L’aveuglement des privilégiés
Comme occidental, citoyen canadien, homme, blanc, hétéro, éduqué, ayant un emploi stable, je jouis de nombreux privilèges qui augmentent au fur et à mesure que je m’éloigne de mon pays. C’est ce que Chris Hedges, ancien correspondant de guerre, qualifie d’aveuglement des privilégiés. C’est pourquoi il attribue une qualité inhérente à ceux et celles qui, loin d’occuper la même place que nous sur cette planète, ont un point de vue critique. Hedges reconnaît cette caractéristique aux membres des différentes minorités stigmatisées selon leurs origines ou leur appartenance.
Ainsi, les privilèges les plus anodins : le droit au respect, avoir un toit, être capable de subvenir à ses besoins, pouvoir se déplacer librement ici et dans de nombreux endroits du monde, un système de santé gratuit, protection de son intégrité physique et de ses biens, liberté d’opinion et de pouvoir la partager au risque de se tromper, de marcher dans la rue le soir, de boire de l’eau potable gratuitement, d’avoir accès à Internet, etc., tout ce que nous prenons pour acquis n’est pas du même ordre pour la majorité des êtres humains sur Terre.
Ça, nous le savions déjà, mais là où le bas blesse, c’est que ces privilèges que nous nous sommes donnés à travers l’histoire, ont la capacité de nous rendre insensibles aux autres réalités que nous ne connaissons pas. Cette insensibilité mélangée à de la peur ou du mépris conduit trop souvent à la condamnation de ce qui apparaît trop éloigné de nos standards occidentaux. Il faut prendre garde alors à ce que le racisme ne vienne obscurcir encore plus notre vision. Cet aveuglement conduit souvent à des conflits internationaux parce que nous nous sommes bernés.
L’œil critique envers l’impérialisme et l’exclusion des autres groupes au sein même de notre société, sont les meilleurs révélateurs des injustices que nous commettons collectivement, souvent au nom de la loi, construite pour perpétuer les privilèges au cœur du système. C’est en tendant l’oreille vers ces voix dissidentes que nous pourrons ouvrir de nouveaux chemins et conquérir de nouveaux sommets de civilisation ou plus simplement éviter l’abîme de l’apathie morale et de la déliquescence sociale. De même, pour refonder un monde juste, il faut commencer par en bas en assurant à tous et à toutes sur cette planète les conditions d’une vie digne. Pour réaliser cela, nous devons prendre conscience de nos privilèges et apprendre à nous détacher des plus nuisibles au bien commun et à l’épanouissement de tous et de toutes. Donc, pas de diamants de sang, ni de sang pour du pétrole, renoncement aux industries militaires, même si on perd des jobs, cesser de détruire l’environnement ici et ailleurs pour faire des profits, comme si après nous venait la déluge.
Pour ne pas juger quelqu’un sans le connaître, la sagesse amérindienne recommande de chausser ses mocassins pendant au moins une lune, c’est-à-dire de se mettre à sa place. Alors, au lieu de condamner et de mépriser ce que nous ignorons à cause de notre incapacité « d’être », tendons l’oreille pour entendre le cri de ceux et celles que nous opprimons.
Yves Carrier
Spiritualité et citoyenneté
POUR UNE NOUVELLE THÉORIE DE LA VALEUR
La valeur, c’est ce qui n’a pas de prix, n’est pas monnayable. La valeur crée la richesse par son attrait. La richesse est comptable et le montant est d’autant plus élevé qu’elle est adjointe à la valeur. La richesse contient implicitement une valeur. On parle d’une valeur implicite intriquée dans un objet ou un espace. La valeur est d’ordre spirituel; elle échappe au matériel; elle ne peut être calculée; mais le matériel est enrichi par la proximité de la valeur, religieuse, historique, esthétique. Combien valent les chutes du Niagara, les Plaines d’Abraham, le Vatican? Par contre, ce qui est situé à proximité est très cher, presque hors de prix, imprégné d’une valeur implicite.
Mais pourquoi parle-t-on de théories de la valeur dans le monde économique? Il semble qu’on a confondu valeur et richesse, en négligeant quelque peu que la valeur est spirituelle alors que la richesse est matérielle. La richesse découle de la valeur, par ce qu’on appelle un décret de valeur, qui est un acte politique découlant des affects de l’être humain, de sa perception de l’univers, d’une puissance supérieure, ce qui nous amène à présenter les sources de la valeur.
On peut avancer qu’elles soient quatre : Dieu, l’Univers, et l’homme par ses affects, sa sensibilité, ses désirs, sa réflexion, et, enfin, par son travail, son pouvoir de transformation. Ces aspects se retrouvent dans les différentes théories de la valeur élaborées depuis presque trois siècles. Les trois premières sont issues d’une économie politique libérée de la théologie et de la religion. La dernière, qui n’existe pas encore, ou n’est pas reconnue, se réclame de la notion de la valeur spirituelle à l’origine de la soi-disant valeur matérielle.
Pour les physiocrates (Quesnay), la terre productive est la source de la valeur. L’homme et les investissements la mettent en valeur. C’est partiellement vrai, mais limité. Cela se rattache à l’univers ou au travail de l’homme.
