#262- Immigrants ou réfugiés à Québec, témoignages d’expériences vécues

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ImmigrantEs ou réfugiéEs à Québec, témoignages et expériences vécues

La générosité de l’accueil, la reconnaissance et le regard nouveau qu’ils portent sur le Québec invite à dépasser nos peurs ataviques pour devenir ce que nous sommes, un peuple métissé enraciné dans une histoire têtue et des valeurs qui élèvent l’âme au-delà de nous-mêmes. J’ai le sentiment profond que la table rase de la Révolution tranquille voulant en finir avec toutes formes de spiritualité nous empêche d’apercevoir une synthèse nouvelle pour redécouvrir qui nous sommes. Non, nous ne sommes pas des brutes épaisses et sans culture mais qu’avons-nous fait du vieux rêve de Champlain ? Ceux et celles qui nous ont accueillis et nous ont fait une place ont été grandement bouleversés dans leurs us et coutumes par notre arrivée soudaine, puis nous avons été dérangés à notre tour par l’envahisseur britannique qui a découvert en nous un peuple d’irréductibles qui, malgré la défaite, ne s’avouaient jamais vaincu. Entre traditions et projets, il faut faire un tri, c’est pourquoi nous ne devons jamais craindre d’aller puiser à nos racines profondes, là où le cœur et l’âme communient à la source de la vie.

Notre culture ne réside pas dans une poutine, ni dans des concepts importés d’Europe ou de l’Empire, elle n’est pas universitaire ou élitiste, elle est la vibration qui nous lie au cosmos dans une manière unique d’être, francs comme du bois, solidaires et libres, bêtes féroces de nos rêves et gardiens du sanctuaire de nos pères. Comme l’exprimait Miron, ayant choisi de mauvais maîtres, l’argent et sa logique prédatrice, nous nous sommes aliénés de nous-mêmes. C’est pourquoi nous vivons dans la peur de l’autre, craignant de disparaître avant d’avoir vécu, avorton de l’histoire qui refuse de naître à lui-même, écoute ton cœur. Tel un panier de crabes, nous avons perdu le principe de notre unité qui ne peut se fonder sur le repli sur soi et le refus de l’autre. L’altérité est notre condition première, sans elle nous disparaitrons.

La première souveraineté débute au plus profond de soi, non pas dans une mascarade illusoire des jumeaux épris d’eux-mêmes, mais dans l’authenticité de l’être fidèle à lui-même comme unique préalable à la construction d’un nous solidaire résultant d’un art de vivre ensemble. Pour connaitre l’autre, il faut sortir de soi, de son apathie singulière, et prendre le risque de la rencontre qui pourrait transformer mon regard et mes habitudes. Comme le dit Saint-Exupéry : « Apprivoiser l’autre, c’est en devenir responsable ». C’est sans doute pourquoi dans cette société qui a si peur de s’engager, nous préférons demeurer seuls, enfermés dans nos fausses certitudes qui nous permettent de croire que nous sommes supérieurs aux autres et que nous n’avons besoin de personne. Désolé pour cette psychanalyse banale de l’inconscient collectif des Québécois, mais c’est que j’en ai marre de vivre dans la peur de l’Autre qui risque de nous transformer de l’intérieur. Une solide solidarité demande l’effort de l’engagement et du don de soi. Il n’y a rien de gratuit en ce monde, à part peut-être l’amour que l’on reçoit et celui que l’on donne.

Yves Carrier

 

 

Table des matières :

Un réfugié congolais
 Une Marocaine impliquée
 Une Argentine au secours
 Aprè la pause

 


 

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Un réfugié congolais

Je viens de la République Démocratique du Congo et aujourd’hui je me trouve au Canada. Je n’avais jamais pensé qu’un jour je me retrouverais avec vous autres ici au Québec, mais c’est la guerre qui a fait que je suis ici. Depuis 1996, il y a une guerre au Congo qui a fait 6 millions de morts jusqu’ici. Avant de venir ici, j’étais dans un camp de réfugiés en Tanzanie où j’ai passé quelques années. Je ne peux pas vous raconter ce soir comment nous vivions dans ce camp, mais je pourrais facilement écrire un livre de 200 pages. Lorsque j’ai déposé ma demande auprès du HCR, Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, pour chercher un pays de refuge, le Canada m’a accepté. Nous étions environ 5000 familles qui avaient déposé une demande, seulement 35 ont été choisies.

Arrivé au Québec, nous avons été affectés à Chicoutimi. Nous sommes arrivés au mois d’août, mais nous ressentions déjà le froid et nous nous habillons en manteau d’hiver. Lorsque nous nous promenions à l’extérieur, les gens nous regardaient bizarrement et nous ne savions pas pourquoi? C’est parce que nous étions habillés en hiver alors que nous étions en été. Arrivé à Chicoutimi, la première des choses que j’avais demandées à l’organisme d’intégration qui nous avait reçus, c’était de joindre une Église évangéliste ou baptiste parce que chez-nous nous étions pratiquants. Lorsque j’ai trouvé l’Église, j’ai commencé à la fréquenter et j’y ai trouvé beaucoup de gens qui m’ont aidé à m’intégrer. Les gens de l’Église se sentaient comme obligés par leur foi de nous venir en aide. Parfois ils nous donnaient de la nourriture ou des vêtements, ils nous conseillaient sur la meilleure façon de nous intégrer. Avec eux nous pratiquions des activités hivernales ou sportives et ils nous fournissaient des transports pour aller faire l’épicerie. Ils nous aidaient à planifier les journées d’épicerie en regardant les spéciaux dans les circulaires. Donc nous avons eu la chance d’avoir de l’aide pour nous intégrer rapidement à la société d’accueil.

Ensuite, ma femme a rencontré une Québécoise au centre d’achats et cette personne nous a beaucoup appuyé. Cette dame originaire de Chicoutimi venait nous voir à chaque deux semaines et elle nous apportait des plats cuisinés tout en prenant le temps de parler avec nous. Elle nous offrait des conseils sur la meilleure façon de nous intégrer au Québec. Par exemple, elle nous disait comment s’habiller, comment faire pour se rapprocher des gens. Selon elle, le fait de se rapprocher des gens était un outil efficace pour s’intégrer facilement et aller chercher de l’aide. Évidemment, si on ne se rapproche pas des gens, on ne nous connait pas. On ne connait pas tes valeurs, tes forces, tes faiblesses. Étant donné que nous étions déjà installés comme une nouvelle famille québécoise, nous devions aller vers les gens, leur parler pour qu’ils nous comprennent, nous connaissent, et qu’ils sachent notre vécu pour bien nous intégrer à la société québécoise. Parmi les conseils que cette dame nous avait faits, il y avait celui d’aller à l’école parce que je n’avais qu’un niveau d’études secondaires. Elle m’a demandé d’aller à l’université pour aller chercher un diplôme pour être plus compétitif sur le marché du travail. Elle nous conseillait de travailler beaucoup plus que les Québécois si nous voulions réussir parce que le fait de travailler plus fort que mon concurrent me donnerait de meilleures chances d’obtenir un emploi.

