Lancement des Journées québécoises de solidarité internationale
Transformons le monde … dès maintenant
Événement d’ouverture des JQSI, 3 novembre 2021
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Au nom de l’Association québécoise de organismes de coopération internationale, je vous souhaite la bienvenue à cette soirée de lancement des Journées québécoises de la solidarité internationale. C’est avec une grande émotion que nous vous accueillons au Musée national des beaux arts du Québec. Ce soir nous vous invitons à réfléchir à comment co-construire un monde de justice et de solidarité parce que nous croyons fermement que nous devons transformer notre monde dès maintenant. Il y a urgence. Je voudrais remercier très chaleureusement Andrée Lévesque-Sioui, celle dont la voix flotte. Merci d’avoir ouvert cette soirée par un récital de poésie. Vous avez été inspirante et vous allez nous habiter tout au long de nos échanges. Maintenant, j’ai le grand plaisir de vous présenter Marjorie Champagne qui est journaliste, créatrice de contenu vidéo, et animatrice de l’émission du matin à CKIA-FM à Québec. C’est elle qui va animer les échanges. Michèle Asselin, directrice de l’AQOCI
Bonsoir, cela fait du bien d’avoir un événement en présence des gens. Cela me donne beaucoup d’énergie. J’aimerais d’abord mentionner que cette soirée a lieu sur un territoire Huron-Wendat non cédé. Nos invités à cette table ronde sont :
Paul Cliche, qui œuvre en solidarité internationale depuis 40 ans, est avec nous ce soir. Enseignant et chercheur à l’Université de Montréal depuis 2013. Il donne un cours qui s’intitule : « Décolonisation de l’action à l’international ». Il a longtemps été impliqué en Amérique latine comme chercheur, conseiller et gestionnaire de programmes d’éducation populaire en Colombie, au Pérou et en Équateur, où il a vécu plus de 7 ans.
Notre prochaine invitée est anthropologue, consultante et chroniqueuse au Devoir, Émilie Nicolas. Elle est co-fondadrice de Québec inclusif, un mouvement qui unit activement les citoyens contre le racisme et l’exclusion sociale. Elle siège au conseil de l’Institut Broadben, un important cercle de réflexion progressiste, et à la Fédération des femmes du Québec, la plus importante organisation féministe au Canada.
Puis, nous avons avec nous, Amel Zaza, auteure, conférencière et formatrice, qui s’occupe des dossiers des personnes sans statut et à statut précaire à la ville de Montréal. Elle a œuvré dans plusieurs milieux communautaires et de défense de droits au Québec, elle est aussi fondatrice de la Fondation Paroles de femmes, une association de féministes intersectionnelles qui travaille à créer des espaces inclusifs pour les femmes racisées du Québec afin de renforcer leur participation citoyenne et porter leur voix et leurs revendications.
Notre autre invitée est doctorante et membre de la Chaire de leadership en enseignement de la sociologie de la coopération de l’Université Laval. Karine Awashish est co-fondatrice de la coop Nitaskinam, coopérative de solidarité qui permet la réalisation de projets collectifs à caractère socio-économique et culturel. Elle est titulaire d’une maîtrise en Loisir, culture et tourisme, à l’Université du Québec à Trois-Rivières et d’un baccalauréat en administration des affaires. Elle poursuit des études au doctorat en sociologie à l’Université Laval, où elle travaille sur les modes d’expressions culturelles et les pratiques d’autodétermination socio-économique en coopération autochtone.
Notre dernière invitée, Andrée Lévesque-Sioui est Wendate de la communauté de Wendake près de Québec. Autrice, compositrice, interprète, elle explore les chants sacrés du monde. Elle s’attarde à ceux de sa propre tradition. Elle enseigne la langue wendate aux adultes et aux enfants de sa communauté. En 2011, son album Yandawa, rivière, a remporté le prix de la meilleure réalisation d’album et en 2013, il a été nominé comme le meilleur album du monde au Native American Music Awards. Elle a récemment chanté sur la chaîne APTN pour l’émission Tam, à titre de soliste et de choriste.
Cette table ronde est divisée en deux parties. La première question que je vous adresse est : Pourquoi est-ce urgent de lutter contre les injustices et les inégalités, ici comme mondialement? C’est Paul Cliche qui va commencer. Marjorie Champagne
Ce dont je vais parler va nécessairement être partiel. Comme disait un vieux professeur: « Le savoir, c’est comme le fromage gruyère, c’est toujours plein de trous. » Le point de vue que je vais prendre en est un qui défend les intérêts des peuples subalternes, des peuples ignorés du sud. Je vais prendre ce point de vue en priorité. Pour ma présentation, j’ai retenu trois mots: concentration, destruction, transition. Il me semble que ces trois mots résument bien la situation actuelle. Je vais vous parler de la concentration de la richesse, du pouvoir et du savoir. Cette concentration est telle présentement, qu’au cours de la dernière année, il y a cinq millions de plus de millionnaires en dollars américains. Nous en sommes à 56 millions de millionnaires sur la planète. Ceux-ci représentent 1.1% de a population mondiale et ils concentrent 46% de la richesse et du patrimoine mondial.
En l’an 2000, les plus riches ne concentraient que 35% de la richesse. Donc, la concentration n’est pas une vue de l’esprit. C’est réel. Pendant ce temps, les 55% des personnes plus pauvres, détiennent 1,3% de la richesse mondiale. Un enfant de 5 ans comprendrait que cela n’a aucun sens, mais parfois nos dirigeants ont un peu plus de difficultés à comprendre. Dans la réalité, c’est probablement pire, puisqu’il s’agit de données officielles. Cela n’inclut pas les paradis fiscaux dont on parle beaucoup. Puis, les inégalités entre les pays du centre et ceux de la périphérie du système mondial, sont encore plus grandes. Par exemple, 39% de ces millionnaires vivent aux États-Unis. L’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest qui ne représentent que 17% de la population mondiale, concentre 57% de la richesse. Cette concentration est énorme. Seulement un exemple, il y a deux chercheurs américains qui ont calculé combien on dépensait aux États-Unis pour les chiens. Si les chiens étaient un pays, Dogland, ce serait un pays à revenu moyen. Ils seraient plus riches que 90% des Burkinabés et 70% des Boliviens. Cette richesse se traduit très concrètement pour les populations du Sud par l’accaparement des terres, par exemple, par des entreprises multinationales. Depuis l’an 2000, 119 millions d’hectares qui ont été accaparés. L’Afrique est au premier rang des continents et le Pérou au premier rang des pays. Dans ce tableau, le Canada est le second pays investisseur après les États-Unis, mais avant la Chine. Pourquoi est-ce qu’on accapare ces terres ? Pour les mines et les industries extractives, l’élevage intensif, les plantations, ce n’est pas pour nourrir les gens et cela dépossède dans bien des cas les populations locales et surtout les populations autochtones.
Maintenant, concentration du pouvoir dans les États autoritaires ou ploutocratiques. Combien cela coûte de milliards pour devenir président des États-Unis ? C’est inaccessible. On a beau dire qu’on est en démocratie, mais il faut être riche pour devenir dirigeant ou avoir l’appui des riches. De façon générale, on constate un déplacement du pouvoir du champ démocratique vers les sphères économiques, les conseils d’administration des grandes entreprises et les bureaucraties des institutions financières internationales. Ces derniers ne sont pas des élus et ils n’ont pas à rendre de compte aux populations. La reddition de comptes se fait aux conseils d’administration des détenteurs du capital, mais pas aux peuples. C’est ce que Suzanne Georges appelait la classe de Davos.
Ensuite, concentration du savoir. Les pays au centre du système mondial, ce que certains appellent « le monde au-dessus », contrôlent de façon disproportionnée tout ce qui est production, diffusion et légitimation du savoir, à travers tout le réseau d’universités, de centres de recherche et le système juridique de propriété intellectuelle et de brevets. Cela fait en sorte que les réalités et les expériences, les modes de connaissance issus des pays de la périphérie sont négligés et sous-valorisés. Je vous donne un exemple: En santé, 90% de la charge mondiale de morbidité est dans les pays du Sud alors que seulement 10% des fonds de recherche dans le monde sont consacrés à ces problèmes. Cela se traduit de façon très concrète.
