#281 – Dans une société à échelles sociales…

Dans une société à échelles sociales faire des liens entre pauvreté et inégalités

# 281 – Compte-rendu de septembre 2017

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 Rencontre avec Vivian Labrie, le 14 septembre 2017

Qu’est-ce qui s’en vient cet automne en lien avec la pauvreté ? VL

Le projet de loi 70 et les fameux règlements pour la réforme de l’aide sociale.

Le plan de lutte à la pauvreté du gouvernement du Québec devrait sortir cet automne.

Le 17 octobre, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté

Le 28 septembre, le gouvernement fédéral tiendra une journée nationale sur la pauvreté.

La Nuit des sans-abris, le 20 octobre.

Danger de privatisation du transport en commun à travers des partenariats publics privés.

Moi, c’est au niveau de la perception richesse-pauvreté. On a nommé beaucoup de chiffres des choses qui nous préoccupent, les récentes données de Statistiques Canada et aussi l’augmentation de la valeur du dollar, les taux d’intérêts, les élections municipales. Ce sont toutes des choses qui peuvent influencer et tasser la perception de la pauvreté. Le Québec serait la neuvième province au Canada selon les revenus des ménages. 60 000$ par année, cela joue sur la perception d’ensemble qui finit par croire qu’il n’y a pas de pauvres au Québec.

 Vous savez c’est quoi le revenu médian ? Ce n’est pas la moyenne. Si on prend le revenu de chacun dans cette salle et qu’on les place en ordre croissant ou décroissant, le revenu médian ce serait celui du milieu. Alors que le revenu moyen, c’est la somme de tous les revenus divisés par le nombre de personnes présentes. Cela fait une bonne différence. Vivian Labrie (VL)

C’est quand même préoccupant comme situation pour le Québec.

Le Revenu minimum garanti revient à l’agenda cet automne avec le dépôt d’une étude économique sur la question.
Au Québec, c’est un groupe de travail, alors qu’en Ontario, ils sont rendus à un projet pilote de revenu minimum garanti dans trois villes différentes qui durera trois ans. Ce qui est intéressant, c’est que le revenu minimum accordé est bien plus élevé que le chèque d’aide sociale. Il représente 1 250$ par mois ou 15 000$ par année. Cela met la barre haute pour le Québec. Si nous revenons à l’image du début, j’aimerais vous entendre là-dessus. Quels sont les liens avec ce que nous venons de dire. VL

Pourquoi as-tu mis des chaises alors que le titre parle d’échelles sociales ?

Il y a une chaise qui a deux pattes dans le trou. Celui qui va s’assoir sur cette chaise va se sentir précaire. Il est pas chanceux.

Il y a des index qui pointent des gens. Stigmatisation des gens. C’est de la sémiotique qu’on fait.

Je vois le monsieur sur le palier qui descend un escalier comme si ses revenus diminuaient.

L’index au-dessus de la tête comme un épite Damoclès. Le lien que je fais, cela peut être individu qui est visé par les enjeux de la pauvreté. C’est peut-être un premier demandeur d’aide sociale.

Qu’est-ce que le mot sémiotique veut dire ?
C’est l’interprétation des signes. C’est vrai que c’est ce que nous sommes en train de faire. VL

L’ensemble me fait penser à la stigmatisation envers les personnes en situation de pauvreté, versus l’écart entre le riche et le pauvre, la force et la faiblesse.

Il y a plus de personnes qu’il n’y a de chaises. C’est un jeu de chaise musicale. Il n’y a pas de place pour tout le monde.

En plus de la chaise qui a deux pattes dans le vide, il y en a une qui est sur le bord du trou.

Il n’y a pas de bonnes réponses à cet exercice.

Pourquoi cette image ? J’avais préparé une lettre pour la commission parlementaire qui étudiait le projet de loi 70. J’avais pensé l’illustrer avec ça et pour toutes sortes de raisons, j’ai mis autre chose. Quand Yves m’a demandé une image pour l’affiche, je lui ai envoyée. Et pourquoi des chaises au lieu d’échelles ? C’est que dans notre société, cela fonctionne comme un jeu de chaises musicales. S’il n’y a pas assez de chaises pour tout le monde, c’est certain qu’il y en a qui ne pourront pas s’assoir. C’est comme si la réponse de la société était entraine-toi pour pouvoir prendre une chaise, mais est-ce qu’on pourrait mettre plus de chaises aussi ?

Donc, c’était intentionnel. Autre chose que j’aperçois avec cette question là, c’est que dans notre société on ne la voit pas l’échelle sociale. Cela prend des chiffres, des statistiques et des recherches, pour pouvoir voir comment le monde s’étage. Au quotidien, on se rencontre dans la rue et on circule, et on ne peut pas savoir le revenu des gens en observant leur habillement. L’autre chose que j’aimerais amener, et cela nous ramène aux enjeux de l’automne, je pense que cela ne sert pas à grand-chose de lutter contre la pauvreté si on ne s’occupe pas des inégalités. C’est une façon de voir notre société. Il y a une partie de la pauvreté qui est programmée par le dysfonctionnement du système. Si ta société joue à la chaise musicale, tant que tu ne changes pas le jeu, cela va demeurer compliqué. Ici, nous avons des chaises en trop, c’est plus agréable pour tous. Ce soir, je vais juste essayer d’illustrer cela ressemble à quoi lorsqu’on met des bonhommes en ordre.

De 2010 à 2014, nous avons fait un carrefour de savoir avec une gagne au Lac-Saint-Jean et on se disait que le produit intérieur brut était un peu comme le nord magnétique, il est aimanté vers les plus riches et vers la production. Mais à quelque part, comment on fait pour avoir un nord comme du monde et pour tout le monde?
L’image de la boussole avait été utilisée. Un nord qui vaille la peine pour notre société. Si le nord de notre société est le produit intérieur brut, cela ne nous donne aucune indication sur les inégalités.

