Ça roule au CAPMO – novembre 2016, Année 17, numéro 03
La Novlangue économique
Lorsqu’un raisonnement apparaît erroné dans son fondement, toutes les justifications mathématiques ne sont que des chimères. Ne l’oublions pas, « il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut voir » et on ne peut toujours ignorer les conséquences de ces actes en justifiant tout à l’aulne de l’argent. « Ils vendraient leur mère s’ils le pouvaient. » En attendant, ils vendent leur pays aux plus offrants.
Pendant que les gourous des prédictions économiques errent sans fin dans un désert de sens sapant les fondements mêmes de la vie sur Terre, des millions de réfugiés sont jetés sur les routes. Melinda, migrante haïtienne retenue à la frontière entre le Mexique et les États-Unis à Tijuana, est la preuve vivante du marasme néolibéral enseigné depuis quarante ans dans les facultés d’économie. Melinda a quitté Haïti suite au tremblement de terre, destruction provoquée par l’incurie des gouvernements soumis aux dictats du Fond monétaire international, de la Banque mondiale, des États-Unis, du Canada, de l’Union européenne, et de plein d’autres amis qu’il vaut mieux ne pas avoir.
Melinda est d’abord allée en République dominicaine. Malheureusement, avec la crise économique et la baisse du tourisme, les autorités dominicaines ont choisi les migrants haïtiens jusqu’à la troisième génération comme bouc émissaire de tous leurs problèmes. Se voyant retirer le droit de vivre en ce pays, plusieurs milliers d’Haïtiens se sont tournés vers l’Amérique du Sud où les conditions économiques semblaient plus favorables. Alors une fois les côtes de la Colombie atteintes, c’est à pied qu’ils ont traversé l’Amazonie pour rejoindre le Brésil ou direction sud vers Santiago au Chili. Cette immigration noire, dure au travail et acceptant des salaires de misère, a été remarquée par les populations brésiliennes qui n’ont pas toujours été accueillante malgré l’accord présidentiel de Dilma Roussef permettant la venue des Haïtiens.
2015, crise économique au Brésil et retour à la case départ. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce peuple en exode, rejoint par des africains de l’Ouest, reprend la route en direction Nord cette fois et retraverse l’Amazonie et la Colombie jusqu’à la frontière avec Panama où il n’y a pas de route. Ben ils ont traversé l’isthme à pied dans la jungle. Ensuite ce fut le Costa Rica, le Nicaragua, le Honduras, le Guatemala et le Mexique. Ils sont actuellement plusieurs milliers coincés à la frontière américaine et plusieurs rêvent de venir habiter l’Eldorado du Nord, au Québec. J’oubliais, depuis qu’elle a quitté le Brésil, Melinda porte son bébé d’un an dans ses bras.
Les migrations humaines vers les pays occidentaux sont les conséquences des guerres et des déstructurations, de même que de la spéculation sur les monnaies et les denrées alimentaires, provoquées par l’application d’une idéologie folle ayant la mesquinerie, l’appât du gain, l’envie et la jalousie, comme règles d’or. Aucun sens moral ne vient questionner son apparence d’objectivité et même des boy-scouts canadiens vendent des armes à l’Arabie Saoudite. En ce monde obscène, Donald Trump devient la représentation ultime du rêve néolibéral ou américain, c’est pareil. Est-ce là le genre d’humain que nous souhaitons devenir ? Matérialiste, le cœur voué à l’argent ?
Je demeure convaincu que Melinda a 100 fois la force morale de cet homme. Elle n’est ni haineuse, ni rancunière, parce qu’à travers cette longue marche elle a découvert une force intérieure qui l’accompagne. Elle est l’humanité en marche dont les yeux aperçoivent déjà la lumière d’une liberté fondée sur l’amour solidaire. Franchir les routes de l’impossible, au-delà de toute prudence, tout risquer pour vivre en dignité, forcer le destin jusqu’à le faire mentir, Melinda n’est pas seule. Comme un grondement sourd, les réfugiés du monde entier frappent à nos portes en demandant : « Occident, pourquoi nous as-tu convoqués ? »
Yves Carrier
Spiritualité et citoyenneté |
Le plébiscite colombien |
Une lumière s’est éteinte |
17 octobre 2016 |
Culture du viol |
Entretien avec Samir Amin |
Calendrier |
Cantos XIV d’Ezra Pound
…des politiciens,
leurs poignets liés à leurs chevilles,
Debouts cul nu,
Visages barbouillés sur leur postérieur,
Œil écarquillé sur fesse plate,
Broussaille pendante pour barbe
S’adressant aux foules à travers leur trou de balle,
S’adressant à la multitude dans la dégoulinade,
……………….
Profiteurs qui boivent le sang adouci à la merde
… et les financiers
Les zébrant au fil d’acier
Et ceux par qui le langage est trahi
Et le gang de la presse
Et ceux qui ont menti sur commande
Les pervers, les pervertisseurs du langage
Les pervers, qui ont placé soif d’argent
Avant les plaisirs des sens
…………………
Monopolisateurs, obstructeurs du savoir,
Obstructeurs de la distribution
(Texte proposé par Robert Lapointe)
L’activité sociale tarazimboummante de la ligue universelle de hockey aux cartes du Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert, l’A-ST-LUHCCAPMO, pour simplifier, poursuit ses activités les vendredis et dimanches au 435 Du Roi, 2ième étage, de 16h à 24h. Devenez champions et championnes sans trop d’effort. Rompez l’isolement en ayant beaucoup de plaisir. Nous mangeons ensemble et nous avons parfois d’autres activités sociales. Bienvenue à tous et à toutes dans ce merveilleux laboratoire des relations interpersonnelles. Il s’agit déjà d’appliquer le vivre ensemble.