C’est ce conseil que j’ai beaucoup retenu. À la fin de mes études à Chicoutimi, c’est ce qui m’a permis de venir m’installer à Québec avec ma famille parce que les opportunités d’emploi y étaient meilleures dans mon domaine. J’ai décroché un emploi chez Industrielle Alliance et, par esprit de compétition, je travaillais toujours deux fois plus fort que mes collègues. Présentement, je travaille à Revenu Québec et j’ai rapidement obtenu ma permanence parce que je travaille si fort que mes supérieurs l’ont remarqué. C’est ma façon de retenir le conseil que la dame m’avait donné sur mon travail, mon efficacité et mon efficience.

Si je reviens un peu en arrière, lorsque j’étudiais, j’avais déjà trois jeunes enfants, et je suis arrivé avec le rêve de m’intégrer efficacement, un rêve de m’intégrer en ayant un bagage intellectuel universitaire. J’étudiais très fort, j’amenais mes enfants à la garderie et à 8h00 chaque matin j’étais à l’université. Je rentrais à 18h00 en passant chercher les enfants pour les ramener à la maison. Après je retournais à l’école jusqu’à 22h00 pour étudier. Je rentrais ensuite à la maison et après avoir couché les enfants, je pouvais étudier jusqu’à minuit. J’ai gardé ce rythme pendant 5 ans en me couchant passé minuit et en me réveillant à 6h00 du matin parce que j’allais chercher un outil qui m’aiderait à bien m’intégrer à la société québécoise.

Alors, qu’est-ce que je n’aime pas de la société québécoise ?
Ce que je n’aime pas, ce sont deux éléments. Le premier c’est que dans la société d’accueil, je ne peux pas dire que les gens soient hostiles à la politique d’immigration, mais je sens que les gens sont un peu réticents. Ce n’est pas une faute ou une erreur, je ne peux pas dire qu’ils sont dans l’erreur.

Le second élément que je veux vous dire, c’est que je trouve que le gouvernement ne fait pas assez d’efforts. Oui, le gouvernement investit dans les organismes d’accueil qui aident les immigrants à s’intégrer. Faire assez c’est quoi ? Selon moi, c’est lorsque le gouvernement a implanté le système d’immigration, je pense qu’il avait aussi le devoir d’implanter dans les programmes d’éducation primaire et secondaire, des notions concernant l’immigration. Donc, dans le cours d’éthique et de citoyenneté, on devrait mettre au programme la notion d’immigration. Pourquoi cela ? Expliquer le processus d’immigration, quels sont les immigrants dont nous avons besoin ici ? Il y a des réfugiés politiques, des immigrants économiques, des immigrants investisseurs, etc. Expliquer le processus à l’école parce que les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain. S’ils apprennent ça de la bouche de leurs maîtres, parce que les enfants considèrent que les enseignants sont les dépositaires de la connaissance, des personnes qui sont investies de la morale, de la vertu, alors lorsqu’un enfant apprend à l’école une certaine valeur de la bouche de son professeur, il risque de la garder toute sa vie. Vingt ans plus tard, il sera un adulte défenseur de la politique d’immigration. Donc, si cela avait été fait auparavant, nous aurions des adultes qui auraient appris quelque chose sur l’immigration à l’école. Cela ferait un Québec plus inclusif qu’il l’est aujourd’hui. Alors, si le gouvernement met beaucoup plus d’énergie sur les programmes d’éducation, d’ici 20 ans il y aura beaucoup de changements. Il y aura des gens qui vont travailler main dans la main, côte à côte, pour un Québec très inclusif, un Québec modernisé et orienté vers un avenir pour tous.

Qu’est-ce que j’aime du Québec ?
Tout d’abord la démocratie que nous avons ici. C’est parmi les grandes démocraties du monde. C’est une démocratie qui donne la chance à tout le monde et qui permet la liberté d’expression. Dans d’autres pays, cela n’existe pas. Alors c’est quelque chose qu’il nous faut apprécier. Oui, les Québécois ont travaillé fort pour cela. Il faut apprécier le travail que les Québécois d’avant nous ont fait pour le Québec d’aujourd’hui, pour que le Québec devienne un Québec de la liberté d’expression, un Québec qui ne rejette personne, un Québec qui est pour tous. Ça j’aime ça.

Quelque chose d’autres que j’aime du Québec, la redistribution de la richesse. Cela n’existe pas partout. Le système que le Québec a permet que tout le monde ait au moins quelque chose à se mettre sous la dent. Ça, il faut l’apprécier. Il y a d’autres coins du monde où ce système n’existe pas. Moi je viens de la République Démocratique du Congo et je suis né à l’époque de Mobutu. De ma naissance jusqu’à ce que je quitte mon pays, je n’ai pas connu un Congo démocratique. Je n’ai pas vu un Congo qui redistribue la richesse à la population pauvre. Donc, je n’ai jamais connu un Congo qui est comme le Québec d’aujourd’hui. Il faut être fier du système que les Québécois ont construit pour que le Québec soit au service de tout le monde.

Quelque chose d’autre que j’apprécie aussi, c’est l’accès à l’éducation. Même si à l’université on doit payer pour y aller, il y a un programme qui permet aux enfants de familles moins bien nanties d’y accéder. L’accès à l’éducation primaire et secondaire est gratuit. C’est une bonne chose parce que cela permet à une société d’évoluer et de s’épanouir intellectuellement. L’accès aux soins médicaux, dans d’autres pays on peut mourir comme ça dans la rue parce qu’on manque de soins. Ici, ça ne se peut pas. Ici, nous avons un accès gratuit aux soins médicaux, même si l’on doit payer pour certains services. Mais l’accès aux soins médicaux permet aux gens d’être en santé, de demeurer en santé, mais aussi de penser à l’avenir du Québec parce qu’on ne peut pas penser, on ne peut pas réfléchir sur l’avenir du Québec si on est malade sur son lit en train de souffrir. Ça ne se peut pas. L’accès aussi à l’information permet à celui qui veut s’épanouir et se développer intellectuellement d’avoir une information et d’aller plus loin avec ça. Ce sont des éléments qui me font apprécier le Québec.


