Ça roule au CAPMO – Mars 2019

L’être et le non-être

Pour Ramon Grofoguel, le racisme est toujours institutionnel car s’il s’appuie sur des préjugés, sa réalité se vit par toutes formes d’exclusion au sein des espaces tels que le travail, le logement, les médias, la culture, les associations, les lieux décisionnels, etc. Le profilage racial exercé par la police est un exemple d’une institution qui donne corps au racisme. Bien souvent, la hiérarchie sociale masque les frontières des espaces réservés à «l’élite» économique qui correspond presque partout avec la pigmentation de la peau. Ainsi, certains sont discriminés à la fois parce qu’ils sont pauvres et parce qu’ils appartiennent à un groupe qui n’a pas accès aux mêmes opportunités.

Franz Fanon appuie sa définition du racisme sur la division du monde en deux zones, l’une habitée par « l’être » et l’autre par le «non-être». Selon lui, la structure du racisme correspond à une prétention de supériorité de certain groupes par rapport à d’autres. Les subordonnés ou inférieurs se retrouvent sous cette ligne de démarcation imaginaire, en un non-lieu où leur humanité est niée.

Au-dessus, on retrouve une zone de droits humains et de protections sociales alors qu’en-dessous existe une zone de non-droits où la répression et la violence prédominent. Cette zone de non-droit correspond à la frontière nord du Mexique et de la mer des Caraïbes, au sud de la Méditerranée ainsi qu’au détroit du Bosphore à l’est. Dans ces territoires immenses vivent les quatre cinquièmes de l’humanité. Les droits humains et les libertés d’expression n’y sont souvent que des chimères, la stabilité des ressources comptant davantage que les libertés individuelles affichées au Nord.

«Je pense donc je suis!», dit Descartes, mais ce «Je» est un homme blanc occidental, patriarcal et impérial. La pensée occidentale prétend qu’elle est universelle alors qu’elle n’est que l’expression d’une vision régionale d’un «être» qui a dominé le monde dans un double mouvement d’appropriation et d’extermination des visions différentes. Cela s’appelle un «épistémicide», la destruction des savoirs qui s’abreuvent à d’autres sources. Une fausse prétention d’objectivité interdit aux chercheurs en sciences humaines, d’apercevoir les présupposés dont ils sont les principaux vecteurs. Trop souvent leur prétention de neutralité les empêche d’assumer leur expérience personnelle de sujet opprimé ou oppresseur de manière consciente. Ainsi, une femme noire et paysanne n’aura pas la même compréhension du monde qu’un homme blanc européen, à moins qu’on ne lui ait inculqué une fausse interprétation de sa réalité.

Le racisme trouve son origine dans la domination de l’homme blanc européen sur l’ensemble des populations de la planète. L’idée d’un racisme anti-blanc est une idée saugrenue puisque les populations discriminées n’ont pas le pouvoir d’exclure l’homme blanc d’un lieu de travail ou de résidence en raison de la couleur de sa peau. Elles peuvent avoir des préjugés envers les Blancs, mais elles n’ont pas le pouvoir social de le discriminer des lieux du pouvoir, résume Grofoguel.

Yves Carrier


SPIRITUALITÉ et CITOYENNETÉ                               

RECYCLAGE! UNE ARNAQUE? NON, UNE MANIPULATION, SURTOUT AUX USA.

Une route américaine. Par la fenêtre d’une voiture, quelqu’un jette des ordures qui s’écrasent aux pieds d’une amérindien à l’allure majestueuse. Il regarde l’auto qui s’éloigne. Il pleure. Une voix off se fait entendre : « La pollution, ça commence par les gens. Ce sont eux qui peuvent y mettre fin »À l’écran, on peut lire, (il s’agit d’une publicité de 1971) ‘’Keep america beautiful’’. Quel beau message écologique, dirait-on, mais il n’émane pas d’une organisation vouée à l’environnement. Il provient d’un consortium industriel dans lequel on retrouve Coca-Cola et l’American Can Company qui fabrique des boîtes de conserve.

C’est une belle hypocrisie. Auparavant, la consigne fonctionnait bien. Les bouteilles étaient recyclées. Mais les grands industriels, à commencer par les compagnies de bières, suivies par celles des boissons gazeuses, ont remplacé les contenants en vitre par des canettes et des bouteilles jetables. Cela entraîna une véritable catastrophe environnementale et le consortium a réagi avec cette publicité évoquée au début. Autrement dit, le consortium culpabilisait la population pour le problème qu’il avait contribué à créer.