Robert Lapointe
Le plébiscite colombien, un rendez-vous manqué avec l’histoire
Claude Morin, 4 octobre 2016
On ne peut qu’être triste, voire s’indigner, face aux résultats du plébiscite. Le président Santos porte une lourde responsabilité dans ce verdict qui est un échec personnel. Le plébiscite n’était pas nécessaire pour que l’accord s’applique. Peut-on parler de consultation démocratique quand 63 % des électeurs ne participent pas? Santos a voulu ce plébiscite pour se donner une légitimité supplémentaire face à l’ex-président Uribe qui le combattait. Son taux d’approbation dans les sondages s’était beaucoup dégradé et était très bas, en raison de son inertie en matière de politiques publiques sur plusieurs dossiers et en vertu de la campagne de dénigrement orchestrée par les partisans d’Uribe, leur parti (Centro Democrático) et l’oligarchie la plus rétrograde qui l’appuie. Santos y voyait l’occasion d’obtenir le Prix Nobel de la Paix. Il a recherché davantage la consécration internationale (la signature à Cartagena fut un spectacle) que l’adhésion des Colombiens par la démonstration de ce qu’ils allaient en retirer. Il n’a pas consacré du temps et de l’énergie à faire la promotion de l’Accord auprès de l’électorat colombien. Comme si l’approbation populaire allait de soi. Il n’a offert, par exemple, aucun transport pour faciliter le vote. Sans compter que l’ouragan Matthiew a déversé dimanche de fortes pluies sur le territoire colombien.
Les sondages démontraient que les Colombiens étaient très majoritairement favorables à l’Accord, mais beaucoup ne sont pas déplacés pour voter, convaincus par les sondages (65 % pour – 35 % contre) que l’affaire était entendue. L’abstencionisme est une plaie du système politique colombien qui s’explique par la corruption des politiciens, l’exclusion institutionnalisée et la violence contre toute remise en question. Tout indique que les opposants ont voté plus largement, ce qui explique le résultat. Ils ont été mobilisés par Uribe, la droite, sur la base d’un discours axé sur la diabolisation des FARC et la définition démagogique de l’enjeu. Le « castrochavismo » a servi d’épouvantail : l’Accord a été présenté comme une attaque contre les valeurs familiales, la propriété. On a fait appel à l’anticommunisme primaire. La stratégie de la peur a été l’argument unificateur de la campagne contre le OUI.
Les secteurs populaires sensibles au discours conservateur ont voté par loyauté à Uribe, aux curés ou aux pasteurs évangéliques, aux élites oligarchiques, sans réfléchir aux conséquences d’un NON. Un peu comme en Angleterre pour le Brexit! La polarisation est spatiale (le centre andin, sauf Bogotá, a voté pour le NON) et sociologique (les paysans et les zones qui ont le plus souffert de la guerre pour le OUI, je pense au Chocó); les citadins ont sans doute été majoritaires dans l’abstention, comme s’ils étaient indifférents : un fort pourcentage ont voté NON.
Le problème maintenant est qu’Uribe et la droite redressent la tête, fiers d’avoir vaincu Santos et tous ces partis qui l’appuyaient. Uribe a démontré sa force. On peut penser qu’il cherche à arracher une amnistie pour lui-même et ses acolytes contre qui pèsent plusieurs procès pour atteintes aux droits de l’homme (assassinats, parapolitique, paramilitaires, faux positifs, etc.) Les uribistes vont pouvoir peser sur la renégociation de sections de l’accord, un accord dont ils avaient été exclus. Or les FARC ont déjà fait beaucoup de concessions. Leur sécurité devient un enjeu d’autant plus sérieux qu’ils vont renoncer à attaquer, mais en conservant leurs armes. La paix (l’absence d’affrontements militaires) est sans doute possible, parce que ni les FARC ni l’armée ne souhaitent reprendre la guerre meurtrière, mais les réformes sur lesquelles devaient reposer la paix sociale et la justice sont compromises pour un certain temps.
Le rapport de forces vient de changer au profit de la droite la plus réactionnaire. Les élections de 2018 deviendront un enjeu majeur. Les résultats pourraient bloquer encore plus la dynamique du changement nécessaire.
Colombie : une lumière d’espoir s’est éteinte !
Immanuel Wallerstein, La Jornada, Mexico, 22 octobre 2016
Au cours des dix dernières années, si non plus, le scénario global a été misérable. Le monde est inondé de guerres, grandes et petites, qui apparaissent sans cesse et qui semblent inévitables, par d’horribles cruautés dont les protagonistes s’enorgueillissent, par des attaques délibérées dans les dénommées zones de sécurité. Parmi cet enfer sur la Terre, il n’y eut qu’une lumière d’espoir. Ce qui depuis 1948 se nommait la « Violencia » en Colombie, semblait être arrivée à sa fin.
