# Don, gratuité, réciprocité, des moyens à notre portée pour initier le changement social !
L’idée générale poursuivie lors de cette soirée était celle d’une reprise en main du pouvoir citoyen à partir des solidarités élémentaires de proximité assurant la pleine reconnaissance et la dignité humaine pour tous et pour toutes, dans une saine participation aux définitions des enjeux de société, tout en permettant de tisser du lien et de construire des communautés d’appartenance. Dans un monde matériel où la course à la croissance infinie équivaut à un appel au suicide planétaire, l’importance de redécouvrir l’essentiel de l’être en relation avec lui-même, l’environnement et les autres, s’avère primordial. Observant la nature où tous les éléments convergent et participent d’un même équilibre générateur de vie, dans le don mutuel et en parfaite réciprocité, nous avons reconnu l’interdépendance des humains avec la Terre. Nous avons aussi découvert que l’accaparement des richesses conduit à la pénurie pour le plus grand nombre et à l’extinction des ressources, alors que les rapports de gratuité et d’éco-réciprocité font naître une abondance permettant le mieux-être du plus grand nombre. Autrefois qualifiés d’idéalistes et de rêveurs, les avancées de la science contemporaine reconnaissent le caractère hautement performant de la communauté des vivants qui s’épousent en toute gratuité, poursuivant les biens supérieurs que sont le maintien et la reproduction de la vie, son plein épanouissement pour tous et toutes, dans un esprit de respect et de gratitude.
Si l’ignorance des appels à l’aide des victimes de la mondialisation néolibérale correspond à une forme de violence structurelle qui cache mal sa honte et son déshonneur derrière des raisonnements douteux et des calculs savants, la qualité d’être des victimes des rapports d’oppression nous rappelle à notre humanité première qui se donne en un même élan lorsque nous acceptons de prendre soin les uns des autres et de nous préoccuper du prochain que nous ne connaissons pas, qui survit sur un autre continent, victime de l’avarice des pays riches. Bien sûr la charité permet de se donner bonne conscience en demeurant à l’abris du dégoût de soi, cachant mal son amnésie des rapports de domination. Les salaires de misère et l’expropriation des ressources naturelles sont une forme de vol organisé condamnant à l’indigence des millions de gens que toutes les formes de dons ne pourront jamais rembourser. Terreaux de toutes les guerres et des violences du désespoir, l’infamie perpétrée au cours des siècles envers les peuples dépossédés appelle au repentir et au pardon. Au pardon de la dette surtout, celle qu’ils ont payé plusieurs fois déjà, victimes des taux usuriers de nos banques et de nos fonds de pension vautours. L’ingratitude serait la marque de l’Occident qui méprise les réfugiés des crises économiques, des guerres et des désastres, qu’elle a elle-même provoqués. Elle qui a perdu sa raison d’être, tout comme elle ignore depuis toujours son empreinte écologique. Pas étonnant alors que le monde soit sans gouvernail, livré à la merci des marchés, et surtout à l’ingratitude des puissants qui refusent de reconnaître ce qu’ils doivent au genre humain. Nous sommes tous et toutes embarqués sur le même navire, il faudrait bien un jour s’en rendre compte et remettre l’argent au second rang de nos rapports humains.
Yves Carrier
Solidarité des êtres |
Réactions de l’assistance |
Demander, donner, recevoir |
Après la pause |
Évaluation |
En sciences sociales, à partir des années 1980, l’économie a pris l’ascendant sur les autres sciences telles que la sociologie, la psychologie, la philosophie et l’anthropologie et l’histoire. Dans cette optique, l’être humain en est réduit au rôle d’un individu qui poursuit ses propres intérêts de manière parfaitement égoïste. À l’intérieur des sciences sociales, de nombreux scientifiques ont adhéré à cette vision. Le mouvement M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) qui s’inspirent de Marcel Mauss a rejeté cette tendance. Derrière ce mouvement il y a entre autre Alain Caillé, professeur d’économie et de sociologie à l’université de Paris Nanterre. Ce mouvement est constitué d’experts des différents champs des sciences sociales qui refusent cette réduction des relations humaines aux seuls rapports utilitaires. Selon eux, l’être humain est porteur de bien davantage que cela, et c’est justement ces différentes qualités qui pourraient nous aider à sortir de l’incapacité sociale où nous sommes présentement, incapacité à construire du lien social menant à l’érosion progressive de nos sociétés.
Marcel Mauss, sociologue et anthropologue français, disciple d’Emmanuel Durkheim, fondateur de la sociologie française, va écrire en 1925 un essai sur le don qui s’inspire des pratiques du potlatch de l’Ouest canadien. À l’intérieur des sociétés primitives, Mauss va identifier trois phases dans la dynamique du don que sont le don lui-même, la réception du don et l’action de rendre. Alain Caillé ajoute à cette trilogie, un quatrième mouvement préalable à l’ensemble qui est l’acte de demander. La demande vise à conditionner le don en réponse à un besoin véritable. La demande est aussi un geste d’humilité de reconnaissance d’un besoin et d’un manque. Évidemment, cette dynamique ne se situe pas dans un rapport matériel ou quantitatif, ce qui instaure justement ce rapport de gratuité puisque je ne m’attends pas à recevoir la même chose ou la même valeur que j’ai donnée. Tu donnes ce que tu as ou ce que tu es et les autres s’organisent avec ça. D’ailleurs, on peut très bien recevoir d’une autre source que de la personne envers lequel le don s’est exercé. Il y a l’idée de partage et de mise en commun derrière tout cela. L’échange, le don, la réciprocité qui est la reconnaissance de l’autre dans ses besoins primordiaux, tout cela crée du lien, de l’appartenance, de l’identité et ultimement de la communauté. Le modèle serait celui d’une famille où le calcul entre les échanges n’entre pas en ligne de compte, le parent ne facturant pas à son enfant devenu adulte les soins qu’il a reçus étant enfant et l’adulte envers l’aîné qui a besoin de soutien. C’est ce qui s’appelle la dynamique de la réciprocité qui correspond à un cercle sans fin : Demander — donner — recevoir —rendre — demander – donner — recevoir— rendre — demander – donner — recevoir — rendre — demander — donner – recevoir — rendre — etc.
Lorsque tout est bouché et que le gouvernement ne bouge pas, c’est l’ultime pouvoir citoyen qui nous appartient. Nous l’avons vu lors de l’épisode du verglas en janvier-février 1998, les autorités complètement dépassées ont fait appel à l’entraide des citoyens pour éviter le pire. Ce sont alors les liens de proximité qui prennent le dessus. Devant l’urgence, les gens se regroupent et partagent efforts et moyens. Il se produit alors un changement de paradigme qui est digne d’un esprit révolutionnaire.
Solidarité des être et des atomes
L’affiche du thème de cette soirée a inspiré notre ami Victor Ramos, anthropologue québécois, qui s’est proposé pour nous introduire sur la question de la réciprocité et du don.
J’aimerais vous rappeler des choses que vous connaissez déjà. Faire des liens nous aide à mieux comprendre. Vous savez que chaque fois que nous parlons de don, de gratuité et de réciprocité, cela peut-être résumé par le mot : solidarité. Ce concept très beau est associé à des rêveurs qui poursuivent des utopies. Pour plusieurs de ceux et celles qui nous critiquent, nous serions contre-nature, puisque selon eux ce qui gouverne la nature, c’est la loi de la jungle, celle du plus fort qui domine les autres. Appliquée aux êtres humains, la loi de l’évolution ne consisterait qu’en la sélection des meilleurs et des plus aptes à survivre dans un monde hostile. Selon eux, il serait naturel et logique d’appliquer ces lois à l’ensemble de la société. Être solidaire serait anormal et contre-nature. Et cela n’est pas réaliste. Ce malthusianismes (vision du monde où seul méritent de survivre les plus forts) qui gouverne actuellement nos rêves, nos actions et nos pensées, serait quelque chose de pratiquement résiduelle des anciennes société primitives.
