#282 – Quelles leçons peut-on tirer de la Révolution russe de 1917

Quelle leçons peut-on tirer de la Révolution russe de 1917 ?

#282 – octobre 2017 

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« Pour certain, le communisme serait un christianisme sécularisé. »

Je m’appelle Robert Lapointe et j’ai eu un parcours assez mouvementé. Après un séjour en Afrique, dans les années 1960, je me suis rendu compte que l’indépendance du Québec était une priorité, mais je n’ai pas trouvé le Parti Québécois très amusant, mais plutôt petit-bourgeois. Ils m’ont choqué à l’époque, particulièrement un commentaire de René Lévesque qui affirmait que nous n’étions pas des sauvages comme les Nigériens ou les gens du Bengladesh, et qu’ici cela se passerait bien l’indépendance. Comme j’arrivais d’Afrique, je n’ai pas du tout apprécié cela. C’est à ce moment-là que j’ai rejoint le Parti marxiste-léniniste communiste du Québec. J’ai milité pendant 5 ans avec le Parti maoïste. J’ai fait de la prison à travers cela. J’ai été arrêté huit fois en tout. J’ai passé un été à Orsainville, ce qui m’a permis de faire une certaine réflexion sur le Parti communiste. Ma question était : « Comment arriver à changer le monde en évitant les pièges de la violence ? » C’est toute la question du problème du pouvoir qui se posait alors, comment l’obtenir et le préserver ? On sait ce qu’est devenu l’URSS avec ses dérives totalitaires, et c’est là que je me suis tourné vers le concept de « société civile » qui a été développé par Marx, Hegel et surtout Gramsci. À ce moment, je me suis rendu compte de l’importance de la spiritualité dans une pensée politique. C’est pourquoi j’ai rejoint le CAPMO, parce que c’est un groupe qui est ouvert aux idées différentes que j’exposais, alors que la gauche m’a un peu mal reçu. Je suis géographe et j’ai adhéré à une partie très nouvelle de cette science qui s’appelle la Géographie structurale. À mes yeux, Marx, dès le début de sa carrière s’intéressait à la société civile. Gramsci va vraiment développé le concept, tout en demeurant léniniste, ce qui veut dire : « Faire l’analyse concrète d’une situation concrète. » J’ai eu l’idée au printemps dernier, de commémorer le centenaire de la Révolution russe. RL

Il s’est passé quelque chose de très important il y a 100 ans. J’ai aussi proposé que nous commémorions les 500 ans de la Réforme protestante. Ce sera le sujet de la prochaine soirée mensuelle. Parce que ces deux événements sont très importants dans notre histoire. Une histoire à laquelle j’ai réfléchi en me demandant comment présenter cela ici ? En faisant l’apologie du communisme ou bien en faisant une certaine critique. Nous connaissons un peu tous et toutes la réalité là-dessus. J’ai eu l’idée de vous présenter cela sous l’angle de l’économie du salut. Ce que nous cherchons tous et toutes dans la vie, c’est à se sauver, à changer la situation et à devenir autre chose. Alors la Révolution russe appartient à l’histoire spirituelle de l’économie du salut. C’est aussi une économie politique, il faut trouver la manière de gérer les ressources pour reproduire et maintenir la vie de la société, pour transformer le monde, pour sauver l’humanité, le monde ou le prolétariat, que ce soit la bourgeoisie ou l’écologie, parce que notre salut en dépend. C’est pour cela que c’est un événement important, peu importe ce qui s’est passé par la suite, peu importe les critiques qu’on en a faites. RL

J’ai pensé que le sujet faisait aussi référence à la lutte des classes. On ne peut pas nier la lutte des classes. Nous sommes pris avec cela puisqu’il y a des classes sociales et des États. Donc, comment traiter cette question de manière entière ? J’ai pensé au Livre de la Genèse. Dans le premier livre de la Bible, il est question de la lutte des classes. Il ne s’agit pas tellement d’une lutte entre des classes sociales, qu’entre des modes de vie. La question ne consiste pas simplement à un problème de possession de la richesse, mais aussi : Quelle est la conception de notre vie ? Quelle est la conception du monde que nous avons ? Quels sont les modes de vie ? Si on remonte aussi loin qu’au Livre de la Genèse, nous sommes au Paradis terrestre. Ce récit symbolise l’époque des chasseurs-cueilleurs, des sociétés originelles, où tout le monde travaillait ensemble et exerçait la propriété commune. Il s’agissait d’un communisme primitif comme disait Marx. À un moment de la préhistoire, il s’est produit une division dans les modes de vie des populations humaines qui se répercute jusqu’à aujourd’hui, entre nomades et sédentaires. La véritable lutte de classe est une lutte de mode de vie entre nomades et sédentaires. La Géographie structurale remonte aux nomades et aux sédentaires pour expliquer l’évolution de la société et celle des villes aussi. Une ville peut être un moyen de contrôle également. RL

Alors, le nomade est celui qui contrôle ses déplacements dans l’espace et qui contrôle les déplacements des sédentaires. Il les fixe quelque part pour mieux les exploiter et pour s’en protéger. N’oublions pas que c’est un sédentaire Caen qui a tué Abel. Ce dernier nous est présenté comme quelqu’un de bien et de saint. Mais il faut dire que toute la Bible ainsi que le Coran, sont des livres saints qui privilégient le mode de vie nomade au dépend du mode de vie sédentaire. Par exemple, si nous étudions Armand Abécassis, « La pensée juive », on retrouve neuf motifs de détester la ville. Ceci dit, il reste que les nomades en profites assez bien parce qu’ils y retrouvent une concentration de sédentaires qui peuvent les servir et veiller à la consommation des riches et des puissants. Mais pour tenir cela en place, il faut une idéologie et l’idéologie première, c’est la religion. Donc, l’alliance entre la religion et le pouvoir qui est réalisée après la fin du régime des chasseurs-cueilleurs, a permis aux nomades qui sont les nobles, les rois, les grands prêtres, de pouvoir contrôler les sédentaires. C’est là que la lutte des classes commence. RL

J’ai oublié le rôle de Jésus et d’Esdras dans tout cela. Selon la pensée ancienne qui était celle des nomades, tu as un roi, une religion, un territoire, un peuple, tout cela doit être homogène et unifié. Esdras, juif exilé avec son peuple à Babylone, dit qu’un peuple peut avoir un roi, mais que ce peuple peut avoir une religion différente de celle du roi. Déjà, quelque chose de nouveau arrive. Puis avec Jésus, lorsqu’il dit dans sa phrase célèbre qui a marqué nombre de penseurs et de théologiens chrétiens : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Je fais de cette phrase l’un des éléments fondateurs de la Théorie de la société civile, parce qu’il sépare les deux. Il sépare le religieux du politique et du pouvoir. Avec le temps, ce qui a enfoncé un coin entre les deux, c’est la lutte des classes prolétariennes et bourgeoises. La bourgeoisie s’est servi du concept de société civile pour élargir son propre pouvoir. Dans cette lecture, bourgeoisie et prolétariat faisaient partie du peuple sédentaire. RL

Avec la Révolution française, les bourgeois aidés par les prolétaires prennent le pouvoir. Ceux ou celles qui voulaient aller plus loin dans les transformations de la société, on leur a coupé la tête. Babeuf, Olympe de Bouge, qui lutte pour les femmes et qui avait écrit une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, puis Robespierre et bien d’autres. Le pouvoir a été récupéré par la bourgeoisie, un peu avec l’aide de Napoléon. Dans la restauration d’une nouvelle monarchie, Napoléon s’est rapproché de la religion en se faisait couronner empereur par le pape. Sauf que contrairement à Charlemagne, il a li-même déposé la couronne sur sa tête. RL

Alors la Révolution prolétarienne poursuit cette révolution bourgeoise qui serait celle des sédentaires contre les nomades. En faisant une révolution des sédentaires contre les nomades, les valeurs défendues par les nomades, le haut-clergé et les rois, ont été mises de côté parce qu’on savait qu’elles étaient promues pour maintenir un ordre en place de façon à protéger les intérêts des riches et des puissants. C’est pour cela qu’il s’est produit une telle décadence dans les valeurs, parce que les intérêt détruisent les valeurs. Comme individus et comme société, il faut s’interroger sur la question des valeurs, de quelles valeurs avons-nous besoin pour vivre en société. Comme le disait Marie-France, elle est d’abord et avant tout une personne humaine. Donc les valeurs humaines sont fondamentales. Les valeurs humaines et les valeurs spirituelles doivent encadrer les valeurs citoyennes. RL

La Révolution russe a été un moment très important de cette révolte sédentaire. La question du pouvoir n’y étant pas résolue, de même que celle de la place réelle du prolétariat, et aussi, le problème du péché originel. Qu’est-ce que je veux signifier par là ? Vous vous rappelez tous et toutes de ce qui s’est produit au paradis terrestre. On parle d’un mythe, mais le mythe est la première source de la vérité. Au-delà de l’histoire, il faut saisir les leçons qu’elle renferme. RL

– Il s’agit d’un mythe fondateur dans la civilisation occidentale qui a marqué plein de choses.

