Aménagement urbain et transport en commun à Québec
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Marc Boutin nous a présenté une vision de l’espace urbain avec les interconnexions entre les différents espaces par le réseau du transport en commun, avec exclusion ou inclusion des citoyens appartenant à certaines catégories sociales, ainsi on peut créer des ghettos de richesse exclusivement accessibles en voiture ou bien des enclaves où les piétons sont carrément captifs. Nous considérons que c’est un droit humain de pouvoir se déplacer, mais dans la ville de Québec il existe des endroits d’où il est pratiquement impossible de sortir si on n’a pas une voiture. Nous avons aussi invité Robert Lapointe à se joindre à notre comité pour l’accessibilité sociale du transport en commun parce qu’il est lui-même géographe et que nous nous sommes dit que nous ne pouvions traiter cette question sans comprendre l’espace urbain. Par sa nature, la ville de Québec possède un relief accidenté, bordée par le fleuve, traversée par des rivières et des infrastructures autoroutières ou ferroviaires, qui compliquent passablement les déplacements. Il existe également les différents quartiers et les classes sociales. C’est une ville qui nous faut saisir dans sa morphologie pour pouvoir l’interpréter, connaitre ses disfonctionnements, ainsi que les différents cycles économiques qui viennent bouleversés l’aménagement urbain. Actuellement, Québec connait un cycle de croissance qui dure depuis quelques années. Cela fait en sorte de stimuler la spéculation pour s’arracher les terrains encore disponibles. Cela provoque une pression sur les moins nantis qui se voient forcés de quitter le centre-ville pour faire leur vie ailleurs. On s’aperçoit aussi qu’il existe une certaines forme de répression policière qui stigmatise les gens en situation de pauvreté pour leur faire comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus au centre-ville. Il y a des rapports de force brutaux vécus par les résidents du quartier qui sont intimidés par la police parce qu’ils ne sont pas considérés comme des consommateurs intéressants aux yeux des commerçants du quartier. Alors certains voudraient que ces gens aillent vivre ailleurs. Mais, où est donc cet ailleurs, comment s’y rend-t-on et comment faire ensuite pour en sortir ?
Présentation du comité pour l’accessibilité sociale du transport en commun
En raison de la gentrification, il y a des gens qui vivent dans les périphéries de la ville de Québec et il y a un coût relié à ça. Cela provoque de l’isolement social. Au CAPMO, nous menons présentement une enquête sur l’accessibilité sociale du transport en commun. Nous allons rencontrer des groupes dans différents arrondissements de la grande ville de Québec pour animer des ateliers sur l’enjeu de l’accessibilité sociale du transport en commun. Il y a des communautés qui sont déjà très mobilisées là-dessus, on vient un peu pour les encourager à susciter eux-mêmes l’intérêt du public au sein de leur communauté locale. L’autre jour, nous avons visité Atout-lire, un groupe d’alphabétisation, pour animer un atelier avec les personnes, mais aussi pour entendre ce qu’ils avaient à dire sur leur réalité en lien avec cet enjeu. Nous cherchons à connaitre quels sont les impacts du manque d’accès au transport en commun à plein de niveau ? Si vous voulez vous joindre au Comité du CAPMO pour l’accessibilité sociale du transport en commun, n’hésitez pas à communiquer avec nous. Ce soir, il nous fait plaisir d’entendre Marc Boutin qui nous fera un historique de l’aménagement urbain à Québec en lien avec le réseau de transport du RTC.<
Marc Boutin : La ville de Québec d’autrefois
Bonsoir, je m’appelle Marc Boutin. J’ai étudié la géographie urbaine à l’Université Laval, j’ai aussi étudié en architecture avant, mais j’ai peu travaillé dans ce domaine. J’ai plutôt travailler avec les citoyens sur l’aménagement générale de la ville et la résistance aux changements qui sont arrivés avec ce qu’on a appelé la rénovation urbaine. J’étais ici au comité de citoyen de l’Aire 10, peu de temps après Mgr Lavoie dans les années 1971 à 1978. Alors j’ai connu les changements des années 1970, et une autre chose, c’est que je suis né à Québec, mais aujourd’hui, je rencontre assez peu de gens qui sont nés à Québec. Il y en a combien ici qui sont nés à Québec ? 6 ou 7 sur 30 personnes, c’est à peu près la proportion, même que je pensais en trouver moins. Moi, j’ai 72 ans, alors lorsque je me suis éveillé à la vie, j’ai connu Québec à la fin des années 1940. Je vais commencer par vous donner une vision historique de comment est-ce que le ville de Québec a évolué au cours des soixante dernières années et je vais finir avec le transport en commun. Même si je ne suis pas un expert du RTC, j’ai une vision globale de la chose dont je vous parlerai.
Alors Québec, c’est une ville assez intéressante parce qu’elle n’est pas comme les autres. J’en suis venu à cette conclusion après avoir voyagé un peu. C’est une ville qui a passé d’un extrême à l’autre. Quand j’étais enfant, Québec était rempli d’enfants et de familles avec une moyenne de cinq à six personnes par logement. C’était vraiment très dense, c’était une ville où il y avait 17 000 personnes au kilomètre carré. Nous étions 350 000 personnes sur environ 22 kilomètres carré, ce qui en faisait la ville la plus densément peuplée au Canada. Tout était ramassé. Je me souviens lorsque j’étais jeune, on sentait à partir de la rue des Érables, en Haute-Ville, et Marie-de-l’Incarnation, en Basse-Ville, que la campagne commençait. Vers Limoilou, la ville allait jusqu’à la 18ème Rue et Maizeret, ça commençait à peine. Au loin, il y avait quelques villages : Sillery, Beauport, Charlesbourg, Loretteville et Ste-Foy n’était qu’un hameau. À Ste-Foy, il y avait des champs avec des vaches et un petit aéroport là où sont situés aujourd’hui les centres d’achats. C’était un monde totalement différent.
