Ça roule au CAPMO – Septembre 2018

 Ça roule au CAPMO,  septembre 2018, année 20, numéro 01

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 Capital social et bien commun

Le capital social est l’ensemble des valeurs, des us et coutumes, d’une société qui de manière tangible contribuent à la réalisation d’une démocratie participative et à la promotion des droits du plus grand nombre en débutant par les segments les plus discriminés de la population. Difficile à calculer, il s’appuie sur la bonne-entente et la volonté de tous et de toutes de contribuer au bien commun. C’est la bienveillance en action, consciente et éduquée sur sa responsabilité qui agit librement dans la poursuite de l’intérêt général. On reconnait sa présence et sa qualité là où la paix et l’entraide sont manifestes et où les indices de pauvreté et d’exclusion sont les plus bas. Mais ce capital, partie prenante des richesses d’une nation, ne dépend pas que de la bonne volonté citoyenne. Pour fructifier il a besoin du support d’un État qui croit en lui, le protège et investit dans ses micro-institutions afin de le préserver des atteintes de l’autre capital, celui qui veut s’approprier le bien commun, le privatiser et l’annihiler parce qu’il nuit au secteur corporatif de l’économie. Car ne l’oublions pas, pour ce dernier, la guerre vaut mieux que la paix, la maladie que la santé et l’asservissement aux projets de société alternative.

Le capital social, tout comme le bien commun, s’établit dans une perspective à long terme, dans le respect des traditions bénéfiques à l’intérêt général. Il fait œuvre pédagogique en nous instruisant sur nos responsabilités communes. Tributaire de la crédibilité de nos institutions celles-ci ne peuvent devenir de vulgaires instruments au service du grand capital. Pour contempler ces deux éléments, le bien commun et le capital social, indispensables à la qualité d’une société, les décideurs doivent être à l’écoute de leurs concitoyens et ne pas céder aux sirènes d’une croissance économique à court terme qui sacrifie l’avenir au bénéfice de quelques-uns.

La question du discernement éthique s’avère essentiel sur ce point. Ce n’est pas parce que la majorité assujettie choisit la consommation à outrance comme fondement de leur vie, que nous devons poursuivre sur cette voie. Il faudra bien avoir le courage politique d’effectuer les transformations structurelles nécessaires à la survie de la planète avant qu’il ne soit trop tard. Heureusement, le mensonge ne dure qu’un temps et la négation du réel ne saurait durer toujours. Sinon, l’homme du 21ème siècle est vraiment schizophrène.

Cette vision du monde et de la vie  comprend que nul n’est éternel et que nous devons laisser aux générations futures assez de ressources pour que la vie vaille la peine d’être vécue. Bien sûr, il faut pour cela s’être libéré d’un égoïsme prédateur qui confond l’ordre des désirs et celui des besoins, ne considérant l’avenir qu’à l’aulne de l’intérêt individuel. À ce propos, il y a longtemps que le rêve américain de conquête du monde  aurait dû être jeté aux poubelles de l’histoire. Comment s’identifier à un tel projet impérialiste ?

Chacun pour soi nous a conduits à des impasses insolubles, pour retrouver notre chemin il faut à nouveau faire cause commune. Les changements climatiques appellent de nouveaux paradigmes et une civilisation fondée sur des modes de vie différent où l’argent ne sera plus la référence ultime et la mesure de notre réussite.

Yves Carrier

 


Table des matières :

Spiritualité et citoyenneté
Réhabiliter l’Utopie
L’éclipse de l’éthique
L’Amérique latine
Le triomphe de AMLO
Calendrier 

 

 


Spiritualité et citoyenneté

par Robert Lapointe

LA DÉMOCRATIE : QU’OSSÉ ÇA?

Pour moi, c’est moins un type de régime politique qu’une attitude, un genre de vie : respecter l’autre, son opinion et partager le pouvoir. Le politique est un mode de résolution des conflits entre des gens ayant des intérêts différents en vue de l’orientation d’une communauté. Il faut éviter soigneusement la domination d’une idéologie ou d’une religion sur le processus politique. La laïcité doit donc être un principe fondamental en politique. Des partis, des individus peuvent s’inspirer d’une spiritualité, d’une religion ou d’une doctrine politique, mais ne pas les imposer à l’ensemble de la société. La décision devrait résulter d’un débat public animé par le plus de personnes possible et respecter le point de vue de la minorité en lui laissant tout le loisir et le temps de s’exprimer. La démocratie est un processus long et lent, parfois frustrant pour ceux qui veulent aller vite, mais nécessaire.

