#278 – La Terre, une communauté de vie !
Rencontre mensuelle du mois d’avril 2017
La proposition de sens présentée dans les pages qui suivent est une traduction des textes d’introduction de l’Agenda latino-américain 2017 qui nous ont été fournis gracieusement par José Maria Vigil, théologien de la libération. Nous pouvons dire avec fierté qu’il s’agit de la première version française disponible sur internet. Ce texte est inspiré des spiritualités amérindiennes d’Amérique latine et des découvertes scientifiques qui fondent une approche spirituelle de l’écologie qui n’est ni athée, ni fondamentaliste. L’éco-spiritualité de la libération de la Terre-Mère est suivie des échanges que nous avons eus après avoir pris connaissance de ce texte. Ensuite, l’activité d’animation s’est poursuivie par une séance de semence de fines herbes où chacunE a eu la chance de jouer dans la terre, histoire de se reconnecter avec sa nature profonde afin de s’émerveiller à nouveau du monde qui nous entoure pour apprendre à le protéger et à l’aimer comme il doit l’être. Nous avons terminé cette journée de resourcement par une présentation de Berta Caceres, leader féministe, écologiste, autochtone et défenderesse des droits humains, assassinée au Honduras le 2 mars 2016 pour s’être opposée à un projet Hydro électrique sur une rivière qui abreuve et nourrit le peuple lenca depuis de millénaires.
Depuis l’aube de l’agriculture au néolithique, il y a 12 000 ans, l’humanité s’est séparée progressivement d’un mode de vie fusionnelle avec la nature où les plantes et les animaux étaient à la fois familiers et entourés de mystère et de pouvoirs magiques. De ce monde étrange, où il fallait sans cesse se concilier la bienveillance des esprits et des dieux, nous sommes entrés progressivement dans la civilisation, dans un monde moins intuitif et plus raisonné où les lois remplaçaient l’esprit de communauté et la propriété partagée. Avec la philosophie grecque et le christianisme, la foi et la religion sont devenues de plus en plus conceptuelles, tandis que nos liens avec la nature et le corps s’aseptisaient. Puis, à partir de Galilée, la science moderne nous a ouverts à une compréhension mécaniciste du monde, la nature n’étant plus là que pour répondre à nos appétits. Complètement dissociés des conséquences de nos actes, nous avons enlaidi le visage de ce monde, le rendant hostile à notre survie et à notre épanouissement. L’éco-spiritualité se veut une simple proposition pour que nous retrouvions le chemin de la maison commune de façon libre et épanouie, recréant les liens qui nous unissent avec notre nature profonde, notre équilibre primordiale, les autres humains et les différentes nations, mettant fin aux guerre dans un exercice amicale de la sobriété respectueuse de l’harmonie des êtres. Comme l’auteur portugais José Saramago, prix Nobel de littérature, nous pouvons affirmer que la croissance des arts, de la culture, du temps libre et du savoir, peuvent être infinies, mais pas notre soif de consommation dans un monde fini. Avec les sciences nouvelles, ce n’est pas une hérésie de dire que l’univers nous parle et qu’il nous indique les chemins à emprunter pour accéder au plein épanouissement dans un monde en paix avec lui-même et en équilibre entre ses différentes parties, ne créant plus la mort autour de lui, mais la vie en abondance.
Yves Carrier
Invitation à vivre l’écologie intégrale
Viens avec nous, parcours ce chemin, cette proposition, et constate à quel point nous pouvons élargir notre regard et découvrir que l’écologie a la capacité d’embrasser et de réorienter toutes nos dimensions humaines – incluant la spiritualité – l’insérant dans ce qu’il y a de plus réel : la nature que nous sommes, la planète que nous habitons, la sacralité dont nous sommes issus.
Vivre, être, sentir… de manière intégralement écologique, c’est surtout, une question de «vision», de façon de voir, d’éducation du regard et du cœur. Il s’agit de réviser attentivement les idées anti-écologiques que nous avons peut-être conservées de l’ancien paradigme (celui qui nous amène à vivre de manière anti-écologique), et ouvrir les yeux à la nouvelle vision que l’humanité est en train d’atteindre. Parce que tous les observateurs s’accordent à dire que ce qui nous transforme le plus et nous amène à assumer cette attitude intégralement écologique, c’est le cosmos lui-même, son histoire, maintenant révélée, la nature, sa force transformatrice évolutive autrefois méconnue.
En définitive, la science, la cosmologie nouvelle, autant l’astrophysique que les nouvelles sciences de la vie, nous disent que nous nous sommes trompés, que nous vivions en tournant le dos à ce monde, en scrutant un ciel qui n’est plus là. La science nouvelle nous dit que nous devons nous réveiller, que nous avons vécu comme des somnambules, en marge et à l’encontre du monde et que c’est dans l’autre sens que nous devons vivre, en pleine harmonie et intégration avec l’environnement. Nous devons devenir des êtres cosmo-centrés, les pieds plantés dans le sol et les racines dans la Vie.
Comme l’a dit, par sa vie et sa mort martyre, la Hondurienne Berta Caceres :
«Humanité, réveille-toi ! Nous n’avons plus de temps !» Il est urgent que nous changions de cap.
José-Maria Vigil, Agenda latino-américain 2017
1. Une attitude écologique intégrale
Les connaissances scientifiques modernes rendirent inutiles les anges dont on croyait qu’ils déplaçaient chacune des sphères où, disait Aristote, les astres se déplaçaient. Les formules de Newton de la gravité expliquèrent tous les mouvements des astres. Le monde en fut désenchanté : tout pouvait être expliqué par des formules algébriques aussi complexes fussent-elles. L’Occident entier demeura pénétré par cette vision scientifique qui réduisait tout à la matière et à ses forces sans aucun lieu pour d’autres dimensions qui n’appartenaient pas au matériel et au rationnel.
Notre génération est héritière de cette vision mécaniciste du monde, mathématique, purement rationaliste, sans espace pour l’émerveillement et le mystère. Le monde indigène, au contraire, éloigné de la civilisation technique capitaliste occidentale, a maintenu sa vision enchantée du cosmos, d’un monde avec une âme, peuplé par une infinité d’esprits et de songes.
Une attitude écologique intégrale implique une critique des fondements culturels de l’Occident. Elle questionne la primauté absolue que nous accordons aux critères économico-matériels pour mesurer le bonheur et le progrès; la croyance dans la possibilité d’une croissance permanente et illimitée tant pour l’économie que pour le confort matériel et la population humaine, comme s’il n’y avait pas de limites ou que nous ne les ayons pas déjà dépassées; la croyance que la technologie et la croissance résoudront tous les problèmes; l’absurdité d’une économie qui mesure tout sauf les coûts environnementaux, et surtout, l’ignorance crasse sur la complexité de la vie, la sacralité de la matière et la force spirituelle de l’Univers. Cette manière traditionnelle de penser, ce vieux paradigme, qui possède des racines philosophiques et religieuses, est ce qui nous a placés historiquement en guerre contre la nature, contre la biodiversité, contre les forêts, les rivières, l’atmosphère, les océans… Il ne suffit plus de prendre soin de la nature. Nous devons redécouvrir la Nature comme :
– Milieu d’appartenance
– Niche biologique et placenta nourricier
– Chemin de développement physique et spirituel
– Révélation plus grande que nous-mêmes.
C’est une nouvelle façon de comprendre non seulement le cosmos, mais nous-mêmes en son sein, une véritable révolution copernicienne, un nouveau paradigme. Cette vision nouvelle peut être qualifiée d’holistique : désormais nous observons à partir du tout (la nature), et non depuis la partie (l’être humain). Et nous croyons à la primauté du tout sur la partie parce que si l’être humain a besoin de la Nature pour subsister, celle-ci n’a pas besoin de lui pour continuer sa route. L’humanisme classique postulait que l’être humain était le seul à avoir de la valeur et du sens, que tout le reste n’était que matière brute à sa disposition. C’était une vision gravement erronée qui nous a situés en opposition avec la nature qui devait être éradiquée. Il ne s’agit plus simplement de prendre soin de la planète parce qu’elle nous intéresse ou parce que notre vie est menacée ou pour des raisons économiques, ni même pour éloigner la catastrophe qui s’approche… Tous ces motifs sont valides, mais ils appartiennent encore au système qui a causé cette situation et ils ne vont pas à la racine du problème.