Québec en 1950
Alors, cette ville là, nous voyons le chemin de fer qui passe à la hauteur de la 25ème rue et il entre en ville à la Gare du palais en passant par Limoilou. On voit le boulevard Hamel, Ville Vanier commençait à peine. Au-delà, il n’y avait rien. C’est la ville avant la rénovation urbaine qui fut une explosion de ça. Ce qui est arrivé à Québec, c’est que nous avions l’agglomération la plus dense au Canada alors qu’aujourd’hui nous avons la ville la plus éparpillée. Aujourd’hui, Québec a près de 500 kilomètres carrés pour moins de 1000 habitants au kilomètre carré. La surface de la ville a augmenté de 20 fois pendant que sa population a à peine doublé, 700 000 personnes en incluant la ville de Lévis. Il n’existe pas d’autres villes qui ont connu ces deux extrêmes en si peu de temps. C’est une des particularités de Québec et ça touche le transport en commun comme nous allons le voir pus loin.
C’est une ville qui n’a pas beaucoup de villes sœurs en terme d’histoire. Celle qui ressemble le plus à Québec, c’est Boston qui a un centre-ville habité. La particularité de cette ville-là c’est qu’elle est habitée partout. Quand je disais tantôt qu’il y avait une moyenne de quatre à cinq personnes par logement, il y avait des familles nombreuses, il y avait des trolées d’enfants dans tous les quartiers.
- Chez-nous, on était quinze dans le même logement. Dans un 6 1/2, nous étions 11 enfants, le père, la mère, la grand-mère, la grand-mère.
- Vous avez augmenté la moyenne.
- On couchait trois par lit.
Une vieille ville pleine d’enfants
C’est un exemple extrême, mais Québec était comme ça à l’époque. Chez-nous, nous étions quatre enfants et c’était une petite famille comparée à ce qu’il y avait autour. Aujourd’hui, je me promène et j’ai l’impression d’être dans une ville morte. C’était une ville où il y avait beaucoup de jeunes. Je me rappelle que quand le patro fermait, jusque dans les années 1970, sur la rue St-Olivier, il y avait une cinquantaine d’enfants qui retournaient chez-eux en criant. C’était comme une marée humaine qui occupait la rue. C’était une ville habitée, jeune et très dense. Aujourd’hui, nous avons une ville qui est exactement le contraire de cela. Évidemment Québec aujourd’hui, c’est la ville de l’autobus-automobile.
L’autobus et l’automobile font partie d’une même dynamique. Pourquoi ? Parce qu’ils utilisent le même réseau. Autrement dit, l’autobus est une doublure de l’automobile. Quand on considère les transports, il faut penser en terme de réseau, il ne faut pas penser en terme de véhicule. L’autobus et l’automobile utilisent l’asphalte. Ce qui est l’antithèse de cela, c’est le tramway parce qu’il possède son propre réseau. Autrement dit, pour une grande banlieue lointaine, c’est une banlieue-dortoir où l’on ouvre des cinémas et des centres d’achats, avec des immenses stationnements fait pour l’automobile. Les promoteurs ne s’occupent pas de l’autobus parce qu’ils se disent, il va venir de toute façon. Si on en a besoin, il viendra puisqu’il utilise le même réseau que l’automobile. C’est à cause de cela que j’ai toujours trouvé que l’autobus et l’automobile faisaient partis de la même dynamique de transport. C’est pour cela que c’est une ville axée sur l’automobile en raison des distances qui font de l’automobile un besoin essentiel. On a enlevé le choix aux gens. Il y a juste au centre-ville où les gens peuvent vivre à pied. C’est une ville où il est difficile de vivre sans automobile car tu es rapidement coupé d’un tas de choses. Y compris l’Université Laval, tu peux prendre le transport en commun, mais c’est pensé pour l’automobile.
C’est aussi la ville des autobus « désolés » parce qu’on voit beaucoup d’autobus où il est inscrit : « en transit ». Autrefois on appelait cela les autobus « désolés ». Le problème ave les autobus « en transit », c’est que ce sont des autobus de banlieue qui retournent vides à leur point d’origine. Ce sont des autobus qui par définition opèrent à moins de 50% de leur capacité. Ça coûte cher ce système-là. Québec est l’une des rares villes où chaque banlieue a besoin de son service d’autobus pour aller au centre.
En géographie, l’analyse que je fais de la ville, je pars de la société civile qui est un concept que mon ami Robert Lapointe a beaucoup étudié. Moi, le concept de société civile, je le vois comme quelque chose d’un peu spatial et géographique. La société civile, c’est pour moi le résidentiel. C’est un concept qui est situé dans l’espace. Ce qui s’oppose à la société civile, c’est la société d’État et les multinationales. L’État nous impose une ville qui essaie de rassembler les fonctions, les gratte-ciels, les centres commerciaux, campus universitaire, etc., en différents endroits. Des domaines où la fonction résidentielle est exclue. On envoie les résidences dans les banlieues dortoirs où il n’y a pas d’autres fonctions. La fonction résidentielle est fragmentée par définition et elle tend à imposer cette fragmentation aux autres fonctions. C’est ce que j’appelle la société civile.
L’individu, lorsqu’il est chez-lui, appartient à la société civile. Quand il va visiter son voisin il y est encore. Lorsqu’il va dans un magasin situé près de chez-lui et qu’il peut facilement s’y rendre à pied, il vit dans la société civile. Ce qui est l’antithèse de cela, c’est celui qui doit prendre son auto pour aller d’une fonction à une autre. Il va au centre d’achats, il revient chez lui en auto, il va travailler dans un gratte-ciel au centre-ville, il va étudier à l’Université Laval, toujours en automobile, toujours dans les stationnements. Lui, son résidentiel est séparé des autres fonctions, alors il se promène sur un réseau d’autoroutes partout à travers la ville.
Un tramway nommé Désir
Il s’agit de deux univers qui forment la ville : l’univers fragmenté du résidentiel qui essaie de prendre les fonctions pour les ramener vers lui et cette autre force qui est la société d’État et des multinationales qui essaient de concentrer les fonctions en des lieux différents pour contrôler l’économie. Il est certain que la ville de Québec d’autrefois était résidentielle à 100% en ce qu’elle regroupe en son sein plusieurs fonctions. Il n’y a pas de centre d’achat là-dedans. Il y avait un gratte-ciel, c’était l’édifice Price, et le Château Frontenac. C’était complètement enclavé dans la ville. Alors, il n’y avait pas cette vie imposée par la société d’État et le grand capital. Ce n’est pas comme cela que les choses fonctionnaient. Oui il y avait des automobiles, mais on pouvait vivre à pied très facilement.
