce que je crois de plus en plus qu’il faut préparer les citoyens québécois de la Ville de Québec à cette immigration pour que cela ne cause pas de problème. Je vais terminer par une chose qui est très importe, c’est le mot intégration. On dirait que la politique multiculturelle du gouvernement fédéral qui est d’intégrer les immigrants, c’est devenu un terme très délicat. S’intégrer, cela ne veut pas dire qu’on va devenir entièrement Québécois et qu’on va perdre ses racines. Il y en certains, comme les gens de la Meute qui pensent que s’intégrer c’est oublier qui l’on est. Je pense plutôt que c’est le vivre ensemble qui est la meilleure façon de faire car nous apprenons à nous adapter à ce qu’est le Québec sans y perdre nos racines parce que c’est trop dur pour un être humain de renoncer à ses origines.

J’ajouterais la question suivante : « Pour n’importe qui, qu’est-ce que cela signifie d’être intégré ? » Donc, même quand tu es né à un endroit, est-ce qu’on te demande d’être intégré ? Moi, on ne me demande pas ça. Toute société a ses normes, mon point étant que n’importe quel individu peut-être non conforme. Qu’est-ce que cela veut dire d’être adapté socialement par exemple ? C’est une grosse question que vous vous êtes sûrement posées comme intervenantes de milieu. Il y a toutes sortes de normes sociales qui existent. Par exemple : « Si tu ne travailles pas, tu n’es pas considéré comme quelqu’un d’intégrer. » C’est de même un peu pour tout le monde. Donc, effectivement, je trouve que c’est injuste de demander aux personnes de s’intégrer alors que comme Québécois, j’ai le droit d’être non conforme et d’emmerder ma propre culture.

Justement, je pense qu’il y a un lien avec tout ce qui a été dit, le film touche aussi un sentiment qui nous met tous dans le même panier, c’est que tout le monde subit des préjugés à un moment ou un autre dans la vie. C’est ce que nous essayons de montrer dans le film. On nous a demandé de faire cette réflexion si nous avons déjà été victime d’un préjugé. Pour une infinité de raisons, il y a toujours des préjugés et du jugement. Cela finit par nous mettre tous et toutes dans le même panier parce que nous sommes tous des humains. Immigrants ou non immigrants, une grande partie de la population est victime de préjugés.

Est-ce que votre préjugé a été nommé dans la vidéo ?

Moi, c’est quand la dame dit qu’elle était une Québécoise de souche. Est-ce que vous savez ce que c’est qu’une souche ? C’est un arbre coupé, c’est ce qui reste dans la terre. Moi, je ne suis pas un Québécois de souche, je ne veux pas être coupé comme ça.

Si je deviens citoyenne, je ne serais plus immigrante ?

On reste toujours des immigrants.

Moi, j’ai commencé à répondre aux gens qui me disent : « Tu as un accent. » « Oui, tu as un accent aussi. »

 Notre idée dans ce film et dans notre travail, c’est que même si nous sommes différents, nous avons beaucoup de choses en commun. Il faut se servir des choses que nous avons en commun pour bâtir quelque chose qui soit mieux pour surmonter tous les conflits. Sinon, si on commence à dire : « Les Québécois ils sont comme ceci ou comme cela, et de l’autre côté, les immigrants, ils sont comme ceci ou comme cela », nous allons développer des conflits. C’est ça le but des préjugés, de nous éloigner et de nous mettre les uns contre les autres. Cela ne finit plus, mais nous ce que nous voulons c’est construire quelque chose ensemble. C’est sûr que les médias vont toujours mettre l’emphase sur les différences parce que si nous commençons à nous diviser, c’est plus facile pour les puissants qui vont nous passer dessus. Hommes – femmes, les féministes et les antiféministes, les immigrants — les Québécois, c’est pour cela que nous avons choisi de parler dans le sens de l’intégration. On s’intègre dans la mesure où l’on apprend à se connaître. Nous avons besoin d’espaces de connaissance pour pouvoir s’intégrer en créant quelque chose ensemble. Pour répondre à ta question : « Pourquoi le vidéo n’est pas sur internet ? » C’est parce que nous avons fait une entente avec les femmes qui y ont participé que la vidéo soit toujours accompagnée d’un espace de réflexion commune. Comme il s’agit d’histoires personnelles, nous voulions éviter que quelqu’un soit harcelé à partir de son témoignage.

