#274 – Des fleurs d’humanité sur le terrain aride de la pauvreté

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#274 – Des fleurs d’humanité sur le terrain aride de la pauvreté

Le CAPMO est comme une grande famille qui se réunit à chaque année au temps des Fêtes. Pour plusieurs, c’est l’occasion de donner signe de vie en participant au grand souper de Noël. Les expériences et les luttes partagées tissent des liens d’amitiés qui forment lentement un récit, une narrativité d’un groupe développant une identité enracinée dans une mission en permanente élaboration, mais toujours dans le rapport à l’autre. À l’écoute des drames de ce temps, nous cherchons ensemble à construire du sens devant l’absurdité de la violence, de l’injustice et de la guerre. RéuniEs en cette soirée magique, certainEs se remémorent des événements de leur vie qui les ont transformés à jamais. D’aucuns y perçoivent la présence amoureuse du mystère de la vie elle-même, incarné dans un homme, il y a vingt siècles, porteur d’un message d’espérance qui a métamorphosé l’histoire. Et c’est peut-être aussi cela Noël, la vérité d’un nouveau-né qui recentre l’importance de la dignité humaine et qui, à partir de sa vulnérabilité, nous invite à devenir solidaires et à construire une véritable civilisation.

À travers toutes les errances politiques, environnementales, sociales, morales et économiques, de ce nouveau siècle, il apparait très difficile de renier celui qui apporte un message fondateur pour l’humanité nouvelle. Bien au-delà des croyances et des religions, il établit le sens véritable de l’histoire en nous rappelant que lorsque nous tournons le dos à une personne en détresse en faisant prévaloir notre bien-être, notre sécurité et nos intérêts d’individu, de famille ou de groupe, devant ceux des autres, nous faisons fausse route. Si nous ignorons chacun, chacune, pourquoi nous sommes ici sur Terre, l’homme de Nazareth nous indique le chemin de la dignité humaine comme prémisses d’un agir éthique nouveau à tous les niveaux de responsabilité. Dieu ou homme, cela n’est pas si important que cela. Je veux dire qu’il est facile de le suivre sans être croyant. Ce qui demeure, c’est la profondeur et la vérité de sa vie, son témoignage jusqu’à la mort pour que les puissants cessent d’abuser de leurs pouvoirs en nous dépossédant de la grandeur dont nous sommes tous et toutes héritiers et héritières. Son message implique aussi la responsabilité personnelle de chacunE d’élargir l’espace de son cœur en s’ouvrant aux souffrances des autres et en devenant porteurs d’espoirs, d’amitié et de réconciliation. Son amour, il nous le donne pour que nous le multiplions à l’infini, convaincus que l’avarice, le mensonge, la haine ou la rancœur, ne peuvent l’emporter sur la vie qui renait toujours de ses cendres.

Bonne année 2017, riche de sens et d’amitiés.
Yves Carrier

 


Table des matières

Témoignage
 Un enfant est né
La parole est à vous
 Récit d’engagement social
Histoires de rédemption

 


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Témoignage de Robert Roussel

Bonsoir, mon nom est Robert Roussel. J’ai 45 ans, je suis originaire de la région de Portneuf. J’espère que tout le monde va bien. Je sais que parmi vous certains ne vont pas bien. Manque de motivation, manque de confiance en soi ou manque de moral, anxieux, nerveux ? Parlons de la pauvreté. J’ai vécu dans la pauvreté. Avez-vous déjà vécu la pauvreté ou bien connaissez-vous quelqu’un dans votre entourage qui est dans la pauvreté ? Ouf ! Je ne suis pas le seul qui ait vécu cette situation triste et dérangeante. Arrêtez donc de mentir. Vous n’êtes pas à l’aise de le dire. Ah bon, vous avez une personne devant vous qui vit toujours cette situation.

Pourtant je suis né dans une bonne famille, mais la vie n’a pas été pour autant facile pour moi. À ma naissance, il y a eu une complication qui a fait en sorte que j’ai manqué d’oxygène. Cela a eu des conséquences sur la suite de mon parcours de vie. Par exemple, j’ai mis plus de temps pour apprendre à marcher, à parler, à être propre et à apprendre à l’école. La vie n’est pas toujours facile lorsque l’on est enfant et que nous avons de la difficulté à nous intégrer au groupe parce qu’on se fait écœurer. «Robert écris en lettres attachées.» Je voyais mes compagnons de classe mieux performer alors que moi j’avais de la difficulté à apprendre. Autre exemple, les mathématiques. Cela n’était pas facile pour moi et j’éprouve encore certaines difficultés pour compter. Les médecins croyaient que je faisais des crises d’épilepsie, mais ce n’était pas le cas. Je me suis fait traiter de gros paquet de nerfs.

J’ai souvent déménagé, de Montréal à Amos, d’Amos à Radisson, de Radisson à Québec, de Québec à Trois-Rivières, de Trois-Rivières à Québec et dernièrement Montréal. C’est triste parce que j’ai perdu des amis, j’ai souvent changé d’école. Ma famille commence avec mon père qui a grandi à Montréal où il travaillait comme électricien dans le milieu des années 1980. Puis il retourna aux études. Pendant ce temps, ma mère s’occupait de mon grand frère et de moi. Puis elle a choisi elle aussi de retourner à l’école. Nous allions tous à l’école en même temps. Il fallait que je fasse presque tout à la maison : repas, lavage, aspirateur, et même laver les toilettes.

