Ça roule au CAPMO, septembre 2023

La vie, la vie

Ce souffle trop bref qui nous est prêté pour un moment, dont nous oublions la cause et la finalité, est à durée variable pour chacun de nous. Mais ce n’est pas la longueur de nos jours qui exprime toute la profondeur de l’expérience humaine. Souvent centré sur soi, c’est l’éducation que nous recevons renforcée à grand renfort de publicité, qui nous inculque notre individualité. S’il est important d’avoir une conscience de soi, il ne faut toutefois pas tomber dans l’oubli des autres.

Socialement parlant, c’est un échec. La rupture de la relation aux autres et avec la nature comme paradigme culturel du chacunE pour soi, n’est pas viable à long terme puisque c’est pour une bonne part notre triple appartenance à une communauté, au territoire et à une culture qui détermine qui on est.

Comme Québécois et Néo-québécois, nous avons la chance de pouvoir exprimer notre individualité sous une forme libérée, toujours à parfaire, de notre singularité comprise comme enrichissement du collectif et maillon d’une chaine qui nous précède et nous dépasse dans l’espace et le temps.

Même si nous faisons semblant d’ignorer sa présence impitoyable, la mort aussi nous dévisage. Souvent tragédie et bonheur vont de pair, sans que nous sachions pourquoi ni comment? À vrai dire, il n’y a pas grand-chose à comprendre, si ce n’est que notre existence, au regard de l’éternité, n’est qu’une présence furtive que le passage du temps aura vite effacé.

Toutes les spiritualités cherchent à répondre à ces grandes questions et à nous relier à quelque chose de plus grand pour donner un sens  à l’inéluctable. Pourtant, comme dit Pascal, si l’univers n’entend pas notre tragédie, nous sommes tout de même un roseau pensant, le résultat de l’évolution de la vie, d’un chaos générateur qui a fait de nous, si nous le voulons, la conscience de la Terre en marche.

L’esprit des être contemplatifs et de certains artistes, est un paradoxe qui interpelle la société de consommation insatiable et toujours insatisfaite dans sa course à l’anéantissement. C’est que nous n’avons pas encore appris notre vraie nature.

Surpasser un mode de vie superficiel devient un impératif de survie pour l’humanité et les solutions ne pourrons pas être qu’individuelles. Pour survivre aux changements climatiques, nous devrons retrouver les racines qui ont permis à des dizaines de générations d’affronter tous les périls de manière sereine et solidaire. Loin du « sauve qui peut » général, un autre monde devient possible si nous le voulons vraiment, apprenant à faire de chaque écroulement, une opportunité de reprendre le cours du cosmos générateur de vie. Là où certainEs nous précèdent, nous invitant à faire de notre mieux, poursuivons nos engagements.

Yves Carrier


Messieurs mes premiers ministres

  1. Trudeau et M. Legault, j’ai une idée pour vous et elle est libre de droit.

Je pars seulement de trois constats :

Il y a des espaces commerciaux libres dans nos centres villes,

Il y a des commerçants qui ont faim de fréquentation, dans ces mêmes centres villes,

Il y a une réelle crise du logement pour des personnes et des familles.

Pourquoi pas, MM. les premiers ministres, profiter de cette conjoncture pour mettre sur pied un programme conjoint de conversion d’espaces commerciaux en espace d’habitation ?

Je me permets d’en profiter pour vous dire qu’il ne faut pas procéder avec des foutus crédits d’impôt. Ceux-ci n’ont que des effets pervers. D’abord, il est alors sous-entendu que ce n’est pas un honneur de payer tous ses impôts.

De plus, avec 30 à 40% de la population qui ne paye pas d’impôt, ceux-ci ne peuvent y trouver leur compte tout en étant celles et ceux qui ont le plus besoin de l’attention de nos gouvernements.

Des immeubles vides ou presque vides existent. Il vous suffirait d’en financer les conversions et ensuite, bien sûr, il vous faudrait faire réapparaître dans vos vocabulaires respectifs ces mots qui ne mordent pas, LOGEMENT SOCIAL.

Il vous coûtera moins cher de convertir des espaces existants, en ne finançant que la conversion. Il vous faudrait convenir de «prendre sur vous » et de financer à long terme la partie que les locataires ne peuvent pas payer.

Ce pourrait être comme certains programmes actuellement, à savoir que 50% des locataires se verraient aider pour payer leur logement afin d’économiser sur les énormes coûts engendrés par des citoyens errants sans domicile.

Des coops ou des organismes à buts non lucratifs existants pourraient se permettre d’acheter ces immeubles s’ils étaient assurés de ne pas devoir s’endetter davantage pour convertir les espaces en question.

Renaud Blais,

Québec, 13 août 2023


Hannah Arendt: La banalité du mal

Par Pedro Vergara Meersohn

Politika, Santiago, 25 juillet 2023

L’auteur est né en 1956 à Santiago du Chili. Il a vécu dans de nombreux pays et il est psychologue de formation, passionné de langues, de culture, d’art, de musique et de communication. Il travaille dans le domaine des traductions sans être traducteur et il écrit dans ses temps libres sans avoir été publié.

 

Réflexion à partir de la célèbre phrase d’Hannah Arendt

Des années après la Seconde guerre mondiale, Hannah Arendt alla en Israël à titre de correspondante pour la revue New Yorker pour réaliser une entrevue avec Adolf Eichmann qui subissait un procès pour génocide . Il fut condamné à mort à Tel Aviv.

Au cours de ses conversations avec ce personnage qui incarnait le mal, Hannah Arendt arriva à la triste conclusion qu’Adolf Eichmann n’était pas une personne perverse, ni un antisémite par définition ou par nature, mais un bureaucrate perfectionniste habitué à suivre des ordres et à bien faire les choses pour faire avancer sa carrière militaire.

