Quels traits culturels les Premières Nations nous ont-elles légués ?
Compte-rendu # 285, janvier 2018
– Ce qui est unique à notre histoire, c’est cette alliance de sang avec les Premières Nations. C’est un trait de notre histoire dont nous aurions raison d’être fiers.
– Il y a un point de rupture que se situe après la Conquête et cela relève du fait que cette longue guerre que les Britannique ont appelé The Frenchs and Indians war. Il s’agissait de casser l’empire français et de tasser les Indiens pour prendre leur terres. Les Canadiens, une fois conquis et défaits, s’ils veulent être reconnus et avoir des éléments de survivance, ils doivent se plier aux dictats des Britanniques d’autant plus qu’ils ont peur d’être déportés comme les Acadiens viennent de l’être. Dans les arguments qui ont servi à la déportation des acadiens, il y a celui, qu’aux dires des anglais, ils étaient ensauvagés. Effectivement, les Acadiens s’étaient beaucoup inter-mariés avec les Micmacs et les Abénakis.
Donc, pour les Canadiens, s’ils veulent être reconnus aux yeux du maitre, parce qu’ils se situent désormais face à la volonté d’un maitre et à son regard, ils doivent se faire reconnaitre en fonction de ses paramètres comme des êtres civilisés. S’ils se définissent comme des Indiens ou comme étant proches des Indiens, on va simplement les exproprier et les tasser. Les Canadiens vont dans l’avenir éviter de se définir eux-mêmes comme étant métissés. D’autant qu’il se développe au XIXème siècle toutes les théories racistes sur les peuples arriérés qu’il faut inscrire dans la civilisation. Donc, les Canadiens, comme colonisés devant l’œil du maitre colonial, doivent prendre leurs distances par rapport aux Premières Nations en se disant purs français. Dans ce discours, ils renoncent à une grande partie de leur mémoire, de leur histoire et de leur identité. Évidemment avec la politique de ségrégation constituée par les réserves, la proximité des Canadiens avec les Indiens est fatalement réduite. Je pense que cette peur de passer pour des sauvages fait partie de la honte de soi. Comme si cette proximité avec les Premières nations avait été une erreur alors qu’au contraire cela a été une source d’inspiration, de questionnement, d’enrichissement mutuel, d’emprunts mutuels. C’est une expérience qui nous a profondément marqués et dont il faut cesser d’avoir honte. Il y a une part sauvage et une part métisse en nous, au plan biologique, mais principalement au plan culturel. Ils nous ont légué une manière d’être au monde et d’envisager la vie qui perdurent dans plusieurs aspects de notre identité et de notre culture. (Denys Delâge, historien)
Je vous invite maintenant à prendre la parole dans le respect les uns des autres en empruntant le bâton de parole qui est à l’effigie du CAPMO, un escargot parce qu’il porte le nécessaire sur son dos, qu’il est baveux et qu’il ne recule jamais. Nous pourrions poser une question générale suite au visionnement de ce documentaire : Qu’est-ce que vous retenez ou qu’est-ce que vous ajouteriez aux propos que vous avez entendus ? Quels sont les traits culturels qui demeurent pérennes dans nos mœurs, nos us et coutumes ?
– Je pense que ce sont les enfants que nous voyons dans le film qui vont nous montrer à vivre. Juste regarder les enfants qui jouent ensemble sans faire de différence, c’est la jeunesse qui va sauver l’attitude que nous devrions avoir envers cette question ou cette façon de voir les choses qui sont incrustées dans notre tête et qu’il nous faut déconstruire. Je pense que la science biologique va arriver peut-être à trouver une façon de déconstruire nos constructions erronées que nous avons depuis des siècles. C’est par l’observation des interactions des enfants que nous allons y arriver. Dans leur attitude, leur façon de faire, de jouer, de manger et de dormir ensemble, je trouve que nous n’observons pas assez les enfants de cette façon-là. On les voit comme des poupées, non pas comme porteurs d’une intelligence émotionnelle qui peut nous apprendre beaucoup sur le vivre-ensemble.
– Moi, ce que j’ai remarqué, c’était que les Amérindiens nous ont laissé la chance. D’abord, quant ils prenaient une décision, ce n’était pas un qui décidait, mais c’était le groupe, tout le cercle qui décide. Ils prennent chacun la décision pour construire un consensus, alors que pour les blanc lorsque nous sommes arrivés, c’était l’autorité d’une personne qui décidait pour tous sans qu’il n’y ait d’échanges. Les Indiens nous ont montré comment faire cet échange entre nous. C’est pour cela que l’on se retrouve finalement dans une position où est-ce que nous avons quelque chose à retenir d’eux pour cela.
