Quelle expérience se situe à la source de votre engagement social ?
Le groupe de chercheurs de sens et d’authenticité qui s’est réuni au CAPMO le 19 janvier 2017 a témoigné d’une grande écoute empreinte de tolérance et de compassion. Chaque récit de vie nous a mené à l’histoire d’une famille, d’une génération, d’une communauté, d’un mouvement, d’un peuple enraciné dans l’histoire de l’humanité qui porte la mémoire de l’engagement social jusque dans ses gênes. La plupart des témoignages entendus faisaient référence à une tradition, à une source : hindouisme, bouddhisme, christianisme sociale, spiritualité ignatienne, marxisme, contre-culture, philosophes grecs, traditions amérindiennes, militance, etc. Rien de commun dans tout cela me direz-vous. J’y ai cependant reconnu des fondations communes. D’abord, le besoin de filiation choisie ou reçue en héritage, mais toujours inscrit dans un temps plus grand que soi, à la recherche de quelque chose qui nous précède comme les saumons qui remontent une rivière. Recherche de sagesses, d’expériences et de raisons d’espérer, pour mieux se connaître, persévérer et former des alliances durables. Comme l’affirmait l’un des participant : « Nous voulons tous le bonheur des gens en cherchant à les insérer dans la vie sociale afin qu’ils découvrent leur dignité humaine. »
Un cercle de parole, c’est un peu comme un potluck où chacunE apporte le meilleur de lui-même. Abolissant les frontières sociales et académiques, l’on apprécie davantage la qualité humaine de chacunE et les différentes luttes qui marquent leur histoire personnelle. Puis ces parcours singuliers dévalent la pente pour converger sur des chemins plus larges où l’on s’émerveille des similitudes des sources révélées de notre engagement au service de la vie. De la naissance à la mort, l’existence se déploie à travers les rencontres et les projets collectifs qui en émergent lorsqu’on choisit de s’investir pour améliorer ou défendre le bien commun. À l’image d’une spirale qui se déploie du cœur de chacunE en passant par la famille et l’école puis en cherchant à se sentir utile à la société en ayant une place reconnue et respectée dans la diversité des expériences humaines, l’individu finit par se joindre aux autres dans le grand mouvement de la vie. Et lorsque cette spirale est inspirée par des valeurs d’authenticité, de tolérance et de compassion, le dynamisme du groupe et de la collectivité ne peuvent que renaître parce que Le grand Arbre de la vie n’est jamais mort et que nous n’aurons jamais épuisé son plein potentiel. Parfois, il suffit d’interrompre le vacarme des idées qui s’entrechoquent dans notre tête pour renouveler ce processus éternel. Cette immersion totale dans le silence de la vie qui nous montre le chemin précède la naissance d’un monde nouveau où l’intelligence cordiale retrouvera enfin sa place loin des tumultes de ce monde. Entreprendre l’archéologie des motivations intrinsèques qui nous animent et rechercher les traces laissées avant nous par d’autres chercheurs de sens, nécessite de suspendre un moment notre raisonnement pour apprendre à penser autrement. Dans le silence de la nuit, lâcher prise sur ce que nous ne pouvons changer, se pardonner à soi-même ses imperfections pour pénétrer les soubassements de l’âme humaine, là où la sérénité préside à nos prises de décisions dans l’amour du prochain.
Yves Carrier
Spiritualité et engagement social
Cette soirée s’inscrit à l’intérieur d’une démarche du CAPMO que nous avons débuté cet automne et que nous entendons poursuivre cet hiver sur la spiritualité et l’engagement social. Le processus s’effectue un peu à tâtons puisque nous sommes à la recherche de repères susceptibles de nous guider dans ce dialogue sur le sens de l’engagement, les valeurs qui le suscitent et les convictions profondes nées de différentes expériences de vie qui l’alimentent et lui permettent de durer sur le long terme. La source de l’engagement social se trouve dans les récits de vie et découle de plusieurs motivations: soit que nous soyons nés dans une famille où cette coutume était présente et valorisée; soit que nous ayons-nous-mêmes été victimes d’injustice au cours de notre vie ou encore que nous ayons été témoin d’une injustice qui nous a indignés assez pour nous amener à nous impliquer pour changer les choses.
Nous présentons ici l’engagement social au sens large, c’est-à-dire que nous ne restreignons pas sa définition à la militance au sein des groupes populaires. On peut aussi être dévoué dans son travail d’enseignant, d’infirmière, de pompier, de policier, de travailleur social ou de parent, l’idée c’est quand on met son cœur à l’ouvrage, on est engagé dans ce qu’on fait. Cela donne aussi un sens à ce que nous faisons ainsi qu’une éthique à notre travail, parce que lorsque nous faisons les choses par amour, nous ne le faisons pas par cupidité, envie ou jalousie. L’engagement de la personne au meilleur d’elle-même conditionne et enligne son agir.
Ce soir, chacunE de nous va essayer de retourner dans son histoire personnelle pour identifier ce moment charnière qui se situe à la source de son engagement social. Nous utiliserons le bâton de parole qui apporte un caractère solennelle à nos échanges. L’animal emblématique du CAPMO depuis l’époque de Vivian Labrie est un escargot. Il possède des caractéristiques intrinsèques qui représentent un peu les organismes communautaires. Il avance lentement, mais il ne recule jamais; il est baveux, il laisse une trace et il traine avec lui l’essentiel dont il a besoin pour s’abriter. Donc, on s’écoute parler jusqu’à ce que chacunE ait terminé d’exprimer son idée. Évidemment le temps dont nous disposons est limité à cinq minutes par personne et autant que possible nous ferons un premier tour complet avant d’accorder un second droit de parole. Nous débuterons par un bref tour de présentation. À noter que l’éclairage est tamisé pour favoriser l’intimité et l’écoute. Quelqu’un propose d’avoir un feu au centre du cercle la prochaine fois.
Yves Carrier
Ce matin, j’ai participé à un blocage du ministère des finances organisé par le FRAPRU et les organismes associés. La veille, nous avons eu un briefing pour nous dire comment nous allions procéder et nous répartir en petites équipes avec des responsables pour chacune d’elles. Nous étions 300 personnes dont plusieurs sont venues de Montréal et d’autres régions pour dormir à Québec avant le blocage. C’est là qu’ils nous ont donné le trajet et l’heure du rendez-vous qui avait lieu très tôt ce matin. Mon rendez-vous était devant la basilique à 6h40. Le rassemblement avait lieu sur la rue du Trésor jusqu’à ce que chacunE soit arrivé. Ensuite, ils nous ont replacé par équipe et au signal donné, nous avons couru vers l’édifice, chaque équipe ayant une porte à bloquer. L’opération a duré plus de deux heures et demie et tout s’est bien déroulé.