À cette occasion, Hannah Arendt parla de la banalité du mal et écrivit : « Lors de ces dernières minutes de vie, c’est comme si Eichmann lui-même résumait la longue leçon sur le mal humain auquel nous avions été présents: l’effrayante banalité du mal devant laquelle on demeure sans  mots et sans pensée. »

Dans de nombreux cas, lorsqu’on parle d’atrocités humaines, de crimes contre l’humanité et de génocide, nous sommes confrontés à un système qui avec sa logique perverse, entraîne des hommes incapables de s’opposer à se souiller de sang sans qu’eux-mêmes par disposition de caractère soient mauvais sinon combien malléables.

Le mal se trouve fondamentalement dans le système, l’organisation, dans la pression du groupe, la peur et les ambitions personnelles, avec l’apathie et le conformisme.

Par expérience, je connais des personnes qui sont réellement perverses, heureusement elles sont très peu nombreuses. Lorsqu’un d’entre eux commet un crime une fois, la seconde fois c’est plus facile et la troisième encore plus, jusqu’à atteindre un point de non retour où est exclus toutes possibilités de revenir en arrière. Après, se sentant coupable, il cherchera toutes les excuses possibles pour nier et cacher toute espèce de responsabilité.

Le problème en ce moment au Chili, c’est la reconnaissance du mal qui a été fait et assumer la responsabilité des atrocité commises pour pouvoir changer.

Adolf Eichmann

Les anciens fonctionnaires de la dictature, les vieux tortionnaires, les violeurs de masse, les bouchers de jeunes innocents et les politiciens complices de cet enfer, n’ont jamais accepté leurs fautes. Ils inventèrent des histoires inconcevables pour se vêtir d’humanité en toute inhumanité. Ils minimisèrent leurs délits et prétendirent que ce fut la faute de quelques-uns, mais nous savons que le mal était dans le système, dans la haine, dans les institutions, dans l’histoire et dans la tête perturbée de certains leaders qui en entrainèrent des milliers avec eux, les convertissant en assassins au regard de la loi.

Adolf Eichmann a été condamné à mort, l’Allemagne a changé sa constitution et a rendu illégale la discrimination, l’antisémitisme et la participation active dans des mouvements fascistes.

La question est : Comment le Chili peut redevenir un pays, une nation, un peuple ?, maintenant que le passé ne peut plus être occulté et qu’émergent les crimes et les bestialités, comme des cadavres pourris rejetés par la mer.

50 ans déjà ont passé depuis le Coup d’État militaire au Chili et les blessures produites ne sont toujours pas guéries. Le pays était divisé par des murs invisibles et l’oublie du passé est une stratégie impossible qui affaiblit et paralyse au lieu de recréer une communauté nationale. Les fantômes du passé continuent de pulluler dans les rues et les villes, divisant et séparant jusqu’à empêcher n’importe quel geste de  reconstruction de l’unité.

Un phénomène qu’avait compris de manière anticipé Nelson Mandela qui mit en place un processus qui permit d’enterrer les atrocités de l’apartheid.

Si les coupables n’acceptent pas leurs crimes, ni ne demandent pardon, insistant dans leurs « raisons », la banalité du mal devient la négation d’un possible bien et exclut la capacité de guérir.

Les traumatismes du passé se transmettent de génération en génération et ce qui fut et n’est pas accepté comme tel, un crime contre l’humanité, se transforme en stigmate indélébile de l’irréconciliable.

La banalité du mal existe, comme la faute et la responsabilité.

Traduit de l’espagnol

par Yves Carrier

 


Le chaos mondial, un ordre nouveau ?

Par Leonardo Boff, 17 août 2023

Site Amerindia, août 2023

À notre connaissance, comme peu de fois dans l’histoire de l’humanité, nous constatons une situation de chaos dans toutes les directions et les sphères de la vie humaine, de la nature et de la planète Terre comme un tout. Il y a des présages apocalyptiques qui s’amoncèlent sous le nom de l’anthropocène (l’être humain est le grand météore qui menace la vie), de nécrocène (mort massive des formes de vie), et ultimement de pyrocène (les grands incendies de plusieurs région du monde).

Tout cela à cause de l’irresponsabilité de l’action humaine et comme conséquence du nouveau régime climatique effréné, et en dernier lieu, le danger d’une hécatombe nucléaire capable d’exterminer toute vie humaine.

Malgré les énormes avancées des sciences de la vie et de la Terre, principalement du monde virtuel et de l’intelligence artificielle (AI), l’optimisme ne règne pas, mais plutôt le pessimisme et une préoccupation sérieuse sur l’éventuelle disparition de notre espèce.

De nombreux jeunes se rendent compte que, en prolongeant et en aggravant le cours actuel de l’histoire, ils n’auront pas un futur attrayant. Ils s’engagent vaillamment dans un mouvement qui est déjà planétaire pour la sauvegarde de la vie et le futur de notre Maison commune comme le fait  de manière emblématique la jeune Greta Thunberg.

Ne cesse de résonner obstinément l’avertissement du Pape François dans son encyclique Fratelli Tutti (2020) : « Nous sommes tous dans le même bateau; ou nous nous sauvons ensemble ou personne ne se sauve. » (n.32).

Dans ce contexte, il vaut la peine de réfléchir à la contribution que nous offre un des meilleurs scientifiques actuels, déjà disparu, le russo-belge Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie 1977, avec son œuvre magistrale, mais principalement dans « La fin des certitudes. » Lui et son équipe ont créé une nouvelle science, la physique des processus de non-équilibre, c’est-à-dire, en situation chaotique.

Ilya Prigogine

Dans son œuvre, il met en échec la physique classique avec ses lois déterministes et il montre que la flèche du temps ne revient pas en arrière (l’irréversibilité), qu’elle indique des probabilités, mais jamais des certitudes. L’évolution même de l’univers se caractérise par des fluctuations, des détours, des bifurcations, des situations chaotiques, comme la première singularité du Big Bang, génératrice d’ordres nouveaux. Il met l’emphase sur le fait que le chaos n’est jamais que chaotique. Il abrite en son sein un ordre caché qui, dans certaines conditions données, émerge et initie un autre type d’histoire. Le chaos, pour autant, peut être générateur puisque que du chaos surgit la vie, affirme Prigogine.