C’est uniquement si nous abordons une reconversion écologique de notre style de vie, de notre mentalité, inclusivement de notre spiritualité… que nous serons capables de revenir à notre Maison commune, à la Nature, de laquelle nous nous sommes exilés il y a longtemps. Capter ces motifs plus profonds, ceux qui vont à la racine, découvrir l’écologie comme un chemin intégral de sagesse pour notre propre réalisation personnelle, sociale et spirituelle, c’est ce que signifie parvenir à découvrir l’Écologie intégrale. Avec elle, nous pourrons vivre en plénitude la communion et l’harmonie avec tout ce qui existe, avec tout ce que nous sommes, le sachant et le savourant de manière pleinement écologique, sans demeurer dans des attitudes à courte vue.
2. La nouvelle cosmologie, ce qui nous change le plus
Quel facteur a provoqué la croissance de la conscience écologique telle que nous l’expérimentons présentement ? La majeure partie des analystes coïncident sur ce point : c’est la science, la révolution scientifique que l’humanité a réalisée au cours des derniers siècles à un rythme accéléré. Et lorsque nous disons science, nous ne faisons pas référence seulement à la cosmologie, mais aussi à la physique nouvelle, à la physique subatomique et quantique, à la nouvelle biologie, l’astrophysique… et le milliard d’ordinateurs qu’il y a dans le monde et qui travaillent pour nous, les superordinateurs et les 17 000 universités qui développent la science partout dans le monde…
Nous avons besoin d’explications et de sens
En effet, nous sommes une espèce émergente sur cette planète, nous sommes de nouveaux arrivés. Il semble que Dieu ne nous ait pas créés comme nous l’avions imaginé, au commencement de tout, de façon immédiate, à travers un couple originel à laquelle Il aurait expliqué sa volonté en leur interdisant de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal… Si Dieu nous a créés, Il l’a fait en nous permettant d’évoluer à partir des autres espèces, à travers le même processus évolutif d’où ont surgi toutes les espèces apparues sur cette planète. Sur cette base, pleinement scientifique aujourd’hui, nous pouvons et nous devons tout réinterpréter.
L’être humain est un primate qui se caractérise par l’observation, le désir de connaître, le questionnement (Aristote dira qu’il s’agit là du commencement de la sagesse). Un primate qui ne se satisfait pas de vivre et de survivre…, mais qui pense, réfléchit et sait – ou qui croit savoir -. C’est une espèce chez qui le savoir est devenu constitutif, (l’homo sapiens) : nous avons besoin de nous expliquer ce que nous voyons, ce qui se passe, ce que nous ressentons, ce qui est. Notre espèce s’est approprié autant la pensée mythique (mythos) que rationnelle (logos). Avec le mythe, nous avons créé des sens pour notre vie – même si nous les avons littéralement créés à partir de rien, sans autre base que notre propre intuition – ; avec le logos, nous nous appliquons surtout à la pensée qui cherche à produire des changements à l’extérieur de nous-mêmes ; comme manipuler la réalité qui nous entoure pour la rendre plus habitable, pour la mettre à notre service.
Mais nous n’avions pas de moyens. Nous avons suppléé à ce manque par l’intuition, le sens mystique, l’inspiration et les sentiments religieux. Chaque religion élabora à l’intérieur de sa culture sa propre explication, avec ses mythes, ses croyances, ses réflexions, ses rites, ses pratiques de sagesse… non seulement pour expliquer, mais surtout pour donner sens, mission, espérance et allégresse, à la vie humaine, pour faire de nous des animaux viables. Avec ces hauts et ces bas, cela fonctionna; quoiqu’avec le passage du temps et la profondeur de la science que nous avons aujourd’hui, nous apercevons les grandes limitations qu’avaient ces représentations (qui nous ont marqués de manière indélébile, c’est certain, et aujourd’hui encore nous en portons les traces dans notre héritage culturel).
Et même si nous avions voulu de toutes nos forces, nous n’aurions pas pu en savoir davantage puisque nous n’avions pas la science, nous ne connaissions pas réellement, nous ne faisions qu’imaginer avec notre intuition, et malgré cela, nous le faisions souvent avec génie en ce qui a trait aux grandes valeurs dont nous avions besoin pour vivre et coexister. Mais pour ce qui est de connaître notre propre maison, la Nature, la Terre, le ciel, le cosmos… nous ne pouvions pas deviner. Personne ne pouvait deviner que nous étions sur une sphère errante qui tournait autour d’un axe incliné sur le plan de notre orbite. Jusqu’au XVIIème siècle, nous n’avions pas les instruments nécessaires pour l’observer. Galilée est parvenu à grossir 20 fois les astres avec son télescope; aujourd’hui nous parvenons à les augmenter plusieurs milliers de fois. Il ne pouvait compter que sur la lumière visible avec ses yeux, aujourd’hui les télescopes ont des radiotélescopes, ils utilisent les lumières infrarouges, les ondes alpha et gamma, et depuis 2015, les ondes gravitationnelles. Ce sont des moyens complémentaires combinés pour observer toutes les lumières, même celles que nos yeux sont incapables de voir.
La perspective nouvelle que la science nous donne sur l’Univers implique pour nous quelque chose comme une nouvelle naissance, parce que nous voyons le monde d’une autre manière, ou, en réalité, nous voyons un autre monde. Le monde qu’aujourd’hui nous connaissons est complètement différent du monde où nous pensions être. Si nous sommes des êtres en ce monde, la science nous a transformés parce qu’elle nous rend conscients que nous sommes dans un autre monde. Et celui-ci n’est pas seulement différent dans ses dimensions (infiniment plus grand en espace et en temps que nous l’avions imaginé), mais aussi dans son histoire, et surtout dans sa nature et sa complexité. C’est un autre monde. Et pour cela, nous, qui sommes parties et fruits de cette nouvelle vision du monde, sommes autre chose que ce que nous croyions être. La science nous a transformés.
Ce changement ne s’est pas produit en un instant, ni même en un siècle. Nous avons quatre siècles au cours desquels les découvertes scientifiques ont été si nombreuses, si rapides, si révolutionnaires, que la société n’a pas eu le temps de les socialiser et de les assimiler adéquatement dans la profondeur de sa culture. Les théories, les coutumes, la morale, les religions, la sagesse populaire… sont toujours porteuses de la vision traditionnelle pré-scientifique. Surtout dans les religions qui ont une résistance particulière aux changements. Nous sommes entrés dans l’âge de la science, un temps culturel nouveau marqué par la connaissance scientifique qui l’imprègne et transforme tout.
C’est la première fois que nous avons un récit unique des origines de l’Univers et de notre planète, pour toutes les cultures et toutes les religions, pour toute l’humanité; et aussi pour la première fois, il s’agit d’un récit qui n’est ni mystique, ni religieux. Si l’époque de la science mécaniciste réductionniste a désenchanté le monde et nous l’a présenté comme une simple réserve de ressources matérielles sans âme qui ne valent qu’en autant qu’elles sont mises à notre disposition, prêtes à manger, à acheter ou à vendre, la science actuelle est très différente. Elle découvre de toutes parts les traits de la beauté admirable, la sacralité du mystère qui la traverse de part en part, et nous-mêmes enracinés dans le mystère cosmique. Nous ne sommes plus déçus devant ce monde désenchanté et totalement explicable; nous n’avons pas non plus besoin de créer de nouveaux mythes pour le ré-enchanter; c’est toute la nouvelle cosmologie qui nous renvoie à des horizons beaucoup plus enchanteurs et extasiant, en ayant de profonds fondements scientifiques. Il y a un bon moment que la science et la spiritualité ont recommencé à marcher ensemble en se tenant par la main.
N’a plus lieu d’être le conflit entre la science et la foi religieuse depuis que l’épistémologie actuelle reconnait qu’elles se situent sur des plans différents, entre lesquels il ne peut y avoir de heurts. La foi doit savoir qu’elle ne peut plus contredire rien de ce qui correspond au plan de la science et de la méthode scientifique. Certaines des principales religions du monde, comme le bouddhisme l’a déjà fait publiquement, ont donné leur assentiment anticipé à la science, lui reconnaissant comme non questionnable en principe par la religion. Pour leur part, les nouvelles informations que la science nous fournit entrent souvent en confrontation avec ce que nous savions, avec ce que nous croyions savoir. Nous expérimentons ainsi la nécessité de repenser, refaire, recomposer, et ré-élaborer, les explications et les sens avec lesquels jusqu’à maintenant nous nous dirigions.