En fait, ce que voulaient Adam et Ève, c’est être comme des dieux. C’est-à-dire, être autre chose que ce qu’ils sont. C’est le principe d’auto-limitation, l’un des principe fondamental de la Théorie de la société civile. C’est-à-dire que nous n’avons pas à être autre chose que ce que nous sommes. (Contrairement à Nietzsche avec sa volonté de toute-puissance et de surhumain.) Il faut s’assumer en tant qu’être, Adam doit s’assumer en tant qu’homme, Ève en tant que femme et Dieu en tant que Dieu. Donc, il faut que la société civile s’assume en tant que telle et qu’elle ne devienne pas l’État malgré la tendance, dénoncée par Hegel, comme quoi la société civile a tendance à sortir d’elle-même. De fait, ce sont certaines classes de la société civile qui ont tendance à faire cela. C’est ce qui s’est produit avec la bourgeoisie, et cela s’est également produit à l’époque de Lénine parce qu’il faut admettre que la Révolution prolétarienne est la poursuite de la Révolution bourgeoise, mais cette fois dans l’intérêt de la petite bourgeoisie intellectuelle. Mao Tsé-toung n’était pas un pauvre, Lénine était issu d’une bonne famille, Staline était un séminariste, Engel était le fils d’un riche industriel, Marx était marié avec une fille issue de la noblesse allemande, etc. RL

En fait, encore aujourd’hui, le problème de la petite bourgeoisie intellectuelle, c’est qu’elle veut un pouvoir, elle a les compétences pour l’exercer, mais elle ne l’a pas. Ce sont les riches, les puissants, les seigneurs, les capitalistes, qui le possèdent. Je vais arrêter là. RL

– Tu as bien peu parlé de la Révolution russe.

La Révolution russe est une épisode de cette recherche du salut pour le prolétariat, pour le peuple. Le rôle de Lénine a été celui d’une « gatekeeper », (une personne qui contrôle l’accès à quelque chose), dans la pensée de Kurt Lewin sur « La dynamique des groupes ». Selon lui, Lénine était là au bon moment, au bon endroit, et il était probablement la bonne personne compte-tenu de la situation. Comme cela s’est produit dans une société civile gélatineuse, le terme vient de Gramsci. Marx pensait développer la révolution prolétarienne en Italie, en France, en Angleterre, mais pourquoi cela n’avait pas fonctionné là, mais plutôt en Russie, une société arriérée de l’Europe à l’époque. Peut-être parce que c’est dans ce pays où l’opposition entre nomade et sédentaire était la plus nette. C’était la monarchie et le haut-clergé qui occupaient le haut du pouvoir. Donc, c’est surtout parce que la société civile était gélatineuse, selon Gramsci, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas d’articulations dans la société civile, il n’y avaient pas de liens organisationnels. C’est ce qui a permis au lendemain de la révolution au Parti communiste d’écraser l’un après l’autre, séparément, chacune des constituantes de la société civile embryonnaire. En Russie, il existait une force ouvrière très concentrée géographiquement, essentiellement à Petrograd et à Moscou et dans quelques autres grandes villes. C’était de grandes entreprises, la bourgeoisie commençait à se développer depuis une cinquantaine d’années. RL

– J’aimerais reprendre le thème de la Révolution russe en terme de leçons à en tirer pour l’histoire. Cette révolution a été le plus bel exemple de gens qui se mobilisent et finalement, c’est l’élite qui prend le pouvoir, en février 1917. Mais, il y a eu une autre étape, où la bourgeoisie est retombée au profit des prolétaires en octobre 1917. Les deux étapes font partie des leçons de l’histoire. On a vu dans d’autres pays, lorsque la bourgeoisie remplace la monarchie, ce n’est pas vraiment une révolution. Quand le pouvoir des possédants ne fait que changer de mains, cela ne change rien en fin de compte pour les prolétaires. En Russie, c’est aller plus loin parce que l’élite intellectuelle possédante s’est fait débarquer par la population, les masses ou la société civile. Ces deux étapes sont majeures dans la Révolution russe.

Pourquoi la question du pouvoir a autant dérapée en Russie dans la période de la Révolution bolchévique ?
C’est une partie que j’avais notée, mais que je n ‘ai pas développée. En fait, c’est le problème de l’utopie. Dès 1918, Rosa Luxembourg, dans un livre qui s’intitule : « La Révolution russe », critique cette révolution parce qu’elle s’aperçoit que le comité central est constitué d’une poignée d’hommes qui décident ce qui est bien ou mal pour tous. Cela provient du problème de l’utopie. C’est un genre littéraire où il y a une tête, au début, avec Thomas More qui décrit un monde extraordinaire, un monde futur, un monde utopique, sauf que lorsqu’on essaie de réaliser cette utopie, on oublie souvent d’être démocrate et de respecter les opinions de tout le monde. C’est-à-dire qu’on ne peut pas développer une utopie à partir d’une idéologie. RL

Qu’il s’agisse de l’idéologie néolibérale ou de l’idéologie communiste, ou encore d’une religion, mais ces idéologies ont tout de même du bon à quelque part. Elles peuvent inspirer un projet de société, mais il ne faut pas s’engoncer dans une idéologie particulière au dépend d’une autre, il faut prendre le meilleur de chacune. Le politique, justement, consiste à essayer de régler des problèmes concrets, d’arbitrer des conflits, sans s’en remettre entre les mains d’un dieu, d’une idéologie ou d’une religion, voire l’écologisme. (La loi tue!) RL

– D’où vient la rigidité du communisme par rapport à l’Europe de l’Est et le mur de Berlin ? Et pourquoi s’est-il écroulé si rapidement au début des années 1990 ?
C’est la question du pouvoir. Cela prend de la violence pour prendre le pouvoir, mais cela en prend encore plus pour le conserver. Il vient un moment où le régime ne suscite plus l’adhésion de quiconque. L’URSS était devenue schizophrène, c’est-à-dire qu’il fallait faire semblant d’être heureux alors qu’on ne l’était pas. Il y a aussi eu une crise économique en raison de la course aux armements avec les États-Unis. La pression mise par les Américains avec la Guerre des étoiles a beaucoup fait tord à l’économie soviétique. À un moment donné, il fallait passer à autre chose, cela n’avait plus de sens. C’est ce que Gorbatchev a essayé de faire, mais il était trop tard pour revenir en arrière et changé le fonctionnement du régime communiste. La Pérestroïka (rectitude et correction) et la Glasnost (transparence) sont arrivées trop tard. RL

– Ce que je reprochais à ce système, c’est le manque de participation démocratique. Comme à l’époque du Tsar, le peuple n’avait aucun mot à dire, il ne pouvait que suivre la procession, les décisions prises par l’appareil d’État. C’est d’après moi ce qui a provoqué la chute du régime soviétique.

– J’aimerais savoir ce qui précède la Révolution d’octobre, comment ce sont formé les soviets ? C’est quoi les étapes importantes avant qu’il n’y ait la révolution ? Quelles sont les dates importantes à retenir ? Comment s’est faite la transition de Lénine à Trotski, puis Staline ? J’ai comme besoin de démêler tout cela. J’aurais besoin d’avoir des éléments factuels de base, des jalons de l’histoire.