Une autre chose qui est arrivée à Québec et à Montréal, c’est que ces villes très denses avaient leur réseau de tramway. Dans les années 1950, lorsque le lobby automobile est arrivé, on s’en est débarrassé, alors que d’autres villes comme Boston ou Toronto les ont conservés. Aujourd’hui, ils ont des réseaux de tramway qui sont complètement amortis au point de vue de l’investissement et cela est devenu très rentable. Tandis qu’à Québec, si jamais on veut un tramway, il va falloir payer cher pour le remettre en place. Je pense qu’il y a peu de villes au États-Unis qui ont démantelé leur tramway, mais il n’y en avait aucune où il était aussi important qu’ici. C’était vraiment la colonne vertébrale de la ville. On partait de la traverse de Lévis et on s’en allait partout jusqu’à St-Sauveur et il y en avait un autre qui faisait une boucle à Limoilou. Chaque quartier avait sa ligne de tramway. À la haute-ville, cela allait jusqu’à la jonction de Sillery sur la rue Des Érables et là il y avait un petit tramway qui s’en allait à Sillery. C’est pour cela qu’on appelle cet endroit la Jonction, au coin de René-Lévesque et Des Érables.
La densité d’un territoire correspond à la population divisée par la surface. Quand je parle de densité, aujourd’hui, ce qui en reste, le quartier St-Jean-Baptiste est à l’image de cette ville d’autrefois. Nous y retrouvons une densité de 17 000 habitants au kilomètre carré. Il y a exactement un kilomètre entre les rues Honoré-Mercier et Sallaberry. Entre la falaise et le boulevard René-Lévesque, il y a un demi-kilomètre. Alors, sur 1/2 kilomètre carré habitent environ 8500 personnes. Nous avons donc la même densité que nous avions à cette époque. Si la ville de Québec avait actuellement la même densité que St-Jean-Baptiste, il y aurait 8 millions d’habitants et nous serions l’égale de Paris. C’est pourquoi lorsque est arrivé le projet immobilier de l’Ilot Irwing en disant nous venons faire de la densification, les gens n’étaient pas intéressés. Ils ont dit allez densifier ailleurs. On n’a pas besoin pour construire une ville d’aller en hauteur. Ce quartier c’est trois étages et demie, à part quelques exceptions. Et ce ne sont pas celles-ci qui font la densité urbaine de ce quartier, mais les rues étroites et les maisons mitoyennes. De fait, il y a peu de quartiers au Canada qui soient aussi dense que St-Jean-Baptiste. C’est certain qu’il y a peu d’espaces verts, comme le parc Scott par exemple. C’est le quartier qui a conservé la structure urbaine de cette époque-là.
- Combien de gens ont été déplacés lors de la rénovation urbaine des années 1970 ?
St-Jean-Baptiste a été saccagé de l’autre côté de René-Lévesque, là où se trouve aujourd’hui le Grand Théâtre et la Colline parlementaire, et d’Honoré-Mercier. Ils ont saccagé St-Roch qui a été éventré. Il y a eu 4000 logements de démolis et 10 000 personnes qui ont été chassées du centre-ville, et surtout, 14 écoles publiques, primaires et secondaires, ont été fermées et démolies. C’est là où l’autoroute Dufferin-Montmorency passe, de Place-Royale jusqu’à St-Roch, là où la ville n’a pas été saccagée, ils ont changé les fonctions.
Le grand dérangement
Les parties blanches qu’on aperçoit sur cette carte représente les endroits touchés. À part le Quartier latin qui a été préservé et rénové pour devenir
l’attraction touristique de Québec. On observe une ligne de séparation qui indique les espaces qui ont été démolis pour faire le Mail St-Roch, tout le Quartier chinois situé entre le boul. Charest et la falaise a été démoli, et de la Couronne jusqu’à l’autoroute Dufferin. Il y avait aussi un quartier juif qui était là. Tout cela a été démoli. St-Jean-Baptiste a résisté, parce qu’à Québec, ils voulaient tout détruire pour faire passer des autoroutes jusqu’au centre-ville.
C’est ce qui est arrivé avec la rénovation urbaine qui a commencé avec la révolution tranquille. La rénovation urbaine, c’est la spatialisation de la Révolution tranquille. On dit toujours que cette révolution a fondamentalement changé le Québec, mais moi j’ai toujours considéré que la rénovation urbaine l’avait encore plus changé encore plus que la Révolution tranquille. Pourquoi ? Parce que la vie de banlieue aujourd’hui, c’est ça qui nous domine. Nous sommes pris avec ça politiquement et culturellement. C’est la quintessence de l’American way of life. La radio poubelle, la malbouffe, et tout ce qui nous entoure est axé sur les banlieues même si le centre-ville en souffre aussi. C’est un mode de vie qui est venu se superposer au mode de vie urbain.
Heureusement, il y a eu une résistance à Québec comme il n’y a pas eu dans d’autres villes. Une autre particularité de la ville de Québec, c’est que les comités de citoyens ici ont été très forts. Il y avait huit comités de citoyens au centre-ville dans les années 1970 qui résistaient à cette ville qu’on voulait superposer à l’ancienne. À Québec, ce projet s’appelle le rapport Vandry-Jobin. C’est un réseau d’autoroutes superposé sur l’ancienne ville que je vous ai montrée. On projetait de construire cinq autoroutes qui convergeaient toutes à St-Roch. Une seule de celles-ci s’est rendue. Il y avait un tunnel prévu qui partait du Cap blanc, près du fleuve, et qui ressortait à l’autoroute Dufferin. Il y avait un pont Québec-Lévis qui passait par le bassin Louise pour aller rejoindre ce gigantesque spaghetti autoroutier. Il y avait l’autoroute Laurentien qui s’est rendue jusqu’au stade municipal et qui a été arrêtée par les comités de citoyens. Et il y avait l’autoroute de la Falaise, qui n’a jamais existée, mais qui se voulait le prolongement de l’autoroute 40 qui entrait à Québec par le boul. Charest en logeant la falaise pour monter à la Haute-Ville par la Côte Sherbrooke en passant à travers l’école secondaire François Perrault et traversait St-Jean-Baptiste sur les rues St-Gabriel et Lockwell jusqu’à Place Québec.
Ces projets ont été arrêtés par la résistance citoyenne dont le Comité populaire St-Jean-Baptiste qui a mis sur pied des coopératives pour occuper l’espace. Tout le côté sud de la rue St-Gabriel avait été vidé de ces habitants, ce sont maintenant des coopératives d’habitation. Le côté nord de cette rue, ce sont des propriétaires occupants. Tout cela pour dire que la résistance a été très forte, mais l’attaque était aussi forte.