Il faut distinguer démocratie et apparence de démocratie. Un travail constant est essentiel pour que la forme démocratique devienne véritablement une force politique. Plus il y a de hiérarchie, moins il y a de démocratie. Celle-ci doit d’abord se réaliser à la base de la société, dans les familles, les groupes populaires, les syndicats, les communautés afin d’atteindre les entreprises et le gouvernement. La démocratie doit devenir une pratique et une exigence de la société civile.

Sommes-nous dans un système démocratique? Apparemment peut-être. La forme est démocratique, mais, au fond, nos anciens maîtres et qui le sont encore, les riches et les puissants de ce monde, se sont arrangés pour garder la réalité du pouvoir sous des apparences souvent spectaculaires de démocratie. On gouverne généralement à droite ou au centre mais, de temps en temps, quand le peuple gronde, on laisse une pseudo-gauche accéder au pouvoir et on en profite pour imposer des mesures plus radicales, en faveur des intérêts de ces riches et puissants, bien sûr.

Selon les pays et, parfois, certains enjeux, voter peut-être un acte important. Ailleurs, surtout dans nos pays occidentaux, c’est une vaste plaisanterie, du pur cynisme. Souvent, on nous donne le choix entre des ennemis et des traîtres. C’est une politique du spectacle encouragée par les médias. Et cela permet d’aller chercher le consentement d’une population à une domination du gouvernement par des riches et des puissants qui n’ont pas besoin d’être élus. Les élus ne sont pas au service du peuple mais de ces riches et puissants.

J’irai peut-être voter pour des gens qui sont mes amis ou proches de mes amis, mais je n’ai aucune illusion. Ils me trahiront lorsqu’ils sentiront l’arôme empoisonnée du pouvoir. C’est le destin de la gauche de trahir le peuple et de nous vendre à nos ennemis. Judas a toujours un grand avenir politique à moins que, rongé par le remords, il aille se pendre…

Ces opinions n’engagent que votre serviteur, Robert Lapointe.

 


Réhabiliter l’Utopie 

Réhabiliter l’utopie de manière critique , Juan José Tamayo

El País -Ideas 15 / 07 / 18 – España

L’intellectuel et historien britannique Tony Judt raconte dans son livre « Ill fares the land » qu’en terminant une conférence sur la situation mondiale prononcée en   octobre 2000 à New York, la première intervention fut celle d’un enfant de 12 ans avec une question qui laissa le public atonique et le conférencier pantois : « Bien, vous avez une conversation à chaque jour ou un débat sur certains de ces problèmes (ceux dont vous venez de nous parler), mais si le mot « socialisme » est mentionné, c’est comme si une tuile tombait sur la conversation et qu’il n’y avait aucun moyen de l’enlever. « Qu’est-ce que vous recommanderiez pour la reprendre ? » J’ai souvent eu une impression similaire lorsque, dans des milieux académiques ou dans des colloques, le mot « utopie » était prononcé. Il y avait alors un silence de sépulture. Une telle situation est ce qui m’a conduit à consacrer à l’Utopie (avec majuscule, comme majeure de ma pensée) et aux utopies (avec minuscule, comme des incarnations historiques d’un monde meilleur), ma récente leçon jubilaire à l’Université Carlos III de Madrid, où j’ai été nommé professeur émérite.

Par cela, j’ai tenté d’intervenir dans la confrontation actuelle entre deux conceptions de la raison, l’utopie et la techno-scientifique, avec un double objectif : réhabiliter et activer l’utopie avec un sens critique et dialectique au milieu de l’obscurité du présent pour la mettre au service de l’émancipation humaine qui a sa traduction dans la proposition d’un Autre monde possible des Forum sociaux mondiaux. Cette confrontation est illustrée pas  l’anecdote suivante rapporté par le théologien  hollandais Edward Schillebeeckx : « Un jour, un Européen est atterri en avion dans un village africain où les habitants admiraient ce grand oiseau blanc. Fier, il leur répondit : « En un jour, j’ai parcouru une distance qui en nécessitait 30 auparavant. » Alors un vénérable chef s’avança et demanda : « Qu’allez-vous faire des 29 jours restants ? » »

Réhabiliter l’utopie de manière critique

La pensée utopique a mauvaise presse, mais accepter que la réalité peut s’améliorer devrait être un impératif d’une instance pour laquelle l’anecdote reflète les deux attitudes que nous pouvons adopter face à la réalité, le temps, la vie, les autres, la nature. L’une est l’attitude pragmatique et calculatrice qui réduit la raison jusqu’à la convertir en raison instrumentale, comptant et sonnant, transformant ce qui est une fin en soi en moyens, parvenant à faire de l’être humain une marchandise, ce qui est contraire à l’impératif moral de Kant. La  raison instrumentale confond la valeur et le prix et nous fait affirmer, dans les mots d’Antonio Machado : « qu’il est stupide de confondre valeur et prix. » La raison instrumentale détruit l’environnement comme s’il s’agissait d’un bien sans propriétaire. Elle programme l’espoir, sans laisser aucun espace à l’imagination créatrice. Elle considère le futur comme une répétition de plusieurs passés ajoutés au présent.

