Ça roule au CAPMO – Octobre 2015

Feuille de chou du CAPMO,

Octobre 2015, année 16, numéro 02

 

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La justice sociale

Un monsieur vêtu de blanc, auquel les enfants du Québec ne croient plus, visite de nombreux pays pour leur parler de justice sociale. Il expose ce que le mouvement communautaire sait depuis toujours : Emprisonner des gens pour de longues périodes alors qu’ils n’ont commis qu’une légère offense est un très mauvais investissement; l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accroître, cela constitue une violence que nous subissons tous; la planète souffre de l’appétit insatiable de certainEs et nous devons retrouver au plus vite des valeurs de sobriété si nous désirons laisser un monde habitable à nos enfants; l’économie capitaliste est devenue une dictature qui écrase les peuples et détruits les nations; les guerres sont provoquées par des marchands d’armes et des intérêts impérialistes; les réfugiés qui prennent la mer pour sauver leur peau, sont nos frères et nos sœurs; l’idéologie néolibérale fondée sur l’égoïsme nous déshumanise; et surtout, il est grand temps que les gouvernements, les institutions internationales, les universités, les législations et les médias de masse, remettent le lion de dans sa cage.

Le monsieur en blanc nous dit que chacunE est libre de se gouverner lui-même de manière réfléchie et responsable, en chérissant la Terre-Mère, le bien commun et la dignité humaine. Il nous invite à utiliser notre libre-arbitre.

L’errance des puissants est un triste sort qu’il ne faut pas envier. Imbus d’eux-mêmes, ils s’imaginent tels des dieux, maîtres de ce monde. Pourtant, nous le peuple d’en bas, rêvons d’amour et d’amitié, pas d’opprimer l’humanité. Ce simple mot: « dignité », devrait les rappeler à leurs devoirs fondamentaux. Ce n’est pas si compliqué que cela : Soit on comprend le monde à partir d’en haut, du point de vue des milliardaires; soir on l’interprète à partir d’en bas, en cherchant à améliorer les conditions de vie de l’immense majorité, en pensant à sauvegarder l’environnement et à restreindre la consommation des biens de luxe.

Pour cela, il faut écrire un nouveau contrat social qui ne soit pas fondé sur l’argent, mais sur la pyramide de Maslow où les besoins fondamentaux sont satisfaits en vue de développer les capacités et le potentiel de chacunE, permettant au plus grand nombre d’atteindre la réalisation de soi en vue de développer le sens de la responsabilité, de la compassion et de l’altruisme. Pour réussir cela, il faut passer d’une morale guerrière, d’un malthusianisme social, à un esprit de collaboration où le bonheur se cultive à l’intérieur de soi en relation avec les autres plutôt que dans un soucis permanent de vaincre et de dominer.

Il faut abattre le paradigme de la croissance infinie dans un monde fini et celui de l’endettement permanent des nations. Nous devons revenir à des modes de vie plus simples qui visent l’autosuffisance plutôt que la dépendance induite par la mondialisation, le développement culturel davantage que matériel. L’argent ne doit plus être le guide de nos décisions: Par exemple, un besoin de logement et d’accompagnement social devrait être comblé, cela créerait des postes de travail tout en améliorant la qualité de vie des gens. Le mode de rémunération devrait apparaître en second lieu, pas en premier.

Naïf, je me dis que le changement devrait venir d’en-haut, des mieux nantis qui choisiraient de réduire leur niveau de vie en découvrant d’autres manières de se réaliser que l’accumulation de biens matériels ou de valeurs monétaires dans un paradis fiscal. Bien sûr nous pourrions nous soulever, mais ils possèdent tous les moyens pour nous contraindre. Selon la loi du plus fort, les marchés et les États demeurent libres d’écraser les fleurs de la convivialité et de l’espérance, mais ce faisant ils s’éloignent eux-mêmes de leur humanité. La vérité possède des exigences qu’il serait téméraire d’ignorer.