Au commencement de l’univers nous avons le Big bang ! Ce qui vient après, c’est le chaos, où la matière est éparpillée partout. Puis, peu à peu, la matière s’organise sous forme d’atomes et de molécules. Si nous prenons l’exemple de la molécule d’eau formée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène, nous n’aurions que deux éléments hautement volatiles. C’est cette interconnexion qui permet la neutralisation de leur caractère explosif et la formation d’un élément essentiel à la vie. La formation des molécules est la première expression de la collaboration entre les différents éléments qui composent la matière. S’il n’y avait pas de collaboration entre ces éléments, nous assisterions à la fission nucléaire. Ensuite va apparaître l’étape du vivant qui est une complexification supérieure de la matière.
Par exemple, dans la terre, les différents organismes vivants collaborent entre eux pour qu’ils puissent se développer en santé sans recourir aux produits chimiques. Entre les champignons et les racines, vous retrouvez une collaboration indispensable pour la vie de cette plante-là. De la vie, nous arrivons à l’animal et au social, à la partie de l’intelligence sociale. Nous rentrons alors dans ce que Teilhard De Chardin avait appelé la noosphère. Vous avez la géosphère, recouverte de la biosphère, matière vivante, et englobé dans la noosphère, la sphère de l’esprit, de la création, du savoir. Ce qui se développe le plus aujourd’hui, c’est la noosphère. Dans celle-ci, ce qui est réellement intéressant, c’est que pour que cela fonctionne bien et puisse continuer à grandir, nous avons besoin d’échanges. Nous avons besoin de collaborateurs, de demandeurs, de donneurs et de receveurs. Sinon, le processus est interrompu. Ce qui est extraordinaire, c’est que plus on donne, plus cela grandit et plus on va recevoir.
Pourquoi est-ce que je parle de cela ?
Simplement, vous constaterez que l’ensemble du processus matériel, même minéral, est constitué de collaborations et d’interrelations collaboratives. De la matière au vivant et de celui-ci au social, il s’agit d’un processus permanent de complexification. L’échange et la collaboration sont absolument fondamentaux et cela se fait sans arrière-pensée de retour sur l’investissement. Plus que jamais, le besoin des valeurs idéalistes de solidarité dont nous sommes, les irréalistes sont en fait des avant-gardistes du réel en train d’émerger. Tout cela participe du niveau de la noosphère.
Nous faisons partie de la géosphère, de la biosphère, et de la noosphère. À ces trois niveaux, c’est justement des relations et des échanges de plus en plus complexes de collaboration qui s’établissent. Les néolibéraux sont dans l’erreur lorsqu’ils prétendent que nous sommes irréalistes. En fait, les idéalistes d’hier, sont devenus des réalistes du 21ème siècle. Ces gens-là sont totalement dépassés avec le modèle utilitariste intéressé dont ils se font les porte-paroles. Si vous prenez l’exemple des compagnies pharmaceutiques, elles développent leurs projets en vase clos, sans partager leurs découvertes, pendant que leurs concurrentes recherchent et développent la même chose à côté d’elles. Quel gaspillage d’énergie alors que personne ne cherchent les solutions aux problèmes de maladies qui affectent les populations les plus pauvres parce que celles-ci n’ont pas les moyens d’acheter les médicaments brevetés. Ces entreprises sont en train de bloquer le développement du savoir. Dans tous les domaines de la recherche, lorsqu’on observe la question de la compétition à outrance, c’est la loi de l’égoïsme et de la compétition qui gouverne leur agir. Dans cette perspective, nous n’allons pas du tout avancer comme espèce et comme société, alors que dans la noosphère, les connaissances se développent de façon exponentielle. Les relations virtuelles et réelles du domaine de l’informatique, ressemblent de plus en plus à l’arborescence de la vie, celle qui existe dans nos systèmes nerveux, tous inter-reliés. C’est d’une richesse extrêmement forte et cela se diffuse dans toutes les directions. Cela nous indique que nécessairement, qu’on le veuille ou non, nous devons nous enligner sur le paradigme actuel déjà accepté par une partie de la population dans sa conception de la vie, qui est le paradigme de la collaboration et de la solidarité. Victor Ramos
Je trouve intéressant que nous parlions de la géosphère, de la biosphère et de la noosphère. Je comprends bien les concepts et je trouve cela intéressant. Souvent, nous passons à côté de la dimension de noosphère. Mais est-ce vraiment nécessaire de différencier la biosphère de la noosphère ? Si nous voulons mettre l’emphase sur ce phénomène nouveau qu’est l’informatique, l’internet, c’est intéressant de pouvoir mettre cela en relief. À quel point est-il nécessaire de mettre en relief que nous pouvons créer des interrelations sociales. Je ne suis pas certain qu’Internet nous permet de créer véritablement un tissu social ou une meilleure cohésion dans nos groupes ? Il est vrai que ce sont des outils de communication qui sont devenus essentiels dans ma vie, en tous cas, j’en ai l’impression. Mais je me pose la question jusqu’à quel point c’est aidant ? Est-ce que cela nous aide à nous rapprocher les uns des autres ? Je lance la question. Ce que j’ai perçu de la noosphère fait appel à l’informatique, à internet.
Marcel Mauss a pris le potlatch comme modèle d’étude anthropologique. Selon lui, le don serait une autre façon de faire la guerre. Au lieu de faire violence, par le don tu subjugues ton ennemi ou ton adversaire, pour le neutraliser. Tu le places dans une situation où il te devient redevable à cause du cadeau que tu lui as fait. À l’intérieur de ce système, il ne peut se venger qu’en t’offrant un plus gros cadeau. Si l’on prend le litige qui oppose la Corée du Nord à la Corée du Sud, ils ne peuvent pas se faire la guerre car cela entraînerait automatiquement l’annihilation des deux Corée. Par contre, la Corée du Sud, qui est infiniment plus riche que sa voisine, pourrait lui offrir une quantité telle de cadeaux que la Corée du Nord serait bien embêté de poursuivre son approche belliciste. Le don est une autre façon d’entrer en relation qui peut aussi désamorcer des conflits. YC
La noosphère se nourrit des technologies actuelles, de l’information, de la communication, de la cybernétique et tout cela, mais tout ce qui est connaissance, des plus anciennes jusqu’à aujourd’hui, participent à la noosphère. Parce que la dernière invention est la résultante de l’accumulation de toutes les connaissances qui l’ont précédée. Si l’on veut vraiment qu’il y ait des connections entre les différentes sphères, il faut établir des distinctions. Mais cela ne signifie pas de séparer ou de couper, bien au contraire. VR
Pour moi, cette présentation représente un modèle de développement linéaire de cause à effet, à partir d’une raison qui discrimine pour trouver sa voie et qui finit par additionner ses savoirs, ses compréhension, et se diviser. Cela crée l’ego nécessaire pour pouvoir dire moi en se séparant de la nature et du groupe. En Occident, c’est comme cela que ça fonctionne. Pour moi, la notion de noosphère préexiste à l’univers. L’humain, par son cheminement, est obligé de se rapprocher de cela puis c’est comme si nous développions l’intelligence dans ce qui est déjà intelligent. Cela nous permet de se percevoir soi-même, pour peut-être finir par se réintégrer au vivant en réintégrant la noosphère. En même temps, Teilhard De Chardin va découvrir que pendant un certain temps l’humanité avait une conscience séparative qui voit aujourd’hui la nécessité de s’unir, de recevoir et de donner. Un peu comme nous disons tout à l’heure à propos des potlatchs, c’est une manière de voir qui dit : « On donne et cela produit des fruits. » Si je donne à l’autre au lieu de lui casser la gueule, ce qui passe à travers moi, passe à travers lui aussi. Cela nous rapproche de quelque chose que nous avons en commun. En Occident, nous avons fait un très grand détour pour faire ce pèlerinage dans la matière. Mais cela se rejoint. Nous sommes formés comme cela, lorsque nous allons à l’université, on nous apprend à discriminer. Comment devons-nous faire pour nous enraciner à nouveau dans la vie et nous apercevoir que nous pouvons être généreux parce que la vie est généreuse ? Cette même vie qui coule dans nos veines et dans notre cœur.