Pourquoi est-ce que nous avons cette triple concentration ? D’une part, c’est l’héritage du colonialisme. Nous ne sommes pas encore sortis du colonialisme. Il a été suivi du colonialisme interne et du néocolonialisme. Nous sommes toujours sur cette lancée. En 1914, les pays occidentaux contrôlaient 85% du territoire mondial. Ce contrôle a amené des millions d’autochtones d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, à être soumis, torturés et massacrés. Je ne reviendrai pas sur l’histoire. 13 millions d’Africains ont été réduits à l’esclavage, c’est ça l’héritage du colonialisme qui permet de concentrer la richesse en payant moins les travailleurs de ces continents. Par ailleurs, c’est nécessaire et inhérent au fonctionnement normal du marché capitaliste sans intervention politique. Thomas Piketty a démontré de façon très éloquente et avec énormément de données empiriques comment le fonctionnement normal du marché mène à la concentration du capital.
Il n’y a une redistribution du capital seulement lorsqu’il y a des guerres ou quand le facteur politique intervient, quand on force les entreprises à payer leurs impôts.
Derrière tout ce modèle, j’identifie trois croyances fondamentales : le sentiment de supériorité de certains hommes blancs qui amène la surexploitation fondée sur des inégalités de genre, de classe, de race, et de groupes ethnoculturels. Deuxième croyance, la primauté des individus et des personnes morales, des entreprises, sur les collectivités. Le droit considère que les entreprises sont des personnes. Quand des pays comme l’Équateur et la Bolivie ont promulgué que la nature avait des droits, de nombreux juristes ont dit que cela n’avait pas de sens. Alors, comment cela se fait que la nature ne peut pas avoir de droits reconnus alors que les personnes morales oui ? Cette primauté ouvre la porte à l’accaparement des biens communs. Troisième croyance, le détachement du genre humain de la nature. Depuis quelques siècles, dans la pensée occidentale, le genre humain a été considéré comme détaché de la nature, contrairement aux conceptions autochtones. Cela débouche sur le productivisme et l’extractivisme.
Ceci m’amène à parler de mon deuxième point, la destruction des écosystèmes qui supportent la vie et la vie humaine. C’est une deuxième raison de vouloir transformer le monde. On parle de pollution, de dégradation de l’environnement, de l’épuisement des ressources, des changements climatiques, qui sont causés par l’activité humaine. C’est ce qui amène les géologues à parler d’une nouvelle ère, on parle d’anthropocène, on pourrait peut-être aussi parler du capitalocène. Cette destruction est liée au modèle de développement qui est fondé sur la croissance illimitée dans un monde où la bio-capacité est limitée. Ça ne peut pas fonctionner. C’est le futur de l’humanité qui est en jeu, mais d’une façon inégale. Il est clair que tout le monde n’est pas affecté de la même manière. C’est une situation d’injustice globale. Les populations qui sont les moins responsables de cette situation, sont celles qui souffrent davantage des conséquences négatives et qui sont le moins bien outillées pour y faire face tandis que les populations qui ont davantage causé cette destruction sont celles qui sont le moins affectées par les conséquences négatives et qui sont le mieu équipées pour y faire face. Dans le cas de la crise climatique, l’un des rapporteurs de l’ONU parlait d’Apartheid climatique. Il dit : Les riches paieraient pour échapper à la surchauffe, à la faim et au conflit, pendant que le reste du monde souffrirait.
Dernier élément : Transition. Ce mot soulève des craintes, mais il dégage aussi des opportunités. Socialement, la concentration et la destruction font que le modèle n’est pas viable. La classe dirigeante le sait très bien. De fait, nous sommes déjà en transition. Si nous sommes dans une époque tumultueuse, c’est à cause de cela. La pandémie en est un exemple. Actuellement, c’est l’urgence climatique qui est un peu la locomotive, mais vers où on s’en va ? Il y a des solutions. Celles qui viennent d’en-haut soulèvent un certains nombre de craintes, notamment les solutions autour de la géo-ingénierie, celle qui prône de planter des milliards d’arbres, chose qui risque d’affecter la souveraineté alimentaire des peuples. Ce sont des solutions qui sont purement techniques parce qu’on ne remet jamais en question l’essence du modèle. On pense que c’est seulement la science, seulement des ajustements techniques qui peuvent régler le problème. Je n’y crois pas. Plusieurs mouvements sociaux et organisations de la société civile ont une autre conception. Cela prend des solutions qui vont responsabiliser les entreprises et les classes sociales qui ont généré le problème. Il faut redistribuer la richesse et reprendre le contrôle sur les moyens de production. C’est essentiel. Il faut valoriser des solutions qui mènent vers des sociétés plus équitables, solidaires et conviviales. Je vous remercie. Paul Cliche
Je cède la parole à Émilie Nicolas. MC
Bonsoir tout le monde. Pourquoi est-ce important maintenant de lutter contre l’injustice et les inégalités ? Parce que plus on attend et plus ce sera difficile de le faire. Moins on le fait maintenant et plus elles continuent d’avancer et de s’incruster dans nos lois et nos comportements. Je vais commencer mon exposé en vous racontant l’une de mes grandes frustrations de la dernière année. Je travaille dans les médias et je suis chroniqueuse au Devoir, à la Gazette et je participe à des panels à CBC à chaque semaine. Comme c’est connu, sur ces panels il y a toujours beaucoup de diversité idéologique. Cela donne des chocs des idées très intéressants. À plusieurs moments, on nous a demandé de réfléchir aux vaccins. Est-ce que les vaccins sont disponibles et en assez grande quantité ? Pourquoi les États-Unis en ont, mais pas le Canada ? C’était la course aux vaccins. Est-ce que le gouvernement canadien n’était pas en échec sur cette question ? Je disais que si le Canada était le troisième pays au monde, ce n’était pas un échec. À chaque fois que je posais la question pour le reste du monde, j’avais droit à un silence assourdissant. Je suis incapable de placer ce point dans une discussion dans les médias. Si j’écris dans une chronique que seulement 1% de l’Afrique est vaccinée, je vous assure que personne ne va la lire et que mes éditeurs vont la mettre en dernier dans le journal. Il n’y a pas moyen d’avoir aucune empathie, il n’y a aucune préoccupation, pour l’enjeu des inégalités de la distribution des vaccins à travers le monde. Je me demande pourquoi ? C’est vrai que vous trouvez les questions de solidarité internationale intéressantes, mais pourquoi cette année, lorsqu’on parle d’autre chose que du Québec et du Canada, tout le monde s’en fout. On peut parler un peu des inégalités au Canada, mais si tu essaies de parler d’actualité internationale, les gens s’en fichent. Et je pense que c’est le cas particulièrement parce qu’il y a un sentiment de crise, d’état d’urgence.
Pour la première fois cette année, dans la vie de beaucoup de Canadiens privilégiés, il y a le sentiment que la pandémie a touché leurs parents qui étaient dans des CHSLD. Cela ne se passe pas à la télévision cette fois. Ce n’était plus des enfants noirs quelque part en Éthiopie, c’était des personnes privilégiées qui étaient atteintes. Il y a une sécurité qui est disparue dans la tête de nombreuses personnes qui fait que la société est concentrée en mode survie sur : je, me, moi et mon environnement. Est-ce que je suis en sécurité ? Est-ce que mes enfants le sont ? Je pense qu’en raison de cela, il y a beaucoup moins de disponibilité intellectuelle pour ce qui se passe loin de nos réalités qu’il y en avait en 2019. Je pense que c’est important de faire ce constat et de se dire que cette réalité psychologique est humaine. Elle parle de ce qui se passe quand nous sommes en crise alors que le 21ème siècle sera rempli de crises parce qu’une crise en amène une autre puis une autre parce que le monde est interrelié. Je ne pense pas avoir besoin d’expliquer cela aux gens réunis ici ce soir qu’une crise économique amène une crise politique et une crise sociale. Je pense que vous le comprenez très bien. Cela fait en sorte que ce mode où les gens vivent une forme de repli sur eux-mêmes et leur famille, préoccupés à satisfaire leurs besoins de base, je pense que nous sommes de plus en plus là-dedans. Je ne pense pas que cela soit un hasard qu’un parti d’extrême-droite au Canada ait récolté 10% des votes. On voit la montée d’Éric Zemmour dans les sondages en France. Il y a quelque chose qui est en train de se passer qui fait en sorte que le repli sur soi et ses proches est à la mode dans le monde dans lequel nous vivons. Je voudrais vous dire que 1) ce genre de phénomène n’est pas nouveau et 2) que lorsque ce phénomène perdure pendant un certain temps, on commence à le rationaliser de façon idéologique et cela tend à forger des idées qui naturalisent les inégalités.