Yves Carrier

 


 

Table des matières

Spiritualité et citoyenneté  2 
Assemblée générale  3-4 
Agenda latino-américain  4-5
Perdus en mer  6-8
 Mission de paix  9-11
Calendrier activités  12

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Spititualité et citoyenneté

 VOTER: QU’OSSA DONNE?
Bien sûr, voter est un droit fondamental et un devoir sacré du citoyen. Des gens sont morts pour faire respecter ce droit et exercer ce devoir. Cependant, quelle signification a ce geste à l’époque du néolibéralisme et des traités de libre-échange imposés. Qui sont les vrais maîtres du monde? Ce ne sont pas ceux et celles qui sont sujets à l’élection. Ils représentent moins de 1% de la population et détiennent tous les pouvoirs qui comptent sans être trop inquiétés. Alors à quoi servent les élections, les partis politiques et les parlements? À leurrer le peuple la plupart du temps, lequel peuple n’est pas trop dangereux tant qu’il demeure divisé par les Partis politiques et dupé par les parlements.

Alors, que faire? Un parti politique différent des partis traditionnels peut apporter quelque chose de nouveau à condition qu’il porte un message différent de ces partis traditionnels qu’ils soient de gauche et de droite. C’est qu’il faut s’en remettre à ces partis ou même ces partis qui se veulent différents genre Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne. La proximité du pouvoir peuvent les transformer et les éloigner du peuple. Quelle est donc la solution? Elle est dans la société civile dans la mesure où elle est articulée, autonome, inclusive et démocratique. Elle se doit donc d’avoir sa propre idéologie, son propre discours, ses propres organisations autonomes vis-à-vis de l’État, du grand capital et des institutions religieuses.

Et le rôle d’un parti dans ce contexte serait de résolument promouvoir les valeurs et défendre les intérêts de la société civile dans son ensemble. Ce parti serait plutôt un mouvement coiffant tous les mouvements défendant les divers intérêts de la population: écologiques, éducatifs, féministes, syndicaux, communautaires, culturels, etc. C’est que le véritable enjeu de tous ces États, multinationales, religions qui nous font c…, c’est de garder le contrôle sur le peuple et l’empêcher de s’organiser par lui-même. Voilà ce qui est menaçant : SORTIR DE LA CONSOMMATION, SORTIR DE LA RELIGION, EXERCER SON PROPRE POUVOIR.

Le but de la théorie de la société civile est de reprendre tous les pouvoirs qui lui reviennent et qu’elle est en mesure d’exercer, en évitant le plus possible la violence (laquelle peut nuire à ce projet) et en apprenant à maîtriser son environnement, ses conditions de vie. La société civile est le véritable sujet historique du changement social; un organisme sera certes utile pour guider ce projet et un discours, une idéologie qui lui est propre sera l’armement spirituel indispensable pour en inspirer la démarche. Car les peuples aspirent à la paix. Et la paix se fonde sur la tolérance (et même davantage), la négociation, la compréhension de l’autre, de ce qui est différent. Ce monde est difficile. Il ne l’a jamais été autant. Et nous avons besoin de valeurs sans que celles-ci servent à nier nos intérêts légitimes. Ces valeurs sont humaines, citoyennes, spirituelles avant d’être chrétiennes, islamiques, québécoises, occidentales, et autres.

Robert Lapointe

 


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Le 30 septembre on bloque

 

Le 30 septembre prochain des militant-e-s des groupes communautaires de partout au Québec convergeront vers la Capitale afin de participer à une importante action de perturbation. Le 30 septembre, on bloque est une initiative de groupes communautaires de la région de Québec et de Chaudière-Appalaches. Nous espérons rassembler des centaines de personnes afin de participer à un blocage de grande envergure et ainsi envoyer un message clair au gouvernement pour qu’il finance adéquatement l’action communautaire autonome et mette fin aux mesures d’austérité qui affectent les conditions de vie de milliers de Québécois et Québécoises.

Un automne crucial pour le communautaire… et pour l’ensemble de la société
Le réseau communautaire fait partie intégrante du filet social dont nous nous sommes dotés et on doit le financer adéquatement dès maintenant. À l’instar des autres secteurs de la société (syndicats, groupes de femmes, associations étudiantes, etc.), nous entrevoyons l’année à venir avec beaucoup d’inquiétude. Les prochains mois seront cruciaux pour le maintien du réseau d’action communautaire autonome, de nos services publics, de nos programmes sociaux et de nos conditions, de vie de travail et d’étude. Nous croyons que ces luttes sont intrinsèquement liées et qu’elles doivent être menées de front.