Le bourgeois et le capitaliste affirment que c’est l’investissement, le capital et accessoirement le travail qui créent la richesse. C’est l’entrepreneur qui produit la richesse en investissant un capital qui se divise en trois : le capital fixe fait référence aux moyens de production, un emplacement, un bâtiment, un transport, des outils; le capital constant concerne les matières premières, l’énergie, dont on a constamment besoin pour produire; quant au capital variable, il s’agit tout simplement des salaires pour acheter la force de travail. Pourquoi variable? Parce qu’on peut augmenter le nombre de travailleurs ou le salaire ou encore les réduire, augmenter la productivité, délocaliser. Le travail est un coût pour le capital qui a aussi d’autres obligations telles que les taxes, les impôts, la rente foncière, les amortissements, la recherche et développement, ristournes aux actionnaires, services, versements à la maison-mère, et, s’il y a lieu, du profit et de l’épargne pour réinvestir. Le capitaliste est un homme généreux, voyons.
Les marxistes voient cela différemment. Pour eux, le travail n’est pas un coût. Il est à l’origine de la richesse. La richesse est créée par l’exploitation du travail, ce qui donne la plus-value, différence entre le prix de ce qui est produit, la richesse créée, et la rémunération du travail. Si la transformation ajoute de la valeur, comme on dit couramment, il s’agit d’une valeur implicite liée à la conjonction de différentes sources de la valeur : l’Univers, les affects et le travail de l’homme.
La nouvelle théorie résulte du travail intellectuel de penseurs contemporains qui n’ont pas la prétention d’avoir élaboré une telle théorie. Il s’agit de personnes qui s’intéressent aux questions de morphogénèse, origine par les formes, qui sont aussi des valeurs, qui mobilisent des forces, travail et capital, des classes sociales, des politiques, des États. La géographie structurale a été d’abord élaborée à Québec par Gilles Ritchot et ses étudiants. À la Sorbonne, à Paris, cette approche a inspiré Thierry Rebour dans sa thèse de doctorat sur la théorie du rachat. C’est alors que l’on retrouve les différentes sources de la valeur. L’espace, l’univers, était sacré pour nos ancêtres. Il l’est encore pour bien des peuples originaux d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Il l’était aussi pour les Celtes. C’est quand cet espace est désacralisé que la richesse est créée à proximité des espaces demeurés sacrés, interdits, donc attirants. Les lieux sacrés mettent à distance les lieux profanes moins chers que les lieux à proximité. Cela détermine que la production soit éloignée en campagne ou en banlieue, où la rente foncière est moins élevée. Un terrain moins cher influence directement la plus-value et le profit et l’on éloigne aussi les classes reconnues dangereuses.
Robert Lapointe
Conseil d’administration du CAPMO 2019-2020
Président : Fernand Dorval
Vice-président : Robert Lapointe
Secrétaire : Francine Bordeleau
Trésorier : Éric Lapointe
Administrateur : Claude Garneau
Administrateur : Gérald Doré
Administratrice : Joanne Laperrière
Merci au nouveau conseil d’administration pour leur implication au sein de notre organisme.
Yves Carrier, coordonateur
Discours de Shanipiap devant l’Assemblée Nationale
Québec, Vendredi 27 septembre à 12h
J’ai demandé à un petit Innu-Wendate de frapper douze coups de tambours comme les douze mois de l’année pour monter que chaque année sont de belles années pour vivre sur notre Terre.
Mon texte s’intitule “La forêt, berceau de l’âme”.
La première vraie valeur est la justesse du cœur, c’est-à-dire : la conscience juste des hommes qui est tellement nécessaire pour comprendre notre habitat naturel, car autrement notre conscience se forge dans notre esprit de façon malhabile. En tant qu’Innue-Wendate, je viens partager avec vous ma crainte, mais aussi mon espoir. Nous sommes plus nombreux que jamais, là est notre force. Dès notre plus jeune âge, nos pères et nos mères nous montrent la beauté de la forêt. Ils nous amènent dans des sentiers millénaires, nous initient aux odeurs des végétaux et à leurs saveurs. Ils nous chantent leurs rencontres avec les autres êtres vivants forestiers, tout en dansant parfois en les remerciant d’avoir partagé ce moment de vie.
Si la forêt est essentielle à la vie de l’aborigène, elle l’est aussi à la vie de l’habitant du Québec, car nous n’ignorons plus aujourd’hui que le séjour en forêt revigore le corps et l’esprit humain; que l’air que nous respirons dépend aussi de la forêt; que l’eau que nous buvons dépend de cette même forêt; que ce couvert forestier nous maintient dans un confort habitable, acceptable et parfois douillet; que cette grande forêt riche de vie nous rend heureux, rêveurs, inventeurs, aventuriers, développeurs, habiles, mais aussi parfois abuseurs, ingrats, égoïstes, immorales. Car l’intelligence de l’homme s’exerce par l’extrême de ses qualités et de ses défauts. Voilà le libre-arbitre humain.
Nous oublions souvent que nous ne vivons pas seuls, que nous partageons la même planète, les mêmes ressources, le même espace, que toute action interagit sur le milieu vital de l’autre. Pollution, inondations, réchauffement climatique, tornades, ouragans, des milliards de dollars en pertes financières, des centaines de millions de vie évacuées par la poursuite d’un capitalisme sauvage.
