Événement Romero 2019 – Interculturalité et engagement social #12
Journée internationale du droit à la vérité pour les violations flagrantes des droits humains
Le 24 mars 1980, Monseigneur Oscar Arnulfo Romero a été assassiné par les escadrons de mort de l’armée salvadorienne à l’hôpital pour malades du cancer de la Divine Providence à San Salvador. Aujourd’hui, nous commémorons le 39ème anniversaire de sa mort.
Ce dimanche 24 mars 2019, le Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert, CAPMO, la Casa-latino-américaine, le Collectif Colombia humana, Développement et Paix et la communauté salvadorienne de Québec, vous présentent une table ronde sur l’Amérique latine dans le cadre de la «Journée internationale du droit à la vérité pour les violations flagrantes des droits humains et la dignité des victimes». Nous remercions chacun d’entre vous pour votre présence. À cette occasion vont prendre la parole les invités suivants :
Élisabeth Desgranges est animatrice régionale de Développement et Paix depuis plus de dix ans. Elle a travaillé huit ans au Guatemala avec différents groupes de la société civile comme coopérante volontaire. Elle abordera le thème de la migration en Amérique centrale.
Mario Gil est sociologue dirigeant du Collectif pour une Colombie Humaine. Il travaille avec la communauté Latino-Américaine à Québec. Il est réfugié au Québec depuis 18 ans. Il va nous parler des leaders sociaux assassiné actuellement en Colombie après la signature d’un accord de paix.
Victor Hugo Ramos est anthropologue de profession et leader de la Casa latino-américaine, solidaire de la communauté des immigrants à Québec et sur la situation au Venezuela et en Amérique latine. Victor est originaire du Paraguay, il habite au Québec depuis une quarantaine d’années.
Yves Carrier est coordonnateur du Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert et docteur en théologie de l’Université Laval. Expert de la Théologie de la libération et de la pensée d’Oscar Romero, il est l’auteur de quatre volumes sur l’histoire de l’Église en Amérique Latine.
Nous commencerons par entendre Élisabeth Desgranges. Dario Garcia
Je voudrais commencer mon intervention en vous rappelant que nous sommes sur un territoire wendat non cédé. Comme plusieurs, je me sens honorée qu’on accepte notre présence sur ce territoire et je considère qu’il faut en prendre soin et reconnaître aussi les tords qui ont été causés et qui sont toujours causés aux Premiers Peuples du Canada. On m’a invité à prendre la parole sur ce panel qui porte sur l’Amérique latine pour aborder la question des migrations.
J’ai beaucoup réfléchi, cela m’intéresse beaucoup comme phénomène, je travaille à Développement et Paix et, en ce moment, nous portons une campagne sur le phénomène des migrations forcées. J’ai habitée au Guatemala pendant huit ans comme coopérante volontaire. Je trouvais cela un peu intimidant de venir vous parler de migration ici dans une rencontre principalement latino-américaine. J’ai décidé de partir de mon expérience personnelle, plus sur la base de ce que j’ai vu et compris du phénomène des migrations en Amérique latine. Ceci dit avec toutes les limites que cela implique de parler à partir de ses propres observations.
Quand je suis arrivée au Guatemala en 2002, c’était au moment où la mission des Nations unies pour l’application des accords de paix était en train de se retirer. C’était un moment où techniquement les accords de paix de 1996 devaient être effectifs, mais on sentait bien que le retrait de la mission onusienne ne signifiait pas que le travail était terminé. Il y avait une étape, un cheminement avait été fait. J’habitais à Huehuetenango, ville du nord-ouest du Guatemala près de la frontière avec le Chiapas pour ceux et celles qui connaisse le coin. C’est une région montagneuse, assez isolée, où la guerre a fait beaucoup de mal. Comme jeune coopérante, j’arrive au Guatemala et j’avais aussi le désir de découvrir le pays. Ce qui a fait qu’à chaque fois que j’en avais l’occasion, je prenais l’autobus et j’allais découvrir un coin de pays. J’ai beaucoup voyagé à l’intérieur du Guatemala également pour des raisons de travail.
Je voyageais habituellement en autobus. Les autobus vont partout. C’est la meilleure façon de voyager, la façon la plus économique et la plus démocratique. La courte période où j’ai eu une voiture, j’ai réalisé à quel point cela me déconnectait de la population. Alors je suis retournée dans les transport en commun. C’est dans les autobus qu’on découvre à quel point le pays est peuplé, peuplé de diversités et de toutes sortes de monde qui circulent énormément. Ces déplacements constants m’ont permis de côtoyer, de voir, de constater la migration. Au début, en tant que jeune Québécoise, on ne s’aperçoit pas trop des différences qu’il y a entre un Guatémaltèque et un Salvadorien, un Hondurien ou un Nicaraguayen. Mais, rapidement, à force d’observation et de discuter avec d’autres, on voit que les autobus sont contrôlés. Sur la route que j’utilisais, il y avait un poste de contrôle des fruits et des légumes. C’est une zone où le bus s’arrête et des agents de l’État montent à bord pour vérifier les sacs à la recherche de fruits, mais ce qu’ils cherchaient le plus c’était des migrants. À chaque fois, il y avait les hommes qui étaient invités à descendre de l’autobus, et il y avait souvent des gens qui ne rembarquaient pas. C’est un phénomène qui m’a interpellée et j’ai commencé à poser des questions autour de moi. Lorsqu’il y avait un contrôle des passeports, les agents faisaient le tour, mais ils ne me demandaient jamais le mien. On me regardait en disant: “Je n’ai pas besoin de voir ton passeport.” C’est à l’intérieur de toutes ces petites anecdotes de la vie qu’on réalise ce que c’est qu’être une personne migrante. Le Guatemala fait partie du C4, les quatre pays d’Amérique centrale où il y a une libre circulation à l’intérieur des frontières pour les résidents de ces pays. Pour nous les Nord-Américains, cela signifiait que nous devions sortir jusqu’au Mexique ou au Costa Rica tous les quatre mois, mais pour les Centro-américain, cela voulait dire qu’ils pouvaient circuler en toute liberté. Cependant, on réalisait assez rapidement qu’il y avait quand même des contrôles frauduleux. Il y avait des contrôles où les gens étaient invités à montrer leur passeport même s’ils avaient le droit d’être là. Cela se produisait, mais pas par des autorités compétentes autorisées à faire cela.
Les contrôles étaient le fait de n’importe qui. Par exemple, l’inspecteur du ministère de l’agriculture n’était pas supposé s’occuper de migration, mais tout d’un coup, il se mettait à vérifier les passeports des gens. À partir de là, il y a des frais qui sont exigés, des pseudos-taxes qui sont imposées aux personnes migrantes. Plus on s’approchait de la frontière, plus on sentait cette pression. On réalise à quel point les gens sont vulnérables et qu’ils dépendent beaucoup de leur passeur. J’ai rapidement compris que cela faisait partie de la culture locale. Nous avons beaucoup parlé de la banalisation de la culture du viol parce que la banalisation autorise le passage à l’acte sans qu’il n’y ait de conséquences. Alors au Guatemala et au Mexique, la culture de la migration et de l’exploitation des personnes migrantes existe aussi. Cela se voit. Dans l’autobus, on sentait qu’il y avait des gens qui étaient en détresse parce que lorsqu’ils descendaient pour être contrôlés, parfois ils ne pouvaient pas remonter, parfois, il y avait des frères et des sœurs qui étaient séparés comme ça parce qu’ils ne pouvaient pas payer et ils restaient aux postes de contrôle. À d’autres moments, c’était les chauffeurs d’autobus qui faisaient signe au contrôleur qu’il n’y avait pas de migrants dans le bus. Certains policiers en-dehors de leurs heures de travail et de leur zone de travail, faisaient des contrôles sur les routes.
À un moment donné, j’ai décidé d’apprendre à conduire une moto et j’ai pris un cours de conduite. Cela commençait par le cours théorique. Au début du cours, tout le monde disait pourquoi il voulait apprendre à conduire. Il y a un jeune qui a dit qu’il voulait apprendre pour amener les gens à la frontière. Tout le monde est parti à rire et ils ont dit : “Nous avons un futur passeur parmi nous.” Alors, c’est juste drôle. C’est interpellant de voir que toute cette économie informelle est permise également à travers le fait que les gens ne connaissent pas leurs droits et qu’il est permis que cette économie tourne autour des personnes migrantes. Il y a des petits hôtels qui vivent de la migration. Il m’est arrivée d’assister à des cérémonies religieuses de protection où c’était tout un groupe qui partait en migration. On faisait la bénédiction des personnes migrantes. C’est une réalité qui est omniprésente. On en entend toujours parler, un tel vient de partir, un tel habite aux États-Unis. Tout cela se fait dans le secret et tu ne peux pas dire à tes amis que tu te prépares à partir à l’étranger. Souvent, cela se fait du jour au lendemain. Tu reçois un coup de fil de ton conjoint, de ta blonde, qui dit : “On se verra plus parce que je viens de partir.” Tout ce fait dans le secret parce que les passeurs ne veulent pas que les gens le disent. Il ne faut pas que cela se sache, on est dans la clandestinité. Cela rend les gens vulnérables. Quand on n’en parle pas, on ne peut pas convaincre les gens de ne pas partir, on ne peut pas encadrer avec qui ils vont partir et comment. Cela fait que quand les gens disparaissent sur la route et cela arrive trop souvent, il est très difficile de les retrouver. Il m’est arrivée qu’une famille vienne me voir parce qu’ils cherchaient leur fils qui était parti. Le téléphone avait sonné une fois, il était aux États-Unis et ils n’ont plus jamais eu de nouvelles de leur fils. Quand on appelle aux centres qui accueillent les migrants, il est très difficile d’avoir de l’information, d’avoir du suivi.