– Moi aussi, comme Ronald, c’est la scène dans la garderie qui m’a touché parce que je trouve que cela représente le présent, là où l’on est, là où l’on doit apprendre à vivre comme les enfants entre eux. Le film met en évidence un filon de tout ce qu’il y a de positif dans l’héritage amérindien. On pourrait dire que ce n’est pas objectif, il y a bien des choses négatives, mais le négatif a déjà été assez mis en évidence. J’ai déjà gâché le party de graduation d’une nièce par alliance à l’époque des événements d’Oka. Un entrepreneur voulait construire un terrain de golfe sur un site sacré des Mohawks. À cette occasion, les préjugés des Québécois sortaient. Ce ne sont pas tous des anges qui ont pris l’héritage amérindiens. « Ils paient pas de taxes. » « Ils sont si pis ça. » « Ils prennent un coup et ils ne travaillent pas. » Ils en mettaient et ça n’arrêtait pas jusqu’à un moment donné où j’ai rétabli quelques faits et j’en ai sortis un paquet. Ça a gâché un peu la fête. Quand je regarde ce film, cela fait du bien de mettre en évidence tout ce qu’il y a de positif dans cet héritage-là. Je pourrais aussi vous parler d’Aliana, la petite Innue qui habite au-dessus de chez-nous, qui est arrivé il y a trois ans de la Côte-Nord. Elle rentre chez-nous en frappant doucement à la porte, la petite rentre chez les gens, elle se promène à la manière autochtone. Collectivement nous sommes rendus à cette étape de vivre cela même si le film peut sembler un peu trop rose, c’est important et cela fait du bien.
– Je trouve intéressant d’avoir une version de l’histoire précise. C’est toujours le même phénomène qui recommence: tradition orale versus tradition écrite. Pour revenir au film, j’ai trouvé intéressant de voir qu’ils faisaient vraiment le lien entre la présence humaine et les conflits. Ce que j’ai surtout apprécié, c’est à la fin, il y a une blague où l’on se rend compte qu’on s’obstine pour des mots et que ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent. Du début à la fin, on effectue un voyage sur une question : Qui sommes-nous ? Et on se rend compte que nous sommes d’abord et avant tout des êtres humains.
– Moi, c’est la question de la justice et de la médiation qui m’a rejoint. Il n’y a pas de juge, c’est la conciliation, la recherche du consensus et de la bonne entente qui prévaut sur la polarisation des oppositions entre deux parties. Je suis présentement en médiation pour mon divorce. Moi je suis Abénakis et je suis content de voir que la médiation provient des Amérindiens.
– J’ai été frappé à un moment donné d’apprendre qu’aux Nations Unies lorsqu’il y a des conflits qui sont très difficiles à résoudre, ils ont recours aux gens de deux peuples sur la planète, soit des Brésiliens, soit des Québécois. Nous sommes reconnus mondialement comme des gens qui ont le sens de la diplomatie. Je ne sais pas s’il s’agit de blancs ou d’Amérindiens, mais c’est comme si nous avions une espèce de culture de la paix qui était à un niveau réflexe. C’est un peu comme si des gens croyaient par avance qu’il y avait moyen d’y arriver par un travail de conciliation.
– En regardant le film, c’est la seconde fois que je le vois, ce qui me vient dans le cœur c’est l’illustration de la sagesse amérindienne. Il y a un livre qui s’appelle comme ça : la sagesse amérindienne. Moi j’ai vécu 21 ans sur une réserve dans le nord de l’Alberta, alors tout ce qui touche à la vie amérindienne ou autochtone, pour moi est très important. Quand je suis arrivé sur la réserve j’avais 22 ans et lorsque j’en suis repartie, j’en avais 43. J’ai vraiment pu goûter à la sagesse amérindienne, leur manière de vivre, etc. J’ai été adoptée aussi. Dans le film, ils ont parlé d’adoption. J’ai une grand-mère, elle est décédée maintenant. J’ai été adoptée par Julia Wanotch, qui m’appelait ma Nosissim, ma petite-fille. J’ai toujours sa photo avec moi. J’ai participé à tous les rituels, leurs cérémonies spéciales, la bienvenue d’un enfant qui arrive au monde, la Wekokewin, la cérémonie pour les morts au début du mois de novembre, la tente de sudation, c’est toute la sagesse de cela et c’est vrai comme c’est illustrer dans le documentaire que tout le monde fait partie des décisions. J’ai vraiment vu cela. Comment tout le monde est concerné par les décisions, je pourrais vous en parler pendant longtemps. Il y a aussi le silence amérindien. Cela dit beaucoup. Mon nom en Cri c’est Pihpihtchiw qui signifie le rouge-gorge parce que je chantais. Chez les Cris, on donne un nom à chaque enfant qui naît d’après ce qu’il est.