Mais les écolos et certains États ont réagi contre ces manœuvres du consortium. L’Orégon en 1971 et le Vermont l’année suivante, ont voté des lois pour encourager la consigne obligatoire. Les industriels de la canette sont devenus enragés. Particulièrement William F. May, directeur de l’American Can Company et président de Keep America Beautiful : « Il nous faut lutter par tous les moyens contre les référendums sur les bouteilles organisés cette année dans le Maine, le Massachusetts, le Michigan et le Colorado, où des communistes, ou des gens qui ont des idées communistes, essaient de faire prendre à ces États le même chemin que l’Oregon. »

Le recyclage fut présenté notamment par la Glass Container Manufacturers Institute comme la solution unique à la pollution. On évitait de considérer le problème à la source et de chercher les véritables motivations de ces campagnes. Peut-être sommes-nous tous responsables, mais il y en a peut-être qui sont plus responsables que d’autres.

Il faut se méfier de tous les discours que l’on entend, sur l’environnement, les changements climatiques, la politique, le Venezuela, etc. Les Gilets jaunes n’ont pas été dupés par l’idée de l’imposition de la taxe sur le carbone. Ils ont refusé d’être culpabilisés sur la question de l’environnement. Autre raison d’être méfiant : la culpabilisation liée à l’environnement et le discours sur la responsabilité individuelle de chacun (ce qui revient au même) permettent de discréditer l’action politique collective. Encore une fois, nos chers Gilets ont vu juste. L’action collective de la base dans les milieux de pouvoir effraie la bourgeoisie et secoue le système. Nous en reparlerons bientôt.

Robert Lapointe,
inspiré par un article du Monde diplomatique, février 2019, p. 3, Eh bien, recyclez maintenant!


Donnons une chance à la paix !

DIALOGUE ET PAIX VERSUS RESTAURATION NÉOLIBÉRALE-IMPÉRIALE

Victor, Ramos, anthropologue, Québec 7 février 2019

Dans le même esprit du « droit d’intervention » de la Sainte-Alliance pour imposer la restauration des grandes monarchies absolutistes d’Europe de 1815-1825, « la ligue des rois contre les peuples », la Sainte-Alliance du XXIe siècle manœuvre pour restaurer le règne néolibérale-impériale aux pays ayant réussi à récupérer, partiellement, leur libre détermination. Liberté pour mettre leur économie et leurs richesses au service de leur peuple à la place des gourmandes transnationales. Ces énormes compagnies tentaculaires globales sont aujourd’hui plus riches que les États. Elle dominent les pays sont devenus leurs enclaves économiques, sources de matières premières et de main-d’œuvre bon marché pour leur système prédateur qui détruit les bases mêmes de la vie biologique et sociale. Cette Sainte-Alliance des pouvoirs économique néolibéral et géopolitique impérial qui soumet tout à leurs intérêts et à leur logique de domination, est supposée apporter la démocratie et la liberté au peuple vénézuélien! 

Cette restauration néolibérale-impériale est réalisée en utilisant de nouvelles stratégies : diabolisation des gouvernements « indociles », coup d’État parlementaire pour destituer des présidents démocratiquement élus : Zelaya du Honduras en 2009; Lugo du Paraguay en 2011; Dilma Rousseff du Brésil en 2016. On constate que ces pays et ceux récemment rattachés à l’orbite néolibérale-impériale comme l’Argentine de Macri, l’Équateur de Moreno et le Brésil de Temer-Bolsonaro, tous de gouvernements corrompus et répressifs, privatisent, augmentent les prix des biens et services essentiels et criminalisent les mouvements citoyens. Bref, ces gouvernements font la guerre à leur propre peuple au lieu de lutter contre la pauvreté, l’injustice sociale, le chômage et l’insécurité! Et au Venezuela, étant donné que l’opposition ne peut pas prendre le pouvoir par la voie démocratique, le coup d’État devient « humanitaire » et il est dirigé par le gouvernement Trump! 

Mais ce coup d’État dit « humanitaire » n’a rien de pacifique. Bien au contraire! Amène avec lui le spectre de l’invasion des États-Unis, la guerre civile et son lot de souffrances, de morts et de destruction de la société vénézuélienne et probablement aussi d’une partie d’Amérique latine. Cela pourrait signifier le début de l’imposition du chaos et de la barbarie du Moyen-Orient en Amérique latine sous le dogme de « diviser et détruire pour régner »! C’est d’une très grande irresponsabilité de l’opposition vénézuélienne et des pays qui sont dans le groupe de Lima.