J’avais mis comme objectif de la soirée : a) Faire des liens entre pauvreté et inégalité. Cela n’a pas été trop difficile; b) Croiser nos savoirs sur nos solidarités à développer vers plus d’égalité, ce sera après la pause; c) Les enjeux relatifs à cet automne, nous l’avons fait avec la question au début.

Le programme objectif emploi est pour les personnes qui demandent l’aide sociale pour la première fois. Le gouvernement leur impose trois chemins : 1) retour aux études, 2) recherche d’un emploi, 3) ou adhésion à un programme d’acquisition des habilités sociales. Admettons que ton projet ce serait de faire une production artistique pendant une année ou un projet de démarrage d’entreprise, ce n’est pas dans les trois chemins que je viens de vous dire. VL

Qu’est ce que cela veut dire habiletés sociales ?
Je ne sais pas comment cela sera défini. Tu es obligé de choisir l’une de ces trois voies et si tu le fais tu vas avoir un supplément qui ne couvre pas nécessairement tes besoins de base. Si tu refuses, tu as des sanctions sur les prestations qui nous ramènent aux pénalités qu’il y avait avant 2005. C’est pour cela que nous avons voulu avoir une loi sur la pauvreté en 1998. C’est à cela qu’on revient. VL

C’est juste pour les nouveaux demandeurs ?

Oui, mais cela crée un précédent. Nous avions gagné un revenu de base inconditionnel si je peux dire. C’est-à-dire que le gouvernement ne pouvait pas couper en bas d’un certain montant à moins d’avoir commis une fraude. Ça a été voté l’an passé et le règlement est sorti le 12 juillet. Et le gouvernement nous donne 60 jours pour répondre. Pendant l’été, cette bataille, on l’a perdue. VL

Oui, mais dans le processus démocratique qu’est-ce que cela change que cela soit l’été ?

Cela change que les groupes sont en vacances et qu’il est plus difficile de mobiliser le monde. Dans une société pleinement participative, il n’y aurait pas ce problème. Souvent le gouvernement utilise cette tactique pour passer les affaires difficiles. Ensuite, les recommandations du groupe de travail sur le revenu minimum garanti, c’est à venir, mais cela fait plusieurs années que le gouvernement y songe. Il faut se demander où cela nous conduit? L’aide sociale est une forme de revenu minimum garanti. Autrement dit, il y a toutes sortes de formules derrière cette appellation. Cela pourrait être une allocation universelle que l’on récupère dans l’impôt. Cela pourrait être aussi comment on comprend notre système de protection du revenu, mais on le garantit. Ce que cela nous amène à penser, et qu’il faut surveiller, c’est que le plus bas que tu peux avoir si tu refuses le programme actuel, c’est 404$ par mois. C’est moins que 628$. Alors si la stratégie est de baisser le plancher inconditionnel pour éventuellement avoir un système de revenu garanti où en-haut de 404$ par mois, le gouvernement pose ses conditions ? Alors, il faut suivre ce que prépare le gouvernement. VL

Moi, j’ai l’impression que cette mesure est pour dissuader ceux et celles qui peuvent avoir des économies, une maison ou du soutien familial, de se présenter à l’aide sociale. C’est très dissuasif. Cela va mettre du monde en situation très précaire.

En Angleterre, ils ont fait un film sur la pauvreté qui s’intitule : « Moi, Daniel Blake ». Cela mérite d’être visionné parce que cela nous donne une idée de l’idéologie où toute la faute est mise sur les personnes et où cela nous conduit comme société. C’est très dur à voir en passant. En même temps, il y a beaucoup de solidarité dedans. Cela pourrait même être un beau film pour une rencontre du CAPMO.

Il a été à Cannes il y a deux ans, c’est un film de Ken Loach.

Le revenu minimum garanti est à l’étude par un groupe de travail et la Chaire sur la fiscalité dirigée par Luc Godbout.

Le revenu minimum garanti serait pour tout le monde, accordé sans conditions pour éviter que les gens soient victimes de préjugés. L’idée étant qu’on le reverse à l’impôt en tenant compte de nos gains annuels.

C’est plus compliqué que ça. Ce que tu décris cela s’appelle l’allocation universelle. Il existe différentes formes de revenus minimum garantis à l’étude, le crédit de solidarité par exemple est une forme de revenu minimum garanti. C’est comme la tourtière et le pâté à la viande, il y a plusieurs hypothèses qui circulent. Cela dépend beaucoup de qui est-ce qui donne la définition. Il y a une autre formule qui dit, comme en Ontario, : « On te garantit que tu vas avoir au moins tant d’argent pour vivre et ce que tu ne gagnes pas, tu vas le recevoir sous une autre forme, par remboursement d’impôt ou crédit de solidarité. » C’est sûr que nous avons des raisons d’en parler cette année, mais ce n’est pas l’objectif de la soirée. La prochaine mouture du plan d’action requis par la loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale est le résultat de la lutte que nous avons menée il y a vingt ans, mais ce n’est pas ce que nous demandions à l’époque. Je pense qu’ils attendent le rapport du groupe de travail sur le revenu minimum garanti avant de procéder. C’est la troisième mouture du plan d’action. Le plan est permanent, mais on ne sait pas quelles seront les mesures annoncées et quelles vont être les impacts pour le financement de l’aide sociale, le financement des groupes et les responsabilités des uns et des autres. VL

Il y a des enjeux régionaux et locaux aussi. Qu’est-ce que le gouvernement garde comme responsabilité ? Qu’est-ce qu’il donne à d’autres ? Par exemple à Lebel-sur-Quévillon, ils ont eu une alliance avec le fonds d’initiatives sociales, alors il y a tout un arrimage qui doit être fait. Cela mérite d’être étudié. C’est la troisième fois, mais on sent le gouvernement s’éloigner de l’esprit de départ de la loi. VL

En rapport avec cette réflexion, il faudrait penser à l’économie sociale et à l’emphase que le gouvernement tente de mettre là-dessus comme substitut de service public.