De fait, la réception de nouvelles informations en provenance de la science au cours des derniers siècles a maintenu et probablement continuera de maintenir les religions et l’Humanité en général dans la nécessité d’une continuelle ré-élaboration des explications, dans une recréation permanente du sens, dans un processus continuel de réinterprétation en raison des incessants changements de paradigme. Et ce n’est pas en raison de ce défi permanent que nous rejetterons la science. En réalité, conformément aux avancés de la science, nous voyons plus clairement qu’il s’agit d’un changement sans possibilité de retour en arrière.
Tout changer
Pour partir de cette vision nouvelle que la science rend possible aujourd’hui – pour la première fois dans l’histoire de l’humanité – il est maintenant nécessaire de tout transformer, de tout repenser et de tout reformuler ce en quoi nous croyions savoir jusqu’à présent : notre vision du monde, du cosmos, de la matière, de la vie, de nous-mêmes, du spirituel… Tout est désormais différent. Nous devons tout réinventer, tout changer, dans l’optique de l’écologie intégrale.
3. Une seule communauté de vie sur cette planète
Il y a trente ou quarante ans, et cela perdure encore dans des endroits reculés où n’est pas encore parvenue l’influence de la science nouvelle, les personnes et les sociétés sont toujours porteuses d’une vision du monde conçue comme un agglomérat d’objets (non comme une communauté d’êtres vivants, et encore moins, comme un quasi-organisme vivant). Au cours des derniers siècles, a entièrement dominé la division cartésienne de la réalité entre choses matérielles et entités spirituelles, pensantes, dotées de conscience, incarnées. Le monde entier était composé de matière, une réalité physique compacte, inanimée, passive, sans vie, stérile en soi. Les animaux eux-mêmes n’étaient alors considérés que comme des machines bien organisées, mais dépourvus d’une individualité mentale ou spirituelle. Tout n’était qu’objets, tout un monde d’objets dans lequel nous étions désespérément seuls, sans personne d’autre que nous-mêmes avec qui partager.
La physique actuelle a détruit les concepts cartésiens à propos de la matière. En réalité, la matière n’existe pas. Ce qui existe, c’est l’énergie. La matière n’est qu’une forme ou un état que peut revêtir l’énergie qui réside en toute chose, donnant lieu entre l’énergie et la masse à une convertibilité mutuelle permanente. C’est pourquoi la matière est le contraire de la passivité et de la stérilité : elle tend naturellement à l’auto-organisation, vers la complexification, c’est-à-dire, vers la vie, vers des formes supérieures qui finissent par apparaître comme sensibilité, conscience et conscience de soi. L’idée de matière a été redéfinie par la science comme «champs et forces immatérielles»; certains scientifiques ont déclaré le concept classique de matière comme une «idée éteinte»; d’autres ont dit qu’au niveau quantique, le concept de matière a été transcendé. «La matière paraît n’être autre chose qu’une énergie éphémère vibrant de manière uniforme et avec une merveilleuse cohérence, produisant des types d’ondes avec une stabilité dynamique et une apparence solide…» (Elgin).
La même chose se produit avec l’espace et le temps, comme des parties d’une même continuité. Pour Einstein, le temps est comme une quatrième dimension qui interagit avec l’espace et la gravité qui devient une déformation ou une courbure de l’espace temps. Le bon sens de la vision physique classique, si logique et raisonnable, est terminé. Le prix Nobel Richard Feynman a exprimé avec autorité ce que nous ressentions tous : «Personne ne comprend réellement la mécanique quantique.» La même chose se produit au niveau atomique. Déjà, à la fin du XIXe siècle, les sciences ont démontré que dans l’atome newtonien, le dessein schématique de ses orbites n’était que pures simplifications. « Les atomes sont comme des galaxies», disait Timothy Ferris.
Une autre vision de la vie
La vision traditionnelle que nous avons eue des êtres vivants est celle qu’ils sont inférieurs à nous, les classant en espèces et en familles séparées «créées» à partir d’un monde figé et stable depuis le début des temps, indépendants, sans parenté. Aujourd’hui, les sciences écologiques nous apportent une vision totalement différente. Sans que nous sachions encore si la vie a jailli sur notre planète ou si elle est arrivée ici, apportée de l’extérieur par une météorite, ce qui semble certain, c’est que toute la vie sur la planète est apparentée. Elle est une, parce qu’elle est la même qui a évolué avec une créativité inimaginable. Elle a surgit il y a 3 500 millions d’années, dans cette première cellule, Ariès, dans ce premier monde des bactéries qui se reproduisaient par simple division, pratiquement immortelles, et qui vivent encore aujourd’hui.
Depuis ces organismes procaryotes (cellules sans noyau), il s’est produit un saut qualitatif hors du commun lorsque apparurent les cellules eucaryotes (avec un noyau); après les organismes multicellulaires, et finalement les grands organismes qui essayèrent toutes les formules possibles d’organisation de la vie. La science d’aujourd’hui nous permet d’observer qu’ils n’existent pas de familles végétales et animales isolées, indépendantes, qui partagent uniquement des expériences externes… sinon que tous les êtres vivants de cette planète sont membres d’une même et unique famille.
Il n’existe qu’un seul et même arbre généalogique sur cette planète, qui regroupe et inclut tous les êtres vivants, mêmes les êtres humains. Il n’y a aucune espèce végétale ou animale qui fut «créée» à partir de rien (l’affirmation religieuse de la création de la part de Dieu se situe sur un autre plan et ne contredit pas la matérialité du processus biologique que nous connaissons aujourd’hui scientifiquement). Aucune espèce n’est apparue sur cette planète «un jour», comme si elle était tombée du ciel. Nous savons aujourd’hui que toutes les espèces ont surgi d’autres espèces antérieures par évolution.
La Vie, l’ensemble des êtres vivants, est en réalité le grand protagoniste de l’histoire de l’évolution qui s’est transformée elle-même, en se transmutant d’espèce en espèce. Toute espèce possède dans ses ancêtres d’autres espèces. Les oiseaux actuels ont été autrefois des reptiles… auparavant des amphibiens, avant des poissons et des formes marines plus simples. La Vie n’est pas statique, elle a toujours évolué en se métamorphosant. Plus de 98% des formes de vie que la Vie a essayées en s’efforçant toujours d’améliorer ses dessins antérieurs, ont disparu. Toutes les formes de vie qui demeurent, tous les êtres vivants actuels, sont apparentés, sont «de la même chair». Ils sont faits de la même matière vivante, ils partagent les mêmes nitro-hydrocarbones de vie, avec les mêmes 14 aminoacides de base; ils se constituent de la même manière, répliquant dans le noyau de chacune de ses cellules l’information nécessaire pour fonctionner et se reproduire (4 gigabits en 7 milliardième de gramme).
Mieux encore : le langage ou la codification de cette information est le même depuis les origines et aujourd’hui encore les êtres humains l’utilisent, de sorte que l’amibe, la méduse, la fougère, le chêne, la libellule, le crocodile et l’orang-outan, portent leur information génétique exprimée dans un code identique de quatre «lettres» dans l’ADN de toutes et chacune de ses cellules, mais une partie de mon ADN d’être humain ne coïncide pas avec une partie de l’information propre à l’ADN des arbres, parce qu’il s’agit, par exemple, de l’information nécessaire à la transformation des hydrates de carbones qui furent une conquête de la vie avant que les arbres et nos ancêtres ne se séparent dans l’unique arbre généalogique de la Vie de cette planète.