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Une Marocaine impliquée dans sa communauté

 Bonjour, je m’appelle Aïcha Lakhdar, je viens du Maroc. Je suis arrivée le 25 décembre 2000, en plein hiver. J’ai quitté le Maroc avec 24 degrés Celsius et ici il faisait moins 25 degrés. Cela m’a fait une forte impression. Je me souviens que Québec était tout en lumière, belle, et il y avait beaucoup de neige. Je ne connaissais pas la neige. Je suis venue rejoindre mon mari qui était ici depuis un an et demi. Dans mon pays, j’étais assistante sociale, inspectrice de police et directrice d’un foyer familial et d’une garderie. Je m’occupais alors d’une centaine de familles, 500 enfants, 110 femmes et 98 hommes. C’était un monde pour moi dont j’avais la charge du matin au soir, du lundi au vendredi. Quand je suis arrivé ici, mon mari commençait tout juste à travailler et moi j’ai décidé d’aller étudier parce que mes diplômes ne valent rien ici. J’ai commencé à m’orienter vers les sciences sociales parce que c’est mon domaine, ma vocation. Puis je suis tombée enceinte à deux reprises et je n’ai pas complété mes études. J’ai donné au Québec deux enfants. Nous avons habité à Ste-Foy parce que nous avions de l’argent à ce moment-là, puis nous sommes descendus à Maizeret, et finalement on s’est retrouvé dans un HLM, mais c’étais vraiment difficile pour nous parce que c’était le 11 septembre 2001. À l’époque je ne portais pas mon foulard, je portais des jupes courtes comme dans mon pays. J’étais assistante sociale et nous portions un uniforme. Nous avons quitté le HLM à cause d’un événement qui a fait que je ne voulais plus rester là-bas. Comme nous n’avions pas de voiture, nous avons décidé de nous approcher du travail de mon mari.

Lorsque nous habitions Limoilou, il y avait beaucoup de femmes d’Afghanistan qui ne parlaient pas français. Mon mari travaillait de 15h30 à 1h00 du matin et j’ai commencé à les recevoir chez-moi. Comme j’étais seule à la maison, j’ai décidé de les inviter à la maison pour leur apprendre le français. Nous cuisinions ensemble une fois par semaine pour le seul plaisir d’être ensemble. Il y avait des femmes du Congo, du Mexique, de la Colombie, on s’installait chez-moi parce que mon mari n’était pas là. Nous avons commencé à faire la cuisine, à apprendre le français, à faire des achats ensemble. On dirait que dans ma tête je suis encore assistante sociale. J’ai commencé à faire du bénévolat sans savoir ce que ce mot voulait dire. Dans mon pays, cette notion de donner du temps à chaque semaine pour une cause, ce n’est pas encore un concept très répandu. Quand nous sommes déménagés à Beauport, c’était un autre monde parce que je ne retrouvais pas des immigrants. Mais sur le Chemin Royal, il y a de l’immigration cachée, c’est-à-dire qu’il y a des immigrants qui ne sortent pas. Un jour, je me promenais avec mon bébé et j’ai vu qu’il y avait des femmes dans un jardin. Je me suis dit, je dois l’avertir qu’ici il y a des différences dans la façon d’éduquer nos enfants. Ici, les gens surveillent ce que nous faisons à nos enfants. C’est mon enfant, mais c’est aussi l’enfant de la communauté et du gouvernement, c’est l’avenir du pays. Cette mentalité est inconnue des nouveaux arrivants qui conservent certaines habitudes de leur pays. Il faudrait offrir une formation de base pour les nouveaux arrivés pour les informer de cela. Si on ignore cela, c’est un inconvénient pour pouvoir bien s’intégrer avec les familles québécoises. J’ai commencé à communiquer avec cette dame et sa fille traduisait.

Puis j’ai découvert un quartier où il y a beaucoup d’immigrants. Ce sont des appartements privés et il y a des immigrants qui ne sortent pas et vivent dans l’isolement. Personne ne s’occupe d’eux, ils ne parlent pas français et les mamans ne sortent pas. Comme je n’avais pas de travail, j’ai commencé à visiter ce secteur en me rendant au parc pour connaître des personnes. Je me suis dit que je devais chercher quelqu’un qui pouvait m’aider. À ce moment-là, j’ai commencé à m’informer au bureau d’arrondissement pour savoir qu’elles étaient les ressources pour l’accueil des immigrantEs dans ce secteur. Au départ, je ne cherchais pas à créer un service pour avoir un travail, je pensais à la situation que j’avais vécue à mon arrivée et je voulais offrir aux gens ce dont j’avais rêvé lorsque j’étais seule à la maison.

Mon mari était ingénieur chez-nous, il était chef de service, lorsqu’il est venu ici, il s’est orienté autrement et il est devenu soudeur-monteur. Ce n’est pas dans son domaine, mais il travaille. Moi, j’étais à la maison pour prendre soin de mes enfants, c’était très difficile et il n’y avait personne pour me prendre par la main et me montrer où je pouvais aller chercher du soutien, personne n’est jamais venu frapper à ma porte pour s’informer de comment est-ce que j’allais? Je me disais que dans mon pays je vivais mieux qu’ici. Et c’est vrai, dans mon pays je travaillais et j’avais un bon salaire. Chez-moi on dit que ceux qui partent vivre à l’étranger vont chercher un avenir meilleur pour leurs enfants. Notre rêve, c’est de vivre mieux que chez-nous. C’est vrai que le Canada et le Québec, c’est la crème du monde. Il y a tout ces privilèges qui ont fait que Dieu et les hommes ont fait de ce pays ce qu’il est.

Le bureau d’arrondissement m’a donc offert une salle de réunion deux fois par semaine au centre communautaire le Pivot. Le mardi et le vendredi, j’organise des cours de français. Ça a commencé comme ça avec un groupe de femmes et nous sommes devenues nombreuses. Il y a d’autres organismes où je vais inscrire des personnes. Mon privilège dans la vie, c’est que moi je suis venue habiter ici avec mon mari en tant que travailleurs qualifiés. C’est-à-dire que nous ne sommes pas des réfugiés et que nous avons été sélectionnés avant d’arriver ici. C’est-à-dire que vous devez avoir dans votre pays une bonne situation pour pouvoir venir ici. Mais dans les faits, quand je suis arrivée ici, je me suis retrouvée avec des réfugiées et je suis devenue comme ces personnes-là. Alors la problématique commence à s’éclaircir. Si l’immigration est quelque chose de réel dont on prend soin, le gouvernement oublie souvent d’y préparer la société d’accueil. C’est un choc également pour la société d’accueil qui doit être sensibilisée par des ateliers et des rencontres comme nous avons ce soir. Il y a des personnes réfugiés qui arrivent avec tout un bagage et une histoire à raconter pour que nous parvenions à les comprendre. Quand ils arrivent ici, ils trouvent un bon pays où ils sont bien logés et où les enfants vont à l’école, mais on oublie trop souvent le problème de la francisation. Il y a beaucoup de familles qui font instruire leurs enfants en français, mais qui nous quittent parce que les adultes ne parviennent pas à bien parler français. Dans notre groupe, nous avons perdu 15 familles, des personnes de la Birmanie, des Colombiens, deux familles mexicaines. Les enfants de ces familles parlaient très bien français et c’est le gouvernement qui a payé pour qu’ils apprennent la langue.