Pour donner une image de tout cela, dans la nature, dans le parc national de Yellowstone, il n’y avait plus de loups. Puis, il y a une vingtaine d’années, il y a été réintroduit et, tout de suite, l’on s’est aperçu que de profonds changements se produisaient dans la flore et la faune, de même que dans l’érosion des sols au bord des cours d’eau. Sans regarder plus loin, l’homme avait présupposé que le loup était une espèce nuisible qui dévorait le gibier, alors qu’en fait, il contribue pour une bonne part à maintenir les systèmes en équilibre, évitant qu’une espèce ne détruise son propre environnement. C’est un parfait exemple de choses qui semblent s’opposer dans la nature alors qu’elles sont complémentaires. Il y a une réflexion à faire sur ce qui semble s’opposer dans nos sociétés et être en conflit peut s’entraider. C’est une intuition que je porte. Aussi, je me faisais une réflexion plus générale. Dans cette dynamique du don, je trouvais la dimension de la demande très importante. Tout d’abord, quelle est la nature de ce don que je donne ? Est-ce que je donne avec une intention égoïste ? Est-ce que je donne gratuitement ? Ma réflexion n’est pas terminée à ce propos.
C’est la première fois que j’entends parler d’une affaire comme ça et je suis un peu confuse. Je me demande si dans mon militantisme comment est-ce que je reflète tout cela ? Est-ce que cela fait partie de cette dynamique le fait que pour moi la lutte à la pauvreté c’est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur, que j’ai envie de partager quand je vais ailleurs. Pour moi, il est très important de sensibiliser les gens sur ce que c’est que de vivre dans la pauvreté. Je me demande si mon implication et mes témoignages appartiennent à la dynamique du don ?
Lorsque j’ai eu l’idée de ce thème, je pensais justement à toi qui donnes ton temps par ton implication. Lorsque que tu milites, tu reçois également parce que tu rencontres énormément de gens et que tu apprends des choses, tu es valorisée par ton militantisme, tu reçois l’estime des autres, de l’amour, de la reconnaissance, etc. Tu rends également puisque tout ce que tu reçois, tu le redonnes d’une autre façon. Pour ce qui est de la demande, lorsque tu es sortie de chez-vous pour aller voir des groupes comme l’ADDS, cela partait d’une demande que tu avais envers toi-même, envers ta vie. Tu voulais sortir d’une situation où tu te sentais piégée, et tu as eu l’intelligence de comprendre qu’en allant vers des groupes, tu allais vivre mieux. Tu t’es mise à bouger, c’est un mouvement que cette dynamique représente. Et ce que tu demandes, tu le fais aussi en pensant aux autres qui n’ont pas la force de le faire.
Le fait de partager mon vécu, d’aller faire un témoignage devant des étudiantes en travail social, je donne quelque chose. Je donne les besoins criants de la pauvreté. Si je vais à quelque part où l’on parle de pauvreté comme ce matin, je reçois des informations, et le rendre, j’imagine que cela a rapport avec les luttes que nous menons contre l’injustice.
Par ton don tu grandis parce que tu reçois puis tu rends ce que tu as reçu en t’impliquant. Plus tu reçois et plus tu donnes puisque tu as beaucoup reçu et que tu as beaucoup appris. Tu n’es plus la même personne qu’au début de ton engagement citoyen.
Demander, donner, recevoir, rendre et demander
C’est comme un processus qui se mord la queue d’ailleurs puisqu’il recommence à l’infini. Il faut faire apparaitre une autre idée qui est celle de structure. Nous sommes plus ou moins insérés dans des structures de dons et de contre-dons, formelles et informelles. Les gens engagés comme toi, circulent dans le processus, mais ils travaillent aussi à des modifications de structures dans lesquelles peut ou ne peut pas se faire du don et du contre-don. L’engagement est qualifié sur la base de la qualité des liens que les gens ont entre eux. Cela s’inscrit dans le processus cela aussi. Il faut penser en termes de système et non pas uniquement en termes d’échanges entre deux individus.
Cela attire mon attention que la notion de partage n’apparaisse pas ici dans ce schéma. Claude Levy Strauss avait identifié une différence dans les sociétés traditionnelles il y avait le partage de la chasse et de la cueillette qui était parfaitement codifié. Exemple, dans la société A, le partage a lieu de façon totalement gratuite. Je donne sans attendre rien en retour, parce que le code de ma société me dit que moi chasseur X je donne à ma tante maternelle à qui je donne tout ce que j’ai chassé. L’autre fait la même chose, avec sa tante maternelle. Les échanges sont codés et la personne qui reçoit ne doit rien parce que les dons ont comme première fonction de créer des liens. Par contre, dans l’exemple présenté aujourd’hui, si je reçois un cadeau, il faut que je lui fasse un cadeau. Cela crée un lien d’inégalité dans le sens que je redeviens redevable envers celui qui m’a offert un cadeau. C’est comme les liens de famille où l’on ne calcule pas le temps où l’on s’occupe de ses petits-enfants. C’est un rapport de gratuité et d’émerveillement. Les sociétés traditionnelles de chasseurs-cueilleurs peuvent éclater à tous moments. S’il se produisait une dispute d’une personne avec une autre, cela pouvait signifier la sortie pour plusieurs membres du groupe. C’est comme cela qu’avait lieu les migrations. Puisque personne ne doit rien à quiconque, rien ne les contraint à rester dans cette société. Ce sont des individus autonomes. Sauf que la parenté créait le lien de réciprocité qui leur permettait de demeurer unis. Le don était aussi l’expression symbolique du lien qui les unis. Si je compare avec notre société, nous sommes sur une autre planète. Même si on se dit autonome, nous ne fabriquons pas nos vêtements et nous ne produisons pas nos aliments. Pour me vêtir, j’ai besoin des autres qui travaillent dans des pays très éloignés. C’était pour faire une différence entre le don et le partage. Le partage, c’est comme donner au suivant, sans attente préétablie.