Nous croyons fermement que la meilleure option est celle du dialogue entre les Vénézuéliens sans interférences des puissances étrangères pour arrêter la souffrance et les problèmes actuels de ce peuple et pour éviter une confrontation armée. Alors nous proposons :
– L’arrêt immédiat du plan de guerre du gouvernement des États-Unis contre le Venezuela.
– L’arrêt immédiat des interventions dans la politique interne du Venezuela du groupe de Lima en respectant les résultats de la dernière élection présidentielle réalisée démocratiquement, position de plus de 80% des pays membres des Nations Unies.
– L’arrêt immédiat de la guerre économique interne et la mise à disposition des consommateurs vénézuéliens des biens actuellement retirés de l’offre et réactiver leur production.
– Libération des produits, des fonds et de l’or confisqués par le gouvernement des États-Unis et par d’autres pays pour permettre l’entrée d’aliments et des médicaments qui manquent cruellement depuis trop longtemps.
– La mise en pratique de la médiation proposée par le Mexique et l’Uruguay pour résoudre la crise vénézuélienne par le dialogue entre le gouvernement et l’opposition. 

Donnons une chance à la paix!


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Lettre au pape François

Lettre au pape François à propos de la position du Vatican sur le Venezuela

Oscar Fortin, 19 février 2019

Cher papa Francisco,
Je n’arrive pas à comprendre comment, vous, auteur de l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium dans laquelle vous dénoncez avec force et vigueur le capitalisme sauvage, source des grands conflits de ce monde, ait pu se laisser entraîner dans les rangs de celui qui en est le grand maître, l’Empire étasunien. Vous n’en êtes pas à vos premières expériences de ces conflits qui mettent en confrontations les forces de l’Empire avec celles des peuples qui veulent s’en libérer. Vous avez connu de près ce qui s’est passé au Chili sous le régime de Salvador Allende et sous la dictature d’Augusto Pinochet. Vous avez également vécu en Argentine sous le régime de la dictature des trois généraux. Une expérience que peu de papes ont eue pour mieux comprendre sur le terrain les véritables intentions tant de l’Empire pour dominer que  des peuples pour s’en libérer. Les souvenirs du Plan Condor que vous avez vu en action devraient vous donner la mesure d’humanité de ceux et celles qui en furent les exécutants et devrait également vous rappeler le courage, les souffrances de ceux et celles qui en furent les victimes.

Votre arrivée à Rome, cher papa Francisco, aura été un véritable souffle d’espérance, pour ceux et celles dont les témoignages et le vécu n’avaient, à Rome, ni oreilles pour entendre leur histoire ni yeux pour voir les atrocités dont les leurs avaient été victimes. Le message livré dans votre Exhortation apostolique Evangelii gaudium a été reçu avec enthousiasme par ceux et celles en lutte contre ce capitalisme sauvage, si désastreux pour les humbles de la terre et néfaste pour l’ensemble de l’humanité. Le président de Bolivie, Evo Morales, s’est exclamé en disant « enfin j’ai un papa à Rome ». À l’époque, je vous avais écrit une lettre ouverte pour vous remercier du courage que vous aviez eu pour dénoncer ce capitalisme sauvage. On pouvait y lire ceci, entre autres :

« Nous ne pouvons plus compter sur les forces aveugles et la main invisible du marché. La croissance de l’équité exige plus que la croissance économique, bien qu’elle implique des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus visant spécifiquement une meilleure répartition des revenus, une création d’emplois, une promotion globale des plus pauvres qui dépassent la simple assistance « (204). « Jusqu’à ce que les problèmes des pauvres soient résolus de manière radicale, renonçant à l’autonomie absolue des marchés et à la spéculation financière et s’attaquant aux causes structurelles de l’inégalité [173], les problèmes du monde et, en définitive, aucun problème ne sera résolu. L’inégalité est la racine des maux sociaux »(202)

On peut dire, sans exagération, que les gouvernements d’Hugo Chavez et de Nicolas Maduro se caractérisent particulièrement par un effort constant de redistribution de la richesse au bénéfice des classes sociales les moins bien nanties. Il m’est arrivé de faire un lien entre ces politiques du socialisme du XXIe  et la pensée sociale du pape Jean XXIII. À l’époque, j’avais écrit ce texte en espagnol.

Avec tout ce qui précède, vous comprendrez que le tournant qu’ont pris vos propos et actions en ces dernières semaines a de quoi inquiéter ceux et celles qui ont cru, un moment, que l’Église sous le pape François allait prendre ses distances d’avec les pouvoirs de l’Empire.  Lors de votre séjour aux journées mondiales de la jeunesse, à Panama,  vous avez clairement exprimé que les problèmes du Venezuela devaient se résoudre entre Vénézuéliens et Vénézuéliennes, dans la paix et la justice. C’est suite à cette déclaration que le Président du Venezuela, Nicolas Maduro, vous a écrit une lettre dans laquelle il partageait cette idée d’une solution par le dialogue entre les partis en conflit et vous demandait, par la même occasion, votre présence comme médiateur. Votre réponse s’est fait attendre jusqu’à ce que l’épiscopat vénézuélien et votre secrétaire d’État, Pietro Parolin, vous disent que tout dialogue ne servirait à rien, que Maduro ne tenait pas ses engagements. Je suppose que vous avez vérifié ces dires auprès de l’ambassadeur du Venezuela auprès du Vatican. Il faut dire que Washington avait déjà donné l’ordre à l’opposition de ne pas s’engager dans des opérations de dialogue.