D’abord, il y a eu la Première guerre mondiale dans laquelle était engagée la Russie. À l’époque, Lénine était en exil en Suisse. Les Allemands ont organisé son retour en Russie parce qu’ils savaient que c’était un homme important qui pourrait changer beaucoup de choses. C’est la fameuse histoire du wagon blindé qui ramène Lénine en Russie. Il a alors commencé à organiser les soviets qui étaient des assemblées de gens du peuple. Ce sont des comités d’ouvriers. Renaud a fait allusion à la révolution de février 1917, celle d’Alexandre Kerenski qui a conquis le pouvoir sans vouloir aller trop loin dans les réformes, alors les problèmes n’étaient pas résolus. La guerre n’était pas terminée, le peuple russe ne voulait plus de la guerre et Lénine avait vraiment promis de mettre fin à la guerre. C’est ce qu’il a fait à l’automne 1917. À partir du moment où Lénine accède au pouvoir, cela se déchaîne un peu partout. Il y a aussi une contre-révolution financée par les pays étrangers. Le Canada, la France, l’Angleterre et les États-Unis, interviennent en Russie contre la révolution bolchevique. Il y avait aussi l’Armée blanche qui se révoltait contre les communistes, ça a été un foutoir pendant trois ou quatre ans. L’Armée blanche était composée des partisans de la restauration de la monarchie tsariste. C’est une période épique. Il y avait un train rouge des communistes et un train blanc des réactionnaire qui se poursuivaient. Lénine est décédé en 1924 et Staline a pris le pouvoir. Ce dernier a cherché à éliminer Trotski et ses partisans. Pas seulement Trotski, Zinoviev et bien d’autres ont été éliminés. RL

– Qu’est-ce qui fait qu’il y a eu ce changement majeure après la mort de Lénine ?

Il ne faut pas oublier que Lénine a préparé Staline. Celui-ci est allé beaucoup plus loin que Lénine. En même temps qu’il écrasait les paysans, il provoquait une famine en Ukraine, il réalisait au même moment la révolution industrielle de l’URRS. RL

– Quelle était la spécificité des idées de Trotski ?
Trotski croyait à la révolution permanente, à une révolution qui devait être développée dans l’ensemble des pays tandis que Staline voulait consolider le communisme en Russie. Il y a aussi la question d’une lutte de pouvoir entre deux individus très différents. RL

– Il y avait aussi la personnalité de Staline qui a éliminé tous ses opposants. Cela semble quelque chose de récurant chez les leaders révolutionnaires. Robespierre, Hitler a fait la même chose.

– J’ai quelques connaissances fragmentaires sur cette période de l’histoire, mais je pense qu’il faut interpréter cette révolution en tenant compte du contexte qui la précède. Le Tsarisme était un système arriéré où la population mourait de faim. Le servage existait toujours, il s’agissait d’un régime féodal. Il faut aussi savoir qu’il y a eu plusieurs soulèvements avant la Première guerre mondiale qui ont échoué et ont été réprimés de manière brutale. Cela a provoqué des dizaines de milliers de morts. Par ailleurs, ses échecs ont permis à la stratégie communiste de s’aguerrir. En 1917, ils sont vraiment mûres pour y arriver, d’autant plus que le Tsar est de plus en plus faible parce que les anciennes structures féodales ne fonctionnent plus. Mon interprétation est qu’il y a toujours eu des tsars en Russie. Il y a eu le Tsar Nicolas II, le Tsar Staline et maintenant le Tsar Poutine. La Russie n’est pas le siège de la démocratie, culturellement cela ne semble pas être leur première priorité. J’ai l’impression que ce peuple aime avoir un leader fort qui parvient à faire fonctionner le pays. Donc, la violence de la Révolution russe nait dans un contexte de misère, de répression et d’exploitation qui dure depuis des siècles, ce qui a fait en sorte que le soulèvement des masse est devenue inévitable. L’ancien régime était pourri, la révolution n’est pas venue parce des gens ont lu Marx. Peut-être que le résultat ne fut pas celui que le peuple attendait. Cela a libéré des forces historiques qui sont entrées en compétition les unes avec les autres. De plus, l’ingérence étrangère a éloigné le peuple russe de l’Occident. Ils s’en souviennent encore. J’ai également un énorme respect pour ce peuple. Ce sont eux qui ont mis fin au nazisme. C’est Staline qui était assez fou pour arrêter un autre fou comme Hitler. Si celui-ci avait eu le Tsar Nicolas en avant de lui, l’Allemagne aurait gagné la Seconde guerre mondiale.

– Pour moi, la question demeure, on veut un tissu social communiste, mais la cellule sociale qui est l’individu, n’a pas été éduquée. Qu’est-ce qui reste ? La surface simplement. Comme toute nos révolutions en fin de compte. On veut un Québec libre, mais est-ce que le Québécois est libre dans sa tête et dans son cœur ? Libre de quoi ? Ce sont des grandes questions en écologie sociale. C’est une question que j’ai pour le communautaire en général, est-ce que la cellule qui nous constitue est solidaire ? J’ai vu des coopératives tombées, toujours pour des raisons extérieures. Est-ce qu’on voulait vraiment ? Est-ce qu’on a osé se libérer, mais il faut savoir de quoi il faut se libérer ? C’était quoi notre finalité ? Était-ce de se libérer comme des plantes qui évoluent selon leur propre nature ? Est-ce que c’est répondre à la nature libre de l’homme ? Si on veut une amélioration de la société, cela commence par se changer soi-même. Il faut avoir une conscience de vouloir être libre ensemble. Est-ce que nous sommes capables de nous donner cette liberté ? Pour moi, la communauté est une mosaïque où il y a un ciment social où chacune des perles doit être harmonisée avec le reste, pas semblable, ni identique. C’est l’idée des idées qu’on aime. Vient un moment où il faut l’incarner soi-même alors cela résiste mieux. Je me dis qu’à chaque fois que je change, je change le monde et ainsi de suite. C’est comme une dialectique. Quand je résiste trop à moi-même, je peux travailler à changer le monde, quand cela résiste trop, je travaille sur moi-même.

– J’ai étudié un peu Karl Marx pendant une session en sociologie à l’université. J’ai lu le Capital, le premier tome. Il parle beaucoup de la marchandise et c’est pas mal l’idée que j’ai du communisme. Il faut gérer la marchandise pour faire en sorte que l’effort de travail profite à tout le monde. Ce que j’ai compris de la Révolution russe de 1917, c’est qu’il y a un gros conflit pour gérer ce pouvoir de production à travers le pays. C’était une guerre civile avec un paquet d’acteurs extérieurs qui étaient impliqués. Ensuite, il y a eu une lutte de pouvoir à l’interne. Qu’est-ce qu’on doit se souvenir de cette révolution? Est-ce qu’ils ont mal géré ce pouvoir de production, leurs ressources, la marchandise, le matériel, ou c’est parce qu’ils ne se sont pas rendus compte que ce qu’ils devaient gérer en premier, c’étaient le pouvoir ? Ce que nous avons dit ce soir, c’est que chaque courant avait son leader qui s’affrontait aux autres, est-ce que c’est uniquement cela que nous devons retenir de la Révolution russe ? Pour que le communisme puisse fonctionner, cela ne pas peut se résumer à une guerre de personnalités. Il faut se souvenir de ce qu’était leur objectif. Si la Révolution de 1917 a dérapé est-ce parce que les gens étaient trop fanatisés par la religion ou le culte de la personnalité ?

– Moi, je m’interroge sur les films que nous regardions à propos de l’URSS où les gens se cachaient pour se réunir dans les sous-sols des maisons. Quel est le lien entre le mur de Berlin et ce qui s’est passé pendant ces années-là (La Guerre froide).

En ce qui concerne le mur de Berlin, ce n’est pas compliqué, la population quittait l’Europe de l’Est pour aller vivre à l’Ouest. Le gouvernement Est-allemand voulait arrêter l’exode des cerveaux. RL

– Le précédent historique à cette histoire, c’est qu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, l’URSS a repoussé l’armée allemande jusqu’à Berlin et que les Américains, les Canadiens, les Français et les Britanniques, occupaient l’autre moitié de l’Allemagne et de Berlin. La punition de l’Allemagne décidée par les alliés a été de séparer le pays en deux.

– Mais qui étaient ces fameux communistes ? Des paysans, des soldats ?