C’est une question qui est là depuis longtemps et qui pose à nouveau la question de comment on veut vivre ensemble ? Ensuite, il y a la stratégie de lutte à la pauvreté que le gouvernement fédérale souhaite mettre en place. Jean-Yves Duclos est le ministre de la famille et du développement social. Il a fait une tournée de consultations publiques à travers le Canada. Il était à Québec le 29 juin. Une chose que nous avons gagnée, c’est que des personnes qui vivent la pauvreté soient invitées à y réfléchir. Par contre, une chose qui est surprenante, c’est qu’il n’est pas question d’inégalité là-dedans. C’est étonnant qu’une consultation d’une telle qualité n’adresse pas les questions d’escaliers, d’inégalités ou de disparités de niveaux de vie? VL

Parler d’inégalité, c’est politiquement explosif. Il est beaucoup plus facile de parler d’élimination de la pauvreté sans la réaction des riches et des privilégiés qui n’acceptent pas d’être mis en cause.

Je pense que c’est tout à fait juste, et c’est seulement quand on l’amène, qu’on aperçoit des différences. C’est ce que j’aimerais vous montrer si on intègre la question des inégalités à cette problématique. Sinon, il est difficile de décoder qu’un médecin, par exemple, dise qu’il voudrait pouvoir s’incorporer pour avoir davantage de revenus ou un chef d’entreprise se plaindre que le gouvernement fédéral va tuer les petites et moyennes entreprises parce qu’il lui interdirait de répartir ses revenus en versant un salaire à sa femme et à ses enfants. Autrement dit, les gens qui font les débats (les journalistes entre-autres) sont situés dans l’échelle sociale. Si on oublie cela, tout devient égale par ailleurs. J’ai des graphiques à vous montrer et on va voir où cela nous conduit. Tout ceci se passe 20 ans après une aventure dont le CAPMO a été partie prenante. Cela fait 20 ans, cet automne, qu’il y a eu le Parlement de la rue. On a quand même fait du chemin et le chemin devant nous dépend de ce qu’on vient de se dire. Peut-être que pour avancer, il faut apprendre à relier les inégalités entretenues et reproduites par nos façons de vivre ensemble et se demander comment on pourrait se retrouver davantage au milieu dans du bien-vivre partagé? VL

Quel montant faut-il par semaine à une famille de quatre personnes pour se nourrir adéquatement ? Selon la mesure du panier de consommation, ce serait 218$ par semaine à Québec et à Montréal, ce serait 244$.

Quel montant annuel faut-il à cette famille de quatre personnes pour couvrir ses besoins de base après impôts ?

 Pour Québec, selon la MPC, mesure du panier de consommation, ajustée à 2016, il s’agit de 37 000$.
Il y a cinq items dans la mesure du panier de consommation :
11 000$ pour la nourriture
2 000$ pour les vêtements, (ce n’est pas énorme pour quatre personnes).
8 385$ pour le logement
2 909$ pour le transport
9 997$ pour les produits d’hygiène, internet, le téléphone et tout le reste.

Il faut dire qu’il y a environ 7% à ce niveau de revenu qui ne est pas pris en compte: Les soins de santé non-assurés, les frais de garde, le dentiste, les lunettes, les frais professionnels. VL

Lors de notre enquête conscientisante, nous avons calculé que les dépenses estimées pour le transport en commun étaient insuffisantes et ne permettaient pas d’acheter des passes mensuelles d’autobus pour 12 mois.

On comprend qu’avec ce montant là les familles et les personnes ne sont pas encore sorties de la pauvreté. Il faut faire une différence ici entre couvrir les besoins de base et sortir de la pauvreté. Pour une personne seule, il faut diviser par deux le revenu nécessaire à une famille de quatre personnes. Donc, à Québec, en 2015, cela prend environ 18 487$ par année. Avec ce revenu, tu ne sors pas de la pauvreté. Tu dois calculer serré. Si on parle du salaire viable pour une personne, on parle davantage de 23 000$ à 24 000$ par année, après impôts. C’est l’idée du salaire viable de l’IRIS. Nous n’avons pas cette mesure-là. Nous allons travailler à partir de la MPC ce soir. VL

Il y aussi l’endettement des familles qui n’est pas inclus là-dedans comme le remboursement des prêts étudiants et les frais de carte de crédit qui peuvent rapidement devenir un revenu de —5 000$ par année.

La MPC est la mesure que nous utilisons depuis 2009 pour suivre la couverture des besoins de base par année. En 2016, Simon Tremblay-Pépin, qui était alors à l’IRIS a étudié les bases de données sur l’Enquête sur les dynamiques de travail et de revenus (EDTR) menée par Statistique Canada jusqu’en 2011.