Mon frère et moi étions très différents. Pendant qu’il s’amusait avec ses blocs Lego et à monter des modèles réduits, moi je m’amusais à dire des conneries sur des magnétophones et à briser des choses qui ne m’appartenaient pas. Le souvenir qui me revient de cette époque, c’est celui des camions qui emportent des carcasses de voiture empilées les unes sur les autres. Je m’étais fabriqué ma propre cours à scrappe. Pour revenir à mon frère, il est informaticien, futur propriétaire d’un vignoble, grand-père. Le chanceux, il a bien réussi sa vie. Moi aussi, j’aurais aimé réussir des projets ambitieux dans le domaine des communications. Pendant que les membres de ma famille réussissaient dans leur scolarité, de mon côté je ne parvenais pas à obtenir un diplôme de secondaire. À travers tout cela, même à l’école primaire, je me faisais traité de pas bon, de Ticoune. À l’âge de dix-huit ans, j’ai abandonné mon cheminement particulier parce que mon père qui avait peur que je ne fasse rien dans la vie, m’avait trouvé un emploi dans la chaine de restauration rapide «La bretelle dorée». Vous ne connaissez pas cette chaine qui existe depuis 1937 ? C’est la chaine McDonald. J’ai conservé cet emploi pendant trois mois avant de me faire mettre dehors. On me demandait toujours d’aller plus vite ce qui me faisait faire des erreurs et me stressait. Pour reprendre mon souffle, il m’arrivait de discuter avec des clients, ce qui ne plut pas à mes patrons.

Au début des années 1990, mes parents ont décidé de se séparer après 25 ans de vie commune. J’ai trouvé cela très difficile et je pensais au suicide. J’ai choisi de considérer le divorce de mes parents comme une expérience de la vie puisqu’ils ne s’aimaient plus de toute façon. Regardez autour de vous, vous avez sûrement vécu des expériences de vie, consommation d’alcool, etc.

De 1992 à 1996, je me suis efforcé de terminer mon cours secondaire aux adultes, sans y parvenir en raison de mes problèmes en mathématiques. J’ai alors décidé de m’orienter vers une formation professionnelle pour devenir préposé aux bénéficiaires parce que j’appartenais à une communauté qui souhaitait venir en aide aux personnes handicapées. J’ai voulu entrer dans une école professionnelle où j’ai été refusé toujours en raison de mes problèmes avec les mathématiques. Je me suis alors orienté vers un DEP. Le cours s’est bien déroulé, avec ses stages, mais encore une fois, je ne suis pas parvenu à réussir le cours de mathématique. Je suis alors retourné travailler comme commis d’épicerie pendant environ 4 ans.

En 2003, grâce à ma tête dure, j’ai toujours envie de suivre le cours de préposé aux bénéficiaires. J’ai fait une autre demande à la même école. J’ai été à nouveau refusé. C’est à ce moment là que je me suis retrouvé à l’aide sociale. J’ai fait connaître mon histoire qui a été publiée dans Le Soleil et des gens m’ont alors offert de l’aide. Suite à cet article, quelqu’un a offert de payer mon premier mois de formation dans une école privée. Après avoir complété mon cours, j’ai réussi avec quelques difficultés à me faire engager dans une résidence privée. Après trois mois à cet emploi, l’infirmière cheffe m’a demandé où j’avais pris mon cours de PDSB pour «Principes de déplacement et de soins aux bénéficiaires». Le cours que j’avais suivi n’étais pas reconnu par le ministère de l’éducation. Elle m’a suggéré de compléter ma formation et de suivre ce cours. Encore une fois, j’ai été refusé à l’école qui était reconnu par le ministère.

En septembre 2004, je décide de m’inscrire dans une école professionnelle à Montréal dans l’espoir de réaliser un de mes rêves. Toutefois, je dois m’inscrire aux prêts et bourse. Je louais une chambre 300$ dans un appartement avec une mère monoparentale et ses deux enfants. Je commence à étudier de jour, mais des problèmes où j’habite m’oblige à prendre mes cours le soir. Les choses vont assez bien jusqu’à mon premier stage. Là, on me demande d’aller plus rapidement. Je n’y arrive pas à cause de mon stress. J’échoue le deuxième stage. Suite à cet échec, je quitte Montréal pour aller m’installer à Trois-Rivières pour réaliser un projet que j’avais en tête depuis longtemps, travailler à l’Arche de Jean Vanier dans une maison d’aide à des personnes déficientes intellectuelles. J’y suis demeuré pendant deux semaines. Mon expériences s’est bien passée, mais je manquais de confiance en moi.

J’ai ensuite déménagé à Québec où j’ai travaillé à aider des personnes handicapées en faisant des tâches ménagères. Puis des amis m’ont parlé d’une association de défense des droits sociaux. Ils m’ont conseillé de m’y inscrire comme membre et de m’y impliquer pour briser l’isolement que je vivais suite à une rupture amoureuse. Au début, j’avais peur de m’impliquer car je ne voulais pas être jugé. « Les gens vont encore rire de mes faiblesses. Je vais entendre des préjugés sur ma situation de pauvreté, etc. » C’est à cet endroit que je m’implique depuis 2009. Grâce à l’ADDSQM, j’ai appris à parler en public, à donner des entrevues et j’ai participé à des conférences de presse. C’est pourquoi j’avais envie de vous partager mon vécu que je juge une expérience intéressante pouvant aider les autres.

C’est un bel exemple de résilience que nous a partagée Robert Roussel qui démontre encore une fois qu’il faut toujours garder espoir et aller vers les autres pour se donner courage. (Yves Carrier)

 


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Un enfant est né

Il y a un récit dont vous avez entendu la lecture, c’est le récit des bergers. C’est l’histoire de pauvres qui vivent en marge de leur société et qui découvre le sens extraordinaire d’un événement ordinaire qui s’appelle une naissance. On peut le prendre comme un récit religieux ou comme un conte merveilleux tout dépend de l’état d’esprit dans lequel vous êtes. Mais prenez bien note que ce qui est exprimé à travers la manifestation des anges, c’est le vécu de ces gens ordinaires qui vivaient dehors aux intempéries. Les bergers étaient incapables de suivre les observances religieuses très stricte de leur temps, ils étaient perçus comme des marginaux, et ils ne devaient pas sentir très bon non plus. En Afrique du Nord, j’ai connu des bergers. Ils portaient des gros vêtements de laine. En passant Bethléem ce n’est pas la Floride. En hiver cela peut descendre jusqu’à zéro degré. C’est à ces personnes qu’arrivent l’événement de Noël. Des personnes, selon notre thématique, pour qui arrivent des fleurs d’humanité sur des conditions de vie très difficiles. Alors je vous lis le texte en partant de l’événement de la naissance. Noël, ce n’est pas la fête du Père Noël, c’est le rappel d’une naissance.