Tout autre est l’attitude utopique et imaginative qui s’interroge sur le sens des actions humaines et qui ne se satisfait pas de la réalité en s’y conformant de manière acritique, ni n’accepte que les choses sont comme elles sont et que cela ne peut être autrement. Au contraire, l’attitude utopique extrait de la réalité ce qu’elle contient de plus effervescent et créatif, elle maintient le regard posé sur la cible à atteindre.

Bernard Shaw illustrait cette attitude utopique et interrogative en réinterprétant le mythe du paradis dans l’Ancien Testament. Au milieu de la discussion entre Adam, Ève et le serpent autour de la nécessité d’avoir des aspirations qui vont au-delà de la simple subsistance, le serpent s’adresse à Adam et Ève et leur dit : « Vous voyez les choses telles qu’elles sont et vous vous demandez pourquoi ? » Tandis que moi je rêve aux choses qui n’ont jamais existées et je me dis : « Pourquoi pas ? »

Quelle Utopie faut-il réhabiliter ?

L’alternative à l’installation commode et acritique dans la raison pragmatique est la réhabilitation de l’Utopie qui ne peut se réaliser à n’importe quel prix et de manière abstraite. À la suite, je propose les caractéristiques de cette réhabilitation : Une Utopie non mystifiée, qui ne nous fait pas régresser à des âges d’or qui n’ont jamais existés. Qu’elle soit guidée par un intérêt émancipateur et libérateur avec l’intention éthique et ouverte à l’altérité. Dans la perspective des victimes: Albert Camus écrit : « On ne peut pas se mettre du côté de ceux qui font l’histoire, mais de ceux et celles qui la subissent ».

Une Utopie intégratrice de la pluralité des alternatives pour ne pas tomber dans l’uniformité, qui conjugue la critique et la proposition, qui guide la praxis et l’oriente vers elle. Adela Cortina écrit : « Sans futur utopique contenant des raisons d’espérer et de s’engager, le présent actuel manque de sens. » Une Utopie qui contemple l’imperfection comme inhérente à l’être humain et la possibilité de l’échec pour éviter de construire des paradis célestes sur la Terre qui, à la longue, peuvent se convertir en enfers. Une Utopie capable de se relever de ses échecs. Ce n’est pas la perfection statique, affirme Mumford Lewis, sinon l’avancée constante, la rénovation et la transcendance, la meilleure alternative de la vie dans l’Utopie ». Nelson Mandela disait : « La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de toujours se relever ». Une Utopie qui propose d’atteindre des objectifs, mais qui est aussi capable de les dépasser, pour éviter de tomber dans la mélancolie des buts atteints » (Bloch).

Une Utopie décolonisatrice qui n’absolutise pas, ni n’impose une vision ethnocentrique du futur, qui respecte et reconnait les autres visions utopiques, d’autres regards sur le futur, qui rend possible le dialogue égalitaire entre les savoirs et les sagesses, les utopies et les pensées utopiques des différentes traditions philosophiques, culturelles et religieuses.

Une Utopie qui harmonise démocratie et révolution. Historiquement, les deux s’opposèrent et elles se sont écroulées. Pour sortir de l’option carcérale dans laquelle, selon Boaventura de Sousa Santos, nous vivons enfermés entre les fondamentalismes dystopiques et des lendemains sans passé ni lendemain et pour que le futur soit à nouveau possible, il est nécessaire que démocratie et révolution se réinventent et se convoquent de manière articulée, conformément à leur proposition lucide et créative : « démocratiser la révolution et révolutionner la démocratie ».