Votre réponse est finalement arrivée avec une double surprise. La première est ce changement de cap dans la façon de résoudre les problèmes, le dialogue ne fait plus partie de la voie à suivre. Il faut croire que d’autres voies ont été portées à votre connaissance.  La seconde, beaucoup plus sérieuse et grave, est celle de ne plus reconnaître Maduro comme président élu, substitué en cela par  le député autoproclamé président, Juan Guaido, en disgrâce de pouvoir constitutionnel, comme président transitoire. Sans doute, une manière diplomatique de passer dans le groupe de Lima.  À ceci s’ajoute le fait, en tant que chef d’État du Vatican, vous avez dérogé à la Charte des droits des peuples en intervenant dans les affaires internes du Venezuela.

Le 26 janvier dernier, le Conseil de Sécurité des Nations Unies  s’est prononcé majoritairement contre toute forme d’intervention au Venezuela. La Charte des Nations Unies est bien claire sur cette question et c’est en référence à cette loi fondamentale et à son respect qu’il fallait mettre un terme aux prétentions interventionnistes de Washington d’envahir le Venezuela pour en devenir le maître. 

Les faits nous démontrent, cher papa Francisco, que le recours aux lois n’est utile aux grands et puissants que lorsque cela leur convient. En dehors de leurs intérêts, aucune loi ne les dérange. C’est triste à dire, mais vos dernières décisions vont dans ce sens. Vous n’avez dénoncé, en aucun moment,  les ingérences des É.U. au Venezuela. Il en fut de même pour ses politiques de sanctions et de guerre économique qui font tant de mal aux peuples qui en sont les premières victimes. Ces silences à l’endroit de Washington se comprennent par la complicité que le Vatican a avec ce dernier qui vise la reconquête des pouvoirs en Amérique latine.

Je m’excuse d’avoir été aussi long, mais le sujet l’exigeait.

Ma prière vous accompagne et j’espère qu’il en sera de même de vous à mon endroit

Québec, le 18 février 2019


Journée mondiale de la justice sociale 

Les groupes sociaux de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches

Réclament un budget pour la justice sociale

Québec, le 20 février 2019.
À l’occasion de la Journée mondiale de la justice sociale, une coalition de groupes communautaires, syndicaux, écologistes et étudiants de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches a rendu visite à quelques ministères et au Conseil du trésor pour exiger un budget axé sur la justice sociale. Les groupes sociaux ont précisé leurs revendications pour le prochain budget : un réinvestissement dans les services publics, les programmes sociaux et le communautaire, des conditions de travail décentes (15$/h), la rémunération des stages, des mesures majeures contre les changements climatiques et la lutte contre toute forme de discrimination.

Améliorer le filet de sécurité sociale et les conditions de travail
Pour son premier budget, le ministre des Finances compte sur plusieurs milliards de surplus, des surplus inédits construits par l’austérité libérale. « Le gouvernement se doit de réparer les pots cassés. Réparer le filet de sécurité sociale passe par un réinvestissement dans les services publics, les programmes sociaux et l’action communautaire autonome. Le prochain budget ne doit pas dilapider les surplus en baisses d’impôts pour la minorité fortunée, il doit préparer le terrain pour négocier de bonne foi avec le secteur public et pour répondre aux revendications des étudiants-es qui exigent la rémunération de leurs stages»,revendique Emma Parson, porte-parole de la manifestation.

Faire le choix de la transition juste et de la lutte aux discriminations

« Le prochain budget doit financer des mesures vigoureuses dans la lutte contre les changements climatiques. Les finances publiques doivent être mises au service d’une transition écologique juste, c’est urgent ! », souligne Anne-Valérie Lemieux Breton, porte-parole. Les manifestantes et manifestants ont également rappelé qu’aucune justice sociale n’est possible au Québec sans s’attaquer à toutes les formes de discrimination, dont celles vécues par les femmes et les minorités.« Les projets du gouvernement Legault face aux immigrants-es nous inquiètent au plus haut point. Si elles se réalisent, ces politiques racistes et sexistes nous éloigneront encore davantage de la justice sociale», poursuit Madame Lemieux Breton.

