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La fabrique du consentement
La société est une immense machine où chaque rouage occupe une fonction précise. En démocratie, les différentes institutions constituent des contre-poids pour éviter les dérives, toujours possibles, de certaines par rapport aux autres. Elles servent aussi de repères aux individus cherchant à se réaliser à travers la divergence des intérêts de chacun en incarnant la permanence des valeurs de la société. Ainsi, l’État, l’armée, la police, les tribunaux, les universités, les écoles, les religions, les masses médias maîtres de l’opinion publique, ont pour mandat d’établir la cohésion sociale en préservant les normes intrinsèques à l’ordre établi.
Au départ, chacun se croit libre de penser par lui-même et de suivre le chemin qu’il a choisi, mais de manière imperceptible il est conduit vers la destination voulue. Grâce au merveilleux système éducatif, la rationalité instrumentale parvient à discriminer les enfants en fonction de catégories visant la reproduction du statu quo. D’emblée, les rebelles sont exclus ou, s’ils sont créatifs, ils parviendront à survivre en marge d’un régime économique toujours prêt à les récupérer. Les dociles représentent les fourmis ouvrières qui besognent sans s’interroger sur la fonction qu’elles occupent dans ce gigantesque engrenage. Et bien sûr, tout en haut, il y a les maîtres du capital, ceux et celles qui nous gouvernent depuis toujours et nous imposent leur vision du monde.
Ce modèle fondé sur la méritocracie accorde les plus grandes responsabilités aux parfaits. Le problème survient lorsque nos guides éclairés ne travaillent plus en fonction du bien commun et qu’ils se considèrent supérieurs aux autres. Ils élaborent alors des stratégies de contention pour s’assurer la docilité des citoyens dans le but de leur extirper le maximum sans rompre l’équilibre du système. Le plus étrange, c’est que les honnêtes gens tolèrent mal la discidence qui pourrait pourtant les sauver de l’anéantissement. De tout temps, la contestation sociale est mal vue et les institutions se chargent de rappeler les dissidents à l’ordre.
Instaurant la peur et la méfiance, les discours publics enfoncent les mentalités aussi sûrement que le marteau plante le clou. Puis, dans l’éloge permanent au dieu argent, les surdoués qui nous gouvernent oublient le rôle irremplaçable de l’amour du prochain caractéristique de l’espèce humaine. On élimine les communautés, les milieux naturels, les cultures ancestrales et les sources d’espoir en un monde nouveau pour satisfaire les appétits insatiables du capital. À l’heure des changements climatiques, la destruction de l’environnement nous est présentée comme un projet de société et la guerre au terrorisme comme l’horizon indépassable des relations internationales. De nos jours, il existe de nombreuses raisons pour se décourager et cette logique infernale d’affrontement perpétuel ne peut nous conduire à la paix.
En observant le monde tel qu’il est, nous sommes bien obligés de nous interroger sur ce qui ne va pas. Pouvons-nous encore croire en l’équilibre des institutions alors que l’hégémonie des marchés financiers nous assaillent en faisant du profit une dictature aussi vile qu’inhumaine? Pendant que les espèces disparaissent une à une, l’esprit qui nous gouverne apparait incapable de s’interroger sur les errances d’un système devenu fou. Mais si les institutions deviennent encore plus oppressives, où se logera l’espoir d’une société alternative ?
Sous les dictatures, dans les jaules d’Amérique latine, plusieurs prisonniers politiques soumis à la torture ont découvert la présence à leurs côtés d’un autre martyr de l’intolérance et de l’injustice des puissants. En un monde devenu aussi opaque, figé dans un matérialisme irrespirable où ne subsiste que peu d’espace de grandeur et de liberté, saurons-nous préserver l’espoir? Notre monde intérieur sera-t-il l’ultime endroit où nous pourrons encore ressentir l’unité de toutes choses et la lumière réconfortante de la vérité. Non pas celle des oppresseurs qu’on impose, mais celle qui nous délivre du mal et pourrait nous conduire au-delà de l’abîme.