La lutte prit forme en 1964, dans une tentative pour faire tomber le gouvernement menée par un groupe de guérilleros paysans dénommé les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Le mouvement affronta la féroce opposition du gouvernement, avec le soutien actif des États-Unis. En plus, apparurent des forces assassines, les paramilitaires de droite, qui pouvaient compter sur l’appui inconditionnel du gouvernement. Ce qui fut apparent au cours des 10 dernières années, c’est qu’aucun des deux belligérants ne pouvaient s’attendre à obtenir une victoire définitive sur son adversaire. L’embourbement et la lassitude des combats qui s’en suivit conduisirent chaque partie à reconsidérer leur position de tout ou rien et à entrer en négociation.
Comment cela se produisit-il ?
Du côté gouvernemental, un nouveau président fut élu en 2010. Il s’appelle Juan Manuel Santos, héritier d’une aristocratie familiale de propriétaires terriens ultraconservateurs. Sous la présidence précédente d’Alvaro Uribe, il était ministre de la défense. En tant que tel, il dirigea une grande offensive pour éliminer les FARC.
Du côté des FARC, il se produisit une succession de faits en parallèle. Le nombre de zones où elles exerçaient un contrôle militaire effectif a été réduit. Deux leaders successifs ont été éliminés. Son plus récent chef, Rodrigo Londono, connu par la guérilla sous le nom de Timochenko, est un pragmatique qui recherchait la négociation.
Les négociation secrète entre le gouvernement colombien et les FARC conduisirent à une annonce en octobre 2012 : ils étaient parvenus à un accord pour entamer les discussions. Ils convinrent de se réunirent à la Havane sous l’égide des gouvernements de Cuba et de la Norvège, avec le soutien additionnel du Venezuela et du Chili. Ces négociations furent longues et difficiles, mais on arriva à des compromis en six points importants. C’est ce qui permis la signature d’un accord de paix par le gouvernement colombien et les FARC le 26 septembre 2016.
Cependant, avant l’implantation de l’accord, le gouvernement colombien choisit de soumettre son contenu à un référendum. Cette idée était du président Santos qui sentait qu’une paix véritable requerrait la légitimité accordée par un vote populaire. Les FARC pensaient que ce n’était pas une bonne idée, mais elles n’y firent pas obstacle. Le ex-président Alvaro Uribe qui était opposé à toute négociation depuis le début, milita en faveur du rejet des accords de paix. Les sondages prévoyaient une victoire facile du Oui. Toutefois, lors du plébiscite du 2 octobre, le suffrage en faveur du Non obtint 50.2%. La Colombie et le monde sont demeurés estomaqués.
Pourquoi les sondages étaient-ils aussi erronés ?
Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce fait. Certaines personnes pourraient avoir menti aux maisons de sondages, ne souhaitant pas admettre publiquement qu’ils étaient contre les accords de paix. Certains électeurs ont sans doute fait preuve de mollesse en ne se donnant même pas la peine d’aller voter, croyant que le Oui l’emporterait facilement. Le mauvais temps inattendu a peut-être aussi été un facteur rendant les déplacements difficiles dans les zones rurales favorables aux FARC. Peut-être que certains indécis eurent une dernière hésitation concernant l’admission des FARC dans le jeu démocratique. Seulement 37% des électeurs éligibles ont émis leur suffrage.
Quelle que soit l’explication, le processus complet de paix est demeuré dans la tête. Pour la Colombie, la question est : Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Alvaro Uribe dit qu’il ne négociera rien. Il insiste pour que le gouvernement Santos se rétracte sur deux concessions clés accordées aux FARC. L’une d’elle a à voir avec la tolérance envers les violences commises par les anciens dirigeants des FARC. La seconde consiste en une garantie accordée à ce groupe d’avoir des sièges sans droit de vote dans les deux prochaines législations, proposition permettant que les FARC réorganisées entrent de manière légitime dans le processus politique.
Les FARC sont moins intransigeantes. Elles disent qu’elles sont disposées à renouer les négociations avec le gouvernement Santos. Et le gouvernement est clairement incertain concernant ce dont il peut parler avec Uribe, d’un côté, et les FARC, de l’autre.
Dans cette situation pour le moins confuse, le Comité norvégien du Nobel entre en scène et attribue à Santos le prix Nobel de la paix le 7 octobre dernier. La décision avait été prise avant le référendum. Le prix se voulait une récompense pour quelque chose qui n’avait pas été obtenue. Il reflétait le sentiment généralisé de tout le monde. Deuxièmement, c’était un prix discerné à Santos exclusivement et non pas à sa contrepartie dans la négociation : Londono. Cela est très inhabituel.
Depuis 1945, lors des six autres occasions où le prix Nobel de la paix a été attribué en raison d’accords de paix, il a toujours été discerné conjointement à ceux qui représentaient chacune des parties. Est-ce que le Comité norvégien du Nobel a hésité à inclure Londono parce qu’il sentait qu’il s’agissait là d’un sujet trop délicat ? Aurait-il été plus dérangeant que le choix d’accorder le prix Nobel à Arafat en 1994 ou à Henry Kissinger en 1973. Serait-ce que le prix Nobel attribué à Santos le rend plus fort ? Un peu, mais nous ne pouvons pas croire que Uribe soit disposé à faire des concessions sérieuses maintenant qu’il a gagné le référendum. Les FARC semblent davantage disposées à discuter du sujet.
Pour compliquer encore le choses, un autre mouvement de guérilla plus petit—l’Armée de libération nationale (ELN) – n’a même pas initié de négociations avec le gouvernement. Les résultats du plébiscite renforcent l’opinion de ceux qui, à l’intérieur de l’ELN, sont opposés à toutes formes de négociation.