« On s’est posé la question suivante : Nous vivons dans une société riche. Pourtant des gens n’ont pas assez pour couvrir leurs besoins de base et se retrouvent ainsi en déficit humain. Si ce manque de revenu est un emprunt invisible à la qualité de vie et à l’espérance de vie de plus pauvres, de combien est cet emprunt ? » IRIS

« Nous avons utilisé la Mesure du panier de consommation (MPC) comme «ligne» de référence pour «suivre les situations de pauvreté du point de vue de la couverture des besoins de base. » Vivian Labrie

 S’il y avait quelque chose sur ce que je voulais amener sur les inégalités, c’est que si nous prenons la MPC dont nous avons parlé ce soir, dont le montant varie selon la taille de la famille et si nous considérons les revenus après impôt de tout le monde, nous avons les moyens d’assurer les revenus de deux fois le seuil de la MPC à tout le monde ou deux paniers de consommation par personne. Pourtant, le dixième le plus pauvre des ménages a moins d’un demi-panier. Une personne seule gagne à l’aide sociale un revenu d’environ 8 000$ à 9 000$ par année. Une personne sur dix n’a pas les revenus nécessaires pour couvrir ses besoins de base selon la MPC. En 2011, combien il manquait au Québec ? Le revenu total du Québec après impôt était de 191 milliards de dollars. C’est une partie du PIB. C’était le revenu qu’il restait après impôt pour vivre ensemble. Il ne manquait que 3.6 milliards de dollars par année pour couvrir les besoins de base de tous et de toutes. Cela représente moins de 2% de 191 milliards. Cette proportion n’a pas vraiment changé depuis. Ce qu’il manquait aux plus pauvres pour couvrir leurs besoins de base, était contenu cinq fois dans l’excédent des revenus entre le neuvième et le dixième le plus riche des ménages. Ce qu’il manquait cruellement aux uns, était contenu cinq fois plus dans l’excédent des plus fortunés. VL

 Le Québec est comme un autobus de 40 places, dans lequel il n’y aura que 20 personnes. Il est à moitié plein, mais toutes les places sont occupées. Dans cet autobus, il y a des gens qui occupent trois, voire quatre places, alors que d’autres sont debout la moitié du temps.

La plupart ont une place, une place et demie ou deux places. Comment cela se fait que nous sommes dans cette société-là ? Comment est-ce qu’on peut bouger ? C’est ce que nous avons obtenu comme résultat. Ce n’est pas très connu encore, mais ce sont des chiffres qui m’ont frappée. Tout cela est relié à des disparités importantes de niveaux de vie. Par ailleurs, au Québec, depuis l’instauration d’un programme d’aide sociale en 1970, la couverture des besoins de base a diminué au cours des ans. À chaque fois que cela a baissé, c’était en lien avec l’incitation à l’emploi. En même temps, il y a le régime québécois du soutien au revenu. Nous sommes chanceux d’avoir ces données qui sont produites par le ministère des Finances, mais elles ne permettent de se situer dans des catégories de même dimension. Ce que je veux vous montrer, c’est comment cela s’étale du dixième les plus pauvre des ménages au dixième le plus riche. C’est pour vous donner une image de ce que cela donne lorsque nous mettons les gens en ordre selon leur revenu. Ce résultant peuvent être trouvés sur le site de l’IRIS (Institut de recherche et d’information socio-économique). Le document s’appelle : Le déficit humain imposé aux plus pauvres. VL                             

  http://iris-recherche.qc.ca/

Avec ce tableau, je veux vous monter le niveau de revenu évalué en terme de paniers de consommation. De 2002 à 2011, le ménage le plus pauvre devait vivre avec un demi panier de consommation. Au décile 6 on atteignait deux paniers, ce qui équivaut à 74 000$ après impôt pour une famille de quatre personnes. Nous aurions les moyens que tout le monde soit là. Le neuvième le plus riche est plus autour de trois paniers de consommation et le dixième le plus riche fluctue entre quatre et quatre paniers et demi.

Quelqu’un a parlé du produit intérieur brut, mais c’est compliqué à analyser parce que cela comprend les revenus et les dépenses des ménages, des entreprises et du gouvernement. Et le revenu que nous avons après impôt pour vivre, ça en fait partie. Le PIB équivaut, grosso modo, à 300 milliards de dollars pour le Québec. La partie de cela pour que les personnes vivent, après impôts, en 2011, c’était 191 milliards de dollars par année. Si nous regardons maintenant un graphique qui illustre en dollars constants la progression des revenus, qu’est-ce qu’on peut apercevoir, c’est que le revenu global a progressé. Même en tenant compte de l’augmentation de la population entre 2002 et 2011, le niveau de vie des Québécois a augmenté. Le travail que nous avons fait avec l’IRIS a été de répartir ce revenu global selon la mesure du panier de consommation, MPC. Autrement dit, qu’est-ce qui dans le 191 milliards couvrait les besoins de base dans la mesure du panier de consommation, qu’est-ce qui dépassait de cela et qu’est-ce qu’il manquait ? Je vais vous montrer ce que cela donne.

Sources :
Tremblay-Pepin, S., et Labrie, V. (2016). Le déficit humain imposé aux plus pauvres. Note socioéconomique. Montréal: IRIS. Voir http://iris-recherche.qc.ca/publications/deficit-humain

Labrie, V., et Tremblay-Pépin, S. (2016, 2016-03-21). Les niveaux de vie décile par décile : des différences énormes. Voir http://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-niveaux-de-vie-decile-par-decile-des-differences-enormes

 C’est le même graphique, mais on le décompose dans ses morceaux. Dans le 191 milliards, nous sommes capables de voir la partie qui servait à un panier. Le produit intérieur brut ne montre jamais ce qu’il manque pour payer des besoins essentiels non couverts. La partie du déficit humain, ce que les plus pauvres paient par leur santé et leur espérance de vie diminuée, les formations auxquelles ils n’ont pas accès, etc. Avec notre manière de travailler, ce déficit devient apparent,(on peut trouver ces données dans le billet suivant :
Labrie, V., et Tremblay-Pepin, S. (2016, 2016-03-21). Les niveaux de vie décile par décile : des différences énormes.

Voir http://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-niveaux-de-vie-decile-par-decile-des-differences-enormes.

On s’aperçoit également que la situation empire de 2002 à 2011. Le rouge indique le revenu qui sert à couvrir les besoins de base selon la MPC, (le revenu qui manque est en rouge plus foncé), le vert indique ce qui excède le seuil de la MPC et le jaune est une ligne imprécise qui dépend de trop de facteurs pour être indiquée précisément, le seuil de sortie de la pauvreté. Ce sont des outils d’éducation populaire pour le travail citoyen de lutte à la pauvreté.