Nous voulons que l’on reconnaisse notre travail comme moteur de progrès social et que l’on respecte notre entière autonomie.
Nous voulons être financés adéquatement; un financement à la mission, indexé et échelonné sur plusieurs années.
Nous nous battons chaque jour contre les conséquences de la pauvreté, nous travaillons pour améliorer les conditions de vie de toute la population et c’est pourquoi nous exigeons la fin des compressions budgétaires massives et un réinvestissement dans les services publics et les programmes sociaux.

Pourquoi un blocage ?
Après les pétitions, les rassemblements et les marches, le mouvement communautaire en est rendu là. Il fait face à un gouvernement qui fait la sourde oreille et qui nie le problème du sous-financement. Il faut hausser le ton et augmenter la pression. L’action du 30 septembre se veut une étape dans l’escalade des moyens de pression, une façon de construire le momentum vers la grève du communautaire au début novembre.

REPAC 0312

 


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Assemblée générale du CAPMO

 

Membre du conseil d’administration du CAPMO 2015-2016

élus lors de la dernière assemblée générale annuelle

Président : André Huot

Vice-président : Robert Roussel

Secrétaire : Mélanie Laverdière

Trésorier : Robert Lapointe

Administrateur : Denis Auger

Administrateur : Fernand Dorval

Administrateur : Claude Garneau

Un grand merci à ceux et celles qui contribuent à faire des activités du CAPMO un franc succès.

 

Nous avons le regret de vous annoncer le décès de monsieur Jacques Asselin, frère de Jean-Paul Asselin. 

Jacques était un allié fidèle du CAPMO auquel il contribuait à sa façon depuis de nombreuses années.

Merci Jacques et bonne route.

 


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Agenda latino-américain

Introduction à l’agenda latino-américain 2016,

Assiégés par l’inégalité, c’est l’heure de se réveiller

José Maria Vigil et Pedro Casaldaliga

« Les tendances des rendements boursiers et de la concentration de la richesse démontrent clairement quelque chose : La brèche entre les riches et les pauvres est aujourd’hui plu grande que jamais et elle continue de s’accroître tandis que le pouvoir, est toujours davantage, entre les mains d’une petite élite (Oxfam, Égaux, p.33). L’on doit se gifler ou se pincer pour nous assurer que nous n’avons pas perdu toute sensibilité, à moins qu’il ne s’agisse de la honte que nous éprouvons envers nous-mêmes et les autres, si nous ne réagissons pas présentement à ce que nous lisons ou entendons sans réagir énergiquement.
La croissance des inégalités vient de loin, depuis les décades fatidiques des années 1970 et 1980 du siècle dernier, quand les puissances mondiales imposèrent la révolution conservatrice de Thatcher et Reagan, étranglant les économies des pays en développement avec la hausse es taux d’intérêt sur la dette externe, exigeant la réduction des dépenses sociales en santé et en éducation, la réduction de la taille de l’État, le démantèlement de l’État de bien-être social en Europe, la précarisation de l’emploi et la marginalisation de la lutte ouvrière partout à travers le monde, l’étouffement des révolutions populaires en Amérique latine… avec la bénédiction du Vatican de l’époque, et la disqualification de la Théologie de la libération, de ses théologiens, de ses évêques, de l’Église des pauvres.

Quatre décades plus tard, nous voyons le résultat : une humanité soumise à la plus grande inégalité de son histoire. 85 personnes possèdent une richesse équivalente au patrimoine de la moitié la plus pauvre de l’humanité. Et le 1% le plus riche de la population, en cette année 2016, va battre son propre record patrimonial en dépassant la barrière psychologique de 50% de la richesse mondiale. Ils possèdent la moitié de tout ce qui existe en ce monde et leur richesse continuent d’augmenter. L’autre moitié doit être partagée aux 99% de la population mondiale. Vivre pour croire.

Ça a été toute une révolution qui a été menée sans arme, menée depuis le pouvoir politique, à partir de structures qui ont été mises au service du marché — le mal-nommé libre commerce, pour que des brebis et des loups commercent en toute liberté — et avec un système financier conçu et soumis au service de l’accumulation de l’argent.

 Puis, nous sommes arrivés aux régimes de démocratie formelle… Ceux-ci rendirent évident la « séquestration de la démocratie » d’une société dans laquelle le peuple élit et confie le pouvoir aux ploutocrates (les plus puissants), et les pauvres votent pour les partis des riches… C’est « l’hégémonie » du capital: le manque de conscience des pauvres, l’inhibition de la majorité, le triomphe de l’individualisme, l’anesthésie de la consommation… Un système aussi injuste ne peut se maintenir sans l’inhibition d’une grande partie de la population qui a la conscience soumise à l’hégémonie que le système exerce sur les esprits et les cœurs.