Par ailleurs, la vidéo a été présentée en Angleterre dans un festival de films interculturels et au festival des anthropologues américains à Philadelphie. Nous avons présenté la vidéo dans d’autres régions du Québec, Chicoutimi et Rimouski.

À Chicoutimi, il n’y a pas beaucoup d’organismes qui travaillent avec les immigrants. Ceux qui vivent là-bas sont très isolés.

Par rapport aux préjugés que vous avez vécus, est-ce que voudrais faire un commentaire ?

Ce qui m’est venu en tête comme préjugé, c’est que j’ai un horaire atypique de travail, il y a des gens qui ne sont pas à l’aise avec le fait que je n’ai pas un emploi stable de 9 h à 17 h. C’est bizarre, mais pour certaines personnes c’est quelque chose qui apparait marginale. On se demande pourquoi j’ai choisi ce style de vie où je ne gagne pas beaucoup d’argent. C’est ce qui est considéré comme la « norme ». Mais c’est quoi la norme ? Je me suis reconnue dans ces préjugés, même si les situations concrètes des femmes étaient un peu différentes de moi.

C’est facile de dire que les Québécois ont des préjugés, mais tout le monde porte des préjugés par rapport aux autres. C’est difficile de penser aux préjugés que nous subissons. Quand nous parvenons à prendre conscience de cela, que j’ai été blessée parce qu’elle disait telle chose, je vais faire plus attention quand je parle à la légère d’une autre personne ou quand je porte un jugement sans connaitre la personne. C’était notre intérêt de réfléchir aux préjugés. Tout le monde a des préjugés et tout le monde les subis. C’est sûr que certains en subissent beaucoup plus que d’autres. Cela s’appelle « l’intersectionnalité » des oppressions.

Dans la pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre, « Huit clos », il dit que l’enfer c’est les autres. Mais en lisant bien la pièce, on se rend compte que l’enfer, c’est le jugement que les autres portent sur nous-mêmes, c’est le fait d’être jugé continuellement et constamment.
C’est exactement cela que nous pensons.

Les préjugés peuvent être positifs ou négatifs dans le sens où l’on survalorise ou dévalorise quelqu’un.

Quand on tombe en amour, c’est la même chose. Au début, l’autre est parfait.

Je pense quand même que lorsqu’on parle de préjugés favorables, j’ai l’impression que les personnes immigrantes subissent plus de préjugés. Comme personne blanche où c’est la culture dominante, il se vit de l’oppression. Si on prend l’exemple des personnes autochtones, on voit qu’elles sont victimes de préjugés systémiques vraiment ancrés dans la société. S’il y a des préjugés envers tout le monde, c’est dans ça que l’on peut se connaitre et se reconnaitre. Par ailleurs, il existe différent niveaux de préjugés que les gens vivent au quotidien.

En pensant à l’étymologie du mot « préjugé », on tombe dans l’ignorance puisqu’on juge avant de connaître. L’autre concept aussi c’est le manque d’acceptation. On doit accepter les autres avec leurs défauts puisque personne n’est parfait. C’est à ça qu’on devrait penser en premier. La société nous enseigne à penser d’une certaine façon et à avoir des préjugés.

Je suis sûre que nous faisions aujourd’hui le dessin d’une personne parfaite, avec toutes les qualités, on ne rentrerait pas tous dans ce moule-là.
Je pense que c’est le niveau d’ouverture qui fait la différence.

Il faut aussi considérer que parfois les gens sont juste gênés. Si je suis étranger et que je croise quelqu’un de gêné sur la rue, je pourrais croire qu’il a un préjugé envers moi. Si le jugement des autres c’est l’enfer, cela veut dire que si nous sommes capables de nous prémunir de cela, il y a peut être moyen de résister et de ne pas s’en faire.

C’est la prochaine question : « Qu’est-ce qu’on fait devant les préjugés des autres ? » Est-ce qu’on répond tout le temps ? Est-ce qu’on clarifie tout le temps ? Est-ce que c’est nécessaire ? Dans quel cas est-ce nécessaire ?

 Tout dépend de la confiance qu’on a en soi. Ce n’est pas tout le monde qui a un bon estime de soi.