Des résistances et des autoroutes partout
C’est que nous avions affaire à une ville qui était structurée. Dans chaque quartier, il y avait trois paroisses, avec les organisations que cela suppose. Je me souviens qu’au début, dans le quartier St-Roch, c’était des femmes de syndicalistes qui menaient la lutte. C’était des gens qui savaient résister et qui n’avaient pas peur. Les exploiteurs et les manipulateurs, ils les voyaient venir de loin.
- Selon vous, est-ce qu’il y avait une volonté politique d’affaiblir la société civile en créant cet étalement urbain ?
Non, il ne faut pas exagérer. Il n’y avait pas une telle volonté, c’est une analyse que nous faisons après coup. Pour eux, c’était davantage le capitalisme qui voulait s’installer. Ça sert à qui les autoroutes ? Ça sert aux centres d’achats qui appartiennent la plupart du temps à des intérêts financiers de l’extérieur de la région. Habituellement, cela appartient à de très grosses compagnies qui louent à des succursales de multinationales. Il y a quelques exceptions, mais ils sont rares.
- Assez qu’on disait à l’époque que le maire Lamontagne avait des parts dans les entreprises de béton.
Le maire Lamontagne représentait un parti politique qui s’appelait le Progrès civique qui avait des contacts avec les multinationales et qui a fait rentrer l’industrie touristique dans le Vieux Québec. Autrefois, ce quartier était semblable aux autres et il était rempli de gens qui y vivaient. Comme je disais tout à l’heure, chaque quartier était structuré autour de trois paroisses. St-Roch il y avait la paroisse St-Roch, Notre-Dame-de-Jacques-Cartier et Notre-Dame-de-la-Paix. St-Jean-Baptiste, il y avait St-Jean-Baptiste, St-Cœur-de-Marie et St-Vincent-de-Paul. À St-Sauveur, il y avait St-Sauveur, Notre-Dame-de-Grâce et Sacré-Cœur. De l’autre côté, il y avait St-Joseph, St-Malo, Notre-Dame-de-Pitié. À Limoilou, il y avait 11 paroisses, mais regroupées trois par trois. Il y avait St-Charles, St-Esprit, St-Fidèle, qui était le cœur de Limoilou. St-François d’Assise était plus en lien avec Stadacona et St-Claire, etc. Alors cette ville était bien structurée et quand on a vu que les autoroutes allaient déchirer le tissu urbain, la résistance s’est rapidement organisée. Mais je suis ici pour parler de transport en commun.
- Limoilou a été touché par les projets d’autoroutes, de la 9è avenue jusqu’à la voie ferrée.
Je parlais du Quartier latin, le Vieux Québec, où se trouvait l’Université Laval qui a déménagé dans un champ à Ste-Foy, tout comme les centres d’achats d’ailleurs. L’Université est structurée comme un centre d’achat avec ses stationnements et son système pavillonnaire. C’est à ce moment que le maire Lamontagne a fait rentrer l’industrie touristique dans le Vieux Québec pour la remplacer dans ce qui était autrefois notre quartier universitaire, notre quartier latin. Il a été remis en pâture à l’industrie touristique. Aujourd’hui, il n’y a plus un enfant qui habite dans ce quartier, ou presque plus selon les statistiques officielles. Il n’y a plus d’écoles non plus, sauf le cours primaire chez les Ursulines et secondaire au Petit Séminaire de Québec. De l’Université Laval, il y a l’École d’architecture qui est revenue. Toutes ces écoles vont déménager en banlieue pour se rapprocher des populations jeunes.
- Quand tu parles de la fragmentation de la ville, est-ce qu’il s’agit d’une opposition entre deux formes de capitalismes ?
Des espaces et des blancs
En effet, il y a le grand capitalisme formé par des monopoles qui promeut l’étalement urbain, et le capitalisme qui est fragmenté, cela s’appelle l’artisanat formé par les petits propriétaires. C’est ce que l’on retrouve sur les artère commerciales comme la rue St-Joseph où, sauf exception, il s’agit de petits propriétaires. Les exceptions sont constitués par les multinationales qui viennent en ville avec leurs succursales comme Tim Horton ou Thaï Express, mais il y a quand même une résistance sur les rues St-Jean, Cartier, Magloire, etc. qui sont les anciennes artères commerciales des quartiers qui existaient avant la rénovation urbaine. Dans les nouvelles banlieues, ces rues plus typiques n’existent pas. Celle qui existe, c’est la rue Racine à Loretteville par exemple, mais elle était là avant. C’est la même chose avec l’avenue Royale à Beauport où le grand capitalisme s’est installé l’autre bord de l’autoroute avec ses magasins à grande surface. Il s’agit là de deux références concurrentielles, celle du petit propriétaire qui a sa propre boutique, versus les magasins à grande surface inaccessibles sans automobile. Le modèle, c’est l’Épicerie européenne sur la rue St-Jean. Emilio habite au-dessus de son commerce, alors lorsqu’il descend travailler, il n’encombre pas les autoroutes avec sa voiture. C’est cela la mixité urbaine, il a son résidentiel en haut et son commercial en bas.
La carte que voici illustre la rénovation urbaine. En quadrillé, vous avez les quartiers historiques qui existaient avant. Tout ce qui est en noir représente les banlieues résidentielles qui n’existaient pas avant 1960. Vous voyez ce que représente l’expansion de 20 fois de la superficie de la ville. Orsainville, Charlesbourg, Lac-Beauport, St-Émile, Val-Bélair, Bourg-Royal, Ste-Thérèse-de-Lisieux, Lac-St-Charles, etc. Vous voyez le territoire de Québec qui a explosé comme aucune autre ville. En blanc, ce ne sont pas des champs et des parcs, ce sont des centres industriels, des centres d’achats, des entrepôts, c’est tout un univers qui est connecté aux autoroutes. On reconnaît également des quartiers commerciaux comme le Trait-Carré de Charlesbourg. C’est l’exemple d’une belle rue qui a conservé son économie locale. Il y a donc deux types de villes qui coexistent dans une même ville. On y retrouve deux sortes d’architectures, l’architecture pavillonnaire en banlieue, où l’on situe la maison ou l’entrepôt au centre, entouré de gazon ou de stationnements, souvent sans trottoir. En ville, les constructions sont mitoyennes, les maisons sont collées autour des ilots qui gardent de la verdure au centre. Ce sont deux mondes complètement différents.