Quel est le raisonnement qui a permis d’imaginer cette manière innovante de mesurer et d’illustrer la pauvreté sous la forme du manque à gagner comme déficit humain que la société emprunte aux plus pauvres ?

L’expression « déficit humain » est apparue parce que Centraide a fait un travail sur cela en 1998. Nous autres, avec le Carrefour de savoir sur les finances publiques, nous avions inventé le terme : « Dépense intérieure dure » : quand l’argent n’est pas là, on emprunte dans notre espérance de vie. Alors, quand j’ai parlé avec Simon Tremblay-Pépin, j’ai demandé : « Qu’est-ce qui manque pour que tout le monde ait au moins la base ? » C’était notre question de départ. Nous avons ensuite réalisé que cela ne suffisait pas d’aller chercher ce qui manquait. Il fallait aussi aller voir ce qui dépassait et voir où se situent les gens là-dedans. Il ne suffisait pas de dire qu’il manque 3.6 milliards, mais comment est-ce que cet argent est réparti ? C’est comme cela que de fils en aiguilles, les idées se sont rassemblées à travers nos discussions.

Les choses auraient pu être différentes si la gouvernement avait plafonné les revenus des plus riches au lieu de faire des baisses d’impôts, sans leur faire perdre leur pouvoir d’achat, en investissant ce qui serait dégagé comme marge de manœuvre dans l’aide aux plus pauvres. Autrement dit, répartir la richesse. Il y aurait eu de l’argent plus que nécessaire. Il en aurait resté puisqu’on aurait pu couvrir tout ce qui manque, et il y en aurait resté pour répartir ailleurs. Quand nous disions que l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre passe avant l’amélioration du cinquième le plus riche, la recherche démontre que cela aurait pu être fait entre 2002 et 2011. Donc, avec les graphiques nous apercevons que le dixième le plus pauvre n’a pas la moitié des revenus nécessaires pour couvrir ses besoins de base. VL

 Au second décile, on commence à s’en sortir. Au troisième décile, on parvient à combler des besoins non compris dans le panier. Au sixième décile, on obtient un niveau de vie confortable. Les dix tableaux illustrent la répartition des revenus dans notre société selon les besoins de base. C’est l’image de notre société qui permet une grande disparité des revenus et des niveaux de vie. Ces chiffres n’ont jamais été présentés comme cela, et c’est pas mal plus dérangeant. Ce ne sont pas des choses qui ont beaucoup circulé, mais cela permet de faire le lien. Comme cela, on ne peut pas juste parler de la pauvreté, il faut en parler en tenant compte de l’ensemble des revenus disponibles dans la société. VL

L’autre tableau que je veux vous monter, c’est la preuve de l’aide sociale qui couvre moins bien les besoins de base des prestataires. Labrie, V. (2016).

La hauteur de la barre à l’aide sociale. Quelques jalons de 1969 à aujourd’hui. Montréal: IRIS.

Voir http://iris-recherche.qc.ca/publications/pl70-doc-de-reflexion

Ce tableau illustre la perte du pouvoir d’achat des personnes recevant des prestations d’aide sociales de 1970 à 2016, en dollars constant. On parle d’une prestation d’une personne dite apte au travail. « Une personne à l’aide sociale vit au dollar près, alors que le gouvernement nous poursuit au dollar près, » Jacques, 2004. En gris, c’est le montant alloué, en noir, c’est la valeur de ce dollar aujourd’hui. On peut avoir l’impression que cela a toujours monté un peu, mais si on les met en valeur de 2016, on apprend que ce n’est pas le cas. Le montant de 1970 en dollars de 2016 vaudrait plus de 1000$ par mois, pas 628$. Comment cela se fait-il que dans notre société, peu à peu, le montant qu’on alloue aux personnes qui demandent de l’aide de dernier recours, ait baissé alors que le nombre de gens recevant de l’aide à diminuer ? Ces montants n’ont pas été indexés pendant de nombreuses années. À un certain moment, cela a été ajusté pour faire une distance avec le salaire minimum, à un autre, on a diminué les allocations des plus de 30 ans pour éliminer une discrimination ave les moins de 30 ans. Ensuite, il y a eu le barème disponible et non disponible à l’emploi qui a été éliminée en baissant le revenus de ceux et celles qui se disaient disponibles à travailler.

 Autrement dit, la prestation était pénalisée, et c’est celle-là qui n’a pas été indexée, puis elle a été à demi-indexée, ce qui fait qu’elle a perdu peu à peu de sa valeur. Selon la Mesure du panier de consommation pour l’année 2011, le seuil de couverture des besoins de base pour une personne au Québec se situe au-dessus de 18 000$/année. Si la prestation était demeurée au même ratio qu’en 1970, plus les crédits de solidarité et de TPS, le plus bas revenu que nous aurions au Québec, c’est 14 000$ pour vivre, alors qu’actuellement c’est près de 9 000$. Dans les années 1980, le ministère avait ses propres critères de couverture, il y avait un critère restreint, un critère moyen et un critère large. Si on ramène cela en dollars de 2016, on s’aperçoit qu’à partir du moment où a été enlevé le barème disponible, le gouvernement a cessé de respecter même son critère le plus bas dans les années 1980. C’est notre histoire. Alors que la Loi sur la pauvreté et le Comité consultatif disent que la prestation de base devrait s’en aller vers 1 000$ et plus de revenu disponible par mois, la tendance est inverse. Cela demeure à suivre avec le prochain plan d’action de lutte à la pauvreté que le ministre est sensé présenter cet automne. En fait, si on ne s’occupe pas des inégalités, nous avons des problèmes d’échelle. VL

 


Après la pause

À l’ADDSQM, nous sommes en train de faire le constat suivant à propos des règlements de la nouvelle loi qui s’applique à l’aide sociale pour les premiers demandeurs. Nous avons l’impression de revenir en arrière comme en 1975. On avance pas, on recule. Au lieu d’aider les gens à s’améliorer et à progresser, on les confine à la misère.