Cela fait longtemps qu’il y a des inégalités de richesse, maintenant elles s’accélèrent. Il y a aussi d’autres inégalités que nous avons naturalisées depuis longtemps. Je donne de nombreuses formations sur l’antiracisme, sur la lutte sur les inégalités systémiques de façon plus générale auprès de différents organismes. J’essaie toujours de partir d’une idée comme : Pourquoi est-ce que le racisme existe ? Pourquoi est-ce que le capacitisme existe ? Pourquoi est-ce que le sexisme existe ? C’est toujours pour justifier une accumulation des capitaux entre les mains de certaines personnes. Quand on part de là, on réalise que lorsque les inégalités sont présentes depuis longtemps, on trouve des idéologies pour justifier l’accumulation des capitaux dans les mains de certaines personnes. Quand ces idéologies sont instituées dans la vision du monde, elles sont extrêmement difficiles à défaire parce qu’on ne parle plus seulement de statistiques ou de faits, mais de mentalités, de réalités qui s’auto-perpétuent. À partir du moment où l’on pense que certaines personnes ne méritent pas de vivre en paix, de préserver leur terre, ou qu’elles méritent d’être déshumanisées parce que leur religion est jugée illégitime, on rentre alors dans une logique où même si le système politique change, les préjugés restent et ils s’auto-perpétuent de manière autonome. Ils continuent de justifier des inégalités même lorsqu’ils sons dépourvus de leur logique interne.
Donc, premièrement, le sentiment d’urgence qui fait en sorte que les gens ont moins d’empathie; deuxièmement, plus les inégalités sont là pendant longtemps, plus on invente des idées qui justifient et naturalisent le statu quo. Alors il faut non seulement se battre contre le statu quo, mais contre les idées qui le justifient. La troisième chose que j’ai envie de vous dire, c’est comme les inégalités et les crises engendrent d’autres crises, plus on attend, plus on va être pris dans cette roue. Si, en ce moment, on se dit qu’on ne peut pas lutter contre les changements climatiques parce qu’il y a une pandémie, mais que celles-ci vont être de plus en plus communes à cause des changements climatiques, vous voyez comment nous sommes piégés. Si maintenant nous n’avons pas le courage de faire des changements sociaux radicaux pour enrayer les changements climatiques, je ne vois pas comment dans 5 ans nous aurons plus d’espaces libres dans notre tête pour les effectuer. Plus on attend, plus nos cerveaux vont être sollicités et plus nous allons devenir insensibles aux réalités qui sont loin de nous. Qui plus est, lorsqu’il s’agit de personnes privilégiées qui ont été socialisées dans des idéologies qui naturalisent les inégalités, ils ont encore plus tendance à demeurer dans leur carré de sable. En conclusion, je dirais que c’est maintenant qu’il faut lutter contre les inégalités, mais puisque celles-ci sont présentes depuis longtemps, il y a d’abord un travail de guérison à faire pour être capable de lutter. Par exemple, il y a beaucoup de dommages qui ont été faits par la violence coloniale qui fait en sorte que cela use la capacité des sociétés à avoir une boussole morale qui fait du sens et permet de lutter pour améliorer le sort du monde. S’il n’y a pas un travail de guérison qui est fait tant du côté des communautés marginalisées qui ont souffert que des communautés qui ont été privilégiés par cet état de fait et dont le muscle de l’empathie a été réduit en raison de l’habitude des privilèges. Je pense que de part et d’autre, il faut le plus possible travailler sur la guérison des conséquences des inégalités et réaliser que si nous vivons dans un monde inégal comme cela, ce n’est pas sans conséquences sur notre cerveau, sur nos valeurs, sur notre façon de socialiser les uns avec les autres. Il faut commencer par réfléchir au fait de quel genre d’humain cela a fait de nous d’être socialisés dans un monde comme celui que nous avons et comment on fait pour se changer soi-même avant d’essayer de changer le monde. Merci. Émilie Nicolas
Amel Zaza, vous désirez aborder le thème des injustices systémiques vécus par les femmes immigrantes et celles qui sont racisées. Je vous laisse la parole. MC
Je vais partir de la relation que le Québec entretient avec les femmes immigrantes, les femmes racisées. Mon intervention sera faite à partir d’un savoir expérientiel en tant que femme immigrante. Je ne suis pas anthropologue, ni sociologue ou académicienne, je suis une militante de terrain qui est partie de sa propre expérience pour la croiser avec d’autres expériences d’autres femmes pour considérer que ce qu’on vit ce ne sont pas des anecdotes, ni des faits divers, mais c’est vraiment une réalité systémique que le pays et le monde dans lequel nous vivons fabriquent. Donc, je voulais d’abord situer ma parole parce que je trouve que la neutralité ça n’existe pas puisque nous parlons tous et toutes de la place que nous occupons en ce monde. En tant que femme racisée de part mon origine et ma religion, je suis arrivée ici en 2013 avec une résidence permanente. J’ai eu ce privilège, contrairement à beaucoup d’autres personnes migrantes temporaires ou qui arrivent dans des statuts plus précaires. Le Québec m’a libellée comme travailleuse qualifiée, cela veut dire qu’il n’a pas dépensé un sous pour mon éducation. Je suis arrivée déjà prête pour le marché du travail. L’un des atouts majeurs dans mon parcours d’immigration a été la maitrise de la langue française. Mon rapport à cette langue est un peu complexe puisque c’est un lègue de la colonisation. Le français est ma troisième langue. Je l’ai appris à l’école, en même temps que ma langue maternelle qui est l’arabe. La Tunisie a été colonisée par l’empire français de 1881 à 1956. Je me définis comme une militante féministe, antiraciste et décoloniale. Je suis évidemment solidaire des luttes des peuples autochtones du Canada et je reconnais que ma présence ici sur le territoire est un peu similaire à la présence des colonies de peuplement qu’il y avait sur nos territoires sous l’empire français. Je reconnais que ma présence sur ce territoire contribue à cette dynamique coloniale.
Pour revenir à la question de ce soir, je vais m’attarder à la question du systémique qui peut apparaitre complexe. C’est abstrait, c’est difficile à identifier, et donc difficile à combattre. Je trouve qu’il est important d’expliquer cette dynamique par des exemples précis, notamment en lien avec l’immigration pour vous permettre de saisir la dynamique. Tout ce qu’on ne nomme pas, tout ce qu’on ne comprend pas, on ne pourra pas le combattre. Une autre chose que je voudrais nommer, c’est que le Québec n’est pas unique et exceptionnel, il s’inscrit dans une dynamique mondiale qui est plus grande. Une dynamique des rapports de pouvoir entre le Nord et le Sud que Paul a expliquée. Donc le Québec et le Canada s’inscrivent dans cette dynamique de pouvoir international. Pour illustrer mon propos, j’aimerais revenir sur un exemple précis. Ça a été mon onde de choc quand je suis arrivée en 2013, je suis atterrie en plein débat sur la Charte des valeurs québécoises. J’avais l’idée du Canada comme une société accueillante qui affectionne la diversité où l’on immigre pour chercher un avenir meilleur. Le débat m’a rappelé des images traumatiques, celles des missions civilisatrices en Afrique et des cérémonies de dévoilement des femmes dans nos pays par les colonisateurs. Ils utilisaient exactement le même argumentaire qui se déployait à l’époque de la colonisation par des féministes françaises qui s’étaient données pour mission de libérer les femmes tunisiennes en leur arrachant leur voile. Elles se positionnaient comme appartenant à une culture et à une civilisation supérieure et donc légitime à décider pour ces femmes. C’est ce qui leur permettait de les infantiliser et à les considérer comme des mineures.