Le don n’est pas si simple que cela. S’il n’y a pas le partage et une codification dans un groupe, et souvent les sociétés primitives étaient plus sages à ce propos que les nôtres, le don peut être complètement vicié. Nous avons ici l’exemple d’un beau cercle vertueux, mais il faut faire attention au don parce que lorsque le don excède le contre-don que tu peux faire, que tu peux rendre, que tu es incapable de rendre, qu’est-ce que cela produit, c’est de l’irritation qui est l’une de raisons les plus fondamentales pour expliquer la situation actuelle avec les pays musulmans. L’impossibilité de rendre ce que l’on reçoit produit une humiliation et appelle la vengeance. Cela est pire que d’avoir faim parce qu’on ne peut pas très longtemps toléré d’être humilié. Alors il faut absolument éviter que le don ne serve qu’à exercer un pouvoir, les dons des pays occidentaux sur les pays pauvres leur permet d’exercer énormément de pouvoir sur ces derniers. Il faut faire attention à cela parce que le don peut être une arme dont on se sert contre les gens. Dans un monde matérialiste, il est assez difficile de faire face aux dons des Chinois ou des Américains. Quand on est Érythréen, tout ce qu’on peut faire, c’est travailler pour des salaires de misère.
Il y a encore quelque chose que nous avons oublié de mentionner, c’est qu’il y a un contre-processus qui agit ici. Un processus de destruction que scientifiquement nous appelons entropie. Moralement, nous dirions le mal, sociologiquement nous dirions le déclin ou la décadence. Le processus de croissance et de connexion est toujours accompagné d’un contre-processus de division et de destruction. Alors il faut aussi tenir compte de cela.
C’est aussi vrai avec la nourriture dans les sociétés primitives. Si tu abats un gros gibier, tu ne peux pas le manger seul, tu ne peux que le partager avec les autres en sachant que la prochaine fois tu vas recevoir le produit de la chasse des autres. Sous les tropiques, le poisson, la viande et les fruits, pourrissent très vite et tu ne peux rien accumuler. Aussi les autochtones ont cette vision que la vie, dans chaque animal, dans la pluie, le soleil, chaque gorgée d’eau et chaque respiration, s’offre à eux. Ceci produit qu’ils se sentent redevables envers la nature et qu’ils souhaitent rendre ce qu’ils ont reçu en partageant avec les autres, même l’étranger de passage. Ils se sentent également redevables envers leurs ancêtres et le Grand Esprit qui les a créés, envers la Terre-Mère qui les nourrit, etc. Ils grandissent avec ces valeurs qui leur inculquent de rendre à la vie. Leur mission sur Terre est de rendre à la vie qui leur a tout donner. Nous occidentaux, ne sommes jamais satisfaits de la vie de laquelle nous exigeons toujours davantage. De là provient l’idée que la mise en commun produit toujours davantage que l’isolement et le chacun pour soi. La mise en commun produit aussi du temps libre parce qu’après avoir eu une bonne chasse, je peux me reposer sur les autres et entreprendre autre chose qui me tient à cœur. Au Brésil, par exemple, lorsqu’il y a une fête et qu’il y a trop de nourriture, ils sortent dans la rue et ils invitent les passants jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à manger. La fête est inclusive, c’est un acte social qui n’est jamais privé.
En Amérique latine, dans les villages où nous avons vécu, les gens avaient moins de choses et ils partageaient le peu qu’ils avaient. Ici nous sommes une société matérialiste et nous vivons dans la peur du manque. Chez eux, le don est beaucoup plus inconditionnel.
J’essaie de comprendre l’histoire du don. De la manière que je comprends, il y a des dons qui sont dangereux, et d’autres le sont moins. Quand j’offre un service à quelqu’un, cela fait partie de mes valeurs, de mes convictions, et je ne le fais pas par obligation. Je le fais parce que j’aime rendre service et je n’attends rien en retour. Je ne me dis pas qu’elle va me devoir des heures de garde de mon chat parce que l’ai dépannée. Je ne calcule pas non plus le nombre de fois que je rends service à quelqu’un. Je suis un peu perplexe devant l’histoire du don qui peut être dangereux ou non.
Le don est dangereux lorsqu’il te place en situation de dette, d’être redevable envers une personne. Par exemple, si quelqu’un de puissant te propose de te taire et de cesser tes revendications en échange d’un cadeau. Il ne s’agit plus vraiment d’un don à ce moment-là.
Je continuerais de parler quand même.
Pour moi, il y a une différence entre le don, le partage puis un cadeau intéressé. Par exemple, un organisme subventionnaire qui va effectuer un don tout en imposant certaines contraintes qui nuisent à la liberté de l’organisme bénéficiaire. Pour moi, une des conditions du don c’est de nourrir la liberté. Cela doit être associé à l’amour et à la liberté et dans ce sens là un don qui enchaine n’est pas vraiment un don. C’est plus une manière d’exercer un pouvoir de domination. Cela crée de la dépendance. On retrouve ici une dialectique entre la dépendance et la liberté. Si nous prenons l’exemple de la dote en Inde, avec le temps, c’est devenu une perversion du don.
Moi je pense à ceux et celles qui travaillent au-delà du temps qu’ils sont rémunérés parce qu’ils aiment leur travail et surtout les gens, comme les infirmières. Entre la vocation et le don, je ne sais pas quelles est la différence. Les gens qui exercent une vocation retirent une grande satisfaction de leur travail qui est aussi pour eux une passion. Ils travaillent au-delà du salaire qu’ils reçoivent. Je parle de ceux et celles qui travaillent avec des personnes, exemple un préposé aux bénéficiaires qui va à domicile pour travailler.
Ce sont des gens quoi ont compris que le salaire est un moyen pour survivre, mais ce qu’ils font dans la vie, ce n’est pas pour l’argent qu’ils le font. Un enseignant par exemple qui ne compte pas ses heures parce qu’il est passionné par l’enseignement et son désir d’éduquer ses élèves. C’est comme cela que l’on peut atteindre la réalisation de soi, en s’adonnant à une passion qui est une réponse dans l’agir à un désir de rendre l’amour effectif.
Dans ton cas Monique, c’est une vocation. Pour moi aussi, mon engagement social est une forme de vocation. C’est souvent la vie qui nous a amené à faire ce que nous faisons aujourd’hui.
C’est un présent de la vie de pouvoir faire ce que nous aimons pour gagner notre vie.
La vocation te permet de faire des dons.
La vocation est déjà un don.
Il y a aussi l’idée d’être utile aux autres. Il ne s’agit pas juste de se faire plaisir, mais d’être utile dans ce que tu fais. C’est gratifiant de se sentir utile.
Les retraités vivent beaucoup cette gratuité là justement. Votre action n’étant plus motivé par un salaire ou un désir d’avancement professionnel, vous poursuivez d’autres fins. Avec votre pension, vous êtes détachés du salaire. Donc si vous continuez à être présents, à rendre service et à militer, c’est parce que vous aimez avoir ce rapport non intéressé aux autres.
Dans mon cas, c’est un partage d’essayer d’être utile aux autres et de faire des choses pour me faire plaisir aussi. J’essaie d’avoir le partage le plus judicieux possible.
Je veux retourner à l’idée des dons dangereux ou destructifs. Au Brésil, les politiciens distribuent des couvertures ou des gilets aux électeurs pauvres. Ceux-ci se sentent alors redevables parce qu’ils ne comprennent pas que ce qui leur est offert n’est en fait qu’une infime parcelle de ce qui leur a été volé. (Les salaires de famine entre-autre, sont une forme de vol organisé des plus riches envers les plus pauvres.) Il s’agit d’un don qui est à la base d’un système politique corrompu. Il faut lutter pour briser ce cercle négatif en un cercle positif. (Tu es pauvre, je viens à ton secours une fois tous les quatre ans, et tu votes pour moi qui suis généreux.) Pour moi, c’est ça la militance. La militance est un don pour le reste de la société. On lutte pour nettoyer un mal qui est un cancer dans la société.