Il y a un abus des personnes du fait que les gens ne connaissent pas leurs droits. La société civile, les ONG, organisent des séances d’information, ils essayent d’éduquer les gens, de leur dire que s’il n’y a pas quatre policiers, ce n’est pas un vrai contrôle. S’ils sont juste deux, tu n’es pas obligé d’arrêter. Tu n’es pas obligé d’avoir tes papiers avec toi. Toutes ces choses que les gens ne savent pas. On sait aussi que les défenseurs des droits humains sont parmi les gens les plus en danger. C’est un travail qui est difficile. Tout le temps où j’ai été là, j’ai vu beaucoup de projets menés par certains organismes de coopération, notamment la Coopération espagnole faisait beaucoup d’éducation populaire sur la question de l’immigration. J’ai vu des tonnes d’exposition de photos, des films, sur les conditions des migrants, sur le senti des gens qui migrent, sur les dangers, les illusions, sur les conséquences négatives de la migration, de quitter ton pays, tout l’impact que cela a sur le tissu social de la communauté quand les hommes partent.
Ensuite, les femmes se sont mises à partir, alors on s’est mis à parler des conséquences négatives sur le foyer et les enfants. Par contre, il y avait très peu de choses sur les motifs qui poussent les gens à partir. J’ai vu beaucoup de choses sur les impacts, sur le PIB de la nation. Au Guatemala, les envois d’argents à leur famille par les expatriés représentent le plus fort pourcentage du PIB. J’ai vu beaucoup de choses sur ce que cela apporte au pays et aux familles, que ce soit positif ou négatif, mais j’ai rarement vu des campagnes ou des études, des livres, des expositions de photos, sur les raisons qui poussent les gens à partir.
C’est ce qui m’amène à aborder la question de la caravane des migrants que nous avons vu à la télévision cet automne. C’est un appel qui a été lancé : “Vous vivez une situation difficile, insoutenable, il faut partir de façon visible et sécuritaire.” Ce n’est pas vrai que les passeur sont des facteurs de sécurité pour les personnes migrantes. Ce sont plutôt des personnes qui abusent des migrants, mais cela demeure plus sécurisant que de partir seul. Donc, l’appel à s’auto-organiser pour avoir une meilleure sécurité et aussi pour que cela coûte moins cher, parce qu’engager des passeurs, c’est cher. Cela représente des grosses dettes qui sont appelées à croître à chaque obstacle. Donc, la caravane des migrants qui dans les médias était traitée comme quelque chose de nouveau, 7000 personnes environ, alors que pour moi ce n’était rien de nouveau. Ce qui l’est, c’est qu’ils se sont organisés en y allant de façon visible à la lumière du jour, en disant pourquoi ils partaient. Parce que les conditions économiques étaient trop difficiles, que cela mettait leur vie en danger, que les conditions de violence en Amérique centrale sont épouvantables. Il y a des pays où le taux d’homicide est plus élevé que dans des pays en guerre. C’est absurde.
Toute cette question de la Caravane des migrants, personnellement, je trouve que c’est un acte de courage. Je veux aussi saluer toute la solidarité de l’accueil de ces caravanes qui ont traversé toute l’Amérique centrale et le Mexique. J’ai vu beaucoup de choses super positives de gens qui ont accueilli les personnes migrantes alors qu’auparavant l’attitude générale était de les ignorer en regardant ailleurs quand les gens avaient des problèmes. Le fait que cela ait été fait aux yeux de tous a permis une grande visibilité dans les médias et de mettre le focus sur comment ils sont reçus et est-ce que la dignité des personnes migrantes est reconnue dans le processus migratoire ? Je pense qu’effectivement on voit que non. Les personnes migrantes sont considérées soit comme des migrants, soit comme des réfugiés, soit comme une main-d’oeuvre potentielle, soit comme une ressource humaine, et rarement comme des êtres humains dignes de considération qui ont le droit de manger et de vivre dans un environnement exempt de violence. Reste à voir qu’est-ce que cela va donner avec cette caravane là?
En ce moment, il y a 65 millions de migrants forcés dans le monde, avec les changements climatiques, on prévoit qu’ils seront 250 millions de réfugiés climatique en 2050. Donc la question de la migration n’est pas quelque chose que nous allons régler demain. Ce n’est pas un problème qui va disparaître. Depuis la nuit des temps, il y a des migrants sur cette planète. Donc, comment on doit réagir, comment on doit construire une réponse ? Il y a une tentative avec les deux pactes sur les réfugiés qui ont été signés par le gouvernement du Canada. Cela prend une réponse solidaire internationale.
Ce ne sont pas juste les gens qui accueillent les migrants, c’est tout le monde ensemble qu’il faut répondre à ça. Je crois que la libre circulation des individus est un droit fondamental qui est inexistant. Il existe présentement une iniquité principalement basée sur le pouvoir économique. Il y a des gens qui peuvent aller où ils veulent quand ils le veulent et il y a plein de gens qui ne peuvent pas. Qui plus est, les gens qui ne peuvent pas sont à la fois ceux qui nourrissent ceux qui peuvent. Je trouve cela d’autant plus odieux. J’ai apporté une pétition qui demande au gouvernement d’appuyer les organisations citoyennes qui font la promotion de la paix, de la démocratie et des droits humains, qui demandent d’investir davantage dans des solutions diplomatiques et pacifiques pour permettre aux personnes migrantes de rentrer chez elles ou de rester chez-elle parce qu’idéalement tout le monde veut être chez soi et personne ne veut être obligé de fuir son pays. Élisabeth Desgranges
Je passe maintenant la parole à Mario Gil. (Dario)
Aujourd’hui, la migration est un sujet qui concerne tous les peuples d’Amérique latine et d’Afrique à cause des effets du néolibéralisme. Le sujet que je vais aborder est la Colombie et la condition des droits humains. Malgré le fait qu’il y ait eu certaines avancées dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la démocratie, en même temps, la Colombie a suivi l’exemple chilien des politiques néolibérales. Ces politiques font reculer les droits politiques et sociaux qui avancent sur le papier, mais régressent dans les faits.
Pendant les années 1980, un premier accord de paix a été signé avec les FARC, d’autres mouvements de guérilla et l’État qui va générer la possibilité de créer un parti politique : l’Union patriotique. Ce parti a été créé en 1985 et c’est la seule chose qui est restée de l’accord de paix parce que le président suivant ne l’a pas respecté. L’Union patriotique est demeurée et ils se sont alliés avec plein de mouvements sociaux progressistes de gauche, dont le Parti communiste, et se sont dissociés de la guérilla. À la fin des années 1980, le gouvernement a formé des groupes paramilitaires armés et financés par les grands propriétaires terriens, par des haut-gradés de l’armée aussi, et les intérêts de l’État voulant en finir avec la gauche. Alors ces groupes paramilitaires commencèrent à s’attaquer à tout ce qui s’apparentait à la gauche dans le pays.
En 1991, un nouvel accord de paix est signé, cette fois avec le Mouvement du 19 avril, M19. cet accord va marqué les débuts d’un grand élan d’assassinats sélectifs qui signifiera l’extermination des cadres de l’Union patriotique, près de 3000 morts reconnus, mais certains affirment qu’ils seraient davantage, 4000 à 5000 morts. En 1992, il y avait trois candidats aux élections présidentielles ayant de nombreuses chances de l’emporter. Mais, à cette époque, il y avait deux à trois assassinats de dirigeants politiques à chaque jour à la grandeur du pays. Ces meurtres étaient liés à la dispute pour le pouvoir dans les régions pour les différentes entités publiques de l’État. En 1991, la constituante est instaurée et elle va générer une nouvelle période démocratique en Amérique latine. La constitution adoptée est la plus importante et la plus moderne, la plus démocratique de la région, elle va inspirer toutes les autres constituantes au Venezuela, en Équateur, en Bolivie. Mais tout ces droits ont été bafoués un-à-un. Ce contexte conduit à la négociation d’un autre accord de paix en 1997 entre les FARC et l’État. Cette fois encore, il s’agissait d’une arnaque autant pour ce groupe que pour l’État. Les FARC croyaient qu’ils allaient renforcer leur pouvoir tandis que le gouvernement a conclus avec les États-Unis le Plan Colombie, un plan qui devait supposément combattre le narco-trafique, alors qu’il s’agissait dans les faits d’un plan pour attaquer les mouvements populaires et s’emparer des terres des paysans.
Pendant les années 1980, on disait que la guérilla était comme le poisson dans l’eau parce que le combattant vivait parmi le peuple sans que cela ne paraisse. Le plan des Américains consistait à enlever l’eau aux poissons et ils se sont attaqués aux populations qui supportaient les guérillas. Peu-à-peu, les populations ont subi des massacres incroyables, des centaines de personnes à chaque fois, dans des régions où il y avait la présence de la guérilla. C’était des populations démunies qui n’avait rien è voir avec le conflit. Petit-à-petit, les gens ont adopté le discours dominant à l’encontre de la guérilla comme si c’était à cause d’eux qu’ils étaient massacrés. Ce discours identifiait le narco-trafique avec la guérilla en oubliant tous les autres problèmes : le manque de terre, les possibilités de vendre leurs produits, la présence des multinationales, la pollution industrielle, l’abandon de l’État, etc. Cet accord de paix n’a pas abouti.
Cette période est suivie par le triste règne de Alvaro Uribe, président de la Colombie de 2002 à 2010. Ce dictateur a semé la mort et la terreur partout. La première opération de répression qu’il réalise a lieu dans un quartier populaire de Medellin, l’une des plus grande ville du pays. Cette action a lieu pour combattre une milice de gauche en alliance avec les paramilitaires et toutes les forces armées colombienne. Ils vont assassiner tous ceux qui se trouvent sur leur chemin. Il y a plein de morts et pendant des années, cela a été caché aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale. Ce n’est que maintenant que la vérité est en train de sortir et permet de voir toute l’obscurité de ce gouvernement. Mais après Uribe, les négociations de paix ont repris avec le président José Manuel Santo qui est parvenu à signer avec les FARC en 2016.