Ici aussi, comme pour la question de la crise climatique, nous nous approchons de l’abîme. L’histoire assure que ces indicateurs « d’extrême richesse », d’inégalité, d’injustice, ne sont pas soutenables à moyen terme. Les théoriciens se demandent comment une explosion sociale ne s’est-elle pas encore produite dans des sociétés si évidemment inégales et injustes?

Qu’est-ce qui nous maintient endormis, observant passivement comment la richesse extrême (du 1%) continue d’ajouter à chaque année la part qu’elle prélève de la tarte mondiale, coinçant le reste de l’humanité (les 99%) avec une proportion sans cesse plus réduite de la tarte ? À quel pourcentage de la tarte devra nous réduire la richesse extrême, pour que nous nous réveillions et décidions de mettre fin à cette situation indigne pour l’ensemble de l’humanité et inverser ce système économique qui nous a conduit là? Quand prendrons-nous conscience que nous formons l’écrasante majorité? Les 99%!

C’est l’heure de s’éveiller parce qu’il est urgent que nous changions les règles. Malgré le fait que nous traversons une période historique de recul social les esprits les plus éveillés voient qu’il est urgent de réagir, d’ouvrir les yeux, de conscientiser les gens et d’élaborer une nouvelle hégémonie, l’hégémonie de l’humanité humaine, celle de la critique du fondamentalisme du marché, de la récupération de cette démocratie séquestrée. Il est l’heure de changer de cap: celui des trois dernières décennies nous a déjà démontré qu’il est insoutenable et qu’il nous mène vers l’explosion sociale et une crise planétaire.

Il s’agit de l’urgence de mener un travail de conscientisation, de pensée critique, de résistance. Il est urgent de rompre le mensonge de cette hégémonie, de l’acculer par des pratiques citoyennes alternatives, et être cohérents avec une participation politique démocratique responsable. « Lorsque le pauvre croira dans la pauvre, alors nous pourrons chanter liberté! », dit un chant de la messe populaire salvadorienne. Ce qui aujourd’hui signifie : Quand nous cesserons d’élire dans les congrès et les parlements, avec nos votes, les élites les plus riches et à leurs représentants, quand nous croyons dans le potentiel des pauvres et en l’option pour les pauvres et que nous voterons en conséquence, notre démocratie séquestrée sera libérée et nous marcherons vers la société égalitaire et juste dont l’Humanité a tant besoin et nous aurons la planète que nous méritons; une Utopie pour laquelle il vaut la peine lutter et rêver.

 


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Perdus en mers

Migrants perdus en mer : Ce sont nos enfants

Aminata D. Traoré, LE MONDE DIPLOMATIQUE, septembre 2015

 Lettre à Yayi Bayam Diouf, ma sœur
Deux cents de tes concitoyens et presque autant des miens figurent parmi les huit cents morts du naufrage du 18 avril 2015 au large de la Sicile. Nombreux sont ceux dont on ne parle déjà plus, ceux dont on ne parlera jamais, enfouis dans ces fosses communes que sont devenus le désert du Sahara et la Méditerranée.

Ton fils unique (1) est un jour parti pour l’Europe avec quatre-vingt-neuf autres jeunes de Thiaroye (Sénégal) à bord d’une embarcation que la mer a engloutie. Nous nous sommes rencontrées parce que, dans mon pays, d’autres mères de migrants disparus qui ne veulent ni oublier ni baisser les bras m’ont interpellée : « Nous n’avons pas revu nos enfants ni vivants ni morts. La mer les a tués. Pourquoi ? » Elles ne savaient rien non plus de cette mer tueuse, notre pays le Mali étant enclavé.

Je me souviendrai toujours, courageuse Yayi, de ce profond moment de recueillement, de communion et de partage qu’aura été le « cercle de silence » que nous avons organisé ensemble lors du Forum social mondial (FSM) de Dakar en février 2011.

Nous espérions que nos prises de parole, nos mobilisations ainsi que nos initiatives de femmes à la base, dans nos villages et nos quartiers, auraient contribué de manière significative à conjurer ce sort que la mondialisation néolibérale inflige à tant et tant d’humains de par le monde.