Quelle est la source de votre engagement social ?
C’est une question qui a souvent été abordée au CAPMO, alors j’ai une certaine réflexion là-dessus. À l’origine de mon engagement social, je dirais qu’il y a l’injustice que j’ai vécue au niveau personnel. Cela peut être toutes sortes de trucs, ne serait-ce qu’une décision d’un ministre sur un sujet d’actualité, des mesures fiscales, souvent ce sont des choses qui suscitent de la colère chez-moi. Cela peut aussi être l’espoir d’un monde où j’ai une place pour m’impliquer, rencontrer des gens et apprendre de nouvelles choses, de nouvelles personnes, de nouvelles opinions, de nouveaux horizons. L’engagement social c’est n’est pas nécessairement pour moi une lutte où l’on crie, où l’on serait toujours en opposition ou en confrontation. Cela peut être à tous les jours, dans mon quotidien, de me donner à fond, le plaisir qui vient lorsqu’on a le sentiment de se réaliser. C’est ce qui me motive le plus, ce qui me garde en vie, ce qui me nourrit. Et si je réussis à le partager avec les autres, ce sentiment est encore plus fort. Ce qui est à la base de mon engagement, c’est ce besoin que j’ai d’aller vers les autres.
Au fil du temps, je me suis rendue compte que le fait d’avoir de la difficulté à intégrer le marché du travail, le fait d’avoir eu de la difficulté quand j’étais jeune à l’école, c’est ce qui m’a amené à faire ce que je fais aujourd’hui. La soif que j’ai de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, dans le sens que j’ai essayé de faire mon chemin dans la vie et que j’ai éprouvé de nombreuses difficultés, que j’ai dû franchir de nombreux obstacles pour avoir les clés me permettant d’accéder aux bonnes portes, tout cela m’a amené à vouloir aider les autres. Je suis incapable de voir quelqu’un qui souffre, qui a besoin d’aide, qui est à côté de moi. Je ne suis incapable de continuer mon chemin et de l’ignorer. Je ne sais pas pourquoi je suis comme cela. C’est peut-être dans les gênes de ma mère qui m’a transmis cela. Elle aimait beaucoup aider les autres, elle était toujours au devant des autres, cela vient peut-être de ma mère. Le fait de ne pas avoir été capable d’aller sur le marché du travail a fait en sorte que je me suis dit : « Je suis un être humain, je fais quand même parti de la société et il doit bien y avoir une place à quelque part qui m’appartient même si je ne suis pas capable d’aller sur le marché du travail. » Il y a quelques temps, je me suis rendue compte que ma place c’était d’aider les autres. C’est pour cela que lorsque je dis que la lutte à la pauvreté c’est quelque chose qui est très important, je me sens utile quand je fais ça parce qu’en parlant de ma situation, j’en arrive à décrire la même situation que vivent les gens autour de moi pour essayer de trouver des moyens, des façons, des solutions, pour contrer les préjugés, ou bien convaincre une personne que malgré sa situation elle vaut quelque chose comme être humain, qu’il y a une place pour elle à quelque part, de ne pas rester seule et de briser son isolement. « Fais quelque chose, ne reste pas enfermée, sors de chez-toi, ne serait-ce que pour aller prendre un thé à quelque part. » Je me suis rendue compte que des choses me passionnent comme le Comité pour l’accessibilité sociale au transport en commun. Nous allons dans une société où nous sommes sensés nous aider alors que nos gouvernements s’évertuent à caler ceux et celles qui ont le plus de difficultés au lieu de leur donner la main pour les aider. C’est ce que je souhaite. Les personnes en situation de pauvreté, nous avons besoin de la solidarité des gens plus instruits pour nous aider à faire valoir nos droits et faire entendre notre voix. La force nous l’avons, ce sont les mots qui nous manquent.
J’ai commencé par faire du bénévolat. J’ai commencé au centre de réadaptation par faire de l’accompagnement de personnes qui avaient besoin d’aide pour aller à l’hôpital. Je suis handicapé, donc de fil en aiguille, j’en suis venu à faire partie du comité des usagers. J’ai été sur le conseil d’administration et le comité des bénévoles, puis je suis allé au niveau de l’accessibilité universelle et tout ce qui a à voir avec les personnes handicapées. Ce qui m’a amené à me joindre aux groupes de défense des droits, c’est la difficulté que j’éprouvais de me sentir assis entre deux chaises. J’ai souvent été avec des personnes en chaises roulantes qui me disaient que l’accessibilité aux endroits publics était moins grave pour moi parce que je n’étais pas en fauteuil roulant. Je suis aussi membre de la CEDEC de Québec et j’ai passé par d’autres organismes qui n’existent plus. Il y a peu, j’ai commencé a milité au niveau de la pauvreté. Dans mon cas également, je ne pouvais pas m’insérer sur le marché du travail à cause de mon handicap. J’ai été évalué en neuropsychologie comme quoi je ne pouvais pas travailler à temps plein. Cependant, j’ai toujours persévéré dans ce que j’ai fait dans ma vie. C’est sûr que les questions de justice sociale qu’il s’agisse de pauvreté ou de personnes handicapées, cela me rejoint. Je ne pensais pas que ma vie serait comme cela, je pensais faire comme tout le monde et pouvoir travailler, avoir un revenu normal, mais ce n’est pas ma réalité. Je m’engage aussi pour éviter l’isolement et éviter de penser à des choses, à avoir des idées noires. L’idée c’est d’être actif, de bouger, d’organiser sa vie pour être fonctionnel. Quand je suis rentré dans mon logement, j’ai été sur un comité de travail pour la résidence où je vis.
Je trouve que nous avons tous intégré le fait que le salariat était la seule manière légitime de vivre en société. Nous sommes tous égaux, salariés ou non. Est-ce que l’on demande aux millionnaires de se lever pour aller travailler ou de justifier leur oisiveté ? Ils ne se sentent aucunement coupables.
On ne le réprimande pas. C’est pas grave s’il prend un coup, s’il ne fait rien.
Ils doivent tout de même surveiller leurs placements.
Nous autres aussi nous surveillons nos placements.