Les FARC existent depuis 1963, c’est la plus ancienne guérilla d’Amérique latine et aujourd’hui, ils ont déposé les armes. Cet accord permettait de revenir à la vie civile à l’aide de mesure spécifiques comme la justice, entrepreneuriat, des bourses d’études, des terres à cultiver, une pension pour les anciens guérilleros, des élément comme cela. Cependant, ce qui va à l’encontre de cela, c’est l’extrême droite qui est revenue au pouvoir avec l’actuel président Ivan Duque, le dauphin d’Uribe. Actuellement, la Colombie se retrouve encore une fois dans une crise majeure. Depuis la signature des accords de paix en novembre 2016, 458 leaders sociaux ont été assassinés (24 mars 2019). Cela représente environ deux leaders sociaux abattus tous les trois jours. Qui sont ces gens ? Ce sont des paysans, des leaders communautaires qui vivent dans des régions où le pouvoir se sent menacé de perdre le contrôle sur les populations. Il y a des endroits où ce sont des communautés organisées, petites ou grandes. Il y a des assassinats à tous les jours. Il y a trois jours, il y a eu un massacre de huit autochtones en revendication pour leur territoire. Ils ont bloqué la route panaméricaine qui conduit à l’Équateur.
Qui sont les responsables de ces assassinats ? Les responsables se présentent sous le nom des Aigles noirs, mais des analystes ont démontré que ce groupe n’existe pas. Pendant les années 2010 et avant, les paramilitaires ont signé un accord de paix avec le gouvernement, mais celui-ci s’est transformé d’une organisation paramilitaire au niveau national à une sorte de structure de mise en marché du crime. Aujourd’hui, tu arrives dans un bureau et tu achètes la mort, le massacre, l’assassinat, une séquestration, ou le déplacement forcé d’une population. C’est comme cela que ça se passe. C’est un pouvoir qui contrôle une grande partie du pays, autant le domaine urbain que rural.
(La Colombie compte 7.7 millions de déplacés internes)
Il y a aussi le cartel de Sinaloa qui vient du Mexique pour le commerce de la cocaïne et d’autres groupes de narcotrafiquants. Il y a d’autres groupes qui sont en train de confronter le pouvoir parce que l’État n’a pas fait son travail. La seule chose que fait maintenant l’État après les accords de paix, c’est d’assurer les investissements étrangers. Après l’accord de libre-échange avec le Canada, signé en 2011, les compagnies minières canadiennes sont protégées. C’est pour cela que le gouvernement canadien est allié au gouvernement colombien dans ses ambitions impériales parce que la Colombie protègent les investissements étrangers.
Parmi les victimes, on retrouve 16 afro-descendants, 30 leaders paysans environnementalistes, 90 leaders sociaux et défenseurs des droits humains, 4 leaders étudiants, 34 leaders autochtones, des membres de la communauté GLBT et des communicateurs, etc. La Colombie est le pays avec le plus grand nombre d’activistes assassinés en Amérique latine depuis la mort de Berta Caceres, il y a trois ans. Le Mexique et la Colombie sont les pays les plus atteints, la Colombie occupant le premier rang. C’est aussi le troisième pays avec le plus grand taux d’impunité dans le monde après le Mexique et les Philippines. Des 458 assassinats de leaders sociaux, seulement 30 ont été éclaircis. Pour les autres, les autorités disent qu’ils sont toujours sous enquête, mais rien ne se fait. Les zones de conflits les plus importantes se trouvent là où il y a de l’or, du coltan, de l’eau pour les barrages, et sur les frontières où passent les narcotrafiquants. La grande violence est présente où il y a des communautés organisées qui revendiquent leurs droits territoriaux.
Le principal problème environnemental en Colombie, c’est la pollution de l’eau principalement à cause de la présence des exploitations minières légales et illégales. C’est comme cela que fonctionne l’économie. L’extraction illégale utilise beaucoup de mercure et plein d’éléments chimiques pour purifier le métal qui s’en vont directement à la rivière. Personne ne contrôle cette pollution. Ces mines sont protégées par des groupes armés privés, par des milices privées que l’État ne combat pas. Ce sont les autochtones dans leurs territoires qui combattent les mines illégales.
Hydroituango est un barrage hydroélectrique qui a été planifié il y a 40 ans. En 2010, il y a eu un scandale. Je ne sais pas si vous connaissez l’affaire Odebrecht ? C’est l’affaire de la corruption en Amérique latine qui a touché tous les pays: Brésil, Chili, Équateur, Argentine, Pérou, Colombie, mais qui a servi également à détruire politiquement certains pays. En Colombie, cela n’a pas encore été jugé. Un de ses alliés qui s’appelle Carvalho Cabrera, est en charge de la construction du projet de Ituango. C’est le plus grand barrage hydraulique de toute l’Amérique latine. C’est immense, ils ont du arrêter une rivière au complet pour le construire et c’était la troisième rivière la plus importante de Colombie. Le barrage a coûté le double de ce qui était prévu et il peut s’écrouler à n’importe quel moment, menaçant les vies des personnes vivant en aval. Nous sommes dans une situation limite. Il y aune organisation qui s’appelle Rios vivos qui défend les populations vivant près de cette rivière. Il y a trois éléments critiques dans cette situation. La Caisse de Dépôt du Québec a investi dans le projet de Hydroituango parce que c’est une façon de générer de l’énergie propre. Mais qu’est-ce qu’il y a derrière ? Entre 300 et 600 personnes ont été tuées lors de plusieurs massacres ayant eu lieu dans toute la région pour imposer le projet de barrage dans les années 1990. Aujourd’hui, les familles veulent savoir ce qui s’est passé avec leurs parents été assassinés et jetés dans la rivière. Ils veulent récupérer les corps de leurs défunts et connaître la vérité. Cela n’a jamais été pris en compte par la Caisse de Dépôt qui prétend qu’il s’agit d’un investissement responsable.
Avec les Accords de paix, un Tribunal pour la justice et la paix a été mis en place. Il cherche à savoir la vérité, mais l’extrême-droite colombienne est en train d’attaquer ce tribunal. C’est une façon de nier l’existence d’une vérité par rapport à ces crimes contre l’humanité, contre les paysans. Hydroituango est l’exemple le plus parlant de ce qui se passe en Colombie. Cette année seulement, à cause de Hydroituango, sept leaders ont été assassinés dans une seule région. Ces leaders demandent une restitution pour les gens et que l’État assume ses responsabilités pour que le barrage soit sécuritaire. L’entreprise a complètement asséchée la rivière en aval, alors l’économie des paysans est complètement détruite. Ce sont des éléments concrets qui démontrent les véritables intentions qui se cachent derrière des projets environnementaux. Il y aurait beaucoup de choses à dire, nous sommes dans une urgence incroyable et vous pouvez me poser des questions. (Mario Gil)
Je passe maintenant la parole à Victor Hugo Ramos, anthropologue. (Dario)
Les deux conférenciers précédents ont dit des choses enracinées dans la réalité. Ce que je vais faire, c’est essayer de nous donner un cadre de référence pour mieux comprendre tout ce qui se passe. Vous savez bien que nous avons été inondés de demi-vérités et de grands mensonges par les médias. Alors, comment comprendre la situation en Colombie, en Amérique centrale, au Venezuela et dans le reste de l’Amérique ? Je ne parlerai par du Venezuela, ce que je vais vous présenter, c’est surtout des idées générales et des constats que nous apporte l’histoire. Au-delà des faits, quels sont les enjeux stratégiques en ce qui concerne le Venezuela ? C’est ce qui compte fondamentalement. Pour savoir, il faut comprendre.
Enjeux fondamentaux globaux
Les États-Unis
Contexte actuel
Le visage vénézuélien du monroïsme.
Pourquoi faire cet exercice ? Parce qu’il est fondamental de replacer les faits qui vont dans tous les sens, mais surtout dans celui d’une désinformation. Pour comprendre ces faits et pour placer la solidarité dans ces enjeux stratégiques, pour faire en sorte que nos actions solidaires atteignent leurs objectifs et pour que nos actions solidaires avec un peuple, soit une solidarité réciproque parce que les défis que nous avons présentement ne seront pas résolus seulement par des actions isolées, mais par des actions concertées qui visent à bâtir un autre monde sur la base de la justice et l’inclusion. Nous connaissons tous la globalisation néolibérale qui oppose un énorme défi. Cette globalisation met en péril non seulement nos économies, mais nos cultures, nos identités, nos organisations sociales et politiques. Elle diminue et détériore les libertés démocratiques à l’intérieur de chaque pays, place les mouvements sociaux dans des situations difficiles pour manifester, criminalise les manifestations sociales qui appartiennent à nos droits fondamentaux. Il se produit une détérioration dans le sens d’une plus grande dépendance à cause de l’influence des grands puissances. Les transnationales sont en train de se substituer aux pouvoirs des États démocratiques en influençant leurs politiques. Si ce n’est pas le cas, comment cela se fait-il qu’après 40 ans de néolibéralisme, 1% des habitants de cette planète possèdent davantage que tout le reste de l’humanité. Ce n’est pas parce qu’ils favorisent les citoyens et les citoyennes, mais bien parce qu’ils favorisent les transnationales.
Indépendance et démocratie sont centrales, sinon c’est la domination des puissances économiques et des pays les plus riches qui font pression sur les pays subalternes pour qu’ils servent leurs intérêts. On sait tous qu’à ce moment, ce qu’on appelle le néolibéralisme n’est qu’une des formes d’expression d’un capitalisme très développé qui a la primauté partout. Il cherche à enfermer, à interdire, toute velléité de souveraineté nationale au niveau social. Cette domination externe a besoin d’un système d’oppression interne dans chaque pays pour se maintenir. C’est ce que vient de nous dire Mario, c’est aussi ce qui se passe dans tous les pays d’Amérique latine, y compris ceux qu’on dit démocratiques. Voyez ce qui se passe en France avec les Gilets jaunes, il y a une répression féroce pour faire taire leurs revendications. De plus en plus, c’est l’État contre le peuple et contre leurs propres citoyens. Ces forces de domination sont nécessaires à cause de l’oppression extérieure aux nations. C’est ce qui se produit au niveau général.