– Moi, ce qui m’a frappé dans le film, c’est au début lorsqu’on dit qu’il n’y avait pas de hiérarchie. Le fait de savoir que même si le chef est le chef, il est égal à n’importe quel autre. Tout le monde est égale peu importe où tu es dans la vie, dans la tribu, dans l’ensemble. Le fait que si quelqu’un a besoin, le chef va aller le voir et il se vit beaucoup d’entraide. C’est ce qui me fascine de voir. C’est la grand-mère, la cocoon, qui élève les enfants, qui voit à ce que les enfants ne manquent de rien. Ça m’interpelle beaucoup ces choses-là. À un moment donné, lorsqu’il était sur le pont avec madame Bacon, elle a dit : « Une pensée ne meurt pas si elle demeure dans le cœur des hommes. » C’est venu me chercher à quelque part. J’ai beaucoup apprécié le film en tant que tel aussi. Il faudrait que je le réécoute une autre fois pour tout retenir. Cela m’a fait penser au plan d’action du gouvernement du Québec. Cela me choque parce qu’on fait encore des catégories qui nous divisent et nous excluent. Pourquoi on ne répartit pas équitablement les ressources selon les besoins de chacunE? Dans mon cœur, j’aimerais aider ceux et celles qui en ont moins. Il y a toujours de l’injustice, pourquoi est-ce qu’il y a une hiérarchie sociale entre nous aujourd’hui?
– Je pense que Claudette a dit le bon mot : « Il nous ont adoptés. » J’ai parcouru les Amériques en long et en large, le Canada sur le pouce d’est en ouest à trois reprises, j’ai fait du pouce jusqu’au Brésil, nous avons été des voyageurs pendant trois ou quatre ans. Ce qui ma frappé, ce sont les Indiens à travers les Amériques qui partagent une même vision de la vie. On peut parler d’une civilisation puisqu’ils portent les mêmes valeurs que l’on soit au Guatemala, au Mexique, au Pérou ou au Chili, partout où il y a des communautés autochtones, ils ont les mêmes traits culturels qui nous placent devant une civilisation profonde. Ce n’est pas rien qu’ils nous aient adoptés, qu’ils nous aient acceptés. Ici, au Canada, ils n’avaient qu’à nous laisser mourir de faim et de froid parce que c’est impossible de survivre en ce pays si personne ne te tend la main quand tu arrives. Nous n’avions pas le choix de nous allier à eux si nous voulions survivre. La racine qu’ils nous ont léguée est vieille de 12 000 ans. Sans usurper leur identité, il y a quelque chose qui fait partie de nous. Je le sentais bien au Mexique, au Guatemala, que nous n’étions pas des étrangers sur ces terres. Au-delà que nous sommes tous des êtres humains, le fait d’être Québécois nous permet d’entrer facilement en rapport avec ces gens comme si nous partagions une racine commune. Il semble y avoir une proximité avec ces cultures, comme si c’était la porte d’à côté. Au niveau culturel, je me suis toujours senti chez-moi. Je crois aussi que nous appartenons au territoire qui par sa géographie et son climat forgent notre identité. Je pense que sans avoir de racines amérindiennes, nos hivers, notre proximité avec la nature pour ceux et celles qui la cherchent, on s’autochtonise, on s’inculture dans le pays du Québec. En ville on le sent moins, mais ceux et celles qui habitent près de la nature, c’est un peu comme si le pays nous prenait, il fait partie de ce que nous sommes et il nous habite en quelque sorte. On pourrait même dire qu’il y a une espèce de spiritualité qui émane de la terre, de la forêt, des lacs et des rivières, si on y entre dans le silence, en contemplant ses beautés.
– Je vais faire du pouce sur ce que tu viens de dire. Le simple fait que nos ancêtres quittent l’Europe avant la Révolution française alors qu’il y avait encore une aristocratie relativement forte, le fait de s’exiler au Québec, c’était déjà faire preuve de rébellion. Les premiers colons étaient maitres chez eux, en venant s’établir ici, ils jouissaient d’un statu inatteignable pour eux en Europe. Ils avaient aussi accès à une grande liberté. Il me semble qu’en fuyant la vieille Europe pour venir créer un nouveau monde, j’ai l’impression que le lien avec les communautés autochtones se faisait de manière assez naturelle. Moi ce qui m’a beaucoup touché, c’est que ce film me rappelle le Québec et la culture québécoise que j’aime. Ce qui me fait souffrir un peu, c’est que je ne le ressens plus autant que cela lorsque j’écoute les nouvelles. J’étais fier du Québec qui disait : « Vivre et laissez-vivre ! » Fier des valeurs que nous voyons dans ce documentaire, du Québec que moi je connais et que je trouve un peu plus tough à voir de ces temps-ci. Mais le film me donne espoir parce que je me dis que peut-être qu’en réalité tout cela est encore là alors que le spectacle médiatique nous donne l’impression qu’il est moins là, je ne sais pas ? Il y a sans doute un travail à faire pour ne pas trop déraper et perdre certains de ces traits. C’est tout de même frappant, tout ce qu’ils disent par rapport à la médiation devant les tribunaux, chose qui serait très rare ailleurs dans les pays occidentaux. Cela m’a fait du bien de voir qu’est-ce que le Québec est pour moi.