On le voit par l’abattage industriel des arbres. La coupe excessive des arbres demeure présentement un enjeu capital pour une forêt dite vierge au sud du 49ème parallèle, au nord de la région de Québec, sur le territoire de Bastican et du Lac Moïse. Présentement, on détruit la forêt ainsi que toutes vies qui s’y trouvent. Pour nous, aborigènes, la forêt est un mode de vie reconnu par traités par les gouvernements euro-canadiens. Pour nous, usufruitiers forestiers, la forêt n’est pas calculée en fonction de combien vaut un arbre. À nos yeux, la forêt n’a pas de prix. On la conserve logiquement pour les générations suivantes. Et nos enfants feront de même puisqu’il faut procréer pour continuer d’exister.
La déforestation coloniale à outrance est un génocide culturel et humanitaire. C’est une violation des droits inhérents et ancestraux des Premiers peuples. Sans forêt, c’est la destruction de notre milieu à tous par les changements climatiques extrêmes à cause de la cupidité humaine. Alors qu’un moratoire est supposé protéger cet écosystème forestier des coupes de bois jusqu’en mars 2020 afin de statuer sur sa valeur, certaines compagnies continuent de couper massivement dans cette zone et cela au su et au vue du gouvernement et des conseils de bande. Oui, ces arbres se retrouvent saccagés par l’utilisation de machinerie lourde et l’abattage multifonctionnel. Une machine à elle-seule scie les arbres à la base, les ébranches, les coupe en billots, et les mets en tas en quelques minutes seulement, remplaçant de 20 à 30 bûcherons. N’est-ce pas là de la performance ? Non, c’est la condamnation à mort de la forêt vierge qui se joue présentement près de chez-nous à Batiscan.
Des peuples expulsés, des terres ravagées, un colonialisme à confronter!
Ce qui au départ avait été interdit, d’exploiter la forêt vierge, ce lieu en apparence protégé, serait-il devenu officiellement permis de destruction par le gouvernement ? Il faut le savoir, c’est notre droit à tous. Nos pères aborigènes ont laissé leurs empreintes dans les sentiers de cette forêt vierge. C’est là que des êtres vrais tissent des liens profonds avec la nature. Les amis du Lac Moïse ont marché sur ces mêmes sentiers et ils ont reçu la joie immense, comme l’indien ressent le bonheur lorsqu’il est au cœur de la forêt. Merci à ces amis écologistes d’aimer avec respect autant que nous la forêt du Lac Moïse.
Je termine avec cette pensée : « Combien de générations d’hommes se sont mises à l’ombre d’arbres millénaires?
Certains arbres ont vu Platon, Socrate, Hercule, César, Cléopâtre, Jacques Cartier, Champlain, Kondiaron, Louis XIV, Geronimo, René Lévesque, peut-être aussi le maire Labeaume ? Moi, et sûrement vous tous. Ne baissons pas les bras et forçons nos dirigeants à protéger nos anciennes forêts.
Pour plus d’information :
Défense racinaire, la dernière forêt vierge est sous attaque.
foret9.wordpress.com
Discours de Marie-Émilie Lacroix devant l’Assemblée Nationale
Québec, Vendredi 27 septembre à 12h
Je trouve extraordinaire que nous soyons devant la source de vie. L’eau représente la première source de vie pour tous les êtres humains. Nous savons que l’eau, présentement, sur la Terre, est menacée. Je vous félicite d’avoir choisi de manifester aujourd’hui votre amour pour la Terre, ses habitants, les humains, les animaux, les plantes et tout ce qui y vit et qui forme l’équilibre de tous les cycles de notre planète. Félicitation d’avoir choisi de s’unir tous ensemble pour une journée qui, espérons-le, sera un point tournant dans la guérison partielle ou complète de notre Mère la Terre parce que certains disent qu’elle pourrait même mourir. Je prends la parole en mon nom personnel à chaque occasion pour défendre et protéger les droits de la Terre. Elle ne parle pas et elle ne nous appartient pas. C’est nous qui lui appartenons parce que nous sommes dépendants d’elle pour notre subsistance.
J’espère que quelques politiciens sont présents à la manifestation. J’en ai vu à la manifestation, mais je n’ai pas vu le premier ministre du Québec, ni les principaux ministres sortir de leurs bureaux. Pourtant, ce sont nos plus grands décideurs. C’est notre droit en tant que citoyens de dire ce que nous voulons. Est-ce que cela va changer ? Oui, ça va changer parce que c’est vous qui allez changer les choses.
Je ne compte pas sur les gouvernements. Je compte sur les citoyens. Aujourd’hui on s’informe, on agit ensemble et je vous invite au grand réveil individuel. Si chacun des milliers de personnes réunies ici contacte deux ou trois personnes pour les sensibiliser à la cause de l’environnement, les choses vont changer.
Il y a une phrase que j’ai trouvée importante cette semaine, de Naomi Klein qui disait : « Nous entrons dans l’ère de la barbarie climatique. » Est-ce que cela vous intéresse ?
– NON –
Nous ne sommes pas des barbares, nous sommes des humains, on veut sauver la vie. Dans ma culture, nous avons toujours dit que nous protégions la Terre pour les sept prochaines générations. Tout le monde ici, vous êtes tous une septième génération de quelqu’un qui a vécu avant vous. Alors, nous avons tous et toutes le devoir de protéger la septième génération. Pour moi, ce sera les petits-enfants de mes petits-enfants. Ce n’est pas si loin que cela. Nous avons tous et toutes ce devoir. Les adolescents et les enfants nous parlent. Aujourd’hui je félicite les jeunes. C’est formidable de les voir. Les jeunes ont leurs moyens, les adultes ont leurs moyens et les aînés aussi. Les décideurs ont d’autres moyens.