Franchement, je ne pense pas que l’accord de paix puisse être sauvé. La lumière exceptionnelle qui a brillé sur la Colombie s’est éteinte. Ce pays demeure l’une des zones de conflits interminables qui secouent la planète. C’est pourquoi je dis à Santos et à Londono : Bel essai, mais vous n’y êtes pas parvenus. La situation chaotique du monde continue sans cesse pour, je vous le rappelle, la lutte qui décidera du système successeur au système capitaliste qui est désormais en crise systémique.
Traduction de l’espagnol par Yves Carrier
Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, 17 octobre 2016
Et si le Québec devenait un champion de la lutte à la pauvreté ?
Collectif pour un Québec sans pauvreté
Québec, le 17 octobre 2016 – En cette Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, le Collectif pour un Québec sans pauvreté rappelle que dans une société aussi riche que le Québec, il est proprement scandaleux que plus d’un million de personnes vivent dans la pauvreté. Le Québec doit cesser d’ignorer toutes ces personnes qui ne demandent qu’un coup de pouce pour pouvoir vivre dignement.
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté soutient qu’en matière de lutte à la pauvreté, le gouvernement du Québec actuel est un champion… du pire. Il profite donc de cette journée spéciale pour l’inviter à effectuer un virage à 180 degrés et de livrer, dans les prochains mois, un plan de lutte à la pauvreté où celle-ci sera enfin réellement traitée comme une priorité nationale.
Pour cela, le gouvernement du Québec devrait d’abord changer d’attitude. Sa manie de ridiculiser les organisations et les personnes qui revendiquent, notamment, une augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure est pour le moins déplacée. « Au Québec, 970 000 personnes gagnent présentement 15 $ l’heure ou moins. Avec un tel salaire, une personne vivant seule demeure pauvre même en travaillant à temps plein. Il est prioritaire et urgent de mettre fin à cette situation », d’affirmer Virginie Larivière, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté et de la campagne 5-10-15.
Le gouvernement du Québec devrait aussi impérativement renoncer aux pénalités financières que prévoit le projet de loi 70 pour les personnes faisant une première demande d’aide sociale. La prestation de base actuelle pour une personne seule, de 623 $, permet à peine de couvrir la moitié des besoins de base reconnus. « Le ministre Blais propose de couper la prestation de base de 224 $. Ça relève de la pure indécence! C’est impossible de vivre au Québec avec 399 $ par mois », d’ajouter Serge Petitclerc, aussi porte-parole du Collectif. Le gouvernement devrait plutôt augmenter la prestation d’aide sociale et les autres aides financières jusqu’à ce qu’elles atteignent un seuil permettant à tout le monde de couvrir ses besoins de base. Selon des études, ce seuil se situe à environ 17 500 $ par année. Le gouvernement devrait aussi travailler à contrer les préjugés à l’égard des personnes en situation de pauvreté, au lieu de les alimenter comme il l’a fait en essayant de défendre son indéfendable projet de loi 70.
Finalement, le gouvernement du Québec devrait mettre fin à l’asphyxie des services publics, entamée depuis une trentaine d’années mais aggravée depuis la mise en place de politiques d’austérité. Cette austérité « toxique » a nui à la classe moyenne, mais encore davantage aux personnes les plus pauvres. « À qui profite ces politiques d’un autre temps? », de questionner M. Petitclerc.
« L’élimination de la pauvreté doit devenir LE grand projet de la société québécoise. Il doit être porté par tout le monde. Et il faut la volonté d’y associer plus étroitement les personnes en situation de pauvreté, qui sont les premières concernées et les premières à agir pour s’en sortir. Le gouvernement doit donner l’exemple en démontrant plus de respect et, surtout, plus de solidarité envers les Québécois et les Québécoises emprisonnés dans la pauvreté », de conclure Mme Larivière.
À noter, en terminant, que le 17 octobre 2016 donne également le coup d’envoi de la tournée du Collectif sous le thème « S’organiser contre la pauvreté : un bon plan! » Cette tournée est l’occasion pour le Collectif de discuter avec les citoyennes et les citoyens de toutes les régions et de promouvoir ses propositions visant à faire du Québec une société sans pauvreté, égalitaire et riche de tout son monde.
Des accusations qui devraient tout autant provoquer une réflexion beaucoup plus large
André Parizeau
Les révélations de cette jeune femme, à propos d’un cas allégué d’agression sexuelle mettant en cause un député du Parti libéral, et qui aurait amené d’autre part des gens à tenter de dissuader cette même personne à poursuivre ses efforts au niveau de sa plainte, car la réputation d’un député compterait plus que la sienne propre, tout cela a causé une énorme onde de choc au sein même de l’Assemblée nationale. Cela a aussi enflammé les médias sociaux. Le PCQ tient à ajouter sa voix au concert de réprobations et de colère qui sévit actuellement devant ce qu’on vient d’apprendre. Tout aussi choquant est le fait qu’un député libéral, en la personne de Serge Simard, tentait toujours, pas plus tard que ce matin, de banaliser ces révélations, en essayant de remettre en cause la crédibilité de la plaignante.