Pour comprendre cette imposture, je pense qu’il faut remonter plus loin dans l’histoire. D’où est-ce que le Québec a puisé son féminisme ? Quelles sont ses influences, d’où cela vient-il ? Il y a quelque chose d’intéressant là-dedans. Par exemple, quand on revient sur le féminisme civilisationnel qui a beaucoup influencé l’Europe et l’Occident d’une manière générale. À l’époque de l’Europe des Lumières, il y avait des vagues de féminisme qui légitimaient complètement la colonisation. On devait aller coloniser ces territoires pour sauver ces pauvres femmes qui avaient besoin de sauveurs blancs. Le féminisme a été instrumentalisé pour justifier toutes ces entreprises et les femmes blanches ont contribué à cette dynamique par l’idéologie, mais aussi par leur présence sur ces territoires. En Tunisie, les hommes blancs ne pouvaient pas entrer dans les demeures, mais les femmes blanches pouvaient y accéder. Alors, ce sont elles qui faisaient toute la propagande pour demander aux Tunisiennes de se dévoiler. Cela marque l’imaginaire de constater que c’était des femmes blanches qui dévoilaient des femmes en Afrique. Ce féminisme est essentiellement un féminisme de genre qui se concentre beaucoup sur la question du patriarcat à abattre, c’est notre ennemi commun, etc., qui a beaucoup influencé le féminisme au Québec. À mon sens, ces multiples angles morts font en sorte qu’aujourd’hui on se retrouve dans une société où il existe encore beaucoup de disparités et d’inégalités entre les femmes, au sein du groupe femme. Cet épisode de la Charte des valeurs m’a amenée à réfléchir sur le fait colonial. J’étais vraiment sidérée de voir que même s’il n’y avait pas un rapport colonial entre la Tunisie et le Québec, entre les pays dont sont issues les femmes musulmanes et de culture arabe, je voulais comprendre d’où est-ce que cela venait.
Si nous prenons le cas du code de conduite d’Hérouxville en 2007, que j’ai lu en arrivant. Un conseiller municipal ayant passé des vacances au Moyen-Orient, a eu la brillante idée d’écrire un code pour préserver les droits des femmes ici. Le discours se présentait sous des allures très féministes. Le problème dans ce petit village de la Mauricie qui ne comptait que 1 300 habitants, c’est qu’il n’y avait aucun immigrant ni personne de confession musulmane. C’est intéressant parce que c’est exactement cela la logique du processus d’altérisation, c’est toujours le même procédé, on déshumanise, on fait appel à tous les clichés, les biais cognitifs individuels, on va chercher la peur profonde pour créer un sentiment d’aversion de l’autre. Dans le cas d’Hérouxville, on a créé un problème musulman là où il n’y en avait pas. Depuis ce code, il y a plusieurs autres chapitres qui se sont ajoutés à ce livre. Au Québec, on a continué à taper sur ce clou avec la Commission Bouchard-Taylor qui a eu pour mandat d’aller comprendre les malaises des Québécoises et des Québécois dits de souche pour essayer de pallier à leur allergie visuelle. Ensuite, il y a eu la Charte des valeurs en 2013, une version améliorée et assumée du code à l’échelle de la province où on a voulu rendre cela légal. Le grand vainqueur a été la loi 21 sur la laïcité qui empêche les femmes, surtout des femmes musulmanes dans une province où l’on manque d’enseignants et d’éducatrice, de travailler si elles portent un signe religieux. Il faut préciser que l’immigration québécoise est une immigration choisie, des personnes diplômées et francophones. Si je vous dis le processus par lequel je suis passé pour entrer au Canada, cela m’a pris 6 ans. Cela ressemble à une dynamique eugéniste. On sélectionne vraiment les meilleurs, les plus jeunes, en bonne santé, etc. Alors, une fois qu’elles arrivent ici, on ne reconnait pas leurs diplômes et on les oblige à aller dans d’autres métiers. La première chose qu’on m’a dit quand je suis arrivée, c’est que je devais retourner à l’université. J’avais 33 ans, j’avais fait toutes les études possibles et imaginables, j’avais 15 ans d’expérience, pour moi il était hors de question de refaire ce parcours.
Tout le monde me disait que je devais acquérir une formation dans un métier en demande et c’était des métiers en-deçà de mes qualifications. Il suffit d’aller voir sur le site d’Immigration Québec pour voir le type d’offres d’emploi qu’on y trouve. Ce sont souvent des emplois au salaire minimum, dans les métiers des soins, de l’éducation à la petite enfance. Ce sont donc des femmes qui sont obligées de se réorienter dans ses métiers. Parfois même, plusieurs d’entre elles choisissent de devenir entrepreneuses en démarrant des projets de garderie à domicile. C’est à celles là qu’on ferme la porte de l’emploi. À mon sens, c’est une injustice innommable. Encore aujourd’hui, c’est quelque chose qu’il faut continuer à contester. Malgré tout ce qu’on a fait comme société civile, je considère comme un échec que nous ayons une loi comme celle-là. Dans le débat au Québec, on ne considère jamais cela comme des luttes féministes. Je prends l’exemple de la loi 21, je siégeais à l’époque sur le conseil d’administration de la Fédération des femmes du Québec et de nombreuses féministes ne le voyaient pas comme un enjeu féministe. Pour elles, cela relevait plus de l’immigration, de la laïcité de l’État et elles ne faisaient pas nécessairement le lien avec le féminisme. C’est intéressant de voir à quel point, ce féminisme est incapable de voir la question de la race, de l’analyser. Dans les années 1960 et 1970, quand les Québécoises sont allés sur le marché du travail et qu’elles ont acquis une certaine autonomie financière, cela ne s’est pas fait en révolutionnant le système. Elles sont sorties sur un marché où elles vendaient leur force de travail dans un monde capitaliste. Entretemps, ce sont des nounous, des femmes de ménage et des travailleuses domestiques, essentiellement des femmes noires, qui ont pris le relais sur tout le travail domestique. On a commencé à professionnaliser tout le travail des soins, autrement dit, là où on a laissé de l’espace et du temps à des féministes blanches, c’était des femmes immigrantes, des travailleuses domestiques, des personnes qui prenaient soin des personnes âgées, et nous avons constaté cette dynamique pendant la pandémie. Ce sont des immigrantes qui donnent les soins que les femmes blanches ne veulent plus donner. La question qui se pose pour un féminisme qui veut révolutionner le monde et les rapports de pouvoir, de genre, etc., j’ai l’impression que nous sommes dans l’impasse parce qu’on ne fait que renforcer un système qu’on prétend combattre. Au final, on entre sur le marché du travail pour acquérir du pouvoir, mais au dépend d’autres femmes qu’on exploite sur le marché capitaliste. Je vais m’arrêter là. Amel Zaza
Maintenant on aborde les injustices systémiques chez les peuples autochtones avec Karine Awashish. MC
Merci à vous d’avoir tracé le chemin du dialogue. Vos propos résonnent beaucoup en moi pour plusieurs raisons. Je pense que M. Cliche a abordé la question de l’esprit du colonialisme et du capitalisme avec toutes leurs déclinaisons possibles aux multiples visages qui se sont matérialisées à travers différentes lois, normes, valeurs et comportements, dans la culture et dans nos manières d’être en tant qu’individu, en tant que femme, enfant, aîné. À la base, je pense que cela a beaucoup contribué à accroître les inégalités. Même si au départ, l’instauration de ces règles et de ces lois prétendaient être pour le mieux et pour le bien.
Je pense qu’il y a eu une erreur qui a fait en sorte que ces modèles et ces systèmes se sont enracinés depuis un siècle et demie. Si bien qu’il apparaît difficile aujourd’hui de se dire on change ça, on transforme ça. En fait, c’est un gros dilemme. Ce qui m’anime dans le choix d’avoir décidé de faire des études supérieures, c’est justement d’apporter cette réflexion et peut-être aussi de parvenir à transformer les choses de l’intérieur, d’amener ou de poloniser de nouvelles idées avec ma perspective autochtone. Quand je dis ma perspective, en tant qu’autochtone je porte un peu la voix de nombreuses nations autochtones, de communautés et en tant que femme également, mais c’est surtout Karine qui vous parle aujourd’hui. C’est moi qui évolue dans ce monde et qui est curieuse de mieux comprendre et de voir quel apport je peux amener, quel engagement j’ai envers cette lutte aux inégalités, même si je le fais à petite échelle. Un des éléments dans cet engagement que j’ai, c’est aussi pour permettre de transmettre, de travailler à éduquer, à sensibiliser puis à mettre en valeur, à me faire confiance, et à être fier de ce que je suis, de mes origines Atikamekw, d’être fier de ce que mes ancêtres portaient comme savoir, comme valeurs.
Maintenant, pourquoi on s’engage pour lutter contre les inégalités ? Je ne vous referais pas le topo historique de ce que nous avons vécu comme Premières Nations. Je pense qu’en ce moment, je sens un espoir, même si lutte n’est pas évidente, même si on brasse le cocotier, il y a une forme de prise de conscience. Il faut prendre la vague. Pour les Premières Nations et les Inuits, on sent qu’il y a une plus grande reconnaissance. C’est quelque chose que depuis longtemps on espérait que cela se produise. Donc, déjà, c’est quelque chose qui nous motive. Je pense que cette prise de conscience, cette reconnaissance, même si cela peut frustrer certains, je pense qu’il faut saisir cette opportunité et travailler à continuer à transmettre et à éduquer. C’est de cette façon qu’on peut peut-être arriver à un changement, ne serait-ce que pour les prochaines générations. J’ai appris que quand on pose un geste aujourd’hui, cela n’aura peut-être pas un effet direct, mais malgré tout, il faut continuer parce que l’effet va peut-être se manifester l’année d’après ou beaucoup plus tard. Je crois à ça. Je crois que quand on pose un geste, qu’on pose des actions, cela produit des effets. Pour ce qui est de ma perspective autochtone, je pense qu’en ce moment, ce qu’on doit se poser comme question, c’est comment on fait pour ramener l’humain au centre? L’humain et son environnement bien sûr, parce que pour nous Atikamekws, être autochtone, c’est être avec le territoire, c’est indissociable. Donc comment est-ce qu’on remet les valeurs au centre ? Comment les principes de réciprocité, de solidarité, de bien vivre, de mieux vivre, comment on peut ramener cela au centre de nos actions, de nos motivations, pour qu’elles puissent résonner pour vrai pour changer un peu les mécanismes dans lesquels on est pris, les systèmes un peu trop rigides ? On a parlé de la bureaucratie, comment les différents systèmes ont pris de l’emprise sur nos vies quotidiennes. C’est ce qu’il faut se demander. Je pense qu’à petite échelle, on peut ramener cette réflexion dans nos familles, entre des amis, avec nos collègues, avec les gens avec lesquels nous vivons dans notre quartier et notre village. C’est comme cela que petit à petit nous allons résonner et polliniser. Bien sûr, il faut aussi le faire à une autre échelle, aller en politique par exemple, mais je pense qu’à la base c’est cela qu’il faut faire pour avoir cette circularité dans la transmission de ces valeurs. Chez les Premières Nations, il y a une vision qui est basée sur l’approche holistique. Si je la décline sur une approche humaine, ce serait la Roue de médecine. C’est une vision holistique du monde et quand on l’applique à l’être humain, on le perçoit dans une dimension spirituelle, dans une dimension émotionnelle, dans une dimension intellectuelle et une dimension physique.
Cela fait trop longtemps qu’on a trop orienté la vie ou les gens ou le monde, les humains, dans une optique intellectuelle et physique, on a trop sous-estimé l’apport spirituel et émotionnel. Pourtant, pour favoriser un mouvement, un changement social, il faut faire appel à la spiritualité, c’est-à-dire, à nos valeurs universelles, au bien commun, et prendre les émotions comme forces transformatrices, forces pour changer les choses. Quand on est fâché, on en brasse des affaires, quand on est motivant, on veut encourager et on peut réussir à transformer. Puis, s’il y a des gens fâchés qui ne veulent pas de vaccins, pourquoi on ne pourrait pas nous aussi nous fâcher et dire oui il faut prendre soin des autres, il faut faire attention et s’indigner devant les injustices. Ça va nous aider à mieux réfléchir, à mieux planifier, à mieux organiser notre dimension intellectuelle, à mieux inventer, à mieux faire de l’innovation pour l’appliquer après, le mettre en œuvre et en action. Ça c’est l’aspect physique. Il faut ramener cette approche holistique dans nos actions et notre engagement pour la lutte aux injustices. Karine Awashish.
Cela fait du bien de vous entendre parler Karine Awashish. Cela nous introduit fort bien à l’intervention d’Andrée Lévesque-Sioui qui va aborder maintenant la question du pouvoir de la poésie et du chant comme élément transformateur pour créer des liens de solidarité. Donc nous allons parler d’art avant d’aller à la seconde partie de notre table ronde qui est constituée de pistes d’actions et de solutions. À vous la parole.
Bonsoir, merci à tous et toutes. C’est vrai que cela brasse plein d’idées et que cela nous amène sur des pistes intéressantes. Je suis reconnaissante d’être ici parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup de choses à dire. Je ne dis pas que je ne suis qu’une artiste, c’est un point de vue important dans nos sociétés. Comme autochtone, je pourrais vous partager plein d’anecdotes et d’histoires, je suis une conteuse. Oui la poésie, le chant, les arts en général, ça a transformé ma vie. On part d’un pouvoir personnel, l’écriture par exemple. J’ai commencé à écrire à l’adolescence parce que j’en ai ressenti le besoin, ça a été ma bouée de sauvetage, ainsi que les gens autour de moi. Quand ce n’était pas dans la famille immédiate, c’était une tante, la voisine. J’ai perdu ma mère de façon dramatique lorsque j’étais jeune et il y a eu un mouvement de solidarité qui s’est tout de suite manifesté dans le voisinage. Toutes les voisines se sont mobilisées et elles ont été voir mon père pour lui dire: à tour de rôle, on va prendre vos trois enfants pour diner à la maison pendant la semaine. Alors, on allait diner chez les voisines. Ça a été mon entrée en matière chez l’autre. La diversité, c’est d’abord là que je l’ai rencontrée. Je viens d’un milieu assez homogène, Québécoise par ma mère, Wendate par mon père. La langue wendate n’est plus parlée depuis 150 ans, alors nous avons beaucoup perdu notre culture. Comme Wendate, j’affirme que nous avons une blessure culturelle importante. Nous la portons comme un poids. Qu’est-ce que j’ai rencontré chez ces voisines ? Premièrement, j’ai rencontré beaucoup d’amour, une disponibilité et une diversité. C’était un milieu assez homogène, mais les microcosmes de chaque maison, j’aimais allez chez madame Duperré parce qu’elle me faisait du pain aux bananes, madame Tremblay était granola, et toutes ses filles étaient granos, et il y avait un piano. À partir de ce moment, j’ai voulu apprendre le piano. J’avais aussi la bienveillance des filles et on s’installait au piano. Dans ces petits moments de diners, multiplié par 8 mois, on a veillé sur moi. Cela m’a aidé à pondre des textes. Donc un drame, et toutes ces femmes qui se sont mobilisées parce qu’elles aimaient beaucoup ma mère. Alors nous avons été pris à l’échelle locale, dans notre communauté, notre rue. Il y a moyen de planter dans la tête d’un enfant que l’entourage prend soin de moi sans m’être apparenté.
J’y ai vécu beaucoup de joies. Après cela, mon père s’est remarié et nous avons déménagé. Là j’ai vécu le déracinement puisque nous sommes sortis de la ville de Québec. Là, on ne parle même pas de l’art, on parle de collectivité, de village, de proximité. Je pense que le changement s’opère à partir du moment où on commence à dire oui à l’engagement. Vous êtes tous des gens qui sont engagés pour changer le monde. J’ose espérer que vous le faites aussi à petite échelle, dans vos familles ou autour de vous. Un des plus beaux engagements que j’aurai jamais pris, c’est celui de m’engager et de devenir une veilleuse puisqu’on ne sait jamais ce que l’autre vit. Il faut penser à nos relations. Chez les Wendates, nous sommes matri-centristes, cela veut dire que la femme se situe au milieu de notre conception du monde. Autour de cette image, nous avons tous les mois et à chacun correspond une activité particulière. Nous avons nos cérémonies et notre calendrier rituel. En voyant cela, c’est sûr qu’on s’engage à remercier parce qu’on le voit que nous sommes en relation. En fait, l’humain est au centre, en relation et engagé dans un échange. Dans nos mythologies que je raconte aux enfants à l’école, j’enseigne la langue wendate, c’est dans nos langues que nous retrouvons les valeurs. En wendate, nous avons 15 pronoms personnels, c’est plus qu’en français. Il y a le nous deux qui est très important, le nous deux inclusif et exclusif, le ils deux et elles deux, le elles toutes, le ils tous, le nous tous, il y a beaucoup d’univers. Cela parle des relations ces 15 pronoms personnels. Si je reviens au CPE, quand je raconte le mythe de la création aux enfants, c’est hyper important qu’ils sachent qu’avant même que les humains arrivent, c’est la femme, apportée par les oies, qui tombe du ciel sur le dos de Grande tortue. Déjà, cela raconte que les animaux étaient là avant nous. Déjà, dans nos mythes et nos histoires, se trouve une façon d’être humain. Le mode d’emploi se trouve dans ces histoires et dans nos langues aussi. Tout est féminin en wendate, l’univers wendate est féminin. Il y a quelques exceptions comme les étoiles, le tonnerre ou le Créateur qui sont masculins. Alors les animaux se mobilisent en se disant que la femme ne peut pas demeurer sur la carapace de la Grande tortue. Alors je dis aux enfants que les animaux tenaient conseil et chacun avait ses tâches et ses responsabilités. Finalement, il y a eu des volontaires, c’était le consensus déjà. Dans le grand cercle autour de Grande tortue, on fait un appel volontaire. Qui aurait envie ? Il y a trois animaux qui acceptent d’y aller, et finalement, c’est la vieille grand-mère crapaud qui va au fond de l’eau et réussit à ramener une motte de terre. Mais les animaux meurent et les enfants comprennent qu’il y a des animaux qui sont morts pour nous. Dans leur petite tête, ils ont cette intelligence de comprendre bien des choses. La dernière fois que j’ai raconté cette histoire, il y a un enfant qui m’a dit : « Est-ce que l’animal est allé à l’hôpital ?» Donc l’empathie, dont on parle, cela nait très tôt chez les enfants par l’art du conte, du chant, de l’enseignement poétique de la langue. Les langues autochtones sont des langues descriptives et on y trouve l’empathie, l’humilité et la reconnaissance. À partir du moment que tu comprends comment tu es relié, tu développes ta conscience de l’autre et de ton interdépendance. C’est une histoire, ce n’est pas scientifique, c’est la vision que nos ancêtres avaient du monde, mais cela ne doit pas être balayé du revers de la main. Beaucoup plus que nous ne le sommes aujourd’hui, ils étaient en relation avec le territoire et avec tout ce qu’il y avait à leur disposition pour qu’ils puissent vivre et qu’on soit là aujourd’hui. Nous sommes ici parce qu’il y a des gens qui ont respecté le territoire. Parfois, je suis témoin de la bonté, le fait de côtoyer des artistes nous amène dans une sensibilité autre, une autre façon de penser qui nous ouvre. Il y a quelque chose en-dedans de nous qui s’ouvre. Je pense aux enfants qui ont cela naturellement, ils sont comme des artistes naturels.
J’ai été témoin de deux petits garçons et l’un a posé sa main sur celle de l’autre, sans tabou ni jugement. Il n’y avait rien d’autre que deux êtres en relation qui s’aimaient. L’autre a répondu avec un sourire et il a pris sa main. J’étais émue aux larmes. Le sort du monde se jouait là. Cela commence comme cela en laissant faire ces deux êtres qui ont juste envie d’être ensemble. Andrée Lévesque-Sioui.
Cela termine bien ces présentations. On va faire un petit retour sur les différentes interventions en débutant par Paul Cliche. MC
J’ai beaucoup aimé cette idée de vision holistique, c’est important cette question des sentiments. Ce qui me revenait en tête, ce sont mes expériences au Brésil avec le Mouvement des paysans sans terre. On commence toujours une activité de formation avec la « mistica » parce qu’avant d’utiliser la tête, il faut mettre les sentiments et orienter notre sensibilité en lien avec le sujet de la discussion. Je dirais que pour nous en coopération, c’est un beau mot, mais est-ce qu’on peut l’approfondir pour que cette coopération ait le courage de renforcer cette relation pour leur donner vraiment le pouvoir et lutter avec eux. Il faut adopter une vision différente. On parle beaucoup d’universel, j’irais contre cela pour défendre l’idée d’un monde pluriversel. Une chose que j’ai apprise au Chiapas, c’est un monde où il y a de la place pour plusieurs mondes. Donc, il y a différentes façons de voir et l’un des plus gros défauts qu’on retrouve dans certaines formes de coopération, c’est l’imposition de nos méthodes et de nos valeurs. Souvent, cela se fait insidieusement et à la fin quand on regarde les résultats, nous avons imposé notre vision, mais on ne s’en rend même pas compte. Je terminerais avec les paroles de l’ex-président du Burkina Faso, Thomas Sankara qui a été assassiné en 1987 : «On ne fait pas de transformations sociales sans un minimum de folie. Dans ce cas cela devient du non conformisme, le courage de tourner le dos aux formules connues, celui d’inventer l’avenir. » Je nous inviterais à sombrer dans cette belle folie de Sankara. Paul Cliche
Je passe la parole est à Émilie Nicolas. MC
Ce n’est pas la première fois que je participe à une activité de l’AQOCI et je pense que depuis 10, 20 ou 40 ans, Il y a une discussion qui revient tout le temps sur la décolonisation, c’est comme un malaise constant qu’on essaie de défaire et je pense qu’il y a beaucoup de gens qui réfléchissent à ces questions de façon très intense. Le niveau de la réflexion est là, mais dans les pratiques, cela prend du temps à changer. C’est comme si, et pas seulement dans la coopération internationale, le fait de réfléchir à être plus éthique justifie que les mêmes personnes restent en position de pouvoir parce qu’ils ont pris le temps de réfléchir au fait de comment faire de la décolonisation et de la coopération. C’est un serpent qui se mort la queue en quelque sorte. J’ai une amie qui travaille dans le nord du Québec au Nunavik auprès des communautés inuites. Elle est elle-même racisée et elle me racontait comment il est impossible, quand tu connais les réalités du sud, d’arriver dans le nord et de voir que c’est exactement les mêmes dynamiques qui sont reproduites. Les personnes inuites qui parlent la langue sont jugées comme non qualifiées pour avoir les postes de direction parce que les seules qualifications retenues sont les universitaires qu’il faut aller chercher au sud. Cela fait en sorte que les Québécoises du sud sont payées 2 à 3 fois plus cher que les personnes autochtones. Ce n’est pas seulement dans le nord que cela se produit, c’est comme cela un peu partout au Québec. C’est comme ça aussi en Abitibi.
Cette réalité d’absence de reconnaissance des compétences au Québec dont Amel nous parlait, c’est là aussi dans les relations non autochtones-autochtones dans les choses qui veulent être de la solidarité. Il faut arrêter de croire que le DG doit venir d’ici, qu’il doit être le plus éthique possible et avoir le plus réfléchi aux dynamiques de décolonisation. Parfois, il faut juste s’enlever du chemin. Je pense que vous le savez en partie et que cela fait partie de vos réflexions. C’est vraiment l’un des nerfs de la guerre parce qu’il est très difficile de défaire cette structure et de s’assurer vraiment que ce qu’on dit s’articule dans chacune de nos actions. Émilie Nicolas
Merci, Amel Zaza à vous maintenant.