La biosphère
Elle n’est pas un agglomérat d’êtres vivants amoncelés sur la superficie de cette planète. C’est un réseau de systèmes, de systèmes de systèmes, interdépendants, qui se rétro-alimentent, qui dépendent des interactions de variables subtiles qui maintiennent la stabilité des équilibres dont dépend le bien-être commun. La fameuse première photographie de la Terre prise depuis l’espace par Apollo 8 en 1968, a émue l’opinion publique et l’hypothèse «Gaia» de James Lovelock nous fit penser : Cette planète bleue revêtue de cette mince couche de vie, la biosphère, est vivante, à sa façon, mais en conservant l’essentiel de ce que nous appelons «être vivant» : une capacité auto-organisatrice et autorégulatrice qui permet la continuité et la stabilité de la vie à l’intérieur de ses propres limites, sans se détériorer, se maintenant à travers le temps.
Dans un monde nouveau
Un regard sur le monde dans une perspective intégralement écologique nous donne une vision radicalement distincte de tout. Tout apparaît différent de la perception cartésienne et newtonienne selon laquelle nous naviguions à bord d’un énorme rocher sphérique, errant dans l’espace, rempli d’objets et de choses (même de machines vivantes tels que les plantes et les animaux) desquels nous pouvions disposer sans aucun scrupule parce qu’en fin de compte, c’étaient des ressources matérielles à notre disposition. En pensant le monde comme rempli de simples objets, nous nous sommes convertis en sujets désenchantés, séparés à la racine de la Communauté de la Vie.
Au contraire, la vision intégralement écologique nous offre une perception des choses entièrement distincte : un monde sans objet, sans «matière inerte», rempli d’espace fécond, de vibrations subatomiques, d’énergie auto-organisatrice, de vie entièrement apparentée, organisée en réseaux de systèmes emboîtés les uns dans les autres, dans un ensemble global vivant, Gaia, notre foyer, le placenta dans lequel nous avons été engendrés et où nous vivons. La vision écologique intégrale nous transporte de l’ancien monde désenchanté d’objets-ressources, à une Terre vivante, vibrante d’énergie auto-organisée et auto-conscientisante. Nous ne sommes plus seuls, entourés de simples objets, d’objets sans âme. Avec cette vision nouvelle, nous retournons vers notre véritable foyer : une Terre remplie de Vie et de mystère, à laquelle nous nous sentons appartenir, et depuis laquelle nous nous intégrons à l’Univers tout entier.
4. Une compréhension nouvelle de nous-mêmes
Prise de façon intégrale, l’écologie affecte également la manière que nous avons de nous comprendre nous-mêmes, les êtres humains. Depuis des milliers d’années, l’humanité s’est perçue comme «un être à part», comme quelque chose de différent de tout ce qui existe dans le monde, un être infiniment supérieur, et pour cela même, avec un droit de domination absolue sur tout ce qu’il y a sur la Terre. Pour comprendre et expliquer cela, nous nous sommes créés des croyances et des mythes religieux qui «justifiaient» ce fait : Nous aurions été créés par un Dieu à part, et le sixième jour de la création, «à son image et à sa ressemblance», seulement nous. Nous venions d’en-haut (de Dieu), non d’en bas (de la Terre); d’en-dehors de ce monde, (nous sommes des êtres spirituels et immortels), non de l’intérieur… Mais les nouvelles sciences cosmologiques actuelles voient les choses différemment.
Nous sommes la Terre
Nous ne venons pas d’ailleurs, mais de la Terre. Notre corps est composé d’éléments, d’atomes qui ne sont pas éternels, qui ont une date de fabrication. Ils furent élaborés par les étoiles, dans l’explosion des supernovas qui permirent l’apparition, pour la première fois, du calcium nécessaire à nos os, du fer pour notre sang, du phosphore pour notre cerveau… Chacun de nos atomes ont déjà plusieurs milliers de millions d’années depuis qu’à exploser la supernova Tian Mat qui donna naissance à notre soleil. Tout ce qui s’est passé au cours de ces milliers de millions d’années d’évolution de la Terre pour rendre notre existence possible, c’est notre propre «histoire sacrée», non seulement les quelques 4 000 ans des récits sacrés de nos religions.
Nous ne venons pas du ciel, nous ne sommes pas tombés comme un paquet préfabriqué. Nous sommes une espèce émergeante, formée par l’évolution à partir d’autres espèces antérieures. Nous sommes des primates, de la famille des grands simiens. Nous sommes aussi la seule espèce qui demeure des différentes du genre homo qui firent le parcours évolutif d’une plus grande «encéphalisation», par laquelle nous avons accédé à un niveau de conscience et d’auto-conscience unique dans l’ensemble de la Communauté de la Vie de cette planète.
Nous sommes l’espèce où culmine (jusqu’à présent) l’ascension évolutive de la Vie vers des formes de conscience, de réflexion et de spiritualité. En nous, la matière organisée, autopoïétique, la Terre dans notre cas, parvient à sentir, à réfléchir, à s’émouvoir d’admiration, à contempler, à vénérer, à adorer. Nous sommes la Terre qui parvient à se contempler elle-même. «Nous sommes l’hydrogène du cosmos qui arrive à contempler la merveille de l’hydrogène du cosmos», dit le poète Ernesto Cardenal.
Notre corps lui-même, regardant avec des yeux écologiques qui savent voir, parle clairement d’une longue histoire évolutive dont nous portons encore les marques du succès dans presque tous ses traits. Notre réflexion, notre spiritualité, et qui sait, la sécularité actuelle et la post-religiosité… sont l’évolution de la Terre et de la Vie qui l’anime, qui vit et s’exprime en nous et nous transcende. Envisager cela et s’interroger sur cette vieille façon de nous percevoir comme séparés du monde, comme supérieurs à lui, comme étrangers à tout ce qui est cosmique et écologique… signifie que nous revenons à notre maison, à notre foyer écologique d’où nous n’aurions jamais dû sortir. C’est recommencer à poser nos pieds sur la Terre, sur le sol de la Vie.
Nous voir de manière différente
À partir de cette façon de regarder le monde intégralement écologique, nous nous voyons également de manière différente :
Nous ne fumes pas créés en un jour, sinon que nous sommes le résultat de l’évolution d’espèces antérieures. Nous sommes une espèce émergente.
Nous ne sommes pas des êtres célestes, mais terrestres, telluriques. Nous sommes Terre, la Terre même qui, en nous, atteint le point culminant de son aventure évolutive et qui le fait de manière toujours plus consciente. Nous sommes la Terre, nous sommes une part de son âme, elle est notre corps. En nous, elle est parvenue à sentir, à réfléchir, à admirer, à se sentir responsable.
Nous ne sommes pas le centre du cosmos, ni de la Terre, ni de l’Univers. L’anthropocentrisme (tout voir dans la perspective des intérêts humains) a été un prisme intéressé, cela a été une erreur que nous payons cher, la Terre, la Communauté de la Vie, et nous-mêmes.
Nous appartenons au Cosmos, à l’Univers, à la Terre, à la Communauté de la Vie. Nous prenons part à ce mystère. Nous croire séparés, indépendants, détachés, différents du Cosmos, a été une erreur néfaste qui demeure présente aujourd’hui encore.
Fin du dualisme traditionnel
La philosophie chrétienne a insisté sur le fait que l’être humain était formé de deux principes, un matériel et un autre spirituel, provenant d’un acte créateur extraordinaire de Dieu. C’est le dualisme qui a accompagné le christianisme depuis l’époque romaine. Aujourd’hui, les sciences optent pour une alternative : «l’émergentisme», non réductionniste, ni dualiste. La matière tend vers la vie, vers la complexité, vers la conscience et la spiritualité. Il existe une discontinuité entre la matière et le spirituel, entre l’animal et l’humain, non pas une rupture : c’est la continuité caractéristique de la matière avec des qualités «émergentes». Le tout est plus grand que la somme des parties et il demeure inexplicable en fonction des qualités des parties. Il existe une continuité «émergentiste», sans rupture dualiste. Tout alors devient différent : parce que tout est inter-rétro-relié à tous les niveaux qui s’intègrent et s’influencent mutuellement. Les pierres, les plantes, les animaux, les humains… sont en continuité de vie, comme des systèmes animés, dans des systèmes supérieurs… Quelque chose de très différent de la vision traditionnelle atomisée, fragmentée, remplie de dualismes…
Nous ne sommes pas les seuls êtres vivants ayant une conscience, une sensibilité et une intelligence… Ce ne sont pas des qualités exclusives, mais des qualités généralisées dans la vaste gamme de la vie qui se manifestent seulement sous des conditions d’évolution et de développement déterminées. Nous sommes bien plus prêts que nous ne le croyons des autres êtres du cosmos et de la Communauté de la Vie.