Chez ce scientifique qui était également un grand humaniste, nous trouvons certaines réflexions qui ne sont pas des solutions, sinon des inspirations pour débloquer notre horizon sombre et catastrophique. Elles peuvent engendrer de l’espoir au milieu du pessimisme généralisé de notre monde, aujourd’hui globalisé, malgré la lutte pour l’hégémonie du processus historique unipolaire (USA) ou multipolaire (Russie, Chine et les BRICs).

Prigogine commence en disant que le futur n’est pas déterminé. « La création de l’univers est avant tout une création de possibilités, certaines desquelles se réalisent et d’autres non. » Ce qui peut se produire est toujours en potentiel, en suspension et en état de fluctuation.

C’est ainsi dans l’histoire des grandes destructions qui se sont produites il y a des millions d’années. Il y eut des époques, spécialement quand se produisit la fracture de la Pangée (le continent unique) qui se sépara en deux parties, donnant origines aux différents continents, où près de 75% de la charge biotique disparue. La Terre eut besoin de plusieurs millions d’années pour recréer sa biodiversité.

Autrement dit, du chaos surgit un ordre nouveau. Nous pouvons affirmer la même chose des 15 grandes destructions qui jamais ne sont parvenus à exterminer la vie sur Terre. Bien plus, après chacune d’elle, il se produisit un saut qualitatif et advint un ordre supérieur. C’est ainsi que cela s’est produit lors de la dernière grande extinction massive arrivée il y a 67 millions d’année qui emporta tous les dinosaures, mais laissa à nos ancêtres l’espace pour évoluer jusqu’au stade actuel de sapiens sapiens ou, réalistement, de sapiens demens.

Prigogine développa ce que nous appelons : « les structures dissipatives ». Elles dissipent le chaos et les débris, les transformant en des ordres nouveaux. Ainsi, dans un langage pédestre, des déchets du soleil, les rayons qui se dispersent et parviennent à nous – surgit presque l’ensemble de la vie sur Terre, notamment en permettant la photosynthèse des plantes qui nous fournissent l’oxygène sans laquelle rien ne vit.

Ces structures dissipatives transforment l’entropie en syntropie. Ce qui est chaotique est laissé de côté, réélaboré jusqu’à ce qu’il soit transformé en un ordre nouveau. De sorte que nous n’irions pas à la rencontre de la mort thermique, un effondrement total de toute la matière et de l’énergie, sinon vers des ordres toujours plus complexes et élevés jusqu’à atteindre un ordre suprême, dont le sens ultime nous est inaccessible.

Prigogine rejette l’idée que tout se termine dans la poussière cosmique. Par conséquent, Prigogine est optimiste devant le chaos actuel, inhérent au processus de l’évolution. Au cours de cette phase, correspond à l’être humain la responsabilité de, en connaissant le dynamisme de l’histoire en ouverture, d’assumer des décisions qui donnent la prévalence au chaos génératif et de faire valoir les structures dissipatives qui mettent un frein à l’action létale du chaos destructif. « Il revient à l’être humain, tel qu’il est aujourd’hui, avec ses problèmes, ses souffrances et ses joies, de garantir que survive le futur. La tâche est de trouver l’étroite voie entre la globalisation et la préservation du pluralisme culturel, entre la violence et la politique, et entre la culture de la guerre et celle de la raison ».

L’être humain se présente comme un être libre et créatif et il pourra se transformer et transformer le chaos en cosmos (ordre nouveau).

Tel semble être le défi actuel face au chaos qui nous menace. Soit nous prenons conscience que c’est à nous qu’incombe la responsabilité de vouloir continuer à vivre sur cette planète soit nous permettons, par notre irresponsabilité, un Armageddon écologique et social. Cela serait la fin tragique de notre espèce.

Avec Prigogine, alimentons l’espoir humain que le chaos actuel représente une sorte d’accouchement, avec les douleurs qui l’accompagnent, d’une nouvelle façon d’organiser l’existence collective de l’espèce humaine à l’intérieur de la seule Maison commune, incluant toute la nature sans laquelle rien ne survivra.

Traduit de l’espagnol par Yves Carrier


 

La juste mesure peut sauver la vie et la planète Terre

Par Leonardo Boff, 27 août 2023

La juste mesure constitue une valeur universelle présente dans toutes les cultures. Elle représente l’un des points les plus importants de tous les chemins éthiques. Elle était inscrite sur les portiques des temples ou dans les édifices publics d’Égypte, de Grèce, de l’Empire romain et d’ailleurs. La vertu de la juste mesure signifie le chemin du milieu, ni trop ni moins, et dans une juste dose. Elle s’oppose à tout excès, à toute ambition exagérée (hybris en grec). Elle recommande l’autocontrôle, la capacité de détachement et le renoncement.

Nous sommes convaincus qu’une des causes principales du chaos actuel, avec le déséquilibre de la planète Terre, avec la dévastation de presque tous les écosystèmes, avec le réchauffement global qui a introduit de façon irréversible un nouveau régime climatique plus chaud, qui se révèle par les événements extrêmes au niveau mondial avec l’apparition d’un nouveau virus, le pire de tous jusqu’à maintenant, le coronavirus qui a emporté des millions de vies, avec l’explosion de guerres en 18 endroits différents du monde, particulièrement le conflit létal entre la Russie et l’Ukraine (derrière lequel on retrouve l’OTAN et les États-Unis) sont des conséquences de la démesure.

Cette absence de juste mesure est intrinsèque au paradigme de la modernité formulé aux XVII et XVIII siècles par ses pères fondateurs comme Galilée, Newton, Francis Bacon et d’autres.

Pour eux, l’axe structurant du nouveau monde à construire se base sur la volonté de puissance ou de pouvoir, tel qu’il fut identifié par Nietzsche et par l’École de Frankfurt. Selon ce paradigme nouveau, l’être humain se conçoit comme maitre et propriétaire de la nature, selon l’expression de Descartes. Il ne se sent pas comme faisant partie de la nature. Cela n’a pas de sens en soi, ni de but, sauf dans la mesure où la nature est ordonnée à l’être humain qui la traite à sa convenance.