- Tu m’avais expliqué que les gratte-ciels étaient du rural ?
Ce qui est rural, c’est lorsque les fonctions sont séparées, qu’il y a ségrégation des fonctions, quand tu te promènes dune fonction à l’autre. Au contraire, l’urbain reste chez-lui, il attend que les fonctions se fragmentent pour se rapprocher de lui. Autrement dit, il attend au centre-ville qu’on ouvre un cinéma près de chez lui pour qu’il puisse y aller.
Un réseau ramifié
Voici le réseau actuel en forme de rayon qui convergent vers le centre-ville :
Voici un projet que nous aurions pu avoir et qu’il est toujours possible de réaliser. Lorsque le maire L’Allier était au pouvoir, il avait son propre projet de tramway. Quelle est la différence ? Un tramway, c’est une colonne vertébrale qui se déplace sur un axe auquel les différents circuits d’autobus se connectent. Ceci les rapproche de leur but et ils n’ont plus à aller jusqu’au centre-ville, c’est le tramway qui y va et ils font donc des boucles plus petites et plus rapprochées dans leur quartier ou banlieue respective. Cela rend aussi plus facile les déplacements d’une banlieue vers une autre sans avoir à passer par le centre-ville. On peut imaginer une ligne nord-sud, vers Charlesbourg et Est-Ouest, Ste-Foy-Québec, dans un premier temps.
Un réseau beaucoup plus usuel
Alors, selon le schéma précédent, au lieu d’avoir un réseau où tout le monde va dans tous les sens, nous avons un système où les autobus viennent chercher ou amener les gens jusqu’à la ligne de tramway. Pour une grande ville comme Québec qui est si étalée, ce serait beaucoup plus efficace en terme de transport. Comprenez que ce n’est pas très fréquent un autobus de banlieue. Prenons l’exemple de celui qui part de Ste-Thérèse de Lisieux, il effectue très peu d’aller-retour au centre-ville tandis que ce système en arbre permettrait une plus grande fréquence des passages. Il y a trois autobus le matin, puis deux ou trois pour revenir à la maison en fin de journée. Le reste du temps, il n’y en a pas. C’est certain que cela prend un tramway ayant une grande capacité parce qu’il y a beaucoup de monde qui converge vers cette ligne. C’est ce système qui manque à Québec. C’est ce qui fait qu’actuellement, il y a tant d’autobus hors service qui se promène vide entre le centre-ville et leur banlieue d’origine. Le Métrobus est un avant-goût de ce que pourrait être un système de tramway.
Quand je parle d’un tramway, je parle d’un transport léger sur rail qui a sa propre voie. Le projet du maire Labeaume est fort différent de celui proposé par l’administration L’Allier. Il le fait passer sur les autoroutes, là où les gens ne vivent pas. Pour être fonctionnel, il doit passer dans les quartiers habités, pas dans des champs. En Haute-Ville, il faut qu’il passe sur René-Lévesque, mais il ne doit pas allez jusqu’à Charny car il accentuerait l’étalement urbain. À Limoilou, il y a un problème, les Métrobus passe aux extrémités Est et Ouest du quartier au lieu de passer au centre sur la Troisième avenue. La personne de Limoilou qui veut aller à Beauport doit traverser le quartier jusqu’au boulevard des Capucins. Un endroit non-habité, sous les autoroutes où les gens seuls ont peur d’aller la nuit tombée. Même chose, si cette personne veut aller à Charlesbourg, elle doit se rendre jusqu’à la Première avenue, alors que la logique commande de passer au centre du quartier sur la Troisième avenue. Les concepteurs du réseau ne semblent pas être des usagers du transport en commun, ce qui conduit à des aberrations. Cette division, deux lignes Métrobus à Limoilou, fait en sorte que la fréquence est deux fois moins grande. C’est un exemple des problèmes qu’on vit actuellement. À St-Sauveur aussi il y a des problèmes. La ligne la plus fréquentée, c’est le 802 qui passe sur Marie-de-l’Incarnation. Il y a peu d’autobus sur la rue St-Vallier qui est l’artère commercial du quartier. Pour se déplacer est-ouest, il faut marcher jusqu’à Charest. Tout cela pour dire que St-Sauveur est écartelé et le service n’est pas extraordinaire.
Le maire Labeaume a proposé de faire un tramway, mais il le ferait passer sur le boulevard Charest, dans sa section inhabitée sur l’autoroute, pour remonter à l’Université Laval par l’autoroute Robert-Bourassa, puis allait à Limoilou par le boulevard des Capucins, donc Charest d’un bout à l’autre. À l’argument que c’était des endroit peu habités, il répondait que ces endroits allaient se développer par la construction de tours d’habitation chaque côté de l’autoroute Charest. C’est de la pensée magique, à moins de vouloir favoriser certains spéculateurs fonciers ? Une fois près de l’Université, le tramway passait sur le boulevard Laurier devant les centres d’achats, puis traversait le pont jusqu’à St-Romuald. Cela faisait un tramway de 30 km de long qui coûtait trop cher et qui favorisait l’étalement urbain. Une telle longueur empêche d’avoir un rendement efficace en allongeant au maximum les fréquences de passage. Alors, un tramway, pour être efficace, il ne faut pas que cela aille trop loin pour avoir une fréquence raisonnable. Ce n’est pas d’aller servir les banlieues, c’est de passer souvent qui est important. Pour cela, il ne doit pas avoir plus de sept kilomètres de long à partir du centre-ville, Place d’Youville ou Place-Jacques-Cartier. Sept kilomètres, c’est le Trécarré de Charlesbourg, c’est l’Église de Beauport sur la rue Seigneurial, vers Ste-Foy, ce serait l’Université Laval, voire la rue de L’Église tout au plus.