Des actions unitaires avaient lieu aujourd’hui aux quatre coins du Québec à l’initiative de la Coalition main rouge et de la Campagne Engagez-vous pour le communautaire.


Programmation du 3e Festival contre le racisme

Québec, le 5 mars 2019 – C’est du 28 au 30 mars prochain qu’aura lieu la troisième édition du Festival contre le racisme de Québec. Un festival qui se veut un espace festif, mais aussi de rencontres, de discussions et de réflexions. Au menu, trois soirées : une projection de films, une soirée DJ, une soirée cabaret, et des ateliers touchant au racisme. Le tout se déroulant dans des espaces publics et de façon complètement gratuite. Notons que la journée du samedi sera également ouverte aux familles.

Plus que jamais, la peur de l’autre s’imprègne dans notre société
Pour l’organisation du festival, la peur de l’autre s’est vue dans la campagne électorale provinciale. La CAQ a fait du thème de l’immigration, un point central de son programme et a joué sur les fantasmes : disparition du français, disparition de l’identité québécoise, existence de bons et de mauvais immigré-e-s. Une fois arrivée au pouvoir, la CAQ s’est empressée de diminuer le nombre de personnes immigrantes en pleine pénurie de main-d’œuvre et de rejeter plus de 18 000 demandes de Certificat de Sélection du Québec. » Face à ces discours démagogues et ces peurs fantasmées, il important de se réunir et de montrer une autre image du Québec et de la ville de Québec. Il est important d’ouvrir des espaces de rencontres et de discussions pour sortir de la peur de l’autre, et peut-être encore plus de faire la fête pour combattre l’ambiance morose qui plane sur la ville de Québec. C’est ensemble dans nos différences et nos ressemblances que nous devenons plus forts et plus fortes » explique le porte-parole Nicolas Villamarin.

Offrir un espace pour lutter contre les discriminations
La 3e édition du Festival se veut une continuité des deux précédentes. Rappelons que cette idée de festival est née d’un profond malaise en 2016 quant à la situation des femmes autochtones, de la communauté musulmane, des réfugié-e-s syrien-nes, des immigré-e-s, des victimes de préjugés de toute sorte. Devant la multiplication des discriminations et la banalisation des discours diffusant des préjugés, il est important d’agir et d’offrir une autre vision pour notre société. Pour le comité organisateur, ne rien faire devant ces injustices, équivaut à les endosser.

Programmation de la 3e édition du Festival :
Jeudi 28 mars – 19 h Soirée de projections « Le rêve canadien, reportage d’Enquête, Radio-canada, septembre 2018 » suivie d’une discussion Ouvert à toutes et à tous

Vendredi 29 mars – 21 h Soirée DJs/Djettes Au Bal du lézard (1049, 3e Avenue) DJRICHINTL Sara La Recup Real Fyah Sound System Monsieur Nokturn

Samedi 30 mars – 13h Ateliers [service de garde sur place tout l’après-midi] Au Tam-Tam Café (421, boulevard Langelier) Christian Djoko, Les habits neufs du racisme · Centre des femmes de la basse-ville (situation des femmes immigrantes)· Collectif Stoppons la prison sur la construction d’une prison de migrant-e-s à Laval

19h30 : Cabaret contre le racisme Au Tam-Tam Café (421, boulevard Langelier) Sara La Recup (DJette invitée) Plaquie; Zion; AMERO; Chéri.e; Mojo Zarbdanntan; Robert Fusil et les Chiens fous


L’insurrection des consciences

L’appel de Jean Ziegler à « l’insurrection des consciences »

Propos recueillis par Denis Lafay, 03/06/18, La Tribune de Genève

Ses responsabilités au sein de l’ONU ont fait de Jean Ziegler un observateur unique de l’état « humain » du monde. Le sociologue suisse tire de sa confrontation avec l’extrême pauvreté, avec le cynisme des mécanismes diplomatiques, avec les obscurantismes multiformes, avec le dépérissement des utopies, l’image une sombre réalité de l’âme humaine, aliénée par un capitalisme spéculatif belliciste. Lui qui « est » les yeux et la voix des plus vulnérables demeure pourtant confiant, car dans la société civile il voit, il entend poindre l’incarnation collective des aspirations individuelles, une « conscience adjugée » qui s’exprime par des luttes et des initiatives composant une fraternité de la nuit appelée à voir et à faire voir la lumière, à débarrasser la civilisation de « l’ordre cannibale » auquel elle est ligotée. Extrait du livre Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures (L’Aube, en partenariat avec La Tribune) qui révèle les indestructibles ressorts d’un infatigable pasteur de l’humanité.