Yves Carrier
Spiritualité et citoyenneté
Y EN MARRE DE LA PAUVRETÉ!
par Robert Lapointe
Et les pauvres? Sûrement aussi. Mais d’où ça vient la pauvreté? Dans les sociétés soi-disant primitives, il n’y avait pas de pauvres. Tout le monde était égal… ou presque, et chacun avait sa place dans le respect de l’ordre social représenté par le chef de la tribu et le chaman ou sorcier. Puis, avec les sociétés de classe et les États, l’espace commun à tous a été fractionné en lieux sacrés ou réservés à l’usage exclusif des élites qu’il fallait ensuite faire vivre. Au nom de la religion ou de la monarchie, la masse des sédentaires (ceux dont les déplacements sont limités dans l’espace) devait subvenir aux besoins des riches et des puissants. C’est par le contrôle de l’espace et de l’esprit des gens que s’effectue le contrôle de leur travail dont le bénéfice remis à plus tard (dans l’au-delà) va aux dominants en attendant. L’appropriation au nom de la monarchie ou de la religion a fini par choquer les sédentaires qui se sont organisés avec la bourgeoisie à leur tête. Le capitalisme est né dans les villes. Plusieurs auteurs expliquent que la relation individuelle du Dieu chrétien avec chacun de ses fidèles a favorisé cette évolution, mais le capitalisme était tenu en laisse par le système clérico-monarchique. Cela a donné les cathédrales. Le capitalisme a triomphé en Angleterre quand certains nobles et bourgeois limités par leurs appétits se sont tournés vers les campagnes et se sont attaqué aux domaines communaux: un mouvement appelé les enclosures. Beaucoup de paysans se sont ramassés en ville dépossédés et misérables et ce fut le départ des révolutions agricoles et industrielles et la pauvreté fit un pas en avant et s’exporta vers l’Amérique ou ailleurs où les indigènes furent à leur tour dépossédés.
Combattre la pauvreté.
Pour Amartya Sen, indien Nobel d’économie, le pauvre a besoin d’améliorer ses capabilities, néologisme barbare mais utile qui joint deux concepts: celui des capacités individuelles qui peuvent s’accroître du fait de l’éducation et de la santé, et celui des possibilités permises par le système social, liberté, démocratie, protection sociale, un certain pouvoir sur l’environnement spatial et sur la vie. Sortir de la pauvreté est tout un programme et c’est un projet collectif; ce n’est pas seulement la couverture des besoins essentiels, ce qui peut être un excellent début, mais, surtout, c’est la maîtrise, dans la mesure du possible, de son destin individuel et collectif. Sortir de la pauvreté, c’est une question de pouvoir.
THÉORIE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
En résumé, voici l’évolution de la société. Société primitive ou originelle, sans classes, sans État, tout le monde égal et chacun a sa place, régi par le mythe dont le chef est porte-parole, pouvoir diffus dans la société. Toutes les autres sociétés tendent à concentrer le pouvoir et la richesse entre quelques mains, rois, nobles et clergé qui disent ce que tout le monde doit penser. Les pauvres ont leur place: ils permettent aux riches de gagner des indulgences par la charité aux pauvres et les dons à l’Église. Puis est apparue la société civile. À suivre.
Rage au coeur
Par Monique Toutant
Vendredi le 3octobre 2014, lors d’un comité lutte à l’ADDS QM nous avons appris par téléphone que le gouvernement venais de faire des coupures dans les programmes à l’aide sociale. Emilie du FCPASQ (Front commun des personnes assistées sociales du Québec) a fait une entrevue à LCN sur l’heure du midi suite à ces fameuses coupures. J’ai écouté cette émission et si vous l’aviez écouté, vous auriez entendue beaucoup de préjugés véhiculés pendant les conversations avec l’animateur.
C’était horrible d’entendre dire par une personne que les BS sont des alcooliques et qu’ils dépensent leur chèque en fréquentant des bars en buvant leur chèque et que le premier du mois, ils viennent le changer au même bar pour payer leur compte que la serveuse leur a fait. Que des personnes sur le BS partagent leur logement avec plusieurs personnes sans en aviser leur agent, que certaines personnes reçoivent deux chèques à différentes adresses au lieu d’une seule. Et j’en passe tellement je suis en colère.
Même les articles dans les journaux étaient remplis de préjugés et de mauvaises perceptions envers nous les personnes assistées sociales. Selon le journal La Presse du 3 octobre2014, « Les BS ont une maison de 500 000$ et font des voyages dans le SUD à Punta Cana ». Il y en avait encore d’autres toutes aussi choquantes. Ce ne sont pas toutes les personnes bénéficiaires de l’aide sociale qui possèdent une maison ou qui peuvent se payer un voyage dans le sud. Nous ne sommes pas tous des fraudeurs ou des profiteurs. Nous avons le droit de vivre comme tout le monde. Il y a aussi des fraudeurs et profiteurs parmi les plus riches de la société ne vous déplaise. Il n’y a pas que les journaux et la télévision qui véhiculent de tels propos, la société elle-même en fait elle aussi.