Un changement de lieu cosmique aussi
Assumer une vision intégralement écologique comporte aussi un changement de «lieu cosmique», ou encore, un changement dans la manière de sentir un respect envers le cosmos. La spiritualité traditionnelle nous a fait sentir comme si nous étions en-dehors de la nature (totalement différents), et au-dessus d’elle (spirituels)… Nous ne nous considérions plus comme appartenant à la nature, mais nous avions des qualités «surnaturelles», citoyens du ciel, venus «de l’extérieur et d’en-haut». Le «lieu» auquel nous nous identifiions était le ciel, situé hors du monde, les choses d’en-haut… non pas le cosmos, la Terre, la nature, la Vie, son dur travail évolutif, son incessant déploiement d’intériorité. Avec le paradigme de l’écologie intégrale nous passons à nous sentir comme faisant partie du cosmos, à savoir que nous sommes – littéralement, «poussière d’étoile», nature évolutive, Terre… Et que celle-ci est notre foyer, la matrice qui nous a engendrés et auquel nous nous identifions, notre nouveau «lieu cosmique».
Transformations associées
L’attitude écologique profonde nous amène à accepter une série de transformations associées :
Auto-détrônement : descendre de notre position de dieu où nous nous sommes situés et dépasser l’éloignement et l’incommunication avec la nature.
Dépasser l’anthropocentrisme, cesser de tout regarder en fonction des intérêts humains, pour apprendre à considérer dans nos analyses et nos choix la centralité de la vie, le «bio-centrisme», la valeur centrale que toute vie possède, parce que toutes les formes de vie ont une valeur intrinsèque.
Assumer notre histoire cosmique évolutive, sachant que nous sommes son résultat final, la fleur qui porte synthétisée en soi-même toute l’histoire de ce chaos-cosmos que nous comprenons maintenant grâce à la nouvelle cosmologie, au «nouveau récit» que les sciences nous présentent, et non seulement une histoire domestique, enfermé dans les 3 000 dernières années auxquelles nous avaient réduits les grandes religions.
Revalorisation du «naturel», c’est-à-dire, surmonter le préjugé qu’un «péché originel» a tout fait échouer dès le commencement et qu’il a corrompu la nature, transformant en ennemi de l’âme le monde, le corps, le plaisir et la sexualité, afin de récupérer l’assurance que le commencement de tout fut une «bénédiction originelle».
5. Une nouvelle compréhension du spirituel
L’Éco-spiritualité se veut une approche nouvelle de la religiosité. L’écologie intégrale est une manière de regarder (un paradigme) qui incorpore tout au cadre de la nature : tout y est considéré comme faisant partie de la nature, du monde et de la réalité cosmique. Même le spirituel et le religieux. Traditionnellement, il n’en était pas ainsi, on considérait que le spirituel était totalement différent de ce monde matériel. Le spirituel, c’était l’immatériel, le non corporel, le non terrestre. Nous croyions que le spirituel appartenait à un autre monde, le monde céleste, ou comme on l’appelait aussi, le surnaturel. Nous considérions comme normal un dualisme, une séparation radicale, entre ces deux mondes. Et en raison de cela, une personne religieuse ou spirituelle était quelqu’un qui s’éloignait des choses matérielles, des intérêts corporels et humains, et qui ne considérait que les valeurs incorporelles, surnaturelles, spirituelles, dont la religion nous disait qu’elles appartenaient au ciel, mais pas à cette Terre.
L’idéal pour une personne spirituelle était de vivre sa vie sans se laisser distraire par «les choses de ce monde», regardant toujours vers sa Patrie céleste, en pensant seulement à la vie éternelle ou au ciel. Laissant derrière le monde actuel, nous nous réunirions avec Dieu pour chanter sous un mode purement spirituel ses louanges éternelles. Il est clair que ce type de spiritualité nous éloignait intérieurement de ce monde, qu’elle alimentait des préjugés contre ce monde (ennemi de l’âme), qu’elle dirigeait notre regard vers le ciel et nous détournait des problèmes du monde et de la Terre. Mais la spiritualité est-elle nécessairement ainsi, ou si cela fut une manière de l’entendre qui pourrait être substituée par quelque chose de meilleur, davantage à la hauteur de ce qu’aujourd’hui nous savons et voyons, que nos ancêtres ne savaient pas ? Aujourd’hui, au temps de la science et de l’écologie intégrale, il est possible de redécouvrir la spiritualité.
Valeur pédagogique-spirituelle du cosmo
Une première caractéristique de l’Éco-spiritualité, c’est qu’elle est convaincue de la valeur pédagogique que le cosmos a pour notre spiritualité. La science, la découverte scientifique du cosmos, est ce qui a le plus transformé notre vision, notre sensibilité et notre spiritualité. Aujourd’hui, nous voyons que nous ne sommes pas dans le cosmos, mais dans une cosmo genèse… Le récit de son histoire fantastique nous fait frémir d’étonnement jusqu’à l’extase. Ainsi, la science et le cosmos même possèdent une «valeur revalorisatrice» (Berry) : Ils nous révèlent les évolutions du divin de la réalité cosmique. Plusieurs prient, méditent, contemplent et s’extasient, avec des livres «religieux» d’un genre nouveau : des livres et des vidéos scientifiques. Ce n’est pas en vain si aujourd’hui la théologie dit que le premier livre que «Dieu» a écrit ce ne sont pas les Écritures saintes des diverses religions, mais le cosmos (saint Augustin lui-même l’avait dit).
Holisme : tout est uni, sans dualisme
Depuis l’Éco-spiritualité tout apparaît sous un autre jour, comme c’est le cas, sans dualisme imposé, pour notre esprit analytique. La matière est énergie, elle est interpénétrée d’esprit, elle tend vers lui, vers l’auto-organisation, vers la vie, vers la conscience et la spiritualité… Tout est en relation et inter-relié. Mais aussi, il n’y a pas de frontières entre la matière et l’énergie, la vie et la conscience, la biologie et la culture, la conscience et la spiritualité, la Terre et le ciel, la vie et l’au-delà… Tout est inter-relié, et le Tout (divin) est en tout. «Tout est sacré, pour celui qui sait voir» (Teilhard de Chardin).
Ouvert à la dimension spirituelle du cosmos
L’Éco-spiritualité dépasse le réductionnisme matérialiste de la vision scientifique cartésienne-newtonienne qui ne voit que des mases, des poids, des mesures, tout ce qui est dépourvu d’âme, de mystère, d’enchantement, d’intériorité… La science moderne est devenue sensible au mystère qu’elle découvre dans le cosmos et ses dimensions infinies, dans la matière et ses profondeurs subatomiques et quantiques, dans la mutuelle implication entre la matière, la vie et le spirituel…. Surmontant cette parenthèse de quelques siècles de scientifisme matérialiste réductionniste à courte-vue, récupérons l’intuition que notre humanité cultiva depuis des temps immémoriaux. Depuis toujours, les peuples ont éprouvé une vénération pour la Terre-mère; ils observèrent le ciel étoilé et vécurent une «expérience spirituelle uranique» (Mircea Eliade). Pendant tout le paléolithique (plus de cent millions d’années) nos sentiments ont été captivés par la dimension spirituelle de notre expérience cosmique, bien avant qu’apparurent (au néolithique), les grandes religions…
De grands scientifiques, qui parfois se considéraient eux-mêmes athées, confessent qu’ils ressentent un «profond sentiment cosmique religieux» (Einstein). Maintenant, une fois dépassée la transcendance imaginaire de la métaphysique philosophique traditionnelle, nous ne la sentons plus, ni le l’imaginons, comme provenant d’un au-delà métaphysique, au-delà du monde physique, dans une région située hors du monde réel; nous la percevons à l’intérieur de la réalité cosmique et mondaine. La transcendance n’est pas «vers le-dehors», mais «vers l’intérieur», vers la profondeur, l’intériorité habitée, sans fuir hors du monde. Thomas Berry disait que l’ancien concept de la transcendance nous a fait très mal et qu’il est nécessaire de le dépasser. Certains auteurs ne parlent plus de transcendance, mais d’immanence. Le mystère est ici, non à «l’extérieur».