Des milliers de kilomètres de murs sont en train d’être érigés pour séparer les peuples en les dressant les uns contre les autres, alors qu’ils seraient capables d’empathie, de fraternité et de solidarité véritables s’ils se savaient broyés par le même rouleau compresseur. Mais aux blessés européens du capitalisme mondialisé et financiarisé, ceux qui jouent sur les peurs laissent entendre que l’Afrique a été aidée en vain. Le paysage politique européen en est aujourd’hui transformé. Les extrêmes droites qui s’enracinent dans ce terreau progressent et défient les autres formations. Les droites et, comble de l’horreur, une partie de la gauche qui ne veut pas se laisser distancer dans la surenchère sur la « protection » des Européens contre les « barbares » occultent le pillage des richesses du continent, les ingérences et les guerres de convoitise.

Ce sera de l’« humanité » pour les migrants éligibles à la loi sur l’asile, et de la « fermeté » pour les migrants dits économiques. Ils sont majoritairement subsahariens et noirs. « L’Europe est-elle capable d’écoute ? », demandons-nous, l’écrivaine Nathalie M’Dela-Mounier et moi, dans « Le monologue européen (2) ». Pour l’heure, nous en doutons.

Nous vivons, chère Yayi, un grand moment de dévoilement de la nature et des dessous de ce puissant voisin à travers sa gestion de la question migratoire et de la crise de la dette grecque. Ce tournant offre une occasion historique de comprendre l’Europe telle qu’elle est devenue, et non pas telle qu’elle voulait se donner à voir, en cette année 2015 qu’elle a proclamée Année européenne du développement — ce qui aurait pu être une opération de communication de plus visant à soigner son image de plus grand contributeur à l’aide au développement.

De nombreux citoyens européens ne reconnaissent pas le projet des pères fondateurs dans le bras de fer qui l’a opposée au peuple et au gouvernement démocratiquement élu de la Grèce jusqu’à ce que ceux-ci cèdent. Elle persiste ainsi dans l’« horreur économique ». Comme dans ce pays, au Mali, au Sénégal et ailleurs en Afrique, le « courage des réformes douloureuses » consiste, pour les dirigeants démocratiquement élus, à imposer à leurs peuples des mesures assassines, au nom d’une dette extérieure contractée à leur insu pour des dépenses non conformes, la plupart du temps, à leurs besoins prioritaires.

Je te suis reconnaissante, ainsi qu’à Demba Moussa Dembélé (3), d’être venue en débattre avec nous à Bamako lors de la journée de réflexion du 11 juillet 2015, que le Forum pour un autre Mali (Foram) a consacrée à la question suivante : « La justice, la paix et la sécurité humaine font-elles bon ménage avec la dictature des créanciers ? » « Assurément pas ! », avons-nous conclu après avoir rapidement passé en revue les conséquences de l’arrimage du franc CFA à l’euro, des accords commerciaux (Union européenne – pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique [ACP]), des accords de partenariat économique, des accords migratoires et des accords militaires imposés à nos pays.

L’opacité étant la principale caractéristique des accords signés par nos pays, le recours du premier ministre grec Alexis Tsipras à l’arbitrage de son peuple face à l’intransigeance des créanciers ne pouvait pas passer inaperçu sous nos cieux.

« Fermeté » est le maître mot de l’Union européenne tant dans sa gestion de la crise grecque que dans celle des flux migratoires en Méditerranée. Combien de Grecs ont-ils pris le large ces six derniers mois, et combien seront-ils à émigrer dans les mois à venir ? A quelles formes de violence faut-il s’attendre dans ce pays dont la jeunesse, contrairement à une partie de celle de la France, de la Belgique et du Royaume-Uni, n’est pas attirée par le djihadisme ? Pourquoi ceux qui prétendent lutter contre ce dernier phénomène ne se disent-ils pas que des projets migratoires avortés peuvent pousser les jeunes à se radicaliser ? Je me pose cette question, Yayi, à propos du nord de mon pays, où ceux qui n’ont plus la possibilité d’aller travailler en Libye sont parfois devenus passeurs, djihadistes ou narcotrafiquants.