Parfois, il faudrait mieux se tourner la longue 7 fois avant de dire ou de prononcer des propos diffamatoires ou discriminant sur les ou la personne qui vit cette injustice blessante. Car ses paroles font très mal et peuvent nuire au bon fonctionnement de la personne. Lui faire perdre confiance et même détruire son cheminement et son identité, parfois même amener la personne à avoir honte de sa propre vie. Il faut que ça change, que les gens de notre société d’aujourd’hui s’informent davantage sur les propos ou les paroles haineuses qu’elles entendent avant de juger qui que ce soit. Car juger sans avoir vu ou écouté devient de fausses paroles. Les personnes devraient allez voir la personne elle-même et lui demander pourquoi il ou elle est rendue là où elle ou il est avent de la juger. Car seule la personne elle-même peut justifier son cheminement personnel. Il vaut mieux aller à la source avant de partir de fausses rumeurs.
Une personne qui en avait gros sur le cœur.
J’éprouve une grande tristesse, mais pas la vôtre
Par Guy Roy
Je suis désolé, mais je ne partage pas l’ambiance macabre qui s’est répandu au Québec et au Canada à la suite des attentats des derniers jours. Il y a une certaine hypocrisie dans les attitudes de nos représentants politiques. Depuis des années, des guerres sont déclarées à l’encontre de pays du Tiers-Monde sans que l’on ne se préoccupe de leurs conséquences pour la paix mondiale. Ces questions ont déjà fait l’objet de vifs débats publics et de mobilisations générales dans le passé au cours des années quatre-vingt.
Des familles de victimes des attentats du 11 septembre à New-York ont exprimé clairement leurs vœux que l’on n’attaque pas l’Afghanistan à cause de leur deuil. Personne, sinon quelques pacifistes et communistes étasuniens, n’ont fait connaître leur point de vue.
On se porte nous-mêmes en belligérants contre d’autres pays en pensant naïvement qu’ils subiront passivement nos agressions. Qu’un jour ou l’autre ces guerres n’auront pas d’impact chez nous. Pourtant, tous les jours nous voyons exposé sous nos yeux l’extrême misère qui est à la source du terrorisme. On aura beau dire que cette méthode de combat est répugnante, exécrable, absolument condamnable, on ne sort pas du cercle vicieux de la violence en accusant les autres belligérants de leurs crimes violents. On reste dans le domaine de la guerre sans jamais penser que nous avons une responsabilité devant nos gouvernants de les appeler à d’autres méthodes pour régler les contentieux du colonialisme ou de l’approvisionnement en ressources naturelles.
On peut bien répéter le discours belliciste de la guerre et manifester notre intention de la continuer, mais il n’y aura rien du tout de régler parce que ces méthodes pour résoudre les conflits ne marchent pas.
Toute l’histoire du 20ème siècle est pleine de telles leçons. Est-ce que le 21ième siècle répétera indéfiniment les mêmes vieux schémas des agressions mutuelles ? Rappelons seulement que l’Occident est minoritaire et que la vaste population meurtrie de la planète est pauvre et délaissée au profit de notre prospérité.
Peut-être n’est-ce pas le moment de rappeler tout ça me direz-vous ? Mais quand est-ce que commencera l’authentique compassion sinon dans ces moments où les questions brulantes de la guerre se posent. Pourquoi ne pas évoquer les conséquences des décisions de nos dirigeants politiques de les engager en notre nom ?
On m’accusera peut-être d’être un allié objectif de ces terroristes. Je m’en fous un peu car ils n’ont pas réussi encore à faire en sorte que je n’aie pas le droit de dire le fond de ma pensée. Et on n’esquivera pas la question de ses origines dans ce monde où les inégalités engendrent fureur et colère. «La présidente de la Fed, Janet Yellen, a indiqué que les inégalités de revenus et de richesses, qui «se sont à nouveau creusées pendant la reprise» aux États-Unis, ont quasiment «atteint un sommet depuis un siècle». Imaginez leurs conséquences à l’échelle de la terre entière.
Ce n’est pas le temps d’aborder ces questions ? Elles continueront pourtant de hanter le monde quoique l’on fasse pour en éviter les solutions.