J’ai bien aimé que vous ayez cité Thomas Sankara. Il a été tué parce que ses idées étaient trop radicales et trop révolutionnaires. Je trouve que ce qui nous manque en ce moment, c’est justement cela, nous n’avons plus de projet de société radical. On est trop réformiste, on n’arrive même plus à sortir de cette boîte, le système est tel quel et il va falloir qu’on le réforme, qu’on le change, on va faire du développement durable, on va composter, on va essayer de nous responsabiliser pour réduire notre empreinte carbone. Tout cela franchement, ma fille va à l’école et elle rentre avec ce genre de pensées à la maison puis j’essaie de la déconstruire à tous les jours. Je trouve que nous sommes submergés par le système, il nous dépasse, il travaille à temps plein, alors que nous les personnes militantes, engagées, on essaie de le combattre à temps partiel. Nous en sommes rendus à un point où nous sommes tout le temps en réaction. On arrive même plus à rêver le monde qu’on veut voir advenir. Il va falloir opérer un changement de paradigme. J’ai travaillé 8 ans dans la coopération entre la Tunisie et la France. Après cette expérience, j’ai compris que la coopération est un autre terme pour nommer les dynamiques néocoloniales où la France continuait d’acculturer la Tunisie et à avoir une influence sur un pays qu’elle a quitté. Elle a quitté le territoire, mais elle tenait à continuer de coloniser nos imaginaires et nos têtes. Je pense que c’est important qu’on change ce paradigme, qu’on le comprenne surtout pour les personnes qui travaillent dans la coopération. Arrêtons de lutter contre la pauvreté dans les pays du sud, éradiquer la richesse chez vous. Vous avez la liste des gens riches, attaquez vous à ces personnes. Tout simplement. Amel Zaza
Merci, maintenant c’est à Karine Awashish de s’exprimer.MC
J’aime ta proposition. Moi je n’aime pas les modèles hiérarchiques pyramidaux, je trouve que cela n’est pas naturel. Comment nous avons décidé d’essayer d’affirmer notre identité, de mettre en valeur les savoirs, et aussi les valeurs, on l’a fait en créant notre coopérative Nitaskinan. Cela fait 6 ans déjà. À la base, c’était un souhait parce qu’on refusait de nous situer dans la norme, mais on l’est quand même un peu, mais on voulait faire les choses différemment. Je me voyais dans un modèle différent, je ne me reconnaissais pas et je ne voulais pas me retrouver dans un système ou des organisations même chez nous dans nos communautés. Pour moi, le sentiment de liberté était important, ma créativité était importante et je voulais la mettre à profit. Je pense que pour nous la coopérative, même s’il elle n’est pas parfaite, parce qu’au Québec nous avons une loi sur les coops, nous ne pouvons pas totalement exprimer nos spécificités autochtones, mais on s’efforce de le faire. Pour nous, la coop est comme un véhicule, un moyen de s’organiser, de transmettre des valeurs, d’amener une dynamique nouvelle de relations. On utilise le prétexte économique par le biais de notre coop à travers nos services, nos actions et nos réalisations, mais aussi pour amener une autre manière de faire des affaires.
Donc, dans une dynamique davantage de relation que d’échange d’argent. Évidemment il y en a, pour nous l’argent est un moyen pour réaliser des choses. On voit notre coop plutôt comme dans une dynamique circulaire où chacun a sa place, où chacun peut participer et peut contribuer au développement et à l’évolution de la coopérative. Nous évoluons en fonction de mettre en valeur les notions de solidarité et de réciprocité. En l’appliquant dans une dynamique d’affaire, mais aussi en ayant des impacts dans le milieu, dans les environnements et le territoire où nous vivons, dans une optique de développer le potentiel humain, mais aussi de développer en harmonie avec l’environnement. C’est une manière de polliniser et d’amorcer un changement. Karine Awashsih
Merci. André Lévesque-Sioui à vous maintenant. MC
Par rapport à la question : Est-ce que le chant, la poésie cela change quelque chose ? Moi quand je lis, je suis touchée, je peux être bercée, rassurée, confrontée, cela m’aide à réfléchir, mais aussi cela m’amène dans le cœur. Parfois, cela me donne envie d’aller prendre une marche. Définitivement, la poésie ou la littérature et l’art en général quand je vois un arbre, ou un ciel, parce qu’il y a aussi des œuvres d’art dans la nature, ça fait bouger quelque chose en moi et je repars avec quelque chose de neuf. Même chose quand je reçois des chants ou lorsque je chante, cela crée des relations, il y a des gens qui viennent me parler. Cela peut sembler intangible, mais c’est un prétexte pour entrer en relation. Quand on reçoit l’art, c’est aussi un prétexte à la relation avec soi-même. Il y a quelque chose qui peut changer. Les mots que j’aimerais citer sont ceux de Louis-Karl Picard-Sioui qui répétait souvent cela à la maison longue : « Chanter et danser, c’est remercier. C’est l’une des façons que nous avons comme être humain de remercier. » Si tu es gêné de chanter et de danser, pense que c’est un remerciement. « Mais remercier, c’est encourager. » Alors, quand on chante on encourage. Andrée Lévesque-Sioui
Propos rapporté par Yves Carrier
Déclaration de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale:
Ce que le Québec doit faire dès maintenant pour transformer le monde : 10 pistes d’action
Nous sommes des organismes de solidarité d’ici et d’ailleurs, des membres et des partenaires de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), des organismes travaillant pour un monde plus juste et solidaire aux quatre coins du Québec et de partout dans le monde.
Plus que jamais, la lutte contre les inégalités et les injustices perpétrées au Québec doit inclure celles commises à l’échelle mondiale. Car les causes des discriminations vécues ici sont étroitement liées à celles subies ailleurs dans le monde.
C’est dans un monde marqué par une pandémie de COVID-19 qui a exacerbé les inégalités existantes que nous lançons notre appel à agir dès maintenant. Un rapport publié juste avant le début de la pandémie soulignait que les quelque 2 000 personnes les plus riches de la planète se partageaient une fortune plus grande que l’ensemble des ressources dont disposaient pour vivre les 4,6 milliards de personnes les plus pauvres. Or, cet écart de richesse a continué de se creuser pendant la crise sanitaire alors que ces milliardaires ont augmenté leur fortune de 3 900 milliards de dollars, soit l’équivalent de 75 fois les dépenses annuelles du Québec en santé.
Cette accentuation des inégalités s’est manifestée dans plusieurs autres domaines. Depuis le début de la pandémie, on constate une hausse des violences à l’égard des femmes, spécifiquement de la violence conjugale, et un accroissement de la pauvreté. Les personnes des pays les plus appauvris ont connu une diminution importante de leur niveau de vie et, partout dans le monde, ce sont les personnes que notre système vulnérabilise qui ont éprouvé le plus lourdement la maladie et la mortalité, faute d’accès suffisant aux protections et aux soins. L’insécurité alimentaire s’est aussi grandement aggravée, le nombre de personnes souffrant de la faim ayant presque doublé en 2020. Et l’accès aux vaccins, reflétant davantage les intérêts nationaux des pays du Nord qu’une véritable solidarité mondiale, est très loin d’être équitable. Pourtant, nous ne pourrons vaincre cette implacable maladie que si la vaccination est disponible pour toutes les populations, particulièrement les plus vulnérables.
On assiste aussi à une multiplication et à une intensification des conflits, des violences et de la répression contre des communautés et des peuples. Nous déplorons notamment le fait que les États aient trouvé le moyen en 2020 d’accroître de manière importante leurs échanges commerciaux d’armes et de consacrer 1830 milliards aux dépenses militaires, un nouveau record . C’est 11 fois plus d’argent que ce qui est consacré à l’aide publique au développement !
Et il y a la crise climatique qui transforme notre planète en profondeur à une vitesse inégalée et qui va irrémédiablement modifier les conditions de vie, d’habitation et l’alimentation de toute la planète, affectant de manière disproportionnée les pays et les populations qui y ont le moins contribué.
Nous pouvons transformer le monde dès maintenant !
Collectivement, nous menons les actions nécessaires pour accélérer la transformation du monde afin de le rendre véritablement juste et égalitaire. Il y a urgence ! Nous interpellons l’ensemble des parlementaires québécois à emboîter le pas et à accroître leur engagement. Nous proposons d’agir en intégrant les analyses et les pistes de solutions élaborées par les grands mouvements sociaux d’ici et du Sud, des nombreux organismes partenaires de la solidarité internationale québécoise et des personnes directement touchées par les inégalités systémiques.