Le capitalisme est apparu en même temps que la conquête de l’Amérique entre le XVème siècle et le XIXème siècle. À cette époque, pour dominer les autres, qu’est-ce qu’on faisait ? On a instauré le colonialisme. Qu’est-ce qui caractérise ce système ? C’est qu’il a besoin d’une présence politique visible dans ses colonies. C’est ce que nous avons vécu en Amérique latine avec la domination espagnole jusqu’à ce que nous faisions notre indépendance. La même chose est arrivée en Afrique, en Asie, etc. Aujourd’hui, avec ces capitalistes et cette globalisation néolibérale, qu’est-ce qui se produit ? Ils n’ont plus besoin de mettre leurs laquais dans les pays. Les oligarchies internes leur suffisent comme complices, ils font le travail que faisait avant les colonisateurs. Cela change quelque chose parce qu’ils sont beaucoup moins visibles. C’est une sorte de sous-traitance de la spoliation et de la domination. C’est très à la mode la sous-traitance. Je vais vous lire un extrait qui explique le fonctionnement du libre-marché, la fameuse main invisible décrite par Adam Smith, un mythe qui n’existe pas et qui fonctionne en symbiose avec un poing. Cet extrait provient d’un éditorial du New York Time du 28 mars 1999 : « La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing caché. Macdonald ne peut être prospère sans Mac Donald Douglas, le fabriquant du F-15. Le poing caché garantit un monde sûr pour les technologies de la Silicone Valley. Ce poing ce sont les forces armées américaines. »
Cela donne une idée comment marché et armée vont de pair. Le commerce et les forces armées fonctionnent ensemble. Ce sont les deux visages d’une même chose qui s’appelle la domination du monde. Comme nous sommes en Amérique, quel est l’enjeu américain ? Qu’est-ce qu’il y a de particulier pour l’Amérique ? Vous connaissez la fameuse doctrine Monroe, du président James Monroe. Qu’est-ce qu’il a dit ? À un moment donné, en décembre 1823 il a dit : « L’Amérique pour les Américains. » Pourquoi il a dit ça ? Parce que les États-Unis était la puissance montante comme premier pays indépendant des Amériques et il y avait le danger de la Sainte Alliance qui poursuivait la restauration des monarchies européennes et la reconstitution de leurs empires respectifs. Ces monarchies ont réussi à s’imposer pendant un temps. La Sainte Alliance comprenait l’Empire russe, l’Empire Austro-hongrois, et les Royaumes prussiens auxquels se sont ajoutés de 1815 à 1825, l’Angleterre et la France. Imaginez, ces puissances avaient comme objectif de restaurer les monarchies, non seulement en Europe, mais aussi en Amérique. Bien sûr que le président Monroe n’était pas en faveur de cela. C’est à ces monarchies qu’ils s’adressaient en disant que l’Amérique était réservée aux Américains. On y reconnaît la présence de cette ambition impériale pour dominer les autres nations du continent. Face à cela il y a le bolivarisme de Simon Bolivar: « Nous savons que l’indépendance, nous devons la faire ensemble en Amérique. » C’était la seule façon de parvenir à se débarrasser d’un empire aussi puissant que l’Empire espagnol.
Dans le bolivarisme, il y avait l’idée de construire une Amérique du sud unie sur la base du respect mutuel et de l’égalité des peuples, mais pas dans une vision hégémonique, différence fondamentale avec le monroïsme. Donc, dès le début il y a une confrontation entre la vision impériale des États-Unis et le bolivarisme. Cela nous permet de comprendre bien des choses qui se passent aujourd’hui. Au monroïsme est venu s’ajouter le fameux : « Destin manifeste » du peuple américain. Il s’agit d’une vision idéologique qui affirme à peu près ceci: « La divine Providence a mandaté les États-Unis d’Amérique pour guider et contrôler le reste du continent pour le bien. » Cela vient compléter le monroïsme. C’est la racine de ce qui est devenu l’impérialisme américain.
Dans notre contexte actuel, on parle tout le temps de la globalisation néolibérale transnationale, mais on parle aussi d’un Autre monde possible et celui-ci est la mondialisation inclusive. C’est la mondialisation des mondes qui inclut tous les mondes et qui en même temps se veut une mondialisation en harmonie avec la nature parce que nous commençons à comprendre que nous ne pouvons pas nous détacher d’elle et encore moins la détruire. C’est une vision totalement différente de la globalisation néolibérale. C’est le contexte général pour comprendre.
Pourquoi est-ce que je parle de cela ? Parce que le monroïsme et le Destin manifeste qui étaient destinés aux Amériques, aujourd’hui sont devenus globaux. Ces deux idéologies convergentes sont incarnées dans ce qu’est devenu ce Titanic global. Je l’appelle ainsi parce que c’est un système qui est en train de couler et que si nous ne l’abandonnons pas, nous risquons de périr avec. Ce système n’a aucun avenir devant lui. Aujourd’hui nous avons des spécialistes qui portent le nom de « catastrologue » pour catastrophe. Ce qu’ils disent : « Il n’y a rien à faire. Nous avons déjà les pieds dans une catastrophe qui est en train de se dérouler. Ce qu’il faut faire, c’est d’apprendre à vivre dans ce chaos. » Pour eux, il n’y a plus d’espoir. De l’autre côté, nous avons la mondialisation inclusive. Cette contradiction est globale. Mais ce qui est mis de l’avant, c’est le monroïsme global, le monde n’est plus pour les Américains, mais pour les transnationales. Pensez-vous que ce sont les Américains ou les Français ou bien les pays européens qui bénéficient de ça? Non! Ce sont les élites. Alors, dans cette situation, il faut réaliser que nos actions solidaires doivent être renforcées, repositionnées, pour être efficaces. Ce que je ne veux pas faire, ce sont des choses qui ne donnent pas de résultats. Nous devons continuer à travailler dans des projets de solidarité locale et globale qui ont des possibilités réelles de pouvoir marquer des points.
Aujourd’hui, nous avons des oppositions démocratiques et un gouvernement dictatorial à chaque fois qu’un pays veut demeurer souverain dans la gestion de ses richesses naturelles. Alors, on nous présente un méchant qui s’appelle Maduro, mais qui a la peau dure et le bon. Je sais très bien d’où viennent ces gens là. Je vais vous présenter les partis d’opposition : L’Action Démocratique, un vieux parti autrefois de gauche, le Copex, un ancien parti du centre, plus récemment sont apparus Voluntad popular et Justicia primero. Ces deux derniers sont beaucoup plus violents, ce sont des partis d’extrême-droite. Les quatre partis se disent démocratiques et des gardiens de la démocratie, de la justice sociale, etc. Mais, quand on sait que ces partis, sauf les deux derniers, ont gouverné à tour de rôle le Venezuela pendant quarante ans sans avoir de résultats. En 1999, le Nacional, un journal de droite, écrivait que : « 86% des Vénézuéliens vivent dans la pauvreté et 25% des enfants sont très mal nourris. » Oubliez les hôpitaux, oubliez l’accès gratuite à l’université pour tous et pour toutes. Ce sont ces mêmes gens qui en 1989 ont massacré leur propre peuple parce qu’il s’est soulevé contre la misère qu’on lui imposait. Plus de 3000 personnes seraient mortes dans le fameux Caracazo. (Du mot Caracas)
Ce sont ces gens-là qui se présentent comme les grands défenseurs de la démocratie. Au Venezuela, nous sommes devant une stratégie qu’on peut appeler monroïsme global avec des objectifs spécifiques pour l’Amérique, celui de refaire de l’Amérique latine leur cour arrière pour posséder un réservoir de richesses naturelles de même qu’un espace géopolitique vital pour se défendre de leurs propres amis européens. Nous savons tous et toutes que l’empire américain est en déclin, alors ils vont tout faire pour contrôler les Amériques. Donc notre action solidaire doit se faire sur la base d’une vision claire et que c’est seulement ensemble que nous pouvons effectuer des actions efficaces. Merci beaucoup. Victor Ramos
Yves Carrier et la pensée de Mgr Oscar Romero du Salvador (Dario)
J’ai passé plusieurs années de ma vie adulte à traduire, à classifier, à analyser et à interpréter la pensée de Mgr Oscar Romero et à étudier les grands auteurs de la Théologie de la libération. Par rapport à ce qui se passe au Venezuela, cela m’a consterné de constater toute la désinformation à laquelle nous sommes soumis et la non information en ce qui concerne le Honduras, au coup d’État de 2009, à la fraude électorale lors des dernières élections de l’année dernière où le gouvernement a débranché l’ordinateur central pendant 24 heures parce que les résultats ne le favorisaient pas. Heureusement pour eux, l’ordinateur avait changé d’avis lorsqu’il a été rebranché. Ensuite le gouvernement du Canada a reconnu ce gouvernements usurpateur et on voit la population obligée de partir parce que la mafia dirige ce pays. Au Honduras, la mafia, le gouvernement, la police, l’armée, le système judiciaire et les pays occidentaux, dansent tous ensemble une joyeuse farandole. Pendant ce temps, les médias internationaux répètent ces mensonges et il n’y a plus d’analyse qui se font à partir du terrain. Nous voyons nos journalistes, lorsqu’il y en a, parce qu’ils ont tellement coupé à Radio-Canada qu’il n’y a plus de correspondants à l’étranger pour nous informer, qui débarquent à Rio de Janeiro avant le second tour du scrutin présidentiel et notre grand journaliste Jean-Michel Leprince, comme pas hasard est chez le meilleur ami du candidat de l’extrême-droite, l’un des hommes les plus riches du Brésil, qui nous explique que Bolsonaro est un sacré bon gars.