C’était d’abord un parti avec des paysans, des ouvriers, des intellectuels. C’était d’abord un parti politique. Il y avait aussi les commissaires du Parti. Eux autres étaient partout dans la société civile et ils surveillaient tout le monde. Donc, le Parti avait des yeux partout alors les gens ne pouvaient pas se réunir facilement. RL

 – Moi, je ne connais à peu près rien sur ce sujet à part un petit cours sur le marxisme que j’ai suivi à la fin des années 1960. Ma préoccupation ce soir, ce serait de situer le communisme qui apparaît en Russie avec la Révolution d’octobre 1917. À cette époque émerge la classe ouvrière à travers l’exploitation du système capitaliste. L’industrialisation a donc conduit à certaines voies de libération, dont le communisme, le socialisme ailleurs en Europe et il y a eu un mouvement ouvrier qui n’était pas intégré ni à l’un, ni à l’autre. On observe différentes voies, différents discours, différentes idéologies, différentes pratiques de libération, qui naissent dans le cadre de l’exploitation capitaliste. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation qui ressemble à cette période. Nous sommes à nouveau dans une phase aiguë du développement du capitalisme à l’échelle mondiale. De façon spectaculaire, nous avons des populations qui sont forcées à une forme de sédentarité et des élites qui sont des nomades absolus par le web, par la capital, par l’aviation, etc.. Où en sommes-nous avec les différentes voies de libération possibles dans le cadre du capitalisme et de cette nouvelle étape du capitalisme ? C’est cela qui me préoccupe. Est-ce que les leçons à tirer de la révolution russe peuvent nous permettre d’avancer dans ce genre de questionnement? Quelles erreurs ont-ils commises dans leur contexte ? Il y a quelque chose à recontextualiser et à ré-imaginer avec des éléments de fond qui sont apparus avec Marx, ses écrits et ses suites. Où en sommes-nous ? Que faut-il penser de la question des nomades et des sédentaires dans le monde actuel ? Les populations aliénées du monde sont partout sédentaires, elles sont exploitées et aliénées parce qu’elles sont sédentaires, incapables de bouger comme les autres, comme le 1%, alors que d’autres sont nomades de façon magistrale, bien plus qu’auparavant dans notre histoire.

Je crois que c’est seulement la société civile qui peut nous aider à résoudre le problème dans la mesure où l’on s’efforce d’être ce qu’on est et qu’on n’essaie pas d’être autre chose que ce qu’on est. Le drame de la Révolution russe, c’est la classe prolétaire qui veut devenir l’État, mais c’est impossible. Nous ne pouvons pas avoir 100 millions de chefs d’État dans un pays avec deux ou trois prolétaires. Ce n’est pas comme cela que cela fonctionne. Alors comment résout-on ce problème ? Comment faire en sorte que les gens aient le plus de liberté possible alors que nous sommes pris avec un État ? Pour moi, l’État est une catastrophe. Je dis que la Théorie de la société civile est une théorie anarchiste à laquelle on met un veston-cravate pour lui donner bonne image. Fondamentalement, les gens ne sont pas anarchistes. Ils veulent de l’ordre, de la sécurité et des choses de base. Alors comment s’organise-t-on ? On s’organise par nous autres mêmes à l’intérieur de nos syndicats, de nos coopératives, etc., et surtout on entre en relation les uns avec les autres. Dans la mesure où le tissu social est formé de différents groupes et associations, cela donne un ensemble, une société civile qui peut être autonome et faire contrepoids à l’État. Parce que l’exigence principale de la société civile, c’est le bien commun, la communauté, et c’est aussi, exiger de l’État qu’il soit un État de droits. Pour l’instant, qu’on le veuille ou non, nous avons besoin de l’État. Peut-être que, plus tard, nous trouverons quelque chose de génial pour nous en débarrasser. À la manière de Saint-Simon, selon qui les personnes étaient libres tandis que l’État se contentait d’administrer les choses. Mais pour arriver à cela, il faut vraiment qu’on définisse bien quelles sont les prérogatives de l’État et quelles sont celles de la société civile. Dans ma formule, je dis souvent que la société civile doit prendre tous les pouvoirs qui lui reviennent et qu’elle est en mesure d’exercer. (Principe de subsidiarité) Et les pouvoirs de l’État, on lui laisse car c’est important qu’il organise l’armée, la monnaie, les banques, qu’il supervise. Nous avons encore besoin de l’État parce que nous n’avons pas trouver mieux. Cela ne vient pas d’en-haut. C’est ce que je crois depuis que j’ai fait la critique de mon attachement au communisme. C’est le principe d’autolimitation, c’est-à-dire que nous faisons ce que nous avons à faire dans la mesure de nos capacités et de nos moyens, et l’État fait ce qu’il a à faire en nous respectant. Il doit y avoir un équilibre permanent entre État de droits et société civile. C’est sur cette voie que nous pouvons progresser. RL

– Moi, je crois profondément que le communisme et la liberté sont antinomiques. Je pense que l’ADN du communisme est la rigidité. La Révolution française a conduit à un bon dix ans de terreur, pendant ces dix années, il n’y a pas eu vraiment de liberté. Selon moi, la Révolution russe a fait encore pire. Il est sortie deux choses positives de la révolution russe : la fin de l’emprise du tsarisme et l’élimination du nazisme. À par cela, je ne vois pas trop ce qui en est sorti de bon. Sinon, nous avons eu des populations entièrement bâillonnées, des massacres atroces, le goulag qui était à peu près l’équivalent des camps de la mort nazis. Quel bilan pourrait-on faire aujourd’hui de la Révolution russe et comment pourrait-on s’en inspirer ? Ce serait un bilan des choses à ne pas faire. Je me demande si la fanatisme n’est pas inhérent à toute révolution ? Est-ce qu’on révolutionnaire n’est pas nécessairement un fanatique ? À ce moment-là, il n’y a aucune place pour la liberté individuelle. Comme tu disais tout à l’heure, il est certain que l’URSS était devenu un pays complètement schizophrène parce que l’hypocrisie et la délation étaient devenues la norme. Il fallait faire semblant que cela allait bien alors que rien ne fonctionnait, c’était une dictature. En fait, c’est Gorbatchev qui a eu le courage de laisser mourir le régime soviétique. C’est grâce à la Perestroïka que le communisme est tombé parce qu’il a bien vu que cela ne pouvait plus continuer. Cela fut libérateur.

– Lorsqu’on observe la Révolution russe, on se demande qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, qu’est-ce qui a dégénéré ? Mais qu’est-ce qui n’a pas fonctionné par rapport à quoi ? D’après quel modèle on peut regarder Staline ? On ne peut pas l’interpréter comme si nous avions Staline aujourd’hui au Canada alors qu’il est apparu dans les années 1920 en Russie. Alors le seul contexte que nous pouvons regarder pour comprendre si Staline était mauvais ou bon par rapport à quoi, c’est le sien. Il faut analyser le communisme par rapport à son lieu et son époque, mais aussi par rapport à ce qu’il y avait d’autre à cet époque à cet endroit. Ces événements révolutionnaires se produisent habituellement dans un contexte d’opposition extrême. Si nous avons tendance à idéaliser le communisme et à croire que le lendemain de la révolution tout va être parfait, l’histoire nous a trop souvent démontré le contraire. Mais cette insatisfaction naît par rapport à quoi ? Dans la plupart des cas, c’est mieux que ce qu’il y avait avant et bien mieux que si ces révolutions n’avaient pas eu lieu. Il s’est passé ce qui c’est passé, mais nous oublions tous les mouvements de décolonisation qui ont été financés et supportés par l’URSS et le mouvement communiste. Aujourd’hui encore, les paysans indiens qui luttent pour sortir de la pauvreté ne lisent pas des livres de Georges Washington, mais de Lénine et de Mao.

– J’ajouterais, qu’au plan mondial, nous sommes tous et toutes des bourgeois du simple fait que nous habitons dans des pays riches, ce qui fausse notre interprétation du bien et du mal dans le monde. Les camps de la mort aujourd’hui, ce sont les populations qu’on abandonne à la famine en Afrique, à la misère en Amérique latine ou à la violence lorsque nous finançons des guerres au Proche-Orient. Même le plus pauvre des Canadiens est un millionnaire si on le compare à un Africain ou à quelqu’un qui est né au Bangladesh. Si nous regardons la scène mondiale, nous appartenons au 1% de privilégiés.