C’est ainsi que nous, les sapiens, au paléolithique, avons senti et adoré pendant des dizaines de milliers d’années. Quand avons-nous changé d’attitude ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Les anthropologues pensent à la révolution agraire, quand nous nous sommes retournés contre la Terre pour l’exploiter et la dominer – une chose plus facile à faire lorsqu’on cesse de penser à elle comme à une mère. Ce fut la même chose avec le patriarcat et, c’est certain, avec les religions qui dans leur majorité nous éloignent de la spiritualité cosmique et nous ont déplacés vers une spiritualité rituelle, «spirituelle» – en tant qu’opposée au corps, à la matière et à la nature -. L’Éco-spiritualité représente sans doute le retour à la maison, à notre oikos, à notre foyer, à notre matrice spirituelle.
Éco-spiritualité : une expérience spirituelle
L’Éco-spiritualité n’est pas un savoir intellectuel, un ensemble d’idées, mais un savoir-être cordial, traité avec l’intelligence écosensible, avec le cœur. C’est une expérience d’admiration extatique de la beauté irrésistible du cosmos perçue comme authentique épiphanie du mystère. C’est une expérience contemplative transformatrice, unificatrice, fructueuse, parfois même extatique, qui nous sort de nous-mêmes et nous transporte dans un monde ineffable… Cette expérience finit par produire en nous un sentiment de communion non dual, (nous ne sommes pas séparés du Mystère qui nous enrobe et nous extasie) et d’appartenance à la Nature, à l’Univers, et au Tout mystérieux. Il n’est pas nécessaire de s’isoler du monde (bien au contraire!), ni de se soumettre à un processus initiatique compliqué : c’est à la portée de quiconque met la main à la pâte.
Éco-spiritualité transformatrice
L’Éco-spiritualité est une expérience et un apprentissage pratique, une expérience éco-spirituelle qui peu à peu nous convertit en êtres éco-centrés, tout le contraire de ce que l’ancien paradigme cartésien-newtonien avait fait de nous. Avec cette expérience, de nombreuses autres dimensions spirituelles se transforment, «s’éco-centrent» également :
L’Éco-spiritualité n’est par très à l’aise avec le théisme qui considère que le Mystère fondamental est une divinité extérieure à ce monde, quelqu’un qui habite au ciel, un Être, un Seigneur, un Dieu… L’Éco-spiritualité préfère une vision panenthéiste…
L’Éco-spiritualité exige de chaque religion une «reconversion» du patrimoine symbolique qu’elles élaborèrent dans leurs Écritures sacrées au temps où le premier livre (la Nature et le cosmos) nous était presque complètement fermé. Ces mythes et ces croyances doivent maintenant être reconvertis à partir de ce que nous savons du cosmos et de toute la réalité.
L’Éco-spiritualité permet, à partir de la science, de réinterpréter les mystères de la conscience, la conscience de soi, la vie par-delà la mort, la religiosité/spiritualité… sans recourir aux mythes ou aux croyances.
L’Éco-spiritualité et la praxis
Voir et sentir d’une autre manière, nous amène inévitablement à agir de manière différente avec des yeux qui voient, un cœur qui sent et des mains qui agissent. Se sentir appartenir à la Terre nous amène à la sentir et à la défendre comme notre propre corps, comme notre Maison commune. Récupérer une spiritualité éco-centrée, libre de cette aliénation millénaire par laquelle nous nous sentions plus fils et filles du ciel que de la Terre, est l’unique espoir que nous ayons pour sauver la Vie et la planète, parce que nous cesserons seulement de détruire la Terre quand nous reconnaîtrons son caractère sacré et que nous nous sentirons intégralement appartenir à son Corps divin.
José-Maria Vigil, Agenda latino-américain 2017
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
– Rien n’est séparé. La matière, la rationalité, la spiritualité, ce sont des parties d’un ensemble. Ce qui est malheureux dans tout cela, c’est que nous avons cherché des séparations, alors qu’il n’y en a aucune. Tout cela provient d’une culture que l’humain a développée au cours des millénaires parce qu’il se croyait au centre de l’univers. Nous oublions trop souvent d’effectuer une fusion entre deux choses, l’énergie et l’amour. L’univers est basé sur l’énergie d’amour.
– J’ai aimé le texte, mais j’ai quelques réserves à exprimer. J’ai de la difficulté à admettre qu’il y ait comme une conscience dans l’univers. C’est l’hypothèse que nous émettons qu’il y aurait une espèce de réflexivité du cosmos sur lui-même, lui attribuant à ce moment-là une conscience. Il faudrait que je sois plus convaincu. Deuxièmement, il me semble qu’il y ait un risque à entrer dans cette écologie intégrale telle qu’on nous l’a présentée. Il y a un certain risque de revenir à quelque chose qui a déjà été dépassée. J’y vois une sorte de soumission anthropologique au destin, au fatum. Il y a un risque de perdre notre capacité et notre responsabilité d’intervenant en supposant que nous ne sommes qu’une pièce dans un ensemble de systèmes intégrés dans d’autres systèmes. L’écologie intégrale constitue un appel à être responsable. Le risque, c’est de retomber dans une croyance au destin. Une troisième remarque, on nous parle beaucoup de science dans ce document. On nous dit que les choses ont changé et doivent encore changer, et on nous situe dans un nouveau récit qui découle des découvertes de la science. Nous sommes tous plus ou moins en quête de sens, c’est ce qui nous fait vivre autant que la nourriture que nous mangeons. Il y a comme des étages dans la manière de parler et de se faire des récits. Certains se situent très près de la science et d’autres sont plus poétiques. Dans ce que nous avons entendu ce matin, il y a comme une mise en récit poétique de connaissances scientifiques. Comme groupe, nous habitons le monde de manière poétique. Il ne s’agit pas de re-mystifier la connaissance scientifique. Mythifier signifie que cela vient d’ailleurs, que nous sommes pris dedans, comme les dieux cosmiques de l’univers. Mais malgré tout ce que je viens de dire, je pense que nous avons là quelque chose d’intéressant. Il y a là des pistes d’avenir pour le monde.
– Il y a de ces gens savants qui en savent trop peu pour savoir qu’ils ne savent rien. J’aurais quelques bémols à apporter. Oui, on peut bien taper sur la science ancienne à partir de la science nouvelle, mais il faut faire attention de bien démêler les domaines de connaissance et les domaines de la vérité. Comme/si, c’est la différence entre la science et la foi. La science s’intéresse au comment des choses, à leur fonctionnement. Plusieurs scientifiques sont passés de l’autre côté et à partir de la science ont abouti à la foi. Le Si est un autre domaine de la vérité. Il est très important lorsqu’on fait de la science de démêler les domaines de la vérité, mais la science nouvelle qui critique la science positive, tend, à partir de plusieurs positions différentes, vers le Si. Autre chose qui m’a dérangé, c’est la disparition du péché originel. Il est encore très vivant aujourd’hui, c’est qu’on refuse d’être ce que l’on est. On refuse de faire partie de la nature, on veut être dieu à la place de dieu. Certains opposent la matière et l’esprit, mais il y a aussi un troisième élément qui est drôlement important, c’est le manque. Il nous manque quelque chose. Il nous manque la divinité, on essaie d’y tendre puisqu’elle est en nous, mais aussi hors de nous. Nous en voudrions plus. Il nous manque quelque chose et c’est vers cela que nous tendons et c’est ce cela selon moi le péché originel qui consiste à refuser d’accepter ce que nous sommes pour essayer d’être autre chose. Toute l’histoire de l’humanité repose sur cette aspiration à être plus que ce que nous sommes. C’est ce qui nous conduit à la jalousie et au désir d’éliminer l’autre. Nous tombons alors dans la recherche du bouc émissaire, dans le conflit, etc. Tant que nous n’accepterons pas d’être ce que nous sommes, pleinement et entièrement, nous n’en sortirons pas.
– Moi, j’ai retenu que l’écologie était la racine de la sagesse. Il va falloir que je médite cela longtemps.