Rire général
Monique et Éric ont parlé du marché du travail, moi j’ai eu un flash dernièrement. À dix ans, je n’étais pas sur le marché du travail, mais cela faisait longtemps que j’étais au travail. Comme ainé de famille, sur une ferme familiale où il y avait veaux, vaches, cochons et une ribambelle d’enfants (trolée de flots ???). Les gens qui me parlent à quoi ils ont joué entre 7 et 10 ans, je n’ai pas vu cela passé. J’allais à l’école secondaire et il fallait que je me change le midi pour aller nourrir les animaux. Passons les décennies. À un moment donné, je me suis retrouvé dans la perspective de gagner ma vie, j’ai atteint un bon niveau de revenu. Avec beaucoup d’ambition, quand tu travailles à commission, tu peux aller jusqu’à 75, 80 heures par semaine. Avec des enfants qui naissent et faire de la politique au travers, à un moment donné tu atteins tes limites. J’ai eu une belle opportunité pour en sortir parce que je ne suis pas allé jusqu’au burnout. Après décantation, j’ai réalisé qu’il ne m’ait rien resté de plus et que j’avais peut-être perdu ma vie à la gagner. J’ai trouvé une formule dernièrement qui dit : « J’avais plus besoin d’un boss pour me dire à quelle heure me lever. » Cela fait un bout que cela dure. Je me sens très bien là-dedans, mais ce point de vue n’est pas très populaire. À commencer par ma famille. Ce n’est pas encore gagné.
Il y a trois choses qui semblent être à l’origine de mon engagement social. Premièrement, mon père a été un activiste social. Il est l’un des fondateurs de l’une des premières ACEF (association coopérative d’économie familiale) au Québec. Ça m’a révulsé jusqu’à l’âge de 18 ans, je le voyais se désamer à gauche et à droite, pour de bien maigres résultats. J’ai vécu une certaine révolte par rapport à cela. Deuxièmement, depuis l’âge de 18 ans, lors d’un travail de philo au cégep sur la question d’instinct, j’éprouve un grand problème à trouver du sens dans la vie. Pour moi la vie est quelque chose de relativement absurde. J’ai réfléchi à cela sur un mode philosophique, puis scientifique. J’ai de la difficulté à trouver que la vie ait du sens. Troisième chose, qui se succèdent dans le temps comme des plans séquences, celui que je vis actuellement et qui m’a conduit à l’engagement, c’est que j’ai fini par frapper un mur. Faire sa vie habité par ce sentiment d’absurdité tout en se désamant au travail, cela conduit au burnout. Je crois que j’en ai fait un par épisodes, sans m’arrêter de travailler. Cela m’a conduit près de vouloir sacrer mon camp définitivement (suicide). Plutôt que de faire cela, je me suis remis à lire la Bible, à me rappeler que les dominicains étaient des gens intelligents. Je me suis approché d’une communauté de dominicains, j’ai résidé là pendant quatre ans et j’ai commencé à cheminer dans un univers de sens qui est la spiritualité et la religion catholique. À cette époque, je me suis payé cinq années de cheminement spirituel chez les jésuites au Centre Manrèse à Québec. Ce qu’on appelait dans le temps les Exercices de saint Ignace dans la vie courante. Ça m’a permis de ré-enligner de manière un peu sensé, aussi bien ma révolte en rapport avec l’engagement de mon père dans lequel je ne voulais surtout pas tomber, que la question du sens parce qu’en cours de route, j’ai découvert Dieu. Pendant plusieurs années, je n’étais pas en révolte vis-à-vis de la religion, mais cela me laissait indifférent. Les Exercices devaient nous conduire à l’élection qui consistait à une option existentielle. Pour moi, cela a été « en-tendre », avec un trait d’union, pour être capable de dire entendre au sens de comprendre, et aussi de « tendre vers ». C’est entendre Jésus-Christ comme sagesse, comme verbe, dans l’action de l’Esprit-Saint dans le monde. Alors, depuis ce temps, je passe mon temps à essayer d’entendre l’Esprit-Saint dans le monde à travers les événements, à travers ma vie, et à travers des lectures régulières.
Il y a quelque chose qui me terrifie et que j’abhorre dans la vie, c’est l’absence de sens. Je suis persuadée que la vie n’a pas de sens. J’ai acquis cette certitude lorsque ma mère est décédée alors que j’étais encore enfant. À ce moment-là, j’ai éprouvé un profond sentiment d’injustice et je suis devenue athée. J’ai envoyé promener le Bon Dieu en me disant que s’Il existait, Il était méchant et qu’Il n’était pas pour moi. Je n’en démords pas depuis. À partir de ce moment-là, je suis devenue révoltée. Je ne sais pas si je peux parler chez-moi d’un engagement social, mais à tout le moins d’une révolte permanente, totale, continuelle. Lorsque j’étais adolescente, j’entretenais une correspondance assidue avec les ambassades d’URSS, de Chine et de Cuba. Je voulais connaître ces régimes politiques et je leur adressais mes questions. Ils me répondaient en m’envoyant de la documentation sur leur pays. Cela mettait mon père sans connaissance. Mon premier geste public d’engagement ou de révolte fut d’écrire une lettre dans le courrier des lecteurs du journal Le Soleil sur le docteur Henry Morgan Taylor parce qu’il venait d’être acquitté en Cour suprême du Canada pour sa pratique d’avortement clinique. J’ai écrit cette lettre pour dénoncer le harcèlement dont il était toujours l’objet. Mais je n’avais pas pensé à une chose, mon père était abonné au Soleil, ainsi que tous nos voisins. Je ne pensais pas que ma lettre allait être publiée. Je me suis fait engueuler royalement. Ça a été mon premier geste public et j’ai passé toute ma vie dans une espèce de révolte à trouver ce monde absurde et frustrant, donc à essayer peut-être de le changer. À cause de cela, j’ai souvent l’impression de faire mon temps ici sur Terre, mais en même temps, j’ai tellement peur de la mort que je ne peux pas me suicider, c’est impossible. J’ai tellement peur de la mort que je suis persuadée que je ne mourrai pas. Je suis profondément animée par un profond sentiment d’injustice. Je considère que tous les êtres humains sur la Terre sont faits pour être riches et en santé. J’étais une utopiste. Il y a des vers d’un poème d’Aragon dont je ne me souviens plus du titre, mais qui pour moi représente un impératif : « Nous étions fait pour être libres, nous étions faits pour être heureux. » Et le poème se termine en disant : « Nous sommes faits pour être libres, nous sommes faits pour être heureux. »
Nous cherchons tous et toutes un sens et une raison d’être dans l’existence. J’ai aussi fait les exercices de saint Ignace et c’est là que j’ai pris la décision d’aller en Afrique. Je voulais m’éloigner du Québec pour un bout de temps. J’y ai découvert deux choses. D’abord qu’en tant que coopérant nous faisions du néocolonialisme, nous contribuions à la domination politique, militaire et culturelle de l’Afrique. Ensuite, je suis allé en Afrique du Sud et j’ai vu l’Apartheid en action. Je suis revenu au pays anticolonialiste et j’ai décidé de militer pour la libération du Québec. J’ai essayé de joindre les rangs du Parti Québécois en envoyant mon formulaire d’adhésion, mais comme je n’ai jamais reçu de réponse, je suis rentré au Parti communiste. De toute façon, je me suis rendu compte que le Parti Québécois était un parti néocolonialiste. À ce moment-là, je suis rentré carrément dans ce qu’il y avait de plus radical au Canada, le Parti communiste du Canada marxiste-léniniste et j’ai commencé à travailler à la révolution canadienne et à la révolution québécoise. J’ai fait de la prison. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait un problème avec le Parti communiste. D’abord, cela prend de la violence pour prendre le pouvoir et cela en prend encore davantage pour le conserver par la suite. La question de la démocratie se posait également. Le Parti communiste fonctionne selon le principe du centralisme démocratique, c’est-à-dire que tout le pouvoir est concentré au centre entre les mains d’un ou deux individus. J’ai cherché autre chose parce que je voulais aussi être utile à la société d’une façon ou d’une autre. C’est là que j’ai découvert le concept de société civile. Dès les années 1977, je commençais à travailler sur un projet de société avec la société civile au centre. Celui qui aurait pu fonder la société civile était un bon communiste et un bon léniniste, c’est Gramsci en Italie qui a fondé le Parti communiste italien. J’ai alors compris l’importance d’aller dans les groupes communautaires et populaires, au Comité populaire du quartier Saint-Jean-Baptiste. J’ai aussi milité dans mon syndicat, toujours en vue de cette théorie à laquelle je travaille depuis une quarantaine d’années. Je pense que c’est la seule source de salut à partir du moment où le seul sujet historique qui peut faire le changement social, c’est la société civile.