Cela nous ramène à l’esprit de 1998.

Cela me fait penser au programme extra qu’il y avait dans les années 1990. Cela va prendre des intervenants pour les aider à cheminer au niveau de l’emploi et ces postes ont été coupés.

En fait, ce qu’on peut se dire sur cette question-là, c’est que les premiers mois à l’aide sociale, sont les mois où tu as le plus de chance de t’en sortir. C’est drôle que le gouvernement au lieu d’appuyer les gens pour qu’ils s’en sortent, les pénalise. Il ne favorise pas une créativité dans leurs efforts pour qu’ils puissent partir de là où ils sont. C’est comme si le gouvernement disait qu’il va prendre le crédit, tout en forçant les gens à aller dans les chemins où il veut qu’ils aillent. C’est la différence entre le droit à une mesure et l’obligation à une mesure. C’est une forme d’ingénierie sociale.

Pour faire suite à ce que nous avons dit avant la pause, comment on part d’une société construite sur les inégalités, pour s’en aller vers une société plus équitable ? Qu’est-ce qui peut nous amener à plus de dialogue, à plus d’égalité et à une meilleure solidarité entre nous ? La question est posée. Quand on veut s’attaquer à la pauvreté sans regarder l’ensemble de la société avec ses inégalités, on ne trouve pas de solution. Comment est-ce qu’on peut faire pour que la société et les décideurs aillent vers un autre regard sur la pauvreté ? VL

Au départ, je dirais qu’il s’agit d’une question éthique. Il faut apprendre à considérer l’autre qui a besoin du nécessaire pour vivre. Pour cela, il faut être assez empathique pour être capable de se mettre à la place de l’autre afin d’avoir une véritable compassion active. Comme Lula l’a démontré au Brésil en aidant le quintile le plus pauvre de la population, c’est toute la société qui s’enrichit et le quintile le plus riche a même bénéficié de ce nouveau marché de consommateurs. Cela prend une redistribution de la richesse pour compenser la concentration qui opère de manière presque automatique sans l’intervention de l’État.

Toi ta piste, c’est pouvoir se mettre à la place de l’autre ?

Oui, mais c’est aussi comprendre l’économie comme quelque chose qui croit et qui ne diminuera pas parce que nous partageons la richesse. En fait, si plus de gens ont les moyens, il va y avoir plus d’argent qui va circuler. La croissance ne se fait pas en réduisant le fardeau fiscal des plus riches. C’est un mythe.

On peut en effet se poser la question de quelle croissance s’agit-il ? Qu’est-ce qui doit croître ?
Ce qui doit croître, c’est ce qui est à l’intérieur de nous, ce qui est permis. Chacun doit croître intérieurement pour éprouver la densité existentielle de ce qu’est une société comme quelque chose de vivant. Si on rate cela, nous perdons notre humanité. Ce n’est pas égoïste d’être en soi, de s’appartenir. C’est tellement difficile d’être à soi, ce qui permet de se concentrer et d’avoir une curiosité qui nous amène à découvrir des choses. On voit des beautés, des choses moins belles, on passe de l’une à l’autre et il ne faut pas pleurer. (Ronald exprime l’aspect qualitatif de la vie inclusive de la dimension esthétique. La vie n’est pas qu’une mécanique systémique).

Si je reviens un peu en arrière, tu nous as présenté un tableau essentiellement quantitatif des inégalités. Mais il y a un complément à faire à cela parce qu’il y a des inégalités dans les inégalités. Par exemple, les personnes seules aujourd’hui, et les ainées, risquent d’être en manque par rapport à ce que cela prend pour bien vivre. Peut-être que les immigrants dans un premier temps se retrouvent dans cette situation là aussi? Autrement dit, il y a des catégories sociales qui ont augmenté en quantité et qui vivent une vulnérabilité. Restons avec l’idée de l’inégalité sur un mode qualitatif.

La dimension qualitative inclut également le déficit humain si je ne m’abuse ? « Tout ce que cela coûte en plus d’être pauvre. » Pour répondre plus précisément à la question, pour moi la question éthique apparait nécessaire. C’est le premier point qui peut nous amener à entreprendre un meilleur dialogue. Cependant, ce sont toujours les mêmes qui se posent les questions éthiques. Autrement dit, ceux et celles qui devraient en parler n’en parlent pas. Si on observe les actes de l’État, il est clair qu’il n’y a aucune réflexion éthique. Ce sont eux qui devraient engager le dialogue alors qu’ils l’empêchent. Finalement, ce sont toujours les pauvres qui parlent ensemble de la pauvreté et comment nous pourrions être plus solidaires. Au premier chef, c’est l’État qui devrait engager le dialogue.

Vous avez posé la question : « Qu’est-ce qui doit croître ? » La réponse néolibérale, c’est le PIB parce que la marée qui monte va faire monter tous les bateaux, les petits et les gros. C’est faux, car il y en a qui n’ont pas de bateau et ils se noient. Cela indique que nous ne pouvons pas parler de pauvreté et de l’amélioration des conditions de vie des pauvres, sans parler de l’inégalité.