La gratuité du transport en commun
Je voulais vous parler aussi d’une question qui a été soulevée dans Droit de Parole, c’est la gratuité du transport en commun. La possibilité d’atteindre un jour la gratuité est reliée à la capacité de financer cette idée. Alors, d’où pourrait venir l’argent ? C’est relié au fait que l’automobile ne paie pas les frais associés à la construction des infrastructures et à l’entretien de celles-ci. Autrement dit, l’automobile est très subventionné, et tant que cela sera ainsi, on ne peut pas penser à la gratuité. Alors c’est quoi le prix ? Ma référence, c’est « Le livre noir de l’automobile » que je vous conseille de lire. C’est un livre qui traite du coût réel de l’automobile et Québec est la ville la plus dépendante de l’automobile que je connaisse. Ce livre a été écrit par Richard Bergeron qui a été chef de l’opposition à Montréal. Alors c’est quoi le prix ? Les infrastructures et leur entretien, cela coûte un prix de fou, le prix de la surveillance policière sur les autoroutes. Soit dit en passant, l’autobus utilise le réseau d’autoroutes subventionnées tandis que le train doit entretenir son propre réseau. C’est ce qui explique que le prix de l’autobus est moindre que celui du train. Le prix du déneigement du réseau des autoroutes est énormément cher. Le prix de la prise en charge des accidentés par le réseau de santé. À tout cela, il faut ajouter les problèmes de santé occasionnés par la pollution atmosphérique provoquée par l’automobile.
- Il ne faut pas oublier que les places de stationnement coûtent encore plus cher que le réseau routier. Ces espaces pourraient servir à d’autres fins, tels que des édifices à logements ou des espaces verts.
Une raison pourquoi le stationnement est si cher, c’est que chaque voiture a cinq ou six places de stationnement qui l’attendent quelque part à Québec. Une ville où il y a 100 000 automobiles, doit avoir 500 000 à 600 000 places de stationnement. Pourquoi ? Parce que la nuit, lorsque votre voiture est chez-vous, les stationnements des centres d’achats sont vides et vous attendent, même chose à l’Université ou au Colisée et un partout. Alors chaque voiture a plusieurs stationnement qui l’attend. Évidemment, nous ne pouvons être qu’à un seul endroit à la fois. Un autre prix qui coûte cher, c’est celui des nouvelles institutions publiques reliées à l’étalement urbain. Les gens qui s’installent aux limites de la ville, dans des nouveaux quartiers, demandent des nouvelles écoles pour leurs enfants. Ils réclament de l’État une école. Pendant ce temps, on va en fermer une en ville, faute d’avoir suffisamment d’enfants. Imaginez combien cela peut coûter à l’État un tel étalement qui ne finit plus de s’étendre. Il y a aussi le prix des infrastructures sanitaires, les routes, les rues, l’électrification, etc. L’étalement urbain coûte cher à l’État. Et finalement, il y a le prix privé de posséder une automobile et de payer son entretien. Si cela vous intéresse le prix de l’étalement est relié au transport. Le jour où l’on va payer le prix réel pour l’emploi de l’automobile, les gens vont y penser à deux fois avant de s’éloigner du cœur de la ville. À ce moment-là, on pourra penser à un transport en commun gratuit.
- Il y avait un article dans le Soleil, il y a deux semaines, qui démontrait, que pour la première fois, les familles dépensent davantage pour leur transport que pour la nourriture.
- Moi, j’étudie en logistique. Je pense qu’il y a trois choses dont nous devons tenir compte. 1) Qu’est-ce qu’on finance, 2) l’efficacité du système actuel et 3) qu’est-ce que cela rapporte aux usagers ? J’ai l’impression que l’inefficacité fait en sorte que les gens l’utilisent moins, cela rapporte moins, et les gens se disent qu’on ne peut pas financer ça. C’est comme un cercle vicieux. Il faut que le service soit pile poil. On est au 21ème siècle, les gens ne peuvent pas attendre une heure, même si c’est gratuit. Il faut que le service soit efficace. Malheureusement, lorsqu’on observe les circuits actuels, on ne voit pas un réseau. Actuellement, c’est comme si chaque ruisseau allait séparément à la mer. Ce n’est pas logique.
Des enclaves à la pauvreté
Cette carte représente l’absurdité du système actuel (page 9). La contrepartie de cela, c’est le Métrobus qui compense un peu. À Québec, un autre problème que nous avons, c’est que nous avons peu de boulevards et lorsqu’il y en a, ils sont trop courts pour permettre aux autobus d’être plus efficaces. Au lieu des boulevards, ce sont des autoroutes qu’ils ont construites. L’autoroute Robert-Bourassa, cela aurait du être un boulevard urbain. Cela donne des parcours Métrobus qui zigzaguent sur plusieurs rues. Si l’autobus articulée veut prendre de la vitesse, il ne le peut pas. De plus, son trajet est beaucoup plus long que la même distance en voiture. À Québec, lorsque nous sommes passés de l’ancienne ville concentrée à la ville de banlieue avec ses autoroutes, nous avons sauté l’étape de la ville des boulevards.
- Au niveau social, le réseau d’autoroute, l’étalement urbain et le réseau d’autobus, créent des enclaves où les gens semblent emprisonnés. Des secteurs, souvent défavorisés, qui sont enclavés par des autoroutes, des voies de chemin de fer ou une rivière, qui les empêchent de se déplacer à pieds ou en vélo. Ce qui les rend entièrement dépendant du réseau d’autobus s’ils n’ont pas les moyens de posséder une automobile.
- Je voudrais ajouter que par rapport à l’exclusion sociale, avec le phénomène de gentrification ou d’embourgeoisement du centre-ville, les moins fortunés sont repoussés vers les périphéries pour se trouver un logement abordable. Alors, en plus de devoir s’en aller, ils ne peuvent plus vivre dans un mode de vie urbain où les services sont accessibles à pied. C’est pour cette raison qu’ils se retrouvent isoler socialement dans des secteurs difficiles d’accès où l’autobus passe très peu. La gentrification signifie que les loyers deviennent inabordables ou sont souvent transformés en copropriétés. Évidemment, ce ne sont pas les locataires ou petits propriétaires qui prennent les décisions quant au développement du quartier.
- Moi, quand je travaillais à l’ACEF, nous recevions des téléphones de gens qui étaient très éloignés et qui se plaignaient de ne plus avoir accès à la soupe populaire ou aux comptoirs alimentaires.
- Quand ça te coûte 7$ d’autobus pour aller à la soupe populaire, t’es mieux de rester chez-vous.
- Si j’ai de l’argent pour prendre l’autobus, je vais le garder pour acheter de la nourriture.