LA TRIBUNE – Vous avez sillonné le monde, vous êtes confronté à l’indicible de la guerre, de la famine, des désastres humains, de ce que l’individu a, au fond de lui, de plus barbare et de plus généreux, vous avez mené d’âpres combats politiques, institutionnels, idéologiques, littéraires en faveur de la justice. Cette expérience des âmes humaines et des systèmes – politiques, économiques, religieux – qui les façonnent, que vous invite-t-elle à penser du monde contemporain?

JEAN ZIEGLER – Nous vivons sous un ordre absurde, et même cannibale, du monde. Karl Marx est mort, épuisé, le 14 mars 1883, dans son modeste appartement de Londres. Jusqu’à son dernier souffle, il a cru que le « couple maudit » du maître et de l’esclave allait cornaquer l’humanité pendant de nombreux siècles encore. Or, là, il s’est trompé. Le formidable emballement des révolutions industrielles, technologiques, scientifiques qui se sont succédé à un rythme inédit a potentialisé comme jamais auparavant la productivité, et c’est ainsi que pour la première fois dans l’histoire de l’homme – et cet événement est survenu au début de ce XXIème siècle -, le manque objectif a disparu. Et pourtant l’horreur persiste. En témoigne le scandale le plus insupportable et le plus inacceptable de notre contemporanéité : le massacre quotidien perpétré par la faim. Près d’un milliard d’êtres humains sont en permanence sous-alimentés, et ainsi interdits d’exercer une activité, un travail, une responsabilité familiale. Et ce désastre, cet assassinat au grand jour intervient alors que l’agriculture mondiale est à même de nourrir copieusement l’humanité entière. Le problème aujourd’hui n’est plus la production insuffisante de la nourriture, mais le manque d’accès pour tous. Quelques réformes structurelles suffiraient pour mettre fin au massacre : interdiction de la spéculation boursière sur les aliments de base ; fin du dumping agricole européen sur les marchés africains ; désendettement total des pays les plus pauvres afin qu’ils puissent investir dans leur agriculture, etc.

Votre combat a en partie pour théâtre l’ONU, et notamment le Conseil des droits de l’homme, dont vous êtes vice-président du comité consultatif depuis 2009. Ces dernières décennies, les droits de certains hommes ont progressé, ceux d’une grande partie des hommes ont stagné, voire reculé. Que reste-t-il des Lumières, du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau qui incarne le combat pour l’humanisation individuelle et collective de l’humanité ?

Jean Jaurès dit : « La route est bordée de cadavres, mais elle mène à la justice. » Incontestablement, l’humanisation de l’homme progresse. Voilà ce que mon expérience, mes observations indiquent. Mais elles enseignent aussi une autre réalité. En effet, comme l’étayaient les marxistes allemands composant l’École de Francfort dans les années cinquante, la justice fait l’objet d’une double histoire ; la première convoque une justice effectivement vécue, empiriquement vécue, la seconde recourt à l’eschatologie – l’étude de ce que la conscience revendique comme juste. Au premier niveau, celui de la justice effectivement vécue, la situation est terrible. Outre la famine, que faut-il penser de l’humanisation de l’homme lorsqu’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à une eau non toxique ? Lorsque la capacité des conglomérats pharmaceutiques de soigner voire d’éradiquer des maladies s’autolimite pour de basses raisons mercantiles, laissant alors les épidémies ravager les populations les plus vulnérables ?

Pour les peuples du tiers-monde, la troisième guerre mondiale a bel et bien commencé. La consolidation du nombre de victimes identifiées par chacune des 23 institutions membres des Nations unies s’est élevée en 2016 à 54 millions de morts. Soit l’équivalent du nombre total des victimes militaires et civiles recensées pendant la Seconde Guerre mondiale. En d’autres termes, l’humanité du tiers-monde perd chaque année dans le silence ce que cette boucherie effroyable a infligé à l’humanité entière pendant six ans. 

Pour autant, ce constat, imparable, de régression n’est pas synonyme de capitulation. L’espérance (doit) continue (r) de primer sur l’abdication… 

Absolument. Mon espérance est réelle. Elle n’est nullement fondée sur un quelconque idéalisme ou de fallacieux arguments postulatoires, mais au contraire repose sur des éléments de sociologie démontrés. Parmi eux, retenons la formidable progression de ce que Theodor Adorno – philosophe et sociologue allemand [1903-1969] – nomme la « conscience adjugée » : ce que les individus considèrent individuellement « juste » se trouve un jour incarné dans une revendication collective, elle-même pierre angulaire d’un changement du monde. Voilà de quoi espérer. La problématique de la « faim dans le monde » illustre le paradigme. Dorénavant, plus personne, pas même les réactionnaires les plus obtus, n’oserait promouvoir la doctrine malthusienne de la naturalité, c’est-à-dire une gestion inhumaine de l’espérance de vie et des populations. Que la faim constitue une ignominie intolérable est définitivement admis, ancré dans les consciences citoyennes ; qu’elle persiste suscite l’indignation de la société civile, motive la colère d’une multitude de mouvements sociaux. N’est-ce pas là un progrès significatif ? La ligne de flottaison de la civilisation s’élève sans cesse. Reste l’obsession de l’incarnation. Dans quelles conditions une idée devient-elle une force matérielle ?

« Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures », soutenez-vous avec Ernesto Che Guevara. L’espérance prend forme dans l’existence de ces fissures, et surtout dans la perspective de nouvelles fissures. Ces dernières, en repérez-vous ?

Absolument partout apparaissent de nouvelles brèches, et effectivement chacune d’elles est une raison supplémentaire d’espérer. Un phénomène planétaire inédit a surgi: la société civile. Des fronts de résistance et d’initiatives alternatives aux systèmes homogènes, aux oligarchies qui orchestrent le capitalisme financier globalisé et meurtrier, s’organisent. Une myriade de mouvements sociaux sont en marche : Greenpeace, Attac, WWF, Colibris (de Pierre Rabhi), Amnesty International, le mouvement des femmes, ou encore le mouvement paysan international Via Campesina, etc. Qu’il s’agisse de son fonctionnement, de sa puissance, de son professionnalisme, cette société civile fait d’impressionnants progrès, et la révolution technologique lui fournit des armes d’une efficacité redoutable. C’est ainsi que cette fraternité de la nuit se constitue en sujet historique autonome.

La société civile voit son rayonnement grandir proportionnellement au déclin des États, qui ne sont plus des moteurs d’espérance. Sa raison d’être ? L’impératif catégorique de Kant : « L’inhumanité infligée à un autre détruit l’humanité en moi. » « Je suis l’autre, l’autre est moi » constitue son fil conducteur, et à ce titre honore la « conscience de l’identité » consubstantielle à l’homme, mais que fragilise l’obscurantisme néolibéral. Cette folle idéologie sacralise le marché, qu’elle substitue à l’homme comme sujet de l’histoire, l’homme n’étant plus qu’un rouage, une variable, un vassal du marché. Les despotes de ce marché possèdent un pouvoir qu’aucun roi, aucun empereur dans toute l’histoire n’a jamais détenu. L’une des plus grandes conquêtes de cette absolue omnipotence est la prétendue impuissance à riposter qu’elle instille dans les consciences des peuples. Et c’est à libérer ces âmes, à les aider à s’affranchir de cette suzeraineté, à leur restituer la « conscience de l’identité » d’où découlera une politique de solidarité, de réciprocité, de complémentarité, que nous devons nous employer. Et à l’accomplissement de ce projet, la société civile contribue de manière capitale.

L’impression que donnent l’auscultation du monde mais aussi les discordes sur la réalité des maux civilisationnels est que nous ne parvenons plus à contester, à combattre ce qui doit l’être – le pronom relatif concentrant l’ensemble des questionnements de justice, d’équité, d’éthique, d’universalité. Au-delà du déficit spirituel et de l’excès mercantiliste, quelles sont les causes de notre égarement ?

La folie néolibérale, les multiples agressions perpétrées par l’oligarchie financière, la théorie justificatrice d’un ordre du monde au nom duquel l’Homme n’est plus sujet de l’histoire mais vassalisé aux ravageuses lois de la marchandisation, font leur œuvre. Malgré cela, la « conscience de l’identité » connaît des progrès. Et même foudroyants, comme en témoignent la vitalité et la variété de la nouvelle société civile planétaire, la multiplicité des mouvements sociaux et des fronts de résistance, y compris en Occident – du parti espagnol Podemos à la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. La manière dont l’Indien Evo Morales, triomphalement élu depuis 2005 à la présidence de la Bolivie, est parvenu à museler l’action impérialiste, socialement dévastatrice et irresponsable en matière environnementale, de 221 sociétés internationales exploitant gaz, mines et pétrole, est exemplaire ; il a réveillé chez ses concitoyens une identité collective grâce à laquelle l’intérêt général s’est imposé et a brisé l’aliénation.

Ce qu’est l’humanité du XXIe siècle met-il particulièrement en péril l’universalité de l’espèce humaine, du respect et de la considération sanctuarisés de l’homme ? Si même les droits de l’homme ne sont plus un bien commun, comment peut-on fonder l’espérance d’un vivre-ensemble et d’une solidarité revitalisés ?