– Moi, cela fait cinq ou six fois que je le vois et je découvre à chaque fois des choses. Je retiens les cure-dents de Girard-ville. Avez-vous vu la grosseur du bois qu’ils récoltent ? Je pense qu’il faut faire un petit effort pour aller rencontrer ces gens-là. Ici, nous avons la chance, Wendake c’est à côté. Personnellement, depuis plusieurs années, j’avais le sentiment qu’il y avait un rapprochement, une meilleure tolérance, une ouverture envers les Premières nations, puis j’ai vérifié auprès d’autochtones qui m’ont confirmé qu’ils partageaient mon sentiment. Tout cela pour dire qu’il y a un espoir qui se dégage, il y a une meilleure entente. C’est la reconnaissance de ce qui existe déjà. Il n’invente pas des choses dans ce documentaire. L’historien qu’on y entend, Denys Delâge, s’il est décrié dans le monde des historiens de métier, c’est qu’il interprète l’histoire. Aux yeux des chercheurs universitaires, un historien ne doit pas interpréter, il doit s’en tenir aux textes écrits, ce n’est ni un ethnologue, ni un anthropologue. Pourtant, aujourd’hui, ceux qui font autorité ce sont les ethno-historiens, les anthropo-historiens, qui vont voir ailleurs et qui croient aux traditions orales, qui sortent de l’idéologie du document qui doit être imprimé, etc. Il y en a qui font le tour des pow-wow, tôt au printemps jusqu’à tard dans l’automne, cela permet de faire le tour des communautés au Québec. Le pow-wow de Wendake est toujours entre la fête du Québec et celle du Canada. Le dimanche où il y a des compétitions de danse, c’est vraiment spectaculaire. J’ai été impressionné par le fait qu’un danseur a perdu une plume et la musique s’est arrêtée. Dans le silence, ils ont été voir si c’était important, après s’être assuré que non, le spectacle a repris. En plus, ils dansaient sous la pluie. C’est vraiment une autre façon de voir. Quand on dit tout bonnement, ce n’est pas cérémonial. Oui, il y a des cérémonies, mais la rencontre interpersonnelle se fait toujours sur des bases chaleureuses et informelles. Je voulais aussi parler de la généalogie, d’où l’on vient. Ce n’est pas pour rien qu’on s’intéresse à la généalogie, c’est parce qu’on s’intéresse de savoir d’où l’on vient. Mais ne demandez pas à un autochtone d’étudier la généalogie. Pour eux, c’est comme un non-sens, c’est une langue qu’ils ne comprennent pas. Traditionnellement, chez tous les autochtones, c’était la mixité qui était valorisée. Lorsqu’on faisait des guerres, on kidnappait les femmes, les prisonniers on les intégrait culturellement. Ce n’est pas important pour un autochtone la généalogie, pour eux la vie c’est à quoi tu penses, à quoi tu communies.
– Je voudrais faire du pouce sur les deux dernières interventions. Moi, j’ai vécu une grande émotion ce soir en regardant ça. Une émotion d’espérance je dirais, justement parce que cela montrait un Québec que j’ai aimé et que je n’aime plus aujourd’hui, enfin tel qu’on nous le reflète à travers les médias. L’imaginaire dans lequel on se voit aujourd’hui n’est pas celui à travers lequel on se percevait dans les années 1970′. Je trouve que notre imaginaire actuel est désastreux. Lorsque je dis une émotion d’espérance, j’ai eu de la difficulté à la saisir, mais je la comprend comme ceci: Si la prise de conscience que plusieurs d’entre-nous ont eue ce soir était généralisée à l’ensemble de la population du Québec, cela nous aiderait à nous débarrasser des antagonismes conservateurs et libéraux. Il y a une espèce d’idéologie conservatrice radicalisée qui apparaît un peu partout, du populisme qui entre en confrontation avec des gens plus libéraux. Si on prenait conscience d’une façon plus globale que nous avons des racines plus longues que nous ne le croyons, peut-être que cela nous aiderait à mieux gérer politiquement les rapports avec les migrants. Cela nous redonnerait un peu de sécurité identitaire, sans que cela devienne une idéologie conservatrice radicalisée. Je ne m’exprime peut-être pas très bien, mais dans mon émotion d’espérance, c’est cette identité d’un Québec que j’ai déjà aimée et que j’aimerais bien revoir et qui pourrait ouvrir à nouveau une scène imaginaire et aussi politique où les antagonismes actuels pourraient être libérés je dirais.