Vous savez que la température sur Terre pourrait augmenter jusqu’à 7 degrés Celsius d’ici la fin du présent siècle. Pour nous, cela a l’air loin, mais pour la Terre c’est grave. Nous savons ce qui se passe maintenant avec les glaciers dans le Nord. Je terminerais avec deux courtes citations.
Un scientifique écrit sur Internet, Gus Steff, : « Nous les scientifiques ne savons pas comment sauver la planète. J’avais l’habitude de croire que le sommet des problèmes environnementaux était la perte de la biodiversité, l’affaissement des écosystèmes et le changement climatique. Je pensais qu’avec trente ans de bonne science nous aurions résolu le problème. J’étais dans l’erreur. Le sommet des problèmes environnementaux sont l’égoïsme, l’avidité et l’apathie. » Auxquels j’ajouterais tous les stimulateurs de la consommation.
Dernière chose : Le petit-fils de Sitting Bull qui prononce beaucoup de conférences aux États-Unis, dit aux gens : « Ce qui va sauver l’avenir, c’est la spiritualité. » La spiritualité qui manque, avoir les valeurs profondes de la vie, avoir du respect, de l’amour de nous, de tous et de chacun. J’ai envie de vous dire : « Aime la Terre comme tu t’aimes toi-même. Prends soin de la Terre comme tu prends soin de toi-même.» Nous avons une conscience à faire ensemble. On va s’aimer les uns les autres, on va réussir à guérir, à soigner notre Terre-Mère.
Slam de Véronica Rioux devant l’Assemblée Nationale
Québec, Vendredi 27 septembre à 12h
Même la poésie s’invite au parlement.
Pendant que tout un pan de la planète part en grève, rêves amers des étudiants, syndicaux, communautaires, écologistes, et d’un océan d’humains bien réveillés,
Toi, tu dors ou tu doutes. Toi le sceptique, le climato-dénigrant, le pro-complot ou l’économiste expert en “vraies affaires”.
Comme si l’air qu’on respire, l’eau de plus en plus des glaciers, l’étendu-rement réduite de la biodiversité ou l’équilibre climatique qu’on fait déraper, c’étaient pas des vraies affaires ?
Alors, tu vas nous dire toi l’expert en colonnes du temple à chiffres, combien vaut une misérable basilique de verdure-rable à côté d’un château-fort ? Un château de croissance d’un P.I.B., béatifié par les sous-papes de la surconsommation.
Combien vaut le discours d’une petite-fille allumettes de seize ans ne cessant, comme plein d’autres, de souffler sur l’étincelle de la colère et de l’espoir ?
Rejetant l’hypocrisie pompière et pyro-manipulateur de l’opinion publique, des attiseurs de haine et d’ignorance pour d’incon—troll –ables médias si asociaux, des dirigeants à genoux devant la sainte industrie pétro-chimérique. Oui, quel poids peut bien avoir dans la balance l’avis de milliers de scientifiques qui disent clairement : “C’est pas dans trente ans, ni p’tit pas par p’tit pas. C’est maintenant qu’il faut changer le cours des choses et radicalement.”
Toi qui te plains dans ton char d’assaut—litaire, de ton manque de liens, saches qu’un troisière, un quatrième ou un millième, ne règlera rien. Pas plus toi que moi, n’en a une Terre de spaire.
Pendant que cela s’embrase, c’est plus d’une génération qui apprend à transformer son éco-anxiété comme hiver en une saison redoutablement remplie d’actions.
Le temps est peut-être déréglé, mais dès maintenent le vent tourne, les grands idéaux-tonnent. Il n’y a plus de printemps à perdre. Alors avant de s’endormir et qu’on gisse inerte entre deux gisements de cet économi-nable de dominants et de dominés, créons l’effet domino et qu’un grand cri s’élève: “Planète réveille!”
Karine Verreault, directrice du Regroupement des organismes communautaires de Québec, le ROC 03,
Vendredi 27 septembre à 12h, devant l’Assemblée Nationale
Les organismes communautaires autonomes sont directement concernés par les impacts des changements climatiques. Qu’ils travaillent auprès des aînés, des enfants, des personnes ayant des handicaps, en situation d’itinérance, avec des enjeux de santé mentale, en lutte à la pauvreté, en sécurité alimentaire, auprès des jeunes, en dépendance, ils sont tous concernés parce qu’ils luttent tous pour qu’il y ait plus de justice sociale.
Au quotidien, ils constatent la croissance des inégalités sociales, l’appauvrissement d’une bonne partie de la population et des conditions de vie qui se détériorent jour après jour. Le gouvernement doit agir maintenant afin de réduire les gaz à effet de serre et s’assurer que les populations les plus vulnérables n’aient pas à subir une fois de plus leurs négligences. Les conséquences économiques, environnementales et sur la santé humaine, sont déjà importantes. Vous devez agir maintenant.
Vos propositions de transitions écologiques néolibérales sont plus qu’insuffisantes. Vous devez vous engager à assurer à travers des campagnes de sensibilisation régulières à ce que la population soit pleinement informée de la gravité des dérèglements climatiques et de l’effondrement de la biodiversité.
