Mission d’observation des droits humain en Colombie

Ce document est le résultat d’un travail collectif fait par les membres de la mission. Le CAPMO agit comme centralisateur de l’information, mais nous tenons à souligner l’importance du travail réalisé par toutes et tous. Notamment : Denise Gagnon (Unité FTQ), Geneviève Dorais (Laboratoire Liela-UQAM), Cloé Gravel (Projet Accompagnement Solidarité Colombie), Guiliana Fumagalli (Militante Montréal) , Javier Fuentes Bernal (Chimbites), Andres Muñoz (Centre Salvador Allende), David Hernandez (Alternatives Montréal), Yves Carrier et Mario Gil (CAPMO). Nous remercions également Walter Mora pour son travail de contact avec les communautés en Colombie et au projet de solidarité Canada Colombie pour l’accompagnement lors de la mission.

Lors de notre mission d’observation nous avons lu une pancarte qui disait :

« Maman, je suis partie lutter pour mon pays, si je ne rentre pas, c’est le gouvernement qui m’a assassinée ».

Au nom de tous et toutes celles et ceux qui ont perdu leurs yeux, la vie, la famille, la mobilité, mais jamais l’espoir !

Rapport La mission de vérification des droits humains Québec-Canada-Colombie, intitulée « Vivants ils ont été pris, vivants nous les voulons, »

Québec avril de 2023

ISBN : 978-2-9819343-2-1

www.CAPMO.org

 

Préface

À la demande d’une grande diversité d’organisations, d’associations et de réseaux de solidarité basés en Colombie, la mission de vérification des droits humains Québec-Canada-Colombie a été présente en ce pays du 25 novembre au 7 décembre 2021. L’objectif de la mission était de recueillir des témoignages et de vérifier les allégations de violations graves des droits humains rapportées dans la foulée de la grève nationale qui a secoué le pays de la fin avril au début septembre 2021. La mission s’est également penchée sur des allégations de violation de droits dans le contexte des échanges commerciaux et d’investissements canadiens en Colombie. Ces derniers contiennent des engagements internationaux et nationaux en matière de protection des droits humains, incluant des questions environnementales importantes. De retour au Québec, la mission s’est engagée à rédiger un rapport qui détaille ses observations,  à présenter l’ensemble de ses conclusions et recommandations, à le rendre public et à l’adresser aux instances canadiennes  ou internationales concernées.

La mission canadienne-québécoise a effectué une tournée de plusieurs régions du pays avec pour thème « Vivos se los llevaron, Vivos los Queremos » (Vivants ils ont été pris, vivants nous les voulons). Elle a entendu des témoignages troublants au cours des rencontres qu’elle a tenues avec de nombreuses organisations et associations au sein des départements suivants : Cundinamarca, Antioquia, Valle del Cauca, Cauca y Huila. Des collectifs citoyens, des institutions scolaires, des associations sociales, des victimes directes et des personnes proches de celles-ci, ont soumis des cas à la mission. Ceux-ci mettaient en lumière l’importance et l’étendue des séquelles provoquées par la répression exercée pendant et après la grève nationale sur l’ensemble du territoire colombien.

La participation citoyenne à cette mission a dépassé nos attentes, tant en ce qui concerne le nombre de participants que la diversité des témoignages qui nous ont permis d’analyser de plus près la situation. Nous notons plusieurs graves atteintes aux droits fondamentaux dans différents régions de la Colombie. Lors de nos visites et audiences, nous avons pu constater un modèle d’intervention systématique répressif.

Nous avons aussi observé qu’il y avait de la part des autorités, un profilage systématique des leaders sociaux et syndicaux avec de lourdes conséquences pour les victimes, leurs familles et les communautés. Plusieurs des personnes qui critiquent les politiques et les actions de l’État sont stigmatisées, harcelées, déplacées, enlevées, criminalisées voire assassinées.  Par ailleurs, des personnes n’ayant pas participé directement aux différentes manifestations sociales ont été touchées, les jeunes en particulier de même que plusieurs représentants de la diversité sexuelle et de genre. De plus, pendant la grève, des leaders et des membres de communautés autochtones ont affirmé avoir été attaqués par des civils armés parfois appuyés par les forces de l’ordre. Ces acteurs ont rapporté avoir été témoins de violences similaires perpétrées à l’encontre des communautés afro-colombiennes dans le contexte de la défense de leur territoire.