– C’est un peu cela l’idée du projet que nous poursuivons qui consiste à retrouver une mémoire historique à laquelle nous puissions nous rallier par ses valeurs communes. C’est un peu cela la Bible pour le peuple juif, la réinterprétation permanente de leur histoire pour répondre aux nouveaux défis que la réalité leur oppose. Quand plus rien ne semblait fonctionné, ils se tournaient vers leur passé pour y chercher les éventuelles erreurs qu’ils avaient commises et qui les avaient éloignés de leur destinée commune. De même, ils étaient conscients d’être le résultat d’un métissage issu de plusieurs tribus qui s’étaient unis sur la base de valeurs communes. Bien sûr, leur récit national parle des enfants d’Abraham et de Sarah, peut-être pour se confirmer qu’ils étaient tous frères et sœurs. Ils ont construit un récit qui les rassurait dans leur identité commune. Il faut se dire que l’identité est une construction qui n’est jamais achevée. Nous sommes peut-être rendus là au Québec, à écrire un nouveau chapitre de notre histoire où il nous faut récapituler les différentes synthèses identitaires que nous avons élaborer au cours des siècles pour nous donner une certaine consistance. C’est drôle parce qu’en espagnol, capitulo cela veut dire chapitre, alors récapituler ce serait relire chaque chapitre pour les réinterpréter afin qu’ils nous donne un espoir qui puisse nous motiver à continuer d’avancer ensemble. Peut-être aussi faut-il nous enraciner plus profondément pour donner à cette histoire une portée plus longue qui intègre les nouveaux arrivants dans ce projet de société que nous devons construire ensemble?
– Je vais essayer d’intégrer les trois ou quatre dernières interventions à propos de l’identité et de la politique pour se libérer des antagonismes, trouver de nouvelles stratégies et en même temps revenir en arrière pour voir ce qui a été fait au Québec. Selon moi, il faut cesser de se diviser sur des questions secondaires d’appartenance à tel ou tel groupe. Moi je n’étais pas né, mais quand nous avons décidé de nationaliser l’électricité, nous nous sommes données une vision commune porteuse d’avenir. Nous nous sommes appropriés notre territoire et tout le monde ensemble, nous l’avons fait. L’avenir énergétique par exemple, c’est le type de questions que nous pourrions travailler tout le monde ensemble. Pourrait-on se donner les moyens de s’approprier ce qui nous appartient déjà? C’est vers cela qu’il faut se diriger pour avoir un Québec qu’on va aimer.
– C’est une question que j’aimerais poser à tout le monde s’il vous vient des visions là-dessus. Depuis un certain nombre d’années que je travaille avec d’autres à rapprocher les gens des différentes cultures à Québec. Ce qui me frappe, c’est que souvent des gens, des nouveaux arrivants ou ceux issus de l’immigration, c’est qu’il est difficile pour eux de nous côtoyer individuellement. Je me suis pris souvent, peut-être aider par des films comme celui-ci, à prendre conscience que ce n’est pas tant le problème que nous soyons individualistes, que nous avons une culture de l’indépendance. On se le dit nous-mêmes lorsque les choses ne fonctionnent pas à notre goût que nous avons envie de prendre le bois, quand on se sent pollué, lorsqu’on ne s’entend plus, qu’on ne sait plus de quel côté se tourner, y a-t-il quelque chose de cela qui peut aller chercher ce que nous avons de plus beau dans ce sentiment d’indépendance qui nous habite ? Ce n’est pas pour rien que l’on tourne autour sans arrêt, y compris politiquement. Quelque chose que nous pourrions trouver dans ce qu’il y a de meilleur pour l’offrir aux gens qui se joignent à nous. Y a-t-il un cadeau caché là-dedans qu’il faut regarder de près ? Est-ce que c’est de les amener dans le bois avec nous ? En tout cas, je sens qu’il y a quelque chose de beau et de libre que le film nous renvoie, mais en ce moment nous le vivons un peu comme une tare. Peut-être que c’est tous ensemble que la réponse va venir?
– Je ne pense pas que nous le vivions comme une tare. Je pense que nous vivons une honte en raison de ce qui nous est renvoyé par le regard anglo-canadien. À travers les médias, nous parvient un regard qui nous dit que nous ne sommes pas corrects et nous sommes inconfortables par rapport à cela. Mais le discours que tient ce film nous rattache à des racines longues et à un autre qui nous est rendu sympathique par alliance. Je trouve que c’est de nature à nous libérer de cette honte qui vient du regard de l’autre sur nous. Nous assumons cette honte de qui nous ne sommes pas encore, en nous refermant devant l’autre qui arrive et que nous percevons souvent comme une menace à notre existence collective. Quand nous y touchons à travers un imaginaire qui nous est renvoyé comme cela, cela provoque en moi une émotion positive. J’ai aimé me voir de même, m’imaginer de même. Je pense effectivement que nous avons beaucoup à offrir aux personnes qui s’amènent ici, cette espèce de délinquance libre, de cet en-sauvagement libre et libérateur que nous devons aussi nous redonner à nous-mêmes.