Du sommet extraordinaire du 23 avril 2015 à Bruxelles, nous n’attendions pas de miracle. Mais nous avons davantage de raisons de nous inquiéter maintenant, en raison de l’option militaire qui a été privilégiée. Inefficace et, surtout, dangereuse pour les migrants sera l’opération « Navfor Med » lancée par l’Union européenne. Il s’agit d’une opération de surveillance des côtes européennes par les patrouilles et le renseignement — faute d’accord du Conseil de sécurité des Nations unies pour la destruction des embarcations des passeurs. Selon la chef de la diplomatie européenne, Mme Federica Mogherini, «les cibles ne sont pas les migrants, mais ceux qui gagnent de l’argent sur leur vie et, trop souvent, sur leur mort » (22 juin 2015).

Comme pour lui répondre, Diawori Coulibaly de Didiéni, qui a elle aussi perdu un fils dans un naufrage, dit ceci : « Faites en sorte que nos enfants puissent travailler et vivre dignement ici. » Que dis-tu d’autre toi-même, Yayi, lorsque tu rends compte du bouleversement, de fond en comble, de la vie des communautés de pêcheurs du fait du pillage des eaux poissonneuses du Sénégal ? Par le passé, il suffisait, fais-tu remarquer, d’aller à cent mètres des côtes pour accéder au poisson qui vous garantissait l’alimentation et le revenu dans la dignité. A présent, des « accords de pêche » déséquilibrés et injustes permettent à des bateaux-usines de séjourner des mois durant au nez et à la barbe des pêcheurs pour se servir et mettre le poisson en boîtes avant de lever l’ancre (4).

Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que des pêcheurs appauvris et désemparés, comme des paysans sans terre et des commerçants ruinés par les produits subventionnés qui inondent nos marchés, ou des migrants humiliés, deviennent des passeurs ? L’offre de ces derniers répond par ailleurs à une demande incompressible, demande pour un départ qui a tout d’une fuite, dans l’espoir de revenir plus tard et de vivre mieux parmi et avec les siens. Mais tout est verrouillé, Yayi, comme tu le rappelles : des navires, des hélicoptères et des avions survolent les côtes pour que ceux qui n’ont plus les moyens de gagner leur vie chez eux ne puissent pas non plus émigrer. Aux injustices et aux frustrations engendrées par ces accords de pêche s’ajoutent l’assignation à résidence et l’humiliation liées à des accords migratoires injustes et déshumanisants.

À l’issue de notre journée de réflexion, l’un des jeunes participants s’est adressé à toi en ces termes : « Chère maman Yayi, je suis moi aussi fils unique. Sèche tes larmes. La mer t’a enlevé un fils ; dis-toi que nous sommes tous tes enfants. » J’en ai l’intime conviction, chère sœur. C’est pour cette raison que, avec le Centre Amadou Hampâté Bâ de Bamako et le Foram, nous avons décidé de promouvoir la notion de « mère sociale ». Aux valeurs guerrières du capitalisme mondialisé et financiarisé, opposons des valeurs pacifistes et humanistes. Les figures féminines — mère, tante, sœur aînée — qui les incarnent jouent souvent un rôle central dans la préservation de la cohésion sociale et de la solidarité. Le Mali a cruellement besoin de ce socle culturel qui constitue une force intérieure de changement et de progrès.

L’Université citoyenne que nous sommes convenus de créer au dernier FSM de Tunis, en mars 2015, nous offrira le cadre de cette éducation citoyenne. Selon Susan George, « la connaissance est toujours un antidote à la manipulation et au sentiment d’impuissance. Sans elle, on ne peut rien faire. Elle n’est pas une fin en soi, mais bien un préliminaire à l’action (5) ». C’est aussi ce que nous pensons, ce que nous disons et ce qui donne sens à notre engagement et à notre combat.

Aminata D. Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali. Auteure notamment de L’Afrique humiliée, Fayard, coll. « Pluriel », Paris, 2011 (1re éd. : 2008).
Version originale sur le site du Monde Diplomatique
http://www.monde-diplomatique.fr/2015/09/TRAORE/53710

(1) Yayi Bayam Diouf est la mère d’Alioune Mar, 26 ans, qui s’est noyé en 2006 alors qu’il tentait de rejoindre l’Espagne avec d’autres jeunes Sénégalais.
(2) Cf. le Forum pour un autre Mali.
(3) Directeur du Forum africain des alternatives.
(4) NDLR. Lire Jean-Sébastien Mora, « Ravages de la pêche industrielle en Afrique », Le Monde diplomatique, novembre 2012.
(5) Susan George, Les Usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Seuil, Paris, 2014