Le fait, en même temps, que quelqu’un, quelque part, ait pu tenter de convaincre cette dame de laisser tomber sa plainte, en jouant et en insistant sur l’importance de protéger la carrière d’un politicien, doit être dénoncé, tout autant que le geste que ce député aurait pu poser. Cela est indiscutable. Que la police de Québec ait depuis confirmé qu’une plainte en bonne et due forme aurait effectivement été déposée au printemps dernier et que » l’enquête suivrait (toujours) son cours » ne fait que rajouter encore plus à la frustration des uns et des autres.
Tout le monde le dira et le répétera. À part Serge Simard, qui aura surtout démontré par sa sortie publique, toujours ce matin, à quel point il n’est vraiment pas à sa place, au sein de l’Assemblée nationale, et qu’il devrait assurément aussi revoir sa propre manière de voir les choses, tout cela est inacceptable et cela fait relativement consensus. Cela va dans le sens des grands principes d’égalité et de respect à partir desquels notre société est supposée fonctionner. Cela découle aussi d’un autre grand principe, soit le fait que tous et toutes demeurent égaux devant la loi, et que nul ne devrait s’y soustraire.
Le problème, c’est que notre société ne fonctionne toujours pas, de manière réelle, dans les faits, selon ces mêmes grands principes quoique certains diront. Et cela, il faudrait aussi avoir le courage de le dire. Cette histoire le démontre, mais il y en a aussi bien d’autres et cela nous rappelle en même tant à quel point le problème est important.
C’est ce qui fait que nous devrions tout autant, et tout en dénoncant sans ménagement ce qui a pu se passer, également revendiquer le droit de pousser beaucoup plus loin la réflexion, découlant de ces révélations, jusqu’à inclure une critique d’un certain nombre d’autres grandes lignes directrices qui, elles, ont de moins en moins d’allure et heurte de plus en plus nos propres valeurs, mais qui continuent pas moins de peser lourds dans notre société.
Il est effectivement, dans l’ordre des choses, dans notre société, de considérer que les gens en position d’autorité sont, au départ, » plus importants » que ceux qui sont » en bas » et qui, dans leur cas, n’ont que peu de pouvoirs ou pas du tout. On se dépêche ensuite de rappeler que tous et toutes demeurent égaux devant la loi, mais pour le fond, cela ne change pas grand chose. Cela se voit à tous les jours, quand on parle des relations de domination et d’inégalité qui caractérisent toujours dans une large mesure les relations hommes-femmes. Cela permet aussi de trouver ensuite toutes sortes de justifications face au fait qu’il existe toujours de la discrimination contre les femmes, mais cela a également toutes sortes d’autres effets pervers, au niveau de toutes sortes d’autres facettes de la vie en société. Cela se voit ainsi chaque fois que vous vous retrouvez devant un représentant de la police, un juge, un médecin, ou tout autre personne avec un niveau équivalent d’autorité, et que celui-ci tente de manière manifeste de vous intimider ou tente de vous faire comprendre que c’est lui qui aura de toutes les manières le dernier mot. De telles situations aussi mériteraient d’être dénoncées. Si vous êtes une femme, cela pourrait même devenir encore pire. Si vous êtes une femme autochtones, alors là …
Cela se voit également, de manière régulière, dans les lieux de travail, au niveau des relations entre les travailleurs — hommes et femmes — et leur supérieurs ou leurs patrons. Et encore une fois, si vous êtes une femme, cela peut être encore pire. Bref, cela a encore et beaucoup tendance à se répéter un peu partout, à travers toute la société. C’est une loi non-écrite nulle part, mais qui aurait comme préséance sur tout le reste et qui contribue aussi à pourrir dans une large mesure l’ensemble de nos rapports en société. Cela peut même devenir à la longue assez révoltant. Comme cela arrive maintenant.
Certains diront que cela ne devrait pas aller jusqu’à cautionner pareille chose, comme cela se serait produit avec cette femme, sauf qu’il faudrait en même temps reconnaître une autre » vérité » : en acceptant pareille logique, il devient du même coup assez difficile de tracer une ligne. On dira ce qu’on voudra, mais à partir du moment où l’on accepte une telle ligne directrice, c’est ensuite plutôt difficile de dire : oui, mais cela ne devrait pas aller jusqu’à là. Cela ne devrait pas aller jusqu’à là pour qui ? Et dans quelles circonstances ? Est-ce à dire que cela pourrait quand même se justifier dans d’autres circonstances ? Et jusqu’à quel niveau ?
Croire en la soi-disant nécessité de toujours chercher à se comparer, et d’accepter du même souffle que ce qu’un peut dire ou faire sera forcément plus important que ce que l’autre ou soi-même pourra aussi dire ou faire, fait partie des schèmes de pensée qui sont profondément incrustés dans le conscient et l’inconscient de bien des gens.
Dans le fond, beaucoup de gens continuent toujours à croire que tous et toutes ne sont pas vraiment égaux. C’est tellement vrai que lorsqu’on dit que les travailleurs et les travailleuses pourraient devenir plus tard les futurs » maîtres « , sous le socialisme, ceux et celles par qui les décisions devraient être prises, on nous rétorque souvent que cela serait utopique, impensable. C’est comme si les travailleurs et les travailleuses avaient absolument besoin d’avoir quelqu’un de plus » connaissant » au dessus d’eux, pour prendre les décisions à leur place.