Ils n’ont pas trouvé de travail et les parents n’ont pas pu apprendre à parler français. Certaines familles sont ici depuis plusieurs années, mais la maman ne parle pas français et le père non plus. Les cours de francisation pour les adultes ne durent qu’un laps de temps qui est payé par le gouvernement. Après c’est couper. Qu’est-ce qu’ils vont faire ? Rester à la maison, puis c’est l’aide sociale parce qu’on ne peut pas travailler si on ne parle pas la langue. Ils quittent pour une autre province où ils devront apprendre l’anglais cette fois. C’est un déchirement pour les enfants. Alors je communique chaque jour avec des familles immigrantes, mais surtout des réfugiés. Ces personnes ont besoin d’un soutien, elles ont besoin d’un suivi, parce que lorsqu’elles arrivent ici, le gouvernement leur donne tout. Il y a des organismes qui s’occupent de l’installation, mais après il n’y a rien. L’après c’est quoi ? C’est l’avenir du pays, donc il faut des visites à domicile, de l’accompagnement, de la sensibilisation, des activités, des rencontres, pour arriver à avoir une vie harmonieuse qui reflète l’art de vivre ensemble.

Avec un groupe de femmes et Emilie, j’ai fondé un organisme qui s’appelle « Kif-kif, familles en action », où sont réunies plus de 200 familles. Lorsqu’on décide de faire une simple rencontre, on se retrouve avec 100 personnes, des Québécoises et des immigrantes. Nous sommes des familles qui s’entraident pour toute sorte de choses. Ce sont les enfants qui font la traduction pour les adultes qui ne parlent pas français et qui ont besoin de quelque chose. Si moi je ne parle pas bien espagnol, je vais emprunter le garçon d’une famille latino et je l’amène avec moi pour aider une autre personne qui doit passer une visite médicale. Mon garçon aussi parle bien arabe, la dernière fois il a aidé une famille qui attendait qu’on installe chez-elle une ligne téléphonique, en traduisant en français pour le technicien. C’est comme ça qu’on arrive à vivre d’une façon saine parce que nous sommes là. C’est une réalité et on ne peut pas revenir en arrière. Nous sommes ici pour avancer ensemble. Maintenant c’est la communauté qui fait la différence. Hier j’étais dans une réunion et un monsieur est venu me raconter que là où il vivait auparavant habite une femme immigrante qui est seule avec ses enfants et qu’elle n’a pas de meubles. Il m’a demandé d’aller la voir pour lui offrir de l’aide et je vais aller frapper à sa porte pour prendre de ses nouvelles. J’agis comme j’aurais aimé qu’on agisse avec moi lorsque je suis arrivée. C’est la communauté qui me réfère des gens et c’est comme cela que l’on peut offrir du soutien aux nouveaux arrivants pour les sortir de leur isolement.

Quand la personne immigrante arrive ici, elle a une identité. Moi j’avais une identité lorsque je suis arrivée ici. J’ai cherché à affirmer mon identité dans ma façon de m’habiller en commençant à porter le foulard. C’est comme cela que je me sens à l’aise et la plus authentique envers moi-même. Quand on arrive ici, on est à la recherche de notre identité parce qu’il nous manque quelque chose de ce que nous avons quitté. Et c’est dans la culture de nos origines que nous y parvenons parce que les personnes immigrantes arrivent ici avec une culture. C’est avec cette culture là qu’elle vit et elle ne peut pas se priver de sa culture parce qu’alors elle est privée d’une part d’elle-même et elle devient comme une personne handicapée. Elle ne va plus pouvoir donner son plein potentiel parce que la culture est une partie de l’identité. Donc, on se réunit ensemble en respectant la culture de l’autre, en allant chercher nos points communs et en apprenant à vivre avec nos différences. Je peux vous inviter à nos activités parce que nous avons beaucoup d’activités. Nous sommes comme les doigts de la main qui sont faits pour travailler ensemble et qui ne doivent pas se nuire. Nous sommes tous ensemble pour un pays sain et pour nos enfants qui sont l’avenir de ce pays. Hier, mon garçon me disait : « Tu sais maman, le Québec est le seul pays où l’on parle français en Amérique du Nord, il faut défendre notre langue. » Alors mes enfants, ce sont des vrais Québécois. Je voudrais aussi rendre hommage à mon mari qui m’a soutenu humainement et financièrement dans mon implication jusqu’à maintenant.



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Une Argentine au secours des femmes

Je vais vous raconter brièvement mon parcours d’immigration parce que je suis franchement privilégiée. J’ai connu mon conjoint dans mon pays, je viens d’Argentine, nous avions une histoire passée commune parce que nous avons été des prisonniers politiques à l’époque de la dictature. Nous nous sommes revus après plusieurs années et à 50 ans chacun, nous avons décidé de tenter l’aventure. C’est pour ça que je suis venue ici. L’intégration a été difficile pour moi parce que je ne parlais pas français, mais je n’avais pas à m’en faire pour le logement et la nourriture; mon conjoint ayant un bon emploi et habitant ici depuis une vingtaine d’années, il était déjà intégré à la société d’accueil. C’est un grand privilège que la plupart des immigrants n’ont pas. J’avais des amis à lui, des bons chums qui nous entouraient. Ma profession c’est psychologue social et lorsque je suis arrivé à Québec, j’ai commencé à fréquenter les activités du Centre des femmes de la Basse-Ville. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour l’intégration des femmes et nous avons fait un atelier de théâtre où l’on jouait des scènes qui arrivent aux nouveaux arrivants. La première scène s’appelait : « Je me trompe », parce qu’on se trompe tout le temps. Lorsqu’on commence à rire de certaines choses, c’est qu’on commence à s’intégrer vraiment. Avec le temps, il y avait l’une des travailleuses du Centre des femmes qui est tombée malade et on m’a demandé si je voulais la remplacer. Jusqu’à maintenant je suis là. Je suis travailleuse de milieu dans deux HLM, cela veut dire que j’ai le privilège d’avoir un travail que j’aime. Dans mon pays, j’ai étudié longtemps, mais je n’ai jamais occupé un emploi dans mon domaine et je faisais du bénévolat parce qu’en Argentine on travaillait gratuitement. Être payé pour faire ce qu’on aime, je trouve que c’est un privilège.

Maintenant, j’aimerais vous raconter la vie des réfugiés avec qui je travaille, surtout des femmes birmanes qui habitent dans les HLM. Ces femmes-là ne vont pas venir témoigner ici parce qu’elles ne parlent pas français et qu’elles sont analphabètes dans leur propre langue. Il est presque impossible pour elles de s’intégrer en raison de cela. Elles ne sont pas capables de faire des achats parce qu’elles ne connaissent pas la valeur de l’argent, des choses très basiques qu’elles ne savent pas faire. On ne pense jamais à toutes les difficultés qu’une femme analphabète et qui ne parle pas la langue du pays peut avoir pour faire des choses minimum.

L’une des problématiques que nous avons, c’est que si les enfants s’intègrent très vite, les mères ne savent pas parler. Quand les enfants ont des problèmes à l’école, qui est-ce qui va parler avec les professeurs? Elles sont incapables, elles ne peuvent même répondre à un appel téléphonique ou demander un rendez-vous chez le médecin, des choses auxquelles on ne pensent même pas. On pense que l’intégration consiste à se trouver un travail, mais pour certains personnes c’est beaucoup plus profond que cela.