Vous devez adopter une loi climatique qui force l’atteinte des cibles de réductions des gaz à effet de serre recommandées par le Groupe d’experts internationaux sur le climat (GIEC) pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius.
Vous devez interdire tout nouveau projet d’exploration ou d’exploitation des hydrocarbures. Vous devez mettre un terme à toutes les subventions directes ou indirectes au combustible fossile.
Vous devez créer des structures régionales permettant à la population de contribuer à une transition juste et porteuse de justice sociale.
Finalement, vous devez vous assurer que la transition énergétique s’accompagne de mesures concrètes afin de réduire les inégalités dans une perspective de justice sociale et climatique.
Vous n’avez pas le droit d’abandonner la population et les générations futures. Soyez responsables !
Anne-Valérie Lemieux-Breton, porte-parole du Regroupements des groupes de femmes
de la Capitale Nationale / RGF– CN, Québec, Vendredi 27 septembre à 12h
Aujourd’hui, les femmes ont plusieurs raisons de se mobiliser. Nous refusons que les femmes fassent les frais des politiques capitalistes polluantes et sexistes. L’insécurité, la pauvreté, la violence, sont le lot des femmes face à la crise climatique. La tache de nourrir la famille repose majoritairement sur les femmes. Lorsque les ressources sont rares, cela veut dire surcharge de travail pour les femmes et déscolarisation des jeunes femmes qui doivent les aider.
Les femmes ont 14 fois plus de risque de mourir en cas de catastrophe climatique, notamment à cause d’un plus faible accès à l’information, d’une moins grande mobilité, mais aussi parce qu’elles s’occupent des enfants et des proches.
Au cours de la prochaine décennie, 140 millions de femmes devront se marier avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans. On peut s’attendre à ce que ce nombre explose à cause de l’insécurité et de la pauvreté extrême dues aux changements climatiques. L’intensification des violences vécues par les femmes et les filles est en lien direct avec les changements climatiques. À l’intérieur des foyers, mais aussi les violences sexuelles subies lors des déplacements forcés des populations à cause de catastrophes naturelles ou de conflits armées. Il y a aussi une augmentation des risques d’être exposées à la traite humaine pour les femmes et les filles déplacées.
Les femmes jouent un rôle cruciale au sein de leur communauté et de leur famille pour s’adapter aux changements climatiques. Elles sont où les personnes qui vivent les plus grands impacts de la crise climatique lorsque les grands hommes de ce monde se rencontrent pour discuter de l’avenir de notre planète ?
Elles sont où les communautés du sud ? Ils sont où les peuples autochtones ? Elles sont où les personnes les plus pauvres ? Ils sont où les enfants, les groupes marginalisés, les femmes ?
Le rôle que joue les femmes dans leur communauté et dans leur famille doit être reconnu et soutenu. Mais cela ne doit pas justifier le désengagement de l’État, ni le désengagement des hommes d’ailleurs. Le virage vert dans les famille ne doit pas juste reposer sur les femmes. Ça va faire la charge mentale.
Les gouvernements doivent s’attaquer aux causes profondes de la crise climatique. Cela passe par une transformation radicale des rapports de pouvoir, par le respect des droits des femmes et des personnes qui vivent différentes formes d’oppression, par l’élimination des inégalités entre les femmes et les hommes.
Les féministes vont rester mobilisée aujourd’hui, demain et dans les prochains mois, notamment en 2020 lors des actions organisées par la Marche mondiale des femmes pour défendre, protéger et sauvegarder notre planète.
« La crise climatique n’est pas féministe! »
Audrey et Dalian, étudiants du collégial
Québec, Vendredi 27 septembre à 12h
Audrey : « Mardi passé, le gouvernement Legault a annoncé qu’il serait indulgent avec les plus grands pollueurs du Québec. Cela ne prend pas la tête à Papineau pour se rendre compte que cela n’a pas de sens. C’est contre des décisions comme celles-ci qu’on doit s’allier pas seulement en tant que population, mais en tant qu’être humain. »
Dalian : « Petit à petit, le système en place érode et effrite les liens sociaux qui nous unissent les uns aux autres. Les disparités sociales, la surconsommation, nous volent ce que nous avons de plus précieux en tant qu’humain, notre esprit de communauté. »
Audrey : « C’est l’occasion ou jamais de s’unir, de se réunir contre une problématique commune. Nous sommes 600 000 en grève sociale aujourd’hui au Québec et c’est juste le début. C’est le début de quelque chose de beaucoup plus grand que tout ce qu’on pourrait s’imaginer. Aujourd’hui, les gens font la grève pour le climat à Rio, à Bamako, à Berlin, New Delhi, Wellington, et des milliers d’autres villes partout sur la planète. »
Dalian : « L’individualisme contribue au règne du profit et il anéantit peu à peu les notions d’amour et de partage. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous en sommes rendus là aujourd’hui. C’est entre autre à cause de cela que la situation a autant dégénéré. C’est par la perte de l’esprit de communauté qu’on perd de vue tout ce qui est le plus important pour nous: notre eau, notre terre, notre air, nos ressources. »
Audrey: « La problématique est connue depuis des années, et tous ces gens qui s’impliquent corps et âme pour la cause commencent enfin à être écoutés. Aujourd’hui, on marche pour que dans 100 ans d’autres puissent marcher sur une Terre qui n’est pas souillée et qui est traitée avec respect. On marche pour préserver la beauté du monde dans lequel nous vivons. »
Dalian : « C’est en recréant nos liens humains que nous allons arriver à combattre, c’est en réapprenant à aimer nos voisins, en sortant dehors, en se rencontrant, en partageant des moments comme maintenant, qu’on va retrouver notre force en tant que communauté et en tant que société. »
Audrey : « Le 27 septembre était une date écrite à votre agenda et croyez-nous, c’est une date qui va rester dans vos mémoires. Dans quelques dizaines d’années, on va se souvenir de cette journée comme étant le début d’une révolution. »
Dalian: « C’est en réapprenant à coopérer, à se rassembler autour d’une idée, autour d’un projet, autour d’un jardin, c’est comme cela, en se retrouvant tous ensemble et en partageant des idées, en partageant des buts, en unissant nos voix, qu’on va se faire entendre, qu’on va se faire écouter, et qu’on va vaincre. »
« Un peuple uni, jamais ne sera vaincu! »
Propos retranscrits par Yves Carrier
Qu’est qui se passe en Haïti ? par Nicolas Castelli
Resumen Latinoamericano, 30 septembre 2019
Cela fait deux ans que l’île vit dans un état d’insurrection populaire provoqué par la crise sociale, économique et politique, déclenchée par le gouvernement actuel qui a assumé le pouvoir il y a trois ans au moyen d’une fraude électorale appuyée par les États-Unis et une partie de la communauté internationale.