– J’ai beaucoup apprécié chacune des interventions et je trouve cela génial que nous soyons capables de parler sans nous invectiver. Merci au CAPMO de créer ces espaces de discussions. Pour moi, c’est cela la première révolution, être capable de se parler et idéalement cela prendrait des personnes encore plus différentes dans leurs analyses. J’aime beaucoup cette liberté que nous acquérons d’abord pour soi et qu’ensuite nous permettons à l’autre. Moi, je suis tellement contente d’être plus libre et de vouloir que l’autre soit plus libre, même si parfois c’est fatigant.

– J’aimerais mettre un peu en contexte la Révolution russe, avant, il y a eu une révolte majeure en 1905. Ceux et celles qui souhaitent lire là-dessus, cela a été presque réussi, mais ils se sont repris en 1917. Il faut d’abord savoir que Pierre Legrand et Catherine II, sont ceux qui ont fait de la Russie un empire au XVIIIème siècle. Pierre Legrand c’est 1725. Il se débarrassait de ses opposants en les faisant écarteler par quatre chevaux. Il est le conquérant du nord de la Russie. Catherine II est apparue 60 ans plus tard et elle a conquis le sud avec ses armées, de la Crimée à la Mer noire. Le rêve de l’époque c’était d’avoir son empire. En 1905, il y avait plusieurs empires qui étaient tombés et il s’agissait du dernier grand empire. Il y avait un retard, il y avait un envie, ça c’est pour l’histoire. Pour ce qui est de parler, chez les autochtones nous disons: « Il y en a un qui parle, mais l’expérience c’est d’écouter. » Nous sommes bien plus à écouter qu’à parler lorsque nous sommes un groupe comme celui-ci. Nous ne sommes pas en train de nous parler, nous sommes en train de nous écouter. Aujourd’hui, le défi dont les gens ont parlé, c’est que le système économique dans lequel nous vivons fait en sorte que c’est l’individu qui est valorisé. Celui qui est parvenu, qui a sa tondeuse, sa piscine, sa maison, tout cela brise le collectif. Tu veux avoir une tondeuse plus puissante que ton voisin, etc. Ceci fait en sorte que lorsque nous arrivons comme militants pour construire du nous avec des je, c’est très difficile. En conclusion, j’aimerais dire que ce qui serait pédagogiquement intéressant, ce serait que l’on se ramasse une bonne fois autour du sujet du budget participatif. C’est une façon de concrétiser dans le réel comment la société civile peut prendre sa place. Je serais prêt à présenter le sujet pour amorcer la discussion. (Renaud) Parce qu’il s’agit d’une façon de concrétiser le pouvoir citoyen dans une ville, une province ou un pays. La formule du budget participatif représente beaucoup d’enseignement d’histoire. Cela a été expérimenté dans les années 1980, à Porto Alegre au Brésil. Cela serait intéressant de revenir sur le sujet.

– Une question que je me posais, antérieure à tous ses vouloirs: Quel est le mental, (la rationalité, la vision), que nous employons pour nous associer et cela peu importe le projet. Nous réfléchissons en silos. Nous regardons la gauche et si nous ne sommes pas capables de nous entendre, nous partons un nouveau parti ou un autre mouvement. Comment faisons-nous si, antérieurement à la volonté de vouloir se mettre ensemble, l’appareillage de conscience que nous avons est morcelé (Edgar Morin, La pensée complexe) ? N’y a-t-il pas la nécessité d’avoir un mental capable de s’unir et d’entrer en relation ? C’est une question qui relève de l’essence de la personne. C’est que nous sommes aux prises avec une mentalité d’ingénieure qui recherche un effet (Utilitarisme). On veut travailler sur les causes, mais nous réfléchissons trop de façon linéaire. Cette manière de réfléchir nous empêche de nous entendre. Nos partis politiques, nos groupes communautaires, nos couples, sont confrontés à cela. Nous avons un mental discursif qui discrimine de manière binaire comme si nous voyons le monde en noir et blanc. Cela finit par provoquer l’isolement de chacun dans son propre monde. Il y a quelque chose dont nous devons prendre conscience si nous voulons avoir une cellule sociale capable de se cimenter avec les autres.

– On se demandait ce qu’a donné le communisme ? Cela a donné au moins une chose au 20ème siècle, cela a permis l’émergence de l’État providence. Cela a conduit à une autolimitation de la logique capitaliste sous le mode de l’État providence avec l’approche keynésienne. Si la Révolution russe ne s’était pas produite, nous aurions continué à avoir une intensification de l’exploitation jusqu’à la corde comme nous l’observons aujourd’hui. Avons-nous actuellement un équivalent dialectique comme force d’auto-limitation du capitalisme dans un contexte comme aujourd’hui ? Je pense qu’il n’y a pas grand chose. Il y a des germes de résistance, mais ils sont ultra-éclatés partout en raison de la dissémination des causes, etc. Il n’y a rien qui fait peur au capitalisme actuellement, suffisamment pour qu’il s’auto-limite. Peut-être effectivement que la décolonisation est un effet de la Révolution russe ? Au fur et à mesure que le discours communiste, marxiste-léniniste, acquérait une sorte d’autorité pour fonder des mouvements de libération, cela faisait peur aux Américains entre-autre et aux capitalistes en général. Donc, l’État providence a servi d’auto-limitation pendant une brève période de la logique d’intensification du capitalisme, et aussi des luttes coloniales en partie.

– Si nous prenons l’exemple de Cuba, ce pays ne doit pas être comparé avec le Canada, la France ou les États-Unis, mais avec les pays d’Amérique latine. Si nous observons la majorité de ces pays où le néolibéralisme reprend ses droits, nous observons un capitalisme extrême avec un recul des droits sociaux et une destruction massive de l’environnement. Le Mexique, le Honduras, le Guatemala, le Brésil, l’Argentine, la Colombie où des accords de paix ont été signés avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie, mais où l’État continue d’assassiner les ex-combattants qui ont déposé les armes. On observe l’appareil mondial de propagande, de Madrid à Paris, Londres, New York et Montréal, engagé dans une campagne de diabolisation du gouvernement du Venezuela, alors qu’il y a bien moins de morts au Venezuela qu’en Colombie, au Mexique ou au Honduras. De plus, notre gouvernement canadien signe avec le Brésil, le Guatemala, la Colombie, le Honduras, l’Argentine et le Mexique, le Pérou, tous des gouvernements néolibéraux corrompus, une déclaration demandant la destitution d’un gouvernement légitiment élu au Venezuela. Tous des gouvernements mafieux auxquels le Canada est fier de s’associer au nom de la démocratie. Pire, notre gouvernement demande une intervention militaire au Venezuela. Peu importe le nombre de morts, du moment que ce soit payant. La mauvaise foi de l’Occident est devenue toxique pour le monde entier. En plus nous croyons nos propres mensonges. Cela devient de l’aveuglement volontaire. Bientôt nous pourrons réaliser avec l’OTAN des bombardements humanitaire sur Caracas en nous présentant comme les sauveurs de la démocratie et des droits humains. Pour les pays du sud, je me dis parfois que nous sommes les nazis d’aujourd’hui, mais que nous continuons de vouloir l’ignorer.

– Dans une réflexion plus générale de base, je pense que ce qui peut mener une révolution à l’échec, c’est lorsqu’il n’y a pas une conscience des rapports de domination. Parfois, même ceux qui croient représenter les classes populaires peuvent se transformer en oppresseurs. Je pense que dans toutes les révolutions occidentales, cela a constitué une grande limite. Actuellement, il y a une prise de conscience qui se fait autour de la question de la décolonisation. Car, si nous ne nous libérons pas d’abord nous-mêmes de nos rapports de domination, par exemple envers certaines cultures ou les peuples autochtones, nous les reproduirons au sein de notre processus révolutionnaire. Un autre élément concernant les impacts qu’a eu la Révolution russe au 20ème siècle, je pense aux mouvements de résistance au fascisme, notamment pendant la Seconde guerre mondiale. En Espagne, la résistance à Franco a quand même été inspirée par le mouvement révolutionnaire russe. En Catalogne, ce qui se passe aujourd’hui, conserve les traces de l’héritage du franquisme. On pourrait aussi mentionné la Révolution cubaine et cette semaine nous faisons mémoire de l’assassinat du Che en Bolivie. Il existe un héritage idéologique important qu’on aperçoit au Venezuela. Il y a biais dans le communisme classique qui associe la religion à une structure d’aliénation servant à perpétuer le statu quo. Pourtant, il existe une spiritualité qui provient du peuple et dont celui-ci a besoin pour vivre. La Révolution russe n’avait qu’une perception matérialiste de ce qu’est l’être humain, de ce qu’est la société, mais je pense qu’il y a une limite là-dedans et que les peuples autochtones sont venus nous le rappeler et ils en sont très conscients. Dans les mouvements révolutionnaires d’Amérique latine, la dimension spirituelle de l’être humain a été davantage intégrée. Au Venezuela, on aperçoit une intégration de ce qu’est la culture populaire, même la spiritualité populaire, voire de la Théologie de la libération, dans le projet révolutionnaire. Au-delà des rapports de domination de l’institution religieuse, demander aux classes populaires de mépriser ce vécu spirituel ou religieux que les gens peuvent vivre, ça a nuit au communisme. Je pense qu’une vision uniquement matérialiste du monde était une façon simpliste de comprendre les motivations et les aspirations humaines.

