Ça roule au CAPMO, septembre 2016, année 17, numéro 01
La nature du pouvoir
Au Forum social mondial de Montréal, j’ai assisté à un panel sur l’Amérique latine. L’un des participants, originaire du Nicaragua et ex-sandiniste, partageait ses réflexions sur la nature du pouvoir qui, de révolutionnaire et progressiste, finit par devenir conservateur et oppressif. « Nos tactiques sont devenues des stratégies et celles-ci sont devenues notre idéologie, » constatait-il. Ainsi, ce qui à la base était sensé protéger la révolution et ses acquis est peu à peu devenu une manière d’éteindre toutes velléité de contestation avant même qu’elle ne deviennent une menace au nouvel ordre social. Cette domination exclusive du discours et de l’agenda politique, refusant toute remise en question ou manière différente d’aborder les problèmes sociaux ou environnementaux, est précisément ce qui empêche le renouveau, mais surtout la recherche d’un consensus par un dialogue permanent avec les différentes classes de la population.
L’ambition qui mène au pouvoir est une lutte pour sa conquête, son accroissement et son maintien. Par sa nature, le pouvoir cherche à contrôler non seulement la sphère politique, mais également les sphères économique et idéologique afin d’établir son hégémonie, son contrôle total sur les différents éléments susceptibles d’unifier le corps social de manière indépendante.
En effet, lorsque le parti révolutionnaire atteint les marches du pouvoir, il s’évertue à en interdire l’accès au prochain sujet collectif susceptible de se mettre en marche. Et si un gouvernement ne comprend pas les règles élémentaires de cette lutte sans merci, il sera rapidement éjecté par plus ambitieux que lui. S’enfermant dans cette logique, leur victoire renferme également le germe de leur perte. Devant des adversaires prêts à tout, il est aisé de comprendre que gouverner se résume souvent à choisir le moindre mal. Pris dans une logique de pérennisation aux commandes de l’État, le bien commun ne peut qu’en souffrir.
Ce constat apparaît révélateur des différents éléments permettant à un parti révolutionnaire de devenir une dynastie. Daniel Ortega et son épouse gouvernent sans partage les moindres aspects de la vie sociale et du discours politique. L’opposition fragmentée ne parvient pas à faire front commun, prisonnière des formes anciennes d’un discours inapte à révéler un projet de société rassembleur. Les leaders révolutionnaires s’étant enrichis, ils appartiennent désormais à la bourgeoisie nationale et les ennemis d’hier s’entendent comme larrons en foire. Même le cardinal Obando y Bravo, des plus réactionnaires, est devenu l’ami personnel du président. Le génie de ce dernier consiste à maintenir une rhétorique nationaliste, antiaméricaine et anticapitaliste, tout en pratiquant les lois du marché.
Si nous pouvons déplorer qu’une révolution ne soit plus qu’un discours contredit à chaque jour par l’enrichissement de sa classe dirigeante et qu’une démocratie soit devenue l’otage de son leader suprême, l’atteinte, l’accroissement et le maintien au pouvoir, sont aussi tributaires de l’identification de l’acteur révolutionnaire avec les différentes formes d’expression du pouvoir. Gouverner c’est briller et les signes ostentatoires de la réussite sociale permettent d’être pris au sérieux en un monde où l’humilité suscite peu d’adhésion. Parce que l’argent procure au pouvoir politique les moyens de ses ambitions, ce dernier s’embarrasse peu de la vertu.
Autre exemple de l’accumulation colossale du pouvoir de la famille Ortega, le canal transocéanique, plus grand que celui de Panama, dont la construction débutera sous peu malgré l’opposition de la majorité de la population. Peu importe les cris de la population, si les élites politiques et économiques pensent y trouver leur profit, le projet ira de l’avant. Pragmatisme oblige, il faut bien faire rouler l’économie même si on met à saque une faune extraordinaire et qu’on menace l’équilibre si fragile du lac Nicaragua.