Suis-je optimiste ou pessimiste, utopique ou dystopique ? Empruntant la définition du scientifique social Franz Himkelammert, et aussi contradictoire que cela paraisse, je me définis comme une personne « pessimiste-optimiste. » Pessimiste parce que la réalité ne nous permet pas d’être optimiste. Nous sommes soumis à une série de systèmes de domination, au racisme, au capitalisme, au colonialisme, au patriarcat, au fondamentalisme, à l’impérialisme, au racisme, à la dévastation de l’environnement, qui s’appuient et se justifie, ayant pour objectif ultime de nous voler l’espoir, de l’enlever aux personnes et aux collectivités les plus vulnérables, ce qui est, possiblement, l’un des plus grands vols qu’est en train de commettre le néolibéralisme. Mais, en même temps, je suis une personne optimiste. Le pessimisme ne m’amène pas à me croiser les bras, sinon qu’il me pousse à agir, et l’action est déjà en soi une réponse au pessimisme ambiant. Je coïncide avec deux représentants du marxisme critique du 20ème siècle: le penseur italien Antoni Gramsci quand il parle « du pessimisme de la raison et de l’optimisme de la volonté » et avec l’intellectuel péruvien José Carlos Mariategui, qui se réfère « au pessimisme de la réalité et à l’optimisme de l’action ».

Juan José Tamayo est directeur de la Chaire de théologie et des sciences des religions à l’Université Carlos III à Madrid. Ses derniers livres sont : « Teologías del Sur. El giro descolonizador » (Trotta, Madrid, 2017); « ¿Ha muerto la utopía ¿Triunfan las distopías » (Biblioteca Nueva, Madrid, 2018).

Traduit de l’espagnol par Yves Carrier

 


 L’éclipse de l’éthique 

L’éclipse de l’éthique dans l’actualité par Leonardo Boff, Amerindia, 19/ 07 / 18

Selon moi, deux facteurs ont atteint le cœur de l’éthique: le processus de globalisation et la marchandisation de la société. La globalisation a montré les différents types d’éthique, selon les différences culturelles. Elle a relativisé l’éthique occidentale, une parmi d’autres. Les grandes cultures d’Orient et des peuples originaires ont révélé que nous pouvons être éthiques de façons très différentes. Par exemple, la culture maya centre tout sur le cœur, puisque toutes choses sont nées de l’amour entre le Ciel et la Terre. L’idéal éthique est de créer chez toutes les personnes des cœurs sensibles, justes, transparents et authentiques. Ou encore l’idéal éthique du « buen vivir y convivir » des peuples andins, fondé sur l’équilibre de toutes choses, entre les humains, avec la nature et avec l’univers.

Une telle pluralité de voies éthiques a eu comme conséquence une relativisation généralisée. Nous savons que la loi et l’ordre, les valeurs de la pratique éthique fondamentale, sont les pré-requis à l’existence de n’importe quelle civilisation, n’importe où dans le monde. Ce que nous observons actuellement, c’est que l’humanité est en train de céder devant la barbarie et que nous nous dirigeons vers une véritable ère des ténèbres, telle est la débâcle éthique qui s’en vient.

Peu de temps avant sa mort, le penseur Sigmund Bauman avertit : « ou l’humanité se donne la main pour se sauver ensemble, ou bien nous irons grossir le cortège de ceux qui marchent vers l’abîme ». Quelle est l’éthique qui pourrait nous orienter comme humanité habitant la Maison commune ? Le deuxième grand empêchement éthique est la marchandisation de la société, ce que Karl Polanyi appelait déjà en 1944 : « La grande transformation ».

C’est le phénomène du passage d’une économie de marché à une société purement de marché où tout est transformé en marchandise. Cela avait déjà été prévu par Karl Marx dans son texte : « La misère de la philosophie » paru en 1848, quand il fait référence au temps où les choses les plus sacrées comme la vérité et la conscience seront amenées au marché. Ce sera, écrit-il : « le temps de la grande corruption et de la vénalité universelle ». C’est cette époque que nous vivons. L’économie, plus particulièrement spéculative dicte les voies de la politiques et de la société dans son ensemble. La compétition est une marque déposée et la solidarité est pratiquement disparue.

Quel est l’idéal éthique de ce type de société ? La capacité d’accumulation illimitée et de consommation sans limite qui engendre une grande division entre un tout petit groupe qui contrôle une grande part de l’économie mondiale et les majorités exclues y enfoncées dans la faim et la misère. C’est ici que se révèlent, comme peu de fois dans l’histoire, les traits de la barbarie et de la cruauté.

Nous devons refonder une éthique qui s’enracine dans ce qui est spécifique à l’espèce humaine et qui, pour cela, soit universelle et peut être assumée par tous. J’estime qu’en tout premier lieu vient l’éthique du soin, qui selon la fable 220 de l’esclave Higinio, bien interprété par Martin Heidegger dans « Être et temps » constitue le substrat ontologique de l’être humain, cet ensemble de facteurs sans lesquels jamais n’aurait surgi l’être humain et les autres êtres vivants. Parce que la capacité de prendre soin de l’autre appartient à l’essence de l’être humain, nous pouvons tous et toutes le vivre et lui donner des formes concrètes, correspondantes à chaque culture.