Il m’arrive aussi de lire des articles publiés dans des journaux étrangers El Pais, Le Monde, El Mercurio , O Globo ou The Guardian, tous ces journaux sont unanimes et disent la même chose, comme dans une grande boite à écho que Radio-Canada et nos médias ne font que reproduire. C’est le même message, mais en consultant des sources alternatives d’information sur Youtube, on s’aperçoit qu’il y a des lignes éditoriales qui ont été données alors que la précarité d’emploi et le niveau d’endettement universitaire, forcent les journalistes à la plus grande docilité. Cela contraint énormément la liberté de presse et les journalistes qui ont la chance d’occuper un emploi sont prêts à écrire ce que leurs patrons leur demandent. Quelqu’un rapportait qu’au New York Time, à chaque fois que le nom du président Maduro était mentionné dans un article, il fallait écrire dictateur avant son nom et si un journaliste ne le faisait pas systématiquement, cela lui était reproché en réunion de production. Cela nous est rapporté ensuite, sans esprit critique, par les médias québécois. Plus récemment, à Radio-Canada, c’était Fidel Castro le dictateur. Je n’adhère pas à cette réduction de ce grand personnage de l’histoire qui a du agir dans des conditions pour le moins adverses.
Pour revenir au Salvador, je cherchais un angle d’approche pour faire ma présentation sur la pensée de Mgr Romero. Présentement, partout dans le monde, ce qui est à la mode en politique, c’est la narration, la présentation des faits et l’interprétation des événements selon certains angles d’intérêts. Au fond, c’est toute la question de l’hégémonie, qui va gagner la bataille de l’opinion publique dans chaque pays avec les grands médias de masse ? C’est tout à fait comme Georges Orwell le décrivait, une pensée unique nous est imposée, comme quoi il faut bombarder l’Irak, il faut bombarder la Libye, il faut envahir la Syrie ou l’Afghanistan, et pourquoi pas une guerre avec l’Iran ou le Venezuela ? Tout cela, pour aller les évangéliser avec la sainte parole de la démocratie et des droits humains.
Là, je me suis demandé : Qu’est-ce que Romero a à dire dans tout cela ? Mgr Romero est toujours d’actualité parce qu’au fond il s’est battu contre un régime fasciste. Il a pris la parole pour défendre la dignité humaine, les droits humains, la justice sociale, la liberté d’expression, etc. Cela adonne que le fascisme revient à la mode présentement, alors Mgr Romero est d’autant plus d’actualité. Qui plus est, sa parole transcende les frontières de son pays pour s’adresser au monde entier. Sa parole est pertinente partout parce que les idéologies fascistes pullulent. Il en aurait même aux États-Unis à ce qu’il parait. Dans l’histoire de Mgr Romero, je suis parvenu à identifier quatre trames narratives. Nous pourrions en repérer davantage, mais j’ai choisi de privilégier celles-ci parce qu’elles servent bien mon propos.
Première trame narrative : J’ai ici avec moi la Bible latino-américaine qui est un livre tout à fait subversif, au Salvador à l’époque de Mgr Romero, les gens se faisaient tuer par les forces de l’ordre s’ils étaient capturés en possession de ce livre. Pourquoi, à cause de Rutilio Grande, jésuite et premier prêtre martyr du Salvador. C’est lui qui a initié les premières communautés ecclésiales de base en 1972-1973 dans la région d’Aguilares. Les paysans salvadoriens, comme la plupart des latino-américains, étaient croyants. On leur avait inculqué une foi qui leur disait que leur récompense après une vie de misère, endurée docilement, serait d’avoir la vie éternelle après leur mort. Cette foi fataliste leur disait que s’ils étaient pauvres, c’était la volonté divine et qu’il n’y avait rien à faire. Avec le Concile Vatican II et Medellín, les communautés ecclésiales de base vont être mises de l’avant.
La pédagogie portée par cette ecclésiologie, c’est que les gens du peuple vont s’approprier la Parole de Dieu pour apprendre à interpréter leur réalité et la volonté divine sur leur vie. Ces échanges les amènent progressivement à prendre conscience de la nature même de l’histoire et ce qui y est en jeu ? Ce qui s’y trouve, c’est un projet de société pour une nation, mais ce projet de justice et de fraternité est adressé à toutes les nations à partir du moment où les gens se réunissent en petit groupes, qu’ils interprètent leur réalité en cherchant à trouver des réponses communes à leurs problèmes communs. Évidemment, étant en quête d’espoir, ils choisissent les passages les plus parlants, ceux qui traitent de situations de libération et d’oppression. Ils y découvrent la présence et l’agir d’un Dieu de justice qui a un parti pris pour les opprimés. Ce n’est pas le dieu des pharaons ou des empereurs romains, ce n’est pas le dieu des rois ou des multinationales, ni celui de Georges Bush.
En réalisant cela, les gens découvrent l’espoir, leur dignité humaine, « ce ne sont pas des misérables comme on leur avait toujours dit », et qu’ils et elles sont des fils et des filles de Dieu. Ce n’est pas n’importe quoi! En plus, ils se mettent à avoir des idées en même temps qu’ils apprennent à lire selon la méthode de Paulo Freire, ils apprennent à parler, parce que ces gens subissaient leur sort en silence, ils apprennent à écouter et à s’écouter les uns les autres. Ils découvrent leur intelligence collective.
C’est très valorisant, alors ils commencent à s’organiser et à prendre conscience de leurs droits. Ensuite, ils vont créer des coopératives agricoles, des associations paysannes, des syndicats, etc. Souvent, ces gens étaient analphabètes deux ans avant de devenir représentant syndical. Donc, on assiste à l’émergence d’une grande quantité de leaders issus de la base. Cela représente la première trame narrative et c’est Rutilio Grande qui en est le précurseur. Cela devient rapidement un immense phénomène social au Salvador.
La seconde trame narrative, c’est la réponse que l’armée et l’oligarchie vont donner à ce phénomène social d’organisation des masses populaires. C’est une réponse sanglante qui sème la terreur, celle des escadrons de la mort et des massacres perpétrés au nom du combat au communisme avec le soutien logistique, idéologique et financier de Washington. On va attaquer les communautés ecclésiales de base et on va assassiner Rutilio Grande et tous les prêtres qui diffusent cette forme de conscientisation fondée sur la foi en l’Évangile de la libération. D’ailleurs, la répression va particulièrement cibler les membres de ces communautés, de même que les leaders syndicaux, paysans ou étudiants. Donc, l’horreur, les meurtres, les assassinats, le sang, deviennent un vecteur de communication pour l’oligarchie parce qu’il y a un message implicite qui est envoyé là-dedans. C’est un message de terreur, c’est : « Fermez-là et écrasez-vous, on ne veut pas que vous sortiez de votre torpeur. Restez où vous êtes! » Seulement le peuple n’en peut plus de voir leurs enfants mourir de faim et de maladies bénignes. Ils se disent, tant qu’à vivre comme des bêtes, aussi bien mourir debout. Les méthodes des escadrons de la mort qui menait une guerre psychologique contre le peuple, consistaient à démembrer les cadavres et à les abandonner au bord des chemins dans des fossés, aux vues et au su de tous. Les gens n’avaient même pas le droit de les enterrer.
La troisième trame narrative, ce sont les médias. Je viens de réaliser qu’à cette époque, 35% des gens sont analphabètes, donc ils n’achètent pas les journaux qui de fait s’adressent à la classe moyenne et à la bourgeoisie. Il faut dire également que si par inadvertance, un journaliste se risquait à dire la vérité, il lui arrivait un gros malheur. Il faut dire que lorsque les militaires assassinaient des militants ou des grévistes, ils manipulaient la vérité en mettant des armes dans les mains des victimes et ils publiaient ensuite ces photos dans les journaux ou bien au journal télévisé. La version officielle des événements tragiques provoqués par les militaires arrangeait toujours la vérité en leur faveur. Dans cette désinformation systématique, toutes victimes étaient présentées comme de dangereux terroristes abattus par nos vaillants soldats. L’accusation de communiste était aussi un moyen facile de se débarrasser de quiconque devenait gênant. Donc, la troisième trame est celle des médias d’information qui mettent en scène les événements en faveur du gouvernement soit parce qu’ils sont contraints de le faire, soit parce qu’ils ont peur de dire la vérité ou bien parce qu’ils collaborent avec le régime en place. Si jamais, la version officielle est contredite, les journaliste sont assassinés ou une bombe est déposée devant les bureaux du journal fautif en guise d’avertissement. Pour ce qui est de la télévision, le peuple n’ayant pas l’électricité n’y a pas accès dans son immense majorité. La troisième trame narrative est l’interprétation de l’horreur qui se produit suite à l’organisation des classes populaires. Ce qui me dérange particulièrement avec cette trame narrative, c’est qu’elle est amplifiée par les grands médias internationaux qui semblent aujourd’hui dépourvus de tout sens critique. Déjà à l’époque, quand Mgr Romero a été assassiné, ces grands médias internationaux vont colporter la version américaine selon laquelle le défenseur du peuple a été victime d’un règlement de compte au sein de la gauche.
Quand les six professeurs jésuites de la UCA ont été assassinés, on nous a dit qu’il s’agissait sûrement du FMLN alors que l’enquête international a démontré une action du bataillon Atlacalt de l’armée salvadorienne, formé à l’École des Amériques par l’armée américaine. Ses soldats revenaient d’un stage aux États-Unis où ils avaient perfectionné leurs techniques d’interrogation (sic).