Ce qu’il a de particulièrement déroutant, c’est lorsque des travailleurs et des travailleuses eux-mêmes et elles-mêmes finissent par vous dire qu’ils et elles le croient aussi. Ces décideurs, dont on parle et qui sont en haut des autres, sont-ils vraiment si » connaissant « , de toutes les manières ? Qu’importe. Cela prend des hiérarchies, qu’on nous dit. Un travailleur ou une travailleuse n’aura pas les compétences nécessaires pour diriger, à moins que quelqu’un, quelque part, ne décide qu’elle peut maintenant devenir un superviseur ou un cadre. Alors, et par magie, elle pourra commencer à diriger, mais pas avant.
On finit nous-mêmes par croire à toutes ces histoires dans une certaine mesure. C’est vraiment pernicieux. On se dit alors que cela prendra forcément et toujours des gens qui dominent, et d’autres qui devraient accepter leur sort et se contenter d’être dominés, tout cela pour respecter un ordre établi depuis déjà longtemps et qu’il ne faudrait d’aucune manière même tenter de changer.
On nous dira ensuite qu’il est normal que l’un gagne plus qu’un autre, soit disant parce qu’il fait quelque chose de plus important et/ou qu’il aurait plus d’expérience, ou le mériterait plus, etc. Ce serait, une fois encore, dans l’ordre des choses., qu’on nous dit. Quand on parle d’égalité entre les sexes, la plupart des gens vous diront qu’ils sont d’accord en principe. Mais dès qu’on tombe dans le plus concret, alors voilà que cela n’est plus forcément aussi simple. Dans le fond, c’est encore le même genre de réflexes qui reviennent. Quand on questionne l’énorme écart qui peut toujours exister entre le salaire d’un travailleur ou d’une travailleuse à la base par rapport à ce que gagne un grand patron, on nous dit qu’on ne comprend pas vraiment ce qui se passe. On cherche une fois de plus à nous rabaisser. Tous et toutes ne subiront pas forcément des situations aussi révoltantes que cette dame à pu vivre, mais cela n’est pas plus acceptable. Est-ce vraiment le genre de société dans lequel nous voulons vivre, pour nous et nos enfants ? Autant pour les femmes que pour les hommes ? Je ne le crois pas. La meilleure chose devrait donc de dire tout simplement non à tout ces schèmes de pensée. Point final.
Le jour où nous arriverons à changer de manière large de telles mentalités, dans la plupart de nos rapports, dans le privé, comme dans chaque aspect de nos relations en société, alors et bien sûr, les femmes seront parmi les premiers à en bénéficier, mais tout le monde pourra aussi en bénéficier parce que la nature même de nos rapports, les uns avec les autres, aura aussi changé et la société dans son ensemble devrait également mieux s’en porter et l’égalité, au sens large, et dans les faits, ne sera plus juste sur papier. Et des événements tristes comme ce qui est arrivé à cette femme deviendront aussi plus rares.
L’importance des luttes pour la souveraineté face au rouleau compresseur de la mondialisation
Entretien avec Samir Amin Source : Investig’Action.net
Les analyses portant sur la crise qui secoue, de manière structurelle, le système capitaliste actuel s’avèrent être d’une stérilité pitoyable. Mensonges médiatiques, politiques économiques antipopulaires, ondes de privatisations, guerres économiques et « humanitaires », flux migratoires. Le cocktail est explosif, la désinformation est totale. Les classes dominantes se frottent les mains face à une situation qui leur permet de conserver et d’affirmer leur prédominance. Mais pourquoi la crise ? Quelle est sa nature ? Quelles sont actuellement et quelles devraient être les réponses des peuples, des organisations et des mouvements soucieux d’un monde de paix et de justice sociale ?
Pour aider à trouver des réponses à toutes ces questions, nous reproduisons ici un récent entretien fait avec avec Samir Amin, économiste de renommée internationale, président du Forum mondial des alternatives, homme très à gauche, qui a conseillé bon nombre de gouvernements dans le passé, et qui n’hésite pas à se présenter en même temps comme un révolutionnaire. Sa ligne de pensée : la déconnexion, pays par pays, de la domination impérialiste et la reconstruction de nouveaux liens de solidarité entre tous ceux qui luttent justement, d’une manière ou d’une autre, contre cette domination.
Samir Amin revient également sur la possibilité mais aussi la nécessité de mieux marier la lutte pour la justice sociale avec le nationalisme. Il donne aussi son opinion sur certaines visions, telles celles défendues par les tenants de la » révolution mondiale « , où tous les peuples finiraient par s’insurger en même temps, comme étant dans le fond irréalisables et idéalistes. Dans un contexte où l’on parle de plus en plus de la pertinence ou non de tous ces traités de libre-échange et que les grands ensembles, telle l’Union européenne, sont de plus en plus remis en cause, les propos de Samir Amin mériteraient qu’on s’y attarde.
Cette entrevue fut faite par Raffaele Morgantini, qui collabore au site internet Investig’Action.
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Samir Amin : La crise actuelle n’est pas une crise financière du capitalisme mais une crise de système. Ce n’est pas une crise en « U ». Dans les crises ordinaires du capitalisme (les crises en « U ») les mêmes logiques qui conduisent à la crise, après une période de restructurations partielles, permettent la reprise. Ce sont les crises normales du capitalisme. Par contre la crise en cours depuis les années 1970 est une crise en « L » : la logique qui a conduit à la crise ne permet pas la reprise. Cela nous invite à poser la question suivante (qui est d’ailleurs le titre d’un mes livres) : sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ?