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Mission de paix

Mission de paix sur le fleuve Saint-Laurent

 Pour une deuxième année consécutive, j’ai participé à l’aventure de la Mission de Paix sur le Fleuve Saint-Laurent. Cette année, 42 personnes ont pris part à l’expédition. Mohawk, Attikameks, Anishanabes, Innus, Québécois et nouveaux arrivants de diverses nationalités, nous avons ramé et vécu ensemble au quotidien pendant 11 jours. Partant de Kanhawake, notre but était de nous rendre à Québec afin de planter un arbre sur les plaines d’Abraham. La première partie de cet article est une présentation générale de la Mission de Paix, tirée du site internet de La Famille, organisation porteuse de l’événement. En deuxième partie, je vous parlerai de mes motivations à vivre cette expérience.

La Mission de Paix sur le fleuve Saint-Laurent a poursuivi pour une huitième année son œuvre de sensibilisation à la perspective autochtone de notre monde. Elle se veut un rendez-vous avec l’histoire, une occasion de se rencontrer, de se connaître et de se reconnaître dans notre diversité. C’est le moment de voir ce que nous avons en commun et de s’unir derrière un même objectif. Les motifs véritables de ce périple, sur les traces de nos ancêtres, sont de rétablir des relations fraternelles de nation à nation, de découvrir l’histoire et la sagesse millénaire des peuples autochtones et de lutter ensemble devant les menaces actuelles à l’environnement qui nous concernent tous.
Nous sommes arrivés à un moment important dans l’histoire de notre planète. Nous sommes tous affectés par le réchauffement climatique. Nous sommes tous concernés par les enjeux politique et environnementaux actuels : La fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste, l’exploration et l’exploitation minière et pétrolière au Québec, dans le Golfe du Saint-Laurent et à l’étranger, la construction de nouveaux barrages hydroélectriques sur la Romaine, la coupe à blanc de nos forêts, les éoliennes en régions habités, le Plan Nord, l’invasion des territoires de trappes et de chasses ancestraux, etc., sont tous des actes illégaux au regard des droits des peuples des Premières Nations qui sont les gardiens et protecteurs de l’Île de la Tortue.

Le traité de paix, appelé le Wampum à Deux Voies, proposé par les Haudenosaunes, les gens de la Maison Longue, invite les nouveaux arrivants et leurs descendants, dans leurs grands vaisseaux, à naviguer côte-à-côte avec les canots de nos hôtes, sur le grand fleuve de la vie, sans interférer dans la gouverne de chaque embarcation, mais prêt à s’entraider en cas de besoin.

Ce voyage sur la route de nos ancêtres veut faciliter l’ouverture de l’esprit à une perspective matrilinéaire de notre monde, diamétralement opposée à la société patriarcale dominante. La Mère Terre est une entité féminine, son autorité est absolue. Nous sommes tous ses enfants, nous sommes tous soumis à sa loi, la loi de la nature.

Le drapeau de la famille

 

La Famille, tel que représentée par son symbole, l’Arbre, est un réseau de personnes qui travaillent ensemble pour la Paix. La Famille s’étend avec amour et respect à toute l’humanité et à toute vie sur la Terre Mère. Nous visons à faciliter la guérison et l’équilibre entre l’humanité et le reste du monde vivant pour le bénéfice des générations futures. La Famille travaille activement avec les Premières Nations de l’Île de la Tortue afin de développer des rapports interculturels. Nous célébrons plusieurs types de cérémonies et reconstitutions historiques dans le but d’encourager la réconciliation entres les peuples pour mieux protéger, promouvoir et rétablir, les valeurs culturelles et notre héritage collectif. Nous formons des cercles de conseils de façon à prendre nos décisions et organiser nos missions de Paix.

Source : famillesdumonde.org
Mes motivations :
Je m’implique au CAPMO depuis trois ans déjà et je crois que je ne pourrai rien changer dans notre société en demeurant repliée sur moi-même. Par là, je ne veux pas dire simplement de sortir de chez moi! Il est possible d’avoir une vie sociale très active tout en restant replié sur soi. Même inconsciemment, beaucoup côtoient quasi exclusivement des gens de leur génération, de leur milieu social et culturel. Je dirais que de se rencontrer à l’occasion d’une manifestation ou pour planifier une action sociale nation à nation, autochtone et non-autochtone, est un pas mais qu’il reste insuffisant. Nous sommes encore loin d’apprendre à ramer ensemble! Quelle solidarité concrète se bâtit en dehors de ces manifestations? Sur quoi est-ce que se fonde et se construit notre vivre ensemble?