«En ce temps-là paru un décret de César Auguste dans le but de recensement de toute la Terre. Ce premier recensement eu lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Tous allaient se faire recenser chacun dans sa propre ville. Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David appelée Bethléem parce qu’il était de la maison de la famille de David afin de se faire inscrire avec Marie sa fiancée qui était enceinte. Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait enfanter arriva. Elle mit au monde son fils premier-né, elle l’emmaillota et le coucha dans une crèche parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.»

Donc une naissance de gens très modestes dans un lieu très humble. C’est une naissance très discrète.

«Il y dans cette même contrée des bergers qui dormaient dans les champs pour garder leur troupeau. Un ange du Seigneur leur apparu et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. Et l’ange leur dit : «Soyez sans crainte car je vous annonce une grande nouvelle d’une grande joie qui sera pour tous. Aujourd’hui dans la ville de David, il vous est né un sauveur qui est le fils du Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe: Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche.»»

Tu parles d’un signe pour la naissance d’un personnage d’une telle importance.

«Et soudain se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste qui clamait : « Gloire à Dieu dans les cieux très hauts et paix sur la Terre parmi les hommes qui l’habitent.» Lorsque les anges se furent éloignés d’eux, les bergers se dirent les uns aux autres : «Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaitre.» Ils y allèrent et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né dans la crèche. Après l’avoir vu, ils leur racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers.

Puis, il y a cette phrase qui exprime ce qu’éprouve les témoins de choses extraordinaires qui se produisent dans le cours ordinaire de la vie.

«Marie conservait toutes ses choses et le repassait dans son cœur. Et les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu conformément à ce qui leur avait été dit.»
Dans le reste de l’évangile, on n’entendit plus jamais parler de ces bergers. Voilà un événement de Noël où des gens humbles, pauvres et modestes, découvrent le sens extraordinaire de quelque chose qui leur arrive dans leur environnement ordinaire. C’est ce que nous relate le fameux cantique : «Les anges dans nos campagnes.» (Gérald Doré)

 


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La parole est à vous

Voici un fait étrange qui m’a été rapporté par trois personnes différentes et qui ne se connaissaient pas alors que je faisais de l’accompagnement spirituel pour le groupe Alcoolique anonyme à Toronto. Deux hommes et une femme m’ont raconté la même histoire qui leur est arrivée alors qu’ils étaient seuls chez-eux et qu’ils étaient dans un état d’ébriété avancée. Ils ont entendu une voix intérieure qui leur disait : « Il n’est pas nécessaire que tu continues à faire cela. Tu peux changer. » Les deux hommes qui m’ont raconté cela m’ont dit qu’à partir de ce jour ils ont cessé de boire et je les ai vus devant moi en parfaite forme physique. Ils parlaient de leur travail, de leur famille et ils étaient sains d’esprit. Si les hommes avait une affiliation religieuse, la femme n’avait aucune expérience de la foi. Elle voulait me voir car elle croyait qu’elle était folle parce qu’elle entendait cette même voix qui lui disait d’arrêter de boire. Je lui ai dit qu’elle n’était pas folle et qu’elle entendait la voix du Seigneur. Elle est repartie toute heureuse et encouragée à cesser de boire avec une espérance d’une vie nouvelle et d’un futur. C’est un peu comme ce récit que Gérald nous a lu avec des gens très pauvres qui dans des circonstances extrêmes, tout-à-coup, trouvent la présence du Christ. C’est une expérience qui transforment les gens qui la vivent. Ça nous donne l’espérance, ça nous donne la vie, la force et la volonté de continuer pour reconstruire notre vie.

J’ai le goût de vous partager quelque chose qui est arrivée aujourd’hui. J’ai un couple d’amis qui a vécu une année extrêmement difficile. Depuis un mois, je les vois ressortir de cette épreuve. Une jeune femme de Sherbrooke qui est enceinte et son conjoint vient de perdre son travail. Avant, ils vivaient dans la rue, ce qu’il fait qu’ils ne possèdent presque rien. Mes amis ont fait toutes sortes d’appel à la solidarité pour de la nourriture et des vêtements. Ils vont aller leur rendre visite et les aider à préparer une chambre pour le bébé. J’ai été profondément touchée par leur humanité et je dirais qu’à travers toutes les difficultés qu’ils ont traversées, ils ne prennent pas le temps de se reposer. Bien au contraire, ils ont un jaillissement de générosité malgré les épreuves et l’aridité qu’ils ont vécues cette année. Cela me fait réfléchir sur le sens véritable de Noël.