Une crise en « L » signale l’épuisement historique du système. Ce qui ne veut pas dire que le régime va mourir lentement et paisiblement de sa belle mort. Au contraire, le capitalisme sénile devient méchant, et tente de survivre en redoublant de violence. Pour les peuples la crise systémique du capitalisme est insoutenable, par ce qu’elle entraîne l’inégalité croissante dans la répartition des revenus et des richesses à l’intérieur des sociétés, qui s’accompagne d’une stagnation profonde d’une part, et l’approfondissement de la polarisation mondiale d’autre part. Bien que la défense de la croissance économique ne soit pas notre objectif, il faut savoir que la survie du capitalisme est impossible sans croissance. Les inégalités avec stagnation, ça devient insupportable.
L’inégalité est supportable quand il y a croissance et que tout le monde en bénéficie, même si cela est de manière inégale. Comme pendant les 30 glorieuses. Il y a alors inégalité mais sans paupérisation. Par contre, l’inégalité dans la stagnation s’accompagne nécessairement de la paupérisation, et ça devient socialement inacceptable. Pourquoi en sommes-nous venus là ? Ma thèse est que nous sommes entrés dans une nouvelle étape du capitalisme des monopoles, que je qualifie de celle des « monopoles généralisés », caractérisée par la réduction de toutes les activités économiques au statut de facto de la sous-traitance au bénéfice de la croissance exclusive de la rente des monopoles.
Comment évaluez-vous les réponses actuelles à la crise de la part des pays et des différents mouvements ?
Avant tout, j’aimerais rappeler que tous les discours des économistes conventionnels et les propositions qu’ils avancent pour sortir de la crise, n’ont aucune valeur scientifique. Le système ne sortira pas de cette crise. Il va vivre, ou essayer de survivre, au prix de destructions grandissantes dans la crise permanente. Les réponses à cette crise sont jusqu’à présent, pour le moins qu’on puisse dire, limitées, douteuses et inefficaces dans les pays du Nord. Mais il y a des réponses plus ou moins positives dans le Sud qui s’expriment par ce qu’on appelle « l’émergence ». La question qui se pose alors est : émergence de quoi ? Émergence de nouveaux marchés dans ce système en crise contrôlé par les monopoles de la triade (des impérialismes traditionnels, de la triade Etats Unis, Europe occidentale et Japon) ou émergence des sociétés ?
Le seul cas d’émergence positive dans ce sens est celui de la Chine qui tente d’associer son projet d’émergence nationale et sociale à la poursuite de son intégration dans la mondialisation, sans renoncer à exercer son contrôle sur les conditions de cette dernière. C’est la raison pour laquelle la Chine est probablement l’adversaire potentiel majeur de la triade impérialiste.
Mais il y a aussi les semi-émergents, c’est-à-dire ceux qui aimeraient l’être mais qui ne le sont pas véritablement, comme l’Inde ou le Brésil (même au temps de Lula et Dilma). Des pays qui n’ont rien changé aux structures de leur intégration dans le système mondial, demeurent réduits au statut d’exportateurs de matières premières et des produits de l’agriculture capitaliste. Ils sont bien « émergents », dans le sens qu’ils enregistrent parfois des taux de croissance pas trop mauvais accompagnés par une croissance plus rapide des classes moyennes. Ici l’émergence est celle des marchés, pas des sociétés.
Et puis, il y a les autres pays du Sud, les plus fragiles, et notamment les pays africains, arabes, musulmans, et ici et là d’autres en Amérique latine et en Asie. Un Sud soumis à un double pillage : celui de leurs ressources naturelles au profit des monopoles de la Triade, celui des raids financiers pour voler les épargnes nationales. Le cas argentin est à cet égard emblématique.
Les réponses dans ces pays sont souvent malheureusement « pré-modernes » et non « postmodernes » comme on les présente : retour imaginaire au passé, proposé par les islamistes ou par des confréries chrétiennes évangélistes en Afrique et en Amérique latine. Ou encore des réponses pseudo-ethniques qui insistent sur l’authenticité ethnique de pseudo-communautés. Des réponses qui sont manipulables et souvent efficacement manipulées, bien qu’elles disposent de bases sociales locales réelles (ce ne sont pas les États-Unis qui ont inventé l’islam, ou les ethnies). Néanmoins, le problème est sérieux, parce que ces mouvements disposent de grands moyens (financiers, médiatiques, politiques, etc.) mis à leur disposition par les puissances capitalistes dominantes et leurs amis locaux.
Quelles réponses pourrait-on imaginer, de la part des mouvements de la gauche radicale aux défis posés par ce capitalisme dangereusement moribond?
Une des tentations, que je vais écarter tout de suite, est que face à une crise du capitalisme global, la réponse recherchée doit elle aussi être globale. Tentation très dangereuse parce qu’elle inspire des stratégies condamnées à l’échec certain : « la révolution mondiale », ou la transformation du système mondial par en haut, par décision collective de tous les États. Les changements dans l’histoire ne se sont jamais fait de cette manière. Ils sont toujours partis de celles des nations qui constituent des maillons faibles dans le système global ;des avancées inégales d’un pays à l’autre, d’un moment à l’autre.
La déconstruction s’impose avant la reconstruction. Cela vaut pour l’Europe par exemple : déconstruction du système européen si on veut en reconstruire ultérieurement un autre, sur d’autres bases. Il faut sortir de l’illusion de la possibilité de « réformes » conduites avec succès à l’intérieur d’un modèle qui a été construit en béton armé pour ne pouvoir être autre chose que ce qu’il est. La même chose pour la mondialisation néolibérale.