Je reviens sur l’idée des structures de dons plus ou moins positifs ou pervers. Effectivement, il existe des structures de dons qui sont des structures de domination. Je pense par exemple à une certaine manière de voir les systèmes d’aide sociale ou aux programmes sociaux en général. Cela place chaque individu en rapport avec une entité abstraite qu’est l’État, et je ne suis pas certain que cela nous met dans une situation de don optimal. Les ouvriers, les chrétiens, les paysans et les socialistes au XIXème siècle, pour sortir de leur condition de misère et leur incapacité à faire changer les patrons, se sont mis en coopérative où ils sont parvenus à changer de vis-à-vis en quelque sorte et à acquérir un certain pouvoir sur leurs conditions de vie. Ils se sont donnés à eux-mêmes les moyens de transformer leur société. Ils ont inventé un nouveau système de relations où ils n’étaient plus en relation de dépendance par rapport à des patrons, aux capitalistes, ou à l’État. Est-ce qu’aujourd’hui notre créativité militante si elle devait se porter aussi sur les structures de domination, incluant les systèmes d’aide de l’État, ne devrait-elle pas s’enligner en une manière de changer le vis-à-vis ?
C’est très intéressant comme question parce que nous disons souvent que nous sommes dans un changement d’époque. Nous avons essayé le tout au marche et cela n’a pas marché. Nous avons aussi essayé tout à l’État et cela n’a pas fonctionné. C’est drôle parce que nous oublions ce que nous avons fait pendant longtemps. L’humanité a été indépendante pendant 95% de son histoire. Si nous calculons 200 000 ans d’histoire de l’homo sapiens sapiens, il y a seulement entre 5 000 à 7 000 ans, que sont apparues des sociétés avec des États et des classes sociales, riches et pauvres. Auparavant, l’oikonomos, l’économie de la maison était contrôlée principalement par la femme qui était la grande administratrice de tout ça. Il y avait une autonomie énorme. Il n’y avait pas de vente, ni d’argent, et on ne connaissait même pas le mot « vendre ». Pourquoi est-ce que je parle de cela ? À cause qu’actuellement, nous sommes en train de vivre la réapparition du don, du partage, de la coopération, et ce que nous appelons l’économie sociale qui a différentes formes. Ce qui est caractéristique de cette économie, c’est que ce sont les citoyens, des individus, mais dans la plupart des cas des collectifs qui mènent et non plus le capital. Ce sont des citoyens et des citoyennes qui sont ensembles.
Aussi longtemps où nous n’allons pas développer ce secteur qui a toujours été fondamental dans l’histoire de notre espèce, parce que cela nous permettait d’être autonomes, d’être indépendants du capital ou de l’État, nous serons condamnés à nous lamenter ou à faire des manifestations. Nous n’allons pas ébranler le système, mais aujourd’hui, la mondialisation solidaire émerge de partout et ce sont surtout des initiatives de citoyens ordinaires comme nous. Vous êtes au courant de la crise qu’il y a au Venezuela. L’opposition dit que tout ce qui arrive est de la faute au gouvernement, ce qui n’est pas le cas même s’il a commis certaines erreurs. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai trouvé des initiatives citoyennes pour faire face à la guerre économique. Les gens commencent à fabriquer eux-mêmes leurs savons, leur dentifrice, leur farine et leurs arrepas, galettes de farine de maïs. En plus ce sont des produits biologiques. Sur internet, j’ai trouvé un réseau de 5000 familles pauvres qui ont recommencé à cultiver un maïs traditionnel. Ils ont réussi à redevenir indépendants des grandes compagnies qui boycottent la production et les importations pour faire tomber le gouvernement socialiste de Nicolas Maduro. Il ne s’agit là que d’un seul exemple comment il est possible d’échapper à la dictature du marché. Aussi longtemps que nous nous réapproprions pas de façon significative l’économie, nous allons demeurer dépendant de l’État et de ce qu’il veut nous donner. L’économie sociale est un chemin extrêmement intéressant. Victor Ramos
Aux Amies de la Terre, cela fait longtemps que nous avons des groupes d’achats regroupés et des ateliers pour apprendre à cuisiner de manière à ce que cela soit savoureux et bon pour la santé tout en encourageant des petits producteurs biologiques. Plus tu es proche d’un aliment non transformé, plus il est vital et moins il coûte cher. Il y a aussi l’apprentissage de cuire des aliments avec peu d’énergie. Trempage, germination, semis, production, jardinage, jardin communautaire, cuisine collective, etc. La nourriture préparée coûte extrêmement chère. Quand on parle du panier de consommation, je peux comprendre la chose, mais il y a quelque chose que nous avons perdu. L’associativité, l’idée de se mettre ensemble pour des groupes d’achats, cela vient de la contre-culture au Québec. Il y a une vie simple qui consiste à vivre proche de soi-même et de sa propre nature. Plus notre vie est ennuyeuse et plus nous avons besoin de compenser en consommant des choses inutiles ou des substances pour nous évader du réel. La consommation est le moteur de notre économie et cela n’a pas commencé avec le néolibéralisme. Nous compensons constamment et nous ne savons plus comment nous associer puisque nous avons l’élément magique de l’argent. Aujourd’hui, on se dit toujours que nous n’avons pas d’argent pour faire ceci ou cela. Autrefois, ils observaient autour d’eux et ils faisaient avec les moyens à leur disposition en employant leur créativité et leur solidarité. Avec la pensée linéaire, nous ne sommes plus capables de faire cela. Dans le don, il y a un aspect que nous n’avons pas traité, dans le taoïsme, il y a l’accueil. Comme le Yin et le Yang, il faut se laisser accueillir et être accueillant envers ce que la vie nous apporte.
C’est un mouvement giratoire où selon les niveaux d’inférence, nous sommes accueillis ou accueillants. Cela nous enracine de façon multidimensionnelle dans le cosmos vivant. Le fait d’être constamment à côté de la vie, évoqué dans l’image de l’exclusion du paradis terrestre, c’est un méandre qui dure depuis des milliers d’années. Comme espèce nous explorons la matière, mais nous retournons à la noosphère. Cette noosphère est cosmique, elle nous attend. Le fait de donner, c’est une manière de s’affranchir de l’attrait que la matière a sur nous. C’est un ego osmotique qui à nouveau permet que l’énergie entre en soi et en sorte de manière positive. C’est très relier, religare, partout il y a du liant. Aux Amis de la Terre nous avons travailler cette question du liant pendant trois ans. Nous avons des éco-quartier sans avoir d’éco-communautés. Le système est en train de nous imprimer des choses aussi fortes que les religions. Où sont les lieux où il y a du liant ? Les écoles, les bars, les écoles de musique, les foyers pour personnes âgées, c’est rempli de zone où il y a de la trame qui se fait et si elle ne se fait pas, nous laissons se créer des drames. Michel Leclerc
Le don véritable ne se situe pas au niveau du faire, mais de l’être. Avant de donner à l’autre, il faut pouvoir le reconnaître dans son être, dans ce qu’il est comme être humain. Le don est un acte de domination lorsque c’est en rapport avec ce que la personne fait de bien ou de mal, tout ce qui est de l’ordre de la morale. Pourquoi l’aide sociale a été instaurée au début des années 1970 ? C’est que dans les faits on se disait qu’en tant que société nous voulions nous donner cela parce que chaque personne, de par le fait qu’il est un être humain, pour sa dignité, a le droit d’avoir un toit, des vêtements, de la nourriture, de l’éducation et des soins de santé, peu importe ce qu’il fait dans la vie. C’est un droit intrinsèque malgré tous les préjugés que nous pourrions avoir envers ces personnes. Même s’il s’agit d’une personne qui agit à l’encontre de ce que tu trouves beau et bon, cela ne lui enlève pas le droit de demeurer digne.