Pour analyser une situation, il faut tenir compte du contexte où les événements se sont produits. Il ne faut pas oublier qu’au Canada nous sommes des privilégiés. Nous n’avons qu’à voyager un peu pour le constater. En même temps, c’est l’un des plus grands pays au monde, c’est vaste et nous ne sommes pas au courant de tout. Des massacres, au Canada, il en a eu et il y en a encore. Il y a des populations qui vivent sans électricité, sans eau chaude et sans isolation dans les murs de leur demeure. Ce n’est pas la même réalité pour tout le monde, je suis d’accord, je ne vis pas cette réalité même si je suis une personne assistée sociale. Je ne suis pas certains que nous soyons bourgeois. J’ai travaillé en usine, j’ai travaillé au salaire minimum, et je sais que plusieurs de mes contemporains travaillent à petits salaires dans des organismes communautaires et qu’ils travaillent beaucoup plus que ce qu’ils sont payés. Ce n’est pas équitable du tout. Je ne voudrais pas qu’on l’oublie. Quand nous parlons du 1%, c’est une façon de parler. Ce ne sont pas 80 millions de personnes qui sont le problème, mais environ un millier de personnes qui sont les richissimes. Ceux qui refusent de voir l’ensemble de nos populations s’émanciper à travers nos ressources, savent ce qui risque de leur arriver. Ensuite, si nous parlons des rapports de force et de domination, lorsque j’aperçois ceux qui font le tour du monde en jet privé sans jamais avoir mis les pied là où vivent les humbles de ce monde, qui n’ont jamais vu ce que c’est que de l’agriculture locale ou artisanale, et qui se prétendent citoyen du monde. Nos modes de production industriels sont inefficients. L’économie est construite sur des monopoles qui dominent le monde. Il y a beaucoup de choses à changer à travers la planète, mais juste au Canada, il faudrait au moins établir ces distinctions de base entre les classes. Oui, nous devons savoir ce qui se passe dans les autres pays et l’influence que notre mode de vie a sur les autres nations. Il faut qu’on se donne la main et que nous continuons à ne pas oublier nos objectifs. Nous devons aussi cesser de nous jeter le blâme. C’est ce qu’ils font sans cesse dans les médias. Plutôt que de se féliciter pour nos réalisations, nous cherchons des coupables à nos problèmes. Nous devons nous conforter sur le chemin que nous poursuivons ensemble. Depuis 1917, le niveau de vie des populations s’est grandement amélioré. Je ne trouve pas que notre société est si capitaliste que cela. Sur le millier d’ultra riches, il y en a peut-être les trois quarts qui sont d’accord avec nous ? On peut partager.

– J’ai sans doute été un peu lapidaire tantôt quand je disais qu’il était à peu près rien sorti d’octobre 1917. Il est certain que le communisme jusqu’en 1989 a quand même servi de garde-fou au capitalisme sauvage. C’est pour cela que depuis les années 1990, officiellement, il ne reste qu’une seule idéologie dominante. Pour ce qu’il reste des pays communistes, nous savons que c’est pas mal moribond. Le grand drame d’octobre 1917, c’est qu’il n’y a plus vraiment de contrepoids. Les utopies ne sont pas toujours nécessairement contre-productives. Dans ce cas, ça a été la plus grande utopie concrétisée et elle a lamentablement échouée selon moi. Je pense que c’est quand même assez évident. C’est mon constat. C’est pourquoi nous devons reconstruire autre chose qui devrait se situer en-dehors de cette rivalité communisme et capitalisme. Quel serait l’autre contrepoids ?

– Si nous observons l’histoire des civilisations, avant l’apparition des grands empires, chaque peuple avait sont propre génie et son propre projet civilisationnel et culturel. Comment pourrions-nous imaginer un monde où nous laisserions les peuples choisir leur projet sans intervention extérieure ? C’est en partie cela qui a contribué au durcissement du communisme, l’agression permanente des puissances étrangères. Si nous prenons l’exemple de Cuba, nous devrions les financer pour ce laboratoire extraordinaire d’une nation qui prend son destin en main. Tout à coup qu’il trouverait un projet social susceptible d’enrayer la pauvreté et l’ignorance dans le monde. C’est un extraordinaire modèle social expérimenter à l’échelle de 12 millions d’habitants depuis 55 ans. Au lieu de nous en inspirer, tout ce que nous cherchons à faire, c’est de les écraser.

– Je pense qu’il existe des formes tel que le communisme cubain, le socialisme au Venezuela, qui représentent des menaces au système capitaliste et ce n’est pas pour rien que le capitalisme américain est aussi acharné contre ces deux pays. Ils dépensent encore des millions de dollars pour combattre le communisme cubain. Selon certaines sources, les problèmes au Venezuela seraient dus à l’ingérence américaine. Ils considèrent que la Révolution bolivarienne représente une menace à l’hégémonie capitaliste en Amérique et dans le monde.

– Certains des gouvernements de droite en Amérique latine sont même prêts à s’associer à la grande criminalité pour diviser les populations au moyen du trafic de drogue et de la violence gratuite des gangs de rue. N’oublions pas que lorsque l’État se retire des champs d’investissement social qui sont les siens, la mafia occupe immédiatement le terrain et interdit les organisations populaires. Partout où des gouvernements néolibéraux gouvernent, la criminalité augmente. C’est le cas du Mexique, du Pérou et du Brésil notamment, pour ne pas parler du Guatemala et du Honduras.

– Je vais faire une parenthèse, je ne sais pas si c’est une utopie. Nous parlons beaucoup d’idéologie et de vivre ensemble, puis moi j’ai essayé la bio-dansa. Il faudrait un jour en faire l’expérience avec ce groupe. Ça a été inventé par un Chilien qui a connu la dictature et qui s’exilé au Canada. Il avait perdu le goût de vivre et c’est le moyen qu’il a trouvé pour que les gens retrouvent le goût à la vie. Il a voulu développer un moyen de réveiller l’instinct de survie et le bonheur d’être ensemble. Par delà le mental, il a choisi que nous devions investir nos corps pour retrouver notre dynamisme fondamental. L’idée c’est de retrouver l’enfant en soi en dansant et en s’amusant. Grâce à cela, je trouve que je suis plus aimante et moins dans mon mental. Ce serait bien un jour de tenter l’expérience ici. Merci d’avoir entendu mon enthousiasme.

 – Je voudrais me servir de l’exemple de la Catalogne. Au 21ème siècle, il ne faut pas oublier que nous sommes victimes de ce que certains choisissent de nous apprendre par les médias. Je trouve que la Catalogne est un bel exemple parce que c’est un peuple qui essaie de s’émanciper. Selon les chartes internationales qui ont été écrites depuis la Révolution française, la libre disposition d’eux-mêmes des peuples est un principe universel que les pays ont signé. Les peuples ont le droit légitime de se donner le gouvernement qu’ils veulent. Sauf qu’actuellement, nous sommes dans un empire d’État, qu’on cherche en plus à atténuer avec les accords de libre-échanges où le marché réclame des États qu’ils renoncent à une partie de leur pouvoir. Il y a un article dans le traité de l’ALENA qui permet aux entreprises de poursuivre les États pour un profit qu’elles n’auraient pas réalisé en raison d’une norme sociale ou environnementale. Abitibi Bowater à Terre-Neuve ont fermé un moulin à scie et ils ont été étonnés que le gouvernement de cette province leur retire leur droit de coupe qui était rattaché à ce moulin. Ils ont donc poursuivi le gouvernement qui a été obligé de leur verser l’équivalent du profit que l’entreprise aurait réalisé si elle avait coupé le bois. Vous voyez que la libre disposition des peuples, on ne voit pas cela avec la Catalogne. C’est l’Espagne central qui a toute la sympathie de nos grands médias. Les Catalans sont traités de bandits par les grand médias internationaux. C’est toute la question des médias qui nous disent bien ce qu’ils veulent que nous entendions. Aujourd’hui, il faut faire l’effort de lire les presses alternatives, s’écrire entre nous et se faire réfléchir.