Avec la récente crise au Venezuela, le Département d’État américain a exhumé quelqu’un qu’on croyait mort et enterré, Elliot Abraham qui vient d’être nommé par le président Trump, principal conseiller à la redémocratisation du Venezuela. Le problème, c’est que ce monsieur, pendant les guerres des années 1980, occupait le poste de responsable pour le Département d’État des droits humains en Amérique central, sauf qu’en même temps, il coordonnait les escadrons de la mort au Salvador et au Guatemala, et il finançait la Contras pour renverser le processus révolutionnaire au Nicaragua. Il en menait large. Lors d’une entrevue télévisée au cours des années 1980, alors qu’un journaliste l’accusait d’être un authentique criminel de guerre, il affirmait que le massacre de El Mozote, où près de 1000 vieillards, femmes et enfants désarmés furent massacrés, avait été nécessaire au maintien de la démocratie. Fondamentalement, je pense que les autorités américaines ont fait preuve de racisme en Amérique centrale puisqu’il ne s’agissait pour elles que des « peaux rouges » dont la vie ne compte pas vraiment à leurs yeux. La bonne nouvelle, c’est que la nomination d’Elliot Abraham est parvenu à rassembler plusieurs secteurs de militants pacifistes aux États-Unis, des militants d’expérience qui se sont opposés aux interventions américaines en Amérique centrale au cours des années 1970 et 1980.
La quatrième trame narrative, c’est la pensée de Mgr Oscar Romero. D’abord, c’est un homme à l’écoute des souffrances de son peuple et des outrages qu’il subit. Il accueille les réfugiés à l’archidiocèse, il ouvre un bureau d’assistance juridique où les gens peuvent venir inscrire leurs doléances concernant l’assassinat de leurs proches. (Quand c’est la police qui tue votre mari, ce n’est pas évident d’aller porter plainte à la police). Mgr Romero recueille cette souffrance et la parole vivante de la foi des communautés ecclésiales de base, il leur dit de ne pas abandonner et de ne pas cesser de se réunir, de s’organiser et de réclamer leurs droits. De même, il interpelle les riches et les puissants afin qu’ils cessent la répression et qu’ils se mettent eux aussi à l’écoute de leur peuple, pour qu’ils partagent un peu de leur richesse avant que la situation ne dégénère en un conflit irrémédiable. Mgr Romero est capable d’insuffler du courage à son peuple en leur disant que Dieu est avec eux, que le Christ, la Vierge est l’Esprit Saint, sont avec eux et que les puissants courent à leur perte parce qu’il a poursuivent un projet de mort.
Quand Victor parlait de la catastrophe tout à l’heure cela me faisait penser que les puissants de ce monde ont séquestré l’histoire à leurs fins et qu’il n’y a pas d’alternatives en-dehors de ce qu’ils ont planifiés. Ils ont décidé que la capitalisme était la fin de l’histoire et qu’ils allaient se battre jusqu’à la dernière cent pour extraire le dernier litre de pétrole disponible. Dans le fond, ce que l’archéologie adore ce sont les pyramides, les temples et les grands édifices qui magnifient la gloire des civilisations disparues. Mais s’agit-il là de projet de libération ? Ne s’agit-il pas plutôt de vestiges de régimes oppressifs construits sur l’exploitation du genre humain. Les communautés humaines, ce sont des gens qui s’organisent à la base entre eux pour construire des sociétés égalitaires en toute justice et en toute réciprocité de la façon la plus humaine qu’il soit. Dans l’histoire, à chaque fois les puissants s’accaparent les ressources du peuple et la liberté des individus pour les forcer à travailler à l’intérieur d’une logique qui sert leurs intérêts.
C’est ce que je trouve magnifique dans la Bible. Il s’agit à la fois d’un guide et d’un mode d’emploi pour discerner les traquenards des puissants et il y a toujours eus à travers l’histoire des puissants qui veulent s’arroger tout le pouvoir en imposant la mort autour d’eux. Cela va à l’encontre d’un projet libérateur de gens qui s’organisent ensemble et qui se prennent en main.
Évidemment, il y a aussi une dimension spirituelle là-dedans et une dimension sociale assez forte. C’est ce que Romero répète à chaque dimanche à la cathédrale. En passant ses homélies sont retransmisses par la radio du diocèse à plus de deux millions d’auditeurs et elles ne durent pas cinq minutes, mais jusqu’à deux heures parce qu’il est obligé de rétablir les faits concernant les outrages aux droits humains perpétrés par les forces de sécurité. Ce que les journaux ne disent pas sur ce qui se passe, il le dit. Ce n’est pas pour rien qu’ils l’ont tué. Quelques semaines avant sa mort, une organisation criminelle du gouvernement avait dynamité l’émetteur radio de l’archidiocèse qui diffusait ses homélies. Alors, ils ont trouvé le moyen de diffuser les homélies via ondes-courtes dans toute l’Amérique latine. C’était aussi l’époque des nombreuses dictatures en Amérique du sud et Mgr Romero était entendu jusqu’en Argentine et au Chili. J’ai rencontré des gens au Chili qui m’ont dit avoir écouté Mgr Romero à la radio à cette époque. Sans aucun doute, sa parole dérangeait partout où elle était entendue.
Dans ses homélies, il rétablissait la dignité des personnes assassinés en les appelant par leur nom, indiquant leur statut civil d’époux et de père, ainsi que leur profession et les circonstances de leur mort. Il lui arrivait même de nommer le nom de l’agent qui avait amené cette personne au poste de police d’où elle n’était jamais revenus vivante. En ce qui concerne la foi, Romero ira jusqu’à dire que si quelqu’un meurt en raison de son engagement pour la libération du peuple, il aura la vie éternelle. Il annonçait une promesse pour ces gens afin de relever leur courage. À l’inverse, il s’adressait aux meurtriers membres des escadrons de la mort, les oligarques et les militaires, qui abusaient de leur pouvoir en assassinant les gens sans aucun scrupule, il leur promettait les flammes de la damnation éternelle.
Ce qu’il avait d’original aussi, c’est qu’il interprétait les récits bibliques en les comparant avec la réalité tragique de son pays. Il ne faisait pas de l’analyse historico-critique. C’est plutôt la métaphore biblique qui inspirait son propos en se demandant si elle évoquait quelque chose pour nous. Par exemple, le massacre des saint innocents rapporté dans les évangiles, lorsque Hérode demande à ce que soit passé par le fil de l’épée tous les garçons de deux et trois ans à Bethléem parce qu’un roi était sensé naître dans cette ville. Nous ignorons la véracité historique de cet événement, mais Romero sait que les militaires font cela dans son pays, ils tuent des enfants. Alors il leur met sous le nez en disant que c’est la réalité dans son pays. Faisant cela, il leur enlève toute légitimité et toute crédibilité parce que tout pouvoir a besoin d’être légitimé. Il ne suffit pas de posséder les armes et le pouvoir de coercition pour que la population nous obéisse. Les gouvernements ont besoin du consentement de la population, que les gens croient en leur bonne gouvernance. Cela fait en sorte que le pouvoir cherche toujours à se sacraliser. C’est pourquoi, l’État cherche à s’associer aux religions pour acquérir un capital symbolique. Par exemple, une messe d’action de grâce en présence du président de la république signifie que c’est une bonne personne, qu’il est reconnu par Dieu pour diriger son peuple. Mais à partir de la mort de Rutilio, Romero va cesser de participer à ces simulacres et refusera de donner crédit aux dirigeants de son pays. Au contraire, il va accorder la priorité aux plus vulnérables, aux paysans, aux pauvres.
À l’époque, la pauvreté correspond davantage à la misère pour la majorité du peuple qu’à n’importe quoi d’autres. Beaucoup de gens n’ont pas d’endroit où habiter, ils vivent sur le bord des routes, ils se déplacent avec leur famille au gré des récoltes, les paysans sans terre sont itinérants dans leur propre pays. Ils n’y gagnent qu’une maigre pitance qui leur permet à peine. de survivre. Souvent à la fin de la récolte, comme ils ont du emprunter pour manger, il ne reste rien. Cela fait en sorte que les paysans se retrouvent toujours au point zéro de la survie sans aucune garantie pour leur avenir. Les soins de santé et l’éducation, il ne fallait pas en parler puisque cela n’existait pas. C’est aussi un pays où la peur régnait. Le père Michel Leblanc qui a longtemps travaillé pour Développement et Paix m’a témoigné avoir passé 48 heures à San Salvador à la fin des années 1960 et le climat qui y régnait en était un de peur généralisée, pas la peur des criminels, mais des militaires et de la police. C’était un pays où la population vivait dans la terreur, bien avant les mobilisations de la population et les vagues de répression. Cette terreur omniprésente était la façon de gouverner pour l’oligarchie salvadorienne. Yves Carrier
Échanges avec le public
Je m’appelle Raul Gil et nous faisons partie de la Coalition Colombia humana Québec. Nous sommes des militants qui habitons ici et certains militent depuis une vingtaine d’années pour aider les gens en Colombie et ceux qui continuent d’arriver. Ce sont tous et toutes des Colombiens qui sont des exilés. Nous faisons la promotion des droits humains en Colombie comme Mario vient de le faire à propos de la situation des leaders sociaux dans notre pays. Nous avons aussi appuyé le parti progressiste de Colombie qui a obtenu 8 millions de votes au second tour contre 10 millions pour le président actuel, Ivan Duque qui est d’extrême-droite et cherche à détruire les accords de paix signés par le gouvernement précédent de Manuel Santos. Avec nos faibles moyens, nous avons appuyé économiquement les communautés rurales pour qu’elles puissent se déplacer jusqu’aux bureaux de vote. Nous appuyons le processus de paix en Colombie, mais le gouvernement actuel est en train de jeter par terre les accords de paix. Pour tous les gens de gauche, leur vie est menacée par le gouvernement.