Prendre soin présuppose une relation amicale et amoureuse avec la réalité, de main tendue pour la solidarité et non de poing fermé pour la domination. Au centre du soin se trouve la vie. La civilisation devra être centrée sur la vie.

Une autre donnée de notre essence humaine est la solidarité et l’éthique qui en découle. Nous savons aujourd’hui grâce à la bio-anthropologie que ce fut la solidarité de nos ancêtres anthropoïdes qui permit de faire le saut de l’animalité à l’humanité en cherchant les aliments et en les consommant solidairement. C’est grâce à ce minimum de solidarité que nous avons tous et toutes la vie, en commençant par la famille. Ce qui fut fondamentale hier, continue de l’être aujourd’hui.

Une autre voie éthique liée à notre humanité est l’éthique de la responsabilité universelle. Ou nous assumons ensemble de manière responsable le destin de la Maison commune ou nous emprunterons un chemin sans retour. Nous sommes responsables de la durabilité de Gaïa et de ses écosystèmes pour que nous puissions continuer à vivre ensemble avec toute la communauté de la vie.

Le philosophe Hans Jonas qui fut le premier à élaborer : « Le principe de responsabilité », lui ajouta l’importance de la peur collective. Lorsqu’elle survient et que les êtres humains commencent à se rendre compte qu’ils peuvent connaître une fin tragique et même disparaître comme espèce, fait irruption une peur ancestrale qui les amène à adopter une éthique de la survie. Le présupposé inconscient est que la valeur de la vie est au-dessus de n’importe quelle autre valeur culturelle, religieuse ou économique.

Finalement, il est important de récupérer l’éthique de la justice pour tous. La justice est le droit minimum que nous accordons à l’autre afin qu’il puisse continuer à exister en recevant ce qui lui correspond comme personne. Les institutions tout spécialement doivent être justes et équitables afin d’éviter les privilèges et les exclusions sociales qui produisent tant de victimes, particulièrement dans notre pays, le Brésil, l’un des plus inégaux, c’est-à-dire des plus injustes au monde. Ainsi s’explique la haine et les discriminations qui déchirent la société, en provenance non pas du peuple mais des élites fortunées qui ont toujours vécu dans un monde privilégiés et qui n’acceptent pas que les pauvres puissent monter ne serait-ce qu’un échelon dans l’échelle sociale. Actuellement, nous vivons sous un régime d’exception où la constitution comme les lois sont piétinées au moyen du Lawfare (l’interprétation tordue de la loi que le juge pratique pour porter préjudice à l’accusé).

La justice ne vaut pas seulement pour les êtres humains, mais aussi pour la nature et la Terre qui sont porteuses de droits et pour cela doivent être incluses dans nos concepts de démocratie socio-écologique.

Ce sont certains paramètres minimums pour une éthique valide pour chaque peuple et pour l’humanité, réunie dans la Maison commune. Nous devons incorporer une éthique de la sobriété partagée pour atteindre ce que disait Xi Jinping, chef suprême de la Chine : « une société modérément comblée ». Cela signifie un idéal minimum et atteignable. En cas contraire, nous pourrions connaître un Armageddon social et écologique.

*Leonardo Boff  a écrit: Cómo cuidar de la Casa Común,  Vozes 2018.

 Traduit du portugais par Yves Carrier

 


L’Amérique latine

L’Amérique latine est menacée de régression, Frei Beto, ALAI, 13/06/18

   

Au cours des trois dernières décennies, aucun autre continent n’a connu des changements aussi significatifs. Ce sont les grands défis qui se présentent aux 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes avec leurs 600 millions d’habitants. Après l’échec des renégociations de l’Accord de libre-échange nord-américain, ALENA, et le rejet de la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) par la majorité des pays du continent, l’Amérique latine a commencé à prendre sa destinée en main. Elle avait enfin atteint l’âge adulte.

Plusieurs facteurs contribuèrent à cette avancée. Premièrement, la résistance de la Révolution cubaine qui n’a pas succombé aux agressions des États-Unis, ni n’est tombée suite à la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’Union Soviétique. Ensuite, ce fut le rejet électoral des candidats qui incarnaient la proposition néolibérale et la victoire de ceux et celles qui s’identifiaient avec les revendications populaires, particulièrement des plus pauvres : Chavez, Lula, Bachelet, Kirchner, Mujica, Correa, Morales, Lugo, etc. Plusieurs organisations furent créées afin de renforcer l’intégration continentale : ALBA, CELAC, Telesur, Unasus, Caricom, Aladi, Parlatino, Sica, etc.