À partir de l’âge de 7 ans, j’ai vécu des difficultés de toutes sortes dont un séjour à la crèche, je me suis posé la question du sens de la vie. Qu’est-ce qui faisait que je ne trouvais pas de sens dans la vie des gens autour de moi ? La question du non-sens social et tout cela. J’ai alors entrepris une longue recherche de sens à travers des lectures. J’ai découvert Râmakrishna qui parlait de l’ouverture dans l’univers qui se traduit par le service. Entretemps, je me posais des questions sur la cosmologie. J’étais habité par cela pour finir par m’apercevoir en fin de compte que le service aux autres est une notion qui apparait dans le mot religare. Dans le yoga on parle de joindre et dans différentes cosmologies, il existe la théorie des cordes. Il semble que nous soyons tous et toutes liés les uns aux autres. Je vois cela comme une trampoline cosmique. Lorsqu’on se sert les uns des autres, on s’aperçoit que le don passe à travers nous, mais nous ne sommes que des passeurs de la vie que nous recevons gratuitement. Cela me rassure de voir le monde comme un tout où l’énergie circule pour être redistribuée. Cela éclaire et permet de dénouer des blocages. C’est un peu comme la respiration du Prana yoga qui permet de débloquer l’énergie qui est figée par notre psyché. En fait, il s’agit de se connecter sur l’univers qui est fait comme cela. Retrouver l’unité, c’est une action quotidienne. J’ai découvert le Prana yoga en 1975. Il a été conçu pour les occidentaux, c’est un yoga d’action où l’on apprend à se détacher du résultat. En Occident, nous avons des indicateurs de performances et des rapports à faire, cela affecte la qualité de notre regard.
Je vais essayer de dire quelque chose, mais je ne sais pas comment cela va sortir. D’abord, je vais vous parler de mon passé qui ressemble à celui de bien d’autres ici. Je suis le douzième enfants d’une famille de treize qui sont nés sur une grande ferme. Je vais passer sur ce passé-là même s’il se continue toujours et qu’il n’arrête jamais. Sur la ferme, j’ai eu l’occasion de réfléchir, toujours en contact avec la vie que parfois nous devons prendre aux animaux pour continuer la nôtre. Dans les années 1980′, il existait tout un mouvement de santé naturelle qui avait commencé dans les années 1960′ avec les hippies et le retour à la terre. Après de nombreux échecs, cela a recommencé dans les années 1980′ en Acadie et au Québec. Il y avait des coopératives d’aliments naturels un peu partout. Ici à Québec, il y avait le Crack et quelques autres. Il y en avait d’autres au Lac-St-Jean, en Estrie et à Montréal, c’était la Balance. Ce mouvement était constitué de puristes de l’alimentation naturelle qui était axée sur la santé. Il y avait le végétarisme. À cette époque, certains médecins claquaient la porte au système de santé et des médecins spécialistes à part ça. En Acadie, il y en avait trois qui avaient rejoint notre mouvement, un in-halo-thérapeute, un cardiologue, et un médecin de famille. Après quelques temps, ils sont rentrés dans le rang parce qu’ils n’arrivaient plus à gagner leur vie. Toujours est-il que j’ai travaillé un peu avec ce monde-là. Ce que je voulais dire, c’est que la vie est quelque chose de très très fort. C’est inimaginable comment c’est fort. On peut penser à une rivière et à l’énergie qui circule dans nos veines, dans nos artères, c’est très fort. D’un autre côté, c’est aussi l’inverse, c’est très très faible. La pire injustice sociale, ce n’est pas toujours la pauvreté, c’est la maladie parce que chacunE de nous se dirige vers la fin sans qu’il s’en aperçoive. C’est un peu comme la guerre, comme si l’humanité était condamnée à la guerre et à la maladie. Dans le poème d’Homère, l’Iliade, ce n’est pas juste un poète, un philosophe et un savant de l’époque, c’était une communauté de savants et de poètes qui s’exprimaient sous le nom d’Homère. Dans les premières pages de l’Iliade, on parle de la guerre parce que les Grecs ont connu la guerre bien avant nous. Ils disaient : « L’humanité est condamnée à la tristesse. » Je pense qu’aujourd’hui, on peut comparer cela au cours d’une rivière qui s’écoule à travers des chutes et des rapides, puis c’est le calme. C’est le Chi, l’énergie qui circule à l’intérieur de nous. C’est comme si nous étions condamnés à ne rien faire contre cela. Ce n’est pas toujours à cause de l’ignorance. Je pense qu’il y a toujours espoir parce que la vie c’est aussi l’espoir. Je pense qu’il faut toujours revenir à des principes comme la vérité qui est révolutionnaire. Cela fait peur parce que la vérité est une valeur authentique. Cela va avec la vie, cela va avec l’énergie et on se dirige vers la maladie et la guerre parce que nous ne faisons rien pour arrêter cela. La vérité et l’authenticité, pour moi c’est la même chose. La deuxième valeur, je dirais que c’est la compassion. C’est ce qui constitue notre âme. Michel Chartrand disait que la compassion c’est souffrir avec les autres, cum patire. Si nous sommes ici, c’est parce que nous avons de la compassion. La troisième, c’est la tolérance. Je pense qu’il faut revenir à la vérité, à la compassion, mais aussi à la tolérance. C’est long le changement.