Dans les prochaines semaines, une requête va être déposée devant la Cour internationale de justice à La Haye contre le gouvernement colombien pour non respect des accords de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). L’opposition demande à tous ceux qui le peuvent de se rendre à La Haye pour appuyer cette requête. Nous devons faire appel à la communauté internationale pour que la justice soit respectée. Les procureurs sont en train de questionner tout le processus judiciaire qui devait suivre la signature des accords de paix. Colombia humana du Québec souhaite envoyer une délégation de quatre personnes à La Haye. Nous demandons votre appuie financier si vous le pouvez. Nous ferons rapport à notre retour de ce que nous aurons vu et appris là-bas pour continuer d’animer les militantEs et faire pression sur le gouvernement canadien afin qu’il soit davantage présent en Colombie. Le gouvernement du Canada ne se préoccupent pas des assassinats des leaders sociaux qui se produisent à tous les jours. Merci de votre écoute.
Bonjour, je m’appelle Elizabeth Garcia. J’aimerais revenir sur chacune des présentations. Victor nous a parlé de la globalisation. Il y a aussi des mouvements sociaux qui parlent de la globalisation de la lutte et de l’espoir et surtout de la globalisation de la douleur. Nous sommes de plus en plus convaincus que les Amériques sont unies et que nous partageons la même douleur. Nous pouvons identifier des éléments communs dans chacun des exposés. Que pensez-vous de la douleur et comment peut-elle s’unir avec les luttes d’Amérique latine ? C’est le premier élément.
Second élément, nous sommes ici parce que c’est l’anniversaire de Mgr Romero. Son message a été instrumentalisé pour justifier beaucoup de choses. Quand on commence à instrumentaliser un message d’amour, cela devient une menace pour le message lui-même. Je pense que Mgr Romero et toutes les communautés que nous avons ici de témoins, tout ce qui s’est passé au Salvador et partout en Amérique latine, ce sont des petites communautés chrétiennes qui se sont réunies pour essayer de transformer leur réalité. Je pense que finalement c’est cela le message de Mgr Romero. En fait, ce sont les communautés qui ont changé Mgr Romero. Finalement, il a pris la voix des gens ordinaires, des petites gens, et ce sont des petites communautés qui travaillaient sur des petites choses qui ont changé le monde par la voix de Mgr Romero. Que pensez-vous des petites choses qui sont en train de se passer partout ? Je pense qu’Élisabeth Desgranges peux nous parler du travail que Développement et Paix réalise partout en appui à de petits projets qui changent la réalité pour des milliers de gens.
Finalement, je pense que nous sommes en train de construire une vérité. Je pense qu’elle ne se voit pas dans les médias et que la vérité est collective. Elle doit être construite à partir de la parole de chacun de nous. Ce n’est pas la vérité des médias qui nous intéresse. C’est pourquoi il est important de parler entre-nous. Ici à Québec, nous trouvons des communautés qui viennent de partout, des témoins de ce qui se passe partout dans le monde. Mais je ne suis pas certaine que nous soyons capables de parler avec le voisin pour connaître sa vérité et comment nous pouvons construire ensemble une vérité plus conforme à la vérité de chacun de nous de ce qui nous amener ici pour faire grandir le Québec?
J’aimerais aussi vous parler de la résilience et de la spiritualité. Je ne parle pas ici de la religion, mais de la spiritualité et de la résilience parce que la majorité des victimes de la guerre et des catastrophes trouvent des petites choses pour se reconstruire. Cela sort de je ne sais où? Que pensez-vous de ces petites choses ? Nous trouvons des exemples de gens vraiment résilients partout dans le monde. C’est une question qui s’adresse à tous les panélistes parce que nous sommes en train de parler de Mgr Romero. Qu’est-ce qu’il nous dirait comme solution que nous pourrions avoir pour toute l’Amérique latine parce que c’est vrai que son message est plus actuel que jamais si on connait vraiment sa spiritualité ? Qu’est-ce qui est vraiment pertinent de ce qu’il a dit pour l’Amérique latine aujourd’hui ? Je vous remercie.
Réponse des panélistes
Victor Ramos : La question est très intéressante par rapport à ce qu’on appelle la globalisation. En fait, selon le sociologue Jacques Gélinas, il s’agit de la mondialisation néolibérale. C’est l’imposition globale d’un modèle unique et à sens unique qui détruit la nature, les liens sociaux, et qui finit par nous détruire matériellement et subjectivement. Par contre, le mot mondialisation fait référence à tous les mondes qui commencent par des projets à échelle humaine et se développent à différents niveaux.
Il est impossible de faire face à un système articulé juste à partir des petites actions, mais c’est la base et le point de départ de plus grandes actions. C’est fondamental, il faut démarrer au niveau local. Pourquoi nous sommes ici ? Parce que nous croyons que nous pouvons faire quelque chose différent de ce que les médias nous disent, de ce que l’idéologie qu’on nous impose nous dicte de faire : une croissance infinie, le profit, faire de l’argent, et qu’avec cela nous allons être plus heureux. En vérité, nous savons très bien que les pays où l’on consomme les plus de drogues, ce sont les pays développés. Pourquoi les gens ne sont pas heureux ? Nous sommes ici pour dire que nous sommes en action.
Un autre monde possible est actuellement en construction à différents niveaux. Au niveau économique, il faut le faire. Aussi longtemps que nous laisserons l’économie entre les mains des transnationales, nous serons à leur merci. De là l’importance de l’achat local. Cela semble futile, mais c’est fondamental. L’achat local renforce le tissu social et économique du coin. Du même coup, les transnationales n’ont pas de contrôle sur cela. Pour terminer par un anecdote, j’ai travaillé avec des paysans au Paraguay et au Chili. Qu’est-ce qu’ils faisaient ? Ils constituaient des réseaux locaux pour éviter les intermédiaires. Ils construisaient également leur propre réseau d’enseignement, ils écrivaient leurs propres textes à partir de leur regard sur la réalité qui était la leur. Petit à petit, ils bâtissaient leur propre monde à l’intérieur de ce microcosme. Malheureusement, la plupart de ces sociétés ont été détruites par les dictatures. On commence à le refaire, mais à différents niveaux. Cette construction d’un autre monde possible commence par le plus petit dénominateur jusqu’à l’échelle mondiale. (VR)
Mario Gil : La Théologie de la libération nous invite à vivre le paradis sur Terre. Le paradis ce n’est pas après la mort, c’est maintenant qu’il faut construire une terre de justice et d’égalité. Cela se fait à partir d’une construction collective qui a lieu dans la rencontre avec l’autre, dans le partage des connaissances et dans l’apprentissage collectif. L’éducation populaire provient de la Théologie de la libération, cela provient des communautés ecclésiales de base, de la rencontre entre citoyens, entre des êtres humains qui observent leur entourage et constatent que le monde est à l’envers, que cela n’a pas d’allure ce que nous sommes en train de vivre.
J’aimerais dire une chose qui est arrivée à l’époque de la mort de Mgr Romero, mais qui n’a jamais cessé. Dans la Théologie de la libération, il y a Leonardo Boff qui dit : «La spiritualité, c’est une chose et la religion, c’est l’explication de ce que en quoi tu crois et comment tu l’expliques. Donc l’explication de ce que à quoi tu crois, cela doit toujours faire partie de ta relation avec le monde réel, avec les autres. Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Le mensonge est devenu la nouvelle religion. Au Brésil, les gens ont élu Bolsonaro. Les gens qui menaient sa campagne ont écrit des mensonges par milliers et la majorité a cru ces mensonges. En Colombie, ça a été la même chose. Ils construisent et diffusent des mensonges à tel point que les gens y croient et qu’ils sont incapables de voir leur propre réalité, de sentir ce qui se passe dans leur quotidien, de sentir l’autre, de voir ce qui est en train d’arriver tout près d’eux.
Aujourd’hui la religion, ce sont les médias de communication. Nous ne sommes pas capables de partager ce que nous comprenons. Nous sommes incapables de partager une spiritualité qui puisse nous aider comme l’invitation que nous faisait Romero à vivre la spiritualité. Alors la religion nous disait que nous devions continuer à travailler et qu’après notre mort nous arriverions au Paradis. C’est pareil aujourd’hui avec les médias qui nous disent qu’on va arriver un jour à la démocratie parce que la démocratie qui existe en ce moment, ce n’est pas cela, mais nous allons y arriver un jour. Pour faire cela, il faut couper les services, il faut couper le bien-être social, il faut couper la possibilité que viennent des immigrantEs, ou qu’il y ait un mieux-être en Amérique latine. Il nous disent qu’il faut détruire tout l’environnement pour que les gens vivent. Mais qu’est-ce qu’on est en train de faire ? L’eau est en train de s’épuiser et on refuse de le voir. Lorsqu’on boit un verre d’eau, on ne réalise pas à quel point c’est un geste spirituel de communion avec la Terre-Mère. Nous assistons aux derniers instants de la vie sur Terre parce que le mensonge ne nous permet pas de voir et de remercier à tous les jours pour les relations que nous avons et les possibilités que la vie nous offrent de construire avec les autres cet amour universel. Je dirais que Mgr Romero et la Théologie de la libération doivent être revendiqués dans le sens d’essayer de nous rendre chaque fois plus conscients à quel point nous sommes tous et toutes reliés sur une seule et unique planète. Nous sommes dépendants et interdépendants avec la Nature, la Terre et les êtres humains. C’est ce que je voulais dire. (MG)
Élisabeth Desgranges : Ce sont de grandes questions pour lesquelles nous aurions envie de dire beaucoup de choses. Tout d’abord, les petites choses comptent. Souvent on se dit que l’ampleur du problème est tel, que nous n’avons pas de pouvoir et cela nous fait ressentir une grande impuissance. Mais, quelqu’un qui ne fait rien ne peut pas se tromper, ne rien faire n’apporte aucun changement et je pense qu’il faut commencer par s’informer. Être ici aujourd’hui, participer, c’est déjà quelque chose. Après cela, il faut en parler autour de soi et réaliser que nous sommes privilégiés comparativement à beaucoup d’autre monde. Nous devons reconnaître que nous sommes des personnes privilégiées et après cela à chaque fois qu’on pose un geste, c’est un acte qui est politique, qui est engagé et militant. Quand tu sais pas que toutes les clémentines viennent du Maroc qui est l’un des pays avec le plus grand stress hydrique sur la planète et qu’une clémentine représente une grande quantité d’eau pour sa production, de l’eau que j’importe du Maroc et que j’injecte au Québec où il y a le plus faible stress hydrique au monde. C’est comme si nous volions l’eau du Maroc. Est-ce que cela veut dire que nous devons cesser de manger des clémentines ? Je n’y suis pas encore parvenue, mais à chaque fois que j’en achète, j’y pense et à chaque fois que je peux le dire à quelqu’un, je le dis. J’en mange un peu moins et je refuse d’en gaspiller. Il y a un tiers de la nourriture sur la planète qui est gaspillé et au Canada nous sommes les champions du gaspillage. Nous sommes aussi les champions de la production de gaz carbonique par habitant.