Notre salut consiste à se prendre en main comme société, à devenir autonome et spirituellement riches afin de maîtriser nos vies individuelles et collectives. Cela fait peur aux possédants qui tirent profit de notre dépendance. Rien ne fait plus peur aux brasserie qu’un alcoolique qui se prend en main et arrête de boire. On ne guérit pas de notre désir, c’est pourquoi nous devons apprendre à désirer selon nos besoins. Il faudrait bâtir une hiérarchie des désirs qui ne soient pas simplement des désirs mais des besoins. Hegel a écrit qu’il n’y a pas de limites aux fausses nécessités qu’on peut créer pour l’être humain. À partir de ce moment, tu contrôles les populations en créant des désirs et des besoins artificiels. RL

– Dans ta théorie, tu parlais de la pensée de René Girard et de la rivalité mimétique. Je trouvais ce concept intéressant. J’ai l’impression que parfois des révolutions peuvent échouer parce qu’au lieu de rester concentrer sur leur objectif initial, le communisme c’était pour le bien commun et que les ressources soient partagées équitablement, elles tombent dans une rivalité mimétique avec l’Occident. Avec la rivalité mimétique, l’objectif principal est de faire tomber l’ennemi peu importe les moyens et la raison initiale.

– Il ne faut pas voir le capitalisme d’une manière mythique, lointaine et abstraite, qui nous domine de l’extérieur. Au Venezuela, c’est la bourgeoisie locale qui est instrumentalisée par l’impérialisme et qui instrumentalise les bourgeoisies d’Europe et d’Amérique à leur profit. N’oublions pas que le capitalisme est interne à chaque société. Les nomades et les sédentaires, c’est dans chaque société qu’on les retrouve.

– De fait, on retrouve le patriarcat et le colonialisme au cœur même de l’idéologie capitaliste. Lorsque les explorateurs européens arrivent en Amérique, en Afrique, en Australie ou en Asie, ce qu’ils ont demandé aux autochtones, en langue européenne, c’était si ceux-ci avaient des titres de propriété. Il n’en avait pas, donc rien n’interdisait aux conquérants de s’emparer de ces terres. Donc, c’est la loi occidentale qui est le premier instrument de la colonisation et de la conquête des territoires ancestraux. Comme les autochtones ne délimitaient pas leurs terres et ne connaissaient pas la propriété privée, les Européens se sont installés et ils ont délimité leurs propriétés pour en exclure les premiers habitants considérés comme des populations oisives. C’est le conquérant qui impose sa loi. À ce titre, le Canada est très colonialiste à l’intérieure même de ses frontières.

– Je pense qu’individuellement, nous sommes nous-mêmes capitalistes. Je regarde les maisons. Chacun possède la sienne. On double maintenant les valeurs des maisons en décrétant que le marché a monté. Finalement, nos enfants n’ont pas accès à la terre et ils n’auront pas accès à la maison non plus. On parle de décroissance, tradition et sobriété heureuse, ce serait peut-être une opposition à ce capitalisme individuel. Cela pose la question de l’avoir ou l’être. Nous parlions de l’ego, c’est un peu comme ma clôture. Plus mon ego est gros et plus je recule les limites de mon domaine. Comme cela, on finit par manquer de terrain. Ce sur quoi j’ai un pouvoir d’action, c’est mon propre nombril. Un espace comme ici c’est un endroit pour apprendre à plusieurs niveaux et le domaine de l’être c’est cette spiritualité qui a besoin d’être ontologique. Sinon nous sommes incapables de demeurer fidèles à notre action. Si nous n’avons pas de racines, à la première crue notre vouloir s’envole et nous sommes noyés. Je reconnais qu’il faut agir socialement et individuellement sans opposer l’un à l’autre. Il ne s’agit pas d’un dualisme puisque l’être est un, les divisions surviennent après parce qu’on regarde le monde avec un intellect qui morcelle. C’est toute la nécessité d’être capable de retourner au moyeu de l’être pour pouvoir percevoir cela. À ce moment, je deviens capable d’enlever ma clôture et de poser une haie que j’entretiens avec mes voisins. Nous sommes placés imaginairement dans un cosmos mort où règne la loi de la jungle. Nous sommes orphelins d’un univers qui est capable de s’occuper de tout ce qu’on sait, mais qui serait incapable de s’occuper de nous ? C’est une vision d’un monde qui est mort sur une planète où c’est la guerre de tous contre tous, la guerre du portefeuille de chacun contre celui des autres. Avec cela, c’est sûr qu’on se recroqueville sur soi. Nous n’avons pas de vision du monde, d’ontologie, et ce ne sont pas les universités qui vont revisiter ces paradigmes-là. Il faut commencer par regarder comment on regarde, puis s’étonner. Nous ne sommes pas capables de globalité avec un mental rationnel discriminatoire.

– Le problème avec la rationalité instrumentale et sa prétendue objectivité scientifique, c’est que le sujet est détaché de l’objet qu’il fragmente, se rendant lui-même insensible au processus d’autodestruction qu’il opère. Il n’y a plus de sujet, il n’y a plus que des objets qui interagissent avec des instrument qui mesurent. Cette dissociation du sujet humain en tant qu’acteur rend la vie absente du processus. Tu as raison de dire qu’il faudrait réapprendre à regarder comment nous regardons l’univers et les différents éléments qui le composent.

– Il existe un discours historique d’un indien Lakota qui effectue une critique éloquente des processus productiviste capitaliste et socialiste. Il observait comment la rationalité cartésienne extrême dans l’un et dans l’autre. Son recul culturel lui permettait d’avoir une perspective différente de celles que nous avons.
– C’est parce que la spiritualité autochtone est construite en-dehors de l’idéologie occidentale de domination de la nature. Comme nous réfléchissons à l’intérieur du système, cela nous interdit de le percevoir dans sa globalité. Ayant rejeté les différentes spiritualités des peuples autochtones comme étant arriérées parce qu’elles ne se situaient pas dans l’idéologie du progrès, de l’efficacité et de l’amélioration constante de la technologie. Eux se situaient davantage dans la permanence de l’être en symbiose avec l’environnement. Ils auraient pu continuer comme cela pendant des milliers d’années. Cette compréhension du monde qu’ont les philosophies autochtones est un regard extérieur au système de production et de consommation qui peut nous sauver en tant qu’espèce. Nous sommes prisonniers d’une façon d’être et d’appréhender le monde qui nous conduit à l’anéantissement. Cela prend un regard extérieur qui vient nous rappeler qu’on peut vivre autrement.

– Selon leur tradition, les quatre peuples, noir, blanc, jaune et rouge, ont chacun une mission à remplir au service de l’ensemble de l’humanité. Leur vision du monde est davantage circulaire que linéaire.

 

Évaluation de la soirée

– Je n’ai pas tout saisi, mais cela m’a aidé à comprendre un peu plus la Révolution russe.

– J’ai bien aimé le sujet de la soirée.

– J’ai apprécié l’introduction du début et les liens qui ont été faits. Prendre en compte l’évolution de la civilisation humaine jusqu’à la révolution.
Nous avons abordé différents aspects en lien avec le sujet qui se complétaient bien. Cela a poussé la réflexion de façon assez profonde, sous des angles assez diversifiés. J’aime cette façon de faire qui ne nous fait pas entrer dans des débats idéologiques souvent stériles. C’est plus riche.

– J’ai trouvé que Robert nous charrie d’un bout à l’autre de l’histoire en passant par les mythes de façon intéressante.

– Moi, c’est la question des sédentaires et des nomades que je retiens.

– J’ai bien aimé la présentation et les commentaires diversifiés.