C’est toute la notion de quartier dont j’ai parlé au début. La ville de Québec c’est quoi ? On parle de St-Jean-Baptiste, on parle de St-Roch, on parle peut-être de Limoilou, de Saint-Sauveur, de Montcalm, du Vieux Québec. Un quartier représente un espace urbain où au niveau de la forme l’on retrouve une espèce d’unité et au niveau des classes sociales on observe un certain équilibre. Dès qu’on quitte cette trame urbaine, la notion de quartier n’existe plus. Bien sûr il reste les noyaux historiques des anciennes municipalités, mais à part cela, il n’y a rien. C’est quoi au fond cette notion de quartier ? Un quartier c’est un endroit où il y a toute une vie économique et sociale qui est reliée à cette notion.
- Pourquoi alors ont-ils choisi d’étaler la ville de la sorte ?
C’est que la ville représente la sommes des rapports de forces entre des intérêts divers qui s’opposent la plupart du temps. La spéculation entre autre c’est fort payant et il y a des politiciens qui sont reliés à ces intérêts. Alors, les citoyens ne pourront jamais vivre leur vie urbaine à moins qu’ils ne se battent pour l’avoir. Sinon, le grand capital avec ces projets immobiliers en gratte-ciels ou ses immenses centres d’achats, crée un désert citoyen au centre sans recréer la société civile en périphérie. À Québec, si le quartier St-Roch existe encore, c’est parce qu’il y a eut un comité de citoyens qui s’est battu. St-Jean-Baptiste a été peu touché parce que le comité populaire St-Jean-Baptiste s’est battu à l’Ilot Berthelot, au Patro St-Vincent-de-Paul, et partout où ça été nécessaire pour arrêter les promoteur immobiliers.
Des éco-quartiers avant la lettre
C’est certain que le RTC est dépendant des politiciens, ce n’est pas une question d’individus. C’est à la population de se prendre en main pour faire valoir ses revendications. À Québec, nous avons de nombreux exemples de prise en charge par les citoyens. St-Jean-Baptiste, St-Roch et St-Sauveur, ce sont des quartiers qui se sont pris en main et qui existent encore en ayant préserver certaines qualités qu’il y avait autrefois. Ce sont des qualités universelles qui sont aussi des valeurs d’avenir. Quant on parle d’éco-quartiers, cela existe à St-Sauveur, St-Roch et St-Jean-Baptiste. Ce sont des éco-quartiers avant la lettre. Alors, le maire Labeaume quant il dit qu’il veut faire des éco-quartiers, qu’il prenne dont modèle sur ce qui existe déjà au lieu de vouloir les construire en plein champs.
La tramway, comme nous l’avons vu, attire les services autour de lui et favorise la densification urbaine au niveau résidentiel également. Les gens qui vivent à proximité ont moins besoin d’utiliser leur véhicule pour se déplacer et cela recrée en quelque sorte une trame urbaine dans une diversité de fonction au lieu de la séparation des fonctions promut par le modèle autoroutier. L’autobus est une doublure de l’automobile pour ceux et celles qui n’en n’ont pas, sans avoir sa flexibilité toutefois. L’autobus va se plier à l’étalement urbain alors que le tramway y résiste parce qu’il dépend d’un réseau de rails. À moins qu’on ne fasse comme le souhaitent certaines personnes de construire une ligne qui s’en va à 30 km du centre en évitant les secteurs peuplés.
Il y a une dimension politique aussi. Quand je dis qu’il a deux sortes de villes, parce qu’on dit toujours qu’à Québec ça vote à droite. C’est vrai, sauf au centre-ville qui vote plus à gauche que la banlieue. Plus on s’éloigne du centre, plus on vote pour la droite. Le rapport banlieue/centre en termes démographie est de deux tiers un tiers. C’est très très fort. D’habitude les ville sont à peu près 50/50. Il existe d’autres villes qui sont totalement constituées de banlieues. Ce sont des villes, comme Détroit, où le centre a été complètement démantelée. Une ville équilibrée aurait une proportion de 50/50.
Pourquoi l’accessibilité sociale ?
- Il existe différents intérêts à dire le bien commun de différentes manières. Il y a la logique qui répond au développement capitaliste de la ville, il y a une logique de lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale qui se rapproche plus de l’universel et de la gratuité, il y a aussi la logique des habitants du centre-ville, toutes classes confondues, qui souhaitent un milieu de vie moins envahi par l’automobile, la petite bourgeoisie encourage la concurrence enrichissante et productive. Autrement dit, la ville urbaine ou de socialisation poursuit l’utopie de la convivialité. On peut vivre, travailler, avoir accès aux loisirs et élever sa famille dans le même quartier. Cette logique qui nous traverse, est une logique de l’universel brisé. N’est-ce pas à cause de cet universel brisé que la gratuité n’est pas recommandé par le comité pour l’accessibilité sociale du transport en commun ?
- Comment dire cela ? Oui nous sommes pour la gratuité, mais nous avançons par étapes. Nous croyons que c’est ce qui amènerait le plus de justice sociale, mais pour l’instant notre objectif est d’aller visiter les communautés locales pour entendre ce qu’elles ont à dire. Concrètement, nous sommes allés visiter des comités à Ste-Foy et à Montmorency pour voir qu’est-ce qu’ils veulent et où ils en sont. Nous observons aussi ce qui ce passe actuellement dans d’autres villes canadiennes. À Ottawa, par exemple, ils ont réussi à faire des gains en partant de préoccupations locales concrètes. Les citoyens avaient une vision stratégique dans leurs démarches de revendication. En passant, ce que le Collectif Subvercité fait, c’est super pertinent parce que cela amène la question du transport en commun sur la scène publique. Leur argumentaire est inspirant et cela amène des gens à réfléchir à cette question.
- Au Comité, nous avons parlé de la gratuité, mais nous avons pensé que cela serait bien aussi d’aller voir ce que les gens en pensent avant de prendre une position catégorique qui risque de ne pas faire consensus. Nous avons pensé que nous devions construire un argumentaire et aussi nous trouver des alliés pour asseoir notre crédibilité. Nous sommes partis des besoins de personnes en situation de pauvreté et nous avons pensé qu’un tarif préférentiel comme celui des ainés les aiderait à briser leur isolement social. Ces gens ne sortent presque plus de leur logement parce qu’ils n’en n’ont tout simplement pas les moyens. Nous voulons essayer de trouver un moyen pour aller chercher ce monde dans leur maison pour leur dire : Aidez-nous à sensibiliser la population et les politiciens à cet enjeu social ». C’est comme cela que je le perçois. Je trouve déplorable qu’il y ait des personnes qui soient incapables de prendre le transport en commun.