Je vis sous le seuil de la pauvreté parce que c’est la vie que j’ai choisie. Merci à la vie d’avoir fait un baccalauréat en agronomie et une maitrise non complétée. J’ai travaillé au ministère de l’agriculture, et dans un autre ministère avec des bons salaires, etc. Ma vie c’est l’aventure et je ne pense pas au côté monétaire. J’aime les petits détails, j’aime sentir et vivre. Je remercie la vie d’avoir reçu ce don de sentir les gens et de les comprendre lorsqu’ils parlent. Personnellement, je suis plus attiré par un contexte spirituel que religieux. Pour moi, c’est plus important de célébrer l’équinoxe du printemps. Tout est cyclique dans la vie, dans les cultures et dans ma culture, c’est le 21 mars que le cycle de vie recommence. Je suis Mexicain et nos ancêtres Mayas ont exprimé cela à travers leur architecture qui tient compte des cycles solaires. Ainsi à l’équinoxe ou au solstice, leurs temples correspondent avec le lever ou le coucher du soleil. Je travaille pour avoir de l’argent et lorsque j’en ai assez, je m’arrête et je vais me balader. Évidemment je suis capable de vivre avec très peu de choses n’ayant ni voiture ni maison. Indépendamment de cela, je me considère comme un petit-bourgeois parce que je vis ici au Québec, au Canada. Dans ce pays, personne ne meurt de faim. Quand j’entends parler de la misère ici, c’est que les gens ne sont pas allés dans le tiers monde. Au Mexique, par exemple, la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Ici, il suffit d’aller demander de l’aide, nourriture ou vêtement et tu reçois tout gratuitement. Aujourd’hui, tout le monde va avoir des cadeaux et va manger de la dinde. Au Mexique, il y a un million d’enfants qui n’ont rien à manger et qui doivent aller travailler sans salaire. Le problème ici c’est que nous devenons indifférents à la misère du monde. Oui, je me sens comme un petit-bourgeois de vivre au Canada. Le Mexique compte 125 millions d’habitants et la moitié de sa population vit dans la misère totale. Savez-vous ce que c’est que la misère ? Non, vous ne connaissez pas cela. Même si vous avez voyagé, vous ne connaissez pas cela. La vivre, c’est une autre affaire. Depuis l’âge de seize ans que je me débrouille par moi-même. Toute ma vie est une aventure.

 


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Récit d’engagement social

Moi, je suis un petit-bourgeois au-dessus du seuil de pauvreté. J’ai grandi dans un milieu ouvrier et j’ai accédé à des études supérieures parce que mes parents pensaient que je ferais un prêtre. Par contre, très jeune, j’ai été sensible aux différences sociales. Aussi, j’ai été très ébranlé par deux livres que j’ai lus dans ma jeunesse. Le premier c’est un livre de l’Abbé Pierre, alors que j’étais adolescent, « L’Abbé Pierre parle aux Canadiens ». Imaginez-vous que l’évêque de St-Hyacinthe avait interdit la projection du film qui allait avec le livre parce que l’Abbé Pierre remettait le clergé en question par rapport à leurs relations avec les élites.

Ensuite, un autre livre qui m’a beaucoup touché, c’est « Géopolitique de la faim » du brésilien Josué de Castro. J’avais une orientation sociale et après mon départ du noviciat, je me suis retrouvé à l’École de service sociale et j’ai découvert un courant qui s’appelait : « Animation sociale en milieu urbain défavorisé». C’était le début d’une démarche de participation à la base avec le monde. J’ai abouti dans le quartier St-Roch et nous avons mené une très grosse lutte. À l’époque, nous avions beaucoup d’impact parce que la participation c’était nouveau au Québec et le monde embarquait. À l’Université Laval, comme enseignant, j’ai découvert l’analyse marxiste et j’ai lu le Capital. Nous avons réalisé une recherche retentissante à l’époque sur les mécanismes de développement urbain et la production des quartiers défavorisés, (Une ville à vendre, EZOP-Québec).

J’étais beaucoup dans une position d’intellectuel. Nous avons ensuite débuté une recherche sur les luttes des groupes d’action populaire dans le domaine du logement, de la consommation et de la sécurité du revenu. C’était une approche intellectuel, mais on développait des grilles pour analyser les effets des luttes. En même temps, je lisais « Pédagogie des opprimés » de Paulo Freire. Pendant la recherche, celle qui couvrait le volet aide sociale est allée à Montréal et elle a rencontré un couple qui vivait de l’aide sociale. Il y avait une démarche où à travers l’action, les personnes assistées sociales se formaient. Certaines sont passées par des formations comme celle-là, à partir de leur engagement sur le terrain. Nous étions à la recherche d’alliés et la personne responsable de ce groupe à Montréal nous a dit qu’elle organiserait une session de formation où les formateurs seraient des gens de la base qui vivaient ces situations.

Pour ceux qui connaissent le jargon chrétien, ça a été mon chemin de Damas. Mais à cette époque, je me définissais comme un incroyant. Ça été quelque chose qui m’a profondément bouleversé. Pour moi, ça a été la découverte d’une qualité humaine profonde dans une relation subjective, pas juste dans une analyse de seuil de pauvreté, du vécu personnel. Ça a changé profondément ma vie et ça a modifié mon enseignement. J’ai enseigné la méthode de Paulo Freire. Quand j’ai quitté l’université, les gens avec qui j’avais fait équipe, mes étudiants, étaient un peu partout comme permanents ou militants des groupes populaires à Québec. Ça illumine ma vie et cela fait que je suis encore ici au CAPMO. S’il s’agissait d’un groupe de philanthropie ou d’un groupe d’intellectuels produisant des recherches sur la pauvreté, je ne serais pas au CAPMO. Il y a des trippes au CAPMO, c’est pourquoi j’y suis.