Je pense que chez-moi, l’engagement social est d’abord un héritage que j’ai reçu. Dans ma famille, ma mère est enseignante et toute sa vie elle a été une militante syndicale. Son implication a permis d’avoir un congé de maternité raisonnable pour les enseignantes, conditions qui ont ensuite été étendues à toutes les travailleuses. Il y a aussi une cousine de ma mère, Denise Garneau qui a milité toute sa vie au Comité de citoyens et citoyennes de Saint-Sauveur. Si je remonte plus loin dans mon histoire familiale, ma grand-mère était présidente de la section Québec pour l’Association canadienne de santé mentale dans le temps où l’hôpital Robert Giffard s’appelait Saint-Michel-Arc-Ange. Elle visitait les patients à une époque où la santé mentale était mal comprise. Les conditions de vie des malades étaient déshumanisantes. Avec une équipe de bénévoles, elle a travaillé pour faire reconnaitre la dignité humaine des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Elle a organisé des loisirs pour eux à l’intérieur du centre hospitalier. Ces femmes ont été une source d’inspiration pour moi. Cette question est devenue plus personnelle à l’école secondaire où j’ai commencé à m’impliquer dans un groupe d’Amnistie Internationale. Un moment où cela s’est plus ancré profondément, c’est quand je suis allé au Guatemala, j’ai vu vraiment l’injustice puis encore plus lorsque je suis allé au Brésil à une rencontre internationale de la JOC où j’ai rencontré des jeunes qui donnaient leur vie pour défendre les droits humains. Il y avait des jeunes du Nicaragua qui essayaient de défendre les droits des travailleurs dans les maquiladoras. Je voyais qu’ils étaient près à risquer leur vie pour que justice soit faite. Cela m’a vraiment marqué parce qu’il ne s’agissait pas simplement d’un intérêt ou d’un héritage, mais que cela allait être vraiment pour moi une option de vie qui allait faire partie profondément de ce que je suis et de mes orientations de vie. Je veux être correct pour vivre décemment, mais cela ne passera jamais en premier dans ma vie de faire de l’argent. Progressivement, j’ai comme ordonné mes valeurs. J’ajouterais que la question de la foi que j’ai développée vers l’âge de 16 ans, cela m’apporte une dimension qui me relève lorsque je me sens découragée face à quelque chose. Cela porte mon espérance plus loin, cela m’aide à me décentrer et à dépasser ce que je suis capable de faire. Cela me donne une force supplémentaire pour traverser les épreuves de la vie. Cela me soutient beaucoup qu’il y ait une transcendance dans ma vie d’engagement.
Quand je pense aux origines de mon goût de m’engager socialement, je me rends compte que ce n’est pas une expérience personnelle, c’est une expérience familiale. Mon grand-père s’appelait Raoul Tremblay. Toute la bataille qu’il y a eu au Lac-St-Jean contre l’ALCAN, c’est mon grand-père qui a amené ça au Conseil privé à Londres. Et il n’a pas marié n’importe qui. Ma grand-mère Eugénie était une médaillée du Prince de Galles, l’équivalent de la médaille du lieutenant gouverneur. C’était la plus intelligence de sa cohorte, ce qui n’a pas empêché qu’en se mariant elle dut, comme toutes les femmes à cette époque, abandonner sa carrière d’enseignante. Ma mère s’est découverte féministe à l’âge de dix ans en voyant son institutrice s’agenouiller devant l’évêque pour embrasser sa bague. Autres temps, autres mœurs. Elle a interprété cela en se disant qu’elle deviendrait enseignante pour éduquer les gens, les filles. En passant, elle a enseigné à Lucien Bouchard dans son école de rang. Elle a commencé à 17 ans. Elle se disait qu’elle ne pouvait pas laisser ceux et celles qui me sont confiés sans qu’ils apprennent quelque chose. Elle a enseigné l’histoire et le français en disant : « Connaissez votre histoire, si vous voulez avancer. » Mon père est d’origine française. Quand il est arrivé au Québec en 1951, il a été à l’École de service social de Madeleine Grand’Maison. Cela ne s’est pas manifesté dans des événements marquants, mais dans des attitudes que mes parents ont eues. Mon père était travailleur social. Il a travaillé pour sortir les jeunes de la pauvreté en ayant parfois à retirer des enfants de leur milieu familial pour des raisons d’insalubrité et de négligence parentale. Ce n’était pas facile et les parents lui en voulaient à mort. Ça m’a tout le temps marqué ce combat pour élever les gens. J’ai compris ça seulement quand j’ai été impliqué au niveau des associations étudiantes. J’étais vice-président académique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. C’était la dernière rencontre de la FEUQ et il y avait cette tradition où le président sortant nous lisait son testament spirituel. Il a commencé sa lettre en disant : « À toi étudiant, étudiante, qui ne sait pas pourquoi tu as les meilleures conditions pour étudier. » C’est devenu mon mantra. Il y a une autre personne qui m’a marqué. C’est un prêtre, Raymond Roy, de Victoriaville, où je suis né. Il a fondé à peu près la moitié de ce qui est organisme communautaire à Victoriaville. Quand j’étais au Grand séminaire, je voulais devenir prêtre, l’une des étapes de la formation consiste à aller faire un stage de deux ans en paroisse. Moi j’ai demandé de faire trois ans, dont une année avec Raymond Roy, malheureusement il est décédé à cette époque. Aujourd’hui, je suis un homme marié. Pour moi cette implication se vit à travers le service des gens. Ma mère disait : « Éduquer quelqu’un, c’est l’élever, c’est partir d’où est-ce que la personne est et lui montrer qu’elle peut redresser la tête, qu’elle peut aller plus loin. » Aujourd’hui, ce que je peux faire ? Dans mon travail avec des personnes âgées, j’essaie de donner un petit plus, entre autre à travers l’alimentation, en essayant de les écouter, d’être avec eux. Quel effet que cela produit ? Je ne le sais pas, cela ne m’appartient pas.