Au nom de ce paradigme, la juste mesure a été complètement rompue. Les pays européens exercèrent leur volonté de puissance en dominant des peuples entiers en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Ils dominèrent la nature, extrayant d’elle, de manière illimitée, ses biens et ses services. Ils dominèrent la matière jusqu’aux particules subatomiques. Ils dominèrent les secrets de la vie, le code génétique et les gênes. Réalisant tout avec fureur sans aucun sens de la juste mesure.

Ils apportèrent de nombreux bénéfices à l’humanité, mais en même temps, pour avoir jeté aux limbes la juste mesure, ils créèrent le principe d’autodestruction avec toutes sortes d’armes, qui, si elles étaient utilisées, ne laisseraient pas âme qui vive pour le raconter.

Afin de ne pas demeurer uniquement dans les concepts, nous donnons un exemple concret: l’irruption de la COVID 19 qui affecta seulement l’humanité et pas les autres formes de vie, est la conséquence directe de cette volonté de puissance, de l’agression systématique provoquée par notre façon d’habiter la Terre, détruisant les habitats des virus. Sans ses niches vitales, ils se sont lancés sur les humains et ont causé des millions de morts. Pour cela, la juste mesure a manqué entre l’intervention nécessaire sur la nature pour garantir nos moyens de subsistances et l’ambition exagérée de surexploiter les biens et les services naturels au-delà de ce que nous avons besoin, pour l’accumulation et l’enrichissement.

De la sorte, la Terre qui est vivante a perdu son équilibre dynamique et nous envoya à travers le coronavirus un appel à la juste mesure, un message de soin, d’autocontrôle et de dépassement de tout excès.

Ce fut le sens du confinement social, de l’utilisation des masques et de l’urgence d’avoir recours aux vaccins. Tout semble indiquer que nous n’avons pas appris la leçon, puisque la majorité est revenue à ses anciennes habitudes.

Comme disait le penseur italien Antonio Gramsci: « L’histoire est maitresse, mais elle ne possède pratiquement aucun élève. » De toutes  façons, la leçon demeure que nous devons inclure en toute chose la juste mesure et alimenter une relation amicale et juste envers toutes choses si nous voulons garantir un avenir à la vie humaine et à notre civilisation.

Allant directement à la question fondamentale: la cause la plus immédiate et visible de la rupture de la juste mesure réside dans le capitalisme comme mode de production et dans le néolibéralisme comme son expression politique. Les mantras des deux sont connus : le bénéfice au-dessus de tout, la compétition comme moteur, l’exploitation illimitée des ressources naturelles, l’individualisme, l’assouplissement des lois pour pouvoir réaliser sans contrainte sa visée de domination/enrichissement.

Si nous avions suivi de tels mantras, une grande partie de l’humanité aurait été gravement affectée ou aurait disparue. Ce qui nous sauva, c’est d’accorder la primauté à la vie, à l’interdépendance entre tous et toutes, à la solidarité des uns avec les autres, au soin de la nature, aux lois et aux normes qui limitent les oligopoles, responsables de la pauvreté d’une grande part de l’humanité.

Préoccupé par cette question de vie et de mort, j’ai écrit deux livres, fruit d’une vaste recherche mondiale, rédigés dans le langage le plus accessible possible, pour que tous et toutes puissent se rendre compte de la gravité que représente l’absence de la juste mesure pour la vie personnelle, pour les communautés, pour l’économie, pour la culture et pour notre relation avec la nature, en terme ultime pour la Terre.

Le premier publié en 2022, « Le pêcheur ambitieux et le poisson enchanté : la recherche de la juste mesure. » Dans celui-ci, j’ai préféré le genre narratif du conte et des mythes liés à la juste mesure. Dans le second, la suite du premier, s’intitule : « En quête de la juste mesure: comment équilibrer la planète Terre »; j’ai cherché à procéder de manière plus réflexive aux causes qui nous ont amenés à perdre la juste mesure ou le relatif optimum. Les deux livres posent la question angoissante : Est-ce possible de vivre la juste mesure à l’intérieur du système capitaliste et néolibéral aujourd’hui globalisé?

Nous répondons, avec un certain espoir, que c’est possible, à condition de passer d’une culture de l’excès à une culture de la juste mesure, développant une nouvelle relation avec la Terre, en sentant que nous en faisons partie, et que nous sommes les frères et les sœurs de tous les êtres vivants, en passant de la domination à la fraternité avec tous les êtres de la nature.

Pour cela, une éthique de la juste mesure au niveau personnel et communautaire, politique et économique, éducatif et  spirituel, est primordiale.

Soit nous organisons nos sociétés à l’intérieur des limites de la planète Terre, vivant en toute chose la juste mesure, ou nous mettons en péril le futur de notre vie et de toute la vie sur Terre.

Traduit de l’espagnol par

Yves Carrier

Leonardo Boff avec Marina Silva, ministre de l’environnement du gouvernement Lula au Brésil


 

La mystique de la conscience planétaire

Par Faustino Teixeira

Universidade federal de Juis de Fora, MG, Brasil

Comme le signale Leonardo Boff, reprendre la dimension spirituelle de la vie humaine sera peut-être l’une des transformations culturelles les plus significatives du 21ème siècle. Il s’agit de la conscience que l’être humain fait non seulement partie de l’univers matériel, mais qu’il est aussi un esprit qui s’intègre au Tout, comme être relié à tous choses, et qui pose des questions fondamentales sur le sens de l’histoire et de la destinée humaine.

Un des grands défis de notre temps a à voir avec la conscience planétaire : comment trouver un chemin de civilisation capable de tout inclure, la nature comprise; un chemin qui rend possible l’enrichissement de la compréhension du genre humain, qui englobe non seulement la relation avec nous-mêmes et avec les autres, mais aussi celle avec le cosmos qui est notre lieu de naissance.

Rien n’est plus nocif que de continuer à alimenter l’idée moderne de l’auto-centralité de l’être humain, avec les implications problématiques de sa relation de domination sur la nature. Le moment actuel exige une nouvelle sensibilité.