Pour moi, la politique sans la rencontre authentique et spirituelle, si elle n’est pas enracinée dans la reconnaissance de la dignité humaine de chacunE, c’est de la politique illusoire et fausse! Comment pouvons-nous travailler ensemble et élaborer des règles de vivre ensemble qui nous conviennent collectivement sans se connaître mutuellement ? La Mission de Paix propose de s’ouvrir à une perspective autochtone du monde et de ramener à notre mémoire les alliances conclues entre nos ancêtres, autochtones et canadiens français. Nous n’avons pas à réinventer la roue ! Redécouvrir le wampum à deux voies présenté par les Mohawks aux Canadiens français lors de la Grande Paix de Montréal en 1701, est un moyen de rétablir nos relations de nation à nation dans l’entraide et le respect mutuel.

Ces 11 jours ont été pour moi l’occasion d’essayer d’être sur le mode «écoute». Des générations passées de blancs ont étouffé la parole et la culture des Premières nations. Si nous voulons comprendre ces personnes ne serait-ce qu’un peu, nous devons les écouter et surtout, nous avons beaucoup de temps à rattraper.

Miska, Miska! (Ramons, ramons!)

D’abord utilisée par nos frères et sœurs attikameks, cette expression a marqué nos journées sur le fleuve. Nous nous répétions ce joli mot (qui se prononce «mishka») pour nous encourager à avancer tous ensemble.
Le quotidien de la Mission de Paix est un défi à relever sur l’eau comme sur terre. Pendant cette expérience, nous faisons face à l’humanité de chacun et chacune, à nos forces et nos limites, à nos désirs de compétition et de contrôle des autres. Au cœur de cette aventure, nous vivons de grands moments de fraternité, mais aussi des conflits interpersonnels ou encore des incompréhensions interculturelles ravivant de vieilles blessures liées au colonialisme. Dans ce contexte, demeurer respectueux les uns envers les autres, maintenir l’harmonie dans le groupe, sont un enjeu constant. D’ailleurs, nous utilisions régulièrement les cercles de parole, que nos sœurs et nos frères autochtones emploient pour régler leurs différents. La présence d’une grand-mère autochtone parmi nous a été fort appréciée. Par sa sagesse et les cérémonies spirituelles qu’elle nous a permis de vivre, elle a été d’un grand support. Le respect que les autochtones ont envers les aînés est très inspirant pour chacun et chacune de nous. Leur rôle indispensable est pleinement reconnu par la communauté.

Au rythme de l’eau, nous avons ramé ensemble jusqu’à Québec. Après avoir partagé cette expérience unique, nous sommes arrivés sur les plaines d’Abraham pour planter ensemble un arbre de paix. La paix profonde, voilà le fruit qui a jaillit de cette aventure.

Je souhaite que vous reteniez et méditiez dans votre cœur le sens profond de cette aventure : la protection de la Terre Mère passe par une décolonisation de notre esprit, qui ne peut se faire que par la réflexion intellectuelle (bien que celle-ci soit très importante!), mais qui s’opère dans la rencontre et la marche (ou rame!) avec les personnes les plus opprimées par la colonisation. En tant que blanche, je pense qu’une partie de la décolonisation consiste à nous réconcilier avec notre être spirituel, partie blessée de nous-mêmes que nous ne savons même plus reconnaître. Aliénés par le néolibéralisme, par nos biens matériels et nos envies constantes de consommer, nous n’avons plus de place pour vivre la rencontre avec nous-mêmes, la nature et les personnes qui nous entourent. Nous nous détruisons nous même et détruisons la planète! Pour plusieurs autochtones, la spiritualité se trouve au cœur de l’existence, elle fait partie intégrante de tous les aspects de la vie, de sorte qu’ils sont très connectés à la terre sur laquelle nous marchons. C’est pourquoi je crois que les nations autochtones peuvent aider la jeune nation québécoise à retrouver ses racines spirituelles et culturelles et à assumer pleinement son identité.

Emilie Frémont-Cloutier

 


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