Je vais commencer par ma famille. Je viens de Montréal, ma mère était Acadienne et mon père Montréalais. Il faisait du taxi et il avait plein de chums partout dans la ville. Il se faisait toujours proposer du travail. Dans mon souvenir, dans ce temps-là, tout le monde avait accès au travail, ce n’était pas comme aujourd’hui où l’on exige des papiers pour effectuer la moindre tâche. Que nous soyons religieux ou athée, nous avons tous le même but qui est de rendre les gens heureux en étant actif parce que l’inactivité produit la morosité. Mais mon père avait des activités avec le monde interlope et cela m’était caché. Je sentais qu’il se passait des choses que je n’approuvais. Ce monde finit par étendre ses tentacules partout. Je vivais dans un autre monde parce que je passais mon temps à lire. J’avais la fièvre des foins alors je ne sortais pas beaucoup l’été. J’étais réellement affecté par ça malgré le fait que je devais travailler et aller à l’école. Ma famille me cachait quelque chose. Je ne savais rien, mais j’ai choisi de quitter ma famille à l’âge de dix-huit ans. J’ai vécu dans la rue et c’était bien pire qu’à la maison. J’ai quêté, j’ai couché dans le parc du Mont royal, j’ai loué des chambres à 14-15$ par semaine. J’avais une vie que vous ne pouvez pas imaginer. Je me tenais avec des poètes et des artistes. J’ai participé comme photographe à la grosse foire underground qu’il y a eu dans les années 1970′. Il y avait des chances extraordinaires qui me passaient sous le nez et que je ne voyais même pas parce que je m’attardais à de petits détails insignifiants. C’était comme une révolte métaphysique qu’il y avait par les formes que nous étions capables de projeter en tant que peintre ou photographe. J’ai fait partie du mouvement Teton, un regroupement d’artistes où chacun écrivait ou peignait, composait de la musique ou parlait.Un peu plus tard la méditation m’a accroché. Je me suis mis à méditer à tous les jours avec un bâton d’encens. Mais ce n’était qu’une course au bâton d’encens. Je savais que je rencontrais un mur, mais qu’au-delà du mur, il y avait la libération que tu pouvais atteindre parce que tu t’étais intériorisé. Cela ne veut pas dire que tu peux traverser le feu parce que tu t’es intériorisé. On saute tout de suite aux conclusions, mais ce n’est pas comme cela que ça se passe en réalité parce que tu l’inventes à mesure. Cette période-là, je l’ai plutôt découvert ici à Québec. À un moment donné, j’ai réalisé que je devais quitter Montréal où je suffoquais. Je n’y avais pas une vie spirituelle, je ne voyais que les côtés négatifs de cette ville. Je marchais énormément et je traversais la ville de bord en bord. Il fallait que je bouge. J’allais au Cinéma Verdi, j’y ai même travaillé comme déchireur de billets. Il y avait tous les cinéastes européens qui passaient par là. Je fréquentais ces gens et je savais qu’il y avait de l’esprit là. Il y avait une sorte d’échange. Ils étaient enthousiastes et sincères. Une qualité rare que je ne retrouvais pas avec le monde avec qui je me tenais et buvais. J’étais comme absorbé dans une psychose. Quand je suis arrivé à Québec, ça a été mieux parce qu’avec l’aide d’un médecin, j’ai enfin réussi à me guérir de la fièvre des foins. J’avais 28 ans et j’étais content. Ce n’est pas juste le spirituel qui peut faire des miracles. Parfois penser, ce n’est qu’une perte de temps. La science m’a guéri. C’est énormément de temps pour arriver à se mettre ensemble pour une idée qui en vaudrait la peine. Nous semblons incapables de nous unir. J’ai observé de nombreuses assemblées générales où les bases ne semblaient pas remplies et nous passons au troisième niveau sur des questions que les gens ne comprennent pas. J’ai vu tant de conseils d’administration dysfonctionnels. Si ce n’est pas fardé, les décisions qui en sortiront seront toujours une déception, politiquement et émotivement. Parfois des gens qui ont des responsabilités, sous pression, vont prendre des décisions sans consultation préalable. Dernièrement, j’ai commencé à voir à la télé des programmes de méditation. Oui à la méditation, mais cela prend de l’amour. Il faut être possédé par l’amour. Il faut arriver à trouver l’amour.
Ce que tu nous dis, c’est que la méditation fait partie de ton parcours d’engagement social ?
Oui, c’est vrai. Quand tu médites le soir avant de te coucher, cela reste. Tu t’en souviens et tu peux dire, à ce moment précis, j’étais libéré. Mes activités sont transformées par cette immersion en moi-même. Tu peux savoir ce que les gens pensent en les regardant dans les yeux, mais c’est une fausse impression la plupart du temps. Ils sont pensés. Ils ne pensent par eux-mêmes. Les pensées sont l’affaire la plus pernicieuse qui nous hante perpétuellement. Si on les laisse faire, elles vont nous ronger, elles vont nous avoir en se joignant à d’autres tas de pensées qui vont amplifier les idées qu’on se fait. Mais c’est juste une pensée. C’est ça le travail, arriver à se distancier de la pensée pour agir. Tu ne peux pas agir lorsque tu as la pensée en pleine face.
Je ne sais pas jusqu’à quel point c’est utile de laisser tomber les masques en disant d’où est-ce qu’on vient ? Jusqu’à quel point faut-il entrer dans les détails ? Si cette mise-à-nu des uns et des autres favorise l’émergence d’un sujet collectif ? Je suis né à Lévis, l’autre bord du fleuve. Mes parents étaient issus de grosses familles traditionnelles. J’ai grandi à moitié en ville et campagne, dans un milieu favorisé. Assez pour avoir tout ce à quoi je rêvais et même plus. Ces conditions m’ont fait vieillir plus vite. J’étais le plus jeune d’une famille de trois. Mes sœurs avaient cinq et dix ans de plus que moi, cela m’a donné accès à des lectures assez sérieuses au début de mon adolescence : Jack London, Georges Orwell, Soljenitsyne, etc. Ensuite mes parents ont choisi d’aller habiter à la campagne en me laissant sous la garde de ma sœur. J’étais au début de secondaire 3, j’avais 14 ans. À 15 ans, j’étais seul en appartement avec des étudiantes du cégep. Je me souviens de partage d’Évangile avec une grosse bière, en fumant un joint avec des hippies évangélistes. Ça a été mon éveil à la foi chrétienne. Mais comme mon père avait une terre et qu’il aimait beaucoup le travail, alors j’y travaillais également et à un moment donné, j’ai voulu m’échapper de cela. À 16 ans, je suis parti seul sur le pouce et j’ai fait l’Acadie et la Gaspésie pendant un mois l’été. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu cette soif du voyage. Quand j’étais petit, je me sauvais ou j’oubliais de venir souper et je me faisais souvent punir à cause de cela. En parallèle, en sixième année, je me suis fait mettre à la porte de l’église paroissiale lors de la pratique de la confirmation. Comme j’étais bon élève, ma punition a été de lire l’hommage au directeur devant toute l’école à la fin de l’année. J’ai parlé devant cinq cents élèves et j’ai découvert que j’aimais ça. En secondaire 3, je suis devenu représentant étudiant et j’ai poursuivi mon engagement jusqu’à ma dernière année de cégep. Je me souviens que nous avons fermé la Polyvalente de Lévis pendant un mois parce qu’ils voulaient changer nos horaires l’année suivante. Nous étions très tenaces et nous allions manifester devant l’école à tous les matins, à pieds, en plein mois de février. Nous étions très politisés et solidaires les uns des autres. À l’époque, il y avait deux sortes d’étudiants que j’admirais: les voyageurs et les politisés. Plus tard, au cégep, le nihilisme nous a rattrapé. Ce n’était pas la joie tant que cela dans les années 1984-1985 au Québec. Le slogan des années 1980′ était : « No futur » et même si je m’engageais à fond dans l’association étudiante, je ressentais un vide au fond de moi. Avec la consommation de drogue généralisée, je m’apercevais que le suicide frappait autour de moi. Nous étions tous et toutes en attente de quelque chose qui n’arrivait jamais. C’est là que j’ai décidé que pour ma survie personnelle, pour retrouver l’espoir, je devais m’éloigner du Québec et de la morosité qui frappait tous ceux qui y restaient. Il n’y avait pas d’emploi pour les jeunes et partir c’était au moins avoir un projet. Alors, entre les deux sessions, je fais un voyage au Mexique. Je venais d’avoir 20 ans et je voyageais seul, comme je l’avais fait l’été précédent de Québec en Colombie-Britannique sur le pouce puis jusqu’en Californie. Au Mexique, à Acapulco, un soir de Noël, je réalise que des familles pauvres dorment dans la rue, mais que malgré cela ils semblent heureux. Cela m’a terrassé. Comment nous qui avions tout étions-nous malheureux et eux qui n’avaient rien étaient-ils si heureux ? Je suis revenu au Québec transformé par cette découverte et démotivé de la lutte étudiante. Il me semblait que nous étions des enfants gâtés et que nos revendications ne changeraient rien à notre mal-être comme société.
Je ne vous ai pas parlé d’engagement tantôt, j’ai dévié. Jai pris ma première carte de membre dans un parti politique alors que je n’étais pas majeur. Mon père ne comprenait pas cela. Ce qui m’a beaucoup stimulé, c’est une des premières batailles que nous avons menée à la polyvalente pour avoir le droit de porter des jeans. On avait fait la grève et nous avions gagné. Mener des batailles comme cela, faire la grève et gagner son point, c’est très stimulant quand on est jeune et ça reste. Avec le temps, je trouve plus de sens à cette expérience. Au début, il s’agissait de quelque chose de spontané. J’ai vécu un vide de sens après avoir travaillé pour la lutte au Sommet des Amériques. Je trouvais cela un peu désincarné. C’est ce qui a fait en sorte que je me suis retrouvé plus engagé à la base dans un comptoir alimentaire dans mon quartier. Aujourd’hui, je m’approche de la soixantaine sereine, je me sens à l’aise dans cet engagement. Les gens sont reconnaissants. Tout ça pour dire que pour moi l’engagement c’est quelque chose de très ancien, mais que cela prend plus de sens avec le temps. Je ne rattache pas cela à une croyance particulière. Je résume ça en disant : « Construisons du nous.» Quand je disais tantôt que j’avais un bon niveau de vie, ce n’était qu’une ambition personnelle d’accumuler des biens. C’est ce qui m’est apparu futile à un moment donné. C’est là que je me suis dit qu’il y avait des causes collectives qui valaient bien davantage que mon compte de banque pour me stimuler dans mon engagement.
J’ai fait un baccalauréat en économie. Mon premier engagement politique ça a été d’appuyer la venue de Robert Bourassa en politique parce qu’il promettait la prospérité aux Québécois. Quelques années plus tard, j’ai constaté que le Québec n’était pas beaucoup plus prospère qu’il ne l’était avant, malgré les promesses de Bourassa. Ensuite, j’ai milité quelques années au Parti Québécois à l’époque de la ferveur pour René Lévesque. Là aussi, j’ai constaté quelques lacunes. Autour des années 2000, j’ai participé à une manifestation d’appui au peuple palestinien. Ce qui me choquait dans cette histoire-là, c’était l’injustice que subissait les Palestiniens. Après cela, il y a eu les prémisses du conflit en Irak et j’ai participé à toutes les manifestations. Même si les guerres en Irak ont eu lieu, participer à ces manifestations m’apportait une grande satisfaction. Peu de temps après cela, il y avait Jean-Paul Asselin qui m’a invité au CAPMO. À un moment donné, j’ai vu une annonce d’un Carrefour de lutte à la pauvreté qui avait lieu ici et j’ai décidé d’y assister. C’est comme cela que je suis devenu membre du CAPMO.
Je ne veux pas raconter l’histoire de ma vie. Nous serions ici jusqu’après minuit. Je voulais vous dire simplement que la racine de mon engagement social est toujours l’Évangile. Et pour moi, c’est la personne de Jésus qui est toujours présent aux côtés des personnes qui souffrent, aux côtés des femmes, aux côtés des malades, aux côtés des boiteux, des veuves et des orphelins. Il est toujours engagé avec eux. Je me demande pourquoi nous avons tant de chrétiens qui assistent à la messe, entendent l’Évangile et ne font rien. C’est pour moi une source d’étonnement extraordinaire. Dans nos paroisses, la majorité de nos paroissiens écoutent ces histoires, ils les connaissent par cœur, mais qu’est-ce qu’ils font ? C’est extraordinaire. Pour moi, il n’y a pas d’autre alternative que de faire ce que Jésus faisait, de nous mettre aux côtés de ceux et celles qui souffrent. Toute sa vie a été une protestation contre l’injustice.
Nous aimerions vous lire maintenant un extrait du livre de de Jacques Grand’Maison, Du jardin secret aux appels de la vie.
Ré-enchanter la vie, Tome 2
Réconcilier l’intériorité et l’engagement
Il nous arrive de désespérer de nous-mêmes, de ce monde, de l’humanité elle-même. Notamment devant ces guerres et pollutions de tous ordres qui détruisent jusqu’aux premières assises de la vie. Dans ce vide désertique pressenti, une mystérieuse poésie de nos âmes persiste à croire que se cache une oasis quelque part où la vie ressurgit contre toute attente. Ce qui fait la beauté du désert, c’est qu’il recèle une source quelque part. N’est-ce pas la grâce de l’infiniment petit de notre intériorité ouverte sur des richesses de sens, sur des dépassements d’humanisation, sur des engagements porteurs d’une vie nouvelle, anticipateurs d’une terre nouvelle et de cieux nouveaux ? Si tant est qu’on inscrit la foi dans la chair de notre plus profonde humanité. Dans la longue évolution de l’univers, cinq fois la vie a été menacée de disparaitre de la Terre. À la troisième période glaciaire, 90% des espèces se sont éteintes. Et pourtant, la vie a ressurgi de plus belle. L’histoire humaine elle-même témoigne de remarquables recommencements après de lourdes épreuves de tous ordres. Nous sommes de ces foulés d’espérance et de résurrection. Il est bon de se rappeler ce fond de positivation au moment où la tentation du fatalisme hante la conscience contemporaine. Tentation qui est à la source de tant de décrochages et de démissions devant les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés. Comme ce fut le cas tout au long de l’histoire, les dépassements sont tributaires de la force intérieure des individus et des peuples. Car c’est au-dedans de soi qu’on va puiser ces ressources insoupçonnées de relance du sens et de la vie que je viens d’évoquer. Il n’y a pas d’engagement résolu et durable sans un solide socle d’intériorité capable de foi et d’espérance. Deux pôles humains et spirituels inséparables. Ils se renforcent l’un et l’autre quand on les vit ensemble. On doit se méfier d’une intériorité sans engagement tout autant que d’un engagement sans intériorité. Une évidence, me diriez-vous. Et pourtant ces dissociations sont fréquentes. Mais on doit reconnaitre aussi que leurs rapports sont sans cesse à repenser et à renouveler.
J’ai trouvé cela très intéressant qu’il y ait des gens qui osent aborder la question du cannabis. Une de mes premières expériences d’engagement social dans ma vie, j’étais dans un cégep de 300 étudiants et j’étais extrêmement discriminé lors de ma première année parce que j’avais les cheveux courts et que je m’habillais comme un bon p’tit gars. On me prenais pour un attardé parce que j’avais écrit une dissertation et que j’avais au-dessus de 40% de fautes de français dans mon texte. Un jour, l’animateur de pastoral qui était un technicien en loisir, est venu me voir en disant qu’il comprenait pourquoi j’étais discriminé et qu’il souhaitait m’aider à sortir du pétrin où j’étais, et devant tout le monde il m’a offert une pof de cannabis. À partir de ce moment, les autres ont cessé de me traiter comme un moins que rien. J’avais passé le rituel d’admission.
J’ai beaucoup aimé cette soirée. C’était une de nos plus profondes de mon point de vue.
Je ne sais pas si vous connaissez la progression d’intensité dans les cercles de paroles chez les autochtones ? Il y a le cercle de parole, ensuite le cercle de confiance, puis le cercle de guérison. Je pense qu’au CAPMO, nous serions dus pour un cercle de confiance. On se connait assez parce que l’idée du cercle de parole c’est lorsqu’on ne se connait pas. Mais à un moment donné, le fait que les gens se connaissent de plus en plus fait en sorte que nous allons plus en profondeur, jusqu’à l’accomplissement ultime qui est le cercle de guérison où les gens s’expriment tellement qu’il se produit des changements dans leur vie. C’est une évaluation très positive que je fais. Cela débute par une prière ou un chant avec tambour en utilisant des herbes qu’on fait brûler pour chasser les mauvaises énergies. Ici, nous n’avons pas eu de rituel départ et les gens se sont confiés spontanément. On sort de l’intellect et on se confie aux autres.
Je pense qu’il faut faire attention. Cela ne m’apparait pas être la vocation du CAPMO de devenir un lieu de guérison, mais si nous sommes plus aptes à transformer le monde parce que nous avons franchi des étapes, je trouve cela excellent.
L’unité du groupe m’apparait en lien avec l’effort collectif qui va faire en sorte que chacun va mettre pour atteindre ce même objectif. Quand chacunE ressent que lorsque Monique agit, elle agit pour le bien de chacunE et que j’ai envie d’aider Monique ou Francine et toi tu as envie de m’aider et que nous poussons tous dans le même sens pour atteindre un objectif, cela devient une force.
La force vient de l’honnêteté. Ce soir, nous avons été très honnêtes les uns envers les autres et c’est à partir de cette honnêteté que nous allons trouver l’unité.
Sans aller jusqu’au cercle de guérison, il reste qu’à un moment donné, l’atmosphère devient lourd, les paupières se ferment. Je pense que si nous ne faisons pas ensemble une technique de méditation, de grand calumet ou de tente de sudation, ou n’importe quoi, nous pourrions prendre une ou deux fois, pendant la soirée, le temps de prendre cinq grandes respirations. Cela permet à l’énergie de mieux circuler dans notre corps, c’est l’éveil, c’est la qualité de l’écoute aussi, cela favoriserait une participation plus intensive de chacun. Il n’y absolument rien qui va à l’encontre de la mission du CAPMO dans cette pratique. C’est simple et cela reconditionne l’esprit, la circulation, la vie.
Cela m’apparait hors sujet.
Nous faisons à la fois l’analyse de ce que nous venons de vivre et la projection de ce qu’il pourrait y avoir dans une prochaine rencontre.
Moi j’ai beaucoup apprécié la rencontre. J’ai aimé ça qu’on tamise les lumières, cela permet de laisser tomber la pression avant d’engager la parole. J’ai beaucoup apprécié parce que c’est vrai que cela prend une certaine confiance pour parler de soi. Ce sont parfois des choses qui viennent nous chercher profondément. C’est n’est pas toujours facile à dire. Même avec un psychologue il est parfois difficile de se confier. Ici, nous avons cet esprit-là. Quand une personne parle, on l’écoute. C’est comme une forme de compassion. J’apprécie ça et j’en parle beaucoup autour de moi.
Ce que j’aime dans ce que nous avons vécu ce soir, c’est que dans les milieux où il y a de l’engagement social, il n’y a pas cet espace de dialogue. Ça m’apparait important et je pense que c’est une dimension qui manque ailleurs. Dans les mouvements sociaux, on vit plus souvent des défaites que des victoires. Si nous voulons combattre le capitalisme dans sa forme ultra-matérialiste, mais que dans notre manière d’être et dans notre façon de militer, nous demeurons au niveau matérialiste et objectivant avec les autres personnes, nous n’avançons pas. Je trouve qu’il y a là un chemin, encore imparfait, pour essayer de sortir de cela. Je pense que c’est là où nous nous situons au CAPMO. L’idée des cercles de confiance me fait penser que cela fait longtemps que nous avons pas vécu une journée d’intériorité. Je trouve l’idée bonne. J’ai aussi besoin d’une pause au bout d’une heure et demie, autant au point de vue concentration que physique.
Écouter, c’est très exigeant. J’ai déjà entendu qu’une heure de travail intellectuel équivaut à deux heures de travail physique et qu’une heure d’écoute active équivaut à quatre heures de travail physique.
Est-ce que tu es content de cette soirée ?
Je suis toujours inquiet de ce que cela va donner, mais nous réussissons toujours à le faire. Il y a comme une magie qui opère. J’ignore comment cela fonctionne et je ne suis pas responsable de rien. Le groupe et la confiance que les gens se portent les uns envers les autres, l’écoute, la compassion, l’authenticité et la tolérance, tout cela crée les conditions propices au dialogue.
J’ai bien aimé les témoignages de tout le monde, mais au début, j’ai eu de la difficulté à garder mon attention parce que j’avais trop bien mangé.
Propos recueillis par Yves Carrier