Les personnes ne doivent pas être très humaines de ce temps-ci parce que le montant que verse le gouvernement est loin d’être suffisant pour vivre dans la dignité.
J’aimerais poursuivre sur cette lancée. Je trouve que l’aide sociale est bon exemple de ce que je qualifierais de pervertissement de la philosophie du don, dans le sens où les bénéficiaires sont redevables envers l’État. Donc, c’est le contraire du sens qu’a le don. Il y a présentement en Ontario un projet pilote de revenu minimum garanti. Est-ce que cela serait une solution pour sortir de ce lien malsain qui est imposé par l’État envers ceux et celles que nous avons rendus dépendants ?
Il y a un rapport d’experts sur le revenu minimum garanti qui va sortir à l’automne, commandé par François Blais le ministre du travail et de la solidarité sociale.
L’intention générale qu’a le gouvernement derrière cette réforme c’est d’économiser et non de faire disparaitre la pauvreté.
Nous sommes dans l’anti-don. Les réformes à l’aide-sociale se font toujours dans le but d’économiser de l’argent. Sans doute qu’au commencement de l’État providence, l’aide gouvernementale ne se voulait pas humiliante envers la population, mais en quelques décennies, les anciennes méthodes de contrôle et de culpabilisation se sont recrées sous d’autres formes. Comme quoi, peut-être que l’institutionnalisation du don conduit à la mort du don.
Selon moi, la loi actuelle de l’aide sociale brise les solidarités de base en interdisant l’entre-aide et la cohabitation intergénérationnelle, en couple ou en famille. Cette loi est faite pour séparer le monde.
On leur enlève complètement leur dignité. Tu n’as pas le droit à rien. Ils prétendent que ce qu’ils nous donnent est suffisant pour maintenir sa santé physique et mentale, pour s’épanouir, se former et retourner sur le marché du travail, sans recevoir d’aide de ses proches. Je peux vous dire qu’il y a du danger pour les personnes en situation de pauvreté dans le projet que le ministre Blais veut faire. On va être deux fois plus pauvre qu’actuellement. En plus de nous donner l’argent, nous allons devoir payer pour avoir des soins, etc.
Nous allons parler du projet du ministre Blais s’il est présenté à l’automne.
Ma crainte par rapport à ce sujet, c’est qu’on se perde dans les considération de charité. C’est aussi une notion galvaudée. La charité sert à se déculpabiliser et à se dire que nous avons agi. Lorsqu’on est en moyen, cela peut être une façon d’oublier ses obligations et de se libérer la conscience. Il y a un texte que j’ai traduit pour la dernière feuille de chou du CAPMO, d’un psychologue chilien qui écrit en parlant de la pyramide de Maslow, que les premiers niveaux, les besoins de base de la pyramide nécessitent de l’argent pour que chaque individu puisse les assumer. Ensuite, les niveaux intermédiaires sont mieux desservis si on les assume de manière collective car ils sont hors de porter d’un individu seul. Exemple l’éducation et la santé, je ne peux pas avoir un hôpital à moi seul, je dois le faire collectivement. Pour ce qui est des niveaux supérieurs concernant la réalisation de soi et l’émancipation, la transmission de mon savoir-faire ou de mon expérience acquise ainsi que l’univers de l’expression symbolique, qui peuvent être réalisés chez des population en situation de pauvreté qui ne jouissent pas en permanence de l’accès à des ressources suffisantes, ces derniers niveaux ne peuvent être achetés avec de l’argent parce qu’ils exigent certaines formes d’intériorisation, d’autocritique, de renoncement ou de retour sur son expérience de vie. C’est fantastique ! Le bonheur authentique est inaccessible aux individualistes matérialistes qui vivent en permanence dans l’insatisfaction et la peur. YC
Avant la loi sur l’aide sociale, les personnes handicapées étaient à la rue s’ils ne bénéficiaient pas du soutien de leur famille. Plusieurs vivaient en institution. À partir des années 1970, nous les avons envoyés vivre dans la société. Dans la réalité, plusieurs étaient incapables de vivre seul. Il n’y a pas que la question de l’aide sociale, il faut que ces gens aient accès à des services et de manière constante. Les services n’ont pas suivi la désinstitutionalisation. Ils sont souvent laissés à eux-mêmes alors qu’on coupe les services, les agents de milieu et les agences gouvernementales qui sont sensées les aider. Il y a quarante ans, les personnes handicapées ne sortaient pas puisque les lieux n’étaient même pas accessibles. Souvent, elles devaient demeurer dans leur famille. Aujourd’hui, même si on est plus visibles, c’est encore caché. On cache encore les gens avec des vulnérabilités.
Malgré ce que j’ai dit tout à l’heure qui avait l’air de critiquer l’aide sociale comme forme de dépendance, ce n’est pas cela que je voulais dire. Je pense que c’est une grande évolution que l’État vienne en aide aux gens qui ont besoin, de manière temporaire ou permanente, d’un coup de main. Dans ce temps-là, il y avait une véritable aliénation, en même temps qu’une solidarité familiale. C’était le temps de la charité aussi où les petites élites locales distribuaient des miettes aux moins fortunés. Je trouve qu’un service de soutien social par l’État, c’est une avancée par rapport à cela, du point de vue de la liberté et de l’image de soi que cela donne aux gens. Il est certain que si cela a servi à couper les autres formes de solidarité, parce que l’État s’en occupe trop mal à 600$ par mois, il y a un problème. Ce n’est pas un problème de type de service mais de quantité d’argent offert.
Quand je parlais de soutien, j’évoquais aussi le soutien social et les services offerts dans le milieu, par exemple les psychologues qui ont été coupé.
Il y a eu deux mouvements. Celui de l’État providence, de la Révolution tranquille jusqu’au premier référendum de 1981, puis depuis 1982, c’est la descente.
C’est carrément un problème d’État et de sa lente déshumanisation et qui ne peut être dans une mouvance de solidarité tel qu’il est présentement et tel qu’il a évolué depuis trois décennies. Cette déshumanisation se traduit par certaines formes de violences structurelles qui consistent en une négation de la dignité des travailleurs de l’État et de la population qui requiert différentes formes d’aides.
On retrouve cela dans l’histoire du christianisme qui au départ est rempli de bonnes intentions qui constituent un charisme qu’on organise pour qu’il soit davantage effectif et qu’on institutionnalise après le départ de la première génération des fondateurs. Finalement l’institution finit par trahir la vocation qu’elle avait au point de départ et être infidèle à sa mission.
Tout comme les révolutions ont trahi leur idéaux.
À partir du moment où la morale de servir le citoyen disparait du sens de l’État, la solidarité se brise. Par ailleurs, l’État providence a un effet pervers. En détruisant les formes de solidarités traditionnelles, l’État a rendu les gens dépendants. Aujourd’hui, nous sommes tellement endoctrinés par l’idéologie néolibérale et la poursuite de nos propres intérêts que nous avons de la difficulté à rebâtir nos solidarités.