– Cette liberté, cette indépendance, elle vient peut-être du fait qu’une grande majorité des Québécois ont vécu l’indépendance que les Amérindiens vivaient et ils l’ont transférée au politique en réclamant un pays indépendant. Il y a ce frôlement là qui a produit que l’ensemble des QuébécoisES en poursuivant l’indépendance nationale se sont éloignés de la liberté primordiale du contact avec la nature. Nous n’avons pas enseigné cela dans les écoles. Nous avons été en grande partie libres. Ceci dit, aujourd’hui, Radio-Canada a annoncé que 80% des immigrés travaillent. Si on les laisse faire, si on les laisse vivre, si on les laisse évoluer, nous allons les intégrer à nous pareil comme les Amérindiens ont fait avec nous. Si ceux-ci nous ont sauvé la vie, soyons nous aussi des sauveurs de vies. Mais l’idéologie populiste est barrée dans sa pensée. Il se construit selon un mécanisme de rejet et de refus de l’autre. Il s’amalgame à d’autres et finit par produire une force très négative. Je compte sur la science québécoise qui est unique au monde, pour trouver les mécanismes en psychologie, en sociologie, en psychiatrie, pour résoudre cela.
– Les artistes aussi.
– Oui, évidemment la culture.
– Mes deux colocataires français se plaignaient récemment que par rapport à leur culture européenne, ils trouvaient difficile de se faire des amis au Québec. Ils trouvent que les gens vivent beaucoup en petits groupes fermés et qu’il est presque impossible de réussir à entrer dans les petits groupes d’amis. Leur stratégie consiste à inviter les gens à souper à la maison. Ils trouvaient qu’au Québec les gens ne le faisaient pas souvent. C’est sûr que cela varie d’une famille à l’autre ou d’une région à l’autre. Cela me semblait relativement vrai puisqu’avec mes amis on se voit à peine une fois par mois et on fait rarement des soupers communs. Je pense qu’on s’est un peu perdu à quelque part dans notre mode de vie moderne. Dans la société capitaliste actuelle, nous avons oublié un peu comment faire. (Une perte d’habiletés sociales) Donc, nous pourrions nous poser la question de notre disponibilité à inviter des personnes immigrantes à entrer dans nos vies en les invitant à la maison. Nous devrions aller au devant des gens qui viennent habiter ici pour les connaitre et leur parler.
– Je me rends compte qu’on parle de culture, de différentes cultures, de différentes nationalités, de différentes ethnies, cela me frappe parce que je me dis que chaque nationalité, chaque ethnie, a sa façon de vivre, sa culture, sa religion. Moi, j’aime ça aller vers les gens et connaître de nouvelles cultures, avec un autochtone, avec un musulman, pour apprendre, comprendre et connaitre les coutumes et les rituels des autres cultures. L’arrivée du bébé auquel on donne un nom, cela m’a fait penser à ma nièce qui est mariée avec un Péruvien et ils viennent d’avoir un enfant il a quelques semaines à peine. Quand j’ai vu cette enfant, j’ai été impressionnée parce qu’elle a à la fois du Québécois et du Péruvien. Je me suis dit : Oh wow ! Ça arrive dans ma famille! Ça fait drôle parce qu’à quelque part il y a un Péruvien dans la famille, il faut apprendre un peu la culture péruvienne. Ça me fascine et j’aime ça parler avec parce que je me dis que cela va être une nouvelle culture à découvrir et une nouvelle personne à accueillir dans la famille. Maintenant, il fait partie de la famille ainsi que sa fille. Cela m’interpelait ce que disait tout à l’heure : Comment peut-on faire, quand tu sais que dans ton entourage, dans ton immeuble par exemple, il arrive une nouvelle personne et c’est un immigrant, une personne qui ne connait pas les organismes communautaires, qui ne sait pas ce qui se passe dans l’immeuble, qu’il y a des choses qui existent aux alentours, lui souhaiter la bienvenue. Moi j’aimerais ça qu’on fasse cela partout. Lorsqu’un étranger arrive on l’accompagne pour lui montrer les services qui existent et auxquels il a droit. Il me semble que cela serait simple. Par la même occasion, cela permettrait aux nouveaux arrivés de découvrir la culture québécoise parce que nous pourrions échanger.