L’importance des impôts
Par Ronald Albert, Boucherville
Au moment où le gouvernement Couillard entreprend une vaste consultation relative à la fiscalité, il convient de rappeler les bienfaits que procurent les divers prélèvements des gouvernements. Cela importe d’autant plus qu’on nous répète avec une assurance suspecte qu’il est impossible d’augmenter les revenus de l’État. Curieusement, aucun politicien ne vante les mérites d’une société qui, grâce aux taxes et impôts élevés, trouve un extraordinaire équilibre dans les services communs qu’elle se donne.
Sur le mode «dévaluation des impôts», l’Institut Fraser nous rappelle chaque année que nous commençons à travailler pour nous quelque part au mois de juin. Comme si nos taxes et impôts ne servaient pas à payer nos écoles, nos hôpitaux, nos routes et tous les programmes sociaux qui font la qualité de notre vie commune. Comme si les vertus démocratiques des pays où on paie beaucoup d’impôts ne comptaient pas dans les succès des entreprises qui trouvent là les conditions de leur réussite, grâce notamment à une éducation et à des infrastructures de qualité. Comme si nos gouvernements, avec les nombreux services dont nous profitons grâce à eux, n’avaient rien à voir avec notre niveau de vie, l’un des meilleurs au monde.
Si nous jouissons de cette qualité de vie, c’est que nous mettons nos ressources en commun pour le plus grand bien de tous. Nos politiciens n’insistent jamais sur cet aspect fondamental de notre réussite. C’est pourtant généralement dans les pays où l’impôt est élevé que les populations se portent le mieux, que les inégalités sont les moins fortes, que l’espérance de vie est la plus longue, que la criminalité est la plus faible et que le bonheur de vivre est le plus grand. Pourquoi laisser croire que les baisses d’impôts amélioreront la situation de tout le monde alors qu’il n’en sera rien?
Avec des impôts plus élevés et moins d’inégalités que maintenant, les démocraties occidentales ont connu, au milieu du XXe siècle, les plus solides développements qu’on ait vus dans l’histoire humaine.
Les choses ont changé. De nos jours, les multinationales paient de moins en moins d’impôts.
Plusieurs profitent des paradis fiscaux, bien connus de notre premier ministre. Pourtant, pas un seul politicien ne se bat pour qu’elles fassent leur «juste part», comme on demande aux autres citoyens de le faire. Contrairement à ce qu’on laisse entendre, l’impôt relatif des plus riches a baissé depuis les années 2000, créant de plus en plus de disparités. Avec un confortable revenu de 201 952 $, M. Couillard a payé 21 % d’impôt en 2011. J’entends que certaines commissions scolaires s’apprêtent à couper les repas aux enfants qui arrivent à l’école le ventre vide. Une aberration. Mais, pour le bien de son idéologie, notre premier ministre pense qu’il vaut mieux laisser tomber ces enfants que d’augmenter de quelques points les impôts de ceux qui, comme lui, en paient peu sur des revenus importants! Ne doit-on pas s’indigner d’une telle situation?
Journal Métro, 23 octobre 2014
Conseil d’administration du CAPMO
Membre du conseil 2014-2015 élus lors de la dernière assemblée générale annuelle.
Présidente : Monique Toutant
Vice-président : Donald Lehouillier
Secrétaire : France Dulac
Trésorier : Robert Lapointe
Administrateur : Gérald Doré
Administrateur : André Huot
Administrateur : Claude Garneau
Un grand merci à ceux et celles qui contribuent à faire des activités du CAPMO un franc succès.
Le CAPMO en action pour la Journée sans voiture
Par Émilie Frémont-Cloutier, comité du CAPMO pour l’accessibilité sociale du transport en commun
À l’occasion de la Journée sans voiture, le 22 septembre dernier, 2 équipes de militants, l’une dans Saint-Roch, au coin de Dorchester et Charest et l’autre au terminus Beauport, ont bravé le froid et le vent. Ils ont permis à des personnes de se rencontrer dans la rue et de pouvoir s’exprimer publiquement sur un sujet : l’accessibilité du transport en commun dans leur ville! De plus en plus, il devient très important de créer ces espaces ou la prise de parole citoyenne est possible.
Nous avons constaté que parmi les citoyens et citoyennes rejoints, une grande majorité souhaite des améliorations majeures dans l’accessibilité au transport en commun à Québec.
À peine 8% des personnes avec lesquelles nous avons discuté étaient complètement satisfaites du système de transport actuel (il faut toutefois considérer que les personnes déjà satisfaites avaient possiblement moins tendance à s’arrêter pour participer au porteur de parole.)