Chaque Canadien produit 150 fois plus de gaz carbonique qu’une personne vivant au Honduras. Les sables bitumineux, les pipelines, tout ça accentue la pression sur les populations vulnérables au sud parce que si c’est nous qui polluons, les grosses conséquences, ce n’est pas nous qui les vivons. Quand on dit que la planète se réchauffe, les gens sont presque contents au Québec. Ils se disent qu’il va faire moins froid et quand il y a des inondations, le gouvernement nous vient en aide en ouvrant des refuges et en compensant économiquement les dommages que nous subissons. Être conscients de ces choses, cela peut nous aider à prendre des décisions plus réfléchies et à réduire notre consommation. S’il y a un si gros déséquilibre entre le nord et le sud, ce n’est pas parce que nous aimons cela aller tuer du monde, c’est juste parce que nous voulons leurs ressources. C’est une question de ressources, c’est une question de style de vie. Il faut remettre en question la mode qui nous impose de changer nos vêtements à chaque changement de saison.
Quand je vais dans des écoles secondaires et que j’entends des enfants de quatorze ans dire qu’il faut faire rouler l’économie. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut déconstruire ces mythes-là, celui de la croissance absolue, exiger de nos politiciens qu’ils nous parlent d’autres choses que de la croissance, mais qu’on puisse parler de décroissance, de qualité de vie, de dignité humaine. Je pense que nous sommes assez intelligents pour comprendre que la croissance indéfinie est une bulle qui n’existe pas. C’est impossible. Je pense qu’il y assez de monde qui l’ont nommé. Il faut commencer à le vivre, à ralentir chacune de nos actions. Qu’il s’agisse de diminuer la frénésie d’être présents à toutes les activités possibles et imaginables, de pratiquer huit sports, avoir un équipement de hockey, de ski, de kayac, un équipement pour chaque chose. Je sais bien que ce ne sont pas toutes les classes sociales qui peuvent se payer ça.
Le rêve c’est que tout le monde accède à tout cela au lieu de se dire que ce serait mieux que tout le monde ait accès à un parc proche de chez-lui, que tout le monde puisse marcher dans la rue sans avoir peur de se faire écraser ou assassiner dépendamment du pays où l’on vit. La décroissance doit se vivre dans chaque lieu, dans chaque action, dans chacun des choix que nous faisons. Simone de Beauvoir disait que : « Le privée est public. » Je pense que cela ne s’applique pas juste au féminisme, cela s’applique aussi à toute la globalisation, tout ce qui est politique. Chacun de mes choix est politique et quand je décide de dire oui aux caprices de mes enfants, ou non, je sais qu’on ne peut pas se battre sur tout, mais quand je dis oui à ma fille pour un caprice, je lui dit : « Tu es consciente que cette bébelle en plastique que tu vas jouer avec pendant huit minutes, est fabriquée par des enfants au Bangladesh qui travaillent dans des conditions complètement exécrables. » Cela gâche son plaisir, j’en conviens. Je pense qu’il faut être honnête. Si nos médias ne le sont pas, nous pouvons au moins l’être avec nos enfants et avec les gens autour de nous. Tu as parlé d’éducation populaire, l’Église catholique parle de subsidiarité, chacun d’entre-nous avons une expérience et une compréhension du monde qu’il faut partager autour de nous. Ce ne sont pas les grands médias qui le font parce qu’ils sont contrôlés, tout comme l’est notre système d’éducation, par des intérêts économiques qui visent la croissance absolue. Si nous, à petite échelle, à chacun des pas que nous faisons, on ne se rappelle pas constamment de l’importance que nous avons de ralentir, je pense que cela commence par là et que nous sommes capables de le faire ensemble. (ED)
Yves Carrier : Je vous remercie pour vos témoignages. Je pense que la vérité est un bon thème qui vous a fait dire pas mal de choses. Pour ce qui est de Mgr Romero, il résume très bien l’idée d’Elizabeth Garcia en disant : « Le peuple est mon prophète! » Alors soyons tous et toutes des prophètes. Il disait : « Ils peuvent bien m’assassiner et me faire taire, mais la voix de la vérité et de la justice continuera à se faire entendre par la bouche de mon peuple parce que vous êtes tous et toutes des prophètes. » Dans le fond, je pense que les médias qui ne disent pas la vérité, ce n’est pas parce qu’ils sont méchants ou ignorants, mais ils sont derrière parce qu’ils sont formatés dans une docilité conformiste envers le système capitaliste. Déjà au premier cycle universitaire, pour avoir des bonnes notes, il faut répéter mot pour mot ce que le professeur a dit. Ce n’est pas là que peut naître l’esprit critique. Également, Mgr Romero dit souvent, qu’il ne faut pas tourner le dos à l’histoire. Je pense que si l’Église au Québec est en train de décéder, c’est parce qu’elle n’est plus présente dans l’histoire depuis longtemps et qu’elle ne parle plus à l’histoire et qu’elle ne sent plus concernée par l’histoire du peuple québécois. Alors son message est sans écho dans la société. Elle continue à nous parler du Ciel après la mort, mais qu’est-ce qu’on peut bien faire avant la mort ? Aussi son message de salut est devenu individuel, sauve qui peut.
S’adresser à l’histoire, c’est parler en terme de projets sous une forme collective qui est critique des projets qui détruisent la planète, les communautés et notre psyché. On s’attend à ce qu’à partir des Écritures, l’Église nous parle de projets collectifs où nous pouvons faire l’histoire ensemble. Cela prend des gens conscients de leur destinée historique, de leurs racines historiques, où l’histoire est comprise comme un projet en marche qui se poursuit à travers chaque génération. Romero dit : « Dieu a un projet pour chaque peuple et chaque peuple est un projet en devenir dans l’histoire. » Donc, il nous faut travailler à cela et si jamais nous sommes trop bien au Canada parce que nous avons surmonter la misère noire, alors allons aider les autres peuples à s’en sortir. Tant mieux si nous pouvons venir en aide aux nations moins bien nantis, mais présentement ce n’est pas ce que nous faisons, nous allons voler et piller les autres avec nos sociétés minières. Tout cela se fait en notre nom, alors que nos missionnaires et nos coopérants nous ont fait une réputation extraordinaire partout dans le monde, maintenant ce sont les sociétés minières canadiennes. Le gouvernement canadien a même fermé l’ACDI. Tout ce qui reste, c’est le cash. En passant, les sociétés minières, c’est comme les bateaux enregistrés au Panama pour ne pas payer d’impôt dans leur pays d’origine. C’est n’importe qui avec du capital, de n’importe où dans le monde, qui s’enregistre à la bourse de Toronto et part avec notre nom ruiner notre réputation internationale. Il y a beaucoup d’hypocrisie là-dedans. Au Honduras, après le coup d’État ayant chassé Mel Zelaya qui voulait promouvoir le bien commun en faveur des plus pauvres de la population, notre gouvernement, en plus de reconnaître un gouvernement usurpateur, a fourni son aide pour réécrire la loi des mines de ce pays, faisant en sorte d’abolir les indicateurs de protection de l’environnement, de respect des droits humains, des communautés et des Premières Nations. La loi a été écrite pour les compagnies minières. Ce qu’on fait en notre nom est criminel. Selon moi, c’est le premier point où nous devons agir comme Canadien. Le Canada n’est qu’une simple banlieue des États-Unis qui n’a pas de politique internationale indépendante. Nous ne faisons que répéter ce que le gouvernement américain dit.
Mgr Romero nous dit de nous engager dans l’histoire, connaissez individuellement quels sont vos principes et vos valeurs primordiales et demeurez-y fidèles. Les valeurs, ce ne sont pas des décorations de Noël qu’on écrit dans un code d’éthique. Des valeurs, c’est ce qui nous définit et constitue notre personnalité. Ne vous laissez pas corrompre par l’argent, dit-il. Pour lui, l’argent ne peut avoir préséance sur la dignité humaine, il ne peut pas être le fondement de nos principes et de nos valeurs. Si on ne fait que regarder ce qui se passe avec les multinationales qui font la promotion de l’agriculture chimique et industrielle, les gouvernements refusent d’agir, au détriment de la santé humaine, pour de simples questions d’argent. Personne n’ose interdire le poison qu’on met dans la chaîne alimentaire et qui pollue l’eau. On voit bien que l’argent est devenu un dieu. Oui l’argent est puissant et le capitalisme mondial est de plus en plus concentré à l’image d’un trou noir, mais c’est devenu une idole au nom duquel nous sommes prêts à tout sacrifier. Romero a été très clair dans sa dénonciation de l’idolâtrie et le capitalisme est sûrement la plus grande des idoles que l’humanité ait créées. (YC)
Merci
Notes rapportées par Yves Carrier