« Nous commençons à percevoir qu’avec cette attitude nous nous détruisons nous-mêmes. Nous commençons à comprendre que le monde est notre foyer, c’est en lui que nous naissons et que nous vivons, il mérite notre protection. Mieux : la nature mérite le respect et l’écoute, une « écoute poétique », parce qu’elle possède une valeur en elle-même. Une « nouvelle alliance » entre elle et nous doit être établie (Prigogine et Stengers), au lieu de celle où l’être humain se considère comme seigneur et maitre de la nature (Descartes). »

Le sens mystique de la conscience planétaire convoque l’être humain à une nouvelle dynamique de relations qui doit affecter son regard, son écoute et son alliance avec le Tout. Nous pouvons aussi parler d’accueil : être capables d’accueillir l’autre et la réalité enveloppante.

Cela requiert beaucoup d’humilité, et de dépasser les arrogances identitaires, ce qui implique une nouvelle manière de se situer dans le monde, marquée par la « délicatesse spirituelle », par la sympathie, la courtoisie et la récupération du sens de la contemplation.

Rompant avec la logique « prométhéique » qui cherche à contrôler et à tout expliquer. Il faut réapprendre le rythme de l’immanence qui implique humilité et ouverture, c’est-à-dire, savoir s’installer silencieusement « dans l’empathie de la contingence ».

  1. La mystique et l’amour pour le Tout

L’expérience mystique inclut toujours la dynamique de la relation. Dans la perspective ouverte par des penseurs chrétiens classiques comme Jacques Maritain et Louis Gardet la mystique laisse transparaître une « connaissance expérientielle de la profondeur de Dieu », ou « l’expérience délectable de l’absolu ». En elle se donne la rencontre du sujet avec l’Autre, compris comme le Mystère suprême.

Mais il faut récupérer un sens plus « terrestre » de la mystique qui comporte une perception attentive du quotidien de sorte qu’on parvienne à démêler la dimension mystérieuse qui habite l’être humain et toute la création. En syntonie avec la perspective ouverte par Panikkar, il faut comprendre la mystique comme « expérience de la vie », ou comme « expérience intégrale de la réalité ».

La mystique n’est pas une expérience d’un autre monde, désincarnée et séparée des joies et des peines de ce monde, ni un simple attribut d’une « aristocratie spirituelle », mais un trait caractéristique de l’être humain en général qui est capable de pénétrer dans les méandres de la réalité et de capter le chant des choses. Le véritable mystique ne vit jamais hors de son époque, il est quelqu’un qui est animé par un « amour démesuré pour le Tout ».

Son expérience du mystère se produit au cœur de la réalité, en attention continuelle aux petits signes du quotidien, dans une tentative incessante de pénétrer davantage son épaisseur. Comme le démontra avec pertinence et sagesse le mystique jésuite Teilhard de Chardin : « La pureté n’est pas dans la séparation, mais dans la pénétration plus profonde de l’Univers. » Il faut avoir une « sympathie irrésistible pour tout ce qui se meut dans la matière obscure ». Les grands spirituels et les saints sont reconnus pour leur grandeur non parce qu’ils se sont échappés des défis de leurs temps, sinon pour la « façon qu’ils vécurent pleinement cette vie commune et firent qu’elle révèle toutes ses virtualités. Des mystiques singuliers comme Maître Eckhart (1260-1327), furent animés par une sensibilité particulière de savoir capter la présence divine en toutes choses, en tout temps et en tout lieu. Le véritable espace de rencontre avec le Mystère n’est pas l’extraordinaire, sinon l’ordinaire, le quotidien d’au jour le jour. Le ciel se fait présent « en chaque point de la création, de la même manière que le mystère est omniprésent en filigrane dans toutes choses. »

  1. Le caractère diaphane de Dieu dans l’Univers

Dans sa précieuse œuvre mystique, « Le mystère divin », Teilhard de Chardin écrit que « le grand mystère du christianisme n’est pas exactement l’apparition, sinon la transcendance de Dieu dans l’Univers. » À la lumière de la perspective mystique chrétienne, tout l’univers apparait « baigné d’une lumière interne qui intensifie son relief, sa structure et ses profondeurs ». Il n’y a pas moyen d’échapper à cette présence diaphane qui enveloppe tout et transparaît dans le mystère de la création. L’être humain vit submergé dans ce « milieu divin », même s’il ne s’en aperçoit pas. Pour être capable d’apercevoir Dieu dans toutes choses, une « éducation du regard est nécessaire ».

De fait, «  pour celui qui sait voir, rien n’est profane en ce monde ». Il suffit de rompre le cercle de la superficialité et de l’apparence, d’aller au-delà du rythme des nombres et des formes pour être capable de dévoiler le divin qui transparaît de toutes parts : « autour de nous, à droite et à gauche, derrière et devant, au-dessous et au-dessus ». C’est le mystère divin toujours ici et maintenant, assiégeant, pénétrant et modelant le rythme de la création.

De manière osée, Teilhard reconnait le potentiel spirituel de la matière et montre que c’est en se submergeant en son centre que l’être humain est introduit « au cœur même de ce qui est », et comment atteindre l’expérience de Dieu : « Baignes toi dans la matière, fils de l’Homme. Submerges toi en elle, là où elle est la plus violente et la plus profonde! Luttes dans son courant et boit sa vague! C’est elle qui à une autre heure berça ta conscience. C’est elle qui t’amènera jusqu’à Dieu! »

Comme le dit si bien le psalmiste, « la Terre est rempli de l’amour de Yahvé » (Ps 33,5). Cette allégresse est célébrée par les cieux et le firmament qui proclament la gloire de cette présence (Ps 19,2; Ps 148; Dn 3,57). Ce mystère divin qui nous enveloppe tous et simultanément immanent et transcendant. D’un côté, il est « incomparablement proche et tangible » agissant dans toutes les forces de l’univers; de l’autre, il est insaisissable, se retirant toujours plus loin en direction aux escarpements de l’inconnu. Il s’agit d’un mystère protégé comme une réserve de gratuité qui se maintient en permanence comme don : c’est « l’éternel découverte de l’éternel croissance ». Mais, curieusement, il peut être atteint, par approximation, quand on navigue dans le sens de la profondeur, en direction de « l’endroit le plus secret de nous-mêmes », au centre le plus intime, dans « l’abîme profond » d’où irradie tout pouvoir d’action.