Ce qui est ressorti plus souvent comme changement souhaité, c’est une baisse du prix de la passe mensuelle. Certains parlent d’une baisse d’au moins 50% du prix, quelques uns de gratuité universelle ou pour une partie de la population. Parmi les personnes rencontrées, une a dit avoir besoin du soutien financier de personnes de son entourage pour pouvoir payer sa passe et un autre passant nous a confié qu’il n’avait pas les moyens de se payer le transport en commun. Dans Saint-Roch comme au Terminus Beauport, les passants nous parlent aussi beaucoup d’amélioration des parcours.
Les citoyens et citoyennes nous font part de leurs constats et recommandations à cet effet : Parcours trop longs, fréquence trop faible des passages, lieu d’améliorer les parcours), le besoin de plus de voies réservées pour le transport en commun.
Quelque uns dénoncent aussi la culture du «tout à l’auto ». Le choix des dirigeants d’investir dans la construction d’autoroutes et pas dans le transport en commun. Il est important de souligner un évènement qui n’a pas manqué de susciter l’indignation de plusieurs usagers du RTC et facilité la prise de contact avec les passants. Il s’agit de la décision de retirer la gratuité des passages instaurée depuis déjà quelques années à l’occasion de la Journée sans voiture.
Tous les gens que nous avons rencontrés n’étaient pas au courant de ce changement et ne le comprenaient pas. Plusieurs trouvaient que c’était illogique d’appeler à une Journée sans voiture sans garder une mesure incitative pour motiver les gens encore peu habitués à prendre le transport en commun. Les militants ont eux- mêmes été témoins que plusieurs personnes se sont fait «mettre dehors» de l’autobus parce qu’elles entraient sans argent, en pensant évidemment, que lors de la Journée sans voiture, c’est gratuit!
Bref, le porteur de parole a été un franc succès: une occasion pour des citoyens et citoyennes de Québec de s’approprier cet enjeu. Rappelons enfin que cette action s’inscrit dans le cadre d’une grande enquête régionale portée par le CAPMO, qui se veut un moyen de développer des actions concrètes pour plus d’accessibilité sociale au transport en commun.
*« Le Porteur de parole est une activité qui met en œuvre des interventions permettant à des passants et des habitants absents des lieux traditionnels d’échanges, (institutions, associations…), de se rencontrer dans la rue et de s’y exprimer publiquement. Il s’agit d’un recueil et d’une exposition de paroles d’habitants, de passants, d’usagers. Une question est inscrite sur un grand format, puis accrochée à un endroit visible. Cette question les invite à réagir autour d’un thème donné. On note les avis sur des panneaux dans le lieu ou l’espace public choisi ».
Lettre ouverte au monde musulman
Du philosophe musulman Abdennour Bidar
Oratoire du Louvre, Paris, 3 octobre 2014, publié par pasteur Marc Pernot
Abdennour Bidar est normalien, philosophe et musulman. Il a produit et présenté tout au long de l’été sur France Inter une émission intitulée « France-Islam questions croisées ». Il est l’auteur de 5 livres de philosophie de la religion et de nombreux articles.Cette lettre ouverte au monde musulman fait suite aux événements des jours passés, notamment l’assassinat de Hervé Gourdel. De nombreux musulmans ont manifesté leur indignation nécessaire et salutaire (en France et dans le monde, avec le mouvement #NotInMyName – « pas en mon nom »). Au delà de cette dénonciation indispensable, Abdennour Bidar pense qu’il faut aller plus en profondeur, et entrer dans une autocritique de l’Islam comme religion et civilisation dans ce moment de transition cruciale de sa longue histoire. Pour le meilleur de l’Islam. Dans un esprit de fraternité entre croyants de bonne volonté, c’est avec joie que nous pouvons lire ce texte, découvrir un autre visage de l’Islam, et peut-être prendre nous aussi quelque chose de cette sagesse qui consiste à vouloir se réformer pour être plus fidèle.
Lettre ouverte au monde musulman
Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin – de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd’hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d’isthme entre les deux mers de l’Orient et de l’Occident !
Et qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce que je vois mieux que d’autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d’enfanter un monstre qui prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre – perdre ton temps et ton honneur – dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.
Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Tu cries « Ce n’est pas moi ! », « Ce n’est pas l’islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t’insurges que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi et surtout la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner alors que ce moment aurait été une occasion historique de te remettre en question ! Et tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l’islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme ce n’est pas l’islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre mais la paix ! »
J’entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l’islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l’être humain sur le chemin du mystère de l’existence… Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l’islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine je vois aussi autre chose que tu ne sais pas voir… Et cela m’inspire une question – LA grande question : pourquoi ce monstre t’a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? C’est qu’en réalité derrière ce monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il faudra bien pourtant que tu finisses par en avoir le courage.
Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci tant que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal !
Même les intellectuels occidentaux ont de la difficulté à le voir : pour la plupart ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion – en bien et en mal, sur la vie et sur la mort – qu’ils me disent « Non le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc. ». Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l’échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l’homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent – et qui comme l’islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.
Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIème siècle ! Malgré la gravité de ta maladie, il y a en toi une multitude extraordinaire de femmes et d’hommes qui sont prêts à réformer l’islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l’humanité entretenait jusque là avec ses dieux ! C’est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes ouvrages ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu’entrevoit leur espérance !
Mais ces musulmanes et ces musulmans qui regardent vers l’avenir ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c’est l’état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms de Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou « Etat Islamique ». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes : impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l’égalité, de la responsabilité et de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l’autorité de la religion; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.
Tout cela serait-il donc la faute de l’Occident ? Combien de temps précieux vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ?
Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l’avouer, tu as été incapable de répondre au défi de l’Occident. Soit tu t’es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l’intérieur de tes frontières – un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l’Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité – je veux parler notamment de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie mondiale qu’est le culte du dieu argent.
Qu’as-tu d’admirable aujourd’hui, mon ami ? Qu’est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes ? Qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ? Où sont tes grands penseurs dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l’Inde à l’Espagne ? En réalité tu es devenu si faible derrière la certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même… Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller, et cela te rend aussi malheureux qu’agressif… Tu t’obstines à ne pas écouter ceux qui t’appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière.
Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l’islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’Etat que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu’à l’intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d’imposer que l’islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu’« Il n’y a pas de contrainte en religion » (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l’empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ?
De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s’élèvent aujourd’hui dans la Oumma pour dénoncer ce tabou d’une religion autoritaire et indiscutable… Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu’ils ne comprennent même pas qu’on leur parle de liberté spirituelle, ni qu’on leur parle de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l’islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge » si sacrée qu’ils n’osent pas donner à leur propre conscience le droit de le remette en question ! Et il y a tant de familles où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès le plus jeune âge, et où l’éducation spirituelle est d’une telle pauvreté que tout ce qui concerne la religion reste quelque chose qui ne se discute pas !
Or cela de toute évidence n’est pas imposé par le terrorisme de quelques troupes de fous fanatiques embarqués par l’État islamique. Non ce problème là est infiniment plus profond ! Mais qui veut l’entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n’entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t’illusionnes, ô mon ami, en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l’islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d’évoquer – une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam du passé dépassé, l’islam déformé par tous ceux qui l’instrumentalisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimer définitivement spiritualité et liberté ?
Bien sûr dans ton immense territoire il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d’approfondissement spirituel ; des lieux où l’islam donne encore le meilleur de lui-même, une culture du partage, de l’honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l’être humain et la réalité ultime qu’on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d’islam, et partout dans les communautés musulmanes du monde, des consciences fortes et libres. Mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans reconnaissance d’un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l’instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J’ai mon propre rapport à l’islam » n’a été reconnu par « l’islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s’acharnent à imposer que « La doctrine de l’islam est unique » et que « L’obéissance aux piliers de l’islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).
Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l’une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l’un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d’un Bien et d’un Mal, d’un licite (halâl) et d’un illicite (harâm) que personne ne choisit mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées tu associes encore la religion et la violence – contre les femmes, les « mauvais croyants », les minorités chrétiennes ou autres, les penseurs et les esprits libres, les rebelles – de sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !
Alors ne fais plus semblant de t’étonner, je t’en prie, que des démons tels que le soi-disant Etat islamique t’aient pris ton visage ! Les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C’est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l’éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n’es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! C’est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction.
Cher monde musulman… Je ne suis qu’un philosophe, et comme d’habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu’à faire resplendir à nouveau la lumière – c’est le nom que tu m’as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ». Je n’aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français, « Qui aime bien châtie bien ». Et au contraire tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas assez sévères avec toi – qui veulent faire de toi une victime – tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.