Haïti est le pays le plus pauvre et inégal de la région. Il suffit de regarder quelques indicateurs socio-économiques pour s’en rendre compte. Selon la Banque mondiale, presque 60% d’une population de 11 millions d’habitants, vit avec 2,40$ par jour et plus de 24% avec 1,23$. Le taux de sans emploi était de 70% et en 2014, le Produit intérieur brut s’élevait alors à 830 dollars par habitant par année, sept fois moins que le revenu moyen du pays voisin, la République dominicaine. Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement, le PNUD, publié l’an dernier, depuis 1990, la qualité de la vie sur l’île n’a pas progressé. En ce sens, selon la Coordination nationale de la Sécurité alimentaire, actuellement 3,6 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire et parmi elles, 1,5 million à un degré sévère.
Depuis le début de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) il y a quinze ans, mission qui s’est conclue en 2017 après avoir convenu qu’Haïti était sur la voie de la stabilité, le pays se trouve soumis à une crise systémique. Avec un gouvernement impopulaire et un État déchu qui ne peut procurer les soins de santé, l’éducation et le logement à la majorité de sa population et dont le président ainsi qu’une grande partie des fonctionnaires sont impliqués dans le scandale de corruption le plus grave de l’histoire du pays, il y a deux ans que la population se mobilise massivement dans les rues contre le gouvernement. En février seulement, les manifestations ont fait 40 morts et 87 blessés.
L’île est aujourd’hui une poudrière insurrectionnelle oubliée des grandes agences de presses internationales afin de masquer la responsabilité des États-Unis et d’autres puissances sur ce qui se produit à Haïti. À cela s’ajoute que depuis le mois de juillet dernier, il n’y a pas eu de gouvernement légitimement constitué en raison de la crise politique qui empêche la désignation d’un premier ministre. C’est le quatrième que désigne le président Jovel Moïse depuis son élection à la présidence il y a trois ans.
Un gouvernement marionnette et corrompu
L’actuel président d’Haïti est entré en poste en 2016 suite à une élection frauduleuse où seulement 18% des électeurs ont participé. Cependant, les États-Unis, le Canada, la France et l’Organisation des États américains (OEA) laissèrent passer le scandale par intérêts fallacieux qui mettaient en cause la Maison Blanche.
L’une des causes de l’état d’insurrection populaire est liée à la corruption structurelle de ce gouvernement et à la gestion corrompue des fonds du programme Petrocaribe lancé par l’ex-président du Venezuela Hugo Chavez en 2005 afin d’aider les autres pays à s’approvisionner en pétrole à des prix imbattables et pour financer des projets d’infrastructure sociale et énergétique.
Selon des informations transmises au parlement par la Cour supérieure des comptes, Moïse aurait reçu des millions de dollars pour la réalisation de plusieurs projets qui n’ont pas vu le jour. On estime que la malversation atteindrait plus de deux milliards de dollars. Prix gonflés, exécutions défaillantes, contrats frauduleux, œuvres fantômes, liquidation précoces de fonds, évasion fiscale et népotisme sont certaines des dénonciations qui impliquent le président à travers des entreprises lui appartenant, comme Agritrans.
D’autre part, il y a des mois que l’île souffre d’une pénurie de combustible qui provoque la cherté de la majorité des produits, de longues files d’attente dans les stations services, la paralysie des transports et de la contrebande. En définitive, l’aggravation des pitoyables conditions de vie avivent la flamme du mécontentement général.
Cette crise énergétique a deux causes: la première est qu’en 2017, le gouvernement est sorti du programme Petrocaribe en raison du blocus nord-américain contre le Venezuela et il commença a acheté du pétrole cru aux États-Unis qui lui vendait bien plus cher et à des conditions de paiement beaucoup plus difficiles.
La seconde raison provient de la rétention du carburant par les autorités du pays qui, en syntonie avec les politiques imposées par le Fonds Monétaire international (FMI), fait pression pour justifier l’élimination des subventions gouvernementales et la monté des prix.