Yves Carrier
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HOMMAGE À DONALD LEHOUILLIER
Le 21 juillet dernier est décédé brutalement Donald Lehouillier (accident sur le Chemin-Sainte-Foy). Donald était un artiste-peintre bien connu dans les milieux des arts visuels et graphiques. Il a enseigné aux Beaux Arts et travaillé comme graphiste. Plusieurs connaissent et possèdent certaines de ses œuvres.
Il appartenait aussi à la Fraternité des Alcooliques Anonymes. À ce titre, il a parrainé et aidé plusieurs membres de cette association à progresser dans leur sobriété et leur spiritualité. Il était aussi engagé socialement notamment au CAPMO comme président de notre organisme .Il a fait don de plusieurs de ces tableaux pour des activités de financement. Il était également impliqué dans la ligue de cartes.
Donald était un charmant compagnon, serviable et discret. Il participait régulièrement aux activités du CAPMO nous faisant bénéficier de son esprit à la fois caustique et ouvert. Nous nous rappellerons longtemps de Donald Lehouillier. D’ailleurs son départ, par les soins attentionnés de son fils, Jean-Sébastien, s’est effectué dans la sobriété au Musée de la Place Royale. Des photographies de ses œuvres, de lui-même et de moments de sa vie, ont été diffusées à cette occasion. Un goûter était offert et un hommage lui fut rendu. Et cela dans l’émotion et la sérénité.
CONTRE-COUP D’ÉTAT EN TURQUIE
Que se passe-t-il dans ce pays? À l’occasion d’un coup d’État manqué d’une partie de l’armée, le président Erdogan a déclenché une répression sans précédent. D’abord notons que l’armée turque ne rate jamais ses coups d’État. Donc, on peut se poser des questions sur ce qui s’est passé réellement. Charlie-Hebdo donne une petite idée de cette répression: 3000 magistrats en garde à vue ou emprisonnés, 1570 doyens d’université, 20000 professeurs virés, 15000 employés du ministère de l’Éducation suspendus, 1200 organisations et 19 syndicats interdits, 24 chaînes de radio et de télé fermées. La laïcité turque est menacée et l’Islam politique commet les mêmes erreurs qu’en Égypte. Peut-être l’armée réagira-comme en Égypte, mais Erdogan a prévu le coup : 6000 militaires et 9000 policiers collés au trou, avec le tiers de l’État Major, une grosse centaine de généraux et d’amiraux.
La LIGUE DE CARTES poursuit ses activités les vendredis et dimanches à 16 h au 2ième étage du 435 Du Roi. On ne se contente pas de jouer aux cartes; on mange ensemble, on organise des sorties et on participe aux activités de d’autres organismes communautaires. La ligue de cartes, beaucoup de plaisir, des défis à relever dans un jeu où tout le monde gagne, et l’isolement à éviter.
Robert Lapointe
Assemblée générale annuelle du CAPMO,
samedi 24 septembre, 9h00 à 16h00, 435 rue du roi, 2ème étage à Québec.
Bienvenue à tous nos membres !
Équateur. Pour un pacte éthique contre les paradis fiscaux
Par Rafael Correa, Président de la République de l’Équateur
À en croire leurs communiqués, les membres du G-20 et de l’Union européenne seraient engagés dans une lutte sans merci contre les paradis fiscaux. En fait, face au lobby bancaire, ils se gardent bien d’entreprendre des actions radicales contre ces zones de non droit qui sont autant de repaires de la criminalité organisée et de la spoliation des peuples.
Pour ne pas en rester au stade des incantations, Rafael Correa, président de la République de l’Équateur propose à ses concitoyens une mesure qui n’épuise certes pas le sujet, mais qui a une dimension emblématique : interdire à tout candidat à une élection et à tout détenteur d’une charge publique de détenir des avoirs dans un paradis fiscal. Ce « pacte éthique » fera l’objet d’un référendum organisé en février 2017. Un exemple à suivre et un thème fédérateur de mobilisation internationale.
On lira ci-dessous le message à la nation du président équatorien, dans lequel il explicite les motivations de sa démarche.