– Merci pour la profondeur et la légèreté du propos avec des concepts qu’on ne voit nul par ailleurs qu’avec toi. C’est très apprécié. J’ai aimé les réflexions autour de la question des 1% qui possèdent plus que leur part.
Je pense que cela nous donne des indications pour nous diriger vers le travail collectif et individuel pour l’évolution de notre communauté.

– J’ai aimé qu’on nous fasse découvrir les archétypes du comportement humain qu’on retrouve dans la Bible et dans l’histoire en général comme le sont les sources de conflits ou de désirs. Jacques Derrida disait qu’il y avait trois catégories de personnes : Les supra-nomades qui sont les gens riches qui peuvent se permettre de voyager à leur guise, les sédentaires qui sont de la classe moyenne et envient les gens riches, et les infra-nomades c’est-à-dire les gens qui ne peuvent pas sortir de leur région mais qui ne possèdent pas suffisamment pour avoir un abris ou une maison, c’est-à-dire les sans-abris, les itinérants et les réfugiés. Eux vivent une forme de nomadisme ancien, mais involontaire. C’est parce qu’ils sont trop pauvres qu’ils sont nomades.

– Mon impression, c’est que le sujet abordé est tellement vaste que j’ai eu l’image d’un groupe de personnes avec des bandeaux sur les yeux, assemblées autour d’un pachyderme qui s’appelle le communisme avec 150 ans de marxisme. Alors certains décrivent une patte, d’autre la trompe, ou la queue, mais personne ne possède la vision globale de l’animal. Autrement dit, nous n’avons fait qu’effleurer le sujet. Merci Robert de nous avoir introduit au sujet.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la Révolution n’est qu’un moment de notre histoire et de notre quête du salut, de comment organiser un monde meilleur. À l’époque, ces événements ont été perçus comme quelque chose d’extraordinaire. Tous les prolétaires du monde étaient émerveillés. Dans tous les pays, il s’est formé une kyrielle de partis communistes avec beaucoup d’espoir et de nombreux gens qui étaient prêts à donner leur vie pour la révolution. Je fais parti de ces gens là parce que dans les années 1970, on croyait au maoïsme qui devait renouveler l’idéologie communiste. Puis, nous nous sommes ouverts les yeux. Nous ne pouvons rester toujours les yeux fermés. Je suis très content du déroulement de la soirée puisque je souhaitais que nous ayons le temps de débattre. Je ne voulais pas donner un cours. Simplement lancer quelques pistes de réflexion et quelques trucs comme mon idée d’économie du salut. Cela permet de situer spirituellement la Révolution russe à travers l’histoire. C’est une histoire qui commence avec les Livres saints et qui se poursuit encore. Avec le marxisme, ce salut a été ramené sur Terre. Autrefois, on le concevait comme se situant au-delà de la mort, c’est ce qu’on appelle l’eschatologie, et la variante laïque de cela est l’utopie. Alors, il s’agit toujours de sauver le monde, c’est une tâche que nous avons toujours à refaire, et en sauvant le monde, on se sauve soi-même. Les deux sont étroitement reliés. Si nous sommes dans un processus honnête de changer le monde, on se change soi-même. Et si on ne change pas soi-même, nous allons finir comme Staline parce qu’alors c’est uniquement notre conception égoïste du monde qui va prévaloir. Les autres ont tord et c’est toujours moi qui ait raison. C’est ce que Rosa Luxembourg dénonçait. Un groupe d’hommes qui se réunissent et qui décident tout pour les autres. Ce fut la première critique de la Révolution de 1917. Robert Lapointe


 

Révolution russe : chronologie

La Russie est fragilisée avec la première grande guerre mondiale contre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’empire Ottoman à ses frontières. Douze ans plus tôt, une tentative de révolution avait échouée à la suite de la défaite humiliante de la Russie contre le Japon lors de la guerre russo-japonaise de 1904-05; elle y perdit la Mandchourie (nord-est de la Chine actuelle). Notons la très grande concentration de la classe ouvrière russe que radicalisent les organisations de gauche et le très grand parasitisme des classes nobles et du clergé. La bourgeoisie est coincée entre ces classes parasitaires et la classe ouvrière. La société civile est embryonnaire, avançant en ordre dispersé.

23-27 février (8-12 mars selon notre calendrier) 1917. Les ouvrières du textile de Vyborg (banlieue ouvrière de Petrograd, nom depuis 1914 de St-Petersburg),à l’occasion de la journée internationale des femmes, protestent contre le rationnement du pain Elles sont rejointes par les 150 000 ouvriers de la ville. La répression fait une centaine de morts et provoque des mutineries. Soldats et ouvriers se procurent des armes et occupent des points stratégiques de la ville.

Le 27 février (12 mars). Un comité provisoire se forme après entente entre libéraux et socialistes.Formation du premier soviet de Russie à Petrograd.

Le 2 mars (15 mars), Nicolas II abdique en faveur de son frère qui en fait autant.

Mars et avril. Le premier gouvernement provisoire adopte des mesures respectant des libertés fondamentales dont le droit à l’autodétermination de la Pologne et de la Finlande, mais décide de poursuivre la guerre. Plus de 600 soviets de soldats, d’usine, de quartier se constituent dans tout de pays. 150 000 désertions.

4 (17) avril. Lénine, de retour d’exil, propose trois mots d’ordre : À bas la guerre! À bas le gouvernement provisoire! Tout le pouvoir aux soviets!
Avril.Manifestations contre le gouvernement provisoire.

5 mai.Second gouvernement provisoire avec quelques anciens dirigeants socialistes du premier sovietde Petrograd.

18 juin (1ier juillet).L’offensive russe s’enlise. Le 2 (15) juillet, les empires centraux lancent une contre-offensive victorieuse.

3-4 (16-17) juillet. Les marins de Cronstadt (ile près de Petrograd) déclenchent une insurrection populaire. La répression oblige Lénine à fuir en Finlande.

27 août (9 septembre). Tentative de putsch militaire mis en échec par les comités d’usine et les syndicats. Popularité des bolcheviks. Les libéraux (KD, dits cadets) en chute libre.

Fin août. Début d’une grande révolte contre les propriétaires terriens.

9 (22) septembre. Élections : les bolcheviks majoritaires dans presque tous les soviets industriels du pays.
25 octobre (7 novembre). Prise du Palais d’hiver et des principaux centres du pouvoir par les bolcheviks qui forment un nouveau gouvernement. Annonce dès le lendemain d’une paix séparée avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie et de l’abolition de la grande propriété.

12 (25) novembre. Les SR (socialistes révolutionnaires) gagnent les élections de l’Assemblée constituante.

15 (28) novembre. Reconnaissance du droit des peuples à l’autodétermination. Presque une dizaine de nations proclament leur indépendance.

7 (20) décembre. Création de la Tcheka, police politique du régime, qui deviendra plus tard le KGB.

Fin décembre. Constitution d’une armée contre-révolutionnaire.

5 (18) janvier 1918. Lénine, à la tête du gouvernement bolchévique, dissout l’Assemblée, dominée par les SR, au profit du Congrès des soviets.

3 mars (le 31 janvier, la Russie rejoint notre calendrier).

Traité de Brest-Litovsk, paix séparée avec l’Allemagne et l’Autriche. Perte importante de territoires et de populations.

Mai-juin. Réquisition de blé et nationalisation d’entreprises.

Août. Intervention étrangère pour soutenir les Blancs. Pays impliqués : Tchécoslovaquie, Royaume-Uni, Japon, Grèce, Pologne, États-Unis, France, Canada, Estonie, Serbie, Roumanie, Italie, Chine, Australie. L’Armée rouge, créée par Trotski, remporte plusieurs victoires. En novembre 1920, les contre-révolutionnaires fuient vers Istanbul. Certains résistent jusqu’en 1922 en Extrême-Orient.
30 août. La SR Fanny Kaplan tente d’assassiner Lénine.
Par la suite, répression, purge dans le Parti, économie communiste de guerre, révolte d’ouvriers, de soldats, de paysans. Le Parti écrase chaque secteur de la société civile un par un. En mars 1921, il lâche du lest : la NEP, nouvelle politique économique, réintroduit des éléments de l’économie de marché. Staline devient secrétaire général du Parti le 3 avril 1922. Lénine tombe malade à la fin de l’année et meurt le 21 janvier 1924.

Chronologie résumée du Monde Diplomatique d’octobre 2017.

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