Les causes de l’appui à un gouvernement impopulaire
Les paysans, les syndicats, les quartiers populaires (avec les jeunes comme principaux protagonistes des mobilisations de rue), les secteurs de la bourgeoisie pulvérisée par le Forum économique privé et une grande partie de la classe politique traditionnelle, demandent la tête de Moïse qui ne compte que sur l’appui des secteurs importateurs.
Dans ce contexte, comment expliquer qu’il se maintienne toujours au pouvoir ?
D’un côté, comme l’affirme Lautaro Rivara, sociologue argentin et membre de la Brigade Jean-Jacques Dessalines présente dans l’île, l’appui du président américain Donald Trump et d’une partie de la communauté internationale est due au fait que Moïse assure « la consolidation d’un paradis fiscal sur l’île de Gonaïve et de zones franches commerciales ». À cela s’ajoute « la politique des portes ouvertes aux méga projets miniers dans le grand nord du pays où sont présents des capitaux canadiens; une soumission au FMI et la garantie d’avancer dans la privatisation des dernières entreprises nationales ayant survécu à la curée néolibérale, le soutien aux salaires de misère qui assurent la rentabilité des manufactures qui fabriquent des textiles pour le sud des États-Unis à des prix exceptionnels », etc.
Par ailleurs, Moïse est une pointe contre le Venezuela dans le plan de déstabilisation politique et de guerre économique de Washington envers la Révolution bolivarienne. En ce sens, il joue le rôle d’un pion dans la géopolitique américaine dans les Caraïbes en permettant le libre accès aux bateaux de guerre nord-américains près des côtes haïtiennes afin de menacer le gouvernement de Nicolas Maduro.
Le Forum patriotique, une lueur d’espoir
Face à cette situation, pendant trois jours à la fin du mois d’août, dans un cadre d’unité exceptionnel dans l’histoire du pays par sa diversité et son amplitude, 62 organisations paysannes, de quartiers, de syndicats, de jeunes, d’étudiants, de femmes, de droits humains, de religieux et du secteur privé ont réalisé le Premier Forum patriotique pour un Accord national contre la crise afin de débattre des alternatives face à cette situation critique.
Réunis dans la localité de Papaye, siège de l’École de formation politique Charlemagne Peralta où participèrent également des délégations du Venezuela, du Brésil, de l’Argentine, des États-Unis et d’Afrique du Sud, 263 délégués de tout le pays débâtirent un plan d’action et de mobilisation populaire pour obtenir la démission du président et une transition politique qui permettrait de faire avancer le pays. Tous les débats et les conclusions furent inscrits dans la « Déclaration de Papaye. »
Ce texte — qui constitue le commencement de la structuration d’un programme d’unité de plusieurs secteurs qui s’étaient déjà unis dans les manifestations de rue — accorde différents points: la démission du président, la destitution des parlementaires corrompus, la construction d’un gouvernement de transition, la réforme électorale et politique et la convocation d’une Assemblée constituante.
Nombreux sont les défis que doit affronter le peuple haïtien pour maintenir une unité hétérogène. Tant socialement que politiquement, il avance en s’organisant avec des accords programmatiques qui agissent en même temps comme un pôle d’unification pour faire partir ce gouvernement qualifié de : « néolibéral, antipopulaire, illégitime et antidémocratique. »
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier
De François d’Assise au pape François, par Juan José Tamayo-Acosta,
Directeur de la Chaire de théologie et des sciences religieuses de l’Université Carlos III à Madrid
Le 4 octobre 2019 est le 800 anniversaire de naissance de saint François d’Assise.
François d’Assise et le pape François sont séparés par huit siècles. Cependant, ils se trouvent en pleine syntonie et ils partagent le même projet d’Église. « Restaure mon Église”, fut l’injonction qu’entendue François d’Assise et il se mit à l’œuvre pour changer le cours du christianisme sous le signe évangélique de l’option pour les pauvres. La réforme de l’Église est l’engagement qu’assume François depuis le début de son pontificat et le fait que cela avance à peine ou n’avance pas au rythme qu’elle le devrait, est une grande déception.
Quand il fut élu pape, il n’hésita pas une minute avant de choisir son nouveau nom : François. Et il ne le choisit pas à la légère, mais avec l’engagement de suivre les pas du pauvre d’Assise, qu’il a élu comme guide et inspiration. Lors d’un discours prononcé trois jours après son élection devant la presse mondiale où près de 6 000 personnes étaient présentes, il raconta lui-même pourquoi il avait pris ce nom.
« Certains ignorent pourquoi l’Évêque de Rome a voulu s’appeler François. Certains pensent à François Xavier, à François de La Salle ou bien à François d’assise. Je vais vous raconter l’histoire. Pendant l’élection, était près de moi l’évêque émérite de Sao Paulo qui est également préfet émérite de la Congrégation pour le clergé, le cardinal Claudio Hummes. C’est un grand ami, un grand ami! Quand les votes commencèrent à se centrer sur moi, il me réconforta. Lorsqu’ils s’élevèrent au deux tiers, il y a eu les applaudissements de coutumes parce que le pape venait d’être élu. Il m’embrassa en me disant : « N’oublies pas les pauvres! ». Et cette parole m’est restée dans la tête : les pauvres, les pauvres. Immédiatement, j’ai pensé à François d’Assise.