Citoyens équatoriens,
Les paradis fiscaux constituent l’un des pires ennemis de nos démocraties, en raison de ce qu’ils signifient en termes d’évasion fiscale, de dissimulation de transactions financières, de promotion de la criminalité organisée et de soutien au terrorisme. Dans ces régimes, tout est obscur, permettant la dissimulation de données, des vrais noms des titulaires de comptes bancaires, ainsi que de toutes les informations sur les opérations financières faites à partir des paradis fiscaux ou par leur entremise.
L’argent de ces « paradis » n’est jamais apporté par les ouvriers, les paysans, les enseignants, les médecins ou par les milliers de petites et moyennes entreprises qui ont confiance dans leur pays et construisent quotidiennement l’avenir de leurs familles et de toute la nation. C´est le repaire de ceux qui cherchent à ne pas assumer leurs responsabilités, en ne payant pas d´impôts ou en cachant la source de leur richesse – parfois illégale –, en utilisant les méthodes sophistiquées de sociétés fictives grâce aux conseils de grands cabinets d’avocats et d’experts fiscaux.
Ce phénomène ne génère pas seulement de la corruption, il approfondit les inégalités sociales. L’évasion fiscale concerne tous les pays, mais, en proportion, les pays pauvres sont les plus touchés. En Amérique latine, 32 millions de personnes pourraient sortir à la pauvreté si l’argent caché dans les paradis fiscaux était imposé.
Dans notre pays, en 2014 et 2015, plus de 3 milliards de dollars ont été envoyés dans des paradis fiscaux, soit un montant équivalent au coût de la reconstruction totale des zones touchées par le tremblement de terre d’avril dernier.
Soustraire la richesse de l’endroit où elle a été produite et où elle est la plus nécessaire, qui plus est dans son propre pays, est tout simplement immoral. Prétendre, comme certains le disent, « je peux faire ce que je veux de mon argent » témoigne d’un manque total d’éthique et d’engagement pour le pays. La lutte contre les paradis fiscaux doit transcender toute idéologie. Nous devons mettre fin à cette économie sans visage qui n’a pas de but vraiment humain, comme le dit le pape François.
Depuis le début de notre gouvernement, nous nous sommes battus contre ces paradis fiscaux. À cette fin, nous avons proposé plusieurs initiatives juridiques. Cependant, aucun effort ne sera suffisant si ceux qui sont à la tête d’une nation ou aspirent à la représenter par un poste public, cherchent à cacher ou à faire sortir leur argent du pays.
Voilà pourquoi, dans mon dernier Rapport à la nation du 24 mai, j’ai proposé au pays l’adoption d´un pacte éthique : rejeter tous les candidats qui ont leur argent dans des paradis fiscaux. De nombreux secteurs, dont certains opposants, ont réagi à cet appel et l’ont accepté. Mais, comme il fallait s’y attendre, d’autres secteurs ont justifié leur amoralité et ont même prétendu que cela menaçait le droit à la participation politique.
Personne ne les empêche de se livrer à des activités commerciales, mais ils doivent accepter leur responsabilité juridique et éthique et payer leurs impôts. Personne ne les empêche de préférer leurs intérêts personnels, mais s’ils veulent être des agents ou des fonctionnaires publics, ils doivent avoir comme première obligation éthique d’aimer leur patrie, de lui faire confiance et d’y investir.
