Le bruit des bottes
Aux quatre coins du monde, de sombres nuages s’amoncellent à l’horizon. Ceux et celles qui comme moi, ont grandi sous la menace d’une conflagration nucléaire, ne trouvent pas génial l’idée de faire la guerre à d’autres puissances nucléaires.
Comme si nos dirigeants avaient perdus la tête, croyant leurs propres mensonges, au point de vouloir nous entraîner dans l’apocalypse finale. Plusieurs croient encore au côté romantique et chevaleresque de la guerre juste qui pourra redresser les tords et dompter les méchants. Et malheur à quiconque ose parler de paix, il faut détruire l’ennemi, l’anéantir, pour pouvoir ensuite parler de reddition. Impuissants, nous assistons à ce match, très macho, d’avancées et de reculs, sur des terres éventrées de bombes et parsemées de morts.
Comme me semble loin l’époque de la diplomatie subtile et remplie de précaution où la connaissance de l’histoire, de la langue et de la culture des nations était le préalable indispensable à toute communication. Peut-être est-ce là le plus grand symptôme de la décadence des civilisations, de toutes les civilisations, préférant détruire le monde que de remettre en question leurs paradigmes ?
Il y a aussi ceux et celles qui vocifèrent contre les migrants et les pauvres, les accusant de tous les maux qui affligent leur société. Ces adeptes du marché libre et de l’individualisme à tous crins, oscillent entre des discours haineux ou mensongers, qui en disent moins qu’ils n’en cachent. De l’Italie au Brésil, de l’Angleterre aux États-Unis, de l’Iran à la Russie, il y a toujours un Satan à pourfendre, un ennemi pour justifier l’indéfendable.
Depuis que les grands récits nationaux ont du plomb dans l’aile, il faut dire qu’ils ne pouvaient résister longtemps à l’analyse sérieuse des historiens, nous sommes égarés dans des perspectives à courtes vues, prisonniers de nos aspirations personnelles et du dieu argent qui gouverne nos cœurs.
Le bien commun et la sagesse sont en panne de légitimité et n’importe quel tribun peut s’en prendre au vivre ensemble, à la survie de l’humanité et à la paix mondiale, sans faire sourciller les interprètes d’une réalité biaisée où nous nous sommes enfermés. L’information nous désinforme en formant notre pensée, nos valeurs, nos aspirations et les récits qui donnent sens et cohérence à nos appartenances.
Nul n’est une ile disait Camus, et pourtant nous continuons à croire que l’autre est l’obstacle à la réalisation de tous nos rêves d’émancipation. Il y a si peu de grandeur dans l’être humain replié sur ses peurs qu’un évangéliste a écrit : « De ces pierres, on peut faire des enfants d’Israël, ou du Québec, de l’Allemagne, de la Russie, etc. » Cela signifie que ce n’est pas le sang qui fait de nous une nation, mais le projet d’humanité que nous portons ensemble. Trahir notre humanité en nous refermant dans un entre-soi narcissique, c’est le réel danger qui nous guette. La peur qui tenaille notre cœur n’est pas celle que nous croyons, c’est notre âme qui s’agite parce qu’elle s’éteint sous l’emprise de l’ego.
Yves Carrier