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Histoires de rédemption

Pour moi, la pauvreté a plusieurs visages. La pauvreté ce n’est pas juste le manque d’argent. Cela peut être intellectuel, cela peut être social, de différentes façons. Moi aussi quand j’étais jeune, j’ai vécu des choses assez difficiles. Je ne pensais jamais de faire ce que je fais aujourd’hui. On m’a dit par le passé que je ne ferais jamais rien dans ma vie, que j’étais pas assez intelligente pour cela. Alors qu’aujourd’hui, plus ça va et plus je m’étonne de voir ce que je fais et je me dis que même si j’ai essayé d’aller sur le marché du travail et que cela n’a pas fonctionné, même si j’avais de la difficulté à l’école et que j’ai eu de la difficulté à réussir, même si moi aussi le stress vient parfois me jouer des tours. Cela ne parait pas, mais oui c’est le cas. Quand je suis arrivé à l’ADDS et qu’on m’avait demandé une première fois pour parler en public, j’avais répondu que je ne pouvais pas faire cela, que j’en étais incapable. Pourtant, je l’ai fait et cela m’a permis de comprendre que malgré ma situation, malgré le fait que je n’ai pas été capable d’aller sur le marché du travail, le fait d’apporter mon témoignage, mon vécu, mon bagage, comment j’ai fait pour m’en sortir et grandir là-dedans, cela pouvait être utile à d’autres personnes qui vivaient des situations difficiles. Aujourd’hui, je me rends compte que je reçois des cadeaux de la vie, sinon je ne serai pas ici. Quand ma mère est décédée, j’ai eu des moments assez difficiles et j’ai eu moi aussi envie de partir. Je voulais me suicider parce que ma mère était décédée et que je craignais de me retrouver toute seule. Mais à ce moment là, il y a comme quelque chose de magique qui s’est passé en-dedans de moi. Je suis partie, je suis allée marcher vers 4 heure de l’après-midi et je suis rentré chez-moi à 3 heures du matin. J’ai marché tout ce temps sans m’arrêter. J’ai marché, marché, marché, et il y a quelque chose de magique qui s’est passé et qui m’a dit : « Non Monique, il y a quelque chose qui t’attend à quelque part. Tu vas t’en remettre et malgré tes difficultés à l’école, tu vas être capable d’apporter un soutien moral et mental à d’autres personnes. » Cela fait de nombreuses années et c’est actuellement que cette promesse se réalise pour moi. Cela me surprend. J’ai une amie que je connais qui vient d’être hospitalisée et elle s’est fait amputé le pied. C’est là que je réalise que souvent les gens se plaignent pour des petites choses alors que d’autres vivent des choses très difficiles. Ils ont besoin de soutien, de confort et de réconfort, pour continuer leur route et d’entendre dire: « Même si c’est comme ça aujourd’hui, ce n’est pas grave, il y a d’autres choses qui t’attends ailleurs et ton chemin n’est pas fini, ta route continue. » Cela fait du bien des soirées comme ce soir où nous pouvons partager ces choses que nous vivons à l’intérieur de nous-mêmes. Même si cela ne parait pas à l’extérieur de nous, la vie n’est pas toujours facile ou comme on souhaiterait qu’elle soit. Il y a quelque chose de magique. Il faut croire que la vie est faite comme cela.

Une pensée qui m’est venue en tête en vous écoutant et à propos de la fête de Noël, c’est le fait que le Créateur décide de prendre une forme non habituelle pour l’époque de Jésus. Selon les croyances de l’Antiquité, les dieux s’incarnaient sous la forme d’humain mais en tant que roi, empereur ou guerrier, de riches et de puissants. En quelque sorte, l’incarnation du Christ constitue une hérésie parce que Dieu choisit une famille pauvre et sans pouvoir. C’est impensable pour l’époque. Quand les premiers chrétiens se convertissaient, cela semblait une aberration parce que même les pauvres adulaient les riches et les puissants.

Oui mais, dans ton expérience à toi, peux-tu nous raconter avoir découvert une fleur d’humanité dans une situation de pauvreté ? Quel lien ferais-tu avec ce que tu viens de dire et ton expérience ?

D’abord, je vis de la pauvreté. Je vis le fait d’avoir des talents qui ne sont pas désirés par le marché tout-puissant du travail. Ma valeur comme personne est différente de ce que le marché me dit de ce que mes moyens financiers ou mes avoirs m’en disent. C’est à cause de cela que je me suis souvent retrouvé impliqué dans une sorte de service parce que le Dieu auquel je crois s’est fait pauvre et donc, en servant les pauvres, c’est ce Dieu que nous servons. Il intervient souvent de manière inattendue en pourvoyant à mes besoins sans que je lui en fasse la demande explicite. Par exemple, je suis dans le rouge et tout d’un coup, je reçois de l’aide inespérée. Je sens que Dieu intervient de toute sorte de manières par la providence dont je fais souvent l’expérience à travers les cadeaux ou les services que les gens m’offrent de leur plein gré sans que j’en fasse la demande. Si je regarde la vie de Jésus, il n’avait pas de temps à perdre avec les rois, les grands et les puissants de ce monde, il s’adressait aux gens qui n’étaient pas considérés dans la société.

Je vais vous raconter l’expérience que je vis à Ste-Foy avec la récupération du comptoir alimentaire contre l’opinion de tous les intervenants du milieu. Cela ne se pouvait pas que les utilisateurs se prennent en main et qu’ils administrent eux-mêmes de façon bénévole le comptoir alimentaire, mais au final, nous avons confondu toute la galerie. Cette année, nous avons repris la Guignolée en main. Nous avons mobilisé des utilisateurs pour passer la Guignolée qui finance le comptoir alimentaire. Cet après-midi, j’ai exigé que les gens qui avaient passé la Guignolée avec nous, qu’ils viennent se présenter devant tout le monde. Je trouve que c’est une expérience citoyenne extraordinaire, mais je ne peux pas terminer sans dire que cela dérange dans le milieu qui était traditionnellement très confessionnel. C’est la Saint-Vincent-de-Paul qui a fermé ce comptoir il y a deux ans. Cela dérange aussi que nous ne respections pas les limites territoriales des paroisses. Ils continuent à faire du dépannage alimentaire dans le quartier où nous sommes. Ils ont fait des paniers de Noël et cela a fait du chichi parce que nous n’en donnons pas car nous préférons apporter notre aide alimentaire tout au long de l’année. Ceci fait que nous sommes obligés de nous justifier pour mobiliser du monde pour s’entraider.

Mais qui est-ce que cela dérange ?