Cependant, de nombreuses difficultés se pointèrent à l’horizon. Dans cette économie globalisée et hégémonisée par le capitalisme néolibéral, la crise des monnaies fortes, comme le dollar et l’Euro, affecta négativement les pays du continent. Même s’il y a eu des avancées dans la lutte à la pauvreté extrême, aujourd’hui encore la région héberge des millions de miséreux; les salaires versés aux travailleurs sont faibles en considération des coûts de la vie où les denrées vitales subissent une forte inflation et l’inégalité sociale s’accroît vertigineusement (des 15 pays les plus inéquitables du monde, 10 se trouvent en Amérique latine).

En Europe, où la crise économique a débauché plus de 30 millions de travailleurs, dont la majorité sont des jeunes, il n’existe plus une gauche capable de proposer des alternatives. Le Mur de Berlin est tombé sur la tête des partis et des militants de gauche et ils ont presque tous et toutes été cooptés par le néolibéralisme. Maintenant, les attentats terroristes renforcent la xénophobie, la politique des portes fermées aux réfugiés et les partis de droite qui défendent une “Europe pour les Européens” et un État policier. Dans les pays de la CELAC, la dépendance historique de leur économie envers le marché externe donne des indices d’une crise qui tend à s’aggraver. Les indices de croissance du PIB tombent, l’influation ressurgit et s’aggravent la désindustrialisation et l’exode rural comme conséquence de l’augmentation des latifundios (grans propriétés terriennes).

Le pauvretaire

Il ne suffit pas d’avoir des discours et des politiques progressistes si cela ne correspond pas avec des programmes économiques adéquats. Nos économies demeurent sous la pression des économies des pays occidentaux, des organismes complètement controlées par les propriétaires du système (FMI, Banque mondiale, OCDE, etc.), d’un système de fixation des prix, en particulier du prix des aliments, intrinsèquement injuste, et selon lequel les bénéfices privés du marché sont plus importants que la vie des personnes.

La Banque Mondiale (BM) avertit que 241 millions de latino-américains peuvent tomber dans la pauvreté. C’est ce que Bauman qualifie de précarisation et moi, de “pauvretaire”. Ces 241 millions ne sont ni pauvres, ni de classe moyenne. Ils représentent 38% de la population du continent où sont considérés comme pauvres tous ceux et celles qui vivent avec moins de 4 dollars par jour. Aujourd’hui, la moitié de la population adulte d’Amérique latine vit d’un travail informel, non déclaré, en raison de la crise économique qui affecte des pays émergeant comme le Brésil, le Mexique, l’Argentine ou le Venezuela. Depuis que les Espagnols et les Portugais sont arrivés sur notre terre natale, l’économie continentale dépend des exportations des matières primaires. Néanmoins, les grands importateurs, comme la Chine et l’Europe occidental, donnent des signes de ralentissements économiques.

Aujourd’hui, en Amérique latine, on considère que 167 millions de personnes sont pauvres et que 71 millions vivent dans la misère (ils survivent avec moins d’un dollar par jour. Au Brésil, la misère atteint 12% de la population, et cela va en s’aggravant avec les ajustements fiscaux du gouvernement putchiste de Michel Temer qui affectent les politiques sociales et empêchent la croissance du PIB.

Tous les gouvernements progressistes qui se réunissent dans la CELAC savent qu’ils ont été élus par les mouvements sociaux et les segments les plus pauvres qui constituent la majorité de la population. Toutefois, y a-t-il un réel effort d’organisation des classes populaires ? Est-ce que les mouvements sociaux sont protagonistes des politiques des gouvernements ou de simples bénéficiaires des programmes à caractère assistentialiste et non émancipateur dans la lutte à la pauvreté ? Comment est-ce que les gouvernements démocratiques populaires d’Amérique latine traitent les secteurs de la population qui sont bénéficiaires des politiques d’assistance ? Y a-t-il un réel effort d’alphabétisation politique de la population ou bien est-ce qu’on ne se contente pas de répandre une mentalité consumériste ?