– Je m’interroge sur cette incapacité de voir que nous avons. Je pense que nous avons un problème culturel. C’est notre culture qui a un problème et ce n’est pas seulement à cause de Newton ou de Descartes. Nous vivons aujourd’hui dans des villes énormes, dans des jungles de béton, où nous sommes isolés de la nature, et nous ne le voyons pas. Pendant l’été nous avons la climatisation et cela nous sépare du processus naturel. L’autre élément, c’est l’industrialisation. Nous percevons toute chose comme une machine que nous pouvons manipuler et que nous contrôlons. La technologie consiste à une soif de contrôle. Ce sont là deux processus très destructifs de notre nature.
– Étant un environnementaliste fini, je trouve la question de l’environnement super intéressante. Dans les différentes manifestations, il m’arrive souvent d’en parler avec les gens même lorsque ce n’est pas le sujet de la manif. J’en ai discuté avec toutes sortes de gens, mais il y a un discours qui revient tout le temps. Les gens ne semblent pas intéressés parce qu’ils s’imaginent qu’être en faveur de l’environnement, c’est être granola, avec des fibres naturelles biodégradables, qu’on est obligé de vivre dans la misère, dans la difficulté, l’austérité, qu’on ne peut pas manger ce qu’on veut, que l’hiver il fait froid parce que le chauffage ça pollue. Au niveau des technologies, quelqu’un me dit que ce qu’il veut faire, c’est prendre son gros char pour aller au dépanneur à deux coins de rue, laisser tourner son moteur, s’acheter un chip et lancer le sac par terre et rentrer chez-nous en prenant son temps. Les gens tiennent à leur confort et malgré toutes mes convictions, je tiens à mon confort moi aussi. Et j’ai envie de leur dire : « Pourquoi c’est un problème? Si t’as envie, fait-le! » Mais pourquoi est-ce que nous avons des moteurs à essence qui polluent avec un rendement minable ? Pourquoi les sacs de chips ne sont pas biodégradables ? Pourquoi le fardeau réside sur les épaules des individus et non des industries qui fabriquent la pollution ? Il me semble qu’il faudrait collectivement faire ces choix-là. On ne pourrait pas inventer quelque chose d’intelligent pour une fois au lieu de toujours penser à faire de l’argent ?
– J’avais quelques idées : Ego, science, intention, intelligence émotionnelle. Ce sont les quatre points que je voulais aborder. Je pense qu’au départ, tous les problèmes que nous avons sur la Terre partent de l’ego, parce que la science n’est pas mauvaise en soi. Tout dépend de l’intention et si celle-ci n’est pas portée par l’ego d’une nation ou d’une personne qui revendique le mérite d’une découverte. Au contraire, si la science est portée par un désir d’aider à l’évolution de l’humanité et au bien commun, de protéger des espèces ou de donner l’accès à l’eau, etc. Si nous regardons les alternatives environnementales, la science est utile. Le problème, c’est que trop souvent la science est portée par l’ego, par des gens qui souhaitent mettre leur nom à quelque part. Je pense que c’est là le plus grand problème de l’être humain. À la base de tout, avant même que nous parlions de n’importe quelle solution, cela vient de nous. À chaque geste que nous posons, nous devons toujours nous poser la question de l’intention : Est-ce que je poursuis une intention positive plus grande que moi-même ou est-ce pour satisfaire mon ego ? Est-ce pour écrire mon nom dessus comme réalisation personnelle ou est-ce pour le bien commun de l’humanité ? Si on se pose cette question à chaque fois que nous agissons, comme la personne qui va acheter son sac de chips, cette personne est trop centrée sur elle-même, son désir, moi, moi, moi. À un moment donné, c’est trop facile d’enlever toutes responsabilités aux individus qui se foutent du bien commun en leur offrant toutes les alternatives possibles. Nous avons tous un impact et nous devons nous poser la question avant d’agir de qui nous sommes dans l’univers. Je ne sais pas si vous connaissez la permaculture, mais cela consiste justement à reprendre notre place dans la production alimentaire en aidant la nature à agir.
– Cette plante qui est là est sensible, elle ressent les choses tout comme nous. Tout est matière à réflexion. Une des plus grandes lacunes de nos sociétés humaines, c’est que nous n’enseignons pas l’intelligence émotionnelle. Nous sommes uniquement dans les connaissances mathématiques, mais aucunement dans l’intelligence émotionnelle. Nous avons tous et toutes des choses à améliorer, mais je crois personnellement que si tu enseignes à un enfant d’être empathique envers les animaux, envers son voisin, envers toutes choses, après cela l’enfant reconnait les impacts qu’il a. Il est tellement facile de consommer d’une manière intelligente. Si j’achète un t-shirt à 5$, je sais qu’il sera de mauvaise qualité et qu’il est probablement produit dans des conditions inhumaines. Dans tous nos actes de consommation, nous sommes tous et toutes inter-reliées. Si on fait mal à ces gens, on se fait du mal à nous-mêmes. Je pense que si on enseignerait l’intelligence émotionnelle, cela réglerait tellement de problèmes. La nature, les plantes et les arbres, ont aussi un être, ce ne sont pas des choses inertes. Nous agissons comme si nous étions les seuls êtres vivants. Les autochtones consommaient des animaux pour leur alimentation, mais c’était toujours dans un esprit de reconnaissance. Ils reconnaissaient l’être qu’ils sacrifiaient pour satisfaire leurs besoins. Alors que nous consommons des êtres vivants et émotionnels sans aucune reconnaissance comme si ce n’était que de la marchandise. Je pense que nous devons nous reconnecter avec notre être et avec la nature, avec le fait que nous aussi nous sommes des êtres sensibles qui faisons souffrir les autres et qui en souffrons.
– Je ne suis pas trop théorique, je suis quelqu’un de pratique dans ma vie, chez moi et dans mon quartier. L’inspiration que je prends à chaque jour vient des enfants. Ils sont mon point de vue, ma perspective et mon inspiration. Ils m’impressionnent beaucoup. C’est pour cela que je collectionne les dessins d’enfants. Ils dessinent beaucoup le papa, la maman et les frères et sœurs. Quand je pose la question : Pourquoi est-ce que tu dessines ton papa et ta maman ? Ils me répondent simplement : « Parce que je les aime. » Les réponses des enfants sont toujours simples et rapides. Autre chose que j’utilise dans ma vie quotidienne, c’est le ciel. Qui va être capable de mesurer le ciel ? Qui est capable de te donner cette sensation d’un espace sans limite dans lequel se déroule toute l’histoire de la vie ? Tous les héros et tous les méchants ont vécu sous le ciel. Probablement que dans le ciel, il doit y avoir une réponse tôt ou tard. Sauf que cela prend des millénaires pour être témoins de tout cela. La vie humaine est très courte et très fragile. Je crois que parmi le groupe ici on retrouve quelque chose de très vivant parmi vous qui est le cœur, toujours serein et actif, très travaillant. Autre chose, ce sont les idées qui remplissent notre ego. C’est la chose la plus difficile à combattre parce que c’est un idéal isolé qui nous habite. L’ego éprouve un grand besoin d’amour. Tout le monde a besoin d’amour, de solidarité, de compréhension, mais je n’ai pas la capacité de comprendre les textes très complexes et intellectuels. Je suis un homme terre-à-terre et j’observe quand je marche sur la rue. Je rencontre des gens, j’apprends, je vois de la détresse. Le cœur est le même dans chaque individu et c’est un grand copain que nous avons. C’est éphémère et temporel, mais pendant que nous sommes vivants, c’est la chose la plus belle que nous ayons comme héritage de l’univers parce que c’est lui qui nous permet de regarder les êtres.
– Le texte parlait aussi des animaux. Ils sont un peu comme nous-autres. Lorsqu’on regarde la vie qu’ils font, ils ne sont pas semblables à nous, mais ils nous ressemblent sous certains aspects. Quand on leur montre quelque chose, ils ont comme nous la capacité d’apprendre. Un animal ce n’est pas un être humain, mais c’est un être sensible et intelligent. Je n’ai pas de difficulté avec les animaux. On me demande souvent comment est-ce que je fais pour me faire aimer des animaux ? Je sais m’y prendre avec les animaux. Si tu démontres à un animal que tu le crains, il ne viendra pas te voir. Le seul truc, c’est de lui montrer que tu es détendu. Si tu vas voir un cheval de manière détendue, il va se laisser flatter parce qu’il sent que tu n’es pas agressif. Si un animal devient agressif, c’est parce que tu lui démontres de la peur.