La Société Saint-Vincent-de-Paul locale car selon eux, en-dehors d’eux, cela ne pouvait pas exister. Nous avons confondu les septiques en commençant par eux. La ville nous prête gratuitement le local, ils ne croyaient pas cela possible. Cela a pris trois mois pour nous trouver un organisme qui acceptait de nous parrainer. Même les citoyens n’y croyaient pas. Mais ils n’ont pas eu le choix de constater que cela fonctionnait. Cela confond les gens, puis le fait que nous soyons des utilisateurs, c’est inconcevable pour eux. Comme nous recevons de la nourriture comme les autres, ils supposent que nous prenons plus que notre part. Ils nous voient comme des escrocs, etc., parce qu’on brise la façon de faire. En plus, nous sommes non confessionnels et nous aidons un tiers de famille musulmanes parmi nos utilisateurs. L’autre jour, j’avais besoin d’un interprète pour la langue farsi, de l’Iran. C’est une expérience multiculturelle extrêmement riche. J’ai fini par trouvé quelqu’un dans la salle qui pouvait servir d’interprète. C’est pour cela que je dis que c’est une expérience citoyenne extraordinaire. J’arrive à des brides de résultats et les gens sont estomaqués. Moisson Québec a constaté que cela fonctionne et ils ont décidé de nous aider. Ils nous ont même pris comme modèle à imiter dans d’autres arrondissements de la Ville de Québec. Il y a un quartier où il n’y avait pas de comptoir alimentaire. Il y avait un groupe de loisir dans le coin, ils leur ont demandé de prendre cela en main. Ils reçoivent une vingtaine de personnes. Nous, à Ste-Foy, en recevons entre 75 et 80, 90.

Premièrement, il faut que je vienne au CAPMO pour qu’on me fasse chanter les Anges dans nos campagnes. J’haïs les chants de Noël. Il y a comme une fleur d’humanité dans cet exercice collectif. Deuxièmement, je participe actuellement à deux événements alternatifs. Un de mes amis vient d’accompagner sa mère jusqu’au seuil de la prochaine vie. Nous étions en contact par téléphone pendant son agonie. D’une certaine manière, j’ai contribué à ce que cet événement soit un peu rassembleur pour cette famille. Il y a une fleur d’humanité qui est apparue dans cet espace dont j’ai été témoin et auquel j’ai participé. L’autre événement, c’est ma blonde qui a réuni des collègues de travail autour d’une jeune femme de trente ans qui vient d’être opérée pour le cancer, afin de lui apporter un peu de réconfort. Là aussi, j’ai perçu une fleur d’humanité dans le rassemblement de ces personnes autour de celle qui était souffrante. Il y a des fleurs d’humanité qui poussent collectivement je dirais, par l’initiative de certains, à l’occasion d’événements malheureux.

Nous avons eu pendant plusieurs année un comptoir alimentaire à Saint-Sauveur et il y avait une dame très âgée qui venait chercher ses choses. Elle avait de la difficulté à ramener cela chez elle alors je lui donnais un coup de main et elle me servait du vin de pissenlit qu’elle faisait elle-même. Comme elle ne sortait pas du quartier, je lui ai demandé où elle prenait ses pissenlits ? Au début de l’été, quand les pissenlits commencent à pousser dans les cracks d’asphalte ou le long des murs dans le fond des cours. Vous voyez comme c’était un vrai terrain aride qui lui fournissait l’ingrédient pour fabriquer son vin de pissenlit.

D’abord, j’aimerais témoigner que le Minuit chrétien a été une épreuve difficile pur mes oreilles. D’autant plus que la théologie que j’y reconnais date du temps de nos grand-pères. C’est celle d’un Dieu cruel et sévère, mais cela se comprend si nous tenons compte du contexte de l’époque. Dans ce temps là, la vie était sans merci : il n’y avait ni contraceptifs, ni antibiotiques, quand c’était la conscription, les jeunes hommes n’avaient pas le choix d’y aller, il n’y avait pas de CSST non plus et en cas d’accident de travail, c’était la misère assurée. Il n’y avait pas d’aide sociale, c’était la Saint-Vincent-de-Paul, il n’y avait pas d’assurance-chômage, il n’y avait pas d’allocation familiale ou d’assurance-maladie. Il n’y avait pas de régime de pension de vieillesse et lorsqu’il y en a eu un, l’espérance de vie était de 65 ans. C’est peut-être à cause de cela qu’ils avaient une image d’un Dieu dur et sévère, parce que la vie était dure. L’individu n’y comptait pas vraiment. Je pense que d’une certaine façon les gens donnaient leur vie pour l’ensemble du groupe, la famille, la société ou la nation et cela n’était pas seulement comme cela au Québec. Sans doute parce que devant la fatalité de l’existence humaine, l’individu apparaissait trop faible pour en sortir gagnant, c’était les groupes qui duraient, qui traversaient le temps. Tout le monde ensemble, un certain nombre avaient des enfants pour permettre à la société de se perpétuer, mais l’individu seul s’apparentait davantage à un souffle qui durait bien peu de temps. Malgré tout cela, ils étaient peut-être plus heureux que nous parce qu’ils n’avaient pas besoin de devenir des vedettes pour sentir qu’ils avaient réussi leur vie. En ce temps là, les gens n’aspiraient pas à la célébrité, ils étaient d’un quartier ou d’un village où tout le monde se connaissait et dans ce microcosme, tout le monde était quelqu’un, tout le monde était connu et avait une appartenance à quelque part. Ce que je pourrais dire de mon propre récit biographique c’est que lorsqu’on se retrouve exposé aux intempéries, on se retourne naturellement vers l’essentiel, si on est croyant, on va crier vers le ciel puis on va peut-être avoir des réponses ou bien on va interpréter la vie comme une réponse. Comme je n’ai jamais été millionnaire, je ne peux pas savoir ce qu’ils ressentent au-dedans d’eux. Mais de ce côté-ci de la vie, j’ai toujours été convaincu qu’il était plus facile d’avoir un enracinement spirituel en ayant une vie dépourvue de superflu. Parfois, il y a une richesse qui se vit dans la pauvreté au sens que vivre cette ouverture et cette disponibilité intérieure peut nous ouvrir à autre chose, à une transcendance à laquelle nous avons moins accès lorsque nous sommes satisfaits ou imbus de nous-mêmes. Pourquoi est-ce que je parlais du collectif au commencement, c’est que je me demande souvent comment allons nous faire pour ramener un sentiment de collectivité alors que nous vivons de plus en plus séparés les uns des autres, fragmentés à l’intérieur de nous-mêmes. Selon moi, la spiritualité devrait être un retour vers cette unité perdue.