Pour un regard superficiel et ingénu, cette perception profonde du mystère de Dieu dans toutes choses est qualifiée de panthéisme. Il s’agit d’une erreur qui bientôt se dissipe quand on l’approfondit dans la perspective de la dynamique qui enveloppe l’immanence et la transcendance de Dieu dans le monde.

De même, lorsque le mystique parle de l’union intime sellée dans l’amour, la différence apparait protégée. Traitant de cette question, le penseur classique de l’École de Kyoto, Keiji Nishitani, remarque : « Dire que Dieu est omniprésent implique la possibilité de le rencontrer partout dans le monde. Cela n’est pas du panthéisme au sens habituel du terme, cela ne signifie pas que le monde est Dieu ou qu’Il est la vie immanente dans le même monde, sinon qu’un Dieu absolument transcendant est, en tant que tel, absolument immanent.

Dans la tradition mystique du soufisme, et en particulier dans l’œuvre de Ibn ‘Arabi (1165-1240), le mystère de Dieu – wujüd, illimité – peut être perçu au travers des termes clés présents dans la terminologie théologique de l’Islam traditionnel : tanzïh et tasbïh. Le premier terme tanzïh, vient du verbe arabe nazzaha qui signifie «  protéger quelque chose de toutes formes de contamination ». Le terme est employé pour indiquer la transcendance et l’incomparabilité essentielle de Dieu : sa distance de toute créature.

Le second terme, tasbïh, procède du verbe sabbaha, qui signifie « faire ou considérer quelque chose semblable à autre chose ». C’est un terme qui exprime la proximité de Dieu avec sa création, sa similitude avec les choses existantes. Ainsi Dieu est exprimé selon deux polarités : Il est, d’un côté, radicalement transcendant, mais de l’autre, Il est aussi immanent. L’approche de Dieu, entendu comme le Réel (al-Haqq), ne peut se réaliser lorsqu’on ne privilégie que l’un de ces deux pôles.

Ibn ‘Arabi se servit de l’histoire coranique de Noé (Nûh) et des « idolâtres » pour montrer qu’on ne peut capter le Réel quand on comprend de manière exclusive la transcendance ou l’immanence. Son mystère est simultanément transcendant et immanent. Tant les « idolâtres » que Noé se trompèrent dans leur approche du Mystère. Les « idolâtres » pour associer le Réel aux objets physiques de leur adoration (immanentisme), et Noé pour associer le Réel au transcendant. Les premiers se trompèrent en ne considérant pas la dimension transcendante du Réel et le second en niant sa dimension immanente.

Il faut souligner cependant que le mystère du Réel ou du Tout, s’expérimente dans le domaine de l’immanence, Mais nous avons besoin de porter attention pour percevoir « ce point lumineux » qui agit et demeure à l’intérieur de tout ce qui est réel. Non sans raison, les philosophes contemporains, comme André Comte-Sponville, parlent de « l’immanicité », pour exprimer cette submersion dans le Tout, qui traduit simultanément la force de l’immanence et l’ouverture à l’immensité. Non seulement les religieux sont habilités à percevoir et à capter la nouveauté de l’éternité qui habite dans la vie quotidienne. Le potentiel d’éblouissement et d’admiration devant le Tout se donne aussi parmi ceux et celles qui excluent la religion de leur vie, mais qui peuvent être animés, et à un haut degré, par des qualités essentielles de l’esprit.

La spiritualité, comme l’enseigne le Dalaï Lama, implique la réalisation de ces qualités essentielles que sont l’amour, la compassion et la tolérance, qui irradient une atmosphère essentielle de félicité. Le philosophe Comte-Sponville manifeste sa syntonie avec les spiritualités qui favorisent l’ouverture de l’être humain au monde, aux autres, ou bien, à la réalité du Tout. Il s’agit d’une spiritualité qui n’enferme pas l’individu en lui-même, sinon qu’elle l’incite à « habiter l’univers ».

En reconnaissant ce caractère diaphane de Dieu dans l’univers, l’être humain s’éveille à la présence du mystère en tout lieu. Il s’agit d’un mystère qui fait que les montagnes bondissent comme « des fauves et les collines comme des agneaux » (Ps 114,4). Il n’y a pas d’autre manière de réfléchir au mystère de Dieu et de l’humain sans « écouter le monde ». L’être humain ne fait pas que louanger Dieu. Il le loue en s’unissant à toute chose dans l’hymne qu’il lui chante.

Notre communion avec la nature est une communion d’action de grâce. Tous les êtres rendent gloire à Dieu. Nous vivons dans une communauté de louanges.

  1. La conscience et l’attention cosmo-théandriques

Pour exprimer cette relation intime qui enveloppe le cosmos, Dieu et l’être humain dans une unique aventure spirituelle, Raimon Panikkar a forgé l’expression « intuition cosmo-théandrique » (Qui est à la fois de nature humaine et divine). Ce fut le subterfuge qu’il trouva pour enrichir le théandrisme de la tradition chrétienne occidentale avec l’ouverture cosmique de la tradition orthodoxe.

La nouveauté se situe dans l’introduction du cosmos, du monde, de la matière, jusqu’alors exclus dans la spiritualité chrétienne traditionnelle – et plusieurs fois identifiés avec le mal -. Le cosmos, Dieu et l’être humain, sont trois dimensions constitutives du réel : « Une dimension d’infini et de liberté que nous appelons divine; une dimension de conscience que nous appelons humaine, et une dimension corporelle ou matérielle que nous appelons cosmos. »

C’est l’interpénétration de ces trois dimensions qui rende impossible de réduire l’expérience de Dieu à ce qui est purement immanent ou transcendant. Il s’agit d’une aventure substantivement relationnelle qui permet d’accéder à la complexité de l’expérience mystique.