Individualisme et conservadurisme

Il est évident que le niveau d’exclusion et de misère provoqué par le néolibéralisme exige des mesures urgentes qui demeurent des politiques d’assistance sociale. Néanmoins, un tel assistentialisme se restreint à l’accès aux bénéfices personnels (allocations, école, attention médicale, prêts assistés, dons de produits de base, etc.), sans que cela soit complété par un processus pédagogique de formation et d’organisation politique. (C’est le véritable sens du mot révolution.) On crée ainsi un clientélisme sans adhésion à un projet politique alternatif au capitalisme. On donne des bénéfices sans susciter l’espoir d’un changement global. On favorise l’accès à la consommation, sans promouvoir l’émergence de nouveaux protagonistes sociaux et politiques. Et, ce qui est plus grave encore, au sein du système de consommation actuel, dont les marchandises renouvelables sont empreintes du fétichisme qui valorise le consommateur au lieu du citoyen, le capitalisme post-néolibéral introduit des “valeurs” – comme la compétitivité et la marchandisation de tous les aspects de la vie et de la nature, renforçant ainsi l’individualisme et le conservadurisme. (Le conformisme mène à l’intolérance puis à l’intransigeance, il renforce l’égoïsme, l’indifférence et la peur de l’autre.)

 

Nos gouvernements progressistes, dans leurs contradictions multiples, critiquent le capitalisme financier et en même temps, ils font la promotion de la bancarisation des secteurs les plus pauvres à travers des cartes de guichets donnant accès à des bénéfices monétaires, à des pensions, à des salaires et au crédit, malgré la difficulté de payer les intérêts et de rembourser les dettes. Le péril est de renforcer, dans l’imaginaire social, l’idée que le capitalisme est éternel (“L’histoire est terminée” proclame Francis Fukuyama), et que sans lui, il ne peut y avoir de processus véritablement démocratique et civilisationnel. Ce qui signifie diaboliser et exclure, par la force si nécessaire, tous ceux et celles qui n’acceptent par cette “évidence”. Ils seront considérés comme des terroristes et des ennemis de la démocratie, des subversifs ou des fondamentalistes. Cette logique est renforcée lorsque, pendant les campagnes électorales, les candidats de gauche accentuent emphatiquement, avec la confiance dans le marché, l’attraction des investissements étrangers, la garantie que les industriels et les banquiers apporteront de plus grands bénéfices à la société, etc.

Vers des réformes structurelles ?

Pendant un siècle, la logique de la gauche latino-américaine a été confrontée à l’idée de dépasser le capitalisme par étapes. Il s’agit d’une donnée nouvelle qui exige de nombreuses analyses pour implanter des politiques empêchant que les processus démocratiques populaires actuelles soient inversés par le grand capital et ses représentants politiques de droite. Ce défi ne peut dépendre seulement des gouvernements. Il s’étend aux mouvements sociaux et aux partis progressistes qui, au plus vite, ont besoin d’agir comme des “intellectuels organiques”, socialisant le débat sur les avancées et les contradictions, les difficultés et les propositions, pour agrandir toujours plus l’imaginaire centré sur la libération du peuple et sur l’atteinte d’un modèle de société post-capitaliste véritablement émancipateur.

“La tête pense à partir d’où sont les pieds.” S’ils ne mobilisent pas le peuple pour implanter des réformes structurelles, nos gouvernements progressistes courent un sérieux risque de succomber aux contradictions d’exercer des politiques de gauche dans une économie de droite.  Comme disait Onelio Cardozo : “Les personnes ont faim de pain et de beauté”. La première peut être satisfaite; la seconde, inépuisable. Cela signifie que le désir humain, qui est infini, ne cessera d’être l’otage de la consommation et de l’hédonisme—tentacules du néolibéralisme — que s’il a rassasié sa soif de beauté, ou bien dit autrement, son sens de l’existence. Cela ne s’atteint pas uniquement en remplissant l’estomac et en ayant plus d’argent dans le porte-monnaie. Cela sera possible, si une formation politique est capable d’imprimer dans chaque citoyen et citoyenne, la conviction qu’il vaut la peine de vivre et de mourir pour que tous aient la vie en abondance comme l’enseignait Jésus.

 Frei Betto  

 https://www.alainet.org/es/articulo/193879 

Traduit de l’espagnol par Yves Carrier


 Le triomphe de AMLO

Le triomphe de Lopez Obrador, 02/07/2018 – Editorial de La Jornada de México

Cambió la historia – Editorial

 

L’élection présidentielle du 01 juillet 2018 est extraordinaire à notre point de vue et, à plusieurs niveaux, elle marque un point d’inflexion dans l’histoire du Mexique et de l’Amérique latine. Elle représente le triomphe d’un projet transformateur dans les domaines politique, social, économique et éthique parce que le pouvoir a été conquis de manière pacifique et démocratique. Ainsi, le triomphe de Andrés Manuel Lopez Obrador, de son parti, le Mouvement de régénération nationale (Morena), et de sa coalition Juntos haremos historia (Ensemble nous ferons l’histoire), formée du Parti travailliste et de Rencontre sociale, marque la fin d’un cycle de gouvernements qui débuta en 1988 et qui a conduit le pays sur un chemin de développement dépendant de l’économie des États-Unis, à une dramatique concentration de la richesse, à la croissance démesurée de la pauvreté, à la faillite de l’État de droit dans plusieurs régions, à une alarmante corruption et à des asymétries sociales qui finirent par engendrer une crise d’insécurité et de violence, à l’exaspération des citoyens et à une détérioration institutionnelle prononcée.