Il est temps de passer des paroles aux actes. Ce matin, j’ai envoyé à la Cour constitutionnelle une demande afin que, après le contrôle préalable de constitutionnalité que ladite institution doit effectuer, le Conseil national électoral convoque une consultation populaire où le peuple serait amené à se prononcer sur la question suivante : « Êtes-vous d’accord pour que la détention d’actifs ou de capitaux de quelque nature que ce soit dans des paradis fiscaux soit interdite à quiconque veut participer à une élection populaire ou assumer une charge publique ? Moins d’un an à compter de la date de la proclamation des résultats définitifs de ce référendum, l’Assemblée nationale modifierait la Loi organique de la fonction publique, le Code de la démocratie et d’autres lois pertinentes afin de les adapter à la décision de la majorité du peuple équatorien. Au cours de cette période, les fonctionnaires qui détiennent des capitaux et des actifs de toute nature dans des paradis fiscaux devraient respecter le mandat populaire. Son non respect serait un motif de destitution. »
Il ne s’agit pas d’empêcher qui que ce soit de se porter candidat. Toutefois, dans le cas où cette proposition serait acceptée, tout fonctionnaire ou responsable public disposerait d’un an pour commencer à croire en sa patrie et pour se débarrasser de toutes sociétés off-shore et de tous capitaux cachés dans des paradis fiscaux. Comme le disait notre cher Pepe Mujica, ancien président de l’Uruguay : « S’ils aiment tant l’argent, qu’ils fassent des affaires, mais pas de la politique. » Cette consultation n’aura pratiquement aucun coût pour le pays, car elle sera réalisée lors des élections législatives de février 2017.
Préparons-nous à une campagne acharnée contre cette mesure, puisque les principaux médias appartiennent à de grands groupes économiques qui placent capitaux et entreprises dans des paradis fiscaux.
Compatriotes,
Pour un monde meilleur, NON aux paradis fiscaux
Pour un Pacte éthique
Hasta la victoria siempre, compañeros !
Rafael Correa, Message à la nation,
14 juillet 2016.
Les revolutions silencieuses : la convivialité par Leonardo Boff, 3 août 2016, ALAI
La prétendue « mondialisation heureuse » ne le fut pas tant que cela. Le prix Nobel d’économie, Joseph Stigliz a pu écrire en 2011 : « seulement 1% des plus riches font fonctionner l’économie et toute la planète en fonction de leurs intérêts ». En raison de cela, l’un des plus riches milliardaire, le spéculateurs Warren Buffet se vanta : « Oui, la lutte des classes existe, mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène la lutte et nous sommes en train de gagner » (Entrevue à CNN, 2005). Le problème c’est que tous ces multimillionnaires n’ont jamais inclus dans leurs calcules le facteur environnemental, considérant les limites des biens et des services rendus par la nature comme des externalités sans importance. À côté de l’hégémonie mondiale du système capitaliste, grandissent partout des révolutions silencieuses. Ce sont des groupes de base, des scientifiques et d’autres personnes ayant le sens de l’environnement qui tentent des alternatives au système pour habiter la planète Terre. En continuant de la stresser sans merci, elle pourrait bien se transformer et provoquer un déséquilibre capable de détruire une grande partie de notre civilisation. Dans ce contexte dramatique est né un mouvement qui s’appelle « Les convivialistes » qui réunit présentement plus de 3200 membres de partout dans le monde. www.lesconvivialistes.org
Ils et elles cherchent à vivre ensemble, d’où le terme convivialité, en prenant soin les uns des autres et de la nature, sans nier les conflits, mais faisant de ceux-ci des facteurs de dynamisme et de créativité. C’est la politique du gagnant-gagnant.
Quatre principes soutiennent le projet : le principe de l’appartenance à une même l’humanité. Avec toutes nos différences, nous formons une humanité unique que nous devons maintenir unie.
Le principe de la socialité commune : l’être humain est social et il vit dans différents types de sociétés qui doivent être respectées dans leurs différences.
Le principe d’individuation : même s’il est un être social, chacun, chacune a le droit d’affirmer son individualité et sa singularité, sans porter préjudice aux autres.
Le principe d’opposition ordonnée et créatrice : les différents peuvent s’opposer légitimement, mais en prenant toujours soin de ne pas faire de la différence une injustice.
Ces principes impliquent des conséquences éthiques, politiques, économiques et écologiques qu’il n’est pas nécessaire de détailler ici. L’important c’est de débuter, à partir d’en bas, avec le bio-régionalisme, avec les petites unités de production organique, avec la production d’énergie à partir des déchets, en ayant le sens de l’auto-limitation et de la juste mesure, vivant une consommation frugale et partagée avec tous et toutes. Les révolutions silencieuses sont en train d’accumuler des énergies pour, à un moment déterminé de l’histoire, pouvoir réaliser la grande transformation. Il est important aujourd’hui d’accentuer la convivialité parce qu’actuellement, plusieurs personnes ne veulent rien savoir des autres.