- Valoriser les savoirs et les pistes de solutions des communautés et des groupes de personnes touchées par les inégalités et les injustices systémiques.
Toutes initiatives, politiques et programmes déployés ici et à l’international doivent être planifiés en prenant en compte les savoirs, les analyses et les pistes de solutions des communautés ou groupes de personnes affectées par les injustices et les inégalités, notamment les femmes, les Peuples autochtones, les personnes racisées, LGBTQI2S+, celles vivant avec un handicap, etc.
- 2. Lutter contre l’évasion fiscale et taxer la richesse des grandes entreprises et des plus riches
En plein scandale des Pandoras Papers, on ne peut plus nier la nécessité d’abolir les paradis fiscaux qui dépossèdent les gouvernements du monde de 427 milliards de dollars chaque année, les pays du Sud étant proportionnellement plus durement touchés. Ces paradis fiscaux favorisent l’essor de la criminalité et de la corruption. Or, un impôt de 1 % sur les fortunes de plus de 20 millions de dollars se traduirait par des recettes de 10 milliards de dollars au cours de la première année seulement. Cela permettrait de mobiliser suffisamment de ressources pour réinvestir dans nos services publics, nos programmes sociaux, les organismes communautaires et la solidarité internationale.
- Prendre position contre les inégalités affectant massivement les communautés du Sud dans la lutte contre la COVID-19
Sur les tribunes fédérales et internationales auxquelles il a accès, le Québec doit prendre position : 1) pour que les brevets sur les vaccins contre la COVID-19 soient libérés dans les plus brefs délais ; 2) pour que soit mis en place un mécanisme multilatéral visant à garantir une distribution mondiale des vaccins basée sur les besoins et selon un ensemble de principes transparents, équitables et scientifiquement solides, afin de mettre fin à l’appropriation actuelle des doses et le verrouillage des commandes par les pays riches ; 3) pour que la dette des pays du Sud, en grande partie abusive, soit allégée et pour que l’aide d’urgence à ces pays soit offerte sous la forme de subventions et non de prêts.
- Encourager et soutenir l’agroécologie et le commerce équitable
Tant dans nos programmes agricoles d’ici que dans nos initiatives de solidarité internationale, l’encadrement et le soutien à l’agriculture doit 1) tenter d’atténuer le pouvoir de l’industrie agroalimentaire qui promeut une agriculture industrielle beaucoup plus polluante, nécessitant plus d’eau ainsi que le recours à des intrants chimiques nocifs pour la terre, l’eau et la santé humaine ; 2) soutenir les méthodes de production plus respectueuses de l’environnement, de la terre et des droits des gens qui la travaillent ; 3) promouvoir le commerce équitable. Par exemple, Québec doit soutenir activement la recherche, le développement et l’utilisation de méthodes agroécologiques, ainsi que le recours aux semences paysannes.
- Combattre les racines profondes de la violence et de la discrimination contre les femmes et basées sur le genre
Tant ici que dans nos politiques et programmes internationaux, le Québec doit 1) soutenir les organisations par et pour les femmes et les personnes LGBTQI2S+ ; 2) poursuivre les efforts en vue de sensibiliser et former le public et différents acteurs étatiques et non étatiques sur les causes profondes des violences contre les femmes et basées sur le genre ; 3) poursuivre les efforts en vue de créer des solutions de rechange aux systèmes de police et de justice criminelle ; et 4) valoriser à leur juste mesure, notamment financièrement, les métiers majoritairement occupés par les femmes, dont plusieurs relèvent du service public.
- Respecter et protéger pleinement les droits des personnes migrantes et réfugiées
Ces personnes sont souvent les plus vulnérabilisée de notre monde. Travaillant dans les services essentiels, tant dans la production agricole que dans le travail de soin, nombre de ces personnes se voient dénier la protection et le respect de leurs droits, souvent en raison de programmes que nous avons mis en place. Le Québec doit donc réviser ses programmes de recours au travail temporaire pour offrir aux travailleuses et travailleurs migrants la possibilité de demander un statut permanent et pour mettre en place des mesures de protection et de recours en cas de violations de leurs droits. Le Québec doit aussi bonifier ses programmes d’accueil pour les personnes réfugiées et immigrantes. Et il doit intensifier la sensibilisation du public sur sa nécessaire participation au soutien à l’inclusion de ces personnes.
- Mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies pour les droits des Peuples autochtones et reconnaître le racisme systémique en s’attaquant à ses racines profondes
Le Québec doit mettre en œuvre les recommandations de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones et de la Commission de vérité et réconciliation. Et il doit poursuivre le développement d’une réelle relation de nation à nation avec les peuples autochtones fondée sur la reconnaissance des droits, le respect et la coopération. Au Québec comme ailleurs dans le monde, le racisme systémique est présent. Pour le contrer, il faut le reconnaître, le comprendre et agir collectivement. On doit intensifier l’éducation des différents acteurs étatiques et non étatiques et la sensibilisation du public. Nous devons écouter celles et ceux qui vivent les effets du racisme systémique au quotidien et appuyer leurs luttes. Le Québec a la responsabilité d’adopter des mesures concrètes pour contrer toutes les formes de racisme systémique.
- Amorcer une véritable transition économique et écologique
La transition économique et écologique doit comprendre la mise en place de mesures ambitieuses vers des économies carboneutres qui sont aussi porteuses de justice sociale et respectueuses des écosystèmes. Il faut reconnaître, dans nos lois, nos politiques et nos programmes, les ressources naturelles et tout ce qui est nécessaire aux besoins de base comme des biens communs et les gérer en fonction des droits humains. Au niveau financier, le Québec devrait interdire tout nouveau financement de projet d’extraction d’hydrocarbure ; et abandonner graduellement le soutien aux industries polluantes et dévastatrices, en réallouant les ressources aux initiatives visant la protection de la terre, du vivant, de l’eau et des écosystèmes. Il devrait en être de même pour nos programmes internationaux 1) en soutenant activement les communautés et les organisations qui luttent pour la protection de la terre, du vivant, de l’eau et des écosystèmes ; et leur venant en aide dans leur adaptation aux impacts de la crise climatique ; 2) en donnant la priorité à l’aide aux pays à faible revenu qui sont confrontés aux plus grands défis climatiques, notamment en agissant sur l’allégement de la dette et en augmentant les financements sous forme de subventions.
- Contribuer activement à la prévention des conflits et à la construction de la paix
Le Québec doit mener des initiatives de plaidoyer, tant auprès du gouvernement fédéral qu’à l’échelle internationale pour : 1) que diminuent les ressources allouées à l’industrie militaro-industrielle afin d’investir plutôt massivement dans les organisations et les réseaux du Sud qui travaillent à la construction de la paix, notamment les groupes de femmes ; 2) que le Canada se dote d’un véritable mécanisme de justice pour les communautés d’ailleurs lésées par les activités des compagnies canadiennes à l’étranger, notamment les entreprises extractives dont les activités sont source de pollution, de répression et de violences à l’encontre des communautés dans plusieurs cas ; 3) et que le Canada se dote d’une loi sur la diligence raisonnable ? pour encadrer les activités de ces compagnies dans le but de prévenir les abus.
- Promouvoir et soutenir les initiatives d’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM)
En conclusion, nous invitons le gouvernement du Québec à promouvoir et à soutenir les initiatives d’Éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) et d’éducation populaire. Les problématiques auxquelles fait face l’humanité sont de plus en plus complexes et interreliées. L’ECM permet de comprendre les causes structurelles des rapports de pouvoir qui créent des injustices et des inégalités. L’ECM devrait notamment être le fil conducteur du nouveau cours « Culture et citoyenneté québécoise », parce qu’elle favorise l’émergence de prises de conscience, de solutions et d’actions fondées particulièrement sur les savoirs et les analyses des groupes les plus discriminés. Elle privilégie l’action en réciprocité et la construction de liens de coopération et de solidarité entre les personnes, les communautés et les peuples face aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés. L’ECM est essentielle à l’édification d’un monde d’égalité, de justice, de solidarité, de liberté et de paix.