- Pour compléter à propos de la révolution au CAPMO, on voit que la position du groupe évolue tranquillement pas vite, on voit que les positions sont en train de se placer et je suis positif quant à l’idée d’une augmentation des gens qui vont participer à notre campagne. Sincèrement c’est un besoin le transport en commun et ce n’est pas vraiment utile pour les gens qui demeurent au centre-ville de payer 7$ pour faire 5 ou 6 coins de rue, mais l’hiver, quand il fait –35 degrés, avec le vent et l’humidité, c’est le fun de prendre l’autobus. Je suis sûr qu’il y a des façons d’aller chercher du monde et monsieur Labeaume n’osera jamais prendre un autobus pour aller travailler. Peut-être une fois par mandat, pour dire qu’il l’a fait dans les journaux, mais ce n’est pas quelque chose qu’il va faire à tous les jours. La révolution gronde au CAPMO.
- Avançons le plus possible ensemble, en élargissant nos bases prolétariennes. (Fou rire général).
- Moi, je suis membre du comité RTC gratuit du Collectif Subvercité. Nous pensons qu’en 2014 dans la ville de Québec, la meilleure chose à faire serait d’augmenter la mobilité des gens par l’amélioration du transport en commun. L’objectif du plan de mobilité durable de la ville de Québec est de doubler la quantité de déplacement dans la ville. Il y a une vingtaine de villes à travers le monde où existe déjà la gratuité. On observe, dans les mois qui suivent la mise en place de la gratuité, une augmentation de 30% de l’achalandage, et dans les années successives, c’est 100% et plus. On peut facilement doubler l’utilisation du transport en commun. À Québec, l’argent versé par les usagers ne représentent que 70 millions de dollars par année. Si on veut, on est capable de se payer cela. Les deux tiers des coûts sont déjà assumés par le gouvernement. Actuellement, l’État paie 140 millions de dollars pour subventionner le transport en commun et on n’arrive plus à hausser le pourcentage des déplacements. Il faut un remède de cheval pour changer les habitudes. On ne peut pas freiner l’utilisation du transport en commun. Dans la situation actuelle, avec l’étalement urbain et le réchauffement climatique et l’injustice sociale causée par la nécessité de se déplacer, il faut changer les habitudes et pour le faire cela va coûter quelque chose.
- Il y a une ville en Belgique qui a fait son réaménagement urbain et les citoyens ont choisi par référendum de payer comme contribuable pour la gratuité du transport en commun. Le deal c’est qu’on enlève les stationnements au centre-ville pour améliorer la qualité de vie des gens, c’est même plus attrayant pour les touristes. Faire payer les usagers du transport en commun, à mon avis c’est un non sens.
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Moi j’adore prendre l’autobus. C’est un lieu de mixité sociale où l’on peut aussi voir les immigrants en grand nombre.
- L’autobus a été inventé par Blaise Pascal, le mathématicien. À l’époque, les autobus étaient à traction animale.
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Ce que Marc Boutin nous a montré ce soir, c’est qu’effectivement, il y a deux conceptions de la ville qui s’affrontent ici à Québec. Une conception du vivre ensemble dans les quartiers, la société civile, et l’autre conception repose sur des trajectoires qui consiste à promener les gens un peu partout pour profiter avec les boites de nuit, les voitures et tout ce que tu voudras. Donc, il y a deux versions de la ville, une pour le profit et une pour le vivre ensemble. Ce sont ces deux versions qui s’affrontent et qui font que la ville est comme cela, avec des trajectoires, des transits, des transports en commun organisés de cette façon. Une ville est un endroit de projets et d’utopies. Alors, le projet utopique du capitalisme, consiste à faire de l’argent avec le monde et les automobiles. Il faut aussi flatter l’ego des gens. Dans les années 1950, on leur présente l’American way of life qui résume le bonheur à l’acquisition d’une voiture et d’un bungalow en banlieue. Les villes se sont vidées parce qu’elles ont été avalées par la propagande publicitaire qui allait en ce sens. On a détruit les centres-villes et aujourd’hui le mouvement s’inverse. On parle de gentrification, c’est-à-dire qu’on fait valoir le vivre ensemble en ville et là on vend des condos et des condos et on déloge les pauvres. En fait, selon la Théorie de la forme urbaine, la ville est soumise à quatre formes de dynamiques. Marc et moi, avons étudié avec le professeur Gilles Ritchot en géographie à l’Université Laval. C’est lui qui a guidé nos doctorats. Il prônait une nouvelle vision de la géographie et de la ville. Ce qu’on appelle la géographie structurale et la théorie de la forme urbaine. On y aperçoit qu’il y a un lien entre l’économie foncière, la spéculation, et l’économie du travail. Quand le travail baisse, les classes populaires deviennent dangereuses, alors il faut les éloigner des lieux du pouvoir décisionnel. Il est plus rentable de construire des autoroutes pour les éloigner le plus possible et on rassemble les riches qui se protègent entre eux dans des centres-villes rénovés. St-Roch est à cheval entre plusieurs tendances, parce qu’il combat, de même que St-Jean-Baptiste. Les quartiers centraux combattent parce qu’ils veulent vivre ensemble ces gens-là et ils refusent de se soumettre à la loi du profit. Québec est une ville très intéressante à ce niveau. Les luttes urbaines du quartier St-Jean-Baptiste sont connues dans le monde entier, dans la géographie urbaine, on en parle à plusieurs endroits parce qu’il s’agit d’un modèle de résistance. Tout ce qui se passe à Québec est très intéressant et cela promet pour l’avenir.
- À Québec et au CAPMO !
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Je trouve que Marc a bien démontrer combien est dysfonctionnel le réseau de transport actuel. Cela peut même nous aider dans nos actions et revendications relativement aux parcours. C’est super pertinent et cela me fait penser que le transport en commun, lorsqu’il est fonctionnel et efficace, c’est aussi bon pour le développement économique de la ville et de ces quartiers. Le problème, c’est que nous semblons incapables de voir le profit d’une économie qui serait viable et prospère à long terme, tout en étant inclus dans le vivre ensemble.
- Ce serait comme construire le Buen vivir en partant d’une ville et de son transport en commun.
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Je vous remercie d’avoir participé à cette rencontre.