Moi, j’ai bien aimé le mot réciprocité qui signifie les uns, les autres. Aux Amis de la Terre, nous avons ajouté le mot réciprocité dans notre vocable de mots-clés. Traite les autres comme tu veux être traité. Il ne faut pas faire d’ingérence, mais ce n’est pas suffisant. Souvent on ne donne pas de peur d’être obligé de donner. Dans l’accueil, il faut avoir la capacité de se laisser accueillir. Je pensais au divin, au cosmos, à la vie aussi. Si je suis dans un monde, un univers, un cosmos mort, qui est apparu par hasard, il n’y avait rien avant et il n’y aura rien après, et la consommation pendant, c’est difficile de se laisser habiter par ce néant-là. Pour moi, la réciprocité, la solidarité ou le don, en 2001, la question que je me posais lors de la grande marche du Sommet des Amériques était : Qu’est-ce qui nous enracine en commun qui fait que : si je donne à l’autre, je me donne à moi-même ? C’est la trame de vie qui nous réunit tous en son sein. C’est comme un tapis d’orient où chaque fibre pourrait dire moi je suis la plus belle, mais nous avons tous les pieds dans la tapisserie de la vie. Chez les arabes pré-musulmans, ils ont des mosaïques de 3000 ans où aucune pierre n’est tombée. C’est la qualité du ciment qui est la qualité du liant. Qu’est-ce qui fait que dans ma vie et dans celle des autres, qu’est-ce que j’ai en commun avec les tulipes ? Qu’est-ce qui m’est prêté à chaque année avec le printemps, avec la venue de l’hiver ? C’est très vivant les cycles des saisons. Avec le temps, les bonnes idées se gâtent, elles passent sous le socle et elles reviennent parce que nous sommes enracinés dans le vivant. Et cette coupure par rapport à notre propre nature provient en parti de cette vision que nous avons du vivant, de la nature et de l’univers, nous venons du néant et c’est chacun pour soi. Pour ce qui est de l’État providence et de la solidarité sociale, il y a eu une conjoncture de plusieurs choses qui ont fait que l’argent a pris de l’ampleur. Nous nous sommes lancés dans la consommation et les grands-parents ont commencé à être isolés de la famille. Les générations des années 1950 voulaient oublier les guerres et acquérir des biens pour jouir de la vie. Cet oubli de sa propre responsabilité de solidarité, pour moi ce n’est pas juste l’État qui l’a défait. Ensuite, ils ont inventé le crédit et maintenant nous courons pour payer notre consommation à crédit. Nous vivons dans une situation intenable. Si nous voulons être solidaires à nouveau, il y a quelque chose qui nous appartient à l’intérieur qui va faire que nous allons être civiles entre-nous, il faut être enracinés à la même place.
Depuis le début, nous parlons de la dynamique du don, du partage, mais je trouve qu’encore plus fondamentalement, il y a une question à se poser qui est : Est-ce que je donne vraiment ma vie ? Est-ce que j’ai vraiment une capacité à me donner moi-même ? Le don de sa vie, de son existence, à une cause, pour la justice sociale, pour la dignité humaine. Notre capacité, notre ouverture, notre accueil à recevoir, part de là à quelque part. Cela part de l’être comme j’ai dit tout à l’heure.
Au lieu de se dire : Qu’est-ce que j’ai à donner ?, il faudrait peut-être se dire, comme les autochtones, qu’est-ce que j’ai reçu de la vie ? Un couché de soleil, un beau printemps, l’air que nous respirons, les oiseaux qui chantent au petit matin. Avoir de la gratitude. Ce qui renvoie à un état de grâce et d’émerveillement devant la vie. Si l’on observe la vie sous cet angle en reconnaissant tout ce que la vie nous apporte, le don devient un élan naturelle.
Moi c’est la question : Est-ce que je suis capable de donner ?, qui me vient. Est-ce que j’ai besoin de garder ? Est-ce que j’ai besoin d’être toujours sur la défensive en me posant la question : Est-il nécessaire que je me prépare au pire ? C’est tout à fait humain et naturel de vivre et de partager le moment présent avec tout un chacun. Il n’est pas nécessaire d’avoir une grande capacité et une force. Il suffit de se laisser aller, mais l’insécurité me pousse à me refermer sur mes possessions lorsque je me laisse guider par la peur du manque. Est-ce que je suis capable d’être généreux ? Est-ce que je me fais assez confiance pour être moi-même avec les autres ?
Bonne question !
Quand j’étais jeune, j’avais de la difficulté à l’école. Au fil du temps, j’ai essayé d’aller sur le marché du travail. Je me suis efforcée de m’insérer dans la vie et dans la société, et j’ai eu de la difficulté. Comme les employeurs ne sont pas capables de m’accepter comme je suis, à la capacité que je suis capable de donner, je me suis dit : Il faut que je trouve un moyen pour faire quelque chose. C’est là que j’ai commencé à militer. Au fil du temps, je me suis dit que c’est peut-être cela qui est ma voie ? Étant donné mon incapacité à aller sur le marché du travail, étant donné que la société a de la difficulté à accepter ma capacité motrice, physique, intellectuelle ou peu importe, je me suis aperçue que j’ai quand même une place dans cette société en faisant ce que je fais. J’apporte des choses, j’apporte mon vécu, j’apporte le bagage d’autres personnes qui sont autour de moi, et en même temps j’apprends de tout le monde, et je pense qu’à quelque part, c’est peut-être là une forme de réciprocité. Malgré mes difficultés à intégrer le marché du travail, j’ai acquis le diplôme universitaire de la vie parce que j’apporte mon vécu, mon bagage, mon quotidien, comment j’ai fait pour m’en sortir et qu’est-ce que je fais pour être épanouie. C’est ma façon d’appartenir à la société, même si cela n’est pas reconnu par tous, c’est incroyable nombre d’heures que nous pouvons donner. Je donne parce que j’ai envie de partager mes expériences. Si le gouvernement prenait le temps d’analyser l’agenda des militants, il serait étonné. Il faut s’unir les uns les autres pour aider les personnes dans le besoin. Il faut participer aux manifestations pour appuyer les différentes luttes parce que cela nous concerne tous et toutes. Pourquoi nous ne pouvons pas aller comme nous voulons dans cette maison du peuple pour interpeller nos dirigeants lorsqu’ils rédigent des lois injustes comme ils sont en train de la faire à l’aide sociale. Ce sont supposément des experts qui rédigent ces lois, mais ce ne sont pas des experts du vécu. Ils ne tiennent pas compte de la réalité des gens. Le gouvernement ne consulte pas son peuple avant de rédiger ses lois. Cela me dépasse.
Je voudrais répondre à Jonathan. Un don n’est pas nécessairement quelque chose de matériel. Cela pourrait être un sourire pour quelqu’un de déprimé, cela pourrait être passé du temps avec quelqu’un qui se sent seul, accompagner quelqu’un. C’est dramatique avec les suicidaires. Il y a beaucoup de gens qui pensent au suicide. Ce qu’il faut faire avec eux, c’est simplement les accompagner pour qu’ils sachent qu’il y a quelqu’un qui se soucie d’eux et qui est présent. Cela fait une grande différence. Le temps que nous prenons avec eux est un don de vie. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces petits moments que nous avons les uns avec les autres. Ce partage, cette qualité de présence qui s’intéresse à l’autre, cela donne une raison d’être pour un instant, un espoir auquel s’accrocher.