La convivialité comme concept fut proposé par Ivan Illich (1926-2002) dans son livre : La convivialité (1975). Illich fut l’un des grands penseurs prophétiques du 20e siècle. Autrichien, il vécut une grande partie de sa vie dans les deux Amériques. Pour lui, la convivialité consiste en la capacité de faire cohabiter les dimensions de la production et du soin, de l’efficience et de la compassion, du modelage des produits et de la créativité, de la liberté et de la fantaisie, de l’équilibre multidimensionnel et de la complexité sociale: tout pour renforcer le sens de l’appartenance universelle.
La convivialité prétend être aussi une réponse adéquate à la crise écologique. Elle peut nous permettre d’éviter un réel crash planétaire. Il y aura un nouveau pacte naturel avec la Terre et social entre les peuples. Le premier paragraphe du nouveau pacte sera le principe sacré de l’auto-limitation et de la juste mesure, après, la protection essentielle de tout ce qui existe et vit, la gentillesse envers les êtres humains et le respect de la Terre-Mère.
Il est possible d’organiser une société bonne, une Terre de la bonne-espérance (Sachs et Dowbor) sur laquelle les personnes préfèrent coopérer et partager au lieu de se faire concurrence et d’accumuler de manière illimitée.
Les Gullah, les plus traditionnellement africains des Africains Américains
Source : Afrikara 18/12/2006
Dans les régions basses de Caroline du Sud et de Georgie aux États-Unis, confinés autour du littoral de la côte atlantique et des îles environnantes [Sea Island], se trouvent les Gullah encore appelés Geechee, un peuple, une culture singulière parmi les descendants d’Afrique esclavagés aux États-Unis d’Amérique. Singulière pour la survivance remarquable de son héritage africain, qui en apprendrait par certains côtés à bien des Afriques contemporaines. On compte environ 250 000 locuteurs de la langue Gullah.
Ici tout rappelle le continent mère, l’artisanat et notamment la vannerie si familière à la culture matérielle que l’on retrouve sur toute la côte occidentale africaine, d’Angola en Guinée. Les habitudes alimentaires et culturales, la cuisson du riz, la pêche traditionnelle, un richissime héritage allant des contes, à la musique, leurs structures et invariants, tout droit sortis du prodigieux patrimoine d’Afrique.
D’après les recherches des universitaires africains américains, les Gullah viendraient très probablement de la façade occidentale africaine adossée à l’océan atlantique, principalement des régions actuelles du Libéria, de Sierra Léone et d’Angola. Le mot Gullah dériverait de Angola, ou selon une interprétation différente de Gola, le nom d’un groupe ethnique situé sur la côte entre le Liberia et le Sierra Leone.
Toujours est-il que les Gullah sont réputés pour leur parler, associé à un créole, comme le créole jamaïcain ou le Krio de Sierra Leone. Dans les années 30-40, Lorenzo Dow Turner est le premier à étudier de façon méthodique cette culture si africaine de ces Américains porteurs d’un héritage tellement spécifique. Il a dénombré pas moins de 4000 noms propres et 300 mots d’emprunts à des langues africaines, influences qui resteront en linguistique sous la dénomination d’«africanismes». Les langues Mandingue, Wolof, Fula, Mende, Vai, Akan, Ewe, Umbundu et Kimbundu se retrouvent en proportion et usages variables dans le créole ou le pidgin Gullah. La présence africaine n’est pas limitée aux mots et expressions plus ou moins courants, elle se fixe dans les témoignages de descendants d’esclaves qui, pour d’aucuns étudiés par Turner, savaient compter, chanter des chansons et raconter des histoires en Mende, en Vai ou en Fulani.
Uh h’ep dem pour I helped them, Uh bin he’p dem pour I helped them, ouUh duh he’p dem pour I’m helping them, aussi surprenant qu’il y paraisse, ce sont des traits de construction verbale typiques de phrases Gullah ou Geechee.