– Dans mon enfance, mes plus beaux souvenirs, c’étaient en vacances avec ma famille dans un chalet au bord d’un lac dans la vallée de la Gatineau. C’était le paradis terrestre. C’était le Québec d’antan, le Québec historique. Quoi faire pour l’avenir? La question c’est quoi être Amérindien, c’est quoi être Québécois ? Maintenant, quelle est la différence? C’est la modernité. L’image qui me vient, est celle de l’astronomie qui est une connaissance approfondie des astres et de notre place dans l’univers. C’est assez récent pour la science, la découverte de l’existence des galaxies au-delà de la Voie lactée, c’était en 1925. Donc, c’est assez récent. Puis nous sommes allés marcher sur la Lune et nous avons tourné les caméras vers la Terre que nous avons découverte sans frontière ni guerre. Mais le Québec du temps de mon enfance, il me semble que ce n’est pas arrimé avec cette nouvelle réalité. Le film est bien beau, cela me rappelle des souvenirs qui me touchent. Comme dit mon ami Michel Richard : « Les Québécois ont le talent de pouvoir s’asseoir entre deux chaises. » Si nous prenons l’exemple de l’Assemblée nationale à Québec, elle a été nommée ainsi à cause de l’Assemblée nationale française. C’est vrai que nous avons côtoyé les Amérindiens pendant plusieurs siècles, mais ce n’est pas grand-chose dans l’histoire de l’humanité, c’est quelques générations à peine. Cela ne suffit pas pour effacer les différences et fusionner les Québécois avec les Amérindiens. Donc, le fait de s’asseoir entre deux chaises comme ça, cela amène une certaine instabilité dans la pensée qui est peut-être une richesse dans le sens que cela favorise l’innovation. Parce que si tout le monde s’entend, vous êtes dans le monde de Donald Trump, vous n’avez pas de discussions possibles, mais le fait de constamment remonter dans le temps pour essayer de retrouver un passé sans reconnaître le contexte de la modernité qui frappe, cela me semble futile. Toutes les questions proviennent de la science, qu’il s’agisse de l’informatique ou d’autres domaines de connaissance. C’est grâce à la science que nous pouvons analyser les problèmes que nous avons. Comment arrimer cette modernité avec ce qu’on aime du Québec historique, voilà la question ?
– Moi, ce qui m’a intéressé dans les faits, ce n’est pas tellement un rétropédalage dans le temps, c’est plutôt la prolongation d’une racine passée. Effectivement, c’est une énorme question que d’arriver à arrimer cette identité avec les conditions ultramodernes dans lesquelles nous vivons aujourd’hui qui ne sont pas des conditions d’astrophysique, mais des conditions de capacité à discerner ce qui se passe en société, pour soi-même, etc. Mais si on perd la conscience d’avoir des racines, si on reste pris dans l’immédiateté de ce qu’on perçoit de soi-même, cela nous met à grands risques d’être complètement fous par rapport à ce qui nous interpelle. Nous ne sommes pas capables d’entrer dans un avenir qui soit un tant soit peu cohérent, un peu fort, un peu déterminer, un peu rationnel, si on n’a pas une vision un peu plus large que seulement aujourd’hui et qui change continuellement au gré de l’actualité ou de ce qui est à la mode. Nous ne sommes plus dans une société de la forêt, plus du tout, même si nos racines plongent jusque là. Nous vivons dans une société où tout est culturel, où tout est façonné dans du langage, dans les discours des uns et des autres, dans des débats idéologiques. Alors, si nous n’avons pas conscience d’une forme d’identité autre qui est plus longue qu’aujourd’hui seulement, nous sommes mal équipés pour faire son jugement et pour se guider. Donc, ce film m’intéresse dans la mesure où l’on prend conscience d’une racine qui se prolonge aujourd’hui dans une identité et une sensibilité, dans les conditions d’une certaine pratique et d’une pensée.
– J’ajouterais à ce que tu viens de dire que cette racine est universelle parce que les Premières nations sont connectés spirituellement avec la Terre-Mère et chacunE de nous est conviés à rétablir ce contact.