Qui plus est, les élections du 01 juillet sont sans précédent en raison du résultat obtenu qui donne une majorité absolue au vainqueur, par un pourcentage élevé de participation (près de 63% de la liste électorale), par le nombre de fonctionnaires électoraux impliqués — près d’un million quatre cent mille — par la relative normalité avec laquelle l’élection s’est déroulée, malgré quelques incidents lamentables, mais isolés et à caractère régional, comme ce fut le cas à Puebla et à Veracruz. L’élection fut également un triomphe parce que les perdants ont reconnu leur défaite avant même la publication des résultats.

À leurs discours s’unirent, trois heures plus tard, l’annonce des tendances — irréversibles — du Programme des résultats électoraux préliminaires de la part du président de l’Institut national électoral et sur la chaîne nationale du président de la république Enrique Peña Nieto qui s’est élevé à la stature d’un homme d’État. Ces allocutions démocratiques ont apaisé les tumultes éventuels et les incertitudes économiques et financières qui auraient pu survenir. Pour les observateurs, il fut surprenant pour plusieurs de constater que le groupe au pouvoir acceptait sa défaite et reconnaissait le triomphe électoral d’une proposition de virage national qui avait été bloquée en 2006 et en 2012.

 

Après trois décennies de gouvernements néolibéraux, le projet de nation qui servira de base au programme du gouvernement du dirigeant issu de Tabasco et ancien maire de la Ville de Mexico, propose une voie clairement différente de celles choisies par les administrations précédentes, – et reprises, dans les axes fondamentaux, par les aspirants à la présidence du PRI (Parti de la révolution institutionnalisée) et du PAN (Parti d’action national) avec leurs coalitions respectives, José Antonio Meade et Richard Anaya— accordant la priorité au secteur public en commençant par la construction d’un État de bien-être social, la redistribution de la richesse, le sauvetage de l’économie rurale qui mettra l’emphase sur la création d’emplois, l’incorporation massive des jeunes à l’éducation supérieure, l’inclusion des groupes jusqu’ici marginalisés comme les peuples autochtones, l’austérité républicaine dans le service public, différentes modalités de récupération du contrôle de l’État sur les ressources naturelles et la souveraineté nationale.

Indépendamment  du nombre de ces programmes qui pourront être réalisés, le fait qu’il ait reçu un appuie écrasant dans les urnes parle du changement drastique de l’orientation qui animera le processus national. En somme, la pays a consommé un changement de paradigme d’une grande transcendance pour les années à venir. Ce projet n’est pas apparu lors des récentes élections ni lors des dernières campagnes électorales présidentielles. L’idéal de la coalition “Ensemble nous ferons l’histoire” possède des racines de plusieurs décennies dans les mouvements ouvriers, paysans et sociaux, ainsi que dans les luttes partisanes pour la démocratisation du pays. Il rassemble un demi siècle ou plus d’expériences de mobilisation, de participation et de résistance d’une bonne partie des gauches nationales. C’est aussi la plus récente expression d’une vision alternative qui, jusqu’à il y a quelques années, semblait écrasée par la pensée unique caractéristique du néolibéralisme, et il est juste de reconnaître que derrière le succès électoral de Lopez Obrador, se trouvent la ténacité et l’abnégation des activistes, des dirigeants, des militants, des intellectuels, des animateurs communautaires et des simples citoyens qui consacrèrent une partie ou la totalité de leur vie à la transformation dans un sens social et populaire. Certainement, on doit admettre la constance du candidat lui-même pour construire une organisation capable de l’amener à la présidence par la voie électorale.

En somme, le pays doit se féliciter d’avoir atteint une maturité démocratique qui se traduira dans une légitimité institutionnelle rénovée et par une nouvelle étape dans la vie républicaine, par un climat propice à la réconciliation nationale qui abandonne la dispute et met fin à une trame politique et économique aux conséquences dévastatrices qui avait complètement épuisé leurs possibilités.

Traduit de l’espagnol par Yves Carrier

 


 Calendrier des activités engagées du mois de septembre 2018

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