La culture du riz d’Afrique de l’Ouest s’est ainsi retrouvée répandue en Amérique, en Géorgie et en Caroline du Sud, grâce au savoir-faire africain des Déportés et les techniques culinaires, au mortier et au pilon ont été aisément rapprochées de celles des Wolof dans le Sénégal actuel, et plus généralement du continent. De même la préparation gullah du «Gumbo» semble très proche de celle courante en Angola.
L’imaginaire africain de l’Invisible s’est déplacé jusqu’en Amérique et les Gullah croient aux esprits, à l’intervention des ancêtres, aux médecines traditionnelles à bases de pharmacopée ou de l’intercession de «roots doctors», les thérapeutes traditionnels.
Une si grande réussite de conservation de l’héritage africain a certes des origines dans la pratique concrète de leurs cultures d’origine par les noirs esclavagés, mais elle doit beaucoup à des facteurs climatiques et géographiques. En effet le climat presque tropical de Caroline du Sud Low Region et de Georgie a favorisé le déplacement des vecteurs de la malaria et de la fièvre jaune venus avec les bateaux des négriers. Ces maladies, endémiques autour du 18ème siècle ont beaucoup affecté la démographie, surtout la population blanche moins préparée que les Africains, limitant au maximum les contacts interraciaux. Ce contexte a permis la survivance des traditions africaines et leur grande prégnance dans les modes de vie gullah. La guerre civile avait également été l’occasion pour les Gullah, fiers de leur culture et de leur liberté de s’engager massivement dans l’armée des unionistes pour leur émancipation, devenant une terre inhospitalière pour les esclavagistes et les planteurs en quête de travail servile.
Parmi le foisonnement d’histoires de Gullah d’origine africaine qui ont été consignées dans de nombreux ouvrages, celle de «Buh Lion an Buh Goat», a conservé une forte authenticité continentale. Elle fut publiée en 1888 par Charles Colcock Jones qui les collectait.
Un jour Buh Lion qui chassait se mit à guetter et à observer Buh chèvre qui était étendue sur un grand rocher. Il rampa en silence pour l’attraper. Quand il fut proche, il observa avec attention Buh chèvre. Elle continuait de brouter. Buh Lion voulait savoir ce que Buh chèvre broutait alors qu’elle était étendue sur un rocher nu, sans rien dessus. Il était stupéfait et il attendit, et Buh chèvre continuait de brouter et de brouter. Ne pouvant s’expliquer ce que faisait la chèvre, il s’approcha d’elle et lui lança : «Hey ! Buh chèvre, que manges tu donc ?», Buh chèvre était apeurée de voir Buh lion debout derrière elle, mais elle prît son courage à deux mains et répondit : «Je mange ce rocher et si tu ne me laisses pas tranquille quand j’en aurai fini je te mangerai.». Ses mots sauvèrent Buh chèvre. L’homme courageux se sort de difficultés là où le peureux perd la vie. On se croirait écoutant un vieillard africain conter interminablement les sagesses éternelles des ancêtres par une nuit de claire de lune non?
Le peuple Gullah s’étendait avant du sud de la Caroline du Nord au Nord de la Floride, en passant pas la Géorgie et la Caroline du sud. Avec le développement de Sea Island et de son industrie balnéaire, la fin des périodes fastes de la culture du riz, beaucoup de changements sont intervenus et l’on a craint la disparition de la culture Gullah. Beaucoup de Gullah se sont installés ailleurs dans des centres urbains, à New York -Harlem, Queens, Brooklyn- mais ils conservent leurs cultures, leurs chapelles, et entretiennent des rapports étroits avec leur région d’origine. Ils ont par ailleurs obtenu des victoires non négligeables face à l’État américain qui a débloqué des fonds pour la protection de leur culture et patrimoine, 10 millions de dollars en 10 ans dans le cadre du Gullah/Geechee Cultural Heritage Corridor Act voté par le Congrès en 2006.
Source : Afrikara, regards alternatifs sur les monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain
Site internet :
http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=1532