L’expérience cosmo-théandrique demande une attention particulière au quotidien. Il y a ici une riche syntonie avec l’expérience zen bouddhiste pour laquelle « le cœur du quotidien est le chemin ». Dans la vision d’un des grands penseurs de la tradition zen, Daisetz Teitaro Suzuki, la vérité n’est pas hors du temps; elle se révèle dans « les choses concrètes » de la vie quotidienne.

C’est dans la vie ordinaire où se produit la mystique : Le Zen s’entraine systématiquement à la pensée pour voir cela. Il ouvre les yeux de l’être humain au grand mystère qui est représenté au quotidien.  Il élargit le cœur pour qu’il couvre l’éternité du temps et l’infini de l’espace dans chaque palpitation, et nous fait vivre dans le monde comme si nous étions en train de marcher dans le Jardin d’Éden ».

Cette attention au quotidien et au sentiment du réel sont des possibilités bien plausibles dans la vie de chacun, et se produisent dans des situations qui peuvent être banales. C’est ce que décrit Nishitani en commentant un passage du livre de Dostoïevski, Mémoires de la maison des morts, où l’auteur relate une expérience singulière d’ouverture au mystère à partir de l’impact émotionnel du paysage environnant : l’éveil au « monde remplit de la présence divine ».

L’impact de la réalité peut être différent pour chacun, dépendant de la situation particulière que l’on vit et de la dynamique d’attention qui l’anime. Des situations ou des expériences quotidiennes peuvent devenir le « point focal » d’une concentration inusitée et intense, éveillant l’attention pour un sentiment de la réalité des choses quotidiennes. L’esprit alerte et la dynamique de l’attention sont des traits fondamentaux de la sensibilité orientale.

C’est la profonde « conscience quotidienne » qui stimule la reconnaissance méthodique et systématique de l’arc zen et la possibilité d’étirer l’arc spirituellement et d’atteindre la cible. C’est « l’esprit du quotidien » qui consolide l’état d’esprit essentiel du samouraï dans son art martial : le développement d’un regard de discernement, capable d’une grande attention envers les petites choses.

La sagesse zen procède d’une façon particulière : elle n’a pas d’intérêt pour les prescriptions ou les considérations théoriques. Ce qu’elle suscite c’est seulement une attention désarmée au réel, tel qu’il se manifeste, ou encore, l’expérience immédiate d’être éventuellement touché par les choses et percevoir leur chant. Le langage zen est pénétré par l’ouverture illimitée où la moindre chose peut apparaitre clairement pour que l’admiration trouve sa place.

Si nous prenons un passage de l’évangile de Matthieu, le penseur Shuizuteru Ueda remarque que la perspective zen est beaucoup plus indicative qu’impérative.

Dans ce fameux passage il est écrit : « Observez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni ne font de réserves, et le Père céleste les nourrit (…). Voyez comme croissent les fleurs des champs qui ne travaillent ni ne tissent. Je vous assure que Salomon dans toute la splendeur de sa gloire, ne fut vêtu comme l’une de ses fleurs (Mt 6,26-29).

Comme le remarque Ueda, un maitre zen procéderait de façon distincte à celle décrite par l’évangéliste. Il dirait simplement : « Regardez les oiseaux du ciel. Voyez les fleurs des champs », sans ajouter aucune description. Il n’y a pas de plus grand enseignement que le fait vivant de la présence des oiseaux et des fleurs. La simple et délicate évidence, présentée au regard, est suffisante pour rompre l’enfermement du sujet dans le monde restreint du moi et le lancer au défi décisif de reprendre la véritable vie.

La sagesse zen a marqué des mystiques chrétiens singuliers comme le trappiste Thomas Merton, pour qui la voie zen toucha le centre de sa vie. À travers l’influence de la méditation bouddhiste, il sut percevoir l’importance fondamentale de l’attention aux petits signes du quotidien. Contrairement à la tradition cartésienne qui prétend qu’en premier se trouve l’être dans le monde, en état d’attention : sum, ergo cogito (Je pense donc je suis). Pour Merton : Le zen est la perception entière du dynamisme et de la spontanéité de la vie, et pour cela, il ne peut être appris par la simple introspection, et encore moins par les rêves (…). Il exige l’attention absolue et un effort réel. Cependant, cette attention se donne, non pas à une théorie ou à une vérité abstraite, mais à la vie dans sa réalité concrète et existentielle, et à tout instant.

Thomas Merton applique cette spiritualité zen dans son expérience trappiste. Comme maitre des novices à l’Abbaye de Gethsémani aux États-Unis, il réalisa cet esprit dans la manière de comprendre et d’enseigner le sens de la vie contemplative.

Dans la ligne de syntonie avec la sagesse zen, il comprit la signification réelle d’une vie contemplative insérée dans le temps. Il disait que « la vie contemplative, c’est simplement de vivre, comme le poisson dans l’eau ». Il indiquait aussi que la vie spirituelle ne pouvait pas être séparée d’aucun intérêt humain. Il réalisa sa trajectoire de chercheur dans cette atmosphère d’attention au réel, pleinement conscient de la présence permanente de Dieu partout.

 

 

  1. L’expérience de la profondeur et la dilatation du cœur

Un fait intéressant qui se trouve dans les écrits de mystiques importants comme Eckhart, Tauler, Jean de la croix et Thérèse de Jésus, c’est la relation entre la profondeur de l’expérience spirituelle et la dynamique de l’amour solidaire. Dans un de ses sermons allemands, Eckhart sublime l’importance de « la pure humilité » comme condition d’accès à la profondeur de Dieu ». Il remarque que « davantage l’âme parvient au fond et au plus intime de son être, plus la force divine se déverse pleinement en elle et agit de manière voilée pour révéler de grandes œuvres ». Cela signifie que plus l’être humain pénètre son monde intérieur, plus il est capable de percevoir la beauté de toutes choses, dans une liberté spirituelle unique. Le résultat le plus effectif de cette intériorisation est la tonique de l’amour. Dans un autre sermon, il dit que « quand l’âme avec amour, s’écoule totalement en Dieu, elle ne sait rien qui ne soit de l’amour ».