– Moi, je vais vous parler très concrètement de l’évolution de ma perception des autochtones qui a accompagné leur propre cheminement que je trouve assez spectaculaire depuis les années 1950′. Quand j’étais enfant, j’habitais à Saint-Jean sur le Richelieu. Quand nous allions chez ma tante à Valleyfield, nous passion près de la réserve de Kahnawake. Mes parents ne m’ont jamais transmis une perception négative des Indiens, mais plutôt folklorique. Les Mohawks c’étaient ceux qui travaillaient dans les structures hautes sans avoir le vertige. Diomède Béland, le cousin de mon père était oblat et il travaillait au pensionnat avec les Montagnais du Lac-Saint-Jean, à Pointe-Bleue, à Mashteuiatsh. C’était un monde complètement en-dehors du nôtre avec lequel nous n’avions pour ainsi dire aucun contact, sans en avoir une perception négative. Quelques années plus tard, je suis engagé au Comité de citoyens et il y a un journaliste qui nous couvre, Bernard Clery. Jamais, il n’a mentionné qu’il était autochtone, il l’a révélé des années plus tard et il est devenu un médiateur. Autre épisode, parmi mes étudiants en organisation communautaire à l’Université Laval, j’ai rencontré trois étudiantes qui pendant leur formation en travail social ont réaffirmé leur identité autochtone. Et dans certains cas, elles ont réintégré leur statut parce que vous savez à cause de la loi des Indiens, une femme autochtone qui mariait un blanc perdait son statut. Elles ont demandé à faire leurs stages en milieu autochtone pour retrouver leurs racines. La force actuelle des Premières Nations, c’est ce passage d’un état de marginalisation, d’infériorisation, souvent de honte par rapport à leur identité. En particulier pour les autochtones qui vivaient en dehors des réserves. Puis, à travers toutes sortes de problèmes qui sont constamment nommés, la résurgence de l’affirmation de leur identité à l’intérieur d’un dialogue. D’ailleurs, cela ne pouvait pas se faire autrement. Le territoire qui leur reste, ce sont les réserves et ils doivent se battre pour les agrandir.
Ils ont acquis les habiletés de la société blanche parce que ceux et celles qui ont fait des études universitaires, en devenant professionnels perdaient leur statut d’Indien. Aujourd’hui, ils l’ont réintégré, ils sont devenus des avocats, ils défendent la cause de leur nation. Ce que les QuébécoisES avons vécu des années 1960′ aux années 1980′, ils sont en train de le vivre. Cela devrait aussi nous inspirer et nous ne pouvons plus penser notre cheminement comme nation québécoise, comme je le pensais pendant mon adolescence où les Canadien français se battaient contre les Anglais. Maintenant, le Québec est devenu une nation civique, ouverte, et nous ne pouvons pas penser à un pays sans penser aux Premières Nations, ni penser à faire un pays sans penser aux nouveaux arrivants, à ceux et celles qui arrivent et avec qui nous devons développer des liens. Moi, je trouve que c’est une belle période de notre histoire que nous vivons et la force du film c’est de mettre l’accent de façon poétique sur l’héritage positif que nous pouvons partager.
– Par rapport à la question de l’identité et tout ce que nous avons entendu, pour moi la racine de l’identité est ontologique. C’est comme perpendiculaire à l’histoire, les autochtones, le territoire, etc. Il est primordial de saisir l’importance que nous sommes accueillis partout où nous allons. Lorsque les autochtones cherchent une plante médicinale, ils observent quel type de terrain est propice à l’apparition de cette plante. C’est une approche différente de la nôtre qui fonctionne par discrimination. La permaculture et la santé holistique fonctionnent selon ces principes. La science occidentale discrimine pour trouver sa voie en isolant les questions les unes des autres, cela se termine par l’isolement. Il y a aussi l’importance qu’occupe le darwinisme social dans nos pensées. Un peu partout dans les sciences sociales, on discrimine pour trouver quelque chose plutôt que de voir émerger l’ensemble. Dans la proximité avec les peuples autochtones, on réalise cela. En fait, c’est l’œil du cœur, il faut chercher à avoir un cœur intelligent plutôt qu’un mental qui discrimine. Également, plutôt que ce soit un face-à-face comme la justice, il y a un interface parce que le cœur est plus propice à cela que le mental intellectuel qui tasse pour trouver sa voie ce qui le situe souvent en opposition avec les autres.
– Moi, c’est la première fois que je participe à une rencontre du CAPMO. Ce qui me frappe, c’est l’écrasante majorité d’hommes par rapport au nombre de femmes et la façon dont les gens discutent dans le respect. C’est rare qu’on peut participer à de telles rencontres où des gars parlent ensemble. On voit plus cela dans les groupes de femmes. Je ne sais pas si c’est Indien cette façon de communiquer?
– Chez les Amérindiens, on retrouve un système matriarcal, de sorte que même les chefs consultent la femme qui est reconnue comme étant la sagesse de la communauté.
– Ils ont souvent un conseil d’aînés.
Ce sont les gardiennes de la sagesse.
– Lorsqu’il y a un conflit avec les forces de l’ordre, on les retrouve souvent au premier rang. Elles ne semblent pas connaitre la peur lorsqu’il s’agit de défendre les leurs et lorsqu’elles prennent une décision, c’est la même pour tous.
– Lorsqu’ils revendiquent leurs droits, les Premières Nations récupèrent une grande dignité.
Notes recueillies par Yves Carrier