– Cela démontre à quel point on ne peut pas mentir à un animal. Nous vivons tous avec des masques qui nous permettent de ne pas être transparents, mais on ne peut pas faire ça avec des animaux. Ils nous ressemblent à l’intérieur et même si on se croit super évolués, on ne ressent pas les gens autant qu’eux.
– Ce que tu dis me fait penser à l’importance de l’accueil, accueillir la vie, mais plus difficile encore, se laisser accueillir par la vie. C’est un processus qui rejoint l’intelligence émotionnelle. Il faut avoir une intelligence aimante et un cœur intelligent, les deux au service de la volonté autodéterminée par ce cœur et cette intelligence là. On a à ce moment-là les trois piliers de l’humain et du cosmos, cœur, intelligence et volonté. À propos de la cosmologie, très jeune je me suis intéressé à cela du côté de la science occidentale, avec la Société d’astronomie à Montréal. Ils cataloguaient les connaissances, sans répondre au sens de l’existence. Qui est cette chose qui est moi-même, ma propre nature ? En quête d’une réponse, j’ai commencé à aller voir les cosmologies chinoises, hindoue, maya, et tout cela, pour m’apercevoir que la cosmologie hindoue rencontrait les deux grandes théories du Bigbang et de la création continue de matière. C’est une question d’appareillage de conscience. Nous fonctionnons avec une pensée qui cherche les causalités en remontant le temps. Je me suis demandé pourquoi est-ce que nous avons cet appareillage là et toute la question de l’ego. Dan les clans, nous avions un esprit de groupe où nous avions besoin d’employer une pensée discriminative pour identifier et reconnaître les menaces à notre existence. Cela nous a conduits à l’émergence du sujet, aujourd’hui c’est moi, moi, moi. C’est l’étape de la coquille devenue trop dure et qui nous empêche d’habiter le cosmos, la terre, la planète, tout en préservant un noyau de conscience qui est nécessaire. C’est une période super intéressante. Puis l’écologie, c’est la science de l’habitat. Pour moi le corps est un véhicule de conscience, mais je pose la question : « Qu’est-ce qui est véhiculé ? » Est-ce que la matière est une sécrétion de l’esprit ou l’esprit est une complexification de la matière ? C’est comme le Ying et le yang. Le point noir qui grandit dans la matrice blanche et à son tour devient l’accueillant. Je pense que l’univers est comme cela aussi. Quand on parlait de Manès, le père du manichéisme, il avait une perception où il y avait l’éternité, mis à l’intérieur de celui-ci s’est envaginé un espace. Si on prend le nombre zéro, on l’étire et cela donne +1 et – 1. Nous avons une polarité. On peut parler de cette polarité avec l’appareillage de conscience que nous avons. Nous avons considérablement réduit le message de Manès.
– Nous n’avons pas assez la conscience de ce que représente le respect. C’est pour cela que nous avons peur des animaux. C’est pour cette même raison que nous laissons tourner nos moteurs lorsque nous allons au dépanneur, c’est un manque de respect pour la société, et aussi acheter des chips, c’est un manque de respect pour son corps et sa santé. C’est parce que nous avons une façon étriquée de voir la vie et puis les mots sont importants. Je suis un biologiste, donc un scientifique, et j’ai pataugé longtemps en science pour trouver le sens de toutes ses affaires là.
– Ce que vous avez dit est très beau. J’ai beaucoup aimé. Pourquoi est-ce que nous ne pouvons pas à voir cela ? Je crois que le problème, c’est qu’aujourd’hui nous réfléchissons très peu. Nous parlons très peu les uns avec les autres. Dans son automobile, chacun occupe son espace privé, je peux être complètement indifférent au monde qui m’entoure. Nous échangeons très peu les uns avec les autres et nous prenons peu de temps pour réfléchir. Toujours en quête de distractions, nous vivons à une telle vitesse, qu’il est impossible de prendre le temps pour réfléchir.
– Je vais utiliser le vocabulaire scientifique pour aboutir à quelque chose de bien différent de ce que nous sommes habitués d’entendre. Je vais partir de l’atome. Si dans l’atome, il y a des électrons, des protons et des neutrons, qui s’agencent tous ensemble, c’est parce qu’il y a des énergies : gravité, attraction gravitationnelle, mais pourquoi ne pas appeler cela une forme d’énergie d’amour ? Toutes les formes d’interaction qu’on observe dans les atomes, pourquoi ne serait-ce pas encore une autre façon d’exprimer l’énergie d’amour? Plutôt que de parler sans saveur d’énergie chimique, alors on accède à des niveaux plus élevés. On arrive avec des organes, des individus, donc un animal, un humain, a un esprit qui provient de cette énergie d’amour. L’animal a autant droit au respect que les humains qui sont autour de moi, même s’ils ne vivent pas avec la même complexité de conscience et de développement. C’est la même chose pour une pierre qui est aussi un lien entre des atomes d’énergie d’amour qui a travaillé tout ça, qui a permis tout ça. Les amérindiens avaient cette vision, cette subtilité, cette intuition, ils cherchaient et ils reconnaissaient l’esprit dans la roche, dans la montagne, etc. Leur mode de vie était parfaitement adapté à cette cosmogonie. C’est ce qui est important. Notre âme, si elle existe et je crois qu’elle existe, émane de toute cette énergie subtil d’amour et c’est elle qui donne un sens à ce qu’est l’univers. Tout est intégré, tout est uni, il n’y a pas de séparation entre la rationalité, entre la matérialité, entre la spiritualité, tout cela émane de la même soupe d’énergie d’amour que l’on refuse de voir dans les découvertes scientifiques. Le plus grand malheur, selon moi, c’est que nous avons placé un dieu en-dehors de cela. Il est là le dieu, il est en nous, beaucoup plus intimement qu’on ne le pense. Je ne cherche pas à tout comprendre, je crois à la permanence de l’âme, mais je ne comprends pas tout et il faut l’accepter. Nous sommes des êtres finis. Les humains nous ne pouvons pas tout comprendre, ni tout saisir. Alors il faut intégrer ça à travers, autour et dans une énergie d’amour qui génère tout cela et ce que je viens de décrire n’est rien d’autre que l’univers. Il me semble que nous devrions tout nous unir et rechercher chez l’humain ce qu’il a de différent de nous-mêmes parce qu’il a des choses à nous apprendre.
– L’expérience du monde, nous la recevons à travers les sens. Cependant, ceux-ci peuvent nous tromper. C’est pourquoi il faut faire une critique de nos sens et des perceptions que nous avons du monde. C’est le début de la science. Ensuite, l’expérience que nous avons du monde nous donne des sentiments, de la sensibilité, des sensations, du ressenti. Tous des mots construits à partir du sens. Quand on cherche à trouver la signification, on sort un peu de la science. Quel est le sens de tout ça ? Pourquoi est-ce que c’est là ? On sort de la science et chacun a son domaine bien particulier qu’il faut bien déterminer. Maintenant, pour devenir vraiment libre, il faut aller dans le sens (je suis un géographe), la direction. Où est-ce qu’on s’en va ? C’est là qu’intervient l’environnement et toute la question de l’économie. Est-ce qu’on va détruire la Terre ? Le rapport entre nos sens et le sens, la direction que nous allons prendre comme humanité, parce que selon certaines hypothèses, à ce rythme, nous n’en avons plus que pour 40 ans. L’autre problème que nous avons, car je suis un adepte de la Théorie des catastrophes, c’est que la liberté que nous avons comme être humain est une catastrophe. Nous sommes autant capables de détruire la Terre que de résoudre les problèmes à l’aide de notre conscience. Il ne faut pas croire que tout est cuit dans notre bec. Nous pouvons échouer. Nous pouvons disparaître comme humanité, comme c’est arrivé avec les dinosaures. Nous sommes actuellement dans une nouvelle période d’extinction des espèces provoquée en grande partie par notre faute. Alors, nous avons besoin de trouver le sens. À travers les sens où nous percevons de manière sensible que l’univers va mal, nous avons besoin de trouver la direction à emprunter pour nous en sortir. C’est le rapport que nous devons établir entre la spiritualité et le monde matériel.
Propos recueillis par Yves Carrier