Nous mettons toute la responsabilité sur la faute du matérialisme, du néolibéralisme. Le politique va s’occuper de la pauvreté lorsque les individus dans la société vont s’y intéresser. Il devrait y avoir une marée là aussi de préoccupations et de sensibilisations par rapport à cela. À toutes les places que je vais, c’est toujours la périphérie des choses qu’on essaie de voir. Cela permet des analyses linéaires par les universitaires, mais le cœur de cela, c’est notre propre cœur. Il y a 8 millions de cœurs au Québec, il y en a combien qui s’occupent de cela et qui sont sensibles à ça ? Qui lorsqu’ils sont dans l’isoloir sont prêts à voter pour ceux qui ont plus de cœur que d’argent à la place du cœur ? Souvent, dans le communautaire, c’est absent. La qualité de la société dépend de la qualité des cellules, des individus, qui la composent. On ne s’interroge jamais sur notre qualité d’être. Le problème de la pauvreté, c’est le problème de la vision du monde. La télévision fait écran avec la réalité depuis 50 ans, maintenant ce sont les miroirs d’ego, nous sommes de plus en plus individualistes, au départ pas ces gens-là qui vont s’interroger sur les autres.

Notre vision du monde se résume à des chiffres et à des pourcentages. Ça a commencé en Mésopotamie avec l’invention de la monnaie. Notre système fonctionne sous la forme d’un vampirisme. On donne aux banques le droits de fabriquer de l’argent à partir des prêts à intérêt qu’elles consentent aux gens. L’argent dette est la base du système. Nous avons des fonds de pension et nous voulons que cela rapporte pour aller dans le sud l’hiver. Nous fonctionnons comme cela individuellement et collectivement et nous le reprochons au gouvernement.

Il y a un combat spirituel à mener ?

C’est bien beau d’avoir du bon vouloir pour aider les autres, mais c’est plutôt une minorité de la population qui va penser comme cela, (de manière éthique et en faveur de la répartition des richesses). Pour ce qui est de la marée, s’il est vrai que le PIB monte avec celle-ci, les riches ne partagent pas ce qu’ils gagnent avec les autres. On ne peut pas se fier que les plus riches vont avoir la bonne volonté pour partager. Je suis d’accord avec le fait que c’est le système en place qui est problématique. Une autre clé pour conduire un dialogue d’égalité, c’est en sortant de ce système capitaliste sauvage. Sortir du néolibéralisme, c’est renoncer à l’individualisme qui est notre problème principal. Toute la société fait en sorte que la façon dont on pense, notre formation, nous conditionne à ne penser qu’à soi. Si je pense au nombre de fois par jour où je me rapporte à moi, où je prends mes intérêts en considération, cela revient très souvent. Je sens que j’ai été éduqué pour cela en fait. C’est très profond là où se situe le problème, dans le cœur de chaque individu. L’idée est de réaliser que la véritable richesse provient du bien commun. C’est ce que j’essaie d’expliquer dans ma famille lorsque nous parlions de la nécessité d’épargner, d’avoir des placements et d’acheter une maison. Moi je disais que je préférerais investir dans des projets collectifs, comme une coopérative. Dans la logique des parents, la retraite et la sécurité financière, tu la bâtissais seule. Nous sommes entraînés à penser comme ça, mais ce n’est pas la réalité. Ma solution pour avoir un meilleur dialogue, c’est qu’il faut sortir de l’individualisme.

Cela teinte le regard des journalistes qui font des entrevues, des politiciens qui rédigent les projets de loi et de toute la classe politique.

Il y a un point qui n’est pas nommé souvent : Quelles sont les causes de la pauvreté ? Les causes sociales qui proviennent de l’éducation, puis des problématiques que les individus peuvent avoir comme la toxicomanie, de handicaps, qui amène à la pauvreté. On ne parle que très rarement des causes.

Qu’est-ce qui peut nous mener à plus d’égalité, de solidarité, et à un meilleur dialogue entre nous ? J’identifie deux points. Ce qui revient tout le temps lorsque je discute avec des gens de bonnes conditions sociales, c’est l’ignorance et la peur. Moi je suis pauvre et l’autre est riche. Il y a un paquet de préjugés entre les deux. L’économie est un rapport d’alliance basé sur la confiance. Si je veux être en affaire avec quelqu’un qui a des ressources, la première réaction que j’ai, c’est de me dire : « Lui, il est riche. » Et il se dit : « Lui, il est pauvre. » Cela ne peut pas fonctionner parce qu’on se fait peur et que la confiance ne passe pas. Il faut arrêter de s’imaginer que pour devenir riche, il faut lutter contre les riches. Il faut créer un rapport d’alliance. Moi je pense qu’une erreur a été faite dans la présentation en prétendant qu’il y avait deux ou trois fois les ressources nécessaires chez les plus riches pour combler les besoins des plus pauvres. En partant, les personnes qui ont le plus de pouvoir sont celles qui ont le plus de ressources. Si on les pointe du doigt en disant que c’est leur faute, nous aurons de la misère à trouver une solution parce que ces gens ne voudront plus s’impliquer par peur de perdre leur argent. Si, au contraire, on va voir ces gens en leur disant qu’il y a des gens ici qui veulent travailler, mais qui n’ont pas de ressources, ils vont vouloir nous apporter quelque chose. En échange, ils vont vouloir recevoir quelque chose, mais on va s’enrichir des deux côtés.

Il faut lutter contre l’ignorance et la peur pour permettre un rapport d’alliance.

Je vais m’inscrire en faux contre cela. Je suis d’accord avec toi que cela prend de la bonne volonté, de la charité et le bon dieu en confession et tout cela, mais on ne peut pas penser efficacement les questions d’inégalités et de pauvreté sans faire intervenir de rapports de pouvoir. Les groupes et les catégories de personnes n’ont pas tous le même radiant de pouvoir, la même capacité d’influencer l’ensemble des choses et entre autre, les politiques publiques. Il ne s’agit pas que de la classe des riches. Les questions des rapports de pouvoir, sont aussi en lien avec les mouvements sociaux. Je pense que les familles avec enfants semblent bien mieux pourvues qu’elles ne l’étaient il y a 15 ou 20 ans. Il y a eu des politiques publiques en rapport avec ça, et il y a des gouvernements qui ont voulu sortir les enfants de la pauvreté. Je fais un lien avec le mouvement féministe au cours des 50 dernières années au Québec. Il y a un groupe de personnes qui a décidé de jouer dans la société avec des rapports de pouvoir à travers des discours, leur implication dans les partis politiques, etc. De ce côté, nous avons un exemple qu’il ne s’agit pas juste de la bonne volonté, mais aussi de la pression sociale qui fait qu’on peut faire reculer certains aspects de la pauvreté. Je reviens à mon idée précédente qu’il existe des inégalités qualitatives dans les inégalités. Il faut bâtir des rapports de pouvoir, peut-être en déplaçant les manière de décrire les problèmes. C’est une façon de se donner du pouvoir.