Dans le don, il faut parfois être capable de dire non. Il peut arriver que l’autre abuse de ta bonté.
Il faut équilibrer les choses.
Surtout lorsqu’on parle d’accompagner des personnes suicidaires, pour avoir accompagné quelqu’un dans cette situation, il faut être capable de fixer ses énergies pour être aidant. Parfois, il se peut que nous soyons incapables de l’aider. Il faut que la personne s’aide aussi.
Écouter l’autre, c’est le minimum qu’on se doit les uns aux autres.
J’ai accompagné quelqu’un, pendant un an, dans toutes sortes de situations. C’est long. Parfois, j’ai été obligé de la brasser. Il ne s’agit pas toujours d’être bon, parfois aussi il faut être ferme, sévère, confrontant, pour faire avancer la personne.
En anglais, on appelle cela : tough love.
Cet accompagnement a fondé ma carrière parce que j’ai été dans l’accompagnement de personnes à mobilité réduite à l’hôpital. J’accompagnais une employée du centre de réadaptation. Il a fallu que je mette mes limites dans cet accompagnement. Il faut confronter la personne et être capable de l’amener à un autre niveau.
Tu as fait la bonne chose.
Dans la gratuité, dans le don de soi ou de son temps, il faut mettre ses limites.
Il faut se respecter soi-même.
L’abnégation, c’est tellement le fun. (rires…)
Souvent la personne qu’on aide est dans le négatif, dans le noir, il faut que tu la ramène dans le positif. Ce n’est pas juste la personne qu’il y a devant toi, parfois il y a d’autres personnes autour.
C’est une preuve d’amour d’accompagner quelqu’un comme cela, mais de ne pas tout laisser passer et de dire non parfois. Tu disais : Des fois il ne faut pas être bon. Il ne s’agit pas de cela, mais d’être honnête envers la personne qui se trompe. Ce n’est pas aider la personne de la maintenir dans son marasme.
Au début, tu l’écoutes, tu l’écoutes, et tu viens à te poser toi-même des questions, puis à un certain moment il faut référer vers des ressources.
On ne peut pas donner ce que nous n’avons pas. Dans une certaine mesure, il y a aussi un besoin de se ressourcer. Si je me sens vide, qu’est-ce que je peux donner à l’autre ? Cela prend beaucoup de sagesse et cela n’est pas toujours évident à savoir. C’est le travail d’une vie. Mais quelle est cette source d’énergie où se ressourcer ?
L’amour.
Chacun a sa perception de cela. Il faut entrer en soi-même, dans une certaine intériorité.
J’ai trouvé cela enrichissant parce que j’ai appris des choses que je ne connaissais pas. Des choses que c’est la première fois que je vois. C’est plus clair pour moi que cela ne l’était au début. Je pense que cela correspond à ce que je fais dans mon militantisme. Militer, c’est un don de soi. Je me suis souvent dit que j’allais aider les autres à ne pas vivre les mêmes difficultés que j’ai eues à traverser. Je trouve cela triste que dans une société comme nous avons aujourd’hui, il y ait des catégories de gens : des ministres, des riches, des puissants, des gens ordinaires et des laissés-pour-compte. Je trouve cela triste qu’on écrase les personnes qui en ont le plus besoin, au lieu de dire : on va aller les aider.
Moi, j’ai bien-aimé le sujet de la soirée.
J’ai trouvé cela étonnant de commencer une réflexion sur le don avec un exposé de physique, même si Victor est parti de loin, j’ai trouvé ça bon.
D’ailleurs, Jacques Ruffié, un biologiste, disait : « Si les gènes étaient demeurés au stade des bactéries où c’était la compétition, il n’y aurait jamais eu d’êtres humains. » Il y a fallu qu’il y ait une collaboration entre les organismes pour arriver à l’être humain.
J’ai trouvé cela particulier de débuter notre processus cognitif en nous comparant à un atome. C’est une approche que j’ai déjà vu avant et cela a fait ses preuves. C’était intéressant d’avoir un outil pour nous mettre dans le bain. Souvent au CAPMO on parle de spiritualité. Là c’était plus scientifique, mais cela a créé beaucoup d’ouverture vers un sujet qui paraissait ésotérique au départ. J’aimerais rediscuter de la noosphère avec Victor pour qu’il me l’explique davantage dans le détail pour que je puisse bien saisir qu’est-ce que cela veut dire.
C’est comme l’inconscient collectif de l’humanité qui s’accumule depuis toujours. C’est ce que je comprends, mais ce n’est peut-être pas cela non plus.
J’ai trouvé ça très intéressant comme rencontre, malgré le fait que j’avais quelques craintes à propos du thème retenu. Nous n’avons pas dérivé vers la mièvrerie. Je suis vraiment content, nous sommes demeurés dans le constructif. J’ai aussi apprécié le contenu, l’apport de chacun du groupe, c’était vraiment très intéressant.
En fait, ce que Victor nous a expliqué, c’est la pensée de Teilhard De Chardin qui était aussi jésuite. On a pensé pendant un certain temps que cette pensée qui essaie de réconcilier la science et la foi, pouvait devenir la nouvelle doctrine de l’Église pour remplacer celle de Thomas d’Aquin, mais le Vatican l’a mise sur la tablette. Cette pensée est écrite en quinze tomes qui se suivent. C’est quelque chose qui a vraiment bousculé l’Église catholique dans les années soixante. Cela a été mis de côté parce qu’il est difficile de marier science et foi.
J’ai trouvé ça intéressant de partir de la nature et de la physique. Dans la nature, on observe que c’est principalement cette logique de la coopération, des dons et des échanges, qui opère en même temps qu’une logique concurrente de destruction. Il y a un mouvement mort-vie dans la nature. Les échanges que nous avons eus par la suite étaient très riches.
Dans l’approche de Teilhard De Chardin, il existe un présupposé de base qui est que l’esprit provient de la complexification de la matière. Les Hindoues et les Chinois qui ont plusieurs milliers d’années de civilisation de plus que nous, ont exploré un autre aspect qui est : Est-ce que la matière ne serait pas une complexification de l’esprit ? Un peu comme le yin et le yang, la matière est descendue à l’intérieur de l’esprit et il y a un jeu de complexification qui nous retourne à l’esprit. À 18 ans, je m’intéressais beaucoup aux écrits de Teilhard De Chardin, mais en découvrant les écrits de l’Inde, je me suis aperçu qu’ils n’avaient jamais perdu le concept de noosphère et qu’ils n’avaient pas eu besoin de la découvrir. Dans leur conception, le cosmos est intelligent et il a un esprit. Alors, que la pensée occidentale sépare tout avec le mental rationnel, on invente une pensée systémique pour relier ce que nous avons séparé. Cela fait partie d’un pèlerinage que nous avons dans la matière. Ce sont deux manières de percevoir l’univers, un foyer dans la matière et un foyer dans l’esprit, le chemin de la descente et de la réintégration. Il faut aller chercher les héritages des autres peuples.
Don, contre-don, pardon.
C’est une forme de don qui est très altruiste. Nous sommes tous en apprentissage sur ce chemin-là. Le pardon, c’est une réponse à quelque chose qui demande réparation. C’est un don au sens d’un effacement d’une dette, de quelque chose que tu m’as pris et que je renonce à te faire payer.
Il faut passer par le don, c’est l’origine du mot pardon.
Je crois que notre vrai sujet a été l’amour. Nous n’en avons pas parlé, nous sommes demeurés autour du sujet.
Notes prises par Yves Carrier