Aussi Tauler, dans l’un de ses sermons, remarque que « là où se trouve la vallée la plus profonde, les eaux s’écoulent de manière plus abondantes. »  Sur la base de la réflexion de Maitre Eckart on peut conclure que le chemin du détachement est une condition essentielle pour la rencontre avec la réalité dans sa véritable densité.

Il n’y  pas de contradiction ou de tension entre l’expérience intérieure et l’adhésion à la beauté cosmique. Ce sont des expériences qui s’impliquent mutuellement. Quand les « choses » sont découvertes en Dieu, elles deviennent passionnément aimées dans leur grandeur. Selon Gwendoline Jareczyk et Pierre-Jean Labarrière, deux experts de Maitre Eckart, le détachement véritable ne provoque pas une « extinction des choses » sinon un « recentrage ». La dynamique du détachement ne conduit pas à la fuite du monde, mais à l’implication de toutes choses, par connaturalité. L’être détaché est quelqu’un qui est « capable d’amour, il est humble et miséricordieux. »

Dans le classique sermon sur le passage de Luc (10,38-40) Eckart trouve dans Marta un exemple de détachement. Dans sa vision, elle était quelqu’un qui est parvenu à exercer radicalement le fond de l’âme, dans son essentialité. Le lecteur de l’évangile saisit le fonctionnement de Marta. Il s’agit d’une action marquée par la liberté de quelqu’un qui est « avec les choses », et en même temps libre en ce qui les concerne. Dans la vision de Marta, la rencontre avec Dieu passe par le monde et par la vie. Être essentiellement devant Dieu, c’est s’insérer dans la vie, c’est posséder « la vie de manière essentielle ». Eckart est un mystique qui loue l’activité pratique de la vie quotidienne dont un grand exemple est démontré chez Marta. Mais la façon comment Marta exerce cette activité sous-tend une grande liberté, que seul peut se trouver chez quelqu’un qui est éveillé radicalement à sa véritable nature et qui l’exerce au fond de l’âme, s’approchant du mystère de la divinité. Le dépouillement vécu par Marta est le résultat d’un approfondissement de la « subjectivité qui émerge de la mort absolue de l’ego (…) et du pure lien d’unité avec Dieu ». Un tel dépouillement ne mène pas « à la dépossession des choses, mais à la possession de soi dans la liberté vis-à-vis des choses », qui est aussi une liberté devant toutes les déterminations particulières.

Conclusion

À l’heure actuelle, rien n’est plus urgent que l’affirmation d’une nouvelle alliance en faveur de la sauvegarde de la Terre et de la création. Il s’agit d’un choix qui nous appartient : « former une alliance mondiale pour prendre soin de la Terre et les uns des autres, ou risquer notre destruction et celle de la diversité de la vie ».

Cette attention planétaire essentielle se fonde dans la mystique interreligieuse. Le respect de la nature est un dédoublement évident de toute perspective mystique, puisqu’elle-même dans sa beauté reflète les traits de Dieu, ou le Mystère suprême, sans nom. Les mystiques parlent du mystère inaccessible de Dieu, de l’impossibilité de sa compréhension dans le temps. Ils pointent vers la possibilité de capter sa fragrance dans cet espace de la contingence.

Le cappadocien Grégoire de Nisse parle « du parfum diffus » de la nature divine dans la création : tout l’univers est porteur de cet arôme qui traduit le mystère de la Vie. La tradition mystique orthodoxe parle de la philocalie, qui littéralement signifie « l’amour de la beauté ». La prière hésychaste (Mont Athos en Grèce) a pour objectif essentiel d’éveiller cette « sensibilité à la présence de Dieu en toutes choses ». Toute mystique authentique cherche à révéler un nouveau regard sur le monde, ou mieux encore, à capter l’autre monde qui habite en ce monde. Elle ouvre avec lui la possibilité de voir le monde transfiguré, de voir « la flamme des choses », et de récupérer le « corps énergétique de la Terre ». De là l’importance fondamentale de réaffirmer le sens mystique de la conscience planétaire.

RELaT_no_407_TEIXEIRA_Faustino_El_sentid (1).pdf  Pour les références dans le texte original en espagnol.

 

Traduit de l’espagnol par Yves Carrier


Des nouvelles du CAPMO

Collectif TRAAQ

L’assemblée général du Collectif TRAAQ aura lieu dans la dernière semaine du mois d’octobre.

Nous vous tiendrons informés de l’endroit et de la date.

Les rencontres d’évaluation de la mise en place du programme ÉquiMobilité reprennent

le 26 septembre avec nos partenaires des organismes communautaires et de défense des droits.

 

Femmes immigrantes et solidaires

Le comité responsable des activité est sous la responsabilité de

Carole Babet, Vanessa Irakiza, et Houmou Guiro

Les activités auront trois fois par mois jusqu’au mois de juin prochain, avec une pause en décembre.

 

Stratégie d’intégration et de lutte contre le racisme

Les samedis 8 juin et 29 juillet des visites guidées de la Basse-Ville ouvrière

et du Vieux Québec ont été réalisées avec l’historien Simon Carreau.

 

Assemblée générale du CAPMO

L’assemblée générale annuelle de votre organisme préféré aura lieu

le samedi 30 septembre de 9 h 30 à 16 h au 2ème étage du 435 rue du Roi à Québec.

 

Comité organisateur du 17 octobre et CLAP03

Le Collectif de lutte et d’actions contre la pauvreté renait de ses cendres

avec plusieurs nouveaux groupes membres et organisent un panel de discussion

avec des experts de vécu au Patro Laval dès 9 h 30 le 17 octobre.

 

Assemblée générale du REPAC0312

Mardi le 26 septembre à 9 h 00 à 15 h

Au Centre de l’Environnement Frédérick-Back

870 Av. De Salaberry, Québec

 

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