Certaines situations sont, objectivement, intolérables, dans le sens où elles ébranlent toutes nos convictions, même celles que l’on pensait insubmersibles. Les parents, frères, sœurs, époux, conjointes, enfants, amis des victimes des assassins du Bataclan, peut-on s’étonner qu’ils puissent considérer comme des sous-hommes, des barbares, ceux qui ont perpétré l’innommable ? Peut-on contester qu’ils puissent souhaiter pour les tortionnaires survivants une riposte d’égale horreur ? Je le comprends. Je sais, au fond de moi-même, combien l’intangibilité des droits de l’homme fait l’objet de lézardes sous le coup de l’indicible. Pour demeurer solide, pour sortir victorieux des combats intérieurs auxquels cet indicible expose, on peut se remémorer le procès de Nuremberg. Dix-neuf hauts dignitaires du IIIe Reich furent condamnés à mort ou à perpétuité, à l’issue d’une longue, minutieuse et exemplaire procédure. Plus près de nous, en Afrique du Sud, ce que la commission Réconciliation et Vérité réussit à cautériser dans les corps et les âmes des victimes de l’apartheid fut, là encore, remarquable. Dans les deux cas, le droit a triomphé, conférant aux verdicts une légitimité universelle.

Les Occidentaux étant privés d’exercer la violence par les armes, ont-ils trouvé dans le capitalisme spéculatif et, au-delà, dans l’inflammation consumériste, compétitrice, marchande, un moyen d’exercer « autrement » leur pulsion belliqueuse ?

L’étude lexicale des discours des capitalistes est révélatrice de dérives pathologiques. « Combat », « guerre », « conquête » , « victoire », « domination », « suprématie »… voilà ce qui compose leur vocabulaire, et même la Silicon Valley si souvent plébiscitée pour son supposé progressisme culturel et managérial en est le théâtre. L’« iconique » Steve Jobs n’exhortait-il pas ses salariés à se transformer en « soldats du Bien » mobilisés dans une « guerre économique mondiale » inédite ? Ces éléments de langage et de communication bellicistes convoquent les pires instincts de la nature humaine, qu’ils détournent et manipulent pour combattre, asservir, détruire. Tout concurrent est un adversaire, tout compétiteur est un rival et un obstacle qu’il faut « neutraliser. » Et « l’efficacité » du système capitaliste résulte en grande partie de cette machination rhétorique et comportementale.

« Plus l’horreur, la négation et le mépris de l’autre dominent à travers le monde, plus l’espérance, mystérieusement, grandit. » Vous le percevez, le ressentez, l’affirmez : l’insurrection collective des consciences, germe d’une révolution civilisationnelle inéluctable, semble donc bel et bien proche…

« Le révolutionnaire doit être capable d’entendre pousser l’herbe » ; « la révolution avance sur les pas d’une colombe » : ces pensées, confiées respectivement par Marx et Nietzsche – deux des plus fins observateurs du processus révolutionnaire -, invitent leurs disciples d’aujourd’hui à faire preuve d’une extraordinaire attention à chaque bruissement, à chaque opportunité de composer un peu mieux, un peu plus cette insurrection collective. Oui, « je suis l’autre, et l’autre est moi » : la conscience de cette réciprocité, elle-même constitutive de la conscience de l’identité, concentre une naturelle et formidable condamnation de tout ce que le capitalisme et le néolibéralisme charrient de maux humains : la loi du plus fort, celle de la concurrence sauvage, celle de la hiérarchie des succès, celle du classement humain selon les biens acquis, celle de l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles, celle du massacre des espèces animales et végétales…

In fine, cette conscience de la réciprocité est ce qui doit paver la marche en avant vers ladite insurrection, car de cette dernière dépendent d’abord l’émancipation, l’autonomisation, la libération de chaque conscience, puis le déploiement d’une solidarité et d’une complémentarité universelles – et non d’une égalité des hommes : celle-ci n’a d’existence que sur le fronton des établissements de la République, et pour cause, elle n’est pas compatible avec la conception singulière, une et indivisible, de chacun des 85 milliards d’êtres humains qui ont peuplé la terre depuis 2,8 millions d’années -, enfin la conscientisation d’une œuvre collective respectueuse de l’Homme et de son environnement. « De chacun selon ses capacités, pour chacun selon ses besoins » : cette exhortation de Marx illustre parfaitement le combat politique, social, environnemental qu’il faut mener. Georges Bernanos [1888-1948] a écrit : « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». Ou bien c’est nous qui abattrons l’ordre cannibale du monde, ou c’est personne.

Propos recueillis par Denis Lafay


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