La majorité des personnes consultées ont mentionné avoir participé à des tables de consultation avec différents paliers et institutions du gouvernement, le tout sans succès. Ces consultations n’aboutissaient pas ou, pire, servaient de moyens d’identification des leaders sociaux pour ensuite s’en prendre à eux. Nous avons noté des cas de criminalisation mensongère de ces leaders. De même, le discours officiel rapporté dans les médias de masse avait tendance à banaliser les violences perpétrées par les forces de l’ordre et leurs alliés.

D’autre part, nous avons visité plusieurs communautés directement affectées par les activités des sociétés minières et hydroélectriques enregistrées au Canada et soutenues, la plupart du temps, par des investissements canadiens.  Déplacements forcés, atteintes à la santé, à la mobilité, désintégration du tissu social, militarisation du territoire, criminalisation et assassinats de défenseurs et défenseuses socio-environnementaux, font partie des conséquences de ces investissements étrangers rapportés à la mission.

Par ailleurs, le nombre de disparitions forcées apparaît important alors que ce sujet est peu abordé par les rapports officiels en Colombie.  Or, nous avons constaté qu’il existe une sous-estimation de cas de disparitions, particulièrement lors de la grève générale qui a débuté le 28 avril 2021. Plusieurs organismes établissent leur nombre à 300, sinon plus, plutôt que la centaine reconnue par l’État.  Tout ce que nous avons entendu et observé nous préoccupe profondément quant à la situation générale des droits humains en Colombie.

Ce rapport n’est pas seulement un témoignage du phénomène de répression étatique vécu pendant la grève générale, mais aussi une analyse des mécanismes de criminalisation de la contestation sociale et des stratégies de guerre employées contre les mouvements sociaux. Rappelons que ces derniers luttent pour vivre en paix sur leur territoire, pour continuer à pêcher dans des rivières propres, pour cultiver leurs aliments, et transmettre leur culture à leurs enfants.

En juin 2022, pour la première fois de son histoire, le peuple colombien a élu un gouvernement de gauche. Celui-ci revendique le respect des droits humains, la recherche de la paix avec les différents groupes armés et l’importance de la constitution de 1991 où était consacrée l’intention d’instaurer un État social de droit et de justice.

Cependant, il est important de reconnaître que malgré cette volonté institutionnelle est aussi entravée par les ententes que l’État a signé avec des multinationales avant les élections. Ces contrats sont protégés par les accords de libre-échange et doivent encore être mis en œuvre. Il existe toujours des situations graves de violence dans les régions affectées par le conflit armé.

Par ailleurs, au moins 200 jeunes sont toujours détenus dans les prisons sans qu’aucun procès impartial n’ait eu lieu. Les démarches pour leur libération se poursuivent, mais le système judiciaire demeure inchangé. Aussi, du côté des forces militaires et policières, aucun procès n’a conduit à une condamnation des responsables de plus de 80 assassinats, 75 blessures oculaires irréversibles et plus de 300 disparitions forcées, sans parler de la violence excessive, des menaces ou abus sexuelles, ni des nombreuses lésions corporelles.

Ces faits démontrent la pertinence de ce document en ce qu’il révèle les injustices commises à l’endroit des victimes de la répression. Il s’agit également, d’un recueil de témoignages de la violence qui sévit en Colombie et de l’influence néfaste des multinationales sur la vie des communautés.

Nous profitons de l’occasion pour remercier l’ensemble des organisations que nous avons rencontrées ainsi que les membres des associations qui nous ont accueillis, accompagnés et appuyés financièrement.

 

 

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