Après, pendant que le scrutin se poursuivait pour obtenir l’unanimité, j’ai pensé aux guerres. Et François, c’est l’homme de la paix. C’est ainsi qu’est né ce nom dans mon cœur. Pour moi, c’est l’homme de la pauvreté, l’homme de la paix, un homme qui aime et qui prend soin de la création. En ces temps nous n’avons pas une si bonne relation avec la création. C’est l’homme qui nous donne l’esprit de paix, l’homme pauvre… »
Puis il poursuivit : « Comme j’aimerais une Église pauvre et pour les pauvres! », à l’image de Jésus, le Christ libérateur, parce qu’il est le centre, la référence fondamentale, le cœur de l’Église. Sans le Christ, ni le pape, ni l’Église, n’auraient raison d’être. Le pape insiste lui-même sur cette idée : l’Église ne peut pas être autoréférentielle, elle doit être une Église en « sortie » et elle doit aller dans les périphéries géographiques et existentielles, dans le Sud Global, où se concentre la pauvreté structurelle, provoquée par le modèle de globalisation néolibéral qui détruit à la fois le tissu de la vie des majorités populaires et celui de la nature.
En choisissant ce nom, son idée était de suivre l’exemple de François. Et c’est ce qu’il fit. Il renonça à habiter dans la résidence officielle du pape, dans le Palais apostolique et il décida de vivre à la Résidence Santa Marta. « J’ai fait ce choix parce que j’aime être avec les gens. Je ne peux pas vivre seul. » « À un professeur qui me le demandait, je lui ai répondu que je ne pouvais vivre dans les appartements pontificaux pour des raisons psychiatriques », plaisanta-t-il.
Il demanda à ce que son anneau du pêcheur soit fabriqué en argent plaqué or plutôt qu’en or massif, de même, il remplaça le trône doré du pape par un simple siège. Et ainsi de suite. Mais là où s’exprime le mieux cette syntonie et cette convergence entre les deux François, c’est dans l’Encyclique Laudato Si’. Sur le soin de la maison commune. Le titre provient du Cantique des créatures qui appelle la terre mère et sœur qui nous accueille entre ses mains et avec laquelle nous partageons l’existence et avec qui nous partageons l’existence. « Loué sois-tu Seigneur, pour notre sœur, notre mère la Terre, qui nous nourrit, nous gouverne et produit différents fruits avec des colories d’herbes et de fleurs. »
Dans l’Encyclique, il présente François d’Assise comme l’exemple par excellence pour « l’écologie intégrale », patron des écologistes, chrétiens ou non, modèle d’une attention spéciale à la création et aux pauvres, comme mystique et pèlerin qui vécut en harmonie avec Dieu, le prochain, la nature et avec lui-même. Ainsi, il démontra que “sont inséparables le souci de la nature, la justice pour les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure» (n.10).
François ne parlait pas seulement aux personnes, il le faisait avec les fleurs, qu’il invitait, selon les paroles de son biographe Thomas de Celano, « à louanger le Seigneur comme si elles jouissaient de la raison ». Il valorisait toutes les créatures, au-delà des calculs économiques et il les appelait « sœurs ». S’appuyant sur François d’Assise, le pape François défend le langage de la fraternité et de la beauté et il l’oppose aux attitudes de domination et de consommation. « La pauvreté et l’austérité de saint François – affirme-t-il – n’étaient pas qu’un ascétisme simplement extérieur, mais bien plus radical : il s’agit d’un renoncement à convertir la réalité en un simple objet de domination » (n.11).
Il nous rappelle que la sœur Terre clame de douleur pour le tord que nous lui causons. Paul de Tarse est explicite à ce sujet : « La création entière gémit jusqu’à présent et elle souffre les douleurs de l’enfantement » (Rom. 8,22) et avec elle nous aussi, particulièrement les pauvres. Nous nous croyons propriétaires, maîtres, seigneurs féodaux avec droit de piller la nature, alors que nous ne sommes que ses habitants, ses hôtes. Nous abusons et nous la maltraitons, sans prendre conscience que nous aussi nous somme la Terre (Gn 2,7) et que « notre propre corps est constitué des éléments de la planète, son air est celui qui nous donne le souffle et son eau nous vivifie et nous restaure. » (Laudato Sí, n° 2). Pour cela, lorsque nous détruisons la Terre, nous nous détruisons nous-mêmes. Les maladies que nous causons à la Terre deviennent nos maladies. Quand nous contaminons l’air, les rivières, l’atmosphère, les aliments, nous nous contaminons nous-mêmes, puisque nous formons une communauté avec elle, la communauté éco-humaine. En un mot, l’écocide est un suicide.
Aussi le pape François ne fait pas qu’imiter François d’Assise, demeurant dans le temps où a vécu le « frère mineur », mais il situe son message aujourd’hui. Il se sent spécialement préoccupé par la situation critique de l’Amazonie, proie d’une déforestation sauvage et de la destruction minière. C’est pourquoi il a convoqué le Synode Pan amazonique et qu’il nous avertit que « le futur de l’humanité et de la Terre sont lié au futur de l’Amazonie; et pour la première fois, il exprime avec autant de clarté que les défis, les conflits et les opportunités émergentes de ce territoire, sont l’expérience dramatique du moment que traverse la survie de la planète Terre et la coexistence de toute l’humanité.
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier