#280 – Y a-t-il une spiritualité des mouvements sociaux ?

Y a-t-il une spiritualité des mouvement sociaux ?

Compte-rendu # 280, juin 2017

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Cette soirée vient clore une série de rencontres portant sur les liens unissant la vision d’un monde solidaire, la dénonciation de l’injustice et le sens que chacunE donne à sa vie à travers l’engagement. Ce soir nous avons réuni deux hommes et deux femmes, d’âges et de conditions sociales différents, tous et toutes unis dans la construction d’une société plus juste. Si notre premier intervenant affirme qu’actuellement, il n’y a pas une spiritualité des mouvements sociaux, nous pouvons à tout le moins constater qu’un esprit et un sentiment d’appartenance, parfois d’indignation, les unissent. Si nous prenons le mot au sens étymologique, la spiritualité réfère à une inspiration, à une force qui pousse à agir pour le bien. C’est quelque chose de structurant qui oriente l’identité et l’agir moral subséquent. Mais si la spiritualité était aussi un véhicule de libération et de croissance personnelle ? En militant dans des groupes, Monique a appris à redresser la tête et à prendre la parole dans des assemblées publiques, à siéger sur des conseils d’administration, à donner ses idées et à partager sa motivation sur des comités, à être au premier rang lors des manifestations, cela sans perdre sa grande humilité. La parole libérée que ne saurait renier Paulo Freire, permet l’émergence de sujets actifs et responsables qui se sentent concernés par le sort des autres, conscience agissante dans une compassion active. La spiritualité renvoie aussi à l’être et à la qualité d’être que nous offrons aux autres dans nos différentes implications.

Pour Renaud, l’engagement militant permet de faire du nous avec des je. Il est concret, au plus près de la vie des gens qui construisent ensemble des communautés de vie. Pour sa part, Emilie considère que les mouvements sociaux représentent une expérience spirituelle. La jeune génération se rappelle du Printemps érable comme d’un temps de grâce où la loi et l’ordre injuste ont été défiés pacifiquement et avec humour. On pourrait dire qu’il s’agissait d’une expérience globale affectant l’ensemble des individus et toutes les dimensions de leur être. Autrement dit, une bonne remise en cause identitaire permet de refonder les liens. Cela peut donner naissance ou raviver un idéal de société égalitaire. Ainsi, lorsque le contrat social est remis en cause par les élites, c’est toute la société qui est concernée. La remise en question de l’indifférence qui ignore ses propres dérives, suscite de vives réactions. « L’injustice a fait son lit, ne la réveillons pas, cela pourrait mettre en péril l’ordre du monde, » disaient les médias complices du statu quo et du lent oublie de soi. De ces discussions émerge qu’un fort esprit de symbiose est ressenti par un groupe de gens rassemblés derrière un objectif commun et que ce sentiment partagé relevant à la fois de la solidarité, de la fraternité, de l’indignation et de l’utopie, provoque un changement de mentalité et une transformation des cœurs si on accepte de se laisser toucher durablement par ce moment de grâce. Remplis d’espoir, les militants ont vécu l’espace de quelques heures ce que l’humanité est appelée à devenir, sans négation de l’individualité de chacunE, délivrée des prêts-à-penser et de la peur de l’autre.

Yves Carrier

 

 


 

Table des matières :

Gérald Doré
Monique Toutant
Renaud Blais
Emilie Frémont-Cloutier
Échanges
Après la pause

 


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Gérald Doré, pasteur de l’Église Unie, militant et docteur en sciences sociales

 Y a-t-il une spiritualité des mouvements sociaux ? Présentement, telle que la question est formulée, il est clair que la réponse est non. C’est non, car il n’existe pas actuellement une seule spiritualité ayant des mots pour se dire et qui serait susceptible d’inspirer l’ensemble des mouvements sociaux. En ce sens, je réponds non. Il existe en fait trois sortes de spiritualité. Certaines ont des mots pour se dire, soit dans un langage religieux ou d’humanisme laïc. Il y a des spiritualités qui sont ressenties, qui animent et qui n’ont pas de mots pour se dire. Il y a également des spiritualités qui se nient comme spiritualité et qui se définissent comme des matérialismes. Par exemple, le communisme ou le marxisme ou le socialisme laïc dans ce qu’il avait de meilleur à son origine. On n’y retrouve pas cette inspiration large. En passant, il y a beaucoup de flou autour du mot spiritualité. Ce concept englobe un vocabulaire difficile à exprimer. Ce vocable utilise l’image de la respiration: Rua en hébreu, Pneuma en grec, racine des mots pneus et pneumatique, qui contiennent de l’air. C’est-à-dire, un souffle, un vent. C’est une image pour dire que quelque chose nous inspire. C’est l’air qui entre en nous. Parfois, certains gardent l’air au-dedans, cela réfère davantage à la dimension contemplative. D’autres encore expirent. La spiritualité comme telle est l’inspiration qui nous pousse à agir, à nous engager. Dans un passé récent, il y a eu une spiritualité des mouvements sociaux. Au Québec, des années 1930 aux années 1960, c’était une spiritualité chrétienne, inspirée de la doctrine catholique qui trouvait sa source dans la doctrine sociale catholique. De cette dernière, sont nés la Ligue ouvrière catholique, la Jeunesse ouvrière catholique, la Jeunesse étudiante catholique, dont il reste des éléments vivants dans cette bâtisse.

À partir de ces organisations de la classe ouvrière, sont nés les mouvements sociaux au Québec. Le mouvement coopératif vient des gens qui se regroupaient pour se construire des maisons en corvée dans les banlieues, et qui acquerraient ensuite la propriété individuelle. Il y a eu aussi les syndicats catholiques. La CSN, autrefois, cela s’appelait la CTCC, Confédération des travailleurs catholiques du Canada. Cela c’est laïcisé au cours des années 1960. Comment cela se fait qu’il y a eu ce mouvement chrétien qui a inspiré plusieurs mouvements sociaux ? C’est dû à une réaction de l’Église catholique, et il y a eu des mouvements similaires au sein des Églises protestantes, vis-à-vis de la leçon que le mouvement communiste et socialiste ont donnée à l’Église catholique. Le Règne de Dieu dont parle Jésus n’est pas seulement au ciel pour le monde qui mange de la misère. C’est une réalité que nous devons transformer ici et maintenant. L’Église catholique omniprésente au Québec ne souhaitait pas que les unions internationales de travailleurs, animées souvent par des communistes comme Madeleine Parent et Léa Roback, ne prennent l’espace. Alors, ils ont créé des syndicats catholiques. Il y avait donc deux courants, mais au Québec le courant dominant était le social catholique et chez les anglophones, on s’inspirait du Social Gospel (L’Évangile social). C’était beaucoup moins évident puisqu’au Québec les anglophones protestants étaient davantage des boss que des travailleurs.

Pour ce qui est de la spiritualité chrétienne catholique, on retrouvait également des éléments plus marginaux qu’on pourrait qualifier de prophétiques qui accentuaient cette dimension. Je vous lirai à la fin un texte de l’Abbé Pierre, qui a 17 ans m’a saisi. Même si j’étais aux études dans un séminaire diocésain plutôt conservateur, j’ai été saisi par cet appel à l’engagement social. À une autre étape de mon cheminement, l’analyse marxiste et l’inspiration du philosophe Ernst Bloch auteur du Principe espérance, ainsi qu’un politologue italien, Antonio Gramci, ont été déterminantes pour moi.

Gramci a développé le concept d’intellectuel organique. En général, les intellectuels sont formés pour travailler au service de l’ordre établi, les patrons, les boss, les entrepreneurs, les institutions qui perpétuent le système. Gramci affirmait que certains intellectuels étaient capables d’effectuer une rupture avec l’ordre dominant pour s’allier aux classes populaires. On pourrait nommer de grands leaders syndicaux au Québec qui ont fait ce choix. Certains sont devenus des personnages comme Michel Chartrand. Beaucoup plus discret, nous avons eu l’ancien président de la CSN, Marcel Pépin, un homme d’une profondeur d’engagement, moins flamboyant que Michel Chartrand. On peut aussi nommer Pierre Vadeboncoeur qui était lié à la CSN. C’est dans le contexte de cette spiritualité chrétienne qui animait les mouvements sociaux que j’ai commencé mon engagement, allumé en particulier par un texte de l’Abbé Pierre. C’est un livre qui a paru en 1959, que j’ai du lire en 1960. Donc, il y a eu dans le passé une spiritualité des mouvements sociaux.

Aujourd’hui, maintenant, il n’y a pas une inspiration spirituelle avec des mots pour se dire. Mais, il y a des personnes animées par une inspiration spirituelle qu’elles mettent dans des mots d’une religion ou d’un humanisme laïc, ou bien encore une inspiration spirituelle qui ne trouve pas de mots pour se dire, mais qui habite profondément ces gens. J’ai lu un livre écrit par un descendant des familles juives exterminées par les nazies. L’auteur a été révolté une grande partie de sa vie. Mais à une étape, il a réalisé qu’il y avait des gens qui, au risque de leur vie, avaient sauvé des compatriotes juifs. Parce que si on venait en aide à des juifs, on se retrouvait soi-même dans un camp de concentration. Comme ces gens étaient âgés dans les quatre-vingts ans, il a décidé d’aller les interroger pour savoir : pourquoi ils avaient cela ? Il a été complètement surpris et décontenancé parce que la plupart des gens ne comprenaient pas pourquoi il venait les interroger. Leur réponse était qu’ils ne pouvaient pas agir autrement. Rares étaient ceux qui pouvaient articuler leurs motivations ou leurs raisons dans le langage d’une religion ou d’une idéologie militante. Je ne sais pas où il se situait sur le plan religieux, mais il a appelé son livre : « La force du bien ». Ce qui monte en toi et te fait agir pour le bien, qui est plus grand que toi et qui te porte plus loin qu’on pense que tu irais. Chez les gens dont il a recueilli les témoignages, ce n’était pas tous des bonnes personnes ayant une morale exemplaire et des principes de vie. Certains étaient un peu des exploiteurs ou des viveurs dans leur vie quotidienne, mais placés en situation de crise, ils ont posé des gestes absolument extraordinaires. Vous avez sans doute entendu parler de La liste de Schindler. Il y a donc cette spiritualité qui ne trouve pas de mots pour se dire, et aujourd’hui, on retrouve des gens qui ont une inspiration spirituelle qu’ils hésitent à partager. Au Québec dans lequel j’ai grandi, on ne parlait pas de sexualité. Maintenant tout le monde en parle. Mais il est plus difficile d’entendre les convictions intérieures qui animent les personnes dans leur agir quotidien. Il y a une pudeur sur le partage de la spiritualité qui m’apparait absolument étonnante. Dans le monde anglophone, il existe tout un courant: Spiritual but non religius, (Spirituel, mais non religieux). C’est comme si on ne pouvait pas être à la fois spirituel et religieux, mais on veut s’affirmer comme spirituel. C’est souvent indéterminé ce que l’on met en-dessous de cela et ne conduit pas nécessairement à l’engagement social, parce que certains qui se disent très spirituels sont très centrés sur leur développement personnel, l’acquisition d’une sérénité intérieure, ou dans une approche plus bouddhiste que chrétienne, cherchent à prendre une distance par rapport aux choses difficiles de la vie comme par exemple: la maladie, la mort, le vieillissement et ainsi de suite.

Il s’agit d’une spiritualité qui est davantage une inspiration qui reste en-dedans, puis une autre qui est davantage une expiration qui s’exprime à travers l’engagement social. Sur cette spiritualité qui ne trouve pas de mot pour se dire, j’ai entendu Samian à l’émission Second regard. C’est un métis algonquin-québécois. Dans l’un de ses rappes, il dit ceci : « Tu donnes sans vouloir, sans t’apercevoir. Dans ça, y a quelque chose de troublant. » C’est là-dessus que nous avons tellement de difficultés à mettre des mots. Donc, il n’y a pas une spiritualité, il y a une convergence du spirituel dans différentes formes d’expressions et surtout, il y a différents mouvements sociaux où la dominante spirituelle n’est pas la même. À l’intérieur de chacun des mouvements, il n’y a pas d’unanimité, mais on observe aussi des différences. L’inspiration du mouvement féministe est diversifiée, mais il y a une certaine communauté de pensées. Le mouvement autochtone aussi a une diversité dont un certain courant s’inspire d’un retour à la tradition. Il est d’ailleurs frappant d’observer qu’en français, la divinité principale des peuples autochtone ait été traduite par Grand Esprit, ce qui est très près d’Esprit Saint. Un auteur que j’ai lu, Compte-Sponville a écrit un livre qui s’intitule : « Une spiritualité sans dieu, » mais à toutes les 3-4 pages, il parle de l’Esprit. Dans une tradition chrétienne non dogmatique, l’Esprit c’est cette inspiration qui relève de l’au-delà de tout, qui est du domaine de l’absolu qui nous pousse au-delà de nous-mêmes et nous tourne vers les autres malgré nos limites. Donc la question demeure ouverte. Croyez-vous qu’il y a une spiritualité des mouvements sociaux maintenant ? Je retourne la question qui nous a été posée.

 


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Monique Toutant, militante à temps plein et experte du vécu

D’après moi, oui, il y a une sorte de spiritualité au sein des organismes communautaires. Je me dis que nous ne nous rassemblons pas pour rien. On se rassemble dans un but précis. Si je retourne en arrière, vers l’âge de sept ou huit ans, à l’école on nous disait de trouver une forme d’activité qui allait vous enrichir et vous faire grandir. Cela était sensé nous faire vivre des expériences pour apercevoir ce qui allait se passer dans le futur. Je pense que c’est là qu’est apparue dans ma vie une forme de spiritualité. Comme j’avais de la difficulté à l’école et qu’une activité me permettait de sortir pour aller visiter des personnes âgées, deux trois heures par semaine, cela m’enrichissait beaucoup. Pour moi, cela ressemble à de la spiritualité, parce que c’est ma façon à moi d’aller à la rencontre des autres pour les accueillir, pour voir leurs besoins, et leur venir en aide. Pour moi, prendre soin des autres, c’est une forme de spiritualité.

Quand je suis arrivée à Québec et que je me suis impliquée à l’ADDSQM, je me suis aperçue qu’il y avait là aussi une forme de spiritualité parce que on fait ensemble et avec. Oui, il y a des personnes compétentes, mais il y a aussi nous qui sommes les experts du vécu, les personnes qui vivent les différentes problématiques. Ensemble nous essayons de faire en sorte de nous entraider les uns les autres. Je pense que dans les organismes communautaires, on trouve une forme de spiritualité qui n’a rien à voir avec des prières en groupes ou des rituels, mais qui est plutôt de l’ordre de la compassion que nous avons les uns envers les autres, de l’aide que nous nous apportons et qui nous alimente à continuer. Cela m’a permis de grandir et de m’enrichir. Il y a des choses que je comprends plus maintenant que je ne comprenais pas avant. Le fait d’apporter mon aide, au CAPMO également, ça m’enrichit beaucoup. Même si ce n’est pas religieux, cela demeure important. Le fait d’être ensemble et de vouloir s’entraider produit un sentiment de bien-être.

Le 3 mai dernier, nous avons fait une belle action pour le 24 heures féministe autour du monde. Nous étions réunies autour de la Fontaine de Tourny et c’était tellement beau de voir la diversité de gens qui étaient réunis. C’était incroyable. Nous nous sommes données la main et nous sentions une énergie qui passait. Il y avait aussi des hommes qui étaient présents avec nous. Cette diversité qui exprime la solidarité est importante à mes yeux. Il faut s’entraider les uns, les autres. S’il y a quelque chose qui s’organise pour les autochtones, j’ai la soif d’y aller pour apprendre et comprendre ce qui se passe pour pouvoir les aider. Je ne connais pas la définition du mot spiritualité qui est écrit dans le dictionnaire parce que je n’ai pas pris le temps d’aller le lire, mais je pense que c’est ce que nous vivons lorsque nous sommes réunis pour une cause. Je le vis au quotidien dans mon militantisme qui m’apporte beaucoup. C’est important de partage ce que je vis, mais aussi apprendre des autres pour mieux comprendre leur situation de vie pour trouver des moyens ou des solutions pour améliorer le monde. Je pense que c’est important.

– Faire communauté, c’est déjà une certaine façon de tendre vers cela.

Mon militantisme m’a permis de grandir. Quand je suis arrivé à Québec, je marchais la tête basse en regardant par terre, je ne regardais pas devant moi. J’étais recroquevillée et je ne pensais jamais qu’un jour je serais capable de me redresser la tête comme je l’ai aujourd’hui. Maintenant, si je vais à quelque part et que j’entends quelqu’un dire du mal des personnes qui reçoivent de l’aide sociale, je vais voir ces personnes pour les informer et faire reculer leurs préjugés. « Excusez moi madame, savez-vous combien les gens reçoivent de l’aide sociale à chaque mois ? » Je n’aurais jamais été capable de faire ça si je n’avais pas fait ce que j’ai fait à l’ADDSQM. Ça m’a permis de cheminer et j’ai repris confiance en moi. Cela m’a permis d’être capable d’échanger avec les autres ce que les personnes à l’aide sociale vivent. Avant, j’aurais été bien trop gênée et j’aurais eu bien trop honte pour pouvoir parler. Maintenant, je ne suis pas gênée de la faire, et je l’ai dit récemment lorsque je suis allée à la consultation du RTC : « Oubliez pas, il y a des personnes qui sont en situation de pauvreté. Est-ce que cela va devenir inabordable de prendre le fameux SRB ? Pensez à ceux et celles qui n’ont pas les revenus suffisants pour pouvoir prendre le transport en commun.» Je trouve que le militantisme apporte beaucoup et pour moi, c’est une forme de spiritualité.

Parfois, nous avons des drôles de parcours de vie, il y a des bons et des mauvais moments à passer, c’est parfois difficile ou chaotique, je m’aperçois que malgré cela, lorsqu’il y a des passages difficiles dans notre vie, il y a quelque chose à l’intérieur de soi qui s’allume. Un flash qui te dit : Va essayer cela, peut-être que cela va te faire du bien. Je pense que cela fait aussi partie de la spiritualité lorsqu’une intuition t’interpelle à essayer quelque chose pour t’aider à changer ta situation de vie dans le but de l’améliorer. Renaud m’a fait penser à cela tantôt. Il est venu un monsieur cette semaine à l’ADDSQM qui voulait avoir de l’aide pour son ordinateur. Comme nous n’avions pas les ressources, je l’ai envoyé à l’Accorderie en lui disant qu’il trouverait de l’aide et qu’il pourrait même s’y impliquer. Au fil du temps, je m’aperçois que j’aime cela convier les gens à s’impliquer pour qu’ils sortent de leur isolement et sentent qu’ils font partie de la société même s’ils vivent des embûches. C’est ce dont je me suis aperçue au fil du temps. Maintenant, je sens que je fais davantage partie de la société, parce qu’avec mon vécu difficile, je peux dire que je suis plus rayonnante que je ne l’étais dans le passé. Le militantisme m’a apporté beaucoup. Le fait de sentir qu’on peut s’entraider les uns les autres, ne serait-ce qu’en se rencontrant dans une manifestation.

Le 3 mai, moi et Kassandra, nous avons participé au 24 heures féministes autour du monde et nous avons tenu un morceau de ruban ensemble. Je ne sais pas mais j’ai senti qu’il y avait une chimie là-dedans. C’était merveilleux, c’était beau, c’était intense. C’était une communion. Ce sont des choses comme celles-là qui font monter la spiritualité.

 


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Renaud Blais, citoyen engagé au cœur de Sainte-Foy

 C’est difficile de parler après cela. Je vais le faire à partir de mon vécu. Comment j’en suis arrivé à faire une spiritualité de mon engagement social ? Je ne m’engage pas à être d’accord avec moi demain de ce que je vais dire aujourd’hui. Vous connaissez le processus que je vis avec mon identité autochtone en construction, qui n’est pas un léger détail. Quand je n’ai plus été obligé d’aller à la messe, et que j’ai pu décider par moi-même, comme de nombreux Québécois, j’ai tout jeté avec l’eau du bain. Je n’avais à peu près pas de dimension de ma vie que je pourrais qualifier de spirituelle pendant quinze à vingt ans. À un moment donné, j’ai fréquenté des groupes religieux institutionnels, surtout du côté protestant, mais sans succès ni un intérêt durable, un peu par curiosité.

À un moment donné, nous étions une gagne de gars dans un petit village et nous avions démarré un organisme communautaire pour organiser des spectacles et des fêtes nationales. Pour moi, ce qui nous a amené à vivre cette expérience là, ça a été une époque très enrichissante. J’ai appris énormément de choses. Mais pour arriver à l’étape que je vis aujourd’hui, cela remonte au Sommet des Amériques au printemps 2001. Je me suis engagé à temps plein. Nous luttions contre le processus de financiarisation de l’économie. Puis à un certain moment, j’ai réalisé que c’était bien beau de parler contre les projets de mondialisation, mais que je m’ennuyais de l’action concrète sur le terrain. En même temps, je me disais, parce que j’ai beaucoup fréquenté les groupes au centre-ville, qu’il n’y avait pas beaucoup de vie associative à Sainte-Foy. Alors j’ai choisi de m’investir davantage où je vivais. C’est le fun ce qu’on vit aujourd’hui avec les jardins collectifs, avec le transport en commun, c’est plaisant d’observer ce qui est en train de grandir et qui devient concret. Pour résumer ou conceptualiser l’engagement, je dirais que c’est lorsqu’il y a un lieu pour créer du communautaire, pour créer du nous avec des je. Disons que nous vivons dans une société individualiste où les je sont favorisés. Parce que créer du nous, c’est loin d’être naturel, c’est loin d’être spontané. Avec l’expérience, je suis moins impétueux que je ne l’étais à 25 ou 30 ans, il faut faire sa part en s’efforçant d’être pertinent et avoir une sensibilité.

J’ai offert à l’Accorderie de Québec un d’atelier portant sur : « Comment commence-t-on à s’impliquer dans un milieu ? » J’ai trouvé la démarche intéressante. J’ai dit à quelqu’un: « Tu commences d’abord par devenir membre dans différents organismes pour apprendre à les connaitre et à sentir où est-ce que tu te sens à l’aise. C’est autant la mission de l’organisme que les gens qui sont là qui vont te permettre de dire quel est celui qui corresponds à tes goûts et à tes intérêts. » Moi j’ai fréquenté des syndicats, des coopératives d’habitation, des groupes populaires, communautaires, des groupes partisans et non partisans en politique, et je fréquente des gens de mon âge qui ont passé 25-30 ans impliqués dans un même groupe. J’admire ça parce que ma participation était plus en terme de quelques années dans chaque groupe. Cela m’a apporté une expérience variée, mais c’est toujours le même monde. Il y a des endroits où c’est plus dure que d’autres, une coopérative d’habitation par exemple qui nait par achat rénovation. Ce ne sont pas tous des membres, mais ce sont aussi des gens qui se connaissent déjà. Créer une culture commune, c’est un défi monumental. Tout cela pour dire qu’il faut s’insérer dans une dynamique. On peut rêver d’inspirer de nouvelles dynamiques, mais c’est souvent décevant. Moi, lorsque je m’implique, je pousse au maximum les groupes où j’ai choisi de m’investir, mais il vient un temps où je dois me retirer et laisser les responsabilités à d’autres. À la coopérative, ça a pris des mois avant que quelqu’un d’autre s’engage même si j’avais pris la dernière année pour organiser la transition. Pour moi, l’engagement social représente la forme de spiritualité que j’ai choisi. Cela consiste à comprendre comment on rejoint les gens pour arriver à s’insérer dans un nous, etc. Merci de votre écoute.

De dire et de concevoir l’engagement comme une forme de spiritualité, cela a des conséquences parce qu’à ce moment-là il faut imaginer la spiritualité comme quelque chose de non institutionnel. Souvent les spécialistes disent qu’aujourd’hui, chacun fabrique sa propre spiritualité à la carte. Cela lo logique qui était derrière nos religions traditionnelles où l’on retrouvait une dimension prosélyte. J’ai étudié l’histoire de la Nouvelle-France et c’était des missionnaires qui venaient pour évangéliser et convertir. Il y a une prétention derrière cela que nous ne pouvons plus concevoir aujourd’hui qui est de posséder une vérité. Et les gens de la quatrième internationale socialiste ne sont pas mieux à ce propos. Il y a là une prétention de posséder une vérité.

– C’était la même chose à l’époque du mouvement socialiste. Il y avait des gens de différents tendances politiques, mais la plupart étaient des intellectuels incapables d’aller sur terrain parler avec les gens. Certains pensaient que faire de la politique c’était de rédiger des documents savants. Certains ont choisi d’aller travailler en usine pour se rapprocher des gens ordinaires. Le problème, c’est qu’ils croyaient qu’ainsi ils devenaient eux-mêmes la classe ouvrière et qu’ils pouvaient parler en son nom.

 


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Emilie Frémont-Cloutier, jeune, croyante et engagée, chargée de projet au CAPMO

 Je requalifierais le titre de la soirée en disant : « Les mouvements sociaux, une expérience spirituelle? » En termes plus philosophique ou phénoménologiques, il s’agit d’un véhicule expérientiel. Une expérience plus lointaine où j’ai commencé à comprendre les liens qu’ils pouvaient y avoir entre spiritualité et engagement social, c’est dans la JOC et lors d’un voyage au Brésil où j’ai connu des gens pour qui être militant était au cœur de leur identité. Ils étaient même prêts à donner leur vie pour une cause. J’ai compris que l’engagement social était le sens profond de leur vie, que cela appartenait à leur spiritualité et qu’ils vivaient cela en lien avec une transcendance. C’était des gens engagés et croyants. Cela m’a fait beaucoup réfléchir. Ce n’est pas de cela que j’ai choisi de vous parler, mais du Printemps érable en 2012. Je ne l’ai peut-être pas vécu de manière aussi intense que certains jeunes, mais j’ai participé à plusieurs manifestations.

Je commencerais par quelques impressions subjectives que j’ai retenues de ces expériences. Ce qui m’a vraiment marquée dans les grandes manifestations, c’est la créativité et l’expression artistique qui s’y retrouvait. Aussi, l’impression d’être rassemblés avec les gens dans une certaine complicité, une compréhension d’être réunis pour quelque chose qui nous dépasse individuellement. Ce que je voyais de spirituel dans cela, c’est que la créativité se libère, on y vit une libération de la parole, une expérience de rapprochement avec les gens. L’anonymat habituel est rompu par une expérience immersive qui provoque un sentiment de familiarité. Dans l’expérience des casseroles, il y avait quelque chose de rituel. À la même heure, chaque soir, les gens cessaient leurs occupations habituelles pour aller taper sur des casseroles. C’était comme à l’époque du chapelet, tout le monde s’arrêtait en même temps. Si je pouvais résumer cette période de ma vie, spirituelle et collective, je dirais que c’était un temps de grâce. La question serait : Comment transposer ce temps de grâce collectif dans la vie quotidienne de tous les jours, pour le reste de notre vie ? Car cela a nourri mon espérance et ma foi. Pas seulement au niveau des valeurs, des principes et des convictions, mais aussi la dynamique de la foi qui se met en marche. C’est un résumé très bref de quelques impressions personnelles que j’ai eu lors du Printemps érable. Plusieurs de mes réflexions à ce sujet me sont venues d’un texte de Jean-Philippe Perrault de la chaire : Jeunes et société, de l’Université Laval et aussi de Marco Veilleux du Centre Justice et foi.

Maintenant, j’aimerais amener ma réflexion sur ce que Gérald disait sur la spiritualité individuelle versus la spiritualité collective, voire le religieux, religare, ce qui nous relie à. À mes yeux, la spiritualité individuelle ne peut se suffire à elle-même. Elle a besoin de liens, de créer du lien social. Pour moi, c’est important et j’ai une citation de Michel Chartrand que j’aimerais vous lire : « On est fait pour le bonheur, mais le bonheur ne peut se trouver seul. »

Je trouve que si on enferme la spiritualité dans des valeurs et des principes figés, c’est comme si on voulait la domestiquer et atténuer son côté révolutionnaire. La foi, c’est quelque chose qui nous renverse et nous pousse à aller plus loin, à nous dépasser. Il y a quelque chose dans le mouvement social qui s’apparente à cela. C’est une dimension importante de la vie que j’observais aussi dans le Printemps érable où l’on osait remettre en question l’ordre social néolibéral.

Le sociologue Émile Durkheim a cette citation que j’aimerais vous lire : « Si la vie collective atteint un certain degré d’intensité qui donne éveil à la pensée religieuse, c’est parce qu’elle détermine un état d’effervescence qui change les conditions d’activités psychiques : les énergies vitales sont surexcitées, les passions sont vives, les sensations plus fortes. L’homme ne se reconnait pas, il se sent transformé, et par la suite transforme le milieu qui l’entoure. Une société ne peut se créer ni se recréer sans cesse sans du même coup créer un idéal, car une société n’est pas seulement constituée par une masse d’individus qui la composent, par le sol qu’ils occupent, par les choses dont ils se servent, par les mouvements qu’ils accomplissent, mais avant tout par l’idée qu’elle se fait d’elle-même. »

Ce que Jean-Philippe Perrault disait par rapport au Printemps érable : « C’est un de ces moments de manifestations populaires fortes et d’effervescence collective qui ravivent les idéaux qui sans cela serait oubliés dans la société. » C’est un moment pour raviver cela à quelque part. Ce que je voulais dire par rapport au Printemps érable, c’est qu’il y a beaucoup d’éléments qui font en sorte qu’il s’agit d’un mouvement social, mais qui a aussi une dimension de religare, de créer du lien social qui, selon Durkheim, relève au sens sociologique du sentiment religieux. À ce moment-là, il y a eu une capacité de collectiviser et d’élargir le débat au-delà d’une simple revendication étudiante pour remettre en cause le projet de société défendu par ce gouvernement. En ce sens, il ne s’agissait pas d’une lutte corporatiste pour défendre les intérêts d’un groupe. Les étudiants ont posé des questions sur des enjeux fondamentaux de notre société, des questions sur le vivre-ensemble et la poursuite d’une aventure commune qui relève du registre spirituel, au-delà du pragmatisme politique. Ce n’était pas une lutte en surface, c’est aller en profondeur. Il y avait aussi la notion du don et du sacrifice, des jeunes étaient prêts à perdre une session d’étude pour un bien qui les dépassait.
Selon l’anthropologue Marcel Mauss : « Le religieux est un fait social total. » (Pas dans le sens de religion instituée, on s’entend là-dessus.) Donc, les mouvements sociaux en tant qu’expérience spirituelle, cela pourrait faire du sens.

Par rapport au mouvement « Idle no more », j’aimerais ajouter quelque chose qui concerne l’avenir de la militance. Il faut écouter les autochtones à propos de l’engagement social parce qu’ils peuvent nous apprendre à intégrer la dimension spirituelle dans tous les aspects de la vie et même dans l’engagement social. À Standing Rock au Dakota du Nord, les manifestations des personnes présentes étaient des chants et des prières. Je trouve cela vraiment parlant et cela m’interpelle beaucoup. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre d’eux là-dessus.

 


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Échanges

– On peut reconnaitre qu’il s’agit du contrôle du discours officiel que les religieux assumaient comme gardiens de l’ordre moral avec une image d’un dieu vengeur qui épiait tout ce que les gens pensaient ou faisaient. Le fait de revenir à une spiritualité affranchie de Dieu le Père, icône du patriarcat, qui nous surveille et nous punit, nous amène à une espèce de shamanisme où chacunE réalise son bricolage dans une quête permanente. J’ai plusieurs amies sages-femmes et, en-dehors des structures officielles, elles se réunissent pour vivre ensemble une forme de spiritualité qui s’apparente à une action de grâce envers la Vie. Ce ne sont pas toutes les sages-femmes qui participent à ce courant, mais le fondamental c’est qu’elles expérimentent quelque chose de très puissant lors des naissances où elles touchent à la transcendance et qu’elles ressentent le besoin de se donner des rituels pour nommer ces expériences aux frontières de la vie et de la mort. Aussi, pour faire communauté, on se donne des rituels d’accueil et des rites de passage. Peut-être que les textes de l’Ancien Testament ne nous rejoignent plus parce qu’ils parlent d’une autre époque et d’un autre pays qu’on ne comprend pas. Alors que lorsque nous participons à des manifestations, ce sont des rituels laïcs en quelque sorte. En 2012, ce qui s’est produit, c’est qu’une proportion critique de la société a constaté que l’empereur était nu et que son discours était un mensonge. Tout le discours de conformité selon lequel tout allait bien a été fissuré et il s’est écroulé. Constater cette imposture pour ensuite descendre dans la rue pour défier une loi inique, cela nous a rappelé qui nous étions. Il est certain que c’est laïc et pas religieux, mais il y a un esprit qui porte cela et une expérience humaine très forte qui s’y vit.

– On peut être engagé et à la fois être religieux. Les grandes traditions religieuses et en particulier le christianisme, au départ, c’était le mouvement de Jésus qui s’est institutionnalisé par la suite. Quand on dit que nous trouvons une expérience religieuse dans l’engagement collectif, Jésus insistait sur le fameux commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur, et ton prochain comme toi-même. Et le second commandement est semblable au premier. » C’est tellement fort que dans certaines traductions ils disent que le second commandement est aussi important que le premier afin que l’engagement avec les autres ne soit pas reconnu comme une expérience spirituelle aussi importante que les rituels. Il y a aussi dans la spiritualité qui a des mots pour se dire, un retour aux sources originales des traditions religieuses. Le christianisme est particulièrement une religion d’engagement social par rapport à d’autres religions qui semblent vouloir s’abstraire des côtés dures de la vie. Il existe tout un courant aujourd’hui qui dans une société extrêmement énervée pratique la méditation pour s’abstraire de cette dynamique. L’autre dynamique, c’est que tu t’engages pour contester ceux qui disent que tu n’es pas correct si tu ne bases pas ta vie sur l’argent.

– Jésus est mon prophète favori. C’est quelqu’un de très important qui a dit non à la religion établie de son temps. Jésus n’était pas chrétien mais un juif qui a renoncé aux institutions. Selon ma vision de cette personne, pour lui la spiritualité était quelque chose de très important qu’il dissociait très bien du mouvement religieux institutionnalisé. Y a-t-il une spiritualité des mouvement sociaux ? Je ne peux pas concevoir qu’il y ait des mouvements sociaux sans spiritualité. – À mes yeux, la réponse est évidente. Je ne ferai pas de comparaison avec ce qui s’est passé du temps de mes parents ou de mes grands-parents, je n’étais pas là, je ne peux pas parler. Mais selon mon expérience personnelle des mouvements sociaux, oui il y a une dimension spirituelle très importante qui est primordiale. C’est ce qui nous permet de nous rassembler et de nous rencontrer, de vivre nos conflits et nos divergences d’opinion puis de trouver un point commun. Sans la spiritualité, sans cette essence, cette énergie, cette réalité qui nous unit, nous n’aurions jamais été capables en 2011 avec Occupy ou en 2012, avec le mouvement étudiant, de s’organiser et de se parler dans une espèce d’harmonie, dans une ambiance chaleureuse, conviviale. J’ai rencontré plein de gens que je ne connaissais ni de vue, ni de nom, et avec qui j’ai pu échanger des heures comme s’il s’agissait de vieux amis, avec qui je parlais à bâton rompu de toutes sortes de choses et de sujets que normalement je n’ose pas aborder. Il n’y avait pas de contrainte, ni de malaise, on se sentait bien de bouleverser les normes sociales et de briser les tabous parce que nous avions tous et toutes comme valeur de vivre ce moment-là et d’exprimer notre spiritualité même si ce ne sont pas des mots que nous sommes habitués d’utiliser. Il y avait un désir profond de vivre ce moment ensemble, d’avoir cette communion et cette énergie qu’on partageait même s’il n’y avait pas une institution en arrière pour nous dire : « Ça c’est bien ce que vous faites. C’est comme cela qu’il faut faire, c’est un beau dogme, le Livre le dit.» C’est quand même cela que nous vivions parce que c’est ce que nos parents, l’école et les différents lieux de socialisation nous ont toujours transmis. Oui, il y a une spiritualité des mouvement sociaux, il y a une façon de faire, il y a des valeurs communes de base qu’il faut respecter, il y a des us et des coutumes, des rituels. Certains sont persistants, d’autres sont éphémères. Sans cette dimension spirituelle qui nous unit, nous ne serions jamais capables de passer outre nos différences et nos prises de position pour se donner la main et dire : « Non ! » ou « Oui ! », « Je ne sais pas ? », « Puis-je avoir de l’aide? ». Alors pour moi, c’est évident, il y a réellement une spiritualité au sein des mouvements sociaux.

– Le sentiment de la communauté. Quand on est dans une manifestation, on a le sentiment de partager quelque chose avec d’autres. Parfois, juste en marchant, comme lors des Forum sociaux mondiaux, on rencontre des gens sur la rue et on a le sentiment d’aller dans le même sens, d’avoir une vision du monde commune. Ce sentiment partagé par une masse de gens de plusieurs dizaines de milliers de personnes donne une énergie incroyable. Lorsque tu es seul à la maison, tu n’as pas le sentiment de partager.

– Dans les organismes communautaires, il y a des personnes qui ont étudié pour aller se chercher des acquis, mais il y a aussi des experts du vécu et dans notre champ d’expertise, nous avons autant de compétences que quelqu’un qui a étudié. Par exemple, des étudiants en service social ont appris certaines choses, mais ils ne savent pas d’expérience ce que c’est que la pauvreté. Nous avons des valeurs et des principes, mais nous avons aussi des connaissances.

– Je dirais que vous êtes surtout crédibles lorsque vous prenez la parole en public. Parce que le discours des experts sur la pauvreté, ce n’est pas du même ordre que le témoignage d’une personne qui dit : « Je n’arrive pas à vivre avec 600$ par mois ».

– C’est la jonction des deux qui est fondamentale. Parce que l’intellectuel qui arrive et fait une enquête statistique sur la prévalence de la pauvreté dans un milieu et qui est capable de faire la jonction avec le monde qui la vive, c’est là que ça bouge. À l’époque de la mairesse Boucher, les élites prétendaient qu’il n’y avait pas de pauvres à cet endroit. Un jour, un organisme qui s’appelle la Courtepointe a décidé d’appliquer la méthodologie d’enquête sur la pauvreté à Sainte-Foy. À ce moment-là, les politiciens ont été forcés d’admettre qu’il y avait de la pauvreté et qu’on pouvait même la localiser géographiquement sur les rues où il y avait de nombreux blocs appartements. Bien sûr, l’analyse se transmet dans les groupes et elle est appropriée par les experts du vécu.

– Je me souviens avoir vu des universitaires à Institut de réadaptation en déficience physique de Québec, l’IRDPQ, qui me disaient qu’ils faisaient tellement de théories que lorsqu’ils arrivent sur le terrain, ils se sentaient souvent désorganisés. Le modèle théorique n’équivaut pas à l’expérience qu’on acquiert dans la pratique. Lorsqu’ils arrivent avec de vrais cas, de vrais problèmes, cela ne fonctionne pas comme ils pensaient. Certains sont excellents et ils vont réussir ce passage à la pratique tandis que d’autres vont demeurer dans le monde intellectuel parce qu’ils ne se sentent pas capables de se mettre à la place de l’autre. Il existe aussi dans les universités des programmes où les étudiants doivent faire un minimum de bénévolat pour s’ouvrir aux différentes réalités sociales.

– Cela prend une grande humilité pour pouvoir passer de la théorie à la pratique. La SOTER au Brésil, qui est l’Association des théologiens et des théologiennes de la libération, exige maintenant de chacunE de ses membres de passer quelques heures par semaine dans un groupe de base pour ne pas perdre leur enracinement et leur sensibilité sociale. Dans l’enfermement intellectuel du monde universitaire, on observe de plus en plus de perte de sens et de comportements dépressifs chez leurs membres. Le remède a été d’exiger un retour au terrain pour ceux et celles qui prétendent interpréter la foi du peuple pauvre.

– J’ajouterais qu’un intellectuel, un universitaire en général, ne va certainement pas parler de spiritualité ou de l’inspiration suggestive qui l’anime, sauf exception. Je l’ai fait lorsque j’étais professeur à l’université et j’étais excessivement marginal dans une école de service social qui était un peu plus proche du monde. Il y avait aussi des anthropologues qui avaient une certaine sensibilité. Mais d’autres, comme les économistes formés dans les économies libérales, vivaient dans un monde complètement à part. Mais même à l’École de service social, il y avait des gens qui ne voyaient pas les problèmes collectifs, ils n’apercevaient que des dysfonctionnements personnels à résoudre. En caricaturant, cela revient à dire à quelqu’un de travailler sur lui-même pour s’adapter à sa pauvreté. C’est dit dans des théories plus sophistiquées.

– Il faut sensibiliser les gens. Un peu comme Centraide est en train de le faire avec : « Agir sur les préjugés ».
– J’ai remarqué que maintenant les professeurs sont intéressés à intégrer dans leurs cours des témoignages de personnes en situation de pauvreté. Si on ne sensibilisent pas les futures infirmières aux problématiques que vivent les personnes en situation de pauvreté, elles vont avoir de la difficulté dans leur pratique. Il faut sensibiliser les acteurs de demain pour qu’ils disent au gouvernement que la pauvreté est une cause principale de maladies. Quand j’ai parlé à de futurs médecins, je leur ai dit : « Mon rêve c’est de vous sensibiliser pour que lorsque vous serez médecins, vous soyez à l’écoute des gens. »

 


 Haut

Après la pause

 – J’ai beaucoup aimé l’image que Gérald nous a donnée au début avec l’inspiration et l’expiration. Il a parlé de l’inspiration comme étant une étape plus contemplative, mais avant même d’être contemplatif, il y a le fait d’être habité, dans mon langage et ma religion, par l’Esprit Saint. Peut-être que Dieu habite les hommes, la nature, le cosmo et les humains en particulier qui en plus sont sensés avoir été créé à son image. Il nous habite sur le mode du désir et de l’appel. Il habite notre propre désir comme étant une variable anthropologique standard universelle. Il le transforme en forme d’appel et d’appel à l’engagement, ou appel à la pure contemplation de Lui-même, mais cela finit par être un engagement. Alors avant l’engagement, il y a comme le fait d’être habité par un appel que je situe comme étant l’Esprit de Dieu qui habite le monde et en particulier les êtres humains. Pour ce qui est de l’engagement, la question peut se poser bien différemment selon les personnes. Il y en pour qui l’action est prioritaire et le registre dans lequel une réponse se donne à l’appel. Pour d’autres encore, et c’est mon cas, c’est une bataille. Un peu comme Jacob qui se bat avec l’ange dans les Écritures. C’est une bataille en rapport avec la crédibilité des choses, les langages, les idéologies ou les invitations à l’action. Il y a des gens pour qui c’est difficile d’être croyant par rapport à cela, aux modalités et aux formes de l’engagement. Moi, j’en suis. J’arrive à quelque chose malgré tout. Ma manière d’être engagé, c’est de me battre contre le fait que d’entrer de jeu, beaucoup de choses m’apparaissent incroyables, particulièrement dans le monde d’aujourd’hui.

– Cela ouvre de nouvelles perspectives. Par delà les raisons pour lesquelles nous allons manifester parfois, personnellement, je suis beaucoup porté par le simple plaisir d’être ensemble. Bien sûr, il y a une raison pour y aller, mais une fois que nous y sommes, il y a comme un moment de grâce qui se produit et où nous avons l’impression de vivre une grande réconciliation.

– Il s’agirait en quelque sorte d’une communauté d’inspiration où les gens se trouvent inspirés, en même temps, dans une même direction, autour du même objet, de la même question, de la même préoccupation, des mêmes problèmes.

– Je souhaiterais creuser un peu l’expression : « Moments de grâce ». Prendre conscience lorsqu’on les vit, que ce sont souvent des moments de grâce que nous vivons dans certaines manifestations, d’autant plus s’il s’agit d’un mouvement social fort. Mais comment faire pour garder ce sentiment en nous pour demeurer mobilisés au quotidien, mais aussi dans les aspects les plus banals de notre vie ? S’il ne se produit pas de transformations à tous les niveaux de notre vie, je ne sais pas jusqu’à quel point la société peut réellement changer ? Par exemple, je connais des gens qui se sont investis à fond dans des mobilisations et je trouvais illogique le fait qu’il n’y avait personne pour les aider à déménager. Se pose la question de cohérence. À quel point nous nous laissons transformer par ces moments de grâce ? J’ai plus des questions que des réponses. Je pense que la spiritualité peut permettre une prise de conscience. OK, il y a un rapport de force dans la société et des inégalités sociales, il y a des gens qui sont au pouvoir là-dedans, mais nous sommes tous des êtres humains, puis grâce aux mouvements collectifs, nous pouvons acquérir une conscience sociale. Cela peut nous aider à devenir des personnes plus conscientes, de meilleures personnes plus altruistes, mais cela doit aussi intégrer le niveau personnel d’implication dans la vie. Entre le personnel et le collectif, il doit y avoir une dynamique qui se réalise entre les deux dimensions de notre existence. Il ne faut pas vivre sa vie en silos, séparés les uns des autres entre le collectif et le personnel, se croyant mobilisé à fond pour une cause, mais insensible aux problèmes quotidiens de mes proches. Cela bien sûr sans entrer dans la moralisation de tous nos actes. Ce sont des questions que je me pose.

– On parle de dynamisme du souffle, de transformation de soi et de transformation de la société. Cet hiver Alain Deneault est venu nous donner une conférence. Il y avait plusieurs personnes du groupe de Simplicité volontaire et il a dit : « C’est collectivement que nous allons changer les choses. » Il y a eu une réaction négative dans la salle. 24 heures plus tard, j’ai réalisé qu’en fait tout nos mouvements sociaux sont pensés par des sociologues ou des anthropologues qui se préoccupent toujours du tissu social, alors nous demeurons en périphérie de nous-mêmes et que nous sommes dissociés les uns des autres. Je donne souvent l’exemple du tissu, d’un muscle du bras, c’est un tissu social composé de cellules et il sera de la qualité de la cellule moyenne. Quand on parlait de souffle, aux AmiEs de la Terre, on dit : « Je change, je change le monde, je change, je change le monde. » Oui, mais il y a toujours un déséquilibre dans la marche. Cela fait une quarantaine d’années que je milite dans les mouvements sociaux et je constate que nous sommes au même point que nous étions, sinon pire encore. Peut-être parce que nous ne nous sommes pas demandés quelle qualité devait avoir ce tissu social ? Cela relève de la spiritualité et pour moi la spiritualité c’est ontologique, cela relève du savoir être et de la qualité d’être. Je m’aperçois que là où je suis lié ontologiquement par le plasma vital de la planète, et spirituellement aussi. Je suis comme un arbre debout en fait. C’est un mélange des deux que j’ai. Les mouvement sociaux peuvent pratiquer l’associativité même si cela est dur pour l’ego. Ce sont des milieux où nous pouvons apprendre ensemble à se dépasser, à se mettre à la place de l’autre, ce sont des lieux propices. Dans le secteur privé ou public, chacun occupe un rang dans une hiérarchie et il est soumis à un système d’organisation du travail et de la pensée; dans les milieux communautaires, il y a de l’espace pour la créativité et le vivre-ensemble. Pour moi, le souffle est toujours dynamique, le souffle créateur c’est l’alternance entre l’intériorité et l’extériorité, sans séparation entre les deux. Peut-être faut-il voguer sur notre vie comme sur nos sociétés, et faut-il aller chercher notre héritage qui est encore présent en nous comme un continuum de l’humanité. Nous sommes une partie de ce mouvement-là. Dans la vie, tout est rythme et cycle en fin de compte et lorsque nous ressentons un recul dans nos luttes, c’est que nous intériorisons le changement que nous voulons voir advenir. Cela apprend, ça mature, ça composte, et cela prépare la prochaine floraison. Après le Sommet des Amériques, les gens disaient : « Préparons l’intériorisation, là où nous pensons que les gens se démobilisent. » Nous ne pouvons pas toujours être mobilisés à chaque instant de nos vies. Nous ne sommes pas perpétuellement au sommet de la vague. En Occident, nous sommes habités par une pensée linéaire, une pensée d’ingénieur où on pense pour avoir un résultat, mais il faudrait aussi réfléchir à la qualité de l’être que nous investissons dans nos mouvements et dans nos groupes.

– Je suis impliqué dans le comité pour l’accessibilité social au transport en commun. Comme personne vivant avec un handicap, je vis aussi de la pauvreté et je ne prends pas le transport en commun tous les jours parce que c’est trop cher. Je me déplace surtout en vélo. Je vais aux places que j’aime comme à la Bibliothèque Gabrielle-Roy. C’est dommage que j’ai de la difficulté à exprimer ce que je veux dire. Je vis une forme de valeurs que je ne peux pas nécessairement expliquer. Il y a autour de moi des personnes qui vivent la même choses que moi. Cela me fait prendre conscience qu’il y a des gens autour de moi qui ne peuvent pas prendre l’autobus. Je comprends que les personnes en situation de pauvreté peuvent aussi être impliquées. La spiritualité est intéressante dans le sens qu’à travers ça on peut vivre un cheminement.

– Moi, je trouve que les mouvements sont souvent en action-réaction. Lorsque cet hiver nous avons eu l’attentat à la mosquée de Québec, tout le monde a réagi puis le mouvement s’est estompé. Je ne sais pas comment expliquer cela, mais je trouve que nous devrions continuer de nous en préoccuper.

– Je répondrais qu’il y a des gens qui persévèrent sur ces causes précises tout au long de leur vie, mais qu’ils ne sont pas présents dans les médias à chaque jour. Quand des crises se produisent, ce sont ces gens-là qui deviennent les porte-paroles puisqu’ils travaillent ces questions au quotidien et qu’ils en sont les experts. Ce sont comme des veilleurs. Si l’on prend l’exemple des gens qui militent pour les droits des personnes vivant avec un handicap, ils ne sont pas toujours au front, mais ils sont toujours présents quand même.

– J’ai l’impression que nous fonctionnons sous le mode réaction plutôt que de la prévention.

– Comme si cela prenait tout le temps un drame pour que le monde agisse.

– Je pense qu’il y a beaucoup de travail qui se fait au niveau individuel. C’est une communauté qui s’est sentie rejetée, c’est beaucoup du travail individuel d’établir des amitiés avec ces gens.

– Je trouve intéressant ce que tu dis à propos de l’attentat à la mosquée de Québec. Il y a eu une grosse réaction et les gens sont sortis dans les rues. C’était fort dans les médias sociaux et les médias traditionnels. Puis, il y a eu un essoufflement, mais ce n’est pas mort. Le mouvement contre le racisme organise un mach de soccer cet été. C’est un geste en réaction à ce qui s’est passé cet hiver. En tant que militant, souvent cela m’a semblé extrêmement frustrant de découvrir que tous les efforts que nous avions faits, cela a permis d’en parler pendant un après-midi et qu’après cela tout le travail était à recommencer. Qu’il s’agisse de la cause que nous voulions : la lutte à la pauvreté, l’accessibilité sociale dans le transport en commun, les droits des personnes handicapées, contre le racisme, etc. C’est comme s’il y avait tellement de causes, qu’à chaque fois on les compartimentait et qu’aujourd’hui pour faire parti de la vague, il fallait choisir la cause du jour. Nous avons tendance à oublier que c’est toujours autour de la dignité des droits de la personne que nous travaillons. Mais ce n’est tellement pas vendeur lorsque nous essayons de mobiliser le monde pour une manifestation devant le parlement. Cela ne semble pas assez dramatique. Les journalistes ne semblent pas être capables de passer cela dans les journaux. C’est déplorable.

– La question de la spiritualité individuelle ou personnelle et une spiritualité en rapport avec les coïncidence des inspirations de tout un chacun à un moment donné. Pourquoi y a-t-il 200 000 personnes qui descendent dans la rue au Printemps érable pour le Jour de la Terre ? On peut chercher des explications, bien sûr il y a des dynamiques d’intérêts, mais cela ne suffit pas à tout expliquer. Je pense qu’il y a quelque chose qui est comme une sorte d’inspiration collective, – je vais redire que c’est l’Esprit de Dieu qui travaille pas seulement dans les individus, mais dans le monde—, qui montre des directions à travers les sensibilités des uns et des autres, de la même manière qu’il y a des mots des religions en particulier qui peuvent servir à creuser l’expérience spirituelle individuelle, de la même manière cela prend des discours des sciences sociales pour essayer de comprendre quel sont les signes des temps qui apparaissent dans ces coïncidences collectives ? Cela permettrait de nous libérer de l’émiettement dont tu parles. Il y a probablement des affaires plus importantes, plus porteuse ou synthétiques, que d’autres. Dans le fond, nous aurions intérêt à partager un système d’interprétation pour essayer de comprendre ce qui nous rassemble comme inspiration en tant que groupe, en tant que collectivité, et de discerner entre l’essentiel et l’accessoire. Pour que cela arrive, il y a des groupes et des personnes qui sont porteurs de prophétisme, qui sont davantage susceptibles d’indiquer la voie et le sens de ce qui se passe aujourd’hui, porteurs d’une direction à donner. (Un projet axiologique ?) Ils sont importants ces gens-là pour que la spiritualité des mouvements sociaux soit porteuse d’une véritable transformation sociale.

 Pour enchainer avec ce que Denis vient de dire, je vais vous lire l’analyse prophétique de l’Abbé Pierre en France. Celui-ci a sauvé des gens pendant la guerre et après il a été élu député en défendant la cause des sans-logis. À l’époque, il tranchait énormément avec le reste du clergé à tel point que l’évêque de Saint-Hyacinthe avait interdit la diffusion d’un documentaire sur l’Abbé Pierre dans les salles paroissiales parce qu’il y dénonçait les accointances du clergé avec la société bourgeoise.

« Ce qui est nécessaire au cœur de la société pour que le pouvoir cesse d’être aveugle et que la souffrance cesse d’être impuissante, c’est au-delà de la fonction politique, ce que j’appellerai la fonction prophétique. C’est la présence de quelques personnes, de quelques hommes et de quelques femmes, qui volontaires décident de s’en aller non pas pratiquer la bienfaisance, assister ceux qui souffrent, mais se plonger au cœur même de la souffrance de ceux qui souffrent afin de la connaitre et de la comprendre du dedans. C’est la présence de quelques fous, car c’est certes une forme de folie qui décident d’aller s’incarner dans la douleur des autres afin de comprendre et de savoir; qui décident, excessifs de l’amour, d’aller se plonger dans cette condition de ceux qui souffrent et qui ont dans leur folie la sagesse de faire cela non pas individuellement, mais en groupe, communautairement. Car s’ils y allaient individuellement, ou bien vraiment ils se jetteraient dans cette souffrance et très vite ils seraient emportés par la violence de ce torrent. Et si sur le plan mystique leur geste aurait toute sa valeur, sociologiquement il serait inutile et inefficace. Ou bien, si pour ne pas être entrainés par ce torrent de douleurs, ils restaient légèrement en-dehors, ils n’auraient pas acquis la connaissance et ne pourraient pas véritablement l’exprimer. Il faut qu’ils soient capables de se plonger au cœur de cette souffrance et de ne pas être écrasés par elle. Pour cela il faut qu’ils s’y plongent comme en une eau thermale afin d’être comme un roc au cœur de cette souffrance. Enfin, il faut que présents au milieu de cette douleur et groupés, ils s’assurent l’indépendance totale de leur subsistance par leur travail afin d’être intégralement libres, fusse par le travail le plus misérable comme nous l’avons fait chez-nous en allant fouiller les poubelles, vider les caves et les greniers. Il faut que ces quelques hommes un peu fous, toujours au cœur de la société, au milieu des plus douloureux, puissent acquérir la capacité de devenir la voix des hommes sans voix, c’est ça le prophète.

Extrait du livre : « L’abbé Pierre parle aux Canadiens et aux heureux du monde entier », 1959.

Notes prises par Yves Carrier

 

Cette soirée vient clore une série de rencontres portant sur les liens unissant la vision d’un monde solidaire, la dénonciation de l’injustice et le sens que chacunE donne à sa vie à travers l’engagement. Ce soir nous avons réuni deux hommes et deux femmes, d’âges et de conditions sociales différents, tous et toutes unis dans la construction d’une société plus juste. Si notre premier intervenant affirme qu’actuellement, il n’y a pas une spiritualité des mouvements sociaux, nous pouvons à tout le moins constater qu’un esprit et un sentiment d’appartenance, parfois d’indignation, les unissent. Si nous prenons le mot au sens étymologique, la spiritualité réfère à une inspiration, à une force qui pousse à agir pour le bien. C’est quelque chose de structurant qui oriente      l’identité et l’agir moral subséquent. Mais si la spiritualité était aussi un véhicule de libération et de croissance personnelle ? En militant dans des groupes, Monique a appris à redresser la tête et à prendre la parole dans des assemblées publiques, à siéger sur des conseils d’administration, à donner ses idées et à partager sa motivation sur des comités, à être au premier rang lors des manifestations, cela sans perdre sa grande humilité. La parole libérée que ne saurait renier Paulo Freire, permet l’émergence de sujets actifs et responsables qui se sentent concernés par le sort des autres, conscience agissante dans une compassion active. La spiritualité renvoie aussi à l’être et à la qualité d’être que nous offrons aux autres dans nos différentes implications.

Pour Renaud, l’engagement militant permet de faire du nous avec des je. Il est concret, au plus près de la vie des gens qui construisent ensemble des communautés de vie. Pour sa part, Emilie considère que les mouvements       sociaux représentent une expérience spirituelle. La jeune génération se rappelle du Printemps érable comme d’un temps de grâce où la loi et l’ordre injuste ont été défiés pacifiquement et avec humour. On pourrait dire qu’il s’agissait d’une expérience globale affectant l’ensemble des individus et toutes les dimensions de leur être. Autrement dit, une bonne remise en cause identitaire permet de refonder les liens. Cela peut donner naissance ou raviver un idéal de société égalitaire. Ainsi, lorsque le contrat social est remis en cause par les élites, c’est toute la société qui est concernée. La remise en question de l’indifférence qui ignore ses propres dérives, suscite de vives réactions. « L’injustice a fait son lit, ne la réveillons pas, cela pourrait mettre en péril l’ordre du monde, » disaient les médias complices du statu quo et du lent oublie de soi. De ces discussions émerge qu’un fort esprit de symbiose est ressenti par un groupe de gens rassemblés derrière un objectif commun et que ce sentiment partagé relevant à la fois de la solidarité, de la fraternité, de l’indignation et de l’utopie, provoque un changement de mentalité et une transformation des cœurs si on accepte de se laisser toucher durablement par ce moment de grâce. Remplis d’espoir, les militants ont vécu l’espace de quelques heures ce que l’humanité est appelée à devenir, sans négation de l’individualité de chacunE, délivrée des prêts-à-penser et de la peur de l’autre.

Yves Carrier

 

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