C’est un bon point. Le mieux à faire c’est d’être tolérant avec les autres. C’est vrai que parfois on subit les préjugés des autres, mais il se peut aussi que les préjugés viennent de moi. Je connais plein de gens qui, dans leur tête, pensent qu’ils n’ont pas de préjugés. Mon père avait une histoire drôle. C’est un monsieur assis dans un parc qui se fait crier des noms par une autre personne. Cela durait depuis des heures et il ne réagissait pas jusqu’à ce qu’un homme vienne lui demander : « Vous n’entendez pas que quelqu’un vous insulte depuis longtemps ? » Il lui répond : « C’est toi qu’il insulte, car je ne sens pas qu’il s’adresse à moi. » Si je ne pense pas cela de moi, peu importe ce que l’autre dit ou pense de moi. Cette histoire change complètement mon attitude.

C’est vrai. Les préjugés des autres, il faut les prendre pour soi pour qu’ils fassent effet. Si on ne les accueille pas en soi, ils ne nous font pas de mal. Ils appartiennent à la personne qui les prononce, pas à celui qui les reçoit.
Au Québec nous avons une grande industrie, celle du rire qui fait vivre des milliers de personnes. C’est mal employé dans certains cas, mais dans la plupart des cas, les humoristes sont des bonnes personnes. Ils invitent tout le monde à rie et leurs textes sont intelligents, ils sont travaillés. Je suis sûr que pour répondre à un préjugé, il faudrait se faire humoriste.

Ça aussi, c’est un bon point. C’est à chacun de développer sa propre capacité de répondre si cela est nécessaire. Parfois, si la personne ne s’intéresse pas, il peut continuer avec ses préjugés. S’il n’y a pas d’agressivité, on peut clarifier, on peut parler, etc. s’il y a une écoute de l’autre côté.

Dans mon vécu, je pense que ce qui m’a permis de me défaire de mes préjugés, c’est de constater que je me faisais de fausses idées sur les personnes qui venaient d’autres horizons que moi, d’autres cultures, d’autres milieux. Il s’agit simplement d’aller à la rencontre de ces gens là en accomplissant des actions aussi concrètes que de cuisiner, de jardiner ou de travailler ensemble. On le voyait par la fête dans la vidéo. Les activités communautaires c’est vraiment ça qui tisse du lien et permettent de construire une communauté. Juste ce contact-là, cela défait plein de préjugés. Autre chose, il y a une femme qui disait tout simplement : « Je me fais poser certaines questions et je ne sais pas quoi répondre à ça? » Des fois, peut-être qu’il y a des questions qui sont tellement stupides que cela ne vaut même pas la peine d’y répondre.

La vidéo a été tournée pendant le temps des fêtes 2016, nous ne faisons pas toujours le party.

Il y a un organisme qui est YWCA qui travaille avec les filles dans le HLM. Nous avions organisé une fête de Noël ensemble, les filles et les mamans. Tout le monde ensemble et c’est pour ça que vous voyez de filles qui dansent et qui chantent.

J’avais une question plus générale, d’où vous est venu l’idée de faire ce beau vidéo ?

Comme vous savez cela fait des année que le Centre des femmes de la Basse-Ville intervient dans les HLM. Une des choses que nous avons observée c’est qu’on ne connaissait pas ces femmes. Tout le temps on se demandait : Comment est-ce que nous pouvons faire pour rendre visible la réalité des femmes ? Nous profitons beaucoup de la sororité, de tout le bénéfice que cela donne d’être ensemble. Alors comment rendre cela visible ? Nous avons eu la chance de connaitre une fille brésilienne qui est réalisatrice et elle a commencé à venir à nos activités. Elle a demandé si elle pouvait faire un vidéo et nous avons accepté. En même temps, nous faisions une demande de subvention pour l’Interculturel, alors on s’est dit : c’est maintenant ou jamais.

La vidéo a été faite en trois rencontres.

Il faut aussi dire que dans l’équipe de tournage, la cameraman est Québécoise, la réalisatrice est Brésilienne, Clarissa, et il n’y a pas de jeux d’acteurs. Ce sont réellement des activités qui ont eu lieu. Après, c’est le génie de Clarissa qui a organisé les assemblées de manière artistique et qui a réalisé le montage. Le 31 mars, la vidéo va être présentée au Musée de la civilisation dans le cadre du festival des films ethnoculturels.

Merci au Centre des femmes de la Basse-Ville.

Propos transcrits par Yves Carrier

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