Les femmes birmanes ont quitté la Birmanie depuis quinze ans. Depuis leur enfance, elles ont vécu dans des camps de réfugiés au Bengladesh. Elles sont elles-mêmes des privilégiés parce que la plupart de leurs frères et sœurs sont restés derrière ou sont morts en Birmanie. Depuis plusieurs années, elles sont sans nouvelle de leurs proches parce qu’il y a un génocide envers le peuple Rohingya en Birmanie. La plupart des familles viennent du Bengladesh où elles étaient dans des camps de réfugiés. Quand ils sont arrivés ici, ils ignoraient tout de ce pays. En hiver, les enfants sortaient en sandale dans la rue parce qu’ils ne connaissaient rien d’ici. Ils ne sont pas habitués à vivre dans des appartements comme ici, et cela cause de graves problèmes d’intégration avec d’autres personnes. Moi, des personnes sont venues me dire de faire quelque chose avec ces enfants parce qu’ils les trouvaient malpropres. Ils mangent par terre et ils jettent leurs déchets partout. C’est parce qu’on ne leur a pas appris. C’est vrai les femmes mangent par terre, elles mangent avec leurs mains, elles ne sont pas habituées à avoir des ustensiles. Maintenant, quand on fait la cuisine, elles font très attention pour bien tenir leurs ustensiles.

Avec À-tout-lire, nous avons un groupe d’alphabétisation avec une dizaine de femmes d’un HLM qui viennent à chaque semaine pour apprendre quelques mots aussi simples que le nom des légumes. C’est vraiment de base, parce qu’elles ne sont pas capables d’écrire. Par exemple, une problématique très grave c’est que ces femmes-là ne vont jamais être capables de passer l’examen de citoyenneté canadienne. Ce n’est pas seulement la langue, mais il leur manque des connaissances de base comme savoir la différence entre l’est et l’ouest. Elles sont très intelligentes, mais elles ne connaissent pas ces choses. Elles n’ont aucune formation, elles ne sont jamais allées à l’école, elles ne sont pas instruites. Les Birmans ont été un peu scolarisés en anglais dans les camps de réfugiés, mais pas les femmes. Alors quand vous rencontrez parfois des femmes avec un voile très coloré ou noir aussi parce que lorsqu’elles sortent dans la rue elles s’habillent en noir, ce sont probablement des femmes birmanes dont leurs proches demeurés en Birmanie ont probablement été éliminés. C’est vraiment un drame qu’elles vivent.

J’aimerais aussi parler de ce que signifie pour moi l’intégration. L’une des choses que je n’aime pas c’est de me faire dire que maintenant je suis une Québécoise. Vous parlez français alors vous êtes Québécoise. Je dis: « Attendez, moi je suis Argentine. » Ici, je veux donner le meilleur de moi-même parce que je travaille ici et je reçois beaucoup. Moi je veux m’intégrer, je veux donner et recevoir, mais j’attends la même chose, parce qu’ensemble nous allons construire une société nouvelle qui ne sera plus exactement comme celle que nous avons présentement ni comme la mienne, c’est autre chose que nous allons créer ensemble.

Ce que j’aime le plus? C’est le Centre des femmes parce que c’est l’endroit le plus démocratique que j’ai rencontré. Je suis vraiment fière du travail que réalisent les organismes communautaires et du travail que nous faisons pour amener le pays plus loin.


 

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Après la pause

– La biodiversité culturelle est un facteur de vitalité comme pour les arbres, les plantes ou les oiseaux et c’est garant de l’avenir du Québec.

Assumani : Je voulais vous remercier pour l’invitation à venir partager mon parcours. J’ai aimé aussi votre façon de voir sur l’intégration. Cela m’a permis de rencontrer du monde de plusieurs origines, avec plusieurs parcours. J’aimerais devenir membre du CAPMO. Bonne soirée.
J’aimerais savoir s’il y a des situations d’intégration qui fonctionnent parce que j’ai l’impression que vous avez quitté une bonne situation dans votre pays pour vivre des difficultés ici. Considérant le fait qu’ils ne voient pas leurs diplômes reconnus, est-ce que cela arrive qu’ils trouvent une situation meilleure ici ?

Aïcha : Chaque personne qui vient au Canada c’est pour chercher une vie meilleure. Le gouvernement ne doit pas simplement assumer la sélection des immigrants, mais assurer aussi les suivis pour obtenir de bons résultats. J’ai parlé de mon mari, mais maintenant il a un bon travail. Il a fait une formation de soudeur monteur dans une école privée et il a remboursé ses prêts pendant dix ans. Maintenant mon mari lorsqu’il voit quelqu’un qui arrive et qui ne trouve pas d’emploi, il lui dit : « Fais une formation professionnelle. Va chercher une qualification. Informe-toi des besoins du marché du travail en lien avec ton secteur de formation. » Pour la personne immigrante, la chose qui donne l’estime de soi, qui donne la valeur à la personne c’est quand elle participe au développement du pays, c’est-à-dire : je travaille, je paie mes impôts, j’ai le droit de m’acheter une maison, une voiture, etc. C’est ça l’essentiel que chaque immigrant rêve de réaliser. Pour les personnes qui restent sans travail, ils vivent des difficultés à vivre la vie qu’ils voulaient lorsqu’ils sont arrivés ici. Il y a aussi des réfugiés qui arrivent avec des diplômes, mais ils vont chercher une autre formation pour s’adapter au marché du travail. Il y a aussi des médecins qui tiennent absolument à rester médecins, mais c’est un rêve. Ils doivent changer d’orientation ou reprendre leurs études du début. Même si mon mari n’a pas fait ce qu’il voulait, ce à quoi il rêvait, grâce à son intégration au marché du travail, il se sent bien parce qu’il peut subvenir aux besoins de sa famille. C’est ça, travailler c’est vivre avec dignité, même si c’est un travail bien humble. On me disait une fois : « Aïcha, est-ce que vous êtes riches ? » Oui j’ai dit, dans mes principes, mes valeurs, j’ai donné beaucoup. Le soutien que j’aurais aimé avoir lorsque je suis arrivé, c’est moi maintenant qui le donne à ceux et celles qui arrivent.

Je ne veux pas qu’ils perdent leur temps en raison du manque d’information et de conseils. Maintenant c’est différent, celui qui arrive on le protège et autour de lui on forme un cercle de personnes qui lui apporte du soutien, de l’accompagnement, de l’information, de l’aide, des visites à domicile, etc. Nous intégrons aussi les enfants à ce cercle pour qu’eux aussi apprennent à donner de leur temps et à se sentir utiles. Cela forme une communauté solide pour avancer. Vous ne rêvez pas qu’il y ait une personne immigrante qui était professeur chez-lui et qui va poursuivre sa carrière ici. Non, il faut qu’il réoriente sa carrière en suivant des cours.
Quand un immigrant arrive ici, peu importe sa nationalité, où est-ce qu’on vous dirige ?

Mayte : C’est différent pour chacun car ce n’est pas tout le monde. On ne peut pas généraliser, cela dépend des situations comment est-ce qu’on est arrivé pour savoir ou est-ce qu’on va. Mais, pour les réfugiés, c’est le Centre multiethnique de Québec le premier endroit vers lequel ils sont dirigés. Ce sont eux qui sont les mieux outillés pour accueillir les réfugiés et les aider à s’installer. Immigrer au Canada pour une personne qui n’est pas réfugiée, c’est très cher. Aussi je dois dire que les réfugiés doivent rembourser leur billet d’avion pour venir ici. Dans le cas de familles nombreuses, c’est très dispendieux, plus de 10 000$ parfois.

Aïcha : Il y avait une Congolaise qui est arrivée avec 9 enfants, elle doit rembourser un montant à chaque mois à partir de son chèque d’aide sociale. Ils s’installent, les enfants vont à l’école, le chèque arrive chaque mois ou bien lorsqu’ils commencent à travailler, ils remboursent petit à petit. Elle m’a dit que pour elle et ses enfants c’était 12 000$ qu’elle devait rembourser. Même chose pour une Birmane monoparentale qui est arrivée avec 8 filles. Elle doit rembourser 18 000$. C’est une femme analphabète qui même dans sa langue ne sait ni lire ni écrire, sans mari, sans personne qui l’aide et elle ne parle pas français, même chose pour les enfants, alors c’est la misère. Ce n’est pas la misère de ne pas trouver à manger, mais celle d’être complètement isolé dans ce monde. L’autre jour, j’ai rencontré cette femme à l’arrêt d’autobus, elle avait la bouche sèche tellement elle avait peur parce qu’elle avait perdu sa carte d’assurance maladie et qu’elle croyait que la police allait venir l’arrêter à cause de cela. Comme elles ont vécu des choses terribles, dans leur tête elles s’imaginent toute sorte de choses. Elles sont malades psychiquement, elles vivent beaucoup de peurs, elles manquent de confiance en elles et il faut beaucoup de temps pour établir un lien de confiance. Cela peut prendre 5 à 6 ans. J’arrive où Mayte travaille, elle fait une activité avec les femmes du HLM, mais les Birmanes ne viennent pas si je ne vais pas les chercher. Même si Mayte fait tout pour leur faire plaisir, elles ne viennent pas si je ne suis pas là. C’est difficile de les faire sortir parce que c’est un monde nouveau pour elles.

Moi, j’ai eu la chance d’apprendre le français à la maison, mon mari parle français, il commence à travailler, nous avons un logement. C’est une situation assez stable, mais malgré cela j’ai eu de la difficulté parce que je ne comprenais pas l’accent ni les expressions québécoises. J’étais obligée de dire : « S’il vous plait pouvez-vous parler doucement pour que je puisse vous comprendre. » C’est quelque chose. Quand j’habitais à Ste-Foy, il y avait près de chez-moi un IGA. Le simple fait d’aller faire l’épicerie et de réaliser le prix des aliments, je pleurais en retournant chez-moi. Je ne savais pas qu’il y avait des circulaires et des spéciaux dans d’autres magasins. Alors j’ai acheté du poisson frais comme chez-nous, mais c’était hors de prix. Malgré les difficultés, je suis parvenue à m’intégrer assez rapidement.

Il y a différentes formes d’intégration comme les réfugiés qui sont liés à la question humanitaire avec une dette, mais ils sont pris en charge. Par contre, pour ceux et celles qui font des démarches de résidents permanents, lorsqu’ils arrivent à l’aéroport, on leur donne une série de papiers, et on leur dit dans quel secteur ils vont aller. S’ils viennent ici à Québec, il y a des organismes qui donnent une séance d’information qui dure deux ou trois heures. C’est vraiment très intensif, on leur donne un paquet de feuilles et après il faut qu’ils se débrouillent. Donc il n’y a pas un accompagnement qui va se faire. On aide à remplir les papiers, mais on ne dit pas qu’elles sont les ressources communautaires dans un secteur de la ville. C’est là que parfois ils se retrouvent seuls et un peu démunis. Pour les étudiants de l’Université ou des Cegeps, cela se vit un peu mieux parce qu’ils sont en groupe. La difficulté pour les gens qui arrivent ici, c’est qu’ils ne connaissent rien, et s’il n’y a personne pour leur montrer quoi faire, où aller et comment se comporter, ils sont perdus. C’est à ce moment-là qu’interviennent les organismes communautaires, mais elles ne sont pas présentes dans toute la ville et il y a des secteurs moins bien desservis que d’autres. Le numéro 1 en ce qui concerne la population immigrante, c’est tout le secteur de Ste-Foy, Sillery, Cap-Rouge, et il n’y a qu’un seul organisme : Le Mieux-être des immigrants. À part cet organisme, il n’y en a pas d’autres. Ce qu’ils trouvent le plus dure, c’est l’isolement.

Donc cela passe beaucoup par l’entraide, ce sont des groupes comme ici qui organisent des rencontres ou des activités.

Mayte : Mon expérience personnelle me fait dire que c’est vrai que les immigrants vivent de l’isolement, mais je dois dire que c’est aussi le cas de bien des Québécois et des Québécoises qui vivent seules. C’est comme une maladie sociale qui est vécue par tout le monde. Dans l’un des HLM où je travaille, la plupart des résidents sont des femmes québécoises et je peux vous dire qu’elles sont très isolées, des femmes âgées surtout. Je dirais que si je pouvais comparer les deux groupes de femmes immigrantes et québécoises, vivre dans un HLM pour une femme immigrante qui est plus jeune et qui a des enfants, etc., c’est comme le commencement de quelque chose parce qu’enfin elles ont la possibilité d’avoir un endroit où vivre. Elles ont aussi l’espoir que leurs enfants vont faire quelque chose de mieux dans la vie. Mais pour une femme québécoise qui habite dans un HLM, c’est comme si elle se disait : C’est fini, je n’irai pas plus loin qu’ici. Je pense que la question de l’isolement des gens est une problématique très forte dans la société québécoise qui touche tout le monde. Il n’y a pas suffisamment d’espaces de rencontres où les gens peuvent s’apporter un soutien mutuel. Un beau moment que j’ai vécu, c’est lorsque j’ai vu une femme congolaise de 82 ans qui pour la première fois de sa vie a écrit son nom. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : Mon Dieu, ça vaut la peine tout le travail qu’on fait.

Moi ma question est pour le CAPMO. Qu’est-ce que vous faites comme organisme pour accueillir les immigrants? Aujourd’hui, il semble plus difficile qu’autrefois d’être bien accueilli au Québec, alors qu’est-ce que vous faites pour améliorer cela ? Qu’est-ce que font les organismes québécois pour faciliter l’intégration des personnes immigrantes ?

Je vous répondrais de devenir membre du CAPMO puisque ce groupe est constitué de personnes de différentes nationalités qui forment une communauté fraternelle. Ici, la réflexion va de paire avec une reconnaissance mutuelle, peu importe notre condition sociale ou notre niveau académique. Depuis ses origines, le CAPMO accueille dans ses rangs des réfugiés et des immigrants. C’est ce que nous faisons. Nous sommes un lieu d’intégration pour quiconque souhaite devenir membre.

J’ai vécu deux expériences très fortes d’accueil des réfugiés alors que j’étais pasteur de l’Église Unie. La première c’est lorsque nous avons accueilli une famille qui est arrivée d’un camp de réfugiés. Nous les avons accompagnés pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’ils déménagent à Hull pour des raisons de travail. L’autre expérience a été encore plus forte parce que nous avons reçu en sanctuaire un réfugié algérien sans statut à l’époque où le gouvernement du Canada voulait en déporter 1000 en Algérie. Et celui qui a été le leader du Comité des Algériens sans statut, quand son tour est arrivé, après avoir obtenu qu’il y ait un parcours d’évaluation cas par cas, comme il avait parlé sur la place publique et qu’il avait occupé des bureaux de ministre, le gouvernement lui a dit qu’il n’était pas bien intégré. En dernier recours, il s’est retrouvé en sanctuaire dans mon église, la seule dont le sanctuaire ait été violée par la police dans toute l’histoire du Canada. Mohamed Sherfi il s’appelait, il a été déporté aux États-Unis, le pays par lequel il était entré, nous avons continué à le soutenir. Aux États-Unis, il a réussi à avoir son certificat de sécurité à l’époque de Georges Bush fils, vous voyez comment c’était un bon cas parce qu’aux États-Unis, contrairement à ici, il y a un tribunal d’immigration qui est indépendant du politique. Ça l’a aidé et finalement, après 5 ans, il a eu sa résidence ici. On a gagné.

Applaudissements…

Est-ce que vous remarquez des effets sur les Québécoises de souche de votre travail d’organisation communautaire ? Autrement dit, selon vous, est-ce que l’immigration change le Québec, à la dimension de votre groupe ?

Aïcha : Oui, depuis que nous sommes arrivés jusqu’à maintenant, il y a tellement eu de changements. C’est la façon de s’intégrer qui a changé. Je trouve qu’actuellement on sent plus d’ouverture envers les personnes immigrantes. On dirait que les Québécois, grâce à des rencontres comme celle que nous avons ce soir, commencent à comprendre ce que vivent les personnes. Depuis deux ans, la ville organise des rencontres entre des Québécois et des immigrants. Il ne suffit pas de se concentrer sur la sélection des immigrants à l’étranger, il faut assurer un suivi ici. Il faut aussi penser à la société d’accueil parce qu’elle aussi vit un choc culturel et elle a besoin d’information, de s’approcher des personnes pour les connaître en faisant des activités ensemble. Depuis sept ans, nous organisons une fête qui s’intitule : « Noël aux saveurs du monde » et c’est fait avec les cotisations des femmes. Samedi dernier nous avions une rencontre, une activité culturelle, parce que ma culture, ma fierté, je la partage. Il y avait des Québécoises et des immigrantes et nous avons loué une salle en payant de notre poche et nous avons apporté de la nourriture. Ce sont vraiment des activités que nous organisons ensemble. Il y a deux ans, une immigrante est venue avec ses cinq enfants à l’une de nos activités et par hasard il y avait une Québécoise qui était là. Elles sont devenue amie, c’est ça le but au fond, à la fin c’est l’amour humain que les personnes vont partager. Cette amitié a changé la vie et les habitudes de la mère de famille immigrante, mais le mari n’a pas du tout apprécié les nouvelles initiatives que prenait sa femme parce qu’elle a commencé à s’habiller comme une Québécoise et le vendredi elle laisse ses cinq enfants avec son mari et elle va voir son amie. Les hommes éprouvent de la difficulté à accepter que les femmes sortent de la maison et s’émancipent. Ce ne sont pas toujours des arabes et des musulmans, ce sont aussi des chrétiens qui veulent garder le contrôle sur leur femme.

Est-ce que le fait de vous fréquenter, change les Québécoises et comment ?

Aïcha : La personne québécoise, par ses contacts avec des immigrants, s’ouvre à des réalités nouvelles et elle commence à comprendre. Être proche de l’autre, l’écouter et partager beaucoup de choses avec cette personne, aller chez-elle, se parler, s’écouter, c’est comme cela que s’établit le lien de confiance. Et quand cela est fait, tout s’éclaircit. C’est ça la réponse à votre question.

Est-ce que vous avez l’impression que notre système politique vous fait une place en tant que personne immigrante ? Et est-ce que cette place vous donne du pouvoir sur votre vie ?

Mayte : Moi je viens d’un pays où nous avons vécu le néolibéralisme bien avant vous. Toutes les politiques d’austérité, la destruction du filet social et la privatisation des services, nous avons vécu cela au début des années 2000 en Argentine. Cela veut dire que, pour moi, venir ici c’est comme revivre les mêmes choses une seconde fois. Présentement dans mon pays cela va beaucoup mieux. Ils ont re-nationalisé les chemins de fer, alors qu’ici nous vivons une politique de destruction du filet social. Je parle toujours des femmes parce que c’est avec elles que je travaille, mais c’est sûr que pour les femmes c’est beaucoup plus difficile d’avoir accès à la politique. Ensuite, une femme immigrante doit faire de longues démarches avant de pouvoir obtenir la citoyenneté et le droit de vote. Elle doit d’abord élever ses enfants, étudier, trouver un travail, et pour les femmes qui sont analphabètes, oublie ça. Ce n’est pas dans leurs priorités d’avoir une participation politique.

Aujourd’hui, j’ai parlé avec des Québécoises dans le HLM et j’ai demandé pourquoi on ne ferait pas une émission de radio communautaire pour faire connaitre la réalité des femmes qui habitent en HLM ? Faites entendre votre voix sur les sentiments que vous éprouvez lorsqu’on vous insulte dans la rue parce que vous êtes sans emploi. Les femmes le vivent à tous les jours. Selon moi, ces femmes-là peuvent participer comme ça, en allant manifester ou en posant un geste pour affirmer leur dignité d’être humain jusqu’à ce qu’elles prennent assez confiance en elle pour s’engager davantage.

Aïcha : Je crois que la femme immigrante est davantage consciente de ce qui se passe autour d’elle. Samedi dernier, j’étais avec des femmes et nous avons parlé de politique. Il y avait des Québécoises aussi et nous discutions pour qui nous allions voter. Parce que nous avons commencé à nous parler, je trouve que les discussions ne sont plus les mêmes qu’avant. Nous sommes plus évoluées et ouvertes à savoir qu’est-ce qui se passe autour de nous. Nous sommes intéressées par la politique parce que cela concerne notre avenir. Entre femmes, elles ont discerné quels étaient les avantages et les inconvénients de voter pour chacun des partis.

Mayte : Oui, mais combien de ces femmes ont effectivement le droit de vote ? La plupart n’ont pas le droit parce qu’elles n’ont pas accès à la citoyenneté.

Quelqu’un voulait savoir ce que cela change chez les Québécois de côtoyer des immigrants, je vais vous donner une exemple qui me concerne. Dans l’immeuble où j’habite, il y a une certaine diversité et dans celle-ci il y a une immigration de l’intérieur. Pendant l’été, nous avons une enfant qui est arrivée d’une communauté Innue. D’après ce que je peux voir, son beau-père est bien acculturé à la société québécoise et sa mère est récemment arrivée en ville. Toujours est-il que j’avais remarqué de loin la petite. Un beau jour, ça frappe à la porte. J’ouvre la porte et je me fais demander s’il y a des enfants ici? Cette journée là, nous gardions nos petits enfants, une fille de 9 ans et un garçon de 6 ans. Alors, sans demander la permission, elle avance et elle entre. Les enfants étaient devant la télé, elles est allée s’asseoir pour regarder la télé avec eux. Sur ce, mon épouse arrive et elle a déjà travaillé sur des réserves. Elle dit : « C’est normal ! Lorsque je vivais sur la réserve les enfants ne frappaient pas, ils entraient dans la maison. » Cette petite de 6 ans vit la transition culturelle parce que lorsqu’elle frappe à la porte, elle me dit : « Chut! Chut! » Elle n’est pas certaine que ces parents souhaitent qu’elle continue de faire cela.

Moi, ma question n’est pas très précise, je suis intriguée par la notion d’identité culturelle. Parce que vous avez toutes deux parlé de votre attachement à votre identité. Aïcha, tu as parlé du foulard que tu ne portais pas à ton arrivée et maintenant tu le portes, et Mayte a dit : « Je suis Argentine, je ne suis pas Québécoise ». Alors quel est l’impact sur l’identité culturelle ?

Aïcha : Regardez ce que j’ai écrit au tableau : Encourager la diversité et l’établissement de relations interculturelles, croire à la diversité, vivre avec l’autre, respecter les différences quelles qu’elles soient, beau mélange et art de vivre. Quand j’arrive à quelque part, j’ai une culture, de mes parents, de mes grands-parents, c’est mon identité. Quand je suis arrivée ici, je me cherchais, je me sentais déchirer en raison de tout ce que j’ai laissé derrière moi. Même un Québécois qui est allé vivre en France m’a raconté qu’il se sentait isolé malgré la proximité culturelle entre le Québec et la France. Imagine quelqu’un qui vient de loin, qui a une autre culture, une autre religion, une autre langue, une autre couleur de peau. Tout est différent lorsqu’on arrive ici. Alors on cherche quelque chose qui va nous rendre solides avec nous-mêmes.

Moi, j’ai trouvé que porter le foulard me rendait plus confiante en moi. Cela n’a rien à voir avec l’entourage, cela m’appartient. Il faut que je me trouve quelque part et je ne peux le faire qu’en lien avec ma culture. Sinon je serai incapable de donner parce que je vais toujours ressentir que j’ai besoin de quelque chose. Donc, la culture tient la personne et l’aide à s’intégrer sans se renier elle-même. Moi, je dis toujours aux Québécois : Vous êtes chanceux d’avoir une culture mélangée, interculturelle, riche. Vous conservez votre culture tout en ayant tout un mélange avec d’autres cultures. C’est vivre sainement. C’est ça, ma culture me permet de vivre sainement.

Mayte : Oui, mais en même temps, ce n’est pas facile de retourner visiter son pays parce que pendant que je suis ici, je change et mon pays change aussi. Il y a des choses que nous avons adoptés d’ici qui font que nous avons changé nous aussi. Cela veut dire que l’on doit vivre avec tout cela.

Aïcha : C’est vrai parce que si la culture ne change pas, les habitudes changent. Quand on retourne chez-nous en voyage, on se sent comme des immigrants chez-nous. Surtout si j’y vais avec mes enfants, car pour eux, chez-eux c’est ici. Et quand j’arrive dans mon pays, je ne suis plus la même. Ce sont des choses que nous nous efforçons de vivre de façon harmonieuse, mais ce n’est pas facile.

Pour compléter un peu sur la culture, quand on part, on part avec une culture et on se déracine comme un arbre ou une plante qui a des racines. On l’amène ici, on la transplante quelque part et elle se fane un peu avant de reprendre vie. Il y a donc toute une période d’adaptation à ce sol et à cette nouvelle culture. Bien sûr on essaie toujours de se rattacher à une culture qui est la bonne, mais qui évolue là-bas. Alors, lorsqu’on retourne là-bas, on ne se reconnait plus.

Je ne sais pas si mon expérience est juste, mais lorsque j’ai voyagé, j’avais l’impression que j’étais plus proche des universitaires du monde entier que des pauvres de mon propre pays. Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer cela ? Je n’ai jamais vécu de choc culturel parce que lorsque je voyageais, je fréquentais des universitaire et cela relativise les différences culturelles selon moi.

Moi j’ai toujours eu de la misère à m’adapter à la culture universitaire parce que j’avais un engagement social qui s’enracinait dans un point de vue éthique et la lecture des Évangiles la plus contestataire que j’avais apprise. Je suis arrivé comme professeur à l’université un peu par hasard. J’ai toujours été un peu marginal dans ce milieu-là et quand le Québec était très à gauche, même si nous n ‘étions pas nombreux à l’intérieur des différents départements, on en menait large. Mais un jour, dans les années 1980, nous avons subi le ressac et nous passions pour des dinosaures parce que nous voulions défendre des politiques sociales, le rôle de l’État dans l’économie et tout le reste. Certains qui s’étaient affichés marxistes tout à coup ne l’avaient jamais été parce qu’ils avaient besoin de continuer à surfer sur la vague en tant qu’universitaires. Donc, j’étais très mal intégré, sauf dans des relations de soutien que j’avais auprès de certains étudiants pour qui l’apprentissage universitaire était un moyen d’engagement social. J’enseignais la conscientisation de Paulo Freire, j’enseignais les mouvements populaires et les politiques sociales dans un milieu où il y avait beaucoup de mes collègues qui avaient une vision plutôt conservatrice, mais je n’ai jamais été bien intégré à la culture universitaire. Par ailleurs, j’ai toujours préservé un contact avec la culture populaire. Mes premières armes à Québec, je les ai faites dans le quartier St-Roch à l’occasion du réaménagement urbain pour défendre une politique de rénovation qui tienne compte des besoins sociaux de la population. Si tu es bien intégré à la culture universitaire et que tu fréquentes les colloques, il se peut que l’on retrouve les mêmes genres de réflexes à l’échelle internationale. Moi, je me considérais davantage comme un intellectuel organique, inséré dans les milieux populaires.

Propos recueillis par Yves Carrier

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