Est-ce qu’il n’y aurait pas lieu de changer le fait que le taux d’imposition n’est pas lié au genre de la personne ? Un homme ou une femme. Considérant que les femmes gagnent moins que les hommes, n’y aurait-il pas lieu de rééquilibrer le rapport de force entre les deux en utilisant la fiscalité ?

C’est une piste intéressante à étudier.
J’ai aimé les interventions de Denis et de Jonathan. Elles ne s’opposent pas, au contraire, parce qu’elles parlent de choses justes, c’est-à-dire des rapports de pouvoir et des rapports de coopération. Ce qu’a amené Jonathan, c’est une critique du point de vue spirituel du communisme. Mais il ne faut pas oublier que les rapports de pouvoir existe quand même et que nous sommes pris avec. Selon Warren Buffet: « Les riches ont déjà gagné la lutte des classes », disait-il en comparant son salaire à celui de sa secrétaire et des impôts qu’elle devait payer. La société civile n’est pas l’État et c’est à ce niveau que nous pouvons avancer. C’est là que nous pouvons résoudre les contradictions entre riches et pauvres. Des riches honnêtes qui poursuivent le bien de la communauté, il en existe, et les pauvres, dont certains n’aspirent qu’à prendre la place des riches, il y en aussi. C’est ce que je crois.

Le problème c’est que cette opposition bien réelle, ce clivage, la lutte des classes, aujourd’hui est obscurcie dans la conscience du public par tout un ensemble de différenciations : entre hommes et femmes, jeunes et vieux, LGBTQ et hétérosexuels, de souches et immigrants, écolos et non-écolos, il existe un ensemble de discours, de fragmentations sociales qui obscurcissent l’espace précis où il devrait y avoir une action pour régler ce que Vivian nous a exposé.

C’est le défit. C’est l’impact du néolibéralisme et des droits de troisième génération.

Je pense que les inégalités et les rapports de pouvoir, c’est là que se situe le problème parce que lorsque tu es une personne en situation de pauvreté et que tu fais face à un riche, tout de suite tu te fais rabaisser et enfoncer comme un clou, au lieu d’essayer d’aider la personne. Je pense qu’il y a un gros travail à faire de ce côté-là en ce qui concerne les rapports de pouvoir qui véhiculent des préjugés. Les préjugés sont eux-mêmes un obstacle au dialogue. On ne veut pas qu’une personne pauvre dise : « Je veux me battre parce que je suis tannée de n’avoir que 623$ par mois. » Les rapports de pouvoir sont aussi des rapports de domination.

 


Le beigne de Kate et de OXFAM

Le beigne de Kate et d’OXFAM
Si on envisageait notre société avec un minimum social à remplir pour tous et un maximum de ressources que nous pouvons consommer sans nuire à l’environnement. On ne devrait pas être dans le trou en ce qui concerne les besoins essentiels. Pour ces choses là, il y a une limite en dessus de laquelle cela ne va pas. C’est l’idée d’un plancher social reconnu. Il y a aussi l’idée d’un plafond environnemental, des limites à se donner. Au-delà de cela, nous hypothéquons nos capacités de vivre sur la planète. L’idée étant de concevoir un espace sûr et juste pour l’humanité situé entre le plancher social et le plafond environnemental. Cela change la façon de voir la chose et nous permet de concevoir le monde autrement. Les économistes capitalistes ont argumenté que l’économie ne doit pas avoir de limite. Et la réponse qui a été faite est que le corps humain a des limites. Si notre corps n’est pas assez chaud, on meurt de froid et si au contraire notre corps est trop chaud, on meurt également. De fait, la vie se situe entre des limites. Pourquoi cela ne serait-il pas le cas pour l’économie aussi ? Cela nous ramène au vivre ensemble. VL

Raworth, K. (2012). Un espace sûr et juste pour l’humanité. Le concept du «donut». Documents de discussion d’Oxfam. Oxford: Oxfam International. Voir https://www.oxfam.org/fr/rapports/un-espace-sur-et-juste-pour-lhumanite

 


Évaluation de la soirée

J’ai trouvé cela très intéressant. Cela fait réfléchir.
Les graphiques que vous avez travaillés sont très parlant et cela exprime bien la situation. Les images et les représentations que nous portons pour interpréter le monde, ce serait une bonne piste d’une prochaine rencontre. À travers les médias, les classes dominantes imposent leur représentations symboliques du monde et de la société. C’est un premier niveau de libération à développer.

Bravo pour le contenu, beaucoup d’informations pertinentes. Nous aurions pu nous en tenir à un ou deux éléments pour essayer de trouver des solutions concrètement.

J’ai trouvé cela très enrichissant.

Je trouve extrêmement enrichissant le travail que tu fais depuis longtemps. Tu déplaces des représentations aliénantes, tu travailles dans l’idéologie, il faudrait inclure ces représentations dans un type d’actions qui nous amèneraient à produire du changement.

Cela me rappelle les souvenirs des Carrefours de savoirs auxquels j’ai participé avec Vivian.

Cela m’a donné envie de revenir.

Il y a quelque chose de nouveau qui nous amène à changer le regard que nous avons sur la société.

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