La déconstruction, qui s’appelle ici déconnexion, n’est certes pas un remède magique et absolu, qui impliquerait l’autarcie et la migration hors de la planète. La déconnexion appelle au renversement des termes de l’équation ; au lieu d’accepter de s’ajuster unilatéralement aux exigences de la mondialisation, on tente d’obliger la mondialisation à s’ajuster aux exigences du développement local. Mais attention, dans ce sens, la déconnexion n’est jamais parfaite. Le succès sera glorieux si on réalise seulement quelques-unes parmi nos revendications majeures. Et cela pose une question fondamentale : celle de la souveraineté. C’est un concept fondamental que nous devons nous réapproprier.
De quelle souveraineté parlez vous ? Croyez vous dans la possibilité de construire une souveraineté populaire et progressiste, en opposition à la souveraineté telle que conçue par les élites capitalistes et nationalistes ?
La souveraineté de qui ? Voilà la question. Nous avons été habitués par l’histoire à connaître ce qui a été appelé comme la souveraineté nationale, celle mise en œuvre par les bourgeoisies des pays capitalistes, par les classes dirigeantes pour légitimer leur exploitation, d’abord de leurs propres travailleurs, mais aussi afin de renforcer leur position dans la compétition avec les autres nationalismes impérialistes. C’est le nationalisme bourgeois. Les pays de la triade impérialiste n’ont jamais connu jusqu’à présent un nationalisme autre que celui-ci. Par contre, dans les périphéries nous avons connu d’autres nationalismes, procédant de la volonté d’affirmer une souveraineté anti-impérialiste, opérant contre la logique de la mondialisation impérialiste du moment.
La confusion entre ces deux concepts de « nationalisme » est très forte en Europe. Pourquoi ? Et bien, pour des raisons historiques évidentes. Les nationalismes impérialistes ont été à l’origine des deux guerres mondiales, source de ravages sans précédents. On comprend que ces nationalismes soient ressentis comme nauséabonds.
Après la guerre, la construction européenne a laissé croire qu’elle allait permettre de dépasser ce genre de rivalités, par la mise en place d’un pouvoir supranational européen, démocratique et progressiste. Les peuples ont cru à cela, ce qui explique la popularité du projet européen, qui tient toujours en dépit de tous ses ravages. Comme en Grèce par exemple, où les électeurs se sont prononcé contre l’austérité mais en même temps ont conservé leur illusion d’une autre Europe possible.
Nous parlons d’une autre souveraineté. Une souveraineté populaire, par opposition à la souveraineté nationaliste bourgeoise des classes dirigeantes. Une souveraineté conçue comme le véhicule d’une libération, faisant reculer la mondialisation impérialiste contemporaine. Un nationalisme anti-impérialiste donc, qui rien à voir avec le discours démagogique d’un nationalisme local qui accepterait d’inscrire les perspectives du pays concerné dans la mondialisation en place, qui considère le voisin plus faible comme son ennemi.
Comment se construit-il donc un projet de souveraineté populaire ?
Ce débat nous l’avons conduit à différentes reprises. Un débat difficile et complexe compte tenu de la variété des situations concrètes. Avec, je crois, de bons résultats, notamment dans nos discussions organisées en Chine, en Russie, en Amérique latine (Venezuela, Bolivie, Équateur, Brésil). D’autres débats ont été encore plus difficiles, notamment ceux organisés dans les pays les plus fragiles.
La souveraineté populaire n’est pas simple à imaginer, parce qu’elle est traversée de contradictions. La souveraineté populaire se donne l’objectif du transfert d’un maximum de pouvoirs réels aux classes populaires. Celles-ci peuvent s’en saisir à des niveaux locaux, pouvant entrer en conflit avec la nécessité d’une stratégie au niveau de l’État. Pourquoi parler de l’État ? Parce qu’on le veuille ou pas, on continuera à vivre pas mal de temps avec des États. Et l’État reste le lieu majeur de la décision qui pèse. Ici se situe le fond du débat.
À l’un des extrêmes de l’éventail dans le débat, nous avons les libertaires qui disent que l’État c’est l’ennemi qu’il faut à tout prix combattre, qu’il faut donc agir en dehors de sa sphère d’influence ; à l’autre pôle nous avons les expériences nationales populaires, notamment celles de la première vague de l’éveil des pays du sud, avec les nationalismes anti-impérialistes de Nasser, Lumumba, Modibo, etc. Ces leaders ont exercé une véritable tutelle sur leurs peuples, et pensé que le changement ne peut venir que d’en haut. Ces deux courants doivent dialoguer, se comprendre afin de bâtir des stratégies populaires qui permettent d’authentiques avancées.
Qu’est-ce qu’on peut apprendre de ceux qui ont pu aller plus loin ? Comme en Chine ou en Amérique latine ? Quelles sont les marges que ces expériences ont su mettre à profit? Quelles sont les forces sociales qui sont ou pourraient être favorables à ces stratégies ? Par quels moyens politiques pouvons-nous espérer mobiliser leurs capacités ?
Voilà les questions fondamentales que nous devons nous poser et auxquelles il nous faut répondre afin de construire notre propre souveraineté, populaire, progressiste et internationaliste.
Source : Investig’Action.net