Moi, je vis un rapport difficile avec la période des fêtes. J’ai choisi de rompre avec ma famille puisque je considérais que nous avions des rapports conflictuels. À travers ce que j’ai entendu ce soir, je considère que plusieurs ressentent de la colère à l’époque de Noël. En fait, Noël est devenue symptomatique d’une société vouée à l’argent où les gens sont jugés selon la place qu’ils occupent dans la hiérarchie sociale. Les cadeaux devenant l’indicateur de la réussite, la charité, le moyen de se donner bonne conscience envers les moins chanceux. Cela me fait du bien de voir qu’il y a des gens qui ressentent cette même colère envers ce qu’est devenu Noël et qui osent le dire haut et fort. Je m’interroge sur le fait que les gens se souviennent encore du véritable sens de Noël ? Cela me donne espoir qu’il y ait des endroits pour en discuter et probablement que l’an prochain, je vais être ici avec vous pour discuter du sens de Noël.

Qu’est-ce que représente Noël pour moi ? Je viens d’une famille aisée. Je ne m’en cache pas. Moi, c’est mon handicap physique qui est le plus apparent et qui est la majeure dans ma vie. Lorsque les gens me regardent, ce qu’ils voient c’est mon handicap. Pour vivre ses rêves, il faut garder espoir, pas juste être en colère. Il faut faire en sorte d’avoir une vie qui a du sens. Moi aussi, j’ai accompagné quelqu’un en fin de vie, mon oncle qui m’a dit : « Éric, sois heureux dans la vie. Cela ne dure pas longtemps. » Ce message m’a profondément marqué. Après cela, j’ai eu une crise d’identité à propos de ce que souhaitais faire de ma vie. C’est suite à cela que je suis arrivé au CAPMO avec le désir de m’y impliquer. Ce n’est pas toujours facile de demeurer positif, mais quand j’ai entendu le témoignage de Robert, il y a des particularités du début de son témoignage qui m’ont ébranlé parce que j’ai vécu des difficultés d’adaptation scolaire, des difficultés pour apprendre à marcher. La première fois que j’ai réussi à marcher, c’était le 24 décembre 1973, devant mes grands-parents.

Quand j’avais 6 ou 7 ans, pour me faire plaisir, mon père m’avait fabriqué des skis. Mes parents n’étaient vraiment pas riches et nous habitions dans un petit village en Abitibi. J’avais plus ou moins apprécié son cadeau parce que ce n’était pas comme des skis fabriqués en usine. Cela n’arrivait pas souvent que nous avions droit à des choses neuves quand j’étais petit. J’aurais sans doute préféré avoir quelque chose d’acheter au magasin, mais aujourd’hui j’apprécie tout le mal que s’était donné mon père pour nous faire vivre un beau Noël. Ensuite, nous avons déménagé à Québec et quand j’ai eu un revenu, je me suis acheté des skis pour pouvoir en faire. Mes parents ont toujours travaillé fort pour élever leur famille de huit enfants. J’ai eu de bons parents et cela me permet de l’apprécier.

Moi, Noël, cela me fait ch… peut-être parce que j’ai gardé du ressentiment envers les noëls de mon enfance qui étaient absolument merveilleux au sein d’une très grande famille. Aujourd’hui, cette famille n’existe plus. Alors ce n’est plus la même chose. Cependant, je commence à me réconcilier avec Noël puisque c’est une fête qui donne l’occasion de fêter et de célébrer. On ne sait pas trop ce qu’on célèbre, probablement le fait de se rencontrer ne serait-ce qu’une fois par année. Ensuite, il y a un sens spirituel et politique à cette fête. Il est arrivé quelque chose, auquel je ne crois pas, mais le fait est que beaucoup de gens croient qu’il est arrivé quelque chose d’assez extraordinaire où un Dieu s’est incarné en être humain. Ce qui est tout de même quelque chose d’extrêmement bizarre. Personnellement, je n’y crois pas. Mais il reste néanmoins qu’il y a un message derrière cela. (Pour moi, Dieu n’existe pas, Il est éternel.) Tout cela me fait penser au Petit Catéchiste que j’ai appris par cœur dans mon enfance parce qu’on avait pas le choix. C’était notre Coran. Ces trois philosophes : Aristote, Averroès et Tomas d’Aquin, – un païen, un musulman et un chrétien – nous ont convaincu de la différence entre l’existence et l’essence. Or, dire que Dieu existe, c’est une insulte à Dieu parce que cela signifie qu’Il a un commencement, une vie et une fin, alors qu’Il est quelque chose d’absolument indéfinissable et d’incompréhensible. Mais je crois qu’Il est parce qu’Il s’incarne à nous de différentes façons. Parfois on lui résiste, moi je lui résiste beaucoup. Jésus serait le modèle de cette incarnation du divin dans l’humanité. Cela me réconcilie également avec la science. J’en discutais avec des scientifiques qui en arrivent au principe d’auto-complexité. Si nous sommes ici, c’est qu’il existe quelque chose dans la matière qui cherche la meilleure façon d’exister et de se développer. C’est ça pour moi le principe de Dieu. Cela s’incarne dans chacun de nous lorsque nous recherchons les meilleures solutions en nous efforçant d’être de meilleures personnes. Au cours de la vie, j’ai fait l’expérience d’avoir à crier vers Dieu pour me sortir d’une situation insoluble. Et le fait que je n’y croyais pas n’y changeait rien. Le simple fait de faire l’effort de demander de l’aide produit un effet. Reconnaître son impuissance et réclamer de l’aide produit toujours son effet.

Des fleurs d’humanité sur un terrain de pauvreté, cela me fait penser à une étape de ma vie où j’ai été opérée au cerveau. J’ai passé proche de la mort puis … Je n’en étais pas conscience à ce moment, mais cela signifiait que je perdais mon travail, mon appartement, la garde de mon fils et mon autonomie. Je suis devenue complètement dépendante et au début je n’arrivais même plus à parler. Je n’oublierai jamais mon frère qui venait à l’hôpital pour me masser les pieds. J’avais un ami qui était venu et je n’oublierai jamais qu’il avait tenu ma main et j’ai senti la chaleur dans mon corps et c’était tellement réconfortant. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut acheter au magasin. Je sentais une attention, une présence. Parfois cela me manque, c’était quasiment les plus beaux moments de ma vie. Je trouve ça fou des fois que c’est quand l’on perd quelqu’un ou qu’on pourrait le perdre qu’on mesure toute l’importance de cette personne dans notre vie. La naissance produit aussi cette forte impression. Mon petit fils vient de naitre et lorsqu’il s’endort dans mes bras, c’est magique. Je trouve ça fou la course à la consommation et la publicité lors des fêtes de Noël. Quand mon petit fils s’endort dans mes bras, rien ne compte plus. Il y a un moment de paix. La simplicité, la sobriété, c’est cela que je retrouve ici. Plus je prends le temps d’observer les petites choses qui se produisent autour de moi, plus je goûte à la vraie vie. Une phrase qui m’a beaucoup marquée d’un livre que je viens de lire d’une victime juive des camps d’extermination nazis: « Mon faire consistera à être. » Peu importe le niveau de pauvreté, de relations ou de quoi que ce soit, l’important c’est d’être. C’est avec qui je suis que j’apprends à connaître avec des personnes qui osent être. Joyeux Noël.

Je ne sais pas si vous avez eu la chance de vivre de l’itinérance. Au cours de ma vie, j’ai vécu l’itinérance. Je dormais au parc Victoria sous le pont près de la rivière. Je vivais dans une maison de fous où il y avait trop de drogues et d’alcool alors je n’étais plus capable de supporter ça et j’ai décidé d’aller vivre dehors pendant un certain temps. J’aimais mieux dormir à la belle étoile dans un sac de couchage que d’être dans une maison de fous. Par la suite, je suis allé demandé refuge à l’Auberivière. Ils m’ont accueilli, je suis resté avec eux. Personnellement, dans la vie, ce sont des gens pauvres qui m’ont offert leur cœur. Au Mexique, nous avons une expression qui dit: « Là où il y en a pour un, il y en a pour deux, s’il y en a pour deux, il en a pour trois et ainsi de suite. » Chez-nous on appelle pas pour dire à nos amis qu’on va aller à la fête puisque nous sommes amis. Il y en a pour tout le monde et chacun apporte selon ses capacités. C’est la fraternité et le partage. On parle au niveau de l’énergie et pas seulement de la matière. Ma mère est décédée dans mes bras et j’ai senti cette énergie qui la quittait. J’ai constaté la deuxième loi de Newton, quand je vous dis que j’ai senti que son énergie était partie et qu’il n’y avait plus qu’une dépouille, son corps est devenu très lourd. Ma sœur est entrée dans la chambre et elle ne voulait pas me croire. Elle a demandé qu’un médecin vienne voir ma mère. Son décès a été constaté à l’hôpital. En venant ici au Canada, vivre dans une autre culture et dans un autre monde, j’ai fait bien des choses intéressantes. Je vais vous donner un exemple. Disons un Québécois bien nanti qui arrive au Mexique où 50% de la population vit dans la pauvreté totale, il voit la joie de vivre des gens et il se dit qu’avec tout son argent il n’a pas ça. Ils n’ont rien, mais ils ont cette joie que je n’éprouve pas. On voit des enfants qui s’amusent avec des pierres et qui ont la joie de vivre parce qu’ils ont la fraternité. Dans le système où nous vivons, les principes sont l’individualisme et l’ignorance. Chacun se gratte avec ses propres ongles. Notre société est très égoïste et égocentrique. C’est incroyable de constater comment les gens ici sont attachés à l’argent. Certains sont si séraphins qu’ils sont incapables de te donner un dollar. L’autre jour au supermarché, il me manquait trois dollars pour payer à la caisse et quelqu’un me les a donnés en me disant de payer au suivant. Dans ma vie, j’ai beaucoup reçu et je me dis que je veux remettre un peu de ce que j’ai reçu. Lorsque l’occasion se présente, profitez de l’occasion que vous avez de remettre à la vie un peu de ce que vous avez reçu. C’est merveilleux lorsqu’on donne sans rien attendre en retour parce que plus tu donnes, plus tu reçois et plus tu gardes pour toi et plus tu perds. Ce sont ces petites choses quotidiennes qui donnent la vie et font la merveille de l’être humain. Chaque personne a dans son cœur un côté chaleureux et protecteur des autres. Même le cœur le plus dur a un côté humain. J’aime recevoir l’aide des gens riches, mais j’apprécie surtout l’appui des gens pauvres. La merveille, c’est de partager sans rien attendre en retour. Merci à la vie qui m’a donné autant sans rien me demander en retour. Merci aussi de m’écouter et de partager ce moment avec moi.

Propos recueillis par Yves